Henri Guillemin Les voleurs de révolution Nouvel Obs 1968
Transcription
Henri Guillemin Les voleurs de révolution Nouvel Obs 1968
Document Photos H. Roger-Viollet •ADOLPHE THIERS Une formidable et salutaire saignée par Henri Guillemin Historien non conformiste, spécialiste des révolutions du XIXe siècle, Henri Guillemin a montré, dans ses livrés, comment les thermidoriens trahirent les espoirs de 1789 et de 1792, comment les classes 15ossédantes confisquèrent le mouvement des insurgés de 1830 et de 1848, comment les dirigeants de 70-71 se pré.occupèrent davantage de mater . la rébellion que de poursuivre la guerre. Dans l'analyse que • nous publions cette semaine, Flenri Guillemin résume un siècle d'histoire de France comme on &à pas l'habitude de la voir écrite. A yetis d'en prolonger la lecture, les yeux -ouverts, avec les souvenirs vécus de ces dernières semaines. Ce qui se joue, en ce moment même, dans notre pays, pas moyen d'en comp r endre la signification réelle, la vérité profonde, si l'on oublie, si l'on ne sait pas, si l'on sait mal l'histoire. Et, pour la plupart, nous la savons rial. En tout cas, les gens de ma génération, qui ont fait leurs classes sous la HP République : on nous a soigneusement façonnés à ne pas comprendre, à ne pas savoir. Les écoliers sont de futurs électeurs et il importe de les « mettre en condition » de bonne heure, le plus vite possible. Il y a plus d'un siècle que Victor Hugo, dans son « William Shakespeare », dénonçait « l'histoire des historiographes », l'histoire bienséante, l'histoire de bonne compagnie. 'C'est exactement celle-là même qii'on nous a fourrée dans la tête. Et c'est toujours celle-là que s'emploient à répandre les prétendues « revues d'histoire pour grand public », qui pullulent à bon escient. - Et lorsque j'entends, sur certaines lèvres de « fédérés » (ce mot-là me fait toujours_ mal, appliqué aujourd'hui comme il l'est, quand; je songe à ceux qu'il désignait, en 1871), tels . propos sur « 89 », je constate qu'en effet « l'histoire des historiogra- phes » n'est pas morte, sévit toujours. Allons, pour de bon, qu'est-ce qui s'est passé, en 1789 ? Et qu'est-ce que ce fut, pour de bon, Thermidor, Brumaire, 1830, 1848 et la suite ? Les cc mangeurs » et les cc mangés » En 1789, on assiste à quoi ? A une bagarre de nantis, à une rixe de possédants. Au cours du )(vin' siècle, une nouvelle classe est apparue, en France,: la bourgeoisie d'affaires, avec le développement, qui s'inau- gure, du grand commerce, de l'industrie; de la banque. C'est la roture nantie, la richesse mobilière, laquelle se dresse avide, face à la richesse immobilière représentée par la noblesse. Et elle a ses théoriciens, Barnave, par exemple, de la clientèfe Périer. Barnave proclame qu' « une nouvelle distribution de la richesse appelle (autrement dit : exige) unr nouvelle distribution du pouvoir », ce qui signifie que cette grande bourgeoisie possédante ne tolère plus que l'Etat et ses i leviers de commande » soient entre les mains des autres riches, ,les détenteurs du sol, les nobles. Bousculade. Les nouveaux ricfiés exigent d'être associés (pour le moins) à la gestion des affaires nationales. Au vrai, ils veulent se substituer aux Le Nouvel Observateur Page 3 * Toutes les révolutionJ en France, ont été contrôlées, par ceux qui pensaient, comme Voltaire, qu'un pays bien organisé est celui où «le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri pai; lin et le gouverne. » bénéficiaires établis. Et Sieyès et Mirabeau, qui sont leurs hommes, mènent un train d'enfer, poussent des clameurs, s'intitulant eux-mêmes « la nation e. Le Tiers-Etat, paraît-il, c'est eux. Aux Etats généraux, le Tiers, ce sont les notables. Et ils crient qu'ils sont « la France ». La France ? Elle compte, alors, quelque vingt-cinq millions d'habitants, et ce que constatera un homme tranquille, un homme de bien, mais trop bavard, en 1822, M. de Beauséjour, était aussi vrai en 1789 •que trente ans plus tard : il y a les « mangeurs » et il y a les « mangés ». D'un côté, cinq cent mille mangeurs, les possédants ; de l'autre, 25 millions (en 1789; ils seront 30 en 1822) de mangés. Les constituants du Tiers sont, à 95 %, des « voltairiens », je veux dire des gens qui souscrivent, consciemment ou non, à la formule explicite et trop peu connue de Voltaire sur l'ordre politique et social : un pays bien organisé est celui où « le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne ». La cc résignation du grand nombre » La roture dorée a gagné la partie en 1789. Elle a imposé au- roi son gestionnaire de confiance, le banquier Necker, et elle a abrité son opération sous un vocabulaire approPrié (de l'importance extrême, en politique, du vocabulaire ; choisir les mots de telle sorte qu'ils recouvrent, en fait, le contraire de ce qu'ils expriment ; un Benjamin Constant sera champion dans cette technique). Déclaration des Droits de l'Homme : « Tous les hom- mes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » En vertu de quoi les constituants 'refusent le droit de vote aux citoyens baptisés par eux e passifs » ( une trouvaille de Sieyès, les « passifs » étant précisément les travailleurs)'; et voilà pour l'égalité. En vertu de quoi également la Constituante (où veille le lobby colonial, avec Barnave) maintient l'esclavage dans les possessions françaises d'outre-mer et interdit — c'est la loi Le Chapelier de 1791 — aux ouvriers toute e coalition » pour la défense de leurs salaires ; et voilà pour la liberté. Ce dont il faut, par conséquent, bien prendre conscience, c'est de cette réalité historique : le Tiers (la frange suprême du Tiers, l'élite — ou la lie, comme on voudra) et la noblesse, en 1789, s'empoignent, et le Tiers est finalement le plus fort. Mais toute l'affaire se déroule entre gens de bien(s) et sur le dos de ce que Victor Hugo appellera « la cariatide », c'est-à-dire les Français, le peuple français, les 25 millions de mangés dont la mission reste la même : travailler pour ceux qui les « gouvernent » et qu'ils « nourrissent ». , Avec la Commune insurrecfformelle de Paris, en août 1792, les choses changent ; avec Robespierre, surtout, ce « monstre », comme écrit la fille Necker, dite Mme " de Staël, ce « monstre acharné à la destruction de la société ». Grâce à lui, écrirat-elle dans ses « Considérations », la Révolution si digne, si raisonnable, Page 4 10 juillet 1968 si bénéfique jusqu'en 1791, la Révolution « changea d'objet » et « les gens de la classe ouvrière » s'imaginèrent (c'est insensé ! c'est inouï 0 que « le joug de la disparité des fortunes allait cesser de peser sur eux ». Alors que, rappelle cette dame éclairée, « le secret de l'ordre social est dans la résignation du grand nombre ». (On reconnaît le style Voltaire.) Suffrage universel : le monde renversé; la garde nationale ouverte aux gens de rien : autant dire la fin de tout. Car si la roture dorée, en juillet 1789, parce qu'on lui avait renvoyé son Necker, s'était risquée — au grand effroi de Mirabeau — à armer provisoirement les prolétaires pour qu'ils contraignent la Cour à rappeler leur homme (et les banquiers suisses,. Perregaux et Delessert, l'agent de change Boscary s'étaient distingués,' incandescents, « patriotes » en diable, crépitants, pour expédier la plèbe à l'assaut de la Bastille), dès le soir du 14 juillet le désarmement avait commencé à l'amiable. On rachetait, pour quarante sous, aux prolétaires, ces fusils qu'on leur avait remis gratis pendant que se constituait, sous l'égide dn marquis _de La Fayette, cette milice bourgeoise supplétive, dite « garde nationale », pour l'encadrement et la surveillance des pauvres. N'entrait dans la garde nationale que qui pouvait payer son uniforme, soit quatre-vingts livres,., soit plus de 300 F d'aujourd'hui ; l'ouvrier parisien, les jours où il travaillait, gagnait environ 20 sols. La « pureté » de la milice était donc strictement garantie, et l'on avait assisté , le 14 juillet 1790, sous le trompe-l'oeil du mot « fédération e, au congrès national de la bourgeoisie en armes. Le 17 juillet 1791, ladite garde nationale avait, du reste, donné aux « passifs », à la mitraille, la leçon devenue nécessaire, ces gens-là s'étant mêlés, après la fuite de Varennes et la comédie de « enlèvement » combinée entre Barnave et La Fayette, de réclamer la déchéance du roi. De quoi se mêlaient ces infimes ? On les avait ramenés à la raison. Quelques milliers de tyrans S'ouvre donc, en août 1792, une espèce de parenthèse odieuse. C'est « l'espoir de 89 » qui est dévié, trahi. Abominable scandale. A la place de Voltaire, que l'on a mis, comme il convenait, au Panthéon, apparaît l'ombre de ce fou, de ce malfaiteur de Rousseau ; et son disciple, Robespierre, veut éclipser le cher Mirabeau, hélas ! disparu. Par bonheur, les notables sont toujours là. Ils occupent la Convention comme ils ont peuplé la Législative et la Constituante; ils ont leur groupe de choc, les Girondins, « oligarchie de grands bourgeois arrogants et beaux parleurs » (Jaurès), qui veulent, dira Lamartine, remplacer « la domination - . - du roi par la domination de la richesse », de sorte que le peuple « au lieu d'avoir un seul tyran, en aura quelques milliers ». Grandeur des Ver- que les constituants ont inscrit dans leur Déclaration des Droits de l'Homme : que la propriété est «- sacrée », et il nie que des hommes, des Noirs par exemple, puissent être la « propriété sacrée » des négriers; Face à ceux qui demandent une intervention de l'Etat pour interdire la hausse des denrées de première né-4 cessité, et du pain avant tout, Roland_ déclare que la « liberté » est un dogme, et qu'en matière commerciale, tout ce que la Convention peut et doit faire, c'est d'affirmer solennellement qu'elle ne saurait intervenir. A la « Fête des Lois », organisée par les girondins, les écussons républicains ne portent plus la devise : « Liberté, Egalité, Fraternité » ; le dernier terme est modifié : « Liberté, Egalité, Propriété ». Il va falloir près de deux ans gniaud, des Roland, des Brissot et (10 avril 1792-27 juillet 1794), en de leur allié, le marquis de Condor-' dépit des généreux efforts de Dancet, « l'ami de d'Alembert », l'encyton — un « homme de bien », comclopédiste de service. me Mirabeau, sous ses travestisse ments opportuns —, pour venir à Sieyès, au mois d'avril 1793, leur bout de Robespierre. Enfin, c'est le suggère un coup de force, à l'improviste, sur Paris, avec 20 000 « fils - 9 Thermidor et les honnêtes gens respirent. « Libération de Paris », comde famille » qu'on fera venir des promente M. Bessand-Massenet. Mme vinces. Sieyès les invite à faire tuer de Staël va pouvoir rouvrir son salon, Robespierre, une nuit, tandis qu'avec et Boissy d'Anglas, sous les ovations, du canon on saura « foudroyer les a prononcé les mots sauveurs : « Un faubourgs ».- Sieyès est trop pressé. pays gouverné par les propriétaires Il est en avance de plus d'un demiest dans l'ordre naturel. » siècle. Robespierre conteste l'adjectif : Un aventurier apatride Mais la république, même censitaire, subsiste, inquiétante. Une conjuration d'hommes de finance et de militaires, aidés par Sieyès (toujours) et par Talleyrand — et Perregaux est là qui attend de la manoeuvre les plus grands bienfaits — renverse la république aux cris de e Vive la république ! » C'est Brumaire qui vient compléter un Thermidor insuffisant. L'instrument choisi est un aventurier, un général apatride qui, ayant raté son coup en Proche-Orient, où il se voyait déjà satrape du côté de l'Indus s'est rabattu, sans joie, sur la France qu'il tient pour une proie médiocre. On le croit maniable. Sieyès se méfiait, et s'aperçoit très vite qu'il avait raison. Mais l'individu est très bien, tou; tefois, pour l'essentiel, à savoir la consolidation des nantis dans leurs avantages, l'étroite surveillance de la classe ouvrière maintenue dans ses fonctions de bête de somme et, très particulièrement, la combinaison financière en vue de laquelle on l'a hissé au pouvoir. A peine est-il en place que Perregaux lui fait signer ce pourquoi on l'a mis où il est : l'énorme entreprise de cette banque privée qu'il consentira à décorer du nom fictif de « Banque de France », étant bien entendu que l'Etat, non seulement n'aura sur elle aucun pouvoir de contrôle et ne lui demandera pas d'argent, mais lui en versera au contraire. Les choses iront ainsi au mieux ENROLEMENT DES VOLONTAIRES EN 1792 Une parenthèse odieuse pour la bourgeoisie d'affaires jusqu'à ce qu'elles se gâtent, et de la manière la plus fâcheuse, en raison de la politique personnelle de pillage que « empereur » mène en Europe. Le blocus continental endommage les profits industriels et commerciaux. Les marges bénéficiaires s'amenuisent. Si la « Banque de France », quant à elle, s'en tire à merveille, réussissant même, jusqu'à la fin, à obtenir des « bénéfices déclarés » (et l'on imagine les autres!) substantiels, les notables, dans l'ensemble, estiment que ce n'est plus de jeu. Ils abandonnent leur créature, et La Fayette se dépense à nouveau en l'honneur de la « liberté ». Sous le roi reparu, une fusion croissante s'opère entre « honnêtes gens », titrés et non titrés. Les filles de banquiers et d'industriels épousent des aristocrates alléchés par les - écus. Modèle du genre : Germaine Necker, promue baronne, baronne de Staël-Holstein. Les généraux, de leur côté, s'intéressent aux conseils d'administration; Soult, déjà pourvu par ses rapines hors des frontières, est dans les forges et dans la houille. Marmont est devenu le gendre de Perregaux. Il y e cent mille électeurs en France, pour trente millions d'habitants. Ce n'est pas assez. Une bourgeoisie moyenne commence à montrer les dents. Elle veut sa part, elle aussi, du pouvoir. Thiers, qui est un Rastignac mâtiné de Bel-Ami, en est le type exemplaire, et Charles X, moins précautionneux que Louis XVIII, commet l'imprudence de donner un peu trop dans le préjugé nobiliaire, la folie surtout d'exclure la patente du calcul qui octroie ou refuse le droit électoral. priété ». C'est l'Eden. Ils sont l'Etat ; ils tiennent la police et l'armée. Ils sont les maîtres et peuvent, hommes de « liberté », puiser l'argent librement, et tout ce qui se mue en argent, dans le Trésor des contributions, dans la clientèle contrainte d'acheter ce qu'ils vendent aux prix qu'ils im- L piège des notables Toujours âprement interdites, - les coalitions ouvrières; mais autorisées, bénies, les coalitions patronales, sous les Motte, dans le Nord, sous les Schlumberger, dans l'Est. Communauté nationale ? Participation-? Bien sûr ! La communauté nationale n'est pas un vain mot ; collectivisation, donc, des dépenses pour l'infrastructure des voies ferrées, et des subventions aux grandes compagnies, et des « indemnités » quand les bénéfices ne sont pas encore ce qu'on espérait. A toi de jouer, collectivité ; à toi de fournir les subsides, au moyen des impôts perçus — indirects, de préférence. e'est ainsi, selon le noble langage de Guizot, à la tribune, le 28 mai 1846, que règnent dans une nation l'ordre et la paix et le bonheur : « Tranquille sur les Le vieux plan de Danton Charles X est renversé en juillet 1830, la bourgeoisie ayant renouvelé son opération de juillet 1789: prier le prolétariat de se faire tuer pour elle. Ce qu'il a fait, une fois de plus, sous l'oeil attentif, toujours, de La Fayette l'increvable. C'est lui, le marquis, dûment épaulé par Benjamin Constant, qui étreint, sous les plis du drapeau tricolore, le fils de ce d'Orléans, hôte, jadis, du Palais, Royal -d'où partit en juillet 1789 le mouvement « révolutionnaire ». Enfin, on a gagné ! Le vieux plan de Dumouriez et de Danton, enfin, se réalise ! Un « Orléans » au pouvoir. Et pas question de se souvenir (quelle importance, du reste ?) que ce vieux monsieur aujourd'hui proclamé « roi des Français », s'est illustré jadis, le 5 avril 1793, en passant à l'ennemi, t: avec tout l'état-major de Dumouriez. - « Aucune demande à nous adressée pour que nous intervenions entre le maître et l'ouvrier au sujet de la fixation du salaire et de la durée du travail journalier, ne sera admise, cyir elle serait en opposition aux lois qui ont consacré le principe de la liberté de l'industrie. » Qu'est-ce -que c'est ? L'article 3 de l'ordre du jour, signé La Fayette, 25 août 1830, à la garde nationale. Il y avait eu des pétitions naïves des menuisiers et des serruriers de Paris pour que la garde nationale protégeât les intérêts du peuple, de ce peuple qui s'était battu sur les barricades. Ces gens-là ont-ils perdu le sens ? On leur fera voir sous peu, et à Lyon d'abord, ce que c'est qu'une société bien ordonnée, telle que l'a définie le penseur de Femey. Le préfet de Lyon n'a-t-il pas eu l'inconscience d'autoriser une discussion entre délégués des travailleurs et délégués du patronat, pour la fixation d'un salaire 'minimum ? Casimir Périer, le ministre (c'était à Vizille, en 1788, qu'avait eu "lieu, et pas pour rien, chez les Périer, la démonstration préalable des Etats généraux), a lancé_ sa foudre. Révocation du préfet ; et Soult, le maréchal affairiste, est expédié à Lyon en toute hâte pour rétablir, par les grands moyens, « entre fabricants . - principes, sur les intérêts moraux qui lui sont si chers, tranquille sur sa propre existenc,e morale, le pays fait paisiblement ses affaires quotidiennes.» Les « affaires » des affairistes toutpuissants seront " désagréablement et ouvriers cette entière liberté des transactions, condition absolue d,e la sûreté comme de la propriété ». Mil huit cent trente, c'est quatrevingt neuf — on a eu du mal ! — qui, tout de même, à présent, s'installe avec ampleur. Que de pénibles épisodes, entre-temps ! Mais on y est, L'Etat, c'est nous, nous les grands notables de la bourgeoisie d'affaires. Les sources de la richesse, tous les moyens de Production, le sous-sol et le chemins de . fer, tout cela appartient désormais à un groupe d'hommes, « deux ou trois centaines . de familles » ' comme le précisera, sans ambages, M. Thiers, à la page 112 de son livre: « Du Droit de pro- posent, et dans cette innombrable foule --- « la vile multitude », comme parle M. Thiers, à qui la Banque de France a décerné, en 1840, une médaille d'or — dans cette masse, sans cesse renouvelée des travailleurs qui peinent pour eux sous menace de mort. compromises, en 1848, par un mouvement inattendu de la masse exploitée. Mais ce n'est rien. Ces niais qui réclament le droit de vivre ié conduisent comme des enfants de chœur et Tocqueville s'en amuse beaucoup. Ils croient tout ce qu'on leur raconte et se prennent avec enthousiasme au piège des notables, lesquels se sont mis, de toutes parts, à crier à qui mieux mieux : « Vive la république ! » La question simple est de leur enlever ces armes que des e traîtres » comme Lamartine les ont laissés prendre en février. Un possédant réaliste, et qui ne déteste point le cynisme, ce même Tocqueville que je viens de nommer, expliquera, d'un ton égal, dans ses « Souvenirs » : dès le premier instant, « j'avais toujours cru qu'il ne fallait pas espérer régler par degrés et en paix le mouvement de février et qu'il ne serait arrêté que tout à coup, par une grande bataille livrée dans Paris ». Cette bataille, poursuit-il, « il était à désirer que l'on en saisît la première occasion ». L'équipe des Jules Déjà, le 27 avril , à Rouen, le procureur-député Sénard avait organisé, à l'imitation des Bailly et des La Fayette du 17 juillet 1791, un petit massacre avertisseur (38 morts). Odilon Barrot, l'opposant pour rire, l'opposant « dynastique » de la monarchie de Juillet, salue, dans ses « Mémoires », l'admirable Sénard qui - - « « donna l'ordre de commencer le feu ».- « Nous ne pouvons qu'honorer, écrit-il, un tel acte de courage A partir de la semaine prochaine, « le Nouvel Observateur » sera mis en vente le LUNDI Prochain numéro : lundi 15 juillet 1968 civil, beaucoup trop rare dans notre France. » En juin, c'est M. de Falloux, aidé de Montalembert et de Cavaignac, qui « sauve la société », réalisant enfin le voeu de Sieyès de 1793. On « foudroie les faubourgs », et comme il faut. M. _de Vigny ne se connaît plui de joie. Il avait tremblé si fort, dès 1830, devant les prolétaires en armes ! Mais de même qu'après Thermidor et l'envoi à la guillotine de Robespierre et de plus dé cent de ses acolytes, la « paix morale » n'était qu'imparfaitement redescendue dans les esprits et dans les coeurs bien nés parce que la République subsistait, tout amendée qu'elle fût, de même, après 1848, on reste alarmé, chez les maîtres de l'argent. La république, en 1850, est bien devenue, elle aussi, censitaire, plus de trois millions de pauvres ayant été chassés du suffrage, Le Nouvel Observatèur Page 5 COMPRENDRE NOTRE TEMPS LA CRISE ÉTUDIANTE La révolte étudiante . par J. Sauvageot, A. Geismar, D. Cohn-Bendit, J.-P. Duteuil coll. l'Histoire immédiate 8 f Le livre noir des journées de mai LE MALAISE PAYSAN Une France sans paysans par J. Weil, C. Servolin, M. Gervais coll. Société 6 f Les paysans contre le passé par Serge Mallet coll. l'Histoire immédiate 12 f par l'UNEF et le SNE/Sup coll. Combats 5 f 10 mai 1968 La semaine de 30 heures par Régis Paranque coll. Société 6 f ...ET APRÈS Le nouveau marché du travail Que faire de la Révolution de mai? par le Club Jean Moulin coll. Jean Moulin 6 f • Pràjets pour la France Anthologie. coll. Société 6 f Après de Gaulle, qui? par P. Viansson-Ponté coll, l'Histoire immédiate 19,50 f par Jean-Philippe Maillard coll. Société 6 f LA SANTÉ L'avenir de la Sécurité sociale par Paul Hermand coll. Société 6 f La santé giatuite par Pierre Grandjeat coll. Société 6 f AMÉRIQUE-LATINE... Che Guevara, vie et mort d'un ami par Ricardo Rojo coll. Combats 15 f L'ARGENT Le coût de la vie par Michel Lévy çoll. Société 6 f Camilo Torrès, écrits et paroles La politique des revenua par Jean Boissonnat . coll. Société 6 f coll. Combats 18 f par G. Mignot et Ph. d'Orsay coll. Société 6 f L'INFORMATION - La Presse, le pouvoir et l'argent par Jean Schwoebel coll. l'i-lièreë immédiate 19,50 f LE TRAVAIL .' par Luc de Goustine coll. Théâtre 3,f L'ADMINISTRATION La machine administrative . Le règne de la Télévision par Jean-Guy Moreau coll. Société 6 f LA _JUSTICE Combats pour la Justice par Casamayor coll. Esprit 18 LES DOCTRINES Communisme, anarchie et personnalisme par Emmanuel Mounier colt. Politique 4,50 f Le socialisme difficile . par André Gorz coll„l'Histoire immédiate 15f Stratégie ouvrière et néo-capitalisme . par André Gorz coll, l'Histoire immédiate 12 f Libres essais marxistes par André Stawar coll. l'Histoire, immédiate 15 f La pensée de Karl Marx par Jean-Yves Calvez coll. Esprit 29 f Journal d'un guerillero L'industrie des banquiers présenté par Armand Gatti coll. Combats 9,50 f par Jacques Lavrillère coll. Société 6 f par André Philip coll. Politique 6 f A quoi sert la Bourse? Socialisation et Religion ASIE DU SUD-EST par Jean Valeurs colll Société 6f Les socjalistes Cahier de l'Association Teilhard de Chardin 9,50 f Trois encycliques sociales Hô Chi Minh L'ENSEIGNEMENT par Jean Lacouture ' coll. Politique 6 f Le lycée impossible Citations du président Mao Le petit livre rouge coll. Politique 4,50 f Un proviseur parle, par André Rouède coll. Esprit 18 f '(Mater' et Magistra, Pacem in terris, Populorum progressio) coll. Politique 6 f • La démocratie par Georges Burdeau coll. Politique 4,50 f La démocratie sans le peuple LE SYNDICALISME Le syndicat dans l'entreprise LA VILLE par Maurice Duvergèr coll, l'Histoire immédiate 15 f par Hubert Lesire Ogrel coll. Société 6 f L'urbanisme, utopies et réalités Histoire de la Révolution russe par Trotsky Questions actuelles du syndicalisme une anthologie par Françoise Choay 29f De l'espace humain T.1. Février 1917, T.2. Octobre 1917 coll. Politique, chaque vol. 9,50 f par Pierre Le Brun coll. l'Histoire immédiate 12 f Que faire? par Lénine Militant chez Renault par Jean Cayrol Le décor urbain 0 CI nous vivons coll. Intuitions 15 f par Daniel Mothé coll. Esprit 12.f• La cité à travers l'histoire Citations du Président de Gaulle par Lewis Mumford (15941l.) Coll. Esprit 39f par Jean Lacouture coll. Politique 4,50 f L'ÉCONOMIE NOTRE CIVILISATION L'action syndicale n° spéciel de la revue Sociologie du Travail 9,50 f L'ENTREPRISE• POur une réforme de l'entreprise • par François Bloch-Lainé coll. Politique 4,50 f Socialisme et autogestion, l'expérience yougoslave par Albert Meister coll. Esprit 21f La France et le marché mondial par Jean Bernard coll. Société 6 f Nous allons à la famine par René Dumont et Bernard Rosier coll. Esprit 15 f LE PLAN Pour une doctrine de l'entreprise La planification française -- par Ph. de Woot préface de F. Bloch-Lainé 18 f 20 ans d'expérience, par p. Bauchet coll.-Esprit 24f Le mouvement ouvrier Le contre-plan par Bénigno Cacérès coll. Peuple et culture 9,50 La conscience ouvrière par Alain Touraine 29 f La nouvelle classe ouvrière par Serge Mallet coll. Esprit 15 f . Sociologie de l'action par Julien Ensemble coll. Société 6 f « LA DÉCENTRALISATION Les citoyens au pouvoir par le Club...Jean Moulin col. Politique.7,50 f Le retour du tragique par Jean-Marie Domenach coll. Esprit 15 1 Vers une civilisation du loisir par Joffre Dumazedier coll. Esprit 18 f Collection de poche "Politique" dirigée par Jabques Julliard (20 titres) Collection de poche "Société" dirigée par Robert Fossaert (28 titres) Collection "Peuple et culture" dirigée par René Fougue (16 titres) Collection "Esprit" dirigée par Jean-Marie Domenach (67 titres) Collection "l'Histoire immédiate" dirigée par Jean Lacouture (54 titres) Collection "Intuitions" dirigée par Jean Cayrol Collection "Combats" dirigée par Claude Durand mais la seule existence du régime républicain est une menace pour les machines à faire des riches par l'exploitation du travail. Et c'est pourquoi le 2 décembre viendra recommencer 1e 18 Brumaire, avec un Bonaparte, cette fois-ci, qui donnera constamment toute satisfaction. Il tombe — et c'est navrant dans cette guerre qu'on lui avait fait déclarer à la Prusse en 1870; mais de précieux auxiliaires surgissent : les • Jules ; Jules Favre, Jules Ferry, Jules Simon, des messieurs de la gauche « honnête », des spécialistes du vocabulaire idoine. Ils se précipitent à l'Hôtel de Ville, le 4 septembre, dans l'unique pensée d'en interdire l'accès aux « rouges », et constituent un gouvernement qu'ils appellent « de défense nationale » et qui est exclusivement « de défense sociale »la résistance à l'envahisseur dont ils font leur programme officiel est le dernier de leurs soucis. Ils n'Ont qu'une pensée au contraire, d'accord avec les généraux (depuis que leur Napoléon n'est plus là) : que l'ordre règne grâce aux troupes allemandes victorieuSes. Puis, ce sera l'incident abject de la Commune. Mais M. Thiers est au pouvoir et les mêmes généraux, qu'on avait vus inertes .et languides pendant le siège, pleins d'exécration pour Gambetta et sa résistance en province, se retrouvent, martiaux à ravir, requinqués, fulgurants pour l'autre siège, le vrai, le bon, celui qu'ils dirigent maintenant contre les prolétaires de Paris. - - Quelques mains La semaine sanglante du mai 1871. La grande, la formidable saignée salutaire. On vous _les a dressés, ces revendicateurs, à qui les journées de juin n'avaient pas suffi ! L'Eden se reconstitue, et c'est la III" -République, caractérisée par l'entrée en force dans la politique de la petite bourgeoisie anticléricale, tandis que la grande bourgeoisie aristocratique se partage les hauts postes, de la présidence de Suez à celle de la répu-: blique, des Jockey Club à l'état-major et de la Cour des comptes au comité des Forges. A toi, lecteur, de poursuivre, avec tes souvenirs vécus et les yeux ouverts. Mais je voudrais finir par une citation, bien remarquable, de François Mauriac. On en trouvera le texte dans son « Bloc-Notes » du 23 septembre 1966-; je me bornerai à le transcrire, pour le livrer à vos réflexions : • « Un ami m'écrivait cet été qu'il avait voté blanc aux élections présidentielles, quoiqu'il admire de Gaulle, mais il lui en veut de ne nous avoir pas délivrés des « puissances d'argent »1 ee que de Gaulle n'a pas fait, ce qu'il ne dépend pas de lui de faire, c'est' d'obliger &lâcher prise ces quelques mains, oui, ce p,etit nombre de mains qui tiennent les commandes secrètes, et qui assurent les profits immenses de quelques-uns, et qui font de chacun de nous [...] les têtes d'un troupeau exploitable, et exploité. » par Alain Touraine 29f coll. Jean Moulin 15 f C.Q.F.D. Page 6 10 juillet 1968 HENRI GUILLEMIN