Henri Guillemin Les voleurs de révolution Nouvel Obs 1968

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Henri Guillemin Les voleurs de révolution Nouvel Obs 1968
Document
Photos H. Roger-Viollet
•ADOLPHE THIERS
Une formidable et salutaire saignée
par Henri Guillemin
Historien non conformiste, spécialiste des révolutions du XIXe
siècle, Henri Guillemin a montré,
dans ses livrés, comment les thermidoriens trahirent les espoirs de
1789 et de 1792, comment les
classes 15ossédantes confisquèrent le mouvement des insurgés
de 1830 et de 1848, comment
les dirigeants de 70-71 se pré.occupèrent davantage de mater .
la rébellion que de poursuivre
la guerre. Dans l'analyse que
• nous publions cette semaine,
Flenri Guillemin résume un siècle
d'histoire de France comme on
&à pas l'habitude de la voir
écrite. A yetis d'en prolonger la
lecture, les yeux -ouverts, avec
les souvenirs vécus de ces dernières semaines.
Ce qui se joue, en ce moment même, dans notre
pays, pas moyen d'en comp r endre la signification
réelle, la vérité profonde, si l'on oublie, si l'on ne sait pas, si l'on sait
mal l'histoire. Et, pour la plupart,
nous la savons rial. En tout cas, les
gens de ma génération, qui ont fait
leurs classes sous la HP République :
on nous a soigneusement façonnés à
ne pas comprendre, à ne pas savoir.
Les écoliers sont de futurs électeurs
et il importe de les « mettre en
condition » de bonne heure, le plus
vite possible. Il y a plus d'un siècle
que Victor Hugo, dans son « William
Shakespeare », dénonçait « l'histoire
des historiographes », l'histoire bienséante, l'histoire de bonne compagnie.
'C'est exactement celle-là même qii'on
nous a fourrée dans la tête. Et c'est
toujours celle-là que s'emploient à
répandre les prétendues « revues
d'histoire pour grand public », qui
pullulent à bon escient.
- Et lorsque j'entends, sur certaines
lèvres de « fédérés » (ce mot-là me
fait toujours_ mal, appliqué aujourd'hui comme il l'est, quand; je songe
à ceux qu'il désignait, en 1871), tels .
propos sur « 89 », je constate qu'en
effet « l'histoire des historiogra-
phes » n'est pas morte, sévit toujours.
Allons, pour de bon, qu'est-ce qui
s'est passé, en 1789 ? Et qu'est-ce que
ce fut, pour de bon, Thermidor, Brumaire, 1830, 1848 et la suite ?
Les cc mangeurs » et les cc mangés »
En 1789, on assiste à quoi ? A une
bagarre de nantis, à une rixe de
possédants. Au cours du )(vin' siècle,
une nouvelle classe est apparue, en
France,: la bourgeoisie d'affaires,
avec le développement, qui s'inau- gure, du grand commerce, de l'industrie; de la banque. C'est la roture
nantie, la richesse mobilière, laquelle
se dresse avide, face à la richesse
immobilière représentée par la noblesse. Et elle a ses théoriciens, Barnave, par exemple, de la clientèfe
Périer. Barnave proclame qu' « une
nouvelle distribution de la richesse
appelle (autrement dit : exige) unr
nouvelle distribution du pouvoir »,
ce qui signifie que cette grande bourgeoisie possédante ne tolère plus que
l'Etat et ses i leviers de commande »
soient entre les mains des autres
riches, ,les détenteurs du sol, les
nobles.
Bousculade. Les nouveaux ricfiés
exigent d'être associés (pour le moins)
à la gestion des affaires nationales.
Au vrai, ils veulent se substituer aux
Le Nouvel Observateur Page 3
* Toutes les révolutionJ en France, ont été contrôlées,
par ceux qui pensaient, comme Voltaire,
qu'un pays bien organisé est celui où «le petit nombre
fait travailler le grand nombre,
est nourri pai; lin et le gouverne. »
bénéficiaires établis. Et Sieyès et Mirabeau, qui sont leurs hommes,
mènent un train d'enfer, poussent des
clameurs, s'intitulant eux-mêmes « la
nation e. Le Tiers-Etat, paraît-il,
c'est eux. Aux Etats généraux, le
Tiers, ce sont les notables. Et ils
crient qu'ils sont « la France ».
La France ? Elle compte, alors,
quelque vingt-cinq millions d'habitants, et ce que constatera un homme
tranquille, un homme de bien, mais
trop bavard, en 1822, M. de Beauséjour, était aussi vrai en 1789 •que
trente ans plus tard : il y a les
« mangeurs » et il y a les « mangés ». D'un côté, cinq cent mille mangeurs, les possédants ; de l'autre,
25 millions (en 1789; ils seront 30
en 1822) de mangés. Les constituants du Tiers sont, à 95 %, des
« voltairiens », je veux dire des gens
qui souscrivent, consciemment ou
non, à la formule explicite et trop
peu connue de Voltaire sur l'ordre
politique et social : un pays bien organisé est celui où « le petit nombre
fait travailler le grand nombre, est
nourri par lui, et le gouverne ».
La cc résignation du grand nombre »
La roture dorée a gagné la partie
en 1789. Elle a imposé au- roi son
gestionnaire de confiance, le banquier
Necker, et elle a abrité son opération
sous un vocabulaire approPrié (de
l'importance extrême, en politique, du
vocabulaire ; choisir les mots de telle
sorte qu'ils recouvrent, en fait, le
contraire de ce qu'ils expriment ; un
Benjamin Constant sera champion
dans cette technique). Déclaration des
Droits de l'Homme : « Tous les hom-
mes naissent et demeurent libres et
égaux en droits. » En vertu de quoi
les constituants 'refusent le droit de
vote aux citoyens baptisés par eux
e passifs » ( une trouvaille de Sieyès,
les « passifs » étant précisément les
travailleurs)'; et voilà pour l'égalité.
En vertu de quoi également la Constituante (où veille le lobby colonial,
avec Barnave) maintient l'esclavage
dans les possessions françaises d'outre-mer et interdit — c'est la loi Le
Chapelier de 1791 — aux ouvriers
toute e coalition » pour la défense de
leurs salaires ; et voilà pour la liberté.
Ce dont il faut, par conséquent,
bien prendre conscience, c'est de cette
réalité historique : le Tiers (la frange
suprême du Tiers, l'élite — ou la lie,
comme on voudra) et la noblesse,
en 1789, s'empoignent, et le Tiers
est finalement le plus fort. Mais toute
l'affaire se déroule entre gens de
bien(s) et sur le dos de ce que Victor Hugo appellera « la cariatide »,
c'est-à-dire les Français, le peuple
français, les 25 millions de mangés
dont la mission reste la même : travailler pour ceux qui les « gouvernent » et qu'ils « nourrissent ».
, Avec la Commune insurrecfformelle
de Paris, en août 1792, les choses
changent ; avec Robespierre, surtout,
ce « monstre », comme écrit la fille
Necker, dite Mme " de Staël, ce
« monstre acharné à la destruction
de la société ». Grâce à lui, écrirat-elle dans ses « Considérations », la
Révolution si digne, si raisonnable,
Page 4 10 juillet 1968
si bénéfique jusqu'en 1791, la Révolution « changea d'objet » et « les gens
de la classe ouvrière » s'imaginèrent
(c'est insensé ! c'est inouï 0 que « le
joug de la disparité des fortunes allait
cesser de peser sur eux ». Alors que,
rappelle cette dame éclairée, « le secret de l'ordre social est dans la résignation du grand nombre ». (On
reconnaît le style Voltaire.)
Suffrage universel : le monde renversé; la garde nationale ouverte aux gens de rien : autant dire la fin de
tout. Car si la roture dorée, en juillet 1789, parce qu'on lui avait renvoyé son Necker, s'était risquée —
au grand effroi de Mirabeau — à
armer provisoirement les prolétaires
pour qu'ils contraignent la Cour à
rappeler leur homme (et les banquiers
suisses,. Perregaux et Delessert, l'agent
de change Boscary s'étaient distingués,' incandescents, « patriotes » en
diable, crépitants, pour expédier la
plèbe à l'assaut de la Bastille), dès
le soir du 14 juillet le désarmement
avait commencé à l'amiable. On
rachetait, pour quarante sous, aux
prolétaires, ces fusils qu'on leur avait
remis gratis pendant que se constituait, sous l'égide dn marquis _de
La Fayette, cette milice bourgeoise
supplétive, dite « garde nationale »,
pour l'encadrement et la surveillance
des pauvres.
N'entrait dans la garde nationale
que qui pouvait payer son uniforme,
soit quatre-vingts livres,., soit plus de
300 F d'aujourd'hui ; l'ouvrier parisien, les jours où il travaillait, gagnait
environ 20 sols. La « pureté » de la
milice était donc strictement garantie,
et l'on avait assisté , le 14 juillet 1790,
sous le trompe-l'oeil du mot « fédération e, au congrès national de la
bourgeoisie en armes. Le 17 juillet
1791, ladite garde nationale avait,
du reste, donné aux « passifs », à la
mitraille, la leçon devenue nécessaire,
ces gens-là s'étant mêlés, après la
fuite de Varennes et la comédie de
« enlèvement » combinée entre
Barnave et La Fayette, de réclamer
la déchéance du roi. De quoi se mêlaient ces infimes ? On les avait ramenés à la raison.
Quelques milliers de tyrans
S'ouvre donc, en août 1792, une
espèce de parenthèse odieuse. C'est
« l'espoir de 89 » qui est dévié, trahi.
Abominable scandale. A la place de
Voltaire, que l'on a mis, comme il
convenait, au Panthéon, apparaît
l'ombre de ce fou, de ce malfaiteur
de Rousseau ; et son disciple, Robespierre, veut éclipser le cher Mirabeau,
hélas ! disparu. Par bonheur, les
notables sont toujours là. Ils occupent la Convention comme ils ont
peuplé la Législative et la Constituante; ils ont leur groupe de choc,
les Girondins, « oligarchie de grands
bourgeois arrogants et beaux parleurs » (Jaurès), qui veulent, dira
Lamartine, remplacer « la domination
-
.
-
du roi par la domination de la richesse », de sorte que le peuple « au
lieu d'avoir un seul tyran, en aura
quelques milliers ». Grandeur des Ver-
que les constituants ont inscrit dans
leur Déclaration des Droits de
l'Homme : que la propriété est
«- sacrée », et il nie que des hommes,
des Noirs par exemple, puissent être
la « propriété sacrée » des négriers;
Face à ceux qui demandent une intervention de l'Etat pour interdire la
hausse des denrées de première né-4
cessité, et du pain avant tout, Roland_
déclare que la « liberté » est un
dogme, et qu'en matière commerciale,
tout ce que la Convention peut et
doit faire, c'est d'affirmer solennellement qu'elle ne saurait intervenir.
A la « Fête des Lois », organisée par
les girondins, les écussons républicains ne portent plus la devise :
« Liberté, Egalité, Fraternité » ; le
dernier terme est modifié : « Liberté,
Egalité, Propriété ».
Il va falloir près de deux ans
gniaud, des Roland, des Brissot et
(10 avril 1792-27 juillet 1794), en
de leur allié, le marquis de Condor-'
dépit des généreux efforts de Dancet, « l'ami de d'Alembert », l'encyton — un « homme de bien », comclopédiste de service.
me Mirabeau, sous ses travestisse
ments opportuns —, pour venir à
Sieyès, au mois d'avril 1793, leur
bout de Robespierre. Enfin, c'est le
suggère un coup de force, à l'improviste, sur Paris, avec 20 000 « fils - 9 Thermidor et les honnêtes gens respirent. « Libération de Paris », comde famille » qu'on fera venir des promente M. Bessand-Massenet. Mme
vinces. Sieyès les invite à faire tuer
de Staël va pouvoir rouvrir son salon,
Robespierre, une nuit, tandis qu'avec
et Boissy d'Anglas, sous les ovations,
du canon on saura « foudroyer les
a prononcé les mots sauveurs : « Un
faubourgs ».- Sieyès est trop pressé.
pays gouverné par les propriétaires
Il est en avance de plus d'un demiest dans l'ordre naturel. »
siècle. Robespierre conteste l'adjectif
:
Un aventurier apatride
Mais la république, même censitaire, subsiste, inquiétante. Une
conjuration d'hommes de finance et
de militaires, aidés par Sieyès (toujours) et par Talleyrand — et Perregaux est là qui attend de la manoeuvre les plus grands bienfaits —
renverse la république aux cris de
e Vive la république ! » C'est Brumaire qui vient compléter un Thermidor insuffisant. L'instrument choisi
est un aventurier, un général apatride qui, ayant raté son coup en
Proche-Orient, où il se voyait déjà
satrape du côté de l'Indus s'est rabattu, sans joie, sur la France qu'il
tient pour une proie médiocre. On
le croit maniable. Sieyès se méfiait,
et s'aperçoit très vite qu'il avait raison. Mais l'individu est très bien, tou;
tefois, pour l'essentiel, à savoir la
consolidation des nantis dans leurs
avantages, l'étroite surveillance de la
classe ouvrière maintenue dans ses
fonctions de bête de somme et,
très particulièrement, la combinaison
financière en vue de laquelle on l'a
hissé au pouvoir. A peine est-il en
place que Perregaux lui fait signer
ce pourquoi on l'a mis où il est :
l'énorme entreprise de cette banque
privée qu'il consentira à décorer du
nom fictif de « Banque de France »,
étant bien entendu que l'Etat, non
seulement n'aura sur elle aucun pouvoir de contrôle et ne lui demandera
pas d'argent, mais lui en versera au
contraire.
Les choses iront ainsi au mieux
ENROLEMENT
DES VOLONTAIRES
EN 1792
Une parenthèse
odieuse
pour la bourgeoisie d'affaires jusqu'à
ce qu'elles se gâtent, et de la manière la plus fâcheuse, en raison de
la politique personnelle de pillage que
« empereur » mène en Europe. Le
blocus continental endommage les
profits industriels et commerciaux.
Les marges bénéficiaires s'amenuisent.
Si la « Banque de France », quant
à elle, s'en tire à merveille, réussissant même, jusqu'à la fin, à obtenir
des « bénéfices déclarés » (et l'on
imagine les autres!) substantiels, les
notables, dans l'ensemble, estiment
que ce n'est plus de jeu. Ils abandonnent leur créature, et La Fayette
se dépense à nouveau en l'honneur
de la « liberté ». Sous le roi reparu, une fusion croissante s'opère entre « honnêtes
gens », titrés et non titrés. Les filles
de banquiers et d'industriels épousent des aristocrates alléchés par les
-
écus. Modèle du genre : Germaine
Necker, promue baronne, baronne de
Staël-Holstein. Les généraux, de leur
côté, s'intéressent aux conseils d'administration; Soult, déjà pourvu par
ses rapines hors des frontières, est
dans les forges et dans la houille.
Marmont est devenu le gendre de
Perregaux.
Il y e cent mille électeurs en
France, pour trente millions d'habitants. Ce n'est pas assez. Une bourgeoisie moyenne commence à montrer les dents. Elle veut sa part, elle
aussi, du pouvoir. Thiers, qui est un
Rastignac mâtiné de Bel-Ami, en est le
type exemplaire, et Charles X, moins
précautionneux que Louis XVIII,
commet l'imprudence de donner un
peu trop dans le préjugé nobiliaire, la
folie surtout d'exclure la patente du
calcul qui octroie ou refuse le droit
électoral.
priété ». C'est l'Eden. Ils sont l'Etat ;
ils tiennent la police et l'armée. Ils
sont les maîtres et peuvent, hommes de « liberté », puiser l'argent librement, et tout ce qui se mue en argent, dans le Trésor des contributions,
dans la clientèle contrainte d'acheter
ce qu'ils vendent aux prix qu'ils im-
L piège des notables
Toujours âprement interdites, - les
coalitions ouvrières; mais autorisées,
bénies, les coalitions patronales, sous
les Motte, dans le Nord, sous les
Schlumberger, dans l'Est. Communauté nationale ? Participation-? Bien
sûr ! La communauté nationale n'est
pas un vain mot ; collectivisation,
donc, des dépenses pour l'infrastructure des voies ferrées, et des subventions aux grandes compagnies, et
des « indemnités » quand les bénéfices ne sont pas encore ce qu'on espérait. A toi de jouer, collectivité ;
à toi de fournir les subsides, au
moyen des impôts perçus — indirects, de préférence. e'est ainsi, selon
le noble langage de Guizot, à la tribune, le 28 mai 1846, que règnent
dans une nation l'ordre et la paix et
le bonheur : « Tranquille sur les
Le vieux plan de Danton
Charles X est renversé en juillet
1830, la bourgeoisie ayant renouvelé
son opération de juillet 1789: prier
le prolétariat de se faire tuer pour
elle. Ce qu'il a fait, une fois de plus,
sous l'oeil attentif, toujours, de
La Fayette l'increvable. C'est lui, le
marquis, dûment épaulé par Benjamin Constant, qui étreint, sous les
plis du drapeau tricolore, le fils de
ce d'Orléans, hôte, jadis, du Palais,
Royal -d'où partit en juillet 1789 le
mouvement « révolutionnaire ». Enfin, on a gagné ! Le vieux plan de
Dumouriez et de Danton, enfin, se
réalise ! Un « Orléans » au pouvoir.
Et pas question de se souvenir (quelle
importance, du reste ?) que ce vieux
monsieur aujourd'hui proclamé « roi
des Français », s'est illustré jadis, le
5 avril 1793, en passant à l'ennemi,
t: avec tout l'état-major de Dumouriez.
-
« Aucune demande à nous adressée pour que nous intervenions entre
le maître et l'ouvrier au sujet de la
fixation du salaire et de la durée du
travail journalier, ne sera admise, cyir
elle serait en opposition aux lois
qui ont consacré le principe de la
liberté de l'industrie. » Qu'est-ce -que
c'est ? L'article 3 de l'ordre du jour,
signé La Fayette, 25 août 1830, à la
garde nationale. Il y avait eu des pétitions naïves des menuisiers et des
serruriers de Paris pour que la garde
nationale protégeât les intérêts du
peuple, de ce peuple qui s'était battu
sur les barricades.
Ces gens-là ont-ils perdu le sens ?
On leur fera voir sous peu, et à Lyon
d'abord, ce que c'est qu'une société
bien ordonnée, telle que l'a définie
le penseur de Femey. Le préfet de
Lyon n'a-t-il pas eu l'inconscience
d'autoriser une discussion entre délégués des travailleurs et délégués du
patronat, pour la fixation d'un salaire
'minimum ? Casimir Périer, le ministre (c'était à Vizille, en 1788, qu'avait
eu "lieu, et pas pour rien, chez les
Périer, la démonstration préalable
des Etats généraux), a lancé_ sa foudre. Révocation du préfet ; et Soult,
le maréchal affairiste, est expédié à
Lyon en toute hâte pour rétablir, par
les grands moyens, « entre fabricants
.
- principes, sur les intérêts moraux qui
lui sont si chers, tranquille sur sa
propre existenc,e morale, le pays fait
paisiblement ses affaires quotidiennes.»
Les « affaires » des affairistes toutpuissants seront " désagréablement
et ouvriers cette entière liberté des
transactions, condition absolue d,e la
sûreté comme de la propriété ».
Mil huit cent trente, c'est quatrevingt neuf — on a eu du mal ! —
qui, tout de même, à présent, s'installe avec ampleur. Que de pénibles
épisodes, entre-temps ! Mais on y est,
L'Etat, c'est nous, nous les grands
notables de la bourgeoisie d'affaires.
Les sources de la richesse, tous les
moyens de Production, le sous-sol et
le chemins de . fer, tout cela appartient désormais à un groupe d'hommes, « deux ou trois centaines . de
familles » ' comme le précisera, sans
ambages, M. Thiers, à la page 112
de son livre: « Du Droit de pro-
posent, et dans cette innombrable
foule --- « la vile multitude », comme
parle M. Thiers, à qui la Banque de
France a décerné, en 1840, une médaille d'or — dans cette masse, sans
cesse renouvelée des travailleurs qui
peinent pour eux sous menace de
mort.
compromises, en 1848, par un mouvement inattendu de la masse exploitée. Mais ce n'est rien. Ces niais qui
réclament le droit de vivre ié conduisent comme des enfants de chœur et
Tocqueville s'en amuse beaucoup. Ils
croient tout ce qu'on leur raconte et
se prennent avec enthousiasme au
piège des notables, lesquels se sont
mis, de toutes parts, à crier à qui
mieux mieux : « Vive la république ! » La question simple est de leur
enlever ces armes que des e traîtres »
comme Lamartine les ont laissés prendre en février. Un possédant réaliste,
et qui ne déteste point le cynisme,
ce même Tocqueville que je viens de
nommer, expliquera, d'un ton égal,
dans ses « Souvenirs » : dès le premier instant, « j'avais toujours cru
qu'il ne fallait pas espérer régler par
degrés et en paix le mouvement de
février et qu'il ne serait arrêté que
tout à coup, par une grande bataille
livrée dans Paris ». Cette bataille,
poursuit-il, « il était à désirer que
l'on en saisît la première occasion ».
L'équipe des Jules
Déjà, le 27 avril , à Rouen, le procureur-député Sénard avait organisé,
à l'imitation des Bailly et des La
Fayette du 17 juillet 1791, un petit
massacre avertisseur (38 morts). Odilon Barrot, l'opposant pour rire, l'opposant « dynastique » de la monarchie de Juillet, salue, dans ses « Mémoires », l'admirable Sénard qui
-
-
«
« donna l'ordre de commencer le
feu ».- « Nous ne pouvons qu'honorer, écrit-il, un tel acte de courage
A partir de la semaine prochaine, « le Nouvel Observateur » sera mis en vente le
LUNDI
Prochain numéro : lundi 15 juillet 1968
civil, beaucoup trop rare dans notre
France. » En juin, c'est M. de Falloux, aidé de Montalembert et de
Cavaignac, qui « sauve la société »,
réalisant enfin le voeu de Sieyès de
1793. On « foudroie les faubourgs »,
et comme il faut. M. _de Vigny ne
se connaît plui de joie. Il avait tremblé si fort, dès 1830, devant les prolétaires en armes !
Mais de même qu'après Thermidor
et l'envoi à la guillotine de Robespierre et de plus dé cent de ses acolytes, la « paix morale » n'était qu'imparfaitement redescendue dans les
esprits et dans les coeurs bien nés
parce que la République subsistait,
tout amendée qu'elle fût, de même,
après 1848, on reste alarmé, chez les
maîtres de l'argent. La république,
en 1850, est bien devenue, elle aussi,
censitaire, plus de trois millions de
pauvres ayant été chassés du suffrage,
Le Nouvel Observatèur Page 5
COMPRENDRE
NOTRE TEMPS
LA CRISE
ÉTUDIANTE
La révolte étudiante
. par J. Sauvageot, A. Geismar,
D. Cohn-Bendit, J.-P. Duteuil
coll. l'Histoire immédiate 8 f
Le livre noir
des journées de mai
LE MALAISE
PAYSAN
Une France sans paysans
par J. Weil, C. Servolin, M. Gervais
coll. Société 6 f
Les paysans contre le passé
par Serge Mallet
coll. l'Histoire immédiate 12 f
par l'UNEF et le SNE/Sup
coll. Combats 5 f
10 mai 1968
La semaine de 30 heures
par Régis Paranque
coll. Société 6 f
...ET APRÈS
Le nouveau marché du travail
Que faire de la
Révolution de mai?
par le Club Jean Moulin
coll. Jean Moulin 6 f •
Pràjets pour la France
Anthologie. coll. Société 6 f
Après de Gaulle, qui?
par P. Viansson-Ponté
coll, l'Histoire immédiate 19,50 f
par Jean-Philippe Maillard
coll. Société 6 f
LA SANTÉ
L'avenir de la
Sécurité sociale
par Paul Hermand
coll. Société 6 f
La santé giatuite
par Pierre Grandjeat
coll. Société 6 f
AMÉRIQUE-LATINE...
Che Guevara,
vie et mort d'un ami
par Ricardo Rojo
coll. Combats 15 f
L'ARGENT
Le coût de la vie
par Michel Lévy
çoll. Société 6 f
Camilo Torrès,
écrits et paroles
La politique des revenua
par Jean Boissonnat
.
coll. Société 6 f
coll. Combats 18 f
par G. Mignot et Ph. d'Orsay
coll. Société 6 f
L'INFORMATION
- La Presse, le pouvoir
et l'argent par Jean Schwoebel
coll. l'i-lièreë immédiate 19,50 f
LE TRAVAIL
.'
par Luc de Goustine
coll. Théâtre 3,f
L'ADMINISTRATION
La machine administrative .
Le règne de la Télévision
par Jean-Guy Moreau
coll. Société 6 f
LA _JUSTICE
Combats pour la Justice
par Casamayor coll. Esprit 18
LES DOCTRINES
Communisme, anarchie
et personnalisme
par Emmanuel Mounier
colt. Politique 4,50 f
Le socialisme difficile
. par André Gorz
coll„l'Histoire immédiate 15f
Stratégie ouvrière
et néo-capitalisme
. par André Gorz
coll, l'Histoire immédiate 12 f
Libres essais marxistes
par André Stawar
coll. l'Histoire, immédiate 15 f
La pensée de Karl Marx
par Jean-Yves Calvez
coll. Esprit 29 f
Journal d'un guerillero
L'industrie des banquiers
présenté par Armand Gatti
coll. Combats 9,50 f
par Jacques Lavrillère
coll. Société 6 f
par André Philip
coll. Politique 6 f
A quoi sert la Bourse?
Socialisation et Religion
ASIE
DU SUD-EST
par Jean Valeurs
colll Société 6f
Les socjalistes
Cahier de l'Association
Teilhard de Chardin 9,50 f
Trois encycliques sociales
Hô Chi Minh
L'ENSEIGNEMENT
par Jean Lacouture
' coll. Politique 6 f
Le lycée impossible
Citations du président Mao
Le petit livre rouge
coll. Politique 4,50 f
Un proviseur parle,
par André Rouède
coll. Esprit 18 f
'(Mater' et Magistra, Pacem in terris,
Populorum progressio)
coll. Politique 6 f
• La démocratie
par Georges Burdeau
coll. Politique 4,50 f
La démocratie sans le peuple
LE SYNDICALISME
Le syndicat dans l'entreprise
LA VILLE
par Maurice Duvergèr
coll, l'Histoire immédiate 15 f
par Hubert Lesire Ogrel
coll. Société 6 f
L'urbanisme,
utopies et réalités
Histoire de la Révolution
russe par Trotsky
Questions actuelles
du syndicalisme
une anthologie
par Françoise Choay 29f
De l'espace humain
T.1. Février 1917,
T.2. Octobre 1917
coll. Politique, chaque vol. 9,50 f
par Pierre Le Brun
coll. l'Histoire immédiate 12 f
Que faire? par Lénine
Militant chez Renault
par Jean Cayrol
Le décor urbain 0 CI nous vivons
coll. Intuitions 15 f
par Daniel Mothé
coll. Esprit 12.f•
La cité à travers l'histoire
Citations du Président
de Gaulle
par Lewis Mumford (15941l.)
Coll. Esprit 39f
par Jean Lacouture
coll. Politique 4,50 f
L'ÉCONOMIE
NOTRE
CIVILISATION
L'action syndicale
n° spéciel de la revue
Sociologie du Travail 9,50 f
L'ENTREPRISE•
POur une réforme
de l'entreprise
•
par François Bloch-Lainé
coll. Politique 4,50 f
Socialisme et autogestion,
l'expérience yougoslave
par Albert Meister
coll. Esprit 21f
La France et le
marché mondial
par Jean Bernard
coll. Société 6 f
Nous allons à la famine
par René Dumont et Bernard Rosier
coll. Esprit 15 f
LE PLAN
Pour une doctrine
de l'entreprise
La planification française --
par Ph. de Woot
préface de F. Bloch-Lainé 18 f
20 ans d'expérience, par p. Bauchet
coll.-Esprit 24f
Le mouvement ouvrier
Le contre-plan
par Bénigno Cacérès
coll. Peuple et culture 9,50
La conscience ouvrière
par Alain Touraine 29 f
La nouvelle classe ouvrière
par Serge Mallet
coll. Esprit 15 f
.
Sociologie de l'action
par Julien Ensemble
coll. Société 6 f
« LA
DÉCENTRALISATION
Les citoyens au pouvoir
par le Club...Jean Moulin
col. Politique.7,50 f
Le retour du tragique
par Jean-Marie Domenach
coll. Esprit 15 1
Vers une civilisation du loisir par Joffre Dumazedier
coll. Esprit 18 f
Collection de poche "Politique"
dirigée par Jabques Julliard (20 titres)
Collection de poche "Société"
dirigée par Robert Fossaert (28 titres)
Collection "Peuple et culture"
dirigée par René Fougue (16 titres)
Collection "Esprit"
dirigée par Jean-Marie Domenach
(67 titres)
Collection "l'Histoire immédiate"
dirigée par Jean Lacouture (54 titres)
Collection "Intuitions"
dirigée par Jean Cayrol
Collection "Combats"
dirigée par Claude Durand
mais la seule existence du régime
républicain est une menace pour les
machines à faire des riches par l'exploitation du travail. Et c'est pourquoi le 2 décembre viendra recommencer 1e 18 Brumaire, avec un
Bonaparte, cette fois-ci, qui donnera
constamment toute satisfaction.
Il tombe — et c'est navrant dans cette guerre qu'on lui avait fait
déclarer à la Prusse en 1870; mais
de précieux auxiliaires surgissent : les •
Jules ; Jules Favre, Jules Ferry, Jules
Simon, des messieurs de la gauche
« honnête », des spécialistes du vocabulaire idoine. Ils se précipitent à
l'Hôtel de Ville, le 4 septembre, dans
l'unique pensée d'en interdire l'accès
aux « rouges », et constituent un
gouvernement qu'ils appellent « de
défense nationale » et qui est exclusivement « de défense sociale »la résistance à l'envahisseur dont ils
font leur programme officiel est le
dernier de leurs soucis. Ils n'Ont
qu'une pensée au contraire, d'accord
avec les généraux (depuis que leur
Napoléon n'est plus là) : que l'ordre
règne grâce aux troupes allemandes
victorieuSes. Puis, ce sera l'incident
abject de la Commune. Mais M. Thiers
est au pouvoir et les mêmes généraux, qu'on avait vus inertes .et languides pendant le siège, pleins d'exécration pour Gambetta et sa résistance en province, se retrouvent, martiaux à ravir, requinqués, fulgurants
pour l'autre siège, le vrai, le bon, celui qu'ils dirigent maintenant contre
les prolétaires de Paris.
-
- Quelques mains
La semaine sanglante du mai 1871.
La grande, la formidable saignée
salutaire. On vous _les a dressés, ces
revendicateurs, à qui les journées de
juin n'avaient pas suffi ! L'Eden se
reconstitue, et c'est la III" -République, caractérisée par l'entrée en
force dans la politique de la petite
bourgeoisie anticléricale, tandis que
la grande bourgeoisie aristocratique
se partage les hauts postes, de la présidence de Suez à celle de la répu-:
blique, des Jockey Club à l'état-major et de la Cour des comptes au
comité des Forges.
A toi, lecteur, de poursuivre, avec
tes souvenirs vécus et les yeux ouverts. Mais je voudrais finir par une
citation, bien remarquable, de François Mauriac. On en trouvera le
texte dans son « Bloc-Notes » du
23 septembre 1966-; je me bornerai
à le transcrire, pour le livrer à vos
réflexions : •
« Un ami m'écrivait cet été qu'il
avait voté blanc aux élections présidentielles, quoiqu'il admire de Gaulle,
mais il lui en veut de ne nous avoir
pas délivrés des « puissances d'argent »1 ee que de Gaulle n'a pas fait,
ce qu'il ne dépend pas de lui de faire,
c'est' d'obliger &lâcher prise ces quelques mains, oui, ce p,etit nombre de
mains qui tiennent les commandes
secrètes, et qui assurent les profits
immenses de quelques-uns, et qui font
de chacun de nous [...] les têtes d'un
troupeau exploitable, et exploité. »
par Alain Touraine 29f
coll. Jean Moulin 15 f
C.Q.F.D.
Page 6 10 juillet 1968
HENRI GUILLEMIN