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UNIVERSITE DE PARIS - SORBONNE (PARIS IV)
UFR de Littérature française et comparée
THÈSE
Pour obtenir le grade de
Docteur de l’Université de Paris – Sorbonne (Paris IV)
Discipline : Littérature comparée
Présentée et soutenue publiquement par
Frédéric Sayer
le 23 novembre 2007
Le mythe des villes maudites dans les littératures française, anglaise et américaine du
vingtième siècle
Une esthétique de l’entropie urbaine
Directeurs de thèse
M. le Professeur Pierre Brunel (Université de Paris – Sorbonne)
Dr. Glyn Hambrook (University of Wolverhampton, United Kingdom)
Jury :
Monsieur Pierre Brunel
Monsieur Benjamin Colbert
Monsieur Sylvain Floc’h
Monsieur Glyn Hambrook
Monsieur Pierre-Yves Pétillon
Monsieur Régis Salado.
La ville est un livre. Telle est la métaphore qui travailla et continue de travailler la civilisation en Occident, une
métaphore inclinant à penser les pratiques cultuelles et la lettre qui est inscrite, comme fondatrices des villes. Une
origine que la tradition culturelle n’oublie pas, de l’Antiquité à la Renaissance, faisant s’équivaloir urbanité et
alphabétisation. Maudire la ville, ce serait alors vouloir défaire le talisman protecteur de sa naissance, en l’enserrant
dans une nouvelle gangue de mots, en faire le siège jusqu’à l’asphyxie, pour construire une ville aux remparts toujours
plus hauts, toujours plus sombres, obscurcissant à jamais le ciel, faisant disparaître la fonction d’horizon, générant des
prisons, des système clos et paranoïaques. Ou bien ce serait conjurer la malignité de la civilisation pour retourner à
l’état de nature, ouvrir des brèches lexicales dans ses murailles hautaines, pour que l’œil se fasse transparent en un
Kirghiz1 éblouissement, afin d’atteindre par ces craqûres, le cœur vide du monde. Dans les deux cas, pourtant opposés,
le monde disparaît et avec lui ce qui fait l’humain : mémoire, altérité, signification. La « différance », dirait Derrida.
La parole de l’écrivain qui maudit n’est que l’alluvion de ses autres paroles, plus anciennes, qui forment le
fleuve de la malédiction, car, à la fondation des villes en Occident, il y a toute une pyramide renversée de culpabilité :
la chute, le meurtre (Caïn), l’orgueil (la tour de Babel), la division (la naissance des nations) et le vice (Sodome)2. La
première ville, c’est la Bible qui l’a construite, en noircissant la page vierge de l’espace du désert : la lettre de la Bible,
c’est la première brique de l’histoire, qui veut inscrire au front des villes la marque de l’opprobre3. Mais aussi celle de
l’espoir, figurée en une trajectoire spiralée, presque un ruban de Möbius, reliant à l’infini, par la torsion de son orbe
mystique, l’alpha et l’oméga, la destruction de Babylone et la Jérusalem nouvelle. La Jérusalem céleste incarne la
rénovation de l’idée de civilisation, devenue parfaite, à l’image de son architecte divin, à moins qu’elle n’inspire les
pires cauchemars futurs, quelque chose comme la série : ville minérale, géométrie atemporelle, clôture parfaite, pureté
absolue, organisme congelé, totalitarisme4.
La textualité du monde est plus dangereuse qu’il n’y paraît, puisque l’idée s’y incarne avec la rapidité et la
force que seul autorise un milieu très pur : c’est le cas de l’utopie, qui n’est séparée de la dystopie5 que par une très
frêle et perméable membrane. Mais le plus souvent, la textualité du monde, c’est le seul espace où l’homme puisse
résister, comme dans les souterrains de Chaillot6, en creusant des galeries, des galeries de mots comme celles de Pym
sur l’île de Tsalal7, où la simple existence de l’idée de fiction suffit à conjurer toutes les promesses d’apocalypse. La
fiction fait alors œuvre de résistance et injecte de la néguentropie (sens et mémoire) dans un monde urbain accéléré,
dont la vitesse accrue lui fait courir le risque de la dislocation. Toutes les stratégies d’écriture, du modernisme au
minimalisme en passant par le nouveau roman, sont porteuses d’un sens et d’une mémoire, même celles qui exhibent
leur disparition (l’énorme majorité du corpus). Aucun poème, même le radioactif Waste Land, n’a jamais englouti le
monde dans un spasme. Dire le non-sens et l’impossible mémoire, c’est encore persister dans une humanité
relationnelle, mémorielle et signifiante.
Le corpus se limite aux écrivains du XXe siècle, mais il repose sur les épaules de leurs prédécesseurs du
e
XIX siècle, très portés sur la malédiction urbaine. Les aires géographiques et culturelles de la France, de la GrandeBretagne et des Etats-Unis correspondent à des zones de développement industriel précoce et donc de croissance
urbaine ancienne, ce qui influe considérablement la représentation littéraire. En effet, dans ces trois pays, cette
représentation de la ville se construit sur le socle d’une littérature urbaine déjà constituée (Dickens, Zola, Balzac,
Dreiser, pour ne citer qu’eux8). Malgré le critère discriminant de l’industrialisation précoce et de la préexistence d’une
littérature urbaine qui en fasse état, il aurait été possible d’intégrer l’Allemagne à ce corpus et surtout la représentation
de Berlin, mais la problématique historique des guerres mondiales aurait, dans ce cas précis, obturé tout le champ, tant
elle nécessite de développements spécifiques. Par ailleurs, cette problématique est déjà bien illustrée dans le présent
corpus (le traumatisme des consciences de la Grande Guerre chez Proust, Eliot, Céline 9 , la littérature dystopique
inspirée des régimes totalitaires10, la problématique du postmodernisme comme esthétique consécutive au trou noir de
la shoah11).
Bien que le chapitre IV soit exclusivement consacré à la poésie moderniste et que le chapitre II offre un
panorama du mythe romantique et décadent de la ville maudite en poésie, il faut bien reconnaître la proportion élevée
de romans dans le corpus. C’est que le roman figure par excellence un genre profane, « détragédifié » 12 . La
psychologisation et la rationalisation du mythe signent le passage au roman, qui vient alors prêter le flanc à la
transformation des symboles en idoles13. Or, précisément, le propre des villes maudites de la Bible, c’était, entre autres
crimes, de produire des idoles, des faux-dieux. Les œuvres du corpus engrangeraient alors une création idolâtre,
comme le projet architectural aberrant des immortels de « La Cité des Immortels » de Borges. Interroger la paradoxale
permanence d’un mythe dans un univers profane, revient à poser la question des liens qui unissent le roman au mythe :
il s’agit là encore d’une problématique supplémentaire.
1
L’adjectif est emprunté à Thomas Pynchon, Gravity’s Rainbow, The Viking Press, New York, 1973. De manière générale, la thématique du
flash ou du cri organise une proportion élevée du corpus.
Se reporter au chapitre I, 2.
3
Cette marque de Caïn deviendra, dans The Scarlet Letter (1850) de N. Hawthorne, la lettre « A » que l’adultérine Hester Prynne brode sur
son habit.
4
D.H. Lawrence, Apocalypse (1931), préface de Fanny et Gilles Deleuze, Balland, Paris, 1978, p. 25.
5
Se reporter au chapitre VI : « Les cités dystopiques des littératures de genre ».
6
Se reporter à La Jetée (1962) de Chris Marker.
7
Edgar Allan Poe, The Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket, New York, 1838.
8
Se reporter au chapitre II.3.
9
Se reporter respectivement aux chapitres III, IV et V.
10
Se reporter au chapitre VI.
11
Se reporter à la fin de l’introduction.
12
Jean-Louis Backès, « Mythe et idéologie » dans Mythes, images, représentations, Actes du XIVe congrès de la SFLGC.
13
Paul Ricœur, De l’interprétation. Essai sur Freud, au Seuil, 1965, pp. 508-516.
2
1
Le chapitre I détaille les interprétations possibles de l’Apocalypse de Jean. Grâce à la charpente des
différentes théories du mythe, la conclusion est avancée que le sens ultime de la constellation des mythes bibliques des
villes maudites, c’est le réagencement de l’idée de nature. Comme l’a montré Northrop Frye14, l’idée de nature déchoit
dans l’Apocalypse du rang de contenant, presque transcendant, à celui de contenu 15 . Le cosmos païen doit être
absolument domestiqué ; or la malédiction des villes comme Babylone, Sodome, Gomorrhe, Tyr, Ninive, Sidon ne
permet pas d’en faire les instruments de cette domestication, puisqu’elle tend à les détruire. Il faut que l’Histoire
traverse des villes ravagées pour que le séjour futur puisse être une ville, d’essence divine cette fois. Et le but latent de
la démonstration, ce serait de lutter contre le paganisme cosmologique et contre celui de Rome tout particulièrement,
comme l’analyse Gilles Deleuze.
Une grande partie du chapitre II est consacrée à l’analyse de « l’Enclos du Seigneur » des premières
colonies américaines. Le cadastre de l’enceinte signifie la domestication de la sauvagerie du monde, notamment
indienne. C’est la ligne spirituelle qui désincarne l’espace pour en faire un royaume de l’esprit16. La nouvelle terre
promise appelle une nouvelle alliance et l’attente anxieuse d’une nouvelle Jérusalem : c’est notamment le cas des
Mormons qui sont post-millénaristes et attendent la fin du monde. Par ailleurs, le genre apocalyptique ainsi que les
sermons sur le déclin étaient très populaires au XVIIe et XVIIIe siècle, au point que la littérature américaine tout
entière semble marquée par l’eschatologie. Le cadastre puritain, c’est alors non seulement le tracé en damier des
premières villes américaines, mais c’est aussi la grille intérieure, une forme de contention spirituelle et d’attention aux
signes de l’au-delà, annonciateurs de l’imminence apocalyptique. Ainsi, les plans d’urbanismes recoupent une lecture
apocalyptique du monde : c’est d’autant plus patent qu’une ville comme Los Angeles, à l’origine conçue comme un
idéal transcendantaliste (chaque citoyen dans une maison pavillonnaire au milieu de sa parcelle) s’est transformée en
cauchemar postmoderne. Le cadastre puritain a muté en grille d’autoroutes17, dédiées à la dissolution de l’individu
dans un flot de bulles autistiques : une communauté disjointe et déterritorialisée. La capitale des simulacres semble
entériner une apocalypse du sens, qui n’est rien d’autre que l’anti-Babel de la nouvelle Pentecôte18.
Encore faut-il se demander si les Écritures continuent d’influencer la production littéraire du XXe siècle, tant
la foi se fait discrète dans un siècle où l’idée même du « Je » est devenue une illusion synthétique. Comme le prédisait
Yeats, le centre n’a pas tenu, il ne reste que des fragments.
1. “These fragments I have shored against my ruins”19
Étonnamment, la disparition de la gravitation du monde autour d’un centre rejoint la thématique de
l’Apocalypse selon Jean, puisque l’Europe se souvient qu’elle vit sur les restes décomposés de l’empire romain et de
ses propres empires à la sortie de la 1 ère Guerre Mondiale. L’idée de l’inéluctable pourrissement barbare du centre, que
ses membres tentaculaires gangrenés finissent par contaminer, cette idée a fait son chemin : Olivier Rolin s’en
souviendra dans Phénomène futur en mélangeant sophistication et barbarie dans la ville imaginaire d’Ur. Si l’on suit le
raisonnement d’Edward Gibbon dans The History of the Decline and Fall of the Roman Empire (1776-1789), Rome
s’est alanguie, féminine, laissant les mercenaires barbares, de plus en plus nombreux, s’acquitter des tâches militaires.
Gibbon reprend la thématique augustinienne de la cité croupissante mais aussi bon nombre d’idées d’une œuvre
similaire de Montesquieu, quoique moins documentée, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de
leur décadence (1721). Par ailleurs, la chute de Rome donne à l’Apocalypse une résonance particulière, celle d’une
réminiscence qui est aussi une mise en garde, car chaque civilisation se souviendra qu’elle est précaire, surtout au XXe
siècle avec la dislocation des empires austro-hongrois et, plus tard, britannique. C’est le sens de la méthode mythique
de T.S Eliot, qui fait s’équivaloir, dans un ciel violet, Londres, Athènes, Alexandrie, Vienne et la mouvante Jérusalem
céleste.20
Contrairement aux décadents qui maudissent le poids du passé, T. S. Eliot subtilise l’idée de culture. Pour les
décadents, Paris et Londres sont asphyxiées par l’hypertrophie culturelle, elles pourrissent sur place sous l’effet des
vapeurs toxiques d’un trop plein de civilisation. Pour T. S. Eliot, la civilisation s’est momifiée : elle est une outre vide.
L’écrasement des perspectives historiques est volontaire : la ville-palimpseste est un vivant symbole d’une mémoire
qui exclut l’homme. Le projet moderniste et formaliste peut s’entendre comme une vaste entreprise de
dépersonnalisation. Il s’agit, pour T.S. Eliot, de faire entendre la terrible contemporanéité des couches du passé qui
semblent, pourtant, se périmer au contact d’un monde moderne, baigné par « l’inexplicable éclat de leurs ors
d’Ionie. »21. Un monde moderne que Marc Chénetier décrit avec un certain pessimisme. 22 Cette idée que l’apocalypse a
déjà eu lieu, est très complexe, car elle est partiellement mensongère. En effet, un écrivain comme T. S. Eliot fait
advenir le monde à sa propre déréliction, de manière presque volontariste : les débris de la culture sont à la fois la
14
Northrop Frye, Anatomy of Criticism : Four essays, Princeton : Princeton University Press, 1973, p. 119.
Se reporter la généralisation des interprétations du chapitre I,3.1 « La symbolique du mal » et I,3.2 : « La symbolique biblique de la ville ».
16
Le thème de la ligne de partage abstraite constitue par ailleurs le cadre d’un roman récent de Thomas Pynchon, Mason & Dixon, Henri
Holt & Co, New York, 1997.
17
Se reporter à II 5.2. : « Los Angeles : une grille d’autoroutes qui fait rêver la planète ».
18
Il est intéressant de noter que le feu est largement connoté positivement dans la Bible, puisqu’il permet la purification et manifeste la
présence divine (théophanie), notamment lors de l’épisode du buisson ardent. D’une manière plus générale, le champ lexical de la blancheur
ou de la vive clarté y est associé, ce que l’on retrouve dans le terme Whitsun, (White Sunday en vieil anglais) qui signifie « Pentecôte ».
19
T.S. Eliot, The Waste Land , op. cit., v. 430.
20
The Waste Land, op. cit., v. 371-6.
21
Ibid., v.261-5 : « Inexplicable splendour of Ionian white and gold ». Pour de plus amples développements, se reporter au chapitre IV,
intitulé : « La dévastation poétique ».
22
Marc Chénetier, Au-delà du soupçon, Le Seuil, 1989, p. 163.
15
2
matière première du poème et son produit fini. Le décentrement du sujet en passe par le dogme formaliste, un véritable
manifeste de la déshérence culturelle : une poésie sans sujet, qui devient hallucination objective de la culture. Quel est
le statut de la ville maudite dans cette crise de la culture ? Cette malédiction ne peut plus être considérée comme
orthodoxe, car le texte biblique n’a pas plus d’importance qu’un article de journal, emporté par le vent, dans une rue
sale. La clef de voûte du sacré a lâché23.
Les gravats du monde, ce sont aussi ceux de la subjectivité : les myriades de mouvements de la sensibilité qui
s’écoule en un flot, continu de loin, et parfaitement discontinu de près. Proust et Virginia Woolf ne l’ont que trop bien
montré 24 . Le sujet moderne tend alors à se dissoudre dans ce flot de sensations que constitue la ville. Il atteint,
aphasique, le coeur de la lumière, le « soleil noir de la mélancolie » : « Je regardais au cœur de la lumière, du
silence »25. Le sujet lyrique n’a plus qu’à se raccrocher au radeau de la fonction orphique du langage. Il joue à un
puzzle où toutes les pièces sont noires ou blanches, tentant en vain de deviner les originaux des objets, dont il n’a plus
accès qu’aux ombres. La lecture orphique de The Waste Land continue alors à faire du labyrinthe de Londres un
pentagramme mystique26. Dans le cas d’Ulysses de Joyce, la conscience accepte également l’éclatement, elle se laisse
aussi envahir par le flot urbain mais en retour, elle innerve la capitale dublinoise de sa propre mythologie personnelle,
notamment le fantasme « de la nouvelle Bloomusalem »27. Une ultime conséquence esthétique du décentrement du
sujet donnerait naissance aux univers abstraits de Kafka. 28
Évidemment, plus on progresse dans l’abstraction, plus l’univers urbain est difficile à synthétiser sous
quelque possession démoniaque, à moins d’enclencher une écriture parodique qui se défait elle-même (ce qui sera
précisément l’option que choisira l’esthétique postmoderne quelques dizaines d’années plus tard). Cependant, la
référence parodique n’est pas même nécessaire, car la disparition du folklore infernal n’empêche pas la suggestion
indirecte d’une malédiction à bas bruit. Chez Kafka, la malédiction se fait sourde émanation de l’inhumain qui sécrète
la ville (et non l’inverse). Chez Burroughs, elle prend la forme d’un virus humain encodé en nous, prolifération
cancéreuse des cellules bureaucratiques et parasitage de la conscience29. Chez Houellebecq, elle est poétique du néant30.
Dans tous les cas, le nœud de la malédiction urbaine devient conjectural : il n’en est pas moins puissant. De même que
l’insoluble énigme d’un labyrinthe n’empêche pas celui qui s’y aventure, d’errer sans fin. L’image du labyrinthe n’est
pas innocente : elle est celle qui figure le mieux la forme mouvante de la ville et son énergie entropique.
2. De l’Aleph au zéro : la métaphore entropique
Le concept d’entropie se définit en sciences comme les règles physiques conduisant un système mécanique à
se dérégler de manière croissante jusqu’à atteindre un point critique d’immobilité (disparition du frottement,
hypothétique heat death). La règle d’entropie a depuis longtemps été traduite en sciences humaines pour illustrer –
plus que démontrer – l’idée de décadence de la société ; Spengler et Henry Adams furent les plus influents à
promulguer cette idée. Dans City of Words, Tony Tanner consacre son sixième chapitre, intitulé « Everything Running
Down » à cette notion d’entropie. Il y remarque que l’équilibre (entropie zéro) n’est possible en physique, que dans un
milieu parfaitement clos : cette loi est inverse dans la plupart des fictions américaines, où l’entropie s’accélère quand
une force s’exerce pour maintenir l’ordre ancien. Les forteresses du moi, de la tradition et du langage finissent par
céder brutalement, comme un barrage sous pression. C’est notamment le cas du grand écrivain vieillissant Aschenbach
dans La Mort à Venise, dont l’œuvre de toute une vie et le système platonicien qu’il y avait convoqué, se désagrègent
d’un coup, victimes de l’irradiation noire de Dionysos plus que de l’innocent Tadzio, lors d’un cauchemar orgiaque31.
Toujours dans le 6 e chapitre de City of Words, Tony Tanner remarque l’inversion des catégories organiques et
mécaniques que provoque cette prédisposition ancienne de la littérature à s’écrire selon la métaphore entropique, une
prédisposition qu’il fait remonter à Dickens.32
L’entropie devient donc au XXe siècle un moyen esthétique pour figer en un concept – une formule maligne,
si l’on veut – la mouvante cinétique urbaine. C’est le cas des romans modernistes et de Manhattan Transfer en
particulier qui peut être entièrement lu comme un jeu de balanciers, où les personnages figurent de vivantes pièces,
dans l’engrenage d’une machine géante, que l’on appelle New York33.
Les lois d’entropie concernent également les théories de l’information à partir des années soixante34. Relier
l’urbain et l’entropie est alors évident et nécessaire, tant la mégalopole est ce lieu où culminent les échanges
d’information et la production de signes, grâce à la promiscuité des zones urbaines et à leur concentration des sources
23
Ibid., p. 215.
Se reporter à III.4.2 : « Saisies parcellaires du personnage proustien ».
The Waste Land, op. cit., v. 41 : “Looking into the heart of light, the silence”.
26
C’est surtout le cas si l’on examine les épreuves du poème : « London, your people, is bound upon the wheel! ». Se reporter au chapitre
IV.1. « Unreal City : damnation des foule automates ».
27
Se reporter à V.1 : « L’innervation mythique du Dublin de Joyce ».
28
Michel Zéraffa, « Villes démoniaques », op. cit., p. 52.
29
Se reporter à VI. 3 : « La déprogrammation apocalyptique de W.S. Burroughs »
30
Se reporter à X.1 : « La transformation des symboles du mal en signes du vide ».
31
Se reporter au chapitre III. La ville de Venise y est un espace projectif du mal intérieur, par ailleurs incarné sous la forme du choléra, mais
le vrai choléra, c’est le désir.
32
Tony Tanner, City if Words, op. cit., p. 142.
33
Se reporter au chapitre V.3 : « Le montage signifiant de Manhattan Transfer ».
34
Lire au sujet de la théorie du signal : Claude E. Shannon & Warren Weaver, The Mathematical Theory of Communication, University of
Illinois Press, Urbana, 1964.
24
25
3
d’informations. Un climax susceptible de décroissance35, car la densité informationnelle peut aussi être la source d’un
effacement du sujet, perdu dans un flot digestif (se reporter à l’avant-dernière partie de cette introduction :
« L’apocalypse du sens et le cauchemar de la surface ».
L’intérêt du public pour les théories de l’entropie, tant mécanique que cosmologique, informationnelle que
culturelle, est à l’origine de la popularité de la métaphore entropique en littérature, comme le montre l’article d’Eric
Zencey, « Some Brief Speculations on the Popularity of Entropy as Metaphor » 36 . Cette métaphore est tout
particulièrement pertinente à l’endroit des villes au XXe siècle, puisque leur expansion semble infinie, comme celle de
l’Univers. Le prodigieux accroissement des échanges d’énergie et d’information pourrait suggérer que la
désorganisation croissante du système s’est accélérée. La ville propage la métaphore entropique, qui s’exerce à travers
elle : c’est l’effet feedback.
S’intéresser à la physique moderne de type probabiliste (Newton a été supplanté par W. Gibbs depuis
longtemps) n’est pas sans conséquence : cet intérêt se traduit par le probabilisme interprétatif des fictions, notamment
celles de Thomas Pynchon ou de Paul Auster. Par ailleurs, l’enthousiasme pour la conquête spatiale, avec le premier
voyage sur la lune, la mission « Apollo 11 » en 1969, met la théorie du « Big Bang » sous un projecteur. La théorie
du « Big Bang » est comme l’équivalent cosmologique de l’entropie mécanique. L’énergie primordiale, matière
incroyablement dense pourrait être symbolisée, à la lumière des fictions du corpus, par le chiffre 1, la lettre « aleph »,
ou bien Dieu. Après le « Big Bang », l’énergie se disperse en générant une entropie cosmologique : l’univers est
toujours sur sa lancée, en expansion, les étoiles n’étant que les amas incandescents des débris cosmiques. Le zéro
figure un heat death cosmologique, au-delà duquel il n’y a rien, si ce n’est rétraction de la matière en trous noirs ou
transformations des étoiles (après leurs supernovae) en « naines » hyperdenses. Il n’y a rien au-delà du zéro, si ce n’est
le « coeur immobile, dur et vide du monde »37, vers lequel fonce Maria sur l’autoroute de Los Angeles. La même
destination asymptotique hypnotise le héros de Less Than Zero, qui veut se loger à la surface brillante d’un univers
sans âme. Paradoxalement, c’est par l’infiniment petit que l’espace blanc et vide se révèle. Une brèche s’installe à
travers laquelle perce la lumière éblouissante d’une révélation. Il s’agit de la brèche autistique et aphasique, dans
laquelle se logent les locuteurs de The Waste Land, mais aussi le personnage autobiographique de Syvia Plath38 perdu
dans la mer de béton de Manhattan, Quinn devenu clochard dans The New York Trilogy39 , Oedipa Maas guettant une
voix inouïe dans The Crying of Lot 49 ou Tyrone Slothrop scrutant les cris des V2 dans le ciel de Londres bombardée.
Ainsi la ville n’est pas seulement maudite lorsque la destruction est effective : sa malédiction est synonyme d’une
écriture divinatoire, à la recherche des signes (urbains) de l’apocalypse à venir, qui ne sera jamais que celle du signe.
3. « Looking into the heart of light, the silence »40
Le repli autistique s’entend comme une forteresse de silence de l’extérieur, mais à l’intérieur de la craqûre, il
y a comme un saut temporel et langagier, le surgissement d’un hors-langage, rétablissant la langue perdue de Babel.
Les fictions américaines jouent volontiers de cette confusion entre l’effondrement psychique et l’accès à une sorte de
neutralité du monde : c’est le cas de The Crying of Lot 49 mais aussi de The New York Trilogy. L’état d’entropie
maximale fait se rejoindre les bornes temporelles de la Genèse et de l’Apocalypse 41 pour rendre le monde à sa
splendeur originelle. Il abolit la temporalité mais aussi la perspective visuelle, pour ne laisser qu’une surface
hypnotisante, sans profondeur de champ, collée contre un infini ruban de Möbius, qui est peut-être le centre du monde,
l’omphalos tel que le décrit Mircea Eliade ou le concentré de l’univers d’avant le Big Bang, pour les physiciens.
Mais toutes ces passionnantes aventures cosmiques se passent évidemment à l’intérieur de la subjectivité des
personnages : la ville suit un destin parallèle au labyrinthe de l’inconscient. Elle s’en veut alternativement l’écran de
projection et le centre de commande. Le roman hésite alors entre paranoïa et psychose. La lecture paranoïaque de la
ville en fait la réplique maladroite du Paradis, où l’homme se libère, en apparence du moins, des contraintes
matérielles. Il trace la limite entre un intérieur bon et un extérieur malin, dont il guette les signes néfastes à travers les
brèches de la muraille. L’édification des villes essaye de gommer l’exil du paradis en rétablissant « l’Enclos du
Seigneur ».
En ce sens, l’édification d’une ville a toujours quelque chose d’une révolte luciférienne de l’homme : la
concentration de savoir qu’elle propose alourdit encore les charges contre elle. Hantée par le péché originel, la
première ville, Hénochia, édifie ses remparts contre Dieu qui avait condamné Caïn à l’errance. Par ailleurs, l’épisode
de Sodome et Gomorrhe montre que la ville peut être génération d’un ordre inique : plus que le vice, la tradition juive
a gardé, à propos de Sodome et Gomorrhe, la mémoire de l’absence des règles d’hospitalité dans le désert42. Il y a une
jurisprudence hébraïque fondée sur divers passages de la Thora : Nombres, XXXV, 9-32 , Chroniques 6, 42 et 52 et
Josué, 20, 1-9. Maudire Sodome et Gomorrhe, c’est un peu dénoncer l’isolationnisme, la tentative d’herméticité,
35
Se reporter à Norbert Wiener, The Human Use of Human Beings, Cambridge, MA, USA, 1950.
Eric Zencey, « Some Brief Speculations on the Popularity of Entropy as Metaphor » Metaphor and Symbol, Routledge, New York, 1991,
vol. 6, n°1, pp. 47-56.
37
“[…] watching the dead still center of the world, the quintessential intersection of nothing”, Joan Didion, Play It As It Lays, New York,
Pocket Books, 1970, p. 166.
38
Sylvia Plath, The Bell Jar, Heinemann, New York, 1963.
39
Paul Auster, The New York Trilogy, Faber & Faber, New York, 1987.
40
« Je regardais au cœur de la lumière, du silence », T.S. Eliot, The Waste Land (1922), édition bilingue dans Poésie, Le Seuil, coll. Le don
des langues, 1971, v. 41.
41
Les Livres de la Genèse et de l’Apocalypse sont indiqués en italique pour les distinguer des noms communs.
42
Se reporter au chapitre I, 2.3 : « L’épisode de Sodome et Gomorrhe »
36
4
d’homéostasie. La ville est un filtre qui peut protéger des maladies extérieures, mais qui peut aussi se retrouver
assiégée par le mal comme dans La Peste de Camus.
L’édification des murailles équivaut à l’érection de lois contraignantes, d’un ordre rigide, sur le modèle de la
grille puritaine. Or, cet ordre semble augmenter l’entropie, l’exemple de La Mort à Venise a été cité précédemment.
Les excès d’une grammaire trop contraignante (celle de la langue mais aussi la grammaire sociale ou gestuelle) c’est-àdire la coercition à penser dans des termes préétablis, se matérialise concrètement par des bâtiments monstrueux, des
rues géométriques, et le plus souvent, cet illustre symbole du pouvoir absolu, un symbole honni et adoré à travers les
siècles, la pyramide : c’est le cas de la pyramide d’ordures d’Underworld, de celle qui figure sur les billets d’un dollar
selon l’interprétation paranoïaque d’un clochard, c’est la pyramide maya de la « Tyrell Corporation » dans Blade
Runner43, le cube du « Ministère de l’Amour » et la pyramide blanche au centre de Londres dans Nineteen Eighty-Four,
la pyramide égyptienne qui flotte sur New York dans Immortel (Ad Vitam) et enfin la pyramide de la drogue chez
Burroughs. La « speculative fiction », le film d’anticipation et la littérature dystopique interrogent tout
particulièrement l’idée d’une nature humaine que l’on peut programmer (l’exemple le plus célèbre provient de A
Clockwork Orange). L’ordre absolu, c’est le totalitarisme 44 , un ordre homéostatique où l’entropie est nulle ou, à
l’inverse, galopante. Elle est nulle dans Brave New World et dans Alphaville où Godard fait se déployer, dans un Paris
moderne transformé en capitale totalitaire d’une galaxie éloignée, une temporalité figée dans la consécution
perpétuelle d’une logique prédéterminée par un grand ordinateur. Elle est galopante dans Nineteen Eighty-Four ou In
the Country of Last Things de Paul Auster, qui poussent la logique d’obsolescence jusqu’à son point ultime.
Mais la paranoïa peut aussi s’écrire comme une salutaire désorientation de la grille sémiologique : l’extravaguance de l’œil renouvelle la vision d’Emerson et accepte le flot débordant de signes. Le sujet sort des forteresses
anciennes pour se jeter sur la grand-route et embrasser le cosmos. La pyramide renversée de la faute se désagrège dans
l’espace retrouvé. Mais cette grand-route, Walt Whitman la finira dans « un supermarché en Californie », entre les
tomates et les pastèques, aux cotés de Frederico Garcia Lorca45. En poussant un cri (howl), Allen Ginsberg fait tomber
à sa manière la forteresse de la grammaire et de la hiérarchie des villes, tout en restant à New York : l’appropriation de
l’espace devient mentale, le regard est encore paranoïaque, mais au lieu de rester enclos, il se projette sur l’écran du
monde 46 . En fait, il s’agit d’un va-et-vient entre deux positions figurant les dichotomies intérieur/extérieur,
contrôle/errance, ordre/chaos, noir/blanc, 0/1. Comme le résume Pierre-Yves Pétillon dans une tentative pour « fixer
les oscillations des fictions américaines » :
[0] espace blanc et vacant qui de partout me cerne et m’assiège et dont m’aveugle le corrosif éclat, d’être
disloqué par le chaos des impressions éparses, vague déferlante dont ne me protège aucune digue.
1 : enclos grille grammaire soupçon paranoïaque du complot [plot] fiction qui m’englobe
[…] dans cette enclave, mon monde par entropie se dégrade jusqu’à l’étale, information zéro, et c’est à nouveau
la vacance et le chaos, mais dans mon for intérieur cette fois, à huis clos.47
Les mouvements sont donc oscillatoires, l’ordre intérieur se fissurant pour que par cette brèche, se découvre
tout le travail d’érosion de l’entropie. L’extra-vaguance de l’œil ou le bewilderment jamesien sont donc issus du
terreau paranoïaque : ils en sont comme le dépassement dialectique, de même que le transcendantalisme d’Emerson et
de Thoreau sortait l’Amérique du cadastre puritain, même si c’est pour tendre de manière asymptotique vers une
nouvelle Pentecôte aux accents apocalyptiques (c’est le cas dans The Crying of the Lot 49 et The New York Trilogy).
4. Le rêve apollinien de la blancheur : ce que disent les langues de feu
La libre flottaison au gré du chaos mouvant de la ville et de la déferlante de ses signes provoquent la
déliaison du sujet. C’est flagrant pour Less Than Zero où l’écriture déhiérarchisée et comportementaliste veut épouser
le réel sans lui opposer aucun filtre. Mais à force d’amincir la pupille, le soleil de Los Angeles finit par brûler la rétine
et les images surexposées du roman font signe vers cette autre représentation de l’irreprésentable : Hiroshima mon
amour de Duras. L’idée qui veut que nous soyons déjà morts, une idée déjà travaillée par Eliot et Malcolm Lowry,
cette déréliction orphique de l’univers est directement en lien avec la temporalité apocalyptique. Celle-ci rejoint les
bornes extrêmes de l’Histoire. Le rêve apollinien du missile 00000 décrivant l’arc-en-ciel de la gravité jusqu’à
l’Orpheus Theatre de Los Angeles, c’est la vison de ténèbres blanches de l’Apocalypse. On pourrait se la représenter
comme la dernière image d’un film projeté inlassablement. Un peu comme la rémanence en boucle d’une vision
pendant un sommeil hypnagogique. La dernière chose vue avant de sombrer vers l’horizon gris. Quelque chose comme
la premier plan de My Own Private Idaho (1991), où River Phoenix atteint de narcolepsie tombe sur une route perdue
dans l’immensité sauvage de l’Amérique, dernière image, dont il ne se souviendra pas au réveil mais que Gus Van Sant
construit comme le déclencheur de la narcolepsie. Ou bien une sorte de prescience de l’au-delà qui est aussi une
réminiscence de l’enfance. L’autre seuil du néant n’est rien d’autre que la naissance : c’est l’architecture de Citizen
Kane (1941) d’Orson Welles qui fait de la luge « Rosebud » l’archè d’un empire.
43
Se reporter au chapitre VII.
Les univers totalitaires sont une source d’inspiration constante, se reporter au chapitre VI.3.
Allen Ginsberg, “A Supermarket in California”, Howl, (1956), version bilingue : Christian Bourgois, 1977, p. 35.
46
Se reporter au chapitre VII.1 : « Ce cri qui ouvre l’espace : Howl d’Allen Ginsberg ».
47
Pierre-Yves Pétillon, La Grand-route : espace et écriture en Amérique, Le Seuil, 1979, pp. 187-8.
44
45
5
Si l’on reprend le schème de Pierre-Yves Pétillon, passer de 1 à 0 revient à s’engouffrer dans une faille
intérieure pour se révéler à soi-même que l’on est déjà mort. Ce qui vaut pour le sujet, vaut également pour la
civilisation : de New York à l’Egypte des pharaons, il n’y a qu’un pas. La vision d’apocalypse, c’est alors la
rémanence de la naissance de la civilisation, son fulgurant retour, au moment de sombrer dans l’oubli. C’est l’une des
façons de comprendre le retour de l’archaïque à l’endroit des fins dernières. La thématique babélienne de The New
York Trilogy de Paul Auster aboutit à la création d’un univers énigmatique : la civilisation à son comble se transforme
en bruissement sauvage inintelligible. Comme si une prophétie ancienne s’accomplissait là, une forme de retour à
l’archaïque, c’est-à-dire à la naissance de la civilisation. Les signes urbains deviennent alors des hiéroglyphes 48 à
interpréter, comme dans l’œuvre de Don DeLillo, une forme de théorie explicative de la civilisation américaine, un
outremonde [underworld], qui vient doubler et ordonner le chaos apparent.
Le projet de cette littérature du décryptage des réseaux occultes serait alors dans un premier temps de
restituer les signes urbains à leur nature incompréhensible : il s’agirait de les aliéner, de créer un mystère, de
transformer le monde en un écran de projection paranoïaque. De manière quasi concomitante, l’auteur en sortirait
magnifié en décrypteur, mais bien souvent la posture prophétique est désamorcée par le probabilisme interprétatif de
ces oeuvres, inspiré des théories sur l’entropie de Gibbs. L’essentiel réside dans ce qu’il y a de l’autre côté de la jungle,
en amont du fleuve, sur le seuil. A nouveau, l’Apocalypse prend le relais, c’est bien la seule fabrique d’images capable
de concurrencer Hollywood.
L’Apocalypse n’est pas exactement le texte le plus limpide de la Bible : cette somme de visions laisse
l’exégète souvent interdit. La dialectique de l’ombre et de la lumière prend ici une importance considérable. Dans la
Bible et l’Apocalypse, le feu et la lumière sont théophaniques : la colonne ardente, le buisson ardent, les langues de feu
de la Pentecôte, le Christ de feu de l’Apocalypse. La tendance s’inverse aujourd’hui et la lumière devient beaucoup
plus maligne que l’ombre à partir de la deuxième moitié du XXe siècle : c’est ce que sous-entendent les paradigmes de
la pupille brûlée, de l’effrangement des contours des objets. La blancheur de la nouvelle Pentecôte (Whitsun) fait signe
vers la trop vive clarté des cités de cristal de Robespierre et de manière plus inquiétante encore, la structure
géométrique de la minérale Jérusalem céleste peut faire songer au camp d’Auschwitz. Le rêve apollinien est toujours
susceptible de se métamorphoser en cauchemar.
En fait, il existe quatre systèmes mythiques d’explication du mal dans la culture occidentale. Comme le
précise Paul Ricoeur, dans le premier système, le mal tire sa force du « chaos avec lequel lutte l'acte créateur du dieu.
» 49 . Dans le second, « l'idée d'une chute de l'homme » appelle « le thème du salut » et des « représentations
eschatologiques » : « l'événement même de la chute porte tout le poids de cette mythique » du mal « comme la pointe
d'une pyramide renversée »50. Dans un troisième temps, Ricœur analyse la tragédie grecque et « la théologie du dieu
qui tente, aveugle, égare »51. Enfin, « tout à fait en marge de cette triade mythique [...] la philosophie grecque et le
mythe de l'âme exilée »52. Les œuvres du corpus de cette thèse procèdent toutes de l’un ou l’autre de ces systèmes
mythiques, bien qu’aucune n’y adhère véritablement. Le plus représenté est évidemment celui de la chute : la pyramide
inversée qui pèse sur nos têtes, ce n’est pas seulement celle de la culpabilité (l’œuvre de Saul Bellow est exemplaire à
ce sujet 53 ) mais aussi celle des villes, toutes entières destinées à réparer l’expulsion de l’Eden et, ironiquement,
devenues la source de tous nos maux. Cette théologie de la Chute trouve son niveau ultime de complétude dans
l’Apocalypse : pour pouvoir enfermer la nature dans l’enceinte de la ville, pour enclore l’arbre de vie, qui n’est rien
moins que l’Eden, dans la nouvelle Jérusalem, il faut détruire le cosmos païen dans son entier, faire un gigantesque feu
d’artifice païen. Et c’est bien là ce qui excite l’imagination des auteurs du XXe siècle, à commencer par les Américains,
obsédés par le déchiffrement cosmique de leur continent. Le Christ de feu se transforme alors en éblouissement du
désert Mojave. A Zabriskie Point où fonce Maria54, l’espace et le temps s’abolissent mais au moins il n’y a pas de
mouches (les Erinnyes), elles sont toutes restées à Argos, pour rappeler aux hommes leur culpabilité. L’Apocalypse
délivre de la civilisation et du péché qu’elle fait naître, peut-être au prix de transformer l’homme en sujet sans
mémoire, en pure surface neutre, miroitante, indifférente.
5. L’apocalypse du sens et le cauchemar de la surface
L’apocalypse sémiologique procède de plusieurs sources : en premier lieu, la nouvelle Pentecôte rédime la
punition de Babel grâce à une traversée du langage, l’avènement d’un cri. En second lieu, cela recoupe l’étymologie
grecque d’apocalypse comme « découvrement » : la vision ôte leurs ombres aux mots, qui deviennent pleins, la langue
« une » de Babel est retrouvée, parce que le voile du langage a été levé. Cette idée de la pleine lumière sans ombre a
été traduite pendant la deuxième moitié du XXe siècle par la métaphore de la pure surface (et les écritures minimalistes
48
Enki Billal illustre avec force cette idée, en imaginant dans un New York futuriste, la présence d’un vaisseau en forme de pyramide
géostationnaire flottant au-dessus de Central Park : il vient perturber toute l’écologie urbaine.
49
Paul Ricoeur, Philosophie de la volonté – Finitude et culpabilité, Aubier, 1960, t. 2, p. 319 (2 tomes). Ricoeur ajoute quelques lignes plus
tard :"le culte ne peut être qu'un répétition rituelle des combats à l'origine".
50
Ibid, p. 320. C'est bien la symbolique du mal qui prévaut dans The Waste Land : « Et des tours renversées égrenaient dans le ciel », op. cit.,
v. 382.
51
Ibid., p. 320.
52
Ibid., p. 320.
53
Se reporter au chapire VIII.7 : « La pyramide renversée de New York chez Saul Bellow ».
54
Se reporte au chapitre VIII, 2.3. : « Joan Didion et le cœur vide du monde »
6
qui en dérivent). En effet, la surexposition lumineuse gomme relief et profondeur de champ. De nombreuses œuvres
étiquetées postmodernes forment une boule magnétique de limaille culturelle55. Cependant, le corpus ne retiendra que
les œuvres qui, en plus d’opérer une dispersion du sens ou son amalgame indifférencié, envisagent la thématique
apocalyptique. Celle-ci peut s’y lire soit comme les obsessions personnelles du héros (Clay qui imagine brûler la
Valley dans Less Than Zero, Maria qui veut disparaître après son avortement dans Play It As It Lays) soit comme une
thématique historique (les essais nucléaire dans Underworld, celle des missiles nazis et d’Hirsohima dans Gravity’s
Rainbow).
Dans White Noise de Don DeLillo par exemple, l’imagerie populaire et l’apocalypse sémiologique se
mélangent : le thème de l’arasement des signes à la plate surface d’un vernis sémiologique (surface des légumes d’un
supermarché qui ressemblent à l’image idéale du légume parfait, une image programmée par la publicité, soupe
médiatique qui dissout les informations pertinentes dans les mantras des publicités : « Coca cola, c’est ça », etc.) se
mêle à celui du scénario catastrophe bon marché de la contamination d’une petite ville par un nuage toxique (les
informations gouvernementales à ce sujet deviennent tout aussi mensongères que des publicités). Ce mélange rend
d’ailleurs l’analyse des œuvres délicate, tant l’apocalypse devient un thème fétiche pour des auteurs qui s’escriment,
dans le même mouvement, à lui ôter toute pertinence. L’apocalypse est à chercher ailleurs, elle n’est plus physique,
mécanique ou organique, mais sémiologique : le sens devenu surface réfléchissante sur laquelle glisse le logos, jusqu’à
l’affolement ou la transfiguration. Le feu d’artifice de la destruction concrète a de beaux restes, mais il est souvent
entendu de manière ironique, comme s’il s’agissait d’une référence supplémentaire, susceptible d’être moquée ou
déconstruite, selon diverses techniques littéraires postmodernes, fondées sur la parodie notamment56.
La clef de l’apocalypse sémiologique, c’est l’entropie informationnelle. Si l’on conçoit véritablement la ville
comme texte (signes publicitaires ou radiophoniques, courrier, paroles échangées, société de la communication),
l’entropie informationnelle maximale aboutit à la ruine de la ville. Les théories de l’information insistent beaucoup sur
la très grande entropie du cliché : or, la malédiction est un cliché. Plus le message est pauvre, plus son interprétation
sera erratique. En outre, l’entropie forte du cliché est croissante, puisqu’il se propage rapidement, par la télévision
notamment, selon un effet feed back (rétroactif) sur la source57. C’est là le pouvoir de la culture de masse, capable de
façonner le monde à son image.
Cette dernière assertion constitue la pierre d’angle de l’exploration philosophique de l’Amérique par
Baudrillard. Son investigation de l’espace californien lui révèle une inversion de l’ordre « naturel » de la
représentation urbaine, puisque les villes se construisent autour d’un supermarché ou selon un plan préconçu, une
matrice abstraite qui fait de l’emprunt son régime de production, à l’image des parcs d’attractions « Disney » ou de
Las Vegas. Mais, c’est surtout la télévision qui influence le plus ses analyses. Dans « La précession du simulacre »
(1981), Baudrillard dénonce le travail apocalyptique de la télévision. Il écrit à propos d’un show de télé-réalité qui met
en scène une famille américaine standard :
Héroïne idéale de l’American way of life, elle est, comme dans les sacrifices antiques, choisie pour être
exaltée et mourir sous les feux du medium, moderne fatum. Car le feu du ciel ne tombe plus sur les cités
corrompues, c’est l’objectif qui vient découper comme un laser la réalité vécue pour la mettre à mort.58
Le feu du ciel, c’est l’objectif de la caméra : Baudrillard parlera de « la joie molochienne du tournage » à
propos de la réalisation semée d’embûches d’Apocalypse Now de F.S. Coppola. La télévision vient broyer le réel et le
recomposer selon des schémas prédéterminés pour finir par donner en pâture à un public docile et programmé, une
version fantomale du réel. En ce sens, Baudrillard fait sienne les théories plus anciennes de Marshall McLuhan qui
affirment la disparition du message au profit du medium : la télévision ne dit rien d’autre qu’elle-même, c’est-à-dire
qu’elle est une vision d’ubiquité. C’est l’œil indifférent, qui vous regarde dans chaque foyer. Un extrait de White Noise
de Don DeLillo éclaire cette fonction liturgique de la télévision :
“Waves and radiation” he said. “I’ve come to understand that the medium is primal force in the American
home. Sealed-off, timeless, self-contained, self-referring. It’s like a myth being born right there in our livingroom, like something we know in a dream-like preconscious way.” 59
Dans un autre article, Baudrillard émet l’hypothèse que toute information est entropique par définition, ce qui
est une conséquence directe de la confusion du message et du medium. La « catastrophe du sens », c’est alors l’alliage
impur du réel et de sa version fantomale, ce que dénonçait déjà vingt-cinq années auparavant Günther Anders, dans
L’obsolescence de l’homme – Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle (1956), dont la première
partie porte le titre éloquent du « monde comme fantôme et comme matrice – Considérations philosophiques sur la
55
Donald Barthelme, par exemple, fait du rapiéçage son mode de production, il s’inspire de l’art brut pour construire de véritables
tours de Watts textuelles.
56
Se reporter à la fin de cette introduction.
57
Se reporter à Claude E. Shannon & Warren Weaver, The Mathematical Theory of Communication, University of Illinois Press, Urbana,
1964 et à Norbert Wiener, The Human Use of Human Beings, Cambridge, MA, USA, 1950.
58
Jean Baudrillard, « La précession du simulacre », Simulacres et Simulation, éditions Galilée, 1981, p. 50.
59
Don DeLillo, White Noise, (1984), Picador, London, 1985, p. 51, trad. française : Bruit de fond, Stock, coll. Babel, Paris, 1986, pp. 80-1 :
« Ondes et radiations, dit-il. J’ai fini par comprendre que la télévision est une force primordiale dans les foyers américains. Isolée, hors du
temps, libre, complète et fermée. C’est comme si un mythe prenait naissance juste là, dans notre salon, quelque chose qui ressemble à un
rêve, une image de l’inconscient.»
7
télévision et la radio ». L’influence de la télévision sur la fiction américaine 60 est essentielle : Saul Bellow dans
Herzog, Don DeLillo dans Underworld et White Noise, mais aussi Thomas Pynchon dans toute son œuvre, Paul Auster
dans Leviathan et surtout William Burroughs parlent de la télévision. Ils décrivent cette matrice fantomatique, non pas
à la manière du paradoxe d’Oscar Wilde qui veut que la nature imite l’art, mais plutôt comme une énorme caisse de
résonance de pensées parasites. Le parasitage des médias a pour corollaire l’hégémonie outre-Atlantique de la
psychologie comportementaliste et du behaviorism. L’idée des enveloppes creuses des hommes, remplies de paille
médiatique, a fait son chemin depuis T. S. Eliot pour devenir pure surface.
La littérature française illustre cette idée à sa manière aristocrate, en insistant sur la ritualisation : Topologie
d’une cité fantôme de Robbe-Grillet mais surtout Rose Poussière de Jean-Jacques Schuhl donnent vie à des statues et
des automates.61 Robbe-Grillet ressasse le scénario pervers du sacrifice d’une jeune fille dans une cité anéantie, tandis
que Jean-Jacques Schuhl commente les anamorphoses des capitales, le Berlin des années vingt métamorphosé en
Swinging London, les groupes de rock et leurs fans, se ressemblant tous de plus en plus vite, reproduisant avec une
discipline militaire des gestes étudiés, posant sur le monde un regard neutre, devenant surface lisse, « merveilles
glacées ». 62 L’intérêt du roman tient à ce qu’il aborde l’ethos urbain sous une lumière rare : la ritualisation extrême des
attitudes et la discipline corporelle s’inscrivent dans l’éphémère contrainte de la mode, qui est comme la négation de
tout symbole mémoriel. Un peu comme dans Phénomène futur d’Olivier Rolin, l’amène urbanité qui distinguait
l’homme des villes du paysan rustique et mal dégrossi, s’est transformée en fétichisme barbare, en sombre idolâtrie de
la surface, car l’idole n’est pas seulement le dieu représenté mais la statue elle-même. Si la codification de la vie
sociale était au début du XXe siècle le fruit d’un système encore hiérarchisé, strates pyramidales de normes
contraignantes, elles ne sont plus dans la Londres des années soixante, qu’une forme vide et changeante, s’exerçant
avec la même tyrannie que par le passé, mais sans aucune justification idéologique ou religieuse. La pyramide inversée
est devenue mouvement centrifuge.
Au XXIe siècle, à l’époque des médias « im-médiats » comme Internet, avec la prolifération des réseaux
téléphoniques et wi-fi, l’homme moderne a l’illusion d’une ubiquité complète. Le cyberspace est devenu une réalité qui
a des conséquences sur l’urbanisation, puisque les petites villes et même les campagnes sont connectées à cette matrice
informationnelle. Les villes sont devenues de plates surfaces d’interconnections globales : la ville est déterritorialisée,
ses pratiques culturelles ont conquis la planète. Le roman se fait alors aussi plate surface comme ceux de Jean Echenoz,
qui disent la reproductibilité d’un espace non seulement étiré spatialement mais aussi sémantiquement neutre,
recouvert d’un film plastique. La stratification verticale n’est plus actuelle, non pas au sens architectural (il suffit, pour
s’en convaincre, de prendre connaissance du projet pharaonique de la reconstruction de Ground Zero six années après
la destruction des tours jumelles, une destruction que Baudrillard imputait − par bravade, faut-il espérer − à la
« globalisation » 63 ) mais au sens de l’enracinement territorial : sans racine, ni destination, le héros des fictions
contemporaines est souvent errant et par là même erratique. L’exemple de Blow-Up d’Antonioni est frappant : Londres
s’y donne à voir comme pure surface lisse qui demeurerait indifférente voire indéchiffrable sans l’intervention
d’agrandissements de photos. De même, Mulholland Drive joue du contraste entre la surface scintillante, presque en
apesanteur, du rideau de lumières de Los Angeles et la perspective d’un gouffre insidieusement tapi dans les entrailles
de la ville : la surface ne doit en aucun cas être traversée, une petite brèche y devient le gouffre vertigineux du roman
gothique.64 Enfin, il est utile de poser la question de la synchronisation de la forme d’une ville et de la forme littéraire.
Elle interroge tout particulièrement la problématique de l’indépassable surface. François Bon, pour saisir toute la
puissance d’oppression de l’urbanisme contemporain, abandonne le roman pour la forme fragmentée de monologues
entrelacés ou le récit minimaliste de l’enregistrement par un œil-caméra (différemment de Dos Passos) du trajet en
train Paris-Nancy.
La possibilité d’un espace utopique mondial interconnecté semble donc être à la fois la source d’une plus
grande dispersion, comme si la punition de Babel se poursuivait, et opérer un retour vers un monde unique, globalisé,
pressenti comme autoritaire. L’ubiquité du cyberspace fait signe vers « l’Aleph » de Borges, cette boule de cristal de
matière condensée, où Londres figure un labyrinthe brisé65.
La télévision et Internet semblent cependant agir à l’inverse de « l’aleph » en réfléchissant partout la présence de
l’observateur, sous forme de simulacres ou grâce à diverses techniques de pistage informatique déjà intégrées dans les
logiciels. C’est là peut-être qu’il faut distinguer la libre pensée nomade, rêvée par Deleuze, d’un mobilisme déraciné
dissipant son énergie en pure perte.
60
Elle demeure plus mesurée sur la fiction française jusqu’aux années 2000 : dans le corpus, seul figure Projet pour une révolution à New
York de Robbe-Grillet, dont la représentation abstraite de New York est toute entière constituée de clichés exposés à la pleine lumière de leur
stéréotypie.
61
Se reporte au chapitre IX : « Les ruines éternelles du nouveau roman ».
62
Jean-Jacques Schuhl (1972), Rose Poussière, Gallimard, 2000, p. 46 : « Fleurs de la décomposition: suggestion d'autre chose ; une mode
qui suggère fragmentairement un autre monde et quelques instruments pour y parvenir ; les échos en sont recueillis ailleurs ; ici (Londres)
cette mode et ce mode (de vie) semblent n'en rester qu'à eux-mêmes, produits finis, merveilles glacées, regard clos… »
63
“According to Baudrillard, globalization remains just as responsible for terrorism as it does for erecting the once monumental towers.”
Steven Alan Carr, « From Street Scene to Dead End : Hollywood and the Urban Ethnic Imigrant, 1931-1937 », La Mémoire des villes - The
Memory of Cities, Yves Clavaron et Bernard Dieterle (sous la dir.), Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2003, p. 131.
64
Se reporter à l’introduction du chapitre VIII.
65
Jorge Luis Borges, El Aleph (1949), Editorial Losada, Buenos Aires, 1952, p. 151. Traduction française : L’Aleph , Gallimard 1967, coll.
L’imaginaire, p. 207 : « Le diamètre de l’Aleph devait être de deux ou trois centimètres, mais l’espace cosmique était là, sans
diminution de volume. Chaque chose (la glace du miroir par exemple) équivalait à une infinité de choses, parce que je la voyais
clairement de tous les points de l’univers. Je vis la mer populeuse, l’aube et le soir, les foules d’Amérique, une toile d’araignée
argentée au centre d’une noire pyramide, un labyrinthe brisé (c’était Londres), je vis des yeux tout proches, interminables, qui
s’observaient en moi comme dans un miroir, je vis tous les miroirs de la planète et aucun ne me refléta […] ».
8
Le « mur de pierres libres » de Deleuze, ce n’est pas l’immédiateté fallacieuse d’Internet, qui abat les
remparts des cités pour mieux construire d’autres barrières, invisibles celles-là. Le désenclavement de la pensée que
prône Deleuze, c’est l’ouverture à la nature différentielle du potentiel interprétatif du texte de notre pensée,
l’équivalent philosophique de l’art postmoderne. Non pas dissipation de la pensée, mais délocalisation ciblée,
relationnelle, pleine des possibles de son infinie adaptabilité. Ilots de sens en voyage, mondes en archipels. A l’inverse,
on peut se demander si les medias n’ont pas étendu notre univers sémantique jusqu’à l’entropie maximale, au point que
la littérature postmoderne le résorbe en flamboyante apocalypse du signe, de la même manière qu’une supernova se
résorbe en naine hyperdense, ou que la lettre A de The Scarlet Letter soit à la fois Aleph et anti-Aleph.
L’apocalypse semble donc incontournable, quelle que soit sa traduction poétique ou littéraire. Il reste à savoir si
l’esthétique postmoderne, essentiellement concernées par les anamorphoses entropiques des intertextes apocalyptiques,
si cette esthétique parachève le processus du « simulacrisation » du réel comme le veut Baudrillard, ou si elle contribue
à résister au travail du vide en injectant de la néguentropie, comme le pensent Tony Tanner et Linda Hutcheon.
6. Cannibalisme du mythe : le mythe de son absence
Le mythe de la ville maudite au XXe siècle est bifide : d’un côté, il pousse un chant de sirènes, appelle au « luxe de la
destruction »66 dont parle Herzog dans sa lettre à Nietzsche à propos de Wagner. De l’autre, un côté apparemment plus
lumineux (mais c’est une vision de ténèbres blanches), il exacerbe le charme extatique de la disparition et esquisse les traits
d’une esthétique de la déliaison (inspirée du narcissisme de mort d’André Green).
Il est surtout profondément cannibale au XXe siècle, un siècle décidément abrasif. La malédiction de la ville, c’est
justement lorsqu’elle ne dit plus rien d’autre que le flot de ses signes toujours mensongers, lorsqu’elle se fait mur de silence
dans un océan de bruit, pure surface dure et lisse, waste land que les muses ont quitté. François Bon ne dit rien d’autre que
cela. Un chant paradoxal donc : celui de l’extase lyrique du sujet aphasique « au cœur de la lumière » et celui du départ des
muses, de l’impossibilité de tout chant.
Tout mythe ne tend pas vers un déclin : l’entropie du mythe est factice, car il est toujours capable de renaître de ses
cendres, connaître des épiphanies tardives, voire ses lectures immanentes réactualisées. En revanche, celui des villes maudites
à partir des années soixante-dix a la particularité de générer des idoles, c’est-à-dire des faux-mythes, des objets sans histoire,
cassés en deux selon la fracture du sacré et du profane. La malédiction est une fabrique d’anti-mythes et en retour elle se
nourrit de cette désintégration. Elle est cannibale.
Il faut attendre l’avènement du postmodernisme, son contournement de l’impossibilité d’écrire après Auschwitz,
c’est-à-dire le décentrement radical de la métaphysique comme présence, pour que le mythe de la ville maudite soit
véritablement cannibale. Dans les villes du début du XXIe siècle, la temporalité est devenue instantanée, l’efficience
immédiate : l’agir du monde est sa propre justification67. Pourtant, Olivier Schefer estime que les vieux modèles mythiques
du désastre et donc de la malédiction sont périmés.68 Olivier Schefer a parfaitement raison et pourtant il manque l’essentiel.
En effet, sortir les théologies emphatiques de leurs bocaux plein de formol est sans doute peu pertinent. Cependant, la
malédiction persiste, quoiqu’il en dise : elle est partout dans les esprits, à demi-mots, certains la nomment mondialisation,
uniformisation des esprits, elle sature les écrans des cinémas (la liste de films évoquées dans ce travail n’est que la partie
émergée de l’iceberg.), elle est travaille de manière sous-jacente ou explicite la multitude d’ouvrages analysés ici. D’ailleurs,
comme Herzog, qui n’arrête pas de dénigrer l’idée d’une malédiction qui pourtant le hante en permanence, Olivier Schefer
admet lui-même que notre civilisation contemporaine entretient « un rapport fasciné à la destruction.»69. Cette fascination en
dit long, non pas sur la permanence des vieux mythes de la malédiction, mas sur l’avènement d’une malédiction nouvelle,
atopique et d’autant plus hégémonique : il s’agit de la disparition du sacré, voire de la capacité de symbolisation. Si la
fascination persiste, c’est que l’homme a besoin de cette fonction symbolisation : les psychanalystes, tels que Charles
Melman, s’inquiètent de manière très explicite de cette érosion de la capacité de symbolisation70. Même Marc Chénetier tient
un discours alarmiste, écrivant que le spectre de 1984 s’est dissipé, mais qu’il ne faudrait pas crier victoire trop tôt, tant lui
apparaît prégnant le désarroi culturel, voire la disparition de tout espoir71.
Donc le mythe de la malédiction urbaine contemporaine, c’est-à-dire cette angoisse qui tiraille la civilisation depuis
l’effondrement de l’idéologie du progrès technique à l’ouverture des camps en 1945, se veut précisément la symbolisation
cannibale de la disparition de la capacité de symbolisation. Ce n’est plus la parole d’un Dieu qui maudit qui mythifie la ville
mais bien au contraire, c’est l’absence de cette parole divine, c’est le silence assourdissant du bruissement urbain. Tous ces
bruits de fond de la ville forment alors une cacophonie qui ne dit rien. L’image du mur de silence invoquée précédemment est
éloquente. Celle de la surface sans profondeur également, car elle rappelle que l’humain est affaire de volume et d’orifice.
En effet, la surface brillante des artistes hyperréalistes et celle des romans de B. E. Ellis ou de Jean Echenoz ne
permet pas de pénétration, ni de mémoire. Il n’y a pas d’orifice : le désir se commue alors en narcissisme de mort, en
aspiration au neutre, au zéro homéostatique, à l’in-création (plus que la dé-création de The Cannibal de Hawkes). Car, sans
profondeur, il n’y a pas de traversée possible, pas de pénétration et donc pas d’orifice. L’orifice, dont tous les psychanalystes,
quelle que soit leur affiliation, disent qu’il est le point de convergence de la libido (sexualité orale, anale, génitale), comme le
66
Ibid., p. 482.
«Fresh Theory, Léo Scheer, 2005. p. 444.
68
Ibid., p. 452.
69
Ibid., p. 448.
70
Charles Melman, L’Homme sans gravité, Gallimard, coll. Folio essais, 2005.
71
Marc Chénetier, Au-delà du soupçon, Le Seuil, 1989, p. 267.
67
9
rappelle Didier Anzieu dans un article fondateur intitulé « Le Moi-peau » : « Il n’y a d’orifice perceptible que par rapport à
un sentiment, fût-il vague, de surface et de volume »72.
Cependant, il convient maintenant de réinscrire ce soit-disant « nouveau » mythe de la ville maudite comme non-lieu,
dans la tradition littéraire, car ce qui est radicalement nouveau aujourd’hui, est souvent un défaut de myopie et devient le
prolongement d’une histoire esthétique plus ancienne, si l’on prend le recul nécessaire à la saisie de l’ensemble du tableau.
Cette distance, c’est le romantisme européen et américain qui l’introduit. Et d’ailleurs, c’est elle qui réintroduit de la libido,
car le fantasme de l’apocalypse flamboyante (et non plus technique et sémiologique) est évidemment sexuel. La tour qui
s’écroule, c’est le pénis après l’orgasme.
7. Les fantômes du romantisme
Le mythe (même contemporain) de la ville maudite est en fait un reliquat de l’aspiration romantique à l’abîme. Il
suffit de relire Black Spring et Howl pour s’en rendre compte. La vision ravit le sujet, il entre dans une forme de transe pour
contempler la ville du haut d’un gouffre où l’auteur vient abîmer. Evidemment, la vision n’est pas continue et cède la place à
de nouvelles formes d’expression beaucoup moins inspirées, mais le souffle perdure dans bien des œuvres de ce corpus.
Même le dispositif clos et paranoïaque des fictions de Thomas Pynchon entretient la conception romantique de l’apocalypse
qui demeure quand même le motif le plus apparent. Les miettes des signes techniques, historiques, scientifiques, dialectaux
laissent surnager à leur surface composite, le pattern de l’apocalypse malgré l’ironie qui la mine. Par ailleurs, Pynchon crée
toute une poétique du déchiffrement du signe héritée du transcendantalisme (éclaircissement de l’œil de Thoreau, vision
d’Emerson, bewilderment jamesien). Herzog, quant à lui, n’arrête pas de répéter que les mondes orphiques et l’apocalypse
sont des illusions romantiques, dangereuses qui plus est, il tourne autour de ces questions, mais à une distance de sécurité,
comme immobilisé dans le tourbillon vertigineux d’une centrifugeuse. Même une fiction high-tech comme Neuromancer
ressuscite les fantômes du passé, car le « neuromancien », c’est un nécromancien du futur, un sorte d’Hadès au royaume des
ombres cybernétiques.
Cependant, ce souffle romantique qui continue d’inspirer les auteurs du XXe siècle, ne peut se maintenir longtemps,
il est comme un fantôme muet, Hamlet revenu de Cimmérie pour retourner dans le placard, car la parole prophétique est
obscène au XXe siècle. Seule demeure la vision de l’apocalypse tellement puissante qu’elle donne des électrochocs
romantiques aux fictions d’un corpus moribond. L’Apocalypse constitue la téléologie de la malédiction des villes de l’Ancien
Testament, c’est-à-dire que la Bible décrit une trajectoire qui sort du cercle de l’éternel retour, puisque le séjour futur est une
ville et non plus l’Eden. Mais Deleuze et N. Frye montrent que l’Apocalypse réactive la cosmologie païenne pour mieux
l’anéantir. Toutes ces histoires païennes de « Mère astrale » et de « dragon rouge » ne sont rien moins que le déchaînement
dionysiaque des forces de la nature, que Jean voue au brasier, pour finir par enclore l’Arbre de Vie (l’Eden, la Nature en tant
qu’idée, voire le cosmos) dans le square de pierreries de la Jérusalem céleste. L’Apocalypse, c’est l’épuisement d’une orgie
du dionysiaque, jusqu’à ce que la vision apollinienne ordonnée de la Jérusalem céleste vienne consacrer une civilisation autre,
« un film que nous n’avons pas appris à voir »73 écrit Thomas Pynchon dans Gravity’s Rainbow.
La référence apollinienne n’est pas gratuite, comme l’a établi Marcel Detienne dans, Apollon le couteau à la main :
« tout projet de fondation d’une cité commence par Delphes »74. Mais le rêve d’Apollon devient une vision de ténèbres
blanches au XXe siècle. La beauté formelle, c’est un peu la radicalisation du logos devenu rationalité froide au XXe siècle.
Kafka ne parle que de cela : la myriade de portes closes, de procédures, de requêtes détournées, d’intermédiaires opaques
contre lesquels butte l’arpenteur du Château correspondent à une forme de perversion du logos et de son pouvoir de
séparation. La logique ultime de la rationalité, c’est l’indifférenciation dans une multitude reproductible, un labyrinthe dans
un miroir brisé, un puzzle de pièces toutes blanches. La nouvelle Jérusalem, c’est le terminus de la pensée.
A cela s’oppose en apparence la grande flambée dionysiaque qui précède. C’est bien cette tension entre le
déchaînement irrationnel des pulsions destructrices et l’ordonnancement froid de la raison anguleuse qui travaille Herzog.
Dans sa lettre à Nietzsche, il précise bien que seule la Nature peut s’offrir « le luxe de la destruction » d’un Wagner, car seule
la Nature peut infiniment se renouveler. L’homme est quant à lui inscrit dans une histoire linéaire qui peut prendre fin, il
n’est pas le Phénix qui renaît de ses cendres, même si l’exemple de l’Allemagne ne laisse pas d’étonner en la matière. Toute
la difficulté de l’Apocalypse, c’est qu’elle prétend sortir de l’Histoire mais en fait elle propose pour ce faire un déchaînement
barbare de puissances incontrôlables. Et ce qui frappe le plus Herzog, c’est qu’à l’heure où il écrit de manière quasiobsessionnelle sa multitude de lettres, la destruction totale de la planète est devenue d’une facilité déconcertante. La
technologie rejoint l’archaïque : Apollon et Dionysos fusionnent avec la bombe nucléaire. Herzog compare les grandes
créations de l’humanité, qui viennent satisfaire les espoirs de millions de personnes, à la puissance de la nature, qui génère
une vie marine sous le poids de « mégatonnes d’eau »75, ou bien qui creuse des falaises entières avec la seule force du vent.
Les milliards de dollars du budget de l’armement rendent possible l’apocalypse, ils la transforment en chose profane,
exactement comme la ville maudite transforme le sacré en idoles.
8. L’idole : le joug de la jouissance esthétique
Moses E. Herzog le constate avec tristesse, la demande des classes moyennes pour le sensationnel76 ne
cesse pas de rendre l’apocalypse populaire. Précisément, on a vu que le scénario apocalyptique est devenu un produit culturel
72
Didier Anzieu, « Le Moi-peau », Nouvelle revue de psychanalyse n° 9, « Le dehors et le dedans», Gallimard, 1974, p. 205.
Gravity’s Rainbow, op. cit., p. 762.
Marcel Detienne dans, Apollon le couteau à la main. Une approche expérimentale du polythéisme grec, Gallimard, 1998, p. 106.
75
Herzog, op. cit., p. 441.
76
Ibid., pp. 491-2.
73
74
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de consommation de masse. Sa « simulacrisation » est complète depuis que Hollywood s’en est emparé. Mais le plus
important réside dans le fait que l’on n’enterre pas le monde païen si facilement. Au contraire, l’idéologie chrétienne de
purification du monde par le feu réactive le monde païen : elle est un mouvement performatif. Il suffit qu’une théologie
dénonce la mondanité comme déchéance ontologique pour qu’éclôt toute une ribambelle de fleurs du mal, bien à leur aise sur
le sol fertile d’un monde en décomposition. Mais, c’est le puritanisme le seul responsable, dans l’esprit d’Herzog du moins,
qui parle de cette « affection fatale qu’est la mondanité, qui rejette les bonheurs de ce monde, de ce fléau occidental, de cette
lèpre mentale.77»
Cette question de l’idolâtrie et de ses liens avec l’Apocalypse est fort complexe. Herzog remarque également que la
haute bourgeoisie du XIXe siècle faisait siennes les théories esthétiques de Ruskin ou William Morris, qui rejetaient la
modernité et l’insupportable balafre que l’industrialisation inflige aux paysages. Mais cette malédiction de la ville industrielle,
ce sacrifice des banlieues ouvrières et des usines sur l’autel d’un certain aristocratisme du goût constitue la « Terre Brûlée »78
où peut naître le totalitarisme. Car les valeurs aristocrates s’oublient mais pas la haine tenace des classes laborieuses, de cette
masse humaine dégoûtante. Sans aller aussi loin, le narrateur de la Recherche dénonce l’idolâtrie en art de Charlus
(Montesquiou) et le fétichisme de Ruskin, dont il avait pourtant adopté l’esthétique dans un premier temps. Pour que l’art
survive, il faut le détacher du bel objet de même, « […] il faut que meure l’idole pour que vive le symbole »79. Or la
mondanité de la ville agit contre l’art et le symbole : dans le Temps retrouvé, « l’Adoration perpétuelle » se heurte au
« Bal des têtes », la haute société parisienne consume un temps précieux que seule l’isolation dans le cabinet de travail
calfeutré a permis à Proust de retrouver.
Toutes les œuvres analysées patiemment dans ce travail sur les villes maudites a mis à jour quantité de motifs
poétiques comme le flash, les ténèbres blanches, « le cœur de la lumière » qui rend aphasique. Mais ces motifs obsédants sont
encore des idoles toxiques : la jouissance esthétique a un prix, un prix que ne connaît que trop bien Dorian Gray. Le pacte
avec le diable80 est au cœur de la création artistique, parce elle est affaire d’images, toutes mensongères. Mais la littérature
n’est pas que la glose stérile d’images diaboliques. Il est possible de donner une mémoire à l’idole pour que le symbole cassé
en deux se recompose. Pour conjurer la malédiction entropique, il faut tout simplement injecter de la néguentropie. Même les
ruines éternelles du nouveau roman peuvent se lire comme l’élaboration psychique de l’irreprésentable.
9. Injections de néguentropie
Saul Bellow semble être celui qui résiste le plus vaillamment à l’apocalypse du signe. Certes Herzog est sur le point
de devenir fou mais à la fin du roman, le maléfice finit par se lever. Ce « maléfice »81 (un mot étonnant dans la bouche
d’Herzog qui rejette la rhétorique apocalyptique), c’était le régime de l’entropie informationnelle très bien décrit par Tony
Tanner82. Des vagues d’informations le traversent et il ne sait qu’en retenir : la ville est un enfer de bruit et de congestion.
L’inertie finale ne signifie pas l’état d’entropie maximale mais un apaisement synonyme d’une élaboration psychique réussie.
Certes Herzog a fui Manhattan où il s’était réfugié auparavant lorsqu’il avait démissionné de l’Université. Mais sa retraite
bucolique lui permet d’organiser la mémoire de la ville.
Il y a des romans plus entropiques que d’autres mais surtout il y des auteurs qui veulent l’exhiber comme Bret
Easton Ellis et d’autres qui souhaitent la combattre. Par ailleurs, en suivant l’homologie de la forme d’une ville et de la forme
romanesque, on peut remarquer que le roman de New York est beaucoup moins entropique que celui de Los Angeles. La
grille précaire d’autoroutes que forme Los Angeles contraste avec la dure et solide forêt de buildings de Manhattan, dont
Herzog nous dit qu’ils sont peut-être des carrés inertes mais qu’en fait ils sont plein de mouvement et d’intimité si l’on sait
mieux les observer83.
Pour autant, la vie des personnages de Saul Bellow à Manhattan et Chicago (dans ses nouvelles surtout) semble
plier sous le poids d’une invisible malédiction, plus orthodoxe en apparence, puisque l’on retrouve le symbole ancien de la
Chute : la pyramide inversée de la culpabilité. L’univers de Saul Bellow est entropique également mais il reste assez éloigné
des solutions spectaculaires de Pynchon. Pas de cri qui vienne abolir le monde ici, seul demeurent le poids de l’existence, des
regrets et le désarroi métaphysique. Une pyramide névrotique qui fait de Manhattan, un lieu profondément hostile et négatif
mais aussi la source d’une œuvre de liaison plus que de déliaison. Ces connections se font parfois sur un mode paranoïaque
(dans The Victim c’est même le fond de l’intrigue) mais le plus souvent le roman élabore un parcours inscrit dans une durée
mémorielle même si elle est déceptive. Le grand intérêt de l’œuvre de Saul Bellow réside dans la résilience intellectuelle de
ses personnages. Malgré l’absurde consumérisme qui règne en maître en Amérique et l’abrutissement qu’il génère depuis
plus d’un siècle déjà, Herzog confronte les métaphysiques de tels philosophes allemands morts depuis longtemps, alors même
qu’il est pressé dans un métro par la foule des voyageurs. De même, Mr Sammler84 se fraye un passage dans le chaos urbain,
pour aller dans la Bibilothèque de la 42nd rue, déchiffrer Maître Eckhart, s’intéresser à des mondes disparus, à l’empire
austro-hongrois et l’entre-deux-guerres de Bloomsbury, « dernier haut lieu de l’illusion des Lumières »85. L’injection de
néguentropie est alors un savant mélange de culture, de finesse, de persévérance et de curiosité intellectuelle ; une forme de
flexibilité héroïque qui persiste à habiter les ruines de mondes engloutis.
77
Ibid., p. 236.
Ibid., p. 110.
79
Paul Ricoeur, De l’interprétation. Essai sur Freud, au Seuil, 1965, p. 516
80
La philosophie grecque de Platon n’arrange rien en faisant du poète celui qui voile la vérité selon La République ou Le Phèdre.
81
Herzog, op. cit., p. 536.
82
Tony Tanner, Saul Bellow, Oliver and Boyd, London, 1965.
83
Herzog, op. cit., p. 45.
84
Saul Bellow, Mr. Sammler’s Planet, 1969.
85
Pierre-Yves Pétillon, La Grand-route …, op. cit., p. 76.
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