La maladie de Lyme

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La maladie de Lyme
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La maladie de Lyme
x T. Schaeverbeke
Points forts
y Fréquence des allèles de susceptibilité de la PR chez
les sujets porteurs d’une arthrite de Lyme chronique
résistant aux antibiotiques.
y Mimétisme moléculaire entre OspA et LFA-1 : facteur
d’auto-immunité ou signe d’une meilleure adaptation de
la bactérie à l’hôte ?
y La PCR peut détecter l’ADN de Borrelia chez des
patients séronégatifs pour ce germe.
y Une infection borrélienne peut transitoirement activer
un rhumatisme inflammatoire préexistant : PR ou
spondylarthropathie.
Tableau I. Typage HLA DRB1* chez 80 patients porteurs d’une
arthrite de Lyme (290).
Groupe 1 Groupe 2 Groupe 3
HLA DRB1
n = 47
n = 32
n = 26
Valeur de p
3x2
2x2
(1 vs 3)
Oddsratio
3
0101
15
9
35
0,03
0,05
0102
2
0
12
0,05
0,09
6
0101 ou 0102
17
9
46
0,002
0,008
4,2
0401
6
6
23
0,04
0,04
4,4
0404
6
31
8
0,004
0,003
6,6
0401 ou 0404
13
38
31
0,03
0,01
4,1
1 allèle PR
30
47
77
0,0006
0,0001
7,9
2 allèles PR
2
3
19
0,01
0,01
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LFA-1 SE COMPORTE-T-IL COMME UN AUTO-ANTIGENE DANS
LES FORMES CHRONIQUES DE L’ARTHRITE DE LYME ?
ASSOCIATION DES FORMES CHRONIQUES DE L’ARTHRITE DE
LYME AVEC HLA DR4
Steere et coll. (290) ont effectué le typage moléculaire HLA de
80 patients porteurs d’une arthrite de Lyme. Ces patients ont
été séparés en trois groupes selon la durée d’évolution de
l’arthrite et la réponse à l’antibiothérapie :
– groupe 1 : réponse rapide (< 3 mois) ;
– groupe 2 : réponse intermédiaire (4 à 11 mois) ;
– groupe 3 : forme chronique (synovite persistant plus d’un an
après une antibiothérapie adaptée).
Les résultats sont présentés dans le tableau I.
Ces auteurs confirment ainsi l’association des formes chroniques de l’arthrite de Lyme avec la présence des allèles de
susceptibilité HLA DR de la polyarthrite rhumatoı̈de : 77 %
des formes chroniques possèdent l’épitope partagé contre 30 %
des formes répondant rapidement au traitement. L’association
avec certains allèles DQA1 et DQB1 ne reflète que le déséquilibre de liaison existant entre ces allèles et les allèles de
susceptibilité à la PR.
Les formes chroniques d’arthrite de Lyme sont associées à
l’allèle HLA DRB1*0401 et à une réponse immunitaire prédominante vis-à-vis de la protéine OspA de Borrelia burgdorferi
(OspA = outer surface protein A).
A l’aide d’un algorithme, Gross et coll. (289) ont recherché un
épitope dominant susceptible d’être présenté par une molécule HLA DRB1*0401 au sein de la séquence de la protéine
OspA de B. burgdorferi. La séquence qui a été identifiée a alors
été comparée à des séquences peptidiques humaines dans une
banque de données génétique (Genbank). L’analyse a montré
une forte homologie de séquence avec la molécule
LFA-1 (Leukocyte Function-Associated Antigen-1 ; membre
de la famille des ß2 intégrines, elle est exprimée à la surface de
90 % des lymphocytes T, lymphocytes B, polynucléaires et
monocytes, et intervient dans de nombreux mécanismes
d’adhésion lymphocytaire, y compris dans la liaison avec la
cellule présentatrice d’antigène). L’analyse des cellules articulaires de onze patients présentant une arthrite de Lyme
chronique a montré, chez neuf d’entre eux, une hyperréactivité des cellules articulaires à la fois à OspA et à LFA-1. Aucun
des neuf témoins (patients atteints de PR ou d’autres arthrites)
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n’a montré la moindre réaction vis-à-vis de ces deux
molécules. Ainsi, le mimétisme moléculaire entre OspA et
LFA-1 pourrait être à l’origine d’une réaction auto-immune
vis-à-vis de LFA-1 susceptible de participer à la pérennisation
de l’arthrite.
Dans un second travail (937), la même équipe a montré que
OspA peut se lier à la protéine d’adhésion ICAM-1 (intracellular adhesion molecule-1 ; molécule d’adhésion exprimée par
de multiples cellules en réponse à une activation médiée par
des cytokines, ligand de LFA-1), et donc se comporter fonctionnellement comme LFA-1. B. burgdorferi pourrait ainsi
utiliser OspA comme molécule d’adhésion à ICAM-1,
surexprimée au cours d’une réaction inflammatoire, ce qui
favoriserait la rétention articulaire de la bactérie.
Ces deux travaux illustrent à merveille le problème du mimétisme moléculaire. Celui-ci a toujours, jusqu’à présent, été
interprété sous l’angle de l’immunologie : le mimétisme moléculaire entre une substance immunogène de la bactérie et un
déterminant antigénique de l’hôte induirait la différenciation
de clones B ou T qui, même après l’élimination de la bactérie,
continueraient à être activés par le déterminant antigénique
endogène, devenant alors des clones autoréactifs ; la persistance des signes cliniques s’interprète, dans ce concept,
comme une manifestation d’auto-immunité.
Le mimétisme moléculaire peut cependant s’envisager selon
un autre point de vue : celui du microbiologiste. Un germe,
cohabitant très souvent depuis plusieurs dizaines ou centaines
de milliers d’années avec l’espèce hôte qu’il infecte, s’est, par
nécessité, adapté progressivement à son hôte par sélection
continue des souches les mieux armées pour pénétrer l’organisme de l’hôte et y persister. Une bonne adaptation passe
obligatoirement par la reconnaissance de molécules d’adhésion d’une muqueuse ou d’un tout autre tissu cible, permettant à la bactérie de se fixer à la cellule hôte et d’exercer son
pouvoir pathogène, ou plus simplement de survivre en parasitant cette cellule. De même, l’adaptation à la réponse immunitaire est une absolue nécessité pour survivre dans un organisme hostile ; cet échappement à la réponse immunitaire
pourrait passer en grande partie par le mimétisme moléculaire
vis-à-vis d’antigènes de l’hôte très largement exprimés ; en
effet, nous ne sommes a priori pas conçus pour développer des
phénomènes d’auto-immunité et les clones lymphocytaires
auto-réactifs font l’objet d’une sélection négative. Dans
l’exemple présent, OspA est un bon stigmate d’adaptation à
l’hôte : le mimétisme moléculaire d’une protéine exprimée
fortement à la surface de la bactérie avec la molécule LFA-1,
largement exprimée par les cellules de défense de l’hôte, est
susceptible de faciliter l’échappement à la réponse immunitaire et permet à la bactérie de reconnaı̂tre spécifiquement le
ligand de LFA-1, la molécule ICAM-1, et donc d’adhérer au
tissu cible. Cette adaptation pourrait expliquer un défaut
d’élimination des souches exprimant fortement OspA, d’où
l’induction de formes chroniques d’arthrite.
ANALYSE DES REPONSES SEROLOGIQUES AU VACCIN OspA DE
LA MALADIE DE LYME
Molloy et coll. (588) ont analysé la réponse sérologique au
vaccin recombinant OspA de la maladie de Lyme chez
120 patients. Deux tests sérologiques ont permis d’évaluer la
réponse IgM, IgG et IgA sur des échantillons de sérum
prélevés avant la vaccination, 30 jours après les deuxième et
troisième injections, puis à deux et trois ans. Aucune donnée
chiffrée n’était fournie, mais plusieurs points peuvent être
dégagés :
– la sérologie se révélait souvent positive, la réponse immunitaire se faisant sur un nombre important d’épitopes de la
molécule OspA,
– une variation interindividuelle importante était constatée,
certains individus étant non répondeurs, leur sérologie
demeurant négative après vaccination,
– une variation entre les résultats fournis par les deux tests
sérologiques était également constatée,
– la réponse immune décroı̂t progressivement à deux et trois
ans, et s’éteint parfois dans ce délai.
L’ADN DE B. BURGDORFERI DETECTE DANS LE LIQUIDE SYNOVIAL DE PATIENTS AVEC UNE SEROLOGIE NEGATIVE
Schnarr et coll. (1272) ont réalisé des PCR pour B. burgdorferi,
B. afzelli et B. garinii sur le liquide synovial de 37 patients
présentant une oligoarthrite inclassée, sans histoire clinique
évocatrice de maladie de Lyme (pas de notion de morsure de
tique ni d’érythème chronique migrateur), et dans un groupe
témoin constitué de 8 patients atteints de PR. Tous ces
patients avaient une sérologie négative pour Borrelia, par
hémagglutination et en Western-Blot. L’ADN de Borrelia a
été détecté chez 4/37 patients porteurs d’une oligoarthrite
inclassée, et chez aucun des témoins atteints de PR.
Ces auteurs confirment donc que l’ADN de Borrelia peut être
détecté dans l’articulation de patients dont la sérologie est
négative. Dans ces observations, il est cependant impossible
de conclure si Borrelia agit comme un pathogène ou se
comporte comme un “innocent badaud”.
ROòLE DE B. BURGDORFERI DANS LA PR ET LES SPONDYLARTHROPATHIES
Priem et coll. (1667) ont étudié l’influence de B. burgdorferi
chez 40 patients présentant un rhumatisme inflammatoire
défini, se répartissant en 26 PR et 14 spondylarthropathies. Les
investigations ont comporté le recueil des données cliniques
et anamnestiques, des sérologies pour B. burgdorferi (Elisa et
Western-Blot) et des PCR sur le liquide synovial. Dix de ces
patients (cinq PR et cinq spondylarthropathies) avaient une
histoire clinique ou des signes d’infection borrélienne. Seuls
sept de ces patients avaient une sérologie positive. L’ADN
de B. burgdorferi a été détecté dans l’articulation de ces dix
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patients, mais jamais chez les 30 autres, dont la sérologie était
également négative. Chez les dix patients positifs, l’infection
borrélienne a induit une poussée du rhumatisme inflammatoire sous-jacent, qui s’est améliorée sous antibiotique.
DETECTION D’ARNm DE B. BURGDORFERI DANS LE TISSU
SYNOVIAL D’UN MODELE ANIMAL D’ARTHRITE DE LYME
Une infection par B. burgdorferi peut donc survenir chez un
patient présentant un rhumatisme inflammatoire, et
influencer l’évolution de ce rhumatisme. Une antibiothérapie
prolongée pourra alors améliorer la poussée déclenchée par
l’infection. Encore une fois, on constate qu’une sérologie
négative n’élimine pas une infection active, et que l’ADN de
B. burgdorferi peut être détecté dans l’articulation de patients
séronégatifs.
Limbach et coll. (1665) sont parvenus à détecter de l’ARN
messager de B. burgdorferi dans la synoviale d’un modèle
murin d’arthrite de Lyme, entre un et trois mois après l’infection. Compte tenu de la demi-vie très brève (quelques
minutes) de l’ARN messager, ce travail permet de conclure à
la persistance d’éléments bactériens métaboliquement actifs,
donc viables, dans l’articulation d’un modèle animal d’arthrite
de Lyme.
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La Lettre du Rhumatologue - no 248 - janvier 1999
Argument majeur pour la viabilité de l’organisme dans l’articulation
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