3 questions à Benjamin Huybrechts

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3 questions à Benjamin Huybrechts
Le 15e jour du mois, mensuel de l'Université de Liège
Octobre 2008 /177
3 questions à Benjamin Huybrechts
Le commerce équitable
Benjamin Huybrechts est doctorant au Centre d'économie sociale de HEC-ULg, membre du réseau
international de chercheurs sur le commerce équitable "Fairness".
Photo: ULg - Jean-Louis Wertz
Depuis cinq ans déjà, le collectif Tempo Color fait vivre la ville de Liège au son du commerce équitable.
Juste avant la nuit festive de clôture (The Night you change), un colloque se tiendra à l'université de Liège
le vendredi 10 octobre. Elargissant le concept de départ, celui-ci est intitulé "Et si l'économie était sociale ?"
Parmi les intervenants, le Pr Jacques Defourny et Benjamen Huybrechts.
Qu'est-ce que le commerce équitable ? Malgré une définition internationale et l'existence d'un label, les
pratiques auxquelles il renvoie sont multiples. De manière générale, on peut dire que le commerce équitable
est à la fois un mouvement social et un partenariat commercial dont l'objectif est d'améliorer les conditions
de travail des producteurs - agriculteurs ou artisans - des pays en voie de développement. L'ambition
des tenants de ce nouveau type de commerce est de constituer de nouvelles filières de production et
de distribution basées sur des normes sociales, économiques et environnementales propres. Parmi les
critères qui caractérisent ces filières, il y a en premier lieu le paiement aux producteurs d'un prix fixe,
généralement supérieur à celui du marché car il tente d'intégrer les coûts de production extra-économiques
(humains, sociaux, environnementaux, etc.). Ensuite, on retrouve d'autres critères tels qu'un préfinancement
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Le 15e jour du mois, mensuel de l'Université de Liège
partiel des commandes, la garantie d'un partenariat à long terme ou encore le financement de projets de
développement ou d'amélioration des infrastructures.
Benjamin Huybrechts réalise une thèse sur les entreprises insérées dans le commerce équitable et la façon
dont elles intègrent en interne les objectifs économiques, sociaux et politiques du commerce équitable. Son
étude l'a conduit aussi hors de nos frontières, à Rome, Londres et Lyon.
Le 15e jour du mois : Le commerce équitable a bientôt 40 ans. L'âge de la maturité ?
Benjamin Huybrechts : L'âge du succès ! Phénomène confidentiel jusque dans les années 90, il a
évolué graduellement vers une reconnaissance, puis vers une notoriété exceptionnelle. La filière s'est
professionnalisée, la qualité des produits et la chaîne de distribution se sont considérablement améliorées.
Depuis l'apparition des labels à la fin des années 80 (par exemple, "Max Havelaar" en Belgique et dans
d'autres pays) et la diffusion des produits équitables dans la grande distribution, les parts de marché ont
fait un bond spectaculaire. En Belgique, si celles-ci n'atteignent pas encore celles d'autres pays comme
la Suisse (où une banane sur deux est estampillée "Max Havelaar"), elles sont tout de même en forte
augmentation. Selon le dernier rapport réalisé à la demande du "Fair Trade Centre", les parts de marché
atteignent 2% pour le café, 6% pour la banane et 7% pour le miel. Au niveau mondial, les ventes de produits
certifiés équitables représentaient près de 1600 milliards d'euros en 2006. On estime ainsi que près de 1,5
million de producteurs et travailleurs défavorisés bénéficient directement du commerce équitable.
La présence de ces produits dans les rayons des supermarchés ne fait toutefois pas l'unanimité parmi
les praticiens du commerce équitable, notamment en France et en Italie. Tout comme pour l'économie
sociale en général, de vifs débats opposent un courant "réformiste", adepte d'un commerce équitable
susceptible d'"humaniser" le capitalisme par l'intérieur, et un courant plus radical et politique, estimant qu'il
doit constituer une véritable alternative au capitalisme.
Le 15e jour : L'essor du commerce équitable a-t-il eu des conséquences sur les organisations ellesmêmes ?
B.H. : Le paysage organisationnel s'est progressivement diversifié au cours de ces dernières années. Alors
que les pionniers du mouvement (Oxfam, Miel Maya, Fair Trade Organisatie, etc.) étaient relativement
homogènes, avec des structures associatives, de nombreux bénévoles et des points de vente spécialisés
- les "Magasins du monde" -, le développement économique du secteur a fortement modifié le paysage
organisationnel. Les acteurs pionniers se sont professionnalisés, recourant davantage au travail salarié et
investissant dans la qualité des produits et dans des stratégies de marketing. Certains ont ainsi développé
des gammes de produits attrayantes, notamment pour la grande distribution. Ensuite, de nombreuses
petites entreprises sont apparues, souvent ciblées sur un produit particulier (le vin, les vêtements, etc.) ou
un canal de distribution spécifique (ventes sur internet, B2B, etc.).
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Le 15e jour du mois, mensuel de l'Université de Liège
Malgré la faillite récente de Citizen Dream, un réseau de magasins d'artisanat équitable, ces entreprises
continuent à se multiplier en Belgique. Par conséquent, le paysage se diversifie de plus en plus et inclut des
organisations hybrides, à la fois entreprises, ONG de développement et vecteurs de sensibilisation. Afin de
coordonner et de soutenir toutes ces organisations, une fédération est en train de se constituer en Belgique
francophone, avec le soutien du ministre Jean-Claude Marcourt. Enfin, suite à l'émergence de labels moins
exigeants mais se revendiquant de la même démarche, les acteurs du commerce équitable ont interpellé les
pouvoirs publics pour qu'ils légifèrent en la matière en définissant légalement le concept et/ou ses acteurs.
Le 15e jour : Le colloque lors du Tempo Color aborde les relations de travail dans l'économie sociale :
dans quelle mesure les organisations qui ont pour but le commerce équitable appliquent-elles, chez elles,
ses principes ?
B.H. : A l'instar des organisations d'économie sociale, les entreprises de commerce équitable prétendent
appliquer en interne les principes qu'elles prônent par rapport aux producteurs du Sud. Dans la réalité, s'il
y a une grande diversité des pratiques, certaines particularités sont communément observées. D'abord,
on note souvent une participation démocratique forte des employés à la vie de l'entreprise. Ensuite, la
motivation du personnel, nourrie par un idéal "solidaire", est souvent très grande. Tant les entrepreneurs
que de nombreux employés recherchent un projet alternatif qui "fait sens" et pour lequel ils n'hésitent pas
à s'investir totalement. Enfin, les salaires ne sont guère élevés alors que les heures supplémentaires sont
légion et souvent bénévoles. De manière générale, on voit apparaître des pratiques organisationnelles
très innovantes (en termes de statuts juridiques, d'architecture organisationnelle et de gouvernance) pour
gérer les multiples défis - économiques, sociaux, environnementaux - inhérents au concept ambitieux de
commerce équitable.
Propos recueillis par Patricia Janssens
Et si l'économie était sociale ?
Colloque organisé par Tempo Color.
Avec la participation du Pr Jacques Defourny et de Benjamin Huybrechts (ULg) ainsi que celle de Salvatore
Vetro (association Terre), de Jean-François Ramquet (FGTB), de Matthieu Hely (sociologue, IDHE-Paris
X) et Jean-Claude Marcourt, ministre de l'Economie, de l'Emploi, du Commerce extérieur de la Région
wallonne.
Salle G. Kurth (le matin) et salle Gothot (l'après-midi), place du 20-Août 7, 4000 Liège.
Contacts : réservation au tél. 04.232.70.58, courriel [email protected], site www.tempocolor.be
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