Lespays bretons vont-ilsdisparaître?
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Lespays bretons vont-ilsdisparaître?
NQUÊTE AU PAYS DES PAYS L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’EN En Bretagne, les “pays” recouvrent des entités très diverses, liées à l’imaginaire ou à la géographie. Les Bretons s’amusent bien volontiers des différences réelles, ou supposées entre ces proches contrées. hassés par les envahisseurs saxons, les Bretons sont passés de Grande en “petite” Bretagne à bord de barques, chacune étant placée sous le commandement de l’un des sept saints fondateurs.» Ce serait donc à cette installation, liant communauté originelle et territoire investi, que nous devrions la naissance de nos “pays”, si jaloux de leurs différences. Cette lecture de l’histoire peut sembler grossière. N’empêche ! La Bretagne a bel et bien hérité de cette histoire neuf évêchés, dont quatre pour la seule basse Bretagne : Léon, Trégor, Cornouaille et Vannetais. Et ils incarnent encore, dans l'imaginaire de ses habitants, des différences de mentalité réelles ou supposées, sur lesquelles ils adorent plaisanter. En gros : les Léonards seraient des “culs-bénis” austères et radins, les Trégorrois des plaisantins prétentieux ➤ Dans les pardons, il arrivait que les émissaires de pays se battent pour porter la bannière, privilège censé protéger la récolte. C Les pays bretons vont-ils disparaître? ( TEXTES GÉRARD ALLE 14 < ● PAPIERS SCULPTÉS BERNARD JEUNET ) Vus comme austères, pingres, dominés par leur femme et bigots, les Léonards ne sont pas épargnés par les sarcames de leurs voisins. > 15 NQUÊTE AU PAYS DES PAYS L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE L’EN LA BIGOUDÉNIE ET LE LÉON PORTENT ASSURÉMENT LA PALME DES PAYS DONT ON SE GAUSSE FRÉQUEMMENT PORTRAIT À CHARGE ans le roman Le gardien du feu, d’Anatole Le Braz, trois gardiens de phare se relaient par équipes de deux sur le phare de Gorlebella, entre pointe du Raz et île de Sein. À terre, une belle Trégorroise, portée sur la poésie et la lecture, épouse de l’un d'entre eux, Léonard de son état, mystique et taciturne, trompe son ennui avec un collègue de son mari, quand les congés de l’un correspondent aux tours de garde de l’autre. Le manège est dénoncé par une îlienne, sinistre, comme il se doit. Le mari trompé finira par commettre un meurtre de Léonard, forcément froid et calculé. « Les Capistes, aux fronts durs et broussailleux comme leurs landes nous dévisageaient avec une curiosité narquoise. Adèle, surtout, dont la joliesse, le teint finement rosé sous les dentelles de la coiffe, faisaient paraître encore plus déplaisants les traits âpres et comme barbouillés de rouille des femmes de la Pointe. » Extrait de Le gardien du feu (La Digitale). D ➤ et intellos, les Cornouaillais d’incorrigibles ripailleurs et les Vannetais des gens placides, soumis et mystiques. S’ajoutent à cette géographie du poncif, de subtiles nuances. Historiquement, la société bretonne s’organise autour de la paroisse (plou) et du “pays” (bro), qui regroupe ces dernières. La définition de 16 < ces pays n’est pas uniforme. Certains se réfèrentàlacouleurd’unepartieducostume(Pays rouzig - roux, Pays glazig - bleu), à sa forme (Bro toul speg - Pays du trou de pivert, entre le gilet et le pantalon), ou à une tradition de danse (Pays fañch, Pays fisel, Pays kost-erc’hoat). Dans le Morbihan, il y a le Pays boïo, où les gens disent “bo” pour dire “si” en breton. D’autres adoptent les termes péjoratifs queleurattribuentleursvoisins.C’est notamment le cas du Pays pagan (païen), dû à la réputation de naufrageurs de ses habitants. On ne compte pas le nombre de noms moqueurs, dont la langue bretonne raffole. Les plus connus sont les habitants de Douarnenez - les Penn-sardin (têtes de sardines), mais on trouve aussi des têtes de choux, de patates, d’oignons, de carottes, de merlus, et même de fonte broyée. Certes, avec le temps, les rivalités entre paroisses se sont atténuées. Celles entre “pays” également, malgré les innombrables batailles rangées qui ont animé durant des décennies les zones “frontalières”. Ne reste-t-il vraiment de ces rivalités qu'un lointain souvenir alimenté par quelques blagues de fin de soirée ? En 1990, un grandpère de Rostrenen (Pays fisel) m’affirmait avec un air coquin que les filles du Pays pourlet voisin étaient fendues sur le côté, faisant allusion à leurs tabliers qui disposaient d'une poche latérale. Peu de temps auparavant, un paysan de Lignol (Pays pourlet), sachant que je venais de Spézet (Cornouaille), m’expliquait que les Cornouaillais pouvaient faire la noce jour et nuit pendant trois jours sans dessoûler. Plusrécemment,lorsqueletraderbigouden Jérôme Kerviel défraya la chronique, j'étais invité dans une paroisse du Léon. Comme j'évoquais l’affaire, une dame m’a soufflé sur le ton de la confidence : «Tout de même, ils sont forts, ces Bigoudens !» Depuis, ces derniers semblent avoir pris l’avantage dans la rivalité ancestrale qui les oppose aux Léonards au sujet du rapport à l’argent. Le soir même,j'étaisinvitéàunesoiréelittérairedans lePaysbigouden.AutantlesLéonardesavaient été calmes et prudes, autant les Bigoudènes braillaient et n’hésitaient pas à raconter des histoires salées. En Bretagne, quoi qu'on en dise, certaines différences de mentalité ne semblent pas prés de s’amenuiser. Parmi les pays dont on se gausse fréquemment, ces deux-là, Léon et Bigoudénie, remportent incontestablement la palme. Mais ne s’agit-il là que d’histoire ancienne, dont la jeunesse actuelle n’a rien à faire ? Pas si sûr... Entre Bigoudénie et Cap Sizun, à PorsPoulhan, une statue de Bigoudène symbolise la frontière entre les deux pays. Eh bien, des jeunes surfeurs bigoudens m’ont récemment affirmé que leurs homologues du Cap avaient mauvais caractère et préféraient garder les meilleurs spots pour eux. Interrogés, des Capistes roublards m’ont confié qu’il leur suffisait de prendre un air mauvais pour éloigner les intrus, utilisant ainsi à leur profit les idées reçues des Bigoudens et des Douarnenistes sur leur compte. Les différences semblent s’aplanir avec le développement des moyens de communication. Il reste que les pays se sont créés en fonction de données culturelles, économiques et géographiques, qui ont encore cours, dans de nombreux cas. Parfois, se forment de nouvelles entités, comme si les Bretons, incorrigibles, ne pouvaient se passer de ces divisions territoriales, ne seraitce que pour s’opposer à la départementalisation, dont la logique ne correspond pas toujours à la réalité des bassins de vie. Au UNE MOSAÏQUE Liste non exhaustive des pays bretons d’ouest en est, et du nord au sud ● BASSE BRETAGNE Léon : bas Léon, pagan, haut Léon, chelgenn Cornouaille : Plougastel, Kernevodez, Crozon, rouzig, bidart, Poher, dardoup, fisel, fañch, chtou, Cap Sizun, Pennsardin, Porzay, glazig, bigouden, Aven. Trégor : bas Trégor, grand Trégor, petit Trégor,Trégor-Goëlo. Vannetais : kost-arc’hoet, pourlet, Pontivy, Baud, bas Vannetais, haut Vannetais, Rhuys. ● HAUTE BRETAGNE Cédant volontiers aux plaisirs de la chair, ripailleurs et gourmands, les Cornouaillais ont une réputation digne de Rabelais. fil du temps sont donc apparus de nouveaux “pays”. En Léon, le Pays des juloded, riche du commerce de la toile, s’est un temps opposé au pays des pillaouerien (chiffonniers). Sont nés les pays touristiques, comme celui d’Argoat, autour de Bourbriac. Auparavant, certains territoires avaient adopté des noms très “kitch”, comme la Côte de granit rose, celle des légendes ou des mégalithes. Le pays de Brocéliande s’est approprié une forêt mythique. Le parc d’Armorique est devenu une entité à part. Enfin, à l’initiative des Bretons, et notam- EN BRETAGNE, LA NOTION DE PAYS A TROUVÉ SA PLACE NATURELLEMENT, PLUS QUE PARTOUT AILLEURS ment du pionnier, Paul Houée, dans le Mené, la France a adopté, par l’entremise de la loi Voynet, le pays, comme entité à vocation économique et culturelle. Certes, les noms de ces nouveaux pays (21 en Bretagne) ne sont pas toujours très poétiques, mais ils Pays de Saint-Brieuc : Saint-Brieuc, Penthièvre, Loudéac, Mené. Pays de Saint-Malo : Poudouvre, Porhoët, Clos Poulet, Clos Ratel, Dol. Pays de Rennes : Coglais, Rennes, Vandelais, Guerchais Pays de Redon : GalloVannetais, Redon. Pays nantais : La Mée, Mitaud, Guérande, Brière, Pays nantais, Ancenis, Pays de Retz, pays du vignoble nantais. correspondent bien à une réalité, notamment en termes de bassins d’emploi et, souvent, d’histoire et de culture commune. Aujourd’hui, en Bretagne, nombre de projets de développement se bâtissent à l’échelle de ces pays. Mais pour combien de temps encore ? Le récent rapport Balladur consacré à la réforme des collectivités locales a en effet annoncé leur disparition. Et tout le monde reconnaît que notre région aurait à en souffrir, tellement la notion de pays y a trouvé naturellement sa place, plus que partout ailleurs. ■ > 17