Prise en charge des occlusions intestinales chez des patients

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Prise en charge des occlusions intestinales chez des patients
SYNTHÈSE
Med Pal 2003; 2: 197-210
© Masson, Paris, 2003, Tous droits réservés
Prise en charge des occlusions intestinales chez des patients atteints
de cancer en phase avancée
Frédéric Guirimand, Équipe mobile de soins palliatifs, Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, Service d’anesthésie réanimation chirurgicale, Hôpital Ambroise
Paré, Boulogne-Billancourt.
Summary
Management of bowel obstruction in patients with end-stage
cancer
This short review is devoted to the management of patients with
end-stage cancer who develop bowel obstruction. The role of
surgery, dilatation stents, antisecretory drugs and corticosteroids is discussed as well as the importance of treating pain. A
meta-analysis has confirmed that surgery has no effect on the
very severe short-term prognosis in patients with malignant
obstruction and that it has not proven to be effective in providing symptom relief or resolution of the obstruction. Benign
obstruction is common in these patients and may respond to
surgery. Complementary explorations are required to obtain a
precise diagnosis such as a unique obstacle that would be
assessable to stent dilatation, a method with proven efficacy.
Antisecretory agents are essential for proper medical care.
Somatostatin analogs (octerotide) have a more rapid action than
anticholinergic agents and should be used as first-line treatment, followed by scopolamine butybromide (Scoburen). Corticosteroids have a limited effect on obstruction. They may be
useful for their antiemetic effect and as a co-antalgesic. If a gastric tube is needed, its use should be reevaluated daily, taking
into consideration the patient’s desires and needs. Opioids are
essential, administered via an intravenous infusion or subcutaneous injections, often the only route available. Patient-controlled antalgesia (PCA) is an important approach allowing the
patient to titrate morphine as needed.
Résumé
Cette revue précise quelques lignes de conduite pour la prise en
charge des patients atteints d’occlusion intestinale en phase
avancée d’un cancer. Elle aborde la place de la chirurgie, l’indication d’un stent de dilatation, les antisécrétoires, l’intérêt des
corticoïdes et quelques règles pour la prise en charge de la douleur. Une méta-analyse confirme que la chirurgie ne modifie pas
le pronostic très sombre à court terme des occlusions malignes
et qu’elle n’a fait les preuves de son efficacité pour l’amélioration des symptômes et la résolution de l’occlusion. Les occlusions bénignes sont fréquentes et peuvent répondre à la
chirurgie. Des examens complémentaires orientent vers le diagnostic précis et notamment un obstacle unique, accessible parfois à un stent de dilatation ; cette technique fait largement ses
preuves. Les antisécrétoires sont une pièce maîtresse du traitement médical. Les analogues de la somatostatine (octréotide)
agissent plus rapidement que les anticholinergiques et sont utilisés en phase initiale. Le relais est pris par butylbromure de scopolamine (Scoburen). L’efficacité des corticoïdes pour la
résolution de l’occlusion est très limitée. Leur intérêt réside dans
leur effet antiémétique et co-analgésique. Si une sonde gastrique
est nécessaire en phase initiale, son utilisation devra être réévaluée quotidiennement et rediscutée avec le patient à sa
demande. Les antalgiques opioïdes ont une place prioritaire : la
voie intraveineuse ou sous cutanée est souvent la seule utilisable. Les techniques d’autoadministration (PCA) ont une place de
choix car elles permettent une titration des besoins en morphine
tout en laissant une large autonomie au patient.
Key-words: palliative care, malignant bowel obstruction, endstage cancer, peritoneal carcinomatosis, anti-secretory drugs.
Mots clés : soins palliatifs, occlusion intestinale maligne, carcinose péritonéale, médicaments antisécrétoires.
Guirimand F. Prise en charge des occlusions intestinales chez des patients
Adresse pour la correspondance :
atteints de cancer en phase avancée. Med Pal 2003; 2: 197-210.
Frédéric Guirimand, Équipe mobile de soins palliatifs, Centre d’évaluation et de
traitement de la douleur, Service d’anesthésie réanimation chirurgicale, Hôpital
Ambroise Paré, 92104 Boulogne-Billancourt.
e-mail : [email protected]
Introduction
patients rend leur prise en charge particulièrement délicate. Jusqu’à une époque récente, ces occlusions étaient
La survenue d’une occlusion intestinale est un phéno- encore traitées comme des occlusions intestinales aiguës
mène très fréquent chez les patients atteints d’un cancer avec des traitements très stéréotypés : aspiration gastrique
abdominal en phase avancée [1]. L’état général des continue au moyen d’une sonde naso-gastrique, réhydra-
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Prise en charge des occlusions intestinales chez des patients
atteints de cancer en phase avancée
tation par voie intraveineuse, laparotomie à la recherche
d’une cause accessible à la chirurgie. Les patients non
opérés restaient alors hospitalisés longtemps et leurs
symptômes n’étaient pas contrôlés. Le pronostic était toujours jugé comme sombre.
En 1985, Baines et al publient un article dans le Lancet, dans lequel ils rapportent l’expérience du Saint-Christopher Hospital. Ces auteurs montrent que, même lorsque
la chirurgie n’a plus sa place, il est encore possible de
diminuer les douleurs abdominales, les nausées et les
vomissements, grâce à l’utilisation d’un traitement médical bien conduit à base d’analgésiques, d’antispasmodiques et d’antiémétiques [1]. Ils remettent en cause la
suprématie du traitement chirurgical dans les occlusions
intestinales pour des patients en phase avancée d’un cancer : contrairement à une idée reçue jusque-là, l’abstention chirurgicale ne conduit pas
inéluctablement au décès à brève
L’évolution de ces patients échéance dans d’atroces souffrances.
Depuis 17 ans, ces expériences se
occlus n’est jamais simple. sont multipliées et beaucoup d’équipes se donnent aujourd’hui pour
priorité l’évaluation des symptômes et leur contrôle par
traitement médical. Le pronostic à court terme n’est plus
aussi sombre qu’il y a quelques années : au Saint-Christopher Hospital, la moyenne de survie est de 3,7 mois [2]
et il n’est pas rare de suivre des patients en occlusion ou
subocclusion durant 7 à 10 mois.
Cependant, l’évolution de ces patients occlus n’est
jamais simple. Une rémission temporaire survient habituellement mais les épisodes occlusifs se succèdent pour
aboutir finalement à la perte définitive de la fonction alimentaire. L’évolution de la maladie résulte d’un échec des
thérapies curatives type chimiothérapie. Ces complications sont à l’origine d’une nouvelle hospitalisation, presque toujours dans un contexte d’urgence. À chaque
épisode, de multiples questions se posent : patient et soignants s’interrogent sur l’efficacité des moyens mis en
œuvre pour soigner cet épisode occlusif. Quelle est la
place des différentes propositions thérapeutiques ? Quand
faut-il opérer ou au contraire pourquoi n’est-il pas raisonnable d’opérer ? Par quel mécanisme cet épisode survient-il : évolution de la maladie, preuve d’échec des
traitements ou simple épisode en relation avec une cause
bénigne ? Y a-t-il un risque que cette occlusion récidive ?
Si l’alimentation orale n’est d’ores et déjà plus possible,
faut-il mettre en route une alimentation parentérale ? Ou
alors une hydratation seule ? Un tel traitement peut-il se
faire à domicile ? Sinon, faut-il envisager une hospitalisation prolongée en service aigu, un transfert en unité de
soins palliatifs ? Autant de questions auxquelles il est risqué de répondre de façon formelle et péremptoire. Nous
avons en effet à notre disposition un certain nombre
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d’outils plus ou moins bien validés mais la précarité de
l’état général de ces patients pose les limites de leur utilisation et en particulier pour les thérapeutiques chirurgicales.
À travers cette revue, nous présenterons les données
scientifiques actuelles permettant d’aider à la prise de
décision. Certains aspects faisant l’objet d’un consensus
ne seront pas ou peu abordés : aspects physiopathologiques, cliniques, correction des troubles hydroélectrolytiques, place des examens complémentaires radiologiques
ou biologiques, thérapeutiques antiémétiques… D’autres
questions n’ont pas fait l’objet de publication, comme les
avantages d’une chimiothérapie pour soulager des symptômes d’occlusion. Un protocole de traitement sera proposé en annexe pour rappeler qu’un schéma thérapeutique
doit rester un guide pour choisir une ligne de conduite ;
il ne s’apparente nullement à une recette toute faite et
universelle. Il est certain que des efforts doivent encore
être faits pour améliorer nos pratiques en s’étayant sur
une véritable recherche clinique dont on connaît toute la
complexité en ces phases avancées de maladie au pronostic défavorable.
Données épidémiologiques
et physiopathologiques
Les cancers gastro-intestinaux et ovariens sont parmi
les cancers les plus fréquents, responsables de
30 000 morts par an au Royaume-Uni [3, 4]. L’occlusion
intestinale est une complication fréquente des patients
atteints de cancer à une phase avancée de la maladie,
principalement lorsque la tumeur est d’origine abdominale ou pelvienne. L’incidence précise de cette complication reste méconnue mais d’après des études
rétrospectives, le cancer de l’ovaire se complique d’occlusion dans 5 à 51 % des cas ; cette fréquence est de 10 à
28 % en cas de cancer colorectal. Cette grande variabilité
provient de différences dans les critères diagnostiques
mais il est probable que l’incidence vraie des épisodes
d’obstruction est encore plus élevée.
Le syndrome occlusif se définit comme l’interruption
du transit intestinal. Il se manifeste par l’apparition de
trois symptômes d’intensité variable et de chronologie
parfois décalée : des douleurs abdominales, des vomissements et un arrêt des matières et des gaz. En phase avancée d’un cancer digestif ou gynécologique, l’obstruction
intestinale maligne se présente de façon beaucoup plus
sournoise que l’occlusion intestinale aiguë ; cette dernière
se manifeste sous forme de tableau classique « d’abdomen
chirurgical » avec des signes cliniques francs et soudains ;
l’occlusion maligne se caractérise par un début plus insi-
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dieux, évoluant sur plusieurs semaines ou mois avec parfois une rémission intermittente spontanée entre deux
épisodes occlusifs [5, 6].
L’occlusion intestinale résulte de plusieurs mécanismes physiopathologiques. Elle est dite fonctionnelle lorsque aucun obstacle n’est matérialisé ; elle est mécanique
en présence d’un obstacle sur le colon ou le grêle. L’occlusion fonctionnelle – iléus paralytique – est souvent en
relation avec un foyer infectieux ou inflammatoire abdominal ou encore un épanchement péritonéal ou même un
syndrome douloureux intra ou rétropéritonéal (colique
néphrétique). Les obstacles mécaniques sont classés selon
l’origine de l’obstruction :
– la compression extrinsèque de la lumière digestive
est la conséquence par exemple d’une masse tumorale
primitive ou métastatique (mésentérique ou épiploïque),
d’une fibrose radique, d’adhérences abdominales ou pelviennes ;
– l’occlusion intraluminale ou intramurale résulte de
la présence d’une tumeur qui occlut la lumière digestive,
d’une lignite… ;
– à part, les troubles de la motilité digestive. L’infiltration tumorale du mésentère, de la musculature lisse ou
encore de l’innervation du plexus cœliaque sont sources
de troubles de la motilité digestive. Des facteurs pharmacologiques se surajoutent fréquemment, opioïdes et anticholinergiques réduisant aussi la motilité digestive.
Au-delà de cette classification, il est essentiel en pratique clinique d’arriver à distinguer les occlusions d’origine maligne de celles qui ont une cause bénigne comme
des adhérences, un grêle radique, des hernies… La littérature, du fait de son caractère rétrospectif, ne met pas
assez en avant la difficulté de séparer ces deux étiologies
alors même que cette question se pose quotidiennement,
car les approches thérapeutiques sont différentes. Les
examens radiologiques restent essentiels (radiographies
sans préparation et avec produits de contraste, mais surtout scanner abdominal qui permet une juste appréciation
de l’évolution de la maladie et oriente vers l’origine de
l’occlusion).
Évaluation des symptômes :
priorité à l’auto évaluation
L’évaluation des symptômes est une question habituellement traitée de façon trop superficielle. Le médecin
fait confiance à son impression pour juger de l’importance des nausées, des vomissements ou de la douleur.
Pourtant, de nombreux travaux ont montré que le praticien est fort mauvais juge pour apprécier et quantifier
une gêne ou une douleur et qu’en la matière, il était bien
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préférable de faire confiance au patient lui-même. L’auto
évaluation est une notion admise par tous mais qui est
encore trop peu utilisée en pratique. Les échelles validées
en français se font rares alors qu’Anglais et Américains
utilisent couramment des questionnaires d’auto évaluation de symptômes. Les médecins français sont moins
habitués à ce mode de communication, peut-être aussi
parce qu’ils estiment qu’une hétéro évaluation a autant
de valeur qu’une auto évaluation. Pour la douleur du
cancer au moins, une étude française
récente a démontré le contraire [7].
Au même titre que la douleur, les
Il est essentiel, en pratique
autres symptômes (nausées, vomisclinique, de distinguer
sements, fatigue, anxiété…) doivent
être évalués par auto évaluation, très
les occlusions d’origine
simplement au moyen d’échelles
maligne à celle bénigne.
visuelles analogiques déterminant
l’intensité du symptômes (entre
« absence de symptômes » et « intensité maximale imaginable »).
Y a-t-il encore une place
pour la chirurgie ?
Tous les patients atteints d’occlusion intestinale ne
sont pas candidats à la chirurgie… Faire ou non la proposition d’une intervention chirurgicale en phase avancée
de maladie chez un patient atteint d’un cancer est un
choix difficile. Il faut tout d’abord rappeler que la décision
opératoire en vue d’une chirurgie qui ne peut, bien sûr,
n’être que palliative, dépend en premier lieu de l’état
général du patient, apprécié selon les échelles usuelles en
soin palliatif (Karnofsky, ECOG, état OMS…) ; la cotation
selon la classification ASA (American Society of Anesthesiology) est utile pour chiffrer le risque anesthésique mais
n’apporte pas d’argument décisionnel dans cette situation
très particulière. Le nombre de patients qualifiés « inopérables » atteint 5 à 60 %.
Le rôle de la chirurgie en cas d’obstruction maligne
reste controversé. La littérature de ces 20 dernières
années est essentiellement rétrospective et ne prend pas
en compte les progrès de la prise en charge pharmacologique : le plus souvent, rien n’est précisé quant à la
prise en charge médicale en alternative à la chirurgie.
La plupart des études ne s’intéressent qu’à la durée de
survie sans quantification des symptômes et de la qualité
de vie.
Une des questions clés porte sur l’origine de l’occlusion avec, sous-jacent, le risque de « passer à côté » d’une
origine bénigne. Un article récent a fait le point sur les
avantages et inconvénients de la chirurgie dans les occlu-
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www.e2med.com/mp
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atteints de cancer en phase avancée
sions intestinales chez les patients atteints de cancer
digestif [8]. Ces auteurs se sont intéressés au suivi rétrospectif de 75 patients ; ils ont testé l’hypothèse statistique
nulle à savoir qu’il n’y avait pas de différence en terme
de résultat entre les patients opérés et les autres. De nombreux paramètres ont été rassemblés : nombre d’épisodes
d’occlusion, temps passé à l’hôpital, temps passé avec une
sonde naso-gastrique, traitements entrepris pour l’occlusion… L’évaluation des symptômes reposait sur une hétéro
évaluation rétrospective par l’investigateur et n’entraient
en ligne de compte que les symptômes liés à l’occlusion
intestinale. Puis les patients étaient répartis en quatre
catégories : résultat excellent, bon, médiocre ou mauvais.
Un des résultats les plus intéressants de cette étude est
que 36 % des patients occlus ayant un cancer abdominal
présentaient une occlusion d’origine bénigne. Pour les
64 % restant, l’occlusion était directement liée au cancer :
ils furent alors classés en opérés (67 %) et non opérés
(33 %). Le premier résultat porte sur la brève durée de
survie : moins de 5 mois avec une médiane autour d’un
mois ; cette survie ne diffère pas, qu’il y ait eu intervention chirurgicale ou non. La chirurgie induit une mortalité
de 22 % ; elle résout le problème d’occlusion pour 76 %
des survivants alors même que des symptômes d’occlusion
persistent encore chez près de 50 % ces patients. Une récidive nécessitant une nouvelle hospitalisation survient
chez 16 % des patients. La mortalité
atteint 38 % dans le groupe des
patients non opérés, l’occlusion étant
À ce moment
résolue chez 90 % des sujets mais
de la maladie, seul compte avec une persistance de symptômes
chez 70 % d’entre eux. La durée
le confort du patient.
totale d’hospitalisation et le temps
nécessaire d’aspiration digestive par
une sonde naso-gastrique étaient légèrement plus courts
dans le groupe des patients non opérés mais sans signification statistique.
Ce type d’étude met aussi en exergue la difficulté de
prendre une décision opératoire alors même qu’à ce
moment de la maladie, seul compte le confort du patient.
La méthodologie (étude rétrospective ouverte) ne permet
pas de conclure définitivement en faveur de l’une ou
l’autre attitude. De nombreux biais existent : la décision
d’opérer signe souvent dans leur pratique une phase plus
avancée de la maladie ; les durées d’hospitalisation ou
de survie ne sont pas calculées de façon similaires dans
les deux groupes (problème de la date de départ) ;
d’autres éléments ne sont pas mentionnés comme la
standardisation des thérapeutiques médicales alors
même qu’il n’existe pas de consensus formel sur le sujet ;
la difficulté de faire la part entre occlusion bénigne et
occlusion maligne est occultée par le caractère rétrospectif de l’étude…
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La difficulté du diagnostic du mécanisme de l’occlusion
est pourtant à prendre en compte ; un patient atteint d’un
cancer ovarien ou intestinal ayant déjà eu une laparotomie
peut très bien faire une occlusion sur bride… Aujourd’hui,
ce sont les examens complémentaires (scanner abdominal
principalement mais aussi ponction d’ascite avec examen
cytologique) qui orientent vers le diagnostic d’occlusion
bénigne ou maligne. La qualité de vie du patient, son
niveau de confort et ses attentes restent au cœur même
d’une décision ; l’objectif est de prévoir si une éventuelle
intervention chirurgicale améliorera le confort du patient.
La Cochrane Library a publié une revue systématique
de la littérature intitulée : « Chirurgie pour la résolution
des symptômes en cas d’obstruction maligne survenant
chez des patients en phase avancée d’un cancer gynécologique ou gastro-intestinal » [3]. Cette méta analyse est
uniquement accessible sur internet. La question principale
est : la chirurgie résout-elle la situation clinique ou améliore-t-elle les symptômes de l’occlusion (les nausées, les
vomissements, la douleur et la sensation d’obstruction) ?
Les objectifs secondaires visent à répondre aux questions
suivantes : Peut-on déterminer un taux de récidive chez
les patients opérés ? Quelle est la mortalité et la morbidité
de la chirurgie ? A-t-on évalué les changements de qualité
de vie chez les patients opérés ?
La méthodologie utilisée est celle habituelle des revues
systématiques de la Cochrane Library ; elle s’appuie sur
un recueil des données publiées ou non, avec très large
enquête, contacts personnels, interrogation de multiples
sites web… Les données recueillies sont ensuite classées
selon une grille de qualité méthodologique, par deux rapporteurs qui comparent leurs résultats. Les 14 études rassemblées ici sont toutes de qualité méthodologique faible :
aucune analyse statistique n’est dès lors possible et les
résultats ne sont donc que qualitatifs. La question prioritaire – l’amélioration des symptômes – pose un problème
de définition et de quantification ; comme souvent en
étude rétrospective, la définition se fait a posteriori. Pour
certains auteurs, il s’agit d’une survie de 60 jours sans
symptôme occlusif ; pour d’autres, c’est la possibilité de
reprendre une alimentation normale après chirurgie, ce
qui ne veut pas dire pour autant que les symptômes soient
bien maîtrisés ; pour 8 essais, c’est la possibilité de « tolérer » une alimentation orale à la sortie de l’hôpital après
chirurgie. Selon ces critères variables, la réponse à la première question sur le contrôle des symptômes varie de 42
à 80 %.
La réponse aux 3 autres questions donne aussi des
chiffres très fluctuants : le taux de récidive d’occlusion
est compris entre 10 à 50 % sans plus de précision sur la
date de survenue. La mortalité varie de 5 et 32 % ; il n’est
pas possible d’extraire de taux de morbidité mais les complications décrites sont classiques : infection, sepsis, fis-
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tule digestive, thrombose veineuse, embolie pulmonaire,
infarctus du myocarde, éventration.
Du fait d’une rigueur méthodologique médiocre, cette
méta analyse ne peut conclure aucune implication claire
pour la pratique clinique. En terme de recherche, il faut
s’atteler à obtenir des essais de bonne qualité méthodologique, c’est-à-dire des essais prospectifs avec définition et
quantification des symptômes et de leur soulagement et
mesure de la qualité de vie au moyen d’échelles validées.
Il faut aussi faire la part entre occlusions d’origine maligne ou bénigne car elles n’ont pas le même pronostic. De
plus, les techniques chirurgicales doivent être évaluées :
à côté des classiques laparotomies, il faut aussi savoir proposer d’autres interventions palliatives, souvent moins
invasives. Nous en citerons deux exemples : la pose de
stent de dilatation et la gastrostomie percutanée.
En présence d’un syndrome occlusif chez un patient
porteur d’un cancer digestif ou ovarien, la clinique et les
examens complémentaires doivent permettre d’avancer
dans le diagnostic d’occlusion bénigne ou maligne. En
présence d’une obstruction bénigne, la contre-indication
chirurgicale provient de l’état clinique du patient. En présence d’une obstruction maligne, l’indication opératoire
est à discuter au cas par cas en sachant qu’aucune étude
ne permet de prédire une quelconque supériorité de la chirurgie sur le traitement médical bien conduit pour la maîtrise des douleurs, nausées ou vomissements, pour
diminuer le nombre de récidive, pour améliorer la mortalité ou la morbidité, pour améliorer la qualité de vie.
Quand proposer la pose d’un stent de dilatation ?
Depuis quelques années, on utilise couramment des
endoprothèses métalliques pour dilater l’œsophage, l’estomac, les voies biliaires, le duodénum ou le colon. Cette
technique est particulièrement utile chez les patients qui
ont un cancer avancé avec parfois un haut risque chirurgical ; cette dilatation peut aussi permettre de décomprimer le tube digestif rendant possible la chirurgie dans un
deuxième temps après, par exemple, préparation colique
en cas d’obstacle par sténose colique [9, 10]. La présence
de sténoses multiples et l’existence d’une carcinose péritonéale sont des contre-indications classiques de la pose
de stent de dilatation. L’évaluation de ces techniques est
assez bien documentée [11-13]. Dans une méta analyse
très récente, Khot et al [14] ont regroupé les résultats de
29 études, soit un total de 592 patients qui ont bénéficié
de la pose d’un stent pour occlusion sur cancer colorectal.
Avec 92 % de succès technique et 88 % de réussite clinique, la conclusion des auteurs est très claire : il s’agit d’un
traitement palliatif sûr et efficace associé une mortalité et
une morbidité faible (4 % de perforation et 10 % de
migration). Il faut donc savoir proposer cette solution aux
patients qui peuvent en bénéficier.
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Quand proposer une gastrostomie ?
La gastrotomie a largement fait ses preuves pour l’alimentation entérale de patients faisant des fausses routes
du fait de troubles neurologiques [15]. Son utilité pour
vidanger l’estomac dans les occlusions hautes est aussi
très largement décrite dans la littérature [16-22] ; cependant elle semble peu utilisée dans notre pays. D’après
Ripamonti [23] elle permet de conserver un minimum
d’alimentation orale tout en évitant les vomissements. Il
semble utile de proposer cette technique lorsque les traitements médicamenteux ne sont pas suffisamment efficaces pour contrôler des vomissements ; il faut alors
envisager une vidange gastrique itérative pour une assez
longue période. Certains auteurs suggèrent que sa mise en
place ait lieu au décours d’une chirurgie oncologique
gynécologique, lorsque la laparotomie révèle une carcinose péritonéale [24].
La technique de la gastrostomie percutanée endoscopique a été introduite dans les années 1980 pour permettre
une alimentation entérale sans sonde gastrique. Cette technique a une moindre mortalité et morbidité que la gastrostomie classique par voie chirurgicale [25] et permettrait de
soulager près de 90 % des patients [19-22]. Elle est parfois
réalisée sous anesthésie locale seule mais une anesthésie
générale est plus confortable ; elle a un coût moindre
qu’une gastrostomie chirurgicale. La technique est assez
simple et nécessite deux opérateurs :
l’un manie le fibroscope et éclaire par
transillumination le site de ponction
Il faut savoir proposer
en ramenant l’estomac sur la paroi
abdominale ; l’autre passe un trocart cette solution aux patients
à travers la peau et l’estomac puis un
qui peuvent en bénéficier.
fil-guide qui est récupéré par l’endoscope et ressorti par la bouche. Le tube
de gastrostomie est enfilé sur le guide et ressort à travers
la paroi abdominale. Sa mise en place est parfois plus délicate en présence d’une carcinose péritonéale importante ou
chez un patient déjà opéré de l’abdomen. Les contre-indications classiques sont la présence d’une hypertension portale (risque de varices œsophagienne), d’une ascite, d’un
trouble de la coagulation, d’un ulcère gastrique, un antécédent de gastrectomie partielle… Mais dans le contexte
d’occlusion maligne en phase avancée de maladie, aucune
contre-indication n’est absolue [17]. La complication la
plus fréquente est la survenue d’une péritonite qui survient
habituellement dans les 24 heures qui suivent l’acte, à une
fréquence de 1 % d’après une large série [26] ; une antibiothérapie prophylactique pourrait diminuer ce risque.
Mais rappelons que la présence d’une sonde naso-gastrique,
outre son principal inconvénient – l’inconfort des
patients – est aussi source de complications comme des
infections oro-pharyngées, des sinusites, des érosions œso-
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Prise en charge des occlusions intestinales chez des patients
atteints de cancer en phase avancée
phagiennes… En résumé, cette technique s’avère beaucoup
moins compliquée qu’une gastrostomie chirurgicale et peut
facilement être géré secondairement au domicile [18].
Du fait des adhérences chez un patient opéré à plusieurs reprises ou de la présence d’une carcinose péritonéale, la gastrostomie par abord chirurgical peut présenter
des difficultés de réalisation ; par contre, elle permet un
drainage gastrique avec une sonde (type Foley) d’un diamètre bien supérieur à celle insérée en percutanée. La
vidange gastrique est plus efficace, avec un risque moindre d’obstruction de la sonde.
Les radiologues ont aussi proposé une technique de
gastrostomie percutanée, utile lorsqu’un obstacle tumoral
ORL ou œsophagien obstrue la filière digestive : un fil
guide muni d’un ballonnet est passé à travers le défilé
tumoral ; l’estomac est alors gonflé et repéré par échographie ce qui permet de passer la sonde de gastrostomie sous
anesthésie locale. Cette technique est généralement bien
tolérée.
En présence d’une occlusion haute, il est encore fréquent d’avoir recours à une vidange gastrique, malgré
l’efficacité des antisécrétoires. Plusieurs possibilités
s’offrent : certains patients optent pour une sonde gastrique, soit laissée en place, soit repositionnée une à deux
fois par jour, avec des aspirations itératives. D’autres refuseront la sonde
et préféreront avoir des vomisseLa distension abdominale
ments une à deux fois par jour.
Enfin, en cas d’échec ou d’inconfort
est à l’origine
persistant, quelques patients choisides trois symptômes
ront la mise en place d’une gastrotomajeurs.
mie percutanée.
Quels antisécrétoires prescrire ?
La distension abdominale par accumulation de sécrétions digestives est à l’origine des trois symptômes
majeurs : la douleur abdominale, les nausées et les vomissements. En dehors même de toute prise alimentaire, l’air
dégluti et les 8 litres de sécrétions digestives s’accumulent
quotidiennement (sécrétion salivaire 1 500 ml, sécrétions
gastriques 2 500 ml, sécrétions pancréatiques et biliaires
1 000 ml, sécrétions intestinales 3 000 ml). Distension,
sécrétion, hyperactivité contractile forment un cercle
vicieux qui aboutit à des lésions épithéliales mais aussi à
une déshydratation et une hypovolémie. Deux approches
pharmacologiques complémentaires permettent de réduire
les vomissements : les antisécrétoires et les antiémétiques.
Les antiémétiques n’ont pas fait l’objet de travaux récents
et sont en général bien connus des prescripteurs. Rappelons toutefois le rôle délétère du métoclopramide en cas
d’occlusion du fait de son effet prokinétique qui peut
aggraver les douleurs de type de coliques. Halopéridol ou
dropéridol sont habituellement les médicaments de choix
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202
agissant directement sur le centre du vomissement (chemoreceptive trigger zone ou CTZ). Ils sont moins sédatifs
que les phénothiazines.
Les analogues de la somatostatine
Deux classes de médicaments réduisent les sécrétions
gastriques : les anticholinergiques dont le chef de file est
la scopolamine (sous forme de butylbromide de scopolamine) et les analogues de la somatostatine avec l’octréotide ou le vaprotide. L’octréotide est un octapeptide de
synthèse aux propriétés apparentées à celles de la somatostatine naturelle. Isolée initialement au niveau de
l’hypothalamus, la somatostatine est une hormone aux
propriétés multiples dont celles de diminuer les sécrétions
gastriques et intestinales et de ralentir la motilité digestive ; elle réduit la sécrétion d’hormone de croissance (GH)
(traitement de l’acromégalie) ainsi que la libération d’hormone thyréotrope (TSH). Au niveau du tractus digestif, les
actions physiologiques de cette hormone sécrétée par les
cellules D du pancréas sont principalement inhibitrices sur
de multiples sécrétions : sécrétions pancréatiques endocrines (insuline, glucagon et polypeptide pancréatique) ;
sécrétions peptidiques gastro-intestinales (gastrine, sécrétine, cholécystokinine, entéroglucagon, VIP, motiline) ;
sécrétions exocrines de l’estomac, de l’intestin, du pancréas et sur les sécrétions biliaires ; action inhibitrice de
la motricité gastro-intestinale et biliaire.
L’acétate d’octréotide diffère de la somatostatine par
une action beaucoup plus prolongée et plus intense que
celle de la somatostatine naturelle, permettant l’administration en 2 ou 3 injections quotidiennes ; sa sélectivité visà-vis de la sécrétion de GH et de glucagon est plus grande ;
il n’y a pas d’effet rebond lors de l’arrêt du traitement. Ces
analogues de la somatostatine réduisent aussi les sécrétions
gastriques, ralentissent la motilité intestinale et diminuent
les sécrétions biliaires. Ils augmentent la production de
mucus et abaissent le débit sanguin splanchnique. Ces
effets concourent à diminuer les productions d’eau et de sel
de l’épithélium intestinale et diminuent par ce biais la distension. Mais la prescription d’octréotide au cours des
occlusions intestinales est toujours hors AMM…
De part sa demi-vie brève, l’octréotide nécessite 2 à
3 injections par jour, voire une administration sous-cutanée continue, c’est pourquoi il pourrait être intéressant de
le remplacer par du lanreotide (Somatuline), une formulation à longue durée d’action (10 jours) [27]. Cependant,
certains symptômes ne sont contrôlés que par l’octréotide
et non par le lanreotide. De plus, certains patients développent une tolérance, si bien que l’effet s’épuise malgré
une augmentation des doses. En résumé, dans l’état actuel
de nos connaissances, il est impossible de prédire l’effet
du lanreotide en substitution de l’octréotide en administration continue dans le cadre d’un syndrome occlusif.
N° 4 – Septembre 2003
Frédéric Guirimand
D’autres équipes préfèrent utiliser de l’octréotide à libération prolongée (Sandostatine LP). Là encore, la prescription est hors AMM puisque les indications de la
Sandostatine LP se limitent aux tumeurs carcinoïdes,
(pour diminuer les bouffées vaso-motrices et les diarrhées). Les injections sont à renouveler tous les mois. Le
coût journalier de ces produits est élevé : 67 euros pour
la somatuline, 49 euros pour la Sandostatine LP 20 mg,
40 euros pour la sandostatine.
Hydrobromide et butylbromide de hyoscine
Les anticholinergiques sont des inhibiteurs compétitifs des récepteurs muscariniques de l’acétylcholine : ils
réduisent la motricité et le tonus de la musculature lisse ;
ils réduisent aussi la transmission synaptique au niveau
des ganglions sympathiques dans les parois digestives.
Des récepteurs muscariniques sont aussi observés dans
les cellules à mucus du tractus digestif ainsi que dans
les glandes salivaires. Ces mécanismes expliquent leur
action antisécrétoire.
Les atropiniques (bromhydrate de scopolamine) sont
souvent prescrits au cours des épisodes occlusifs survenant en phase avancée d’un cancer digestif. Toutefois, il
nous apparaît important d’en signaler les effets indésirables, en particulier sur l’accommodation visuelle
(mydriase) ou sur la thymie (agitation mais aussi hallucinations) ; ces effets qui résultent d’un passage de la barrière hémato-méningée, en limitent l’efficacité et l’intérêt
chez des patients encore tout à fait conscients. L’effet
antispasmodique de ces produits est cependant connu.
Le butylbromure de scopolamine est commercialisé
sous le nom de Scoburen (laboratoires Renaudin). Cette
substance possède les mêmes propriétés que le bromhydrate de scopolamine mais sans effet neurologique central
car elle ne passe pas la barrière hémato-encéphalique. Les
indications officielles concernent le traitement symptomatique des manifestations douloureuses aiguës liées aux
troubles fonctionnels du tube digestif et des voies biliaires
et le traitement symptomatique des manifestations douloureuses aiguës en gynécologie. Il serait souhaitable que
ces indications soient rapidement revues, au regard de la
littérature scientifique actuelle et que ce médicament soit
remboursé, ce qui n’est pas encore le cas.
De trop rares études ont comparé l’efficacité de la scopolamine et de l’octréotide. En 2000, Ripamonti et al ont
comparé les effets antisécrétoires de ces deux molécules
chez 17 patients tous porteurs d’une sonde naso gastrique
pour une occlusion due à une tumeur digestive inopérable
[28]. Ils ont quantifié le pourcentage de patients à qui la
sonde a pu être retirée ainsi que le temps où la sonde a été
laissée en place. Il s’agit d’une étude prospective randomisée, sans double aveugle ni groupe placebo. Les patients
porteurs d’une occlusion duodénale étaient exclus du fait
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SYNTHÈSE
de la difficulté à retirer les sondes chez ces patients. Les
doses comparées étaient 0,3 mg/jour d’octréotide versus
60 mg/jour de butylbromure de scopolamine et ce durant
3 jours en administration sous cutanée continue. Les symptômes étaient quantifiés au moyen d’une échelle verbale en
4 points, avant le traitement puis à J1, 2 et 3. Les sécrétions
gastriques étaient quantifiées quotidiennement via la sonde
naso-gastrique. L’octréotide réduit plus les sécrétions gastriques que la scopolamine, sans effet particulier sur les
symptômes (douleur ou nausées). D’après les résultats de
cette étude, l’hydratation parentérale semble par ailleurs
réduire les nausées et la somnolence.
Les mêmes auteurs ont aussi publié un autre essai
comparant octréotide et hyoscine chez des patients qui
n’avaient pas de sonde gastrique [29]. Cette deuxième
étude a inclus 18 patients, atteints d’occlusion intestinale
inopérable ; la méthodologie est identique à l’étude
décrite ci-dessus. L’octréotide réduit plus rapidement le
nombre de vomissements et l’intensité des nausées que le
butylbromure de hyoscine. L’effet des deux produits sur
les autres symptômes (douleur, somnolence, sécheresse de
bouche) n’est pas différent.
Ces deux articles récents montrent qu’un traitement
médical bien conduit associant analgésique, antisécrétoire
et antiémétique permet de contrôler
les symptômes des patients en occlusion. Les conclusions incitent à utiLes anticholinergiques
liser les premiers jours l’octréotide
qui agit plus rapidement, en sachant
sont des inhibiteurs
qu’au bout de 3 jours, butylbromure
compétitifs des récepteurs
de scopolamine et octréotide ont les
muscariniques
mêmes effets. Ces résultats concordent avec ce que l’on connaît de la
de l’acétylcholine.
physiopathologie avec le rôle prioritaire du peptide intestinale vaso-actif
(VIP) dans les sécrétions digestives au cours des occlusions. En bloquant ces récepteurs, l’octréotide inhibe les
sécrétions digestives. Un autre facteur semble majorer les
nausées : la déshydratation. Cette hypothèse mérite d’être
vérifiée au cours d’études futures.
En pratique, les antisécrétoires sont utiles pour améliorer les symptômes d’une occlusion. L’octréotide (Sandostatine) agit rapidement. Il est prescrit à la dose de
0,1 mg toutes les 8 heures. En cas d’efficacité, des formes
à libération prolongée d’octréotide (Sandostatine LP) ou
de Lanréotide (Somatuline) peuvent prendre le relais. Le
butylbromure de scopolamine (Scoburen) agit plus lentement que l’octréotide mais son coût journalier est beaucoup plus faible (mais non remboursé en ville !…). On peut
l’utiliser par voie intraveineuse ou sous-cutanée, sans problème de mélange avec la morphine, à la dose de 80 mg
par 24 heures ; certains auteurs utilisent des doses beaucoup plus élevées sans effet indésirable.
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SYNTHÈSE
Prise en charge des occlusions intestinales chez des patients
atteints de cancer en phase avancée
Les corticoïdes :
sur quoi repose leur large utilisation ?
leur, nausée, vomissement). Déterminer si les corticoïdes
réduisent l’incidence des récidives d’épisodes occlusifs.
Déterminer si les corticoïdes augmentent ou diminuent la
La place des corticoïdes dans les occlusions intestinales mortalité et la morbidité. Déterminer si les corticoïdes
reste toujours débattue ; ils peuvent théoriquement appor- modifient la qualité de vie.
ter un certain bénéfice agissant principalement comme
Cette méta-analyse a rassemblé trois essais randomisés
antiémétique [30] et secondairement en réduisant l’œdème contrôlés de bonne qualité méthodologique ; 7 autres étupéritumoral ; ils ont aussi une utilité comme co-analgési- des ont été disponibles, mais de méthodologie moins
que [31]. La dexaméthasone est le produit de référence en bonne, ne permettant pas leur exploitation en méta-anaassociation à d’autres classes d’antiémétiques, alors que lyse. L’analyse indique une tendance à l’efficacité des corl’habitude française privilégie la prescription de méthyl- ticoïdes sur le critère principal, à savoir, la résolution de
prednisolone (Solumédrol). Son intérêt thérapeutique dans l’épisode occlusif. Mais elle ne met pas en évidence d’effet
la résolution des occlusions malignes a fait l’objet de plu- des corticoïdes sur la mortalité à un mois. Il n’y a pas non
sieurs articles originaux et revues générales [32] mais la plus d’effet sur la résolution des symptômes ou sur la sursynthèse la plus récente est publiée avec mise à jour pério- venue d’épisodes ultérieurs d’occlusion. Le nombre de
dique à la Cochrane Library [4]. Les données suivantes sont patients à traiter nécessaire (NNT ou number needed to
principalement issues de cette revue systématique.
treat) est de 6 (intervalle de confiance 95 % : de 3 à l’infini)
D’après certains auteurs, les corticoïdes amélioreraient ce qui signifie en clair qu’il faut traiter 6 patients atteints
les patients en occlusion mais ces essais sont de métho- d’occlusion pour qu’un seul épisode se résolve grâce aux
dologie moyenne (études non contrôlés ni randomisées). corticoïdes. Aucun résultat ne précise la morbidité d’un tel
Le problème essentiel est que l’occlusion est un phéno- traitement, notamment la part de morbidité due aux cormène dynamique avec des symptômes évoluant dans le ticoïdes dans une telle situation. Les auteurs concluent que
temps et parfois spontanément résolutifs. Les corticoïdes les données scientifiques sont encore insuffisantes pour
sont souvent données pour une durée courte avec une tirer des conclusions définitives. Notons surtout le très lent
dose de charge suivie d’une rapide décroissante avant taux d’inclusion dans les 3 études de qualité [33-35]. Par
l’arrêt. Cette habitude reflète surtout le désir de limiter les exemple, l’étude française [35] a recruté 58 patients en
effets indésirables comme les candidoses buccales, fai- 29 mois sur 35 institutions différentes. La faible efficacité
blesse musculaire, complications gastriques et prédisposi- des corticoïdes est aussi due au fort pourcentage de résotion aux hémorragies. La voie d’administration varie lution spontanée des épisodes occlusifs puisque dans les
aussi : orale, intraveineuse, sous-cutanée voire rectale. 3 essais randomisés, ce taux varie de 33 à 60 %. Notons
Cette diversité de prescription reflète en fait l’attitude aussi le faible taux d’effets indésirables, confirmé aussi
empirique rencontrée très souvent en médecine lorsque la dans les essais de méthodologie médiocre.
pathologie est trop rare ou trop lourde pour proposer une
La dose quotidienne de dexaméthasone n’est pas non
recherche scientifique au cours
plus déterminée, variant de 6 à 100 mg. Le délai d’action
d’essais thérapeutiques de bonne
n’est pas connu mais les auteurs s’accordent à dire que si
méthodologie. Mais cette absence de
aucune amélioration n’est survenue en 4 ou 5 jours, il est
Cette absence
consensus contribue aussi aux mulraisonnable d’arrêter le traitement. L’étude française a
tiples hésitations thérapeutiques, ces
de consensus contribue
comparé les effets du placebo à deux doses de Solumédrol
patients restant hospitalisés pour de
aussi aux multiples
(40 mg et 240 mg par jour en 1 heure durant 3 jours) ; la
longues périodes surtout si les symptaille des groupes ne permet pas de tirer de conclusions
hésitations
tômes persistent.
statistiques, mais une tendance à l’amélioration sous corLa revue générale de la littérature
thérapeutiques.
ticoïdes semble se dessiner…
sur le sujet effectuée par Feuer et
Enfin, on suppose qu’en participant à la résolution de
Broadley [4, 32] a rassemblé l’ensemble des essais publiés
l’épisode
occlusif, les corticoïdes améliorent les symptômes
ou non sur l’efficacité des corticoïdes dans le traitement
et
donc
la
qualité de vie. Ceci n’est aujourd’hui nullement
des occlusions intestinales en relation avec un cancer
démontré
et
d’autres essais sont dès lors nécessaires pour
digestif ou gynécologique. Les questions posées par les
confirmer
l’intérêt
des corticoïdes ; il faudra en tout cas
auteurs sont les suivantes :
prendre
soin
que
la
qualité de vie représente le critère prin– objectif principal : rôle des corticoïdes dans la résocipal
de
l’essai.
lution des épisodes obstructifs dans les 10 jours suivant
les premiers symptômes ;
En résumé, l’efficacité des corticoïdes dans la résolution
– objectifs secondaires : déterminer la place des cor- des épisodes occlusifs n’est pas prouvée. Cependant, la pluticoïdes dans le traitement de différents symptômes (dou- part des équipes les utilisent, car ils sont en général bien
Médecine palliative
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N° 4 – Septembre 2003
Frédéric Guirimand
supportés et peuvent aussi contribuer à diminuer les vomissements, la douleur, les nausées… Leur coût est minime. La
dexaméthasone a notre préférence du fait de son faible effet
minéralocorticoïde. Les fortes doses initiales (jusqu’à
100 mg par jour) sont diminuées rapidement.
La sonde gastrique :
le moins longtemps possible…
La pose de la sonde gastrique dépendra surtout de l’efficacité ou non des traitements discutés précédemment. À la
phase initiale de l’occlusion, la pose d’une sonde gastrique
permet souvent un soulagement rapide des symptômes. La
pertinence de ce traitement mérite d’être réévaluée quotidiennement. Prolonger l’aspiration gastrique pour le traitement symptomatique de patients occlus et inopérables n’est
plus recommandé [23] : les inconvénients de ce traitement
en termes principalement d’inconfort, se surajoutent à toutes les autres sources d’inconfort dues à la maladie. L’étude
française sur l’utilisation des corticoïdes au cours d’épisodes occlusifs chez des patients atteints de cancer est assez
significative : la sonde gastrique a pu être évitée chez 77 %
des patients. Dans cette perspective, il faut s’interroger sur
le bien fondé de cette thérapeutique et en limiter au maximum la durée, le temps que les thérapeutiques complémentaires fassent leur effet. Si l’occlusion est haute, le patient
aura plus fréquemment besoin de vider son estomac ; la
sonde gastrique à demeure ou posée à discrétion reste alors
une des solutions.
La sonde gastrique reste une solution rapide pour
vidanger l’estomac et soulager les vomissements et les
douleurs de distension. Lorsqu’une sonde est mise en place
à la phase initiale d’une occlusion, son utilité doit être
réévaluée après mise en route des traitements médicamenteux. Elle est rarement nécessaire au-delà du 3e jour. En
cas d’occlusion haute nécessitant une vidange gastrique
périodique, l’aspiration gastrique reste une des solutions
que le patient peut choisir.
Prise en charge de la douleur
La plupart des patients en phase avancée d’un cancer
abdominal nécessitent des antalgiques opioïdes de pallier III de l’OMS. Malheureusement, en France, notre pharmacopée est particulièrement pauvre en antalgiques de
cette classe puisque quatre molécules seulement sont disponibles : morphine (administration orale ou systémique),
fentanyl (transdermique (Durogésic) ou transmuqueux
buccal (Actiq), hydromorphone et oxycodone uniquement
en forme orale à libération prolongée. L’administration de
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SYNTHÈSE
ces antalgiques selon les recommandations internationales de l’OMS (1996) permet en général de bien contrôler
la situation. Mais l’usage des morphiniques dans la douleur du cancer est encore en proie à une mauvaise formation des prescripteurs comme de tous les soignants si bien
que de nombreuses réticences à leur utilisation aux doses
efficaces persistent. Cette méconnaissance porte surtout
sur deux aspects ; la nécessité d’adapter la dose selon le
patient (communément appelée « titration ») et la mauvaise gestion des effets indésirables sont encore sources
de fréquents échecs thérapeutiques. L’effet des opioïdes
sur la douleur viscérale est bien connu avec une diminution des douleurs à type de spasmes coliques, ne seraitce que par leur effet ralentisseur du transit. De ce point
de vue, il semble en pratique clinique que le fentanyl ait
moins de répercussions sur le transit que la morphine
même si peu de données permettent de conforter cette
hypothèse.
En période d’occlusion ou de subocclusion, se pose
inéluctablement le problème de la voie d’abord des
opioïdes. En cas d’occlusion basse, la voie orale peut
souvent être conservée mais des vomissements obligent
généralement à changer de voie d’administration. En cas
d’occlusion haute, il faudra abandonner la voie orale
pour une voie intraveineuse, sous-cutanée ou transdermique. Notons cependant que le choix n’est en réalité
pas aussi large car la voie transdermique est en pratique
peu adaptée à cette situation aiguë : en effet, une période
d’occlusion s’accompagne souvent d’un accroissement
ou au moins d’une modification des douleurs évaluant
très rapidement sur quelques heures, avec de nombreux
à-coups douloureux ce qui nécessite une adaptation fréquente des traitements ; d’où l’importance d’utiliser des
voies d’administration très maniables ce qui n’est pas le cas du fentanyl transdermique qui est un
La sonde gastrique reste
système à très forte inertie. En pratique, en l’absence de méthadone,
une solution rapide.
d’oxycodone ou d’hydromorphone
injectable – indisponibles en France – la morphine reste
le seul opioïde disponible. Devant les difficultés d’adapter les doses à chaque patient, il semble logique de promouvoir en ces circonstances l’auto-administration de
morphine selon un mode PCA (analgésie contrôlée par
le patient) qui peut se pratiquer aussi bien par voie intraveineuse que sous-cutanée. La plupart des patients sont
d’ailleurs très demandeurs d’indépendance et d’autonomie à un moment où justement la maladie les contraint
de plus en plus (hospitalisation, perfusion, aide pour les
soins quotidiens…). Ce traitement de la douleur au
moyen d’une pompe d’auto-administration de morphine
peut même se poursuivre à domicile. Enfin, douleur et
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SYNTHÈSE
Prise en charge des occlusions intestinales chez des patients
atteints de cancer en phase avancée
anxiété varient au cours du nycthémère ; angoisses nocturnes et insomnies avec inversion du rythme nycthéméral incitent alors à majorer les anxiolytiques la nuit.
Ceci peut se faire très simplement, y compris au domicile,
avec les derniers modèles de pompes programmables,
délivrant des débits différents au cours du nycthémère.
La chronothérapie semble un plus pour ces patients particulièrement difficiles à équilibrer, notamment pour
préserver à la fois une bonne vigilance diurne et un sommeil de qualité la nuit.
Devant un tableau d’occlusion ou de subocclusion
chez un patient porteur d’un carcinose péritonéale, il
n’est pas rare d’hésiter entre une occlusion par compression extrinsèque (nodule de carcinose par exemple) et
une occlusion sur fécalome du fait d’un ralentissement
extrême du transit. Rappelons qu’une constipation survient chez 85 % des patients traités aux opioïdes sans
aucune tolérance à cet effet ; le mécanisme de cette
constipation est double à la fois périphérique et central.
Les récepteurs opioïdes mu sont localisés dans la
muqueuse et les plexus myentériques de l’iléon et du colon. La stimulation de ces récepteurs provoque
Les antispasmodiques
une diminution des sécrétions du
peuvent aussi avoir un rôle grêle, une augmentation de la réabsorption d’eau au niveau colique
antalgique.
induisant ainsi une diminution de la
teneur en eau du bol alimentaire. La durée du transit
intestinal s’en trouve augmentée avec parfois des douleurs abdominales [36]. Un deuxième mécanisme induit
directement un ralentissement de la motricité digestive.
Enfin, les opioïdes diminuent la libération d’acétylcholine, d’où une diminution de l’activité parasympathique
et un ralentissement de la motricité digestive.
En pratique, en présence d’une occlusion basse,
après avoir éliminé un autre mécanisme, il est parfois
possible de rétablir un transit en administrant prudemment des laxatifs osmotiques ou lubrifiants associés à
des lavements ; une exacerbation des douleurs ou une
inefficacité doit conduire à revoir le mécanisme de
l’occlusion. Par contre, les stimulants de la motricité
digestive sont à proscrire du fait d’un obstacle toujours
possible et du risque d’exacerbation des douleurs abdominales qu’ils peuvent entraîner. Quant aux antagonistes opioïdes type naloxone, ils renversent bien la
constipation induite par les opioïdes mais aussi leurs
effets analgésiques : plusieurs études confirment le
maniement très délicat de ces antagonistes [37-39]. La
naloxone passant la barrière hémato-encéphalique, elle
déplace l’opioïde de son récepteur central et annihile
son effet. En conservant la logique d’utilisation d’antagonistes opioïdes, il serait plus intéressant d’utiliser des
molécules antagonistes ne franchissant pas la barrière
Médecine palliative
206
hémato-encéphalique. Ce type de molécules existe sous
forme de méthylnaltrexone ; elle a déjà été utilisée avec
succès chez l’homme (pour soulager le prurit par exemple). Elle a aussi été administrée en prévention de la
constipation induite par la morphine [40, 41]. Mais cette
molécule n’est pas disponible en France ; très récemment, un laboratoire pharmaceutique semble enfin s’y
intéresser…
À côté des opioïdes, les antispasmodiques peuvent
aussi avoir un rôle antalgique. Là encore, notre pharmacopée est particulièrement pauvre en molécules efficaces ;
le butylbromure de hyoscine trouve encore ici une place
de choix et mériterait d’être mieux évalué.
Enfin devant des douleurs abdominales particulièrement rebelles aux opioïdes ou devant des effets digestifs
des opioïdes mal contrôlés, il faut aussi savoir avoir
recours à des techniques d’analgésie locorégionale, type
bloc cœliaque ou péridurale. L’administration d’anesthésique local engendre un bloc sympathique ; elle réduit les
besoins en opioïdes et peut aussi avoir des effets salutaires
pour accélérer une reprise de transit.
La présence d’un syndrome occlusif ne doit pas
empêcher la prescription d’antalgiques de type opioïde.
Les aléas de fonctionnalité du tube digestif incitent à
proposer une alternative à la voie orale. Dans notre
expérience, la voie transdermique n’est pas adaptée tant
que les douleurs sont instables. Les voies intraveineuses
ou sous-cutanées ont notre préférence, si possible au
moyen d’une pompe d’auto-administration du fait de la
très grande variabilité interindividuelle. Le fentanyl par
voie buccale (Actiq) pour les douleurs paroxystiques doit
encore être évaluée. L’antispasmodique de référence est
le butylbromure de scopolamine (Scoburen® de 60 à
380 mg/j), couramment donnés en association aux morphiniques.
Hospitalisation ou retour à domicile ?
Il est un a priori affirmant que les patients en occlusion doivent rester hospitalisés. En fait, l’expérience
prouve que de nombreux patients en occlusion peuvent
rester à domicile avec un contrôle satisfaisant de la douleur, des nausées et vomissements. La gestion au domicile
nécessite une très bonne anticipation des complications :
mise en place au domicile des médicaments utiles, du
matériel d’aspiration, médecin de ville au courant de la
situation et d’accord pour prendre en charge le patient à
son domicile. Le travail des infirmières au domicile est
fondamental, pour notamment réévaluer la situation
2 fois par jour et joindre les médecins prescripteurs pour
adapter les traitements.
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SYNTHÈSE
Frédéric Guirimand
En guise de conclusion
L’analyse des données de la littérature révèle l’absence
de consensus pour la prise en charge des patients atteints
d’occlusion intestinale en phase avancée d’un cancer,
même si tous les auteurs s’accordent pour dire qu’antalgiques, antisécrétoires et antiémétisants améliorent la
situation. Au cœur de ces questions médicales, en cette
phase avancée de maladie, le soulagement des symptômes
vise aussi à permettre au patient de reprendre la parole à
propos de son expérience, sans se laisser « enfermer » dans
la catégorie des « mourants ». La maîtrise des symptômes
reste un préalable essentiel pour parvenir à un accompagnement de qualité. En effet, prenons l’exemple d’une
douleur (abdominale) mal soulagée. Les données actuelles
de neurophysiologie concordent tout à fait avec l’expérience de tout clinicien : la douleur est une information
que les centres supérieurs du système nerveux reconnaissent comme prioritaire. À ce titre, elle met en jeu des systèmes de contrôles, dont certains sont aujourd’hui bien
connus comme les Contrôles Inhibiteurs Diffus induits par
stimulation Nociceptive (CIDN) qui s’exercent à tous les
étages de la moelle ; leur effet inhibiteur s’exerce sur toutes les informations qui pénètrent au niveau du système
nerveux central dès leur entrée dans la moelle. En réduisant les informations non douloureuses, le contraste est
accentué entre informations douloureuses et informations
non douloureuses ; le message douloureux s’en trouve
amplifié par rapport à toute autre information [42].
D’après cette hypothèse, en soulageant la douleur, il est
possible de rendre accessible au cerveau d’autres informations jusque-là bloquées. Pourquoi n’en serait-il pas de
même avec d’autres symptômes tout aussi accaparants
comme des nausées, des vomissements ?…
Il n’existe à ce jour aucune preuve électrophysiologique que ce qui est bien décrit en terme de nociception
s’applique à d’autre domaine. Cependant, la pratique clinique nous montre qu’en soulageant les symptômes les
plus préoccupants, de multiples informations jusque-là
bloquées ou indisponibles, ont de nouveau accès au cerveau. En se distanciant, même temporairement, des problèmes purement somatiques, le patient redonne place à
une réflexion, une parole, un échange avec autrui, un probable discernement quant à son devenir. Sa parole peut
de nouveau s’inscrire dans le présent et se projeter dans
une forme d’avenir, permettant l’émergence de projets qui
deviennent prioritaires : c’est aussi la mission des soignants-accompagnants de soutenir le patient dans la formulation de son désir et la réalisation de ces projets.
Le premier épisode occlusif correspond souvent à un
tournant dans l’évolution de la maladie. Jusque-là, le
malade percevait que les événements qui se succédaient
étaient relativement simples avec à chaque fois une réponse
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médicale quasi unique : symptômes, diagnostic, traitement
médical, traitement chirurgical, radiothérapie, chimiothérapie avec pour chaque étape un « consentement » du patient
le plus souvent tacite puisqu’il s’agissait de prendre à un
moment donné de l’évolution de la maladie, la meilleure
décision médicale « dans l’état actuel de la science ». Pour
être encore plus caricatural, cette situation correspond au
modèle antique de la médecine, chargée de « faire le bien » ;
et de facto, le médecin est persuadé de « bien faire ».
L’irruption de complications, comme un épisode occlusif,
met inéluctablement du sable dans les rouages de la relation entre le patient et les soignants. Une complication survient et l’incertitude de l’évolution rend toute décision
difficile à prendre. De façon un peu paradoxale, c’est justement quand la situation se complique qu’on commence
à redonner la parole au patient ; comme s’il fallait parfois
attendre que le médecin soit dans l’incertitude pour que le
malade redevienne acteur, partenaire de ses soins ; donc,
libre et autonome. Le devoir d’information et de consentement existe pourtant depuis le début de la maladie. Même
si « tout » a déjà été dit auparavant,
c’est souvent au moment de la complication que le malade « comprend ».
C’est quand la situation
Fréquemment, le diagnostic a déjà été
annoncé depuis plusieurs semaines ou se complique qu'on redonne
mois mais le pronostic était jusque-là
la parole au patient.
rarement compris. La complication
sous forme d’occlusion les met face à des limites : limites
des possibilités thérapeutiques car « beaucoup de choses ont
déjà été essayées » ; limites de l’efficacité des traitements
(on ne peut garantir 100 % de soulagement) ; limite donc
de la « toute-puissance de la médecine et du pouvoir médical » ; limite aussi de la vie avec toutes les souffrances et
révoltes qu’engendre le sentiment de finitude… Il est évident que cette souffrance s’exprime aussi par le corps à
travers justement les symptômes rencontrés. Mais c’est précisément en se préoccupant de façon prioritaire du traitement des symptômes qu’il est alors possible de laisser
s’exprimer la parole du patient. À charge encore au soignant et à l’entourage de la recueillir.
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Annexe
Proposition de protocole de traitement
symptomatique des patients en occlusion atteints d’un cancer
• Examen clinique et examen radiologique permettent d’arriver au diagnostic d’occlusion ; il faut éliminer
d’autres causes de nausées, de vomissement ou de douleur
abdominale (constipation, iléus…). Quantifier par auto
évaluation les principaux symptômes (douleur, nausées,
vomissements, sécheresse de bouche) sur une échelle
visuelle ou numérique (cotation de 0 à 10).
• Antécédents et examens complémentaires récents
permettent de clarifier le statut carcinologique du patient.
Ces données complètent l’observation clinique et orientent vers une occlusion d’origine bénigne ou maligne
(récidive tumorale, carcinose…). Faire la distinction entre
occlusion haute (grêle) avec des vomissements fréquents
et une occlusion basse (colique) où la distension prédomine. L’occlusion peut être complète ou partielle.
• Débuter le traitement médical : antispasmodiquesantisécrétoires, antalgiques, antiémétique.
Med Pal 2003; 2: 197-210
© Masson, Paris, 2003, Tous droits réservés
– Antisécrétoires : la Sandostatine agit le plus rapidement ; dose 0,1 à 0,2 µg sous-cutanée, 3 fois par jour au
moins durant les 3 premiers jours. Son coût la fait réserver aux patients atteints d’une occlusion haute dont les
vomissements échappent aux autres thérapeutiques.
– Antispasmodique-antisécrétoire : préférer le Scoburen® qui n’a pas d’effet central, en débutant à 80 mg/jour,
dose pouvant être augmentée selon les besoins (jusqu’à
380 mg/jour). En remplacement, on peut utiliser de la
scopolamine® (1 à 2,5 mg par jour en sous-cutanée) mais
au risque d’effets centraux type somnolence, agitation,
hallucination.
– Antalgiques : les non opioïdes ne sont généralement pas assez efficaces (paracétamol, néfopam…) et le
recours aux opioïdes forts est le plus souvent nécessaire :
morphine par voie sous-cutanée ou intraveineuse, au
mieux au départ avec une autotitration selon un mode
PCA. Le fentanyl transmuqueux par voie buccale (Actiq)
est une alternative de la pompe à morphine pour les àcoups douloureux. La voie transdermique est peu maniable en période d’instabilité des douleurs mais aura son
utilité lorsque la situation sera stabilisée.
– Antiémétisant : priorité aux neuroleptiques qui agissent plus spécifiquement sur la CTZ (chemoreceptive trigger zone) ; Droleptan® à la dose de 2,5 mg à 5 mg/24 h ;
Haldol® 5 à 15 mg par jour en 3 à 4 injections sous-cutanées ou en administration intraveineuse continue. Éviter le
métoclopramide qui, en augmentant le péristaltisme du
grêle, pourrait accroître les douleurs à type de coliques. Les
ondensétrons (Zophren®) ont des mécanismes d’action différents (antagonistes des récepteurs 5HT3) et représentent
une alternative plus coûteuse ; ils sont utilisés à la dose de
8 à 16 mg par voie sublinguale ou intraveineuse.
– Adjuvants : les corticoïdes (administration intraveineuse le matin) seront utilisés malgré l’absence de consensus actuel durant les 5 à 7 premiers jours. Préférer le
Soludécadron (forte dose 100 mg le premier jour puis
décroissance de 10 mg par jour) ou le solumédrol (500 mg
initialement puis diminution progressive). D’autres équipes utilisent des doses plus faibles (8 à 16 mg de dexaméthasone par jour).
• En cas de vomissements important (plus de 3 fois
par jour), envisager la pose temporaire d’une sonde gastrique pour réduire la distension de l’estomac. Sa durée
d’utilisation sera limitée dans le temps, inférieure à
3 jours en règle générale, délai au bout duquel les antisécrétoires seront efficaces. Cependant, si l’occlusion est
haute, il sera parfois nécessaire de continuer à vidanger
périodiquement l’estomac. Le patient choisira alors entre
la pose d’une sonde à demeure ou une pose itérative (sous
couvert d’installation d’anesthésique local Xylocaïne en
spray) juste avant une aspiration.
209
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SYNTHÈSE
Prise en charge des occlusions intestinales chez des patients
atteints de cancer en phase avancée
• En cas de déshydratation et d’occlusion proximale,
débuter une hydration parentérale (intraveineuse ou
sous-cutanée en l’absence de voie veineuse accessible).
En cas d’occlusion distale, il est fréquemment possible de
conserver une hydratation orale.
• Réévaluer quotidiennement les symptômes et rediscuter une prise en charge chirurgicale, notamment si on
suspecte une origine bénigne facilement accessible (bride,
adhérences) ou si un geste palliatif simple (colostomie,
iléostomie, pose d’un stent) est envisageable. Devant une
distension colique, il faut aussi savoir réévaluer le risque
de perforation diastatique et de nécrose.
• Ne pas oublier les autres symptômes : sécheresse de
bouche majorée par la déshydratation et les antisécrétoires
(soins de bouche préventifs), anxiété, troubles du sommeil…
• Dès la reprise partielle du transit ou si l’obstruction
est partielle, discuter la reprise des laxatifs doux (mucilages, osmotiques ou lubrifiant) en évitant les stimulants du
transit qui augmentent le péristaltisme (anthracéniques,
bisacodyl, anticholinestérasiques…). Les lavements ont
leur place uniquement en cas d’obstruction colique ou
rectale, majorés par les opioïdes.
Médecine palliative
210
• Après stabilisation des symptômes, on peut encourager le patient à boire et même à manger légèrement, car
l’absorption se fait dans la partie initiale tube digestif. Si
aucune alimentation orale n’est possible (obstacle gastrique
ou duodénal), il faut discuter avec le patient la mise en
route d’une alimentation parentérale au mieux via un port
à cath intraveineux pour améliorer le confort. Hydratation
et alimentation parentérale auront lieu de préférence la
nuit pour laisser le patient libre de ses mouvements en
journée.
• Si le syndrome occlusif se prolonge et que les
symptômes sont maîtrisés, envisager avec le patient la
structure de prise en charge la plus adaptée. Démystifier
la prise en charge à domicile au long cours des syndromes occlusifs ; le passage d’une infirmière au domicile se
fait 2 fois par jour.
• En cas de vomissements incoercibles plusieurs
fois par jour, si le patient ne supporte ni la sonde gastrique à demeure ni sa pose itérative pour aspiration
discontinue, discuter la pose d’une gastrostomie percutanée.
N° 4 – Septembre 2003