Mike Tyson, le boxeur en peluche

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Mike Tyson, le boxeur en peluche
boxe
Mike Tyson, le boxeur en peluche
boxe
Pauvre petit ours en peluche ! Le voilà condamné à boxer à vie, robocop sans tête, au son de
la musique rap qui rythme la vie des gosses de Brooklyn, un tempo puissant mais heurté,
incohérent, aussi paumé que violent, dépassé par la révolte quil na pas su incarner.
"Essaies de te détendre un peu, Mike.." dit le soigneur. Mike Tyson, de dos, masse noire
enroulée dans un peignoir bleu électrique, enfouit son visage dans ses mains. Nous sommes dans
une petite cour ouverte sur un paysage mi-urbain, mi-campagne américaine. On suit les derniers pas
du boxeur avant le combat. Toujours un moment de doute, dangoisse, de dérive.
-"Tu crois quils maimeront ? Je suis à cran..Jai fait du chemin quand même.." gémit la montagne
de muscles. Le boxeur sappuie contre lépaule de son soigneur, sa main de tueur esquisse une
caresse. Il pleure. Comme un gosse perdu, lové contre la poitrine de sa mère.
-"Je suis Mike Tyson..Est-ce quon maime ?..Pourtant, je suis fier de moi."
-"Mais oui, tu peux lêtre.." dit le soigneur dont le nez cassé renifle démotion.
Suit un long silence entre un homme qui sanglote le corps cassé en deux et un soigneur dépassé
par lampleur du désespoir de son boxeur. Moment de flottement magique. Moment inouï de
proximité. La caméra nexiste plus. Derrière la brute, le mauvais garçon et le champion, on découvre
un Mike Tyson inconnu.
-"Allons ! Maintenant, il faut préparer le combat.." ordonne le soigneur.
Et le boxeur le suit, se redresse, esquisse quelques crochets réflexes. Encore quelques pas,
quelques coups de massue vers le ciel et la métamorphose saccomplit. Quand Mike Tyson passe la
porte des vestiaires, ne reste quun champion, tout en muscles et en violence contenue. Prêt à tout.
Prêt au combat.
Qui est Mike Tyson, champion du monde des poids lourds, voyou engendré par Brooklyn, bébé
délinquant incarcéré à onze ans pour attaque à main armée, chef de gang à treize ans, emprisonné
trois ans pour viol, graine de violence nourrie de mauvaise Amérique ? "Cest un ours en
peluche.."disent ceux qui le connaissent. Un ours noir en peluche, laid, mal-aimé, paumé, un jouet
denfance désarticulée.
Il aurait du en crever. Ou finir assassin. Il devient le plus célèbre boxeur des années quatre vingt.
Pas une once délégance sur le ring, pas le mondre mot desprit devant les caméras. Il nest ni
01. Jean-Paul Mari
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papillon, ni abeille. Il na rien dun Mohammed Ali, son idole. Pour lui, le direct nest que le plus court
chemin entre sa haine et le visage de son adversaire. Il a les jambes courtes, des petits bras et un
cou de buffle. De la boxe, il ne retient que lélémentaire : la force, la puissance et le punch. Mais quel
punch ! A treize ans, on a déjà du mal à lui trouver des sparrings-partners. A quinze ans, en
championnat des poids lourds juniors, on le voit inaugurer ce qui sera son "style". Dabord piétiner
son coin de ring en dodelinant de la tête, puis marcher sur son adversaire, prendre les premiers
coups lair distrait avant den venir à lessentiel. Quelques secondes après le coup de gong, ses
adversaires ont tous la même réaction. Noirs, blancs, métèques, artistes assassins ou géants
délicats, célibataires ascètes ou séducteurs vedettes, gorilles ou hommes-serpents..ils ont tous ce
soudain début dimmobilité, les bras mous et un sourire idiot, quand ils se filent vers le tapis pour une
éternité de plus de dix secondes. Dinstinct, Tyson leur offre une égalité de droits absolue. Lenfant
blessé est un tueur monotone. Le champion est invaincu. Ah ! La belle histoire. Comme lAmérique
les aime. Il était laid et méchant, sest transformé en démon, a maitrisé les forces du mal et
ange-exterminateur na plus quà se transformer en ange américain. Ah le bon noir ! Oublié Cassius
Clay-Mohamed Ali, son immense talent, ses diatribes provocantes, sa révolte et son discours
politique ! Rassurés, les publicitaires investissent des millions de dollars dans le nouveau "héros"
américain. La gloire, la violence, largent..tout est là. Du coup, les femmes trouvent Tyson
terriblement séduisant. Très mauvais les femmes pour les ours en peluche ! Ils ont besoin dune
mère, intelligente, douce et rassurante. Pas de ces déesses blondes ou noires au sourire carnassier
qui envahissent la vie des stars. Elle sappelle Robin Givens, lappelle Michael, lui fait un enfant et lui
montre dun doigt amoureux un magnifique contrat de mariage : "Signes ici, Michael. Penses à ton
futur enfant. Ton fils !" Quelques années plus tard, elle annoncera à la presse que Tyson est un
"maniaco-dépressif", quil faut le soigner durgence au lithium, sen occuper. Et bien gérer ses
affaires. Arrive Don King, autre requin, spécialisé dans lorganisation des combats de boxe. Arrêté
trente fois, emprisonné pour meurtre, il est devenu le pape de la boxe américaine et sest fait
recevoir à la table de tous les présidents des Etats-Unis. Pris entre la déesse et le requin, Tyson
devient lombre de lui même. Une vilaine nuit sur un ring, face à un challenger quil aurait du réduire
à létat de corps flasque, cest lui qui hésite, encaisse, titube et...sécroule. Incroyable ! Mike Tyson
est K-O. Le reste est lhistoire dune dégringolade, dun procès pour viol et de trois années de prison.
Un retour à la case départ pour un sale gosse de Brookyln. Il en ressortira, à peine assagi et converti
à lIslam. Prêt à remonter sur un ring. Dommage que sur le seuil de la prison, il y ait quelques
superbes créatures et Don King, entouré des caméras quil a fait venir.
Pauvre petit ours en peluche ! Le voilà condamné à boxer à vie, robocop sans tête, au son de la
musique rap qui rythme la vie des gosses de Brooklyn, un tempo puissant mais heurté, incohérent,
aussi paumé que violent, dépassé par la révolte quil na pas su incarner. Condamné pour léternité à
poser la seule question qui le hante : "Est-ce quils maiment ? Je suis Mike Tyson. Dis..Est-ce quils
maimeront un jour ?"
Jean-Paul MARI.
01. Jean-Paul Mari
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