une nouvelle classe ouvrière

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une nouvelle classe ouvrière
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UNE NOUVELLE
CLASSE OUVRIÈRE
Au cours des Trente Glorieuses, la question ouvrière occupe une place centrale dans l’histoire sociale de la France. Mais la crise des années 1970
entraîne une forte baisse des effectifs ouvriers. Doit-on alors parler de la fin
de la classe ouvrière ?
LA FORMATION DE LA CLASSE OUVRIÈRE
Traditionnellement on regroupe dans la classe ouvrière, au sens de Marx (voir la fiche
20), les ouvriers de la grande industrie.
q La diversité des origines
Repères
Or, ce prolétariat reste, en nombre,
e
minoritaire jusqu’à la fin du XIX siècle. Ces
1791 : la loi Le Chapelier interdit aux
ouvriers travaillent dans de grandes entreouvriers la grève, le droit d’association
prises, surtout dans la branche textile, et
et de coalition.
connaissent des conditions de vie très diffi1832 : la première coopérative ouvrière
ciles dénoncées par quelques philande production, « l’Association des ouvriers bijoutiers en doré », est créée.
thropes bourgeois, tels que Louis-René
1848-1870 : différentes formes d’asVillermé dont l’enquête est à l’origine du
sociation apparaissent.
« mythe prolétarien », que Marx entretien1876 : le premier congrès ouvrier se
dra dans son œuvre. Ce prolétariat est soutient à Paris.
mis à la machine qui lui impose des
1884 : la loi du 21 mars autorise les
cadences infernales pour un salaire très
syndicats professionnels.
faible. De plus, la concentration dans les
centres urbains accentue la misère d’une
population déracinée, surtout composée d’hommes, vivant dans des conditions d’hygiène
et de santé très précaires, expliquant ainsi la forte mortalité dans les quartiers populaires.
Cependant, tous les ouvriers ne peuvent être assimilés au prolétariat. Un grand nombre
d’entre eux restent des ruraux qui peuvent travailler pour un marchand-fabricant, ou plus
simplement des artisans, sans oublier les ouvriers agricoles. Ainsi, au XIXe siècle, l’ouvrier
type est plus proche de l’artisan ou du compagnon de l’Ancien Régime.
q La formation du mouvement ouvrier
Les représentations de la classe ouvrière sont intimement liées au mouvement ouvrier
qui commence à se constituer à la fin du siècle dernier. En effet, la création d’organisations
syndicales et leur reconnaissance en 1884 permet d’unifier la classe ouvrière. De plus, la
France, entre 1900 et 1930, connaît une très forte expansion de son industrie. La rationalisation du travail provoque la fin des qualifications traditionnelles et l’émergence de l’OS
(ouvrier spécialisé), qui représentera l’archétype de l’ouvrier après 1945.
Les grèves de 1936 marquent l’irruption de la classe ouvrière dans la vie politique et
sociale. Organisée par un syndicalisme de masse et le Parti communiste français, celle-ci est
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enfin reconnue comme une composante à part entière de la société. La Seconde Guerre
mondiale renforce sa position, d’autant plus que le développement industriel s’accélère.
LA FIN DE LA CLASSE OUVRIÈRE ?
La classe ouvrière avait résisté, en se recomposant, à la crise des années 1930. Mais
les années 1970, caractérisées par un véritable processus de désindustrialisation, semblent sonner le glas de la classe ouvrière.
q Un déclin numérique
En 1975, on recensait en France près de huit millions d’ouvriers, en 2000, un peu plus
de sept millions. Ce sont surtout les « bastions ouvriers », comme le charbonnage, la
sidérurgie, le textile, qui sont atteints. Au cours des années 1980, les seuls emplois
ouvriers créés le sont dans les PME. Le chômage touche particulièrement une population peu qualifiée qui a tendance à perdre son identité sociale (voir la fiche 37).
q La recomposition de la classe ouvrière
Les évolutions constatées depuis le milieu des années 1970 signifient-elles que la classe
ouvrière est en train de disparaître? Ou n’est-ce pas plutôt une mutation apparue au cours
des années 1930 ? Le prolétariat de la
grande entreprise industrielle n’est plus et
la fermeture de l’usine Renault de
Existe-t-il encore
Billancourt en 1992 en est un symbole.
une classe ouvrière ?
Cependant, il faut nuancer ces affirmations. La classe ouvrière a toujours été
« Oui et non. Il y a encore des millions
hétérogène, avec comme seul point comd’ouvriers – un quart des actifs –, même
mun d’être un salariat d’exécution. S’il y a
s’ils sont devenus quasiment invisibles
sur les scènes médiatique, politique et
moins d’ouvriers, il en reste tout de même
culturelle ; et des traits majeurs de la
sept millions selon le dernier recensement.
condition ouvrière se reproduisent : préDe plus, les employés, devenus le groupe
carité de l’emploi et de l’existence, tranumériquement majoritaire, sont des salavail pénible, pression hiérarchique,
riés dont les conditions de travail et de vie
faibles perspectives de promotion, atteintes à la santé, longévité réduite.
sont très proches de celles des ouvriers.
Mais les grandes concentrations ouDès les années 1960, les jeunes
vrières sont devenues plus rares, et le
ouvriers remettent en cause une culture
sentiment d’appartenance de classe,
communautaire trop conformiste et
notamment celui d’être la classe porteurépressive. Ainsi, la crise n’a fait qu’accése de l’avenir, s’est effondré. ».
lérer un mouvement apparu au cours de
Source : Paul Bouffartigue, propos recueillis par
Xavier Molénat, « Une lutte des classes… sans
la période des Trente Glorieuses. En
classes », Sciences humaines, France 2005,
outre, la baisse du chômage devient un
Hors-série, n° 50, septembre-octobre 2005.
révélateur pour une classe ouvrière qui
retrouve certaines formes d’action collective.
L’année 2000 a été marquée par des conflits violents (les ouvriers licenciés ont
menacé de détruire leur outil de travail), rappelant les origines du mouvement ouvrier
au XIXe siècle.
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