Alexandre Vendé, l`empereur du "bon plan"

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Alexandre Vendé, l`empereur du "bon plan"
Alexandre Vendé, l'empereur du "bon plan"
Ce bordelais de 40 ans a réussi sa reconversion professionnelle: de professeur d'EPS, il est
devenu pro de New York. Il revient en détails sur sa transformation
Les études en disent souvent beaucoup sur les moeurs de la société. Selon un
sondage AFPA/IPSOS mené en octobre 2012, 24 % des personnes ayant changé de
métier l’ont fait pour des raisons économiques mais 55 % par choix personnel. Les
études, c'est bien, les témoignages, c'est mieux. Celui d'Alexandre Vendé, qui vient
d'avoir quarante ans il y a quelques jours à peine, est des plus légitimes. Ancien
professeur d'EPS pendant onze ans, ce parisien d'origine a surfé sur la vague des
blogs au moment où elle était ascendante pour monter son propre concept de "bons
plans" autour de la ville de New York. L'idée a tellement bien marché qu'il a monté sa
propre société en 2015, proposant des services aux touristes francophones sur place
comme des visites guidées en petit groupe où des jeux de pistes. Ca, c'est pour le
pitch de base. Mais qui se cache derrière ce jeune père de famille qui a tout plaqué
pour suivre sa passion du voyage ? C'est la question à laquelle nous avons essayé
de trouver une réponse, et autant le dire tout de suite : il n'y en a pas qu'une seule.
Des débuts timides
Pour le rencontrer, il faut pousser les portes de sa jeune société, située Place Puy
Paulin, dans le centre de Bordeaux, monter un escalier en colimaçon et frapper à
une porte blanche un peu ancienne, adjacente des bureaux appartenant aux patrons
du bistrot Jamon Jamon. Une fois la chose faite, on est tout de suite dans le décor :
celui d'une petite start-up naissante où tout est aux couleurs de la ville qui a fait le
succès de la transformation d'Alexandre Vendé. Tableaux, affiches, bouquins rangés
sur les étagères : tout ou presque a un rapport avec la "ville qui ne dort jamais". C'est
qu'Alexandre sait soigner son image, il en a même un peu fait son business.
Aujourd'hui, il la joue décontracté : barbe naissante, ensemble noir et blanc avec un
t-shirt aux couleurs du quartier de Brooklyn, le tout reste dans le ton. "Je ne suis pas
fan du look de chef d'entreprise, le costume-cravate, ça ne m'intéresse pas", dira-t-il.
Alexandre est "cash", il promet de ne rien cacher. On voit poindre un peu d'humour
noir de temps en temps, mais il reste pudique. Il n'a pas la voix d'un extraverti, il en a
en revanche l'allure : plutôt grand (où peut-être est-ce nous qui sommes minuscules)
et athlétique. Ca, c'est sans doute l'héritage de son ancienne vie en tant que
professeur d'EPS et de directeur de colo, cette fonction qui lui a permis de rencontrer
sa femme et de développer un goût pour le voyage. "Avec la colo, j'ai été en charge
d'un voyage sur la côte ouest Américaine. J'ai d'ailleurs découvert New York pour la
première fois en colonie avec 25 adolescents derrière moi pendant deux jours et
demie, donc c'était plutôt bref". Ce n'est pas la seule destination à la carte : avec
d'autres jeunes, Alexandre posera ses valises en Espagne, à Malte, en Martinique ou
encore en Suisse. Mais le clou du spectacle, c'est évidemment la grosse pomme.
Il y retournera pour son voyage de noces, sans oublier de chercher des bons plans (il
montera d'ailleurs un premier blog pour financer le périple). Il se rend alors compte
qu'un ami commence à gagner un peu d'argent avec son site internet personnel et
saisit l'opportunité en montant son blog des "Bons plans voyages New York". Alex ne
le cache pas, il développe l'idée pour essayer de combler un peu les fins de mois.
"Je m'étais dit qu'avec mon salaire de prof, ça pourrait être cool pour un à-côté, je ne
pensais pas du tout en vivre au départ. J'ai lancé ça comme ça, mon ami m'a dit
qu'un jour j'en vivrais alors que mon objectif, c''était de gagner deux à trois cent euros
par mois". Puis Alex se contredit, affirmant volontiers que l'idée de départ "n'était pas
dans un but mercantile". Son métier de base, il l'a choisi en cinquième sans vraiment
se poser de questions : surnommé Alexandre le bienheureux par ses potes de
l'époque, il est plutôt branché sport qu'études. " J'étais plutôt un fumiste et un touriste
à l'école. J'ai un très bon ami qui est aujourd'hui patron d'une entreprise qui a fait,
comme moi, cinq ans de lycée. Tout ça pour dire que les études…". Au moins, c'est
clair. Alex aime son métier de prof surtout quand il peut "créer des projets (voyage au
ski, cross du collège). A chaque fois, je manageais des groupes, je préparais
différentes sorties, c'est un peu ce que je fais maintenant". Pas très littéraire, il est
plutôt didactique. Selon une confidence de son collègue et ami David, "il n'est pas
hyper rangé mais il aime bien contrôler les choses".
Fin de la mi-temps
Alex commence donc derrière son ordinateur en 2008, d'abord en faisant deux ou
trois articles par mois puis en passant aux partenariats et à la monétisation qui le
forcent à être régulier dans ses posts. Et ça marche. "Au bout d'un an, j'avais réussi
à gagner 1000 euros sur le mois. C'est monté crescendo, je suis arrivé à mon niveau
de salaire de professeur. Pendant un an, je suis resté prof mais les derniers mois,
j'étais toujours en train de répondre aux gens avec mon téléphone ! Je n'étais plus
trop motivé par mon métier, le blog me prenait plus de temps". Celui qui a "tout
appris sur le tas" est conscient d'être arrivé au bon moment. "L'absence de
concurrence m'a permis d'être reconnu par Google en termes de référencement. Je
pense que je suis arrivé au bon endroit au bon moment. J'ai trouvé la poule aux
oeufs d'or parce que la ville de New York est très rémunératrice pour un blogueur.
Cette ville est assez folle, c'est presque la capitale du monde. Les gens ont tous des
étoiles dans les yeux en en parlant". En octobre 2012, il retourne à New York et
revient en France avec l'envie de basculer. "J'avais déjà en tête d'arrêter d'être prof,
on m'a proposé des choses mais j'avais vraiment envie d'être entrepreneur parce
que je trouvais ça hyper excitant de pouvoir faire ce qu'on veut quand on veut".
Quelques mois plus tard, Alexandre Vendé donne son dernier cours d'EPS à
Bordeaux Bastide. Il raccroche la tenue d'enseignant. Entre temps, il s'est créé un
double virtuel que tous les touristes appellent "Alex les bons plans".
"Je travaillais le soir, le week-end, pendant les vacances scolaires. Je n'avais pas de
copies à corriger, alors je faisais ça tranquillement, ce n'était que du bonus, pas
comme une start-up qui lance son truc et doit être rentable au bout d'un an ou deux.
J'ai réussi à trouver l'angle qui marchait : Alex, le prof d'EPS. Je tutoyais tout le
monde, j'avais pris le parti d'être le pote qui donne ses bons plans. Aujourd'hui, je ne
suis plus du tout au stade de départ mais je garde toujours cette ligne éditoriale",
avoue-t-il. Il vend son concept autant que le contenu de son blog. Chaque article est
"carré", pratique : Alex se pose toutes les questions et y répond. Oubliez les belles
photo d'évasion, Alex est un guide, pas un poète. "L'objectif n'est pas forcément de
faire voyager à travers mes posts. C'est sans doute mon côté prof. C'est ce qui plaît
aux gens". Aujourd'hui, le blog est composé de presque 600 articles, et l'activité
provient essentiellement des mises à jour de certaines adresses, une trentaine
d'articles étant également écrits par des gens de la communauté. New York est le
ticket définitif de sa reconversion professionnelle, il ne la lâchera plus, sans pour
autant y résider. "Je n'y ai jamais vécu. Au départ parce que mon métier était ici, et
surtout parce que la vie à Bordeaux est moins chère, plus sympa et tranquille que làbas. Maintenant, j'ai un petit garçon, le coût de la vie ne correspond pas à ma vie de
famille. Si j'étais encore célibataire, je pense que j'aurais pu y vivre", affirme-t-il avant
d'ajouter que sur son blog, il "parle aux touristes, donc le fait de n'y aller que de
temps en temps, ça me permet de garder cet oeil de touriste. Si j'y vivais, je
regarderais la ville différemment. Aujourd'hui, j'ai des guides sur place à aller voir sur
le terrain, je cours partout et en une semaine, j'arrive à faire ce qu'une personne
lambda pourrait faire en deux ou trois". New York, il y est allé environ seize fois, et il
prépare activement la dix-septième.
French Connection
Pour autant, il n'y va plus forcément pour les mêmes raisons. C'est qu'entre-temps,
sa personnalité, déjà divisée en deux, a accueilli un petit nouveau : Alex
l'entrepreneur. En 2015, il a monté sa propre société, Travel Spotters Agency, et un
nouveau site internet, "New York en français" proposant des services personnalisés
aux francophones en voyage à New York. "Si j'ai créé cette marque là, c'est pour
travailler en BtoB avec les agences et proposer mon expertise et mes produits aux
agences, mais mon blog est toujours une concurrence pour elles", d'autant plus que
le site a récemment obtenu l'agrément pour devenir une agence de voyage (il
propose uniquement des services, cela dit). Le coeur de son business ? Des visites
guidées, standard ou "premium" à la découverte des quartiers de la ville, des tours
en bateaux avec un capitaine breton (!), des shootings photo, jeux de pistes et autres
food tour (six plats dans six restaurants différents). Alex a créé tout un écosystème
autour de son concept : une application mobile ou encore un guide papier (dont la
nouvelle version sortira au début de l'année prochaine), sans pour autant perdre le
concept ayant fait sa force. Ses guides sont des français expatriés (un ancien
employé d'affaires, une recrue de Broadway et une enseignante), tous payés en freelance, tous des "potes qui font visiter la ville". "J'ai vraiment voulu garder cette
proximité parce qu'aujourd'hui, les gens n'ont plus envie d'être dans un bus de
cinquante personnes et de visiter quelque chose avec un guide qui parle au micro.
C'est beaucoup plus sympa quand on a un guide qui explique les choses, qui raconte
un peu sa vie". Il est aussi passé de l'autre côté puisqu'aujourd'hui, c'est lui qui
reverse 7% de commission à des blogueurs pour monter un partenariat avec eux.
Son petit frère donne un coup de main sur la community management, quelques
autres free-lance s'occupent des commentaires sur le blog en permanence, qu'ils
résident à Chambéry, Sacramento ou Bali. En tout, le concept d'Alex réunit
aujourd'hui une quinzaine de personnes. Plus que jamais, il veut devenir une
marque. "Ce que je veux que les gens fassent, c'est un raccourci. Penser à Alex les
bons plans en pensant à New York. Pas forcément parce que je suis mégalo, mais
plutôt parce que j'ai créé ce petit univers, c'est mon personnage qui est tête de
gondole et qui permet de vendre au niveau marketing". Récemment, l'ancien
blogueur à plein temps devenu chef d'entreprise a organisé un concours dans lequel
il a permis à deux jeunes du sud de la France de partir une semaine dans sa ville
préférée avec lui en décembre prochain, non sans avoir sélectionné le duo parmi 275
autres candidats au concours. Il avoue avoir fait ça par plaisir, mais aussi pour
garder contact avec ces touristes qui ont fait son succès. "Je commence à être un
peu connu, j'ai un peu peur de perdre cette proximité avec les gens, c'est aussi le but
de l'opération. Aujourd'hui, je n'ai malheureusement plus le temps de répondre à tout
le monde, je suis donc un peu frustré. J'essaye quand même d'être présent. Je n'ai
surtout pas envie d'avoir la grosse tête et de devenir inaccessible".
"Elle et lui"
Pourtant, le succès est quantifiable : "Alex les bons plans" revendique quatre à six
mille visites par jour, 100 000 rien que sur le mois d'octobre, 1,7 millions en 2016.
Concernant "New York en français", c'est entre trois et quatre milles personnes qui
ont pu bénéficier de ses visites guidées. Son chiffre d'affaire ne cesse de grimper :
près de 700 000 euros en 2016 contre 350 000 en 2015. Et les projets sont là aussi :
en avril, le site va développer un tour de Central Park à vélo. "J'essayes toujours de
créer des choses qui plaisent aux gens, de l'authenticité", avoue Alex.
On lui a aussi demandé s'il n'était pas un brin lassé de toujours retourner dans la
même ville, s'il ne voulait pas essayer de changer. Pour l'instant, il n'en est
visiblement pas question. "Je n'en ai jamais marre d'y retourner. Cet été, je n'avais
qu'une envie, c'était d'y aller. Je n'y habiterais pas à l'année mais dès que j'y suis,
j'en ai envie. Peut-être que je vais sauter le pas un jour, quand mon fils sera plus
grand". Dernièrement, cela dit, il a ouvert un troisième blog centré sur ses autres
voyages, histoire de varier un peu les plaisirs. Il y parle notamment du Japon, de la
Grèce ou encore de la Réunion, preuve que le goût du voyage ne l'a jamais vraiment
quitté, même s'il en a fait son gagne-pain. Son succès, Alex l'a fondé sans aucun
financement public : vingt euros par an, soit le prix de l'hébergeur, voilà tout ce que
son concept lui a coûté. L'idée d'une levée de fond, très peu pour lui. "Je n'ai pas fait
de prêt personnel pour me financer. Des fois, je me pose des questions pour faire
une levée de fond et agrandir un peu le truc, mais finalement je me rends compte
que ça marche tellement bien comme ça que ce n'est pas forcément nécessaire.
C'est aussi un point fort".
Pour se maintenir en forme (sur place, il fait environ vingt kilomètres par jour à
chaque séjour d'une semaine environ), Alex s'est mis à la marche rapide sur un tapis
de course. Il compte retourner à New York dans un mois, pour le concours, donc,
mais aussi pour faire de nouveaux repérages. Après tous ces allers retours dans
cette ville qui est devenue son job, on se dit forcément qu'Alex a tout vu, tout vécu,
emmené tout le monde à New York. On se trompe encore. "Ma mère rêve d'y aller
depuis longtemps, elle n'y a toujours pas mis les pieds". Cela ne fera jamais qu'une
occasion de plus pour lui d'y retourner.
R.B 

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