Gestion concertée des ressources agropastorales
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Gestion concertée des ressources agropastorales
Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement E. Tielkes, E. Schlecht et P. Hiernaux (Editeurs) © 2001 Verlag Ulrich E. Grauer, Beuren-Stuttgart, Allemagne ISBN Gestion concertée des ressources agropastorales: cas du Sahel Burkinabé Boureima Drabo, Hermann Grell et Augustin Poda Programme Sahel Burkinabé PSB / GTZ, BP 280 Dori, Burkina Faso RESUME La reconnaissance de l’efficacité des pratiques traditionnelles des pasteurs dans la gestion des écosystèmes arides, a relancé le développement pastoral au Sahel. L’évolution de l’approche du projet s'inscrit dans cette nouvelle dynamique. Depuis donc 1995, le projet s’est orienté vers une démarche ouverte de gestion de ressources agropastorales, prenant en compte la mobilité des troupeaux. Dans l'approche développée, l'intérêt est plus porté sur les unités sociales et la négociation de l’accès aux ressources clefs que sur les entités territoriales et le contrôle du terroir. La gestion des conflits, l'édiction de règles consensuelles ainsi que le développement des institutions de gestion des ressources, sont donc considérés comme des préalables aux actions de conservation des sols et d’augmentation des rendements des terres agricoles et pastorales. Sous l’impulsion du projet, une première expérience de gestion des ressources agropastorales a été initiée à partir de 1996 dans trois villages. Elle a été couronnée en 1998 par la reconnaissance administrative des règles élaborées et a fait tâche d’huile. En 2000, neuf codes locaux de gestion des ressources agropastorales ont été adoptés dans 32 villages, dont cinq à un niveau inter villageois. Les règles ont été élaborées à travers la négociation des intérêts entre les parties prenantes. Le rôle du projet s’est limité à la facilitation et à la médiation. Les règles varient selon les ressources concernées et les risques de conflits liés à leur exploitation. Les organes de concertation sont constitués de représentants des différents groupes d'intérêts. La responsabilisation et la recherche préalable de légitimité autour des règles sont considérées comme les gages d'une gestion durable des ressources agropastorales. Mots clefs: Sahel, gestion des ressources agropastorales, ressources clefs, codes locaux, gestion alternative des conflits ABSTRACT The recognition of the effectiveness of the traditional pastoral practices in the management of the arid ecosystems, restarted the pastoral development in the Sahel. The evolution of the project approach has to be viewed under this new dynamism. Since Comptes-rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement“ ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ 1995, the project was directed towards an open process of agropastoral resource management, including herd mobility. In the developed approach, the interest is more related to social structures and the access negotiation to the key resources than towards the territorial entities and its control. The management of the conflicts, issuing consensual rules as well as the development of resource management institutions, are thus regarded as preconditions for the actions of soil conservation and of yield improvement of the arable and pastoral lands. Under the stimulants of the project, a first agropastoral resource management experiment was initiated as from 1996 on, in three villages. It was enthroned in 1998 by the administrative recognition of the elaborated rules and made “tâche d’huile”. In 2000, 9 local agropastoral resource management codes were adopted in 32 villages, including 5 on an inter-village level. The rules were elaborated through a negotiation of the interests between the different parties. The role of the project was limited to facilitation and mediation. The rules vary according to the concerned resources and the risk of conflict related to their exploitation. Representatives of the various groups make up the committees of dialogue. The responsibilisation and the preliminary search for legitimacy of the rules are regarded as the bail for a sustainable agropastoral resource management. Key words: Sahel, agropastoral resource management, key resources, local codes, alternative conflict management LA RELANCE DU DEVELOPPEMENT PASTORAL AU SAHEL Les approches de développement pastoral des projets ont changé considérablement au cours des derniers vingt ans. L’évolution et l’appréciation des différentes approches de développement pastoral furent l’objet de nombreux ateliers et publications depuis 1990. Dans la synthèse des études récentes sur le pastoralisme et la transhumance en Afrique (Niamir-Fuller et Turner 1999), les auteurs étudient brièvement l’évolution des paradigmes de développement. Les approches "classiques" de "ranching" sont parties d’une hypothèse de base voulant que le pastoralisme soit intrinsèquement improductif et écologiquement destructeur et qu’il doive être soumis à une réforme radicale. D’une manière générale, ces programmes ont échoués et au contraire les systèmes traditionnels ont montré leur supériorité au plan économique et écologique (Behnke et Scoones 1992, ODI1 1992, UNSO2 1994, Thébaud et al. 1995, De Haan 1996). L’approche du "Développement rural intégré" apparue vers la fin des années 1970 a toujours été orientée vers la sédentarisation des pasteurs dans des "zones pastorales". Les retombés économiques escomptées ne se sont pas matérialisées. La première génération des projets "Gestion des ressources naturelles" cherchait à responsabiliser les pasteurs à travers des "associations pastorales". Le problème principal était que l’approche "top down" ne permettait pas un arrangement consensuel (Niamir-Fuller et Turner 1999). 1 2 Overseas Development Institute, London United Nations Sudano-Sahelian Office 2 Drabo et al. Gestion concertée des ressources agropastorales : cas du Sahel Burkinabé ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ Pour faire face à ce problème, l’approche "Gestion de Terroirs Villageois" (GTV), apparue dans les années 1980 avait introduit la notion de gestion conjointe des biens communautaires dans une forme plus participative en transférant des responsabilités aux institutions locales. L’approche à l’origine était fortement influencée par l’esprit "aménagiste" et conçue plutôt pour des terroirs agricoles finis. L’attention était placée au départ sur l'applicabilité de la démarche dans des conditions voulues idéales. Les critères ayant prévalus au moment du choix des villages ont occulté certaines complexités sur le plan social. Souvent, les projets se mettaient de ce fait dans une position favorable à leur "instrumentalisation" par les populations sédentaires (Banzhaf et al. 2000). Capitalisant les acquis de la gestion des terroirs et des projets de développement rural intégré, une nouvelle stratégie de développement est en train de prendre une place importante dans la coopération en milieu rural, il s’agit du développement local. Ce dernier a remédié à certaines faiblesses des approches précédentes car, d’une part, il porte sur l’implication des populations au stade de la pleine responsabilisation et, d’autre part, opère une plus large ouverture dans la prise en compte des attentes et des préoccupations des populations. Mais comment traduire tout cela en action tout en intégrant les intérêts des pasteurs et notamment les deux piliers du nouveau paradigme dans le développement : la mobilité des troupeaux et le principe de réciprocité dans l’accès au ressources pastorales? Basées sur une nouvelle compréhension du développement pastoral (Behnke et al. 1993, Scoones 1995), les conditions favorables et les nouvelles stratégies du développement pastoral furent l'objet (1) d’une série de consultations techniques, organisées par l’UNSO entre 1993 et 1998, (2) d’une étude internationale sur l’interaction élevage – environnement entre 1993 et 1997 présidée par la Banque Mondiale et (3) de plusieurs ateliers régionaux en Afrique de l’Ouest de 1994 à 1997 organisés par le PRASET3 et le CILSS4 (Grell et Kirk 2000). L’intégration de la dimension ‘pastorale’ au niveau des approches des projets est facilitée par des travaux sur la méthodologie comme celle portant sur la "planification avec des pasteurs" (Waters-Bayer et Bayer 1995) ou sur l’élaboration d’un module de formation sur la Gestion Alternative des Conflits (ARED 1999). Au niveau opérationnel, les projets de développement œuvrant en milieu agropastoral au Sahel gagneraient à orienter d’avantage leurs approches sur: • les unités sociales plutôt que les entités territoriales ; • la négociation de l’accès aux ressources clefs au lieu des questions de contrôle du terroir ; • la sécurisation des intérêts multiples et non la question de propriété individuelle ; • l’appui à la gestion alternative des conflits ; • la facilitation des processus d’apprentissage en matière de gestion de ressources naturelles ; • les questions institutionnelles avant les problèmes techniques. 3 4 Projet Régional d’Appui au Secteur de l’Elevage Transhumant Comité Permanent Inter États de Lutte Contre la Sécheresse dans le Sahel Comptes-rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement“ ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ Des expériences de gestion de ressources naturelles dans un milieu agropastoral au Sahel Burkinabé s’inspirant de ces orientations sont présentées ci-dessous. ACTION COLLECTIVE DANS UN CONTEXTE DIFFICILE L’action collective dans la gestion des ressources pastorales est complexe. La figure 1 illustre cette complexité selon l’échelle temporelle et spatiale. dispositif institutionnel Degre de securité foncière faible élevé zonage Zone de repli axe de transhumance mobilité gestion des bassins versants élevé piste à bétail gestion des points d'eau parc de gestion des pâturages vaccination intervillageois Foresterie communautaire Niveau d'action collectiv régénération/gestion des pâturages/forêts villageois cultures fourragères puit artisanal semences améliorées fertilité des sols Court terme Echelle temporelle agroforesterie faible Long terme Figure 1 : Droits d’accès, action collective et gestion durable des ressources agropastorales. (Modifié d' après Knox et Meinzen-Dick 1999). Cette illustration, loin de donner des indications précises, montre la relation entre la technologie et le dispositif institutionnel. Au niveau d’une parcelle les bénéfices des technologies comme les semences améliorées ou cultures fourragères se matérialisent dans une courte échelle de temps, à un niveau d’action collective et un degré de sécurité foncière, faibles. La situation est bien différente quand il s’agit de la gestion des pâturages inter villageois ou des points d’eau. Elle devient encore plus complexe dans la prise en compte de la mobilité des troupeaux. Le dispositif institutionnel à rechercher pour la promotion du pastoralisme demande un niveau d’action collective très élevé pour assurer un degré de sécurité foncière aussi élevé. Dans le cas du Sahel Burkinabé la situation de départ est marquée par une grande hétérogénéité des groupes concernés et un héritage historique assez conflictuel (Banzhaf et al. 2000). L’occupation du Sahel Burkinabé a connu l’arrivée de différents peuples : des agropasteurs Foulce, Songhai et Gourmantché au 16ème siècle, les pasteurs Peul en plusieurs stades au 18ème siècle, les Touareg au 19ème siècle et les agriculteurs Mossi au 20ème siècle. Aujourd’hui, chaque partie ressent de plus en plus le besoin de définir un ancrage agropastoral sécurisé et en même temps veut faire bénéficier ses animaux de la mobilité nécessaire à l’occasion des transhumances (Marty 1996). Éleveurs, 4 Drabo et al. Gestion concertée des ressources agropastorales : cas du Sahel Burkinabé ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ agropasteurs, agriculteurs, anciens maîtres et anciens groupes de captifs sont dans une compétition permanente autour des mêmes ressources naturelles. Ce qui entraîne le plus souvent à la faveur du déséquilibre dans les rapports de force sur le terrain, une diminution des superficies pâturables et la marginalisation de l’activité pastorale. Dans ce contexte de crise, les systèmes traditionnels de l’exploitation de l’espace, qui reposent sur la mobilité, le contrôle de l'accès aux ressources, le contrôle social et le capital de savoir-faire des pasteurs, sont en constante déstabilisation. La dégradation des ressources naturelles, aiguisée par les circonstances économiques et institutionnelles, occasionne des conflits d’intérêt souvent sanglants etdes tensions sociales. Les sources de cette désorganisation datent de 1885. (Banzhaf et al. 1998) Le cantonnement par le colon des différents groupes dans des zones de pâturage obligatoire ne tenait pas compte de la disparité spatio-temporelle des ressources et la complémentarité des espaces.. Vu l’impossibilité de contrôle direct, pouvoir fut donné à la chefferie traditionnelle (chef de canton) pour des formes traditionnelles de gestion de ressources naturelles. La période révolutionnaire, 1983–1987 était marquée par la Réorganisation Agraire et Foncière (RAF) donnant la propriété des terres à l’Etat et l’abolition de la chefferie traditionnelle. Avec l’installation des comités de défense de la révolution, la gestion locale des ressources naturelles a été confrontée à la superposition entre droits moderne et traditionnel et notamment un "règlement de compte" entre groupes opposants. La période de "rectification" ou de transition de 1988–1991 a connu l’arrivée de l’approche GTV, l’installation du Responsable Administratif Villageois (RAV) et une réhabilitation de la chefferie traditionnelle. La gestion des ressources naturelles n’était plus une préoccupation à l’ordre du jour, les structures traditionnelles autour de la chefferie ont été affaiblies. Ceci a renforce l’ anarchie dans l'utilisation des ressources naturelles. Ainsi, les processus de réforme qui ont successivement vu le jour pendant cette période (y compris la Réorganisation Agraire Foncière) n’ont pas eu d’impacts positifs notables jusqu’à présent, au niveau rural. Toutefois, une réponse aux problèmes de non-reconnaissance des structures villageoises de gestion foncière pourrait se trouver dans le processus récent de décentralisation rurale, entamé au Burkina Faso depuis 1998, en particulier pour remédier à l’absence de personnalité juridique5. Malheureusement, les différents niveaux de collectivités territoriales ne descendent pas jusqu’à l’échelle village. Une articulation adéquate entre la RAF et la décentralisation reste toujours à trouver. UNE APPROCHE D’APPRENTISSAGE Le Programme Sahel Burkinabé (PSB) est un programme de lutte contre la désertification qui œuvre pour le développement de la région du Sahel Burkinabé6. Il est issu de la politique nationale élaborée en 1986 à partir de l’analyse des interventions antérieures relatives à la gestion des ressources naturelles et de la stratégie régionale du CILSS, qui repose sur "l’approche globale". Il est financé par plusieurs bailleurs de fonds dont la République Fédérale d’Allemagne à travers la Coopération Technique 5 Loi d’orientation sur la décentralisation. Provinces du Séno, Yaaga, Soum et Oudalan avec une superficie totale de 36.829 km2 soit 13, 4 % du territoire national, et une population de 662.129 habitants. 6 Comptes-rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement“ ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ (GTZ)7. Le PSB/GTZ s’appuie sur la démarche ‘gestion des terroirs’. Cette démarche, initialement focalisée sur l’élaboration des plans d’aménagement et de gestion (PAGT), a évolué au rythme des expériences notamment celle de Kishi Beiga8. Elle s’appuyait de 1989 à 1994 sur une méthodologie basée sur la photolecture9 et la détermination de la vocation des sols, ainsi que la planification à long terme de mesures d’aménagement. Vu les insuffisances de l'intervention initiale (1991 - 1994), le projet a revu son approche et ses principes d'intervention. La nouvelle stratégie consistait à favoriser une approche davantage orientée sur les entités sociales. La démarche Gestion des Terroirs, voulue plus ouverte pour favoriser l’apprentissage, a été orientée vers les questions liées à l’accès aux ressources clefs et à leur utilisation. Le rôle du projet se limitait à faciliter les débats autour de la concertation, au moyen d'outils participatifs et à travers un processus interactif et itératif de communication avec l’ensemble des groupes et quartiers, sans privilégier les uns ou les autres. Restant ferme sur ces règles du jeu et en mettant l’accent sur la médiation des conflits, le projet a pu constater l’intégration successive de tous les groupes dans le processus. Il s’agissait d’asseoir une plate-forme permettant d’établir un certain équilibre entre toutes les forces et sensibilités présentes, et d’assurer la transparence du projet afin d’éviter qu’il soit utilisé par un groupe au détriment d’un autre. La prise en compte de la mobilité dans l’approche Gestion des Terroirs à partir de 1995 (Banzhaf et Drabo 1996) a donc permis de mieux tenir compte des réalités du terrain et d’orienter beaucoup plus l’appui du projet vers une démarche flexible et dynamique, visant l’établissement d’un réel partenariat avec les populations. En tirant leçons de ces expériences, l’approche du projet s’oriente aujourd’hui en termes de principe sur : • la clarification des rôles des acteurs dans l’établissement du partenariat ; • la valorisation de savoir et savoir faire locaux ; • la prise en compte des différents intérêts des utilisateurs des ressources naturelles ; • la recherche de consensus à travers la concertation et la négociation continue. Le processus d'apprentissage est basé sur le concept de recherche/action, où se succèdent réflexion et action suivant un rythme voulu et maîtrisé par les populations. Il repose sur : • l’apprentissage dans l'action (cet apprentissage est réciproque) ; • une démarche ouverte (sans étapes ou solutions prédéfinies) ; • le choix d'une porte d'entrée (p. ex. un conflit autour d’une ressource clef) ; • le suivi des processus entamés (selon des critères élaborés d’accord commun) ; Les principaux pas dans le processus vers une gestion collective des ressources naturelles (GRN) sont présentés dans le tableau 1. 7 Gesellschaft für technische Zusammenarbeit. Kishi Beiga, zone à vocation pastorale, situé à l’extrême Nord du Sahel Burkinabé, où à partir de 1995 la nouvelle démarche ouverte du projet fut développé. L’étude de cas de Kishi Beiga était présenté au “International Workshop on Community-Based Natural Resource Management”, Washington, D.C., May 10–14, (Banzhaf et al. 1998) et publié avec l’IIED (Banzhaf et al. 2000). Une capitalisation de l’expérience à travers des interviews a pu être réalisé avec JADE (PSB/GTZ 1999). 9 Lecture par les paysans des photographies aériennes agrandies. Ceci leur permet d’établir des cartes de leurs zones ou des ressources naturelles. 8 6 Drabo et al. Gestion concertée des ressources agropastorales : cas du Sahel Burkinabé ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ Tableau 1. Principaux pas dans le processus d’une gestion collective des ressources naturelles Pas importants Sous-pas et contenu Mise en confiance lancement d'un partenariat effectif Réflexion sur des questions clefs, les intérêts en jeu, principes de base dans le cadre du partenariat. Réflexion, analyses des contraintes et forces de la zone Diagnostic de l’état et des modes de gestion des ressources clefs, négociation des intérêts, esquisse de solutions. Mandat et responsabilités représentativité et composition de l'organisation, fonctionnement. Emergence de la structure locale pour la GRN Elaboration d'un règlement Objectifs et indicateurs intérieur en matière de GRN d'impacts ; Propositions de règles à partir de la base ; Harmonisation au niveau des organes de coordination ; Accord entre producteurs, partenaires techniques et l'administration Adoption/reconnaissance administrative. Mise en œuvre, suivi, Modes d'organisation pour évaluation et réajustement le contrôle ; Dispositifs de suivi des effets des règles ; Reconnaissance juridique de la structure et des règles. Appui apporté par le projet Susciter le dialogue entre tous les acteurs (groupes d’intérêts) ; Faciliter la tenue de réunions ; Appuyer la médiation. Faciliter la réflexion ; Apport technique Appui méthodologique Informations diverses. Informer sur les textes en matière d'organisation au Burkina ; Susciter la réflexion sur les conditions / critères de viabilité d'une organisation. Appui à l'adoption d'une démarche ; Large information sur les textes législatifs existants ; Facilitation des échanges ; Consultant juriste ; Appui à la traduction et rédaction des documents ; Mise en relation entre producteurs et les masses médias. Appui à la mise en place du dispositif de suivi et à la structuration de l’organe de suivi ; Appui et suivi technique des effets. UNE EXPERIENCE QUI FAIT TACHE D’HUILE « Si nous œuvrons dans la voie de la vérité notre cadre de concertation ira de l’avant et beaucoup voudront imiter notre exemple » dixit Alidou Issa, le Responsable Administratif de Beiga et Vice-Président du cadre de concertation (PSB/GTZ 1999 p.22). Et l’exemple de Kishi Beiga a fait tâche d’huile. D’abord dans les villages voisins et ensuite dans d’autres à travers des visites inter-producteurs organisées par le projet. Comptes-rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement“ ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ Tout semble être parti de la réfondation institutionnelle. A l'issue de l'établissement du mode de partenariat, la population de Kishi Beiga a mis en place un cadre de concertation regroupant tous les différents groupes. Vu l'étendue de la zone, quatre pôles de concertation décentralisés ont été mis en place. Un pôle regroupe des villages et hameaux géographiquement proches. Ils sont considérés comme des relais du cadre de concertation, dont la proximité vis-à-vis de la base assure l’efficacité des actions et réduit le circuit de communication (figure 2). Le cadre comprend les représentants d'agro-pasteurs et de pasteurs, des femmes et des jeunes. Chaque quartier, groupe social ou sensibilité y est représenté. Les éleveurs non-résidents sont représentés par leurs hôtes, à savoir des pasteurs qui appartiennent au cadre de concertation. Figure 2. Configuration d’un cadre de concertation de gestion de ressources naturelles, exemple de Kishi Beiga P ô le d e B e ig a T am achek P ô le d e B e ig a C e n tre : V illa g e s : W o u ro ra jo u n , W o u ro m a h a , A b a d a b a , K is s i, K o m é , T in a g a b è s , F é to Y obi V ila g e s : M a c ila n k o o b é s e n o , G u ru n g a b é , S ilu b e s e n o , S ilu b e k o lla n g a l, W o u ro jo u ld é C o n s e il c o n s u lt a t if 2 4 m e m b re s , d o n t 1 p a r h a m e a u x (1 9 ), 1 p a s te u r, 2 f e m m e s , 2 je u n e s B u re a u P ô le d e W u n a ré V illa g e s : W u n a ré d é b é ré , W u ro A s m a n a , M a c ila n k o b é k o lla n g a l, In e e s u m 1 2 m e m b re s , ré p ré s e n ta n t d e s 4 p ô le s d o n t 1 f e m m e , 1 je u n e , 1 p a s te u r P ô le d e P e t o y B e ig a V illa g e s : W u lu n d e e w o P e to y B e ig a ,G o lo m b é Référence : Banzhaf et al. 2000 Deux ans après l’adoption du règlement intérieur à Kishi Beiga, cette approche est appliquée dans 46 villages administratifs dans les provinces de l’Oudalan et Seno. Nous observons l'emergence des organes de concertation soit au niveau village ou intervillage dans toutes les zones. Quant à l’adoption de dispositif de règles de gestion, 12 villages dans deux zones ont déjà procédé à la signature de conventions locales avec les préfets ; et 20 autres sont à l’étape d’adoption et de finalisation de leurs conventions Dans 32 villages donc, le processus de gestion locale des ressources partagées est au stade d’adoption de règles consensuelles. Il est important de rappeler que la première proposition des règles vient des différents groupes de producteurs à la base. Ces propositions font l’objet d’un amendement ulérieur par les techniciens. Le rôle du projet est de faciliter ces processus. Le tableau 2 montre les ressources clefs concernées, le nombre de villages engagés dans la négociation des intérêts autour des ressources. On peut noter, que la nécessité de "s’arranger" varie bien entre les différentes communautés locales. Les codes locaux élaborés par les 32 villages au niveau villageois ou inter-villageois contiennent rarement 8 Drabo et al. Gestion concertée des ressources agropastorales : cas du Sahel Burkinabé ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ plus de 10 règles. Ces règles sont des ‘règles du travail’ (Ostrom 1990, cité par Cousins 2000) et elles correspondent aux intérêts en jeu. La règle consensuelle répond généralement à la nécessité de prévention de conflit. Dans presque tous les villages il y a des règles qui touchent le conflit le plus fréquent, celui entre agriculteurs et éleveurs (Bary 1996, Ouedraogo 1996). La détermination des périodes de début et de fin de la garde obligatoire des animaux, l’interdiction d'occuper les berges et les couloirs de passage menant aux mares et autres points d’eau, l’obligation de respecter les limites des pistes à bétail et des couloirs de transhumances permettent de prévenir ce type de conflit. Dans une bonne partie des cas il était aussi nécessaire de rappeler le respect du zonage, l´obligation faite aux transhumants de signaler leur arrivée avant toute installation, ou de ne pas rester aux abords des mares, autres points d’eau et cures salées. Avec l’interdiction de la fauche de l’herbe, notamment le fonio sauvage10 (Panicum laetum) à des fins commerciales, les communautés rurales cherchent à se protéger contre une exploitation prédatrice par certains fournisseurs des marchés urbains. Autre fait intéressant à noter est l’importance accordée à l’interdiction de la coupe abusive des arbres et au rappel des normes d’exploitation des ligneux. Il faut savoir, que les amendes imposées représentent chez le forestier un revenu important, mais du côté des producteurs une dépense à éviter. D’une manière générale les règles élaborées cherchent à stimuler un comportement visant à prévenir toute situation litigieuse. 10 la récolte des graines est important dans certaines zones comme substitut céréalier dans la période de pénurie avant la récolte du mil. Comptes-rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement“ ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ Tableau 2. Règles de gestion dans 32 villages appuyés par le projet Ressources clefs Villages Consensus adopté (nombre) Zones pastorales et agricoles 22 Détermination des espaces affectés au pâturage et aux cultures (zonage) Aires de pâture 16 Droit de faire paître des animaux sur les espaces de pâturages reconnus comme tels 10 Interdiction de l'exploitation d'es aires de pâtures à des fins agricoles 23 Accès interdit aux animaux atteints de maladie contagieuse 18 Signalisation auprès des cadres de concertation avant toute installation 18 Interdiction de la fauche de l'herbe (Panicum laetum) à des fins commerciales 8 Déguerpissement des zones agricoles en saison pluvieuse 30 Détermination des périodes de début et fin de la garde obligatoire des animaux 2 Institution de zones de réserves agricoles Pâturages postculturaux 4 Exploitation sur autorisation expresse du cadre de concertation 4 Installation soumise à l’autorisation du propriétaire du champ Mares et autres points d'eau 20 Interdiction d'y rester avant et après abreuvement 30 Interdiction d'occuper les berges et les couloirs de passage 8 Exploitation concertée des abords soumise à l'approbation des cadres de concertation 1 Interdiction de toute action de nature à souiller l’eau de la mare Piste à bétail/ couloirs de passage 30 Obligation de respect des limites 1 Matérialisation obligatoire des limites Pâturage aérien, arbres (ligneux) 30 Interdiction de la coupe abusive et exploitation des ligneux selon les normes 2 Interdiction d'accès à certaines espèces ligneuses en voie de disparition 4 Interdiction des feux de brousse 5 Mise en défens partiel ou accès subordonné à l’autorisation préalable Cures salées 12 Interdiction d'y rester après exploitation ou s’installer sur et en bordure Faune et chasse 9 Obligation d’avoir une autorisation préalable Zones agricoles 10 Drabo et al. Gestion concertée des ressources agropastorales : cas du Sahel Burkinabé ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ BENEFICES ET LIMITES La durée de suivi du respect des règles adoptées ne permet pas de tirer des leçons généralisables. Mais il y a quand même des indications permettant d’évaluer les effets et bénéfices liés probablement à l’adoption de cette démarche par les populations. Nous constatons : • une forte cohésion entre communautés autour de la gestion des ressources partagées ; • plus de transparence dans le traitement des questions foncières dans les villages, liée à l’élargissement du cadre décisionnel ; • une utilisation de plus en plus concertée et équitable des ressources naturelles ; • une prise de conscience par rapport à l'urgence et à la nécessité d'une gestion rationnelle des ressources naturelles, notamment un changement positif d'attitude des populations concernant : - le gardiennage des animaux ; - le respect des couloirs de passage ; - le respect du zonage ; - l'exploitation des ligneux ; - l'exploitation des repousses ; - l'exploitation des mares, autres points d’eau, cures salées ; - les défriches. • une baisse notable des conflits liés aux dégâts des champs Ces conflits fréquents sont de plus en plus gérés à l’amiable au niveau local. Cela se traduit par une baisse de 47% des conflits traités par l’administration dans la 1ère année après l’adoption des codes et une baisse de 75% dans 11 villages dans la 2ème année. Egalement dans 8 villages une baisse des dépenses liées aux conflits a été observée. Il est difficile d’obtenir des chiffres fiables sur les dépenses liées aux conflits qui, d’habitude ne sont pas déclarées publiquement. Mais ces dépenses constituent une véritable menace, comme disait Razoum Tapsirou, Président du cadre de concertation de Kishi-Beiga : « Chacun cherche à avoir raison. Cela nous ruine financièrement, pourrit le climat social » et il cite aussi la cause de ce comportement « Certaines personnes fortunées cherchent surtout à créer des problèmes. Elles veulent faire valoir leur position économique, par fierté » (PSB/GTZ 1999, p. 15). Et ce sont les questions d’honneur et de principe qui font l’objet d’une exploitation financière par des "intermédiaires", les marges d’interprétation sont toutefois très grandes (Lund 1998). La réduction de ces risques financiers par des règles consensuelles permettant un règlement à l’amiable des conflits est probablement un facteur fort d’adhésion au dispositif institutionnel local. Ce sont ces bénéfices immédiatement réalisables qui amènent au respect des règles (Ostrom et al. 1999). Cependant des risques et contraintes demeurent. L'influence de certains dignitaires sur la gestion des ressources foncières dans les villages et l’absence de pouvoir coercitif risquent de compromettre le consensus obtenu. La non-reconnaissance juridique des organes et des règles de gestion des ressources naturelles, constitue également un risque mais seules des décisions négociées entre les parties concernées sont en mesure de sécuriser les droits et les usages (Marty 1996). Comptes-rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement“ ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ Avec le décret inter-ministériel de mars 2000, portant création des institutions locales de gestion de terroir au Burkina Faso, le processus de légalisation est en cours pour sortir du divorce entre légalité et légitimité (Lavigne-Delville 1998). Enfin, il ne faut pas considérer les dispositifs établis jusqu’à maintenant comme une panacée, la gestion durable des ressources naturelles exige des organisations durablement changeantes et évolutives (De Leener 2000). LEÇONS TIREES ET PERSPECTIVES Cette expérience ‘tâche d’huile’ a confirmé l’importance d’une bonne porte d'entrée au processus d’apprentissage. L'intérêt porte généralement sur deux besoins élémentaires tels que : • la sécurisation de l'accès aux ressources clefs ; • le maintien de la paix sociale. Une situation conflictuelle autour d’une ressource clef est plutôt une chance qu’une contrainte. Le conflit est un moyen de communication parmi d’autres et la négociation à laquelle il donne lieu constitue d’ailleurs un facteur indispensable de changement (Chauveau 1998, Thébaud 1999). Mais la volonté de changer doit exister, comme disait Mahan Ag Akli, secrétaire adjoint du cadre de Beiga « les esprits étaient préparés à la coexistence » (PSB/GTZ 1999, p. 24). Pour les projets il s’agit de faciliter une situation dans laquelle les parties prenantes peuvent tirer les leçons qui s’imposent (De Leener 1999 cité dans GTZ 2000). L’expérience a également confirmé la démarche ouverte basée sur: • la prise en compte effective des réalités historiques sociales et culturelles ; • l'interaction active et transparente entre acteurs (population, services techniques, projet, autorités administratifs et coutumiers etc.) ; • la définition progressive des pas. Finalement deux paramètres sont à considérer : • La représentativité : les membres des cadres de concertation représentent les intérêts de leurs groupes respectifs. Les intérêts de tous les utilisateurs sont considérés dans la recherche de l'équilibre entre les forces en présence . En réalité, pour le choix des représentants, il y a des critères ouvertement ‘déclarés’ et des critères ‘souterrains’ (De Leener 1999). Dans l’ensemble ils doivent être équilibrés pour assurer le bon fonctionnement d’un cadre de concertation. • La légitimité : les différentes solutions trouvées correspondent aux besoins spécifiques des groupes concernés. Dans le cas des règles, elles s’imposent d’elles-mêmes du fait que la population les considère naturellement normales11. L’apprentissage vécu, la légitimité des solutions élaborées par les premiers intéressés, la représentativité des membres des bureaux élus pour défendre les intérêts de leurs groupes et l’expérience positive partagée ensuite dans la mise en œuvre des codes de conduite locaux ont favorisé la reconstitution et le renforcement d’un capital social important où tous les adhérents sont des bénéficiaires. 11 « Ce qu’on appelle la ‘légitimité’ pour les juristes, signifie l’existance d’une règle qui s’impose d’elle-même du fait que la population considère que cette règle et naturellement normale. » Hubert Ouédraogo dans l’interview (PSB/GTZ 1999) 12 Drabo et al. Gestion concertée des ressources agropastorales : cas du Sahel Burkinabé ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ C’est cette reconstitution du capital social à travers des démarches GRN qui attire une attention croissante, car étant la force motrice d’une discipline collective et du respect des décisions communautaires (Niamir-Fuller et Turner 1999, Knox et Meinzen-Dick 1999, Ostrom 1999). L’échelle temporelle et spatiale de la gestion des ressources pastorales au Sahel nécessite une approche participative, permettant d’atteindre un niveau d’action collective élevé pour une sécurisation des droits d’accès de tous les utilisateurs. En plus, le processus de constitution d’un capital social prépare les populations à l’exercice du pouvoir dans le cadre : • de la décentralisation et du développement local en milieu rural ; • de la mise en œuvre des Plans d’Action Nationaux de lutte contre la désertification. REFERENCES ARED. 1999. Recherche et maintien de la paix : (1) Stratégies pour une gestion alternative des conflits; (2) Techniques de médiation. Associates in Research and Education for Development (ARED). ARED/GTZ, Dakar/Sénégal. Banzhaf, M. et B. Drabo. 1996. Mobilité et gestion de terroir - cas du Programme Sahel Burkinabé. In : Schmoldt, R. (ed.). Vieh und Fisch. Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit, Eschborn/Germany. pp 135 - 147. Banzhaf, M., B. Drabo, et H. Grell. 1998. Vers une plate-forme de développement: Rapprochement des pasteurs et agropasteurs dans la zone de Kishi-Beiga. 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