1 Les 19 et 20 mars 2007 se sont tenues à Ivry deux journées d

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1 Les 19 et 20 mars 2007 se sont tenues à Ivry deux journées d
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Les 19 et 20 mars 2007 se sont tenues à Ivry deux journées d’études sur
“Le lien au bétail” en Afrique et ailleurs,
à l’initiative de Sada Mamadou BA, chercheur au Cemaf-Ivry.
L’argumentaire de ces journées était le suivant:
Il est des sociétés chez lesquelles « les troupeaux sont des noyaux autour desquels les groupes se réunissent
et entre les divers membres les relations agissent et s’expriment à travers le bétail »[E.E.P]- Dans d’autres, par
contre, c’est, pour emprunter la figure à Nietzsche, dans la volonté de produire ‘’une survache compagne fraternelle
du surhomme moderne ‘’ qu’agissent et s’expriment les relations entre individus. Au–delà des différences qui les
séparent, ces sociétés ont cependant en commun le lien au bétail. L’objectif , dans ces journées où les intervenants de
différentes disciplines (anthropologues, ethnologues, sociologues, géographes, historiens, agronomes, vétérinaires..)
auront à confronter des approches et terrains différents autour de la notion de lien au bétail, sera de réfléchir à la
création d’un cadre dans lequel chercheurs travaillant dans les sociétés du Sud et chercheurs travaillant dans les
sociétés du Nord pourraient se rencontrer et échanger dans une perspective comparatiste.
1 - Anne-Marie PEATRIK, directrice de recherche au CNRS, directrice du LESC de Nanterre, ouvre la
journée du 19 mars avec un exposé sur “Générations, lien de bétail et crise coloniale : la mise au jour
d’une pratique révolue chez les Meru du Kenya »
Reprenant les données disponibles dans son ouvrage La vie à pas contés. Générations, âge et
société dans les Hautes Terres du Kénya (Meru, Tigania Igembe), paru en 1999, A-M.P expose les
transformations survenues après la colonisation dans les circuits d’échange meru, fondés en grande partie
sur le « lien de bétail » qui est une manière d’approcher la question un peu différente du « lien au bétail ».
Après avoir rappelé le fonctionnement général du système générationnel qui organise cette société (à
distinguer du système de classes d’âge), AMP. part du constat que, malgré une incontestable
modernisation, tous les hommes connaissent encore précisément aujourd’hui leur classe générationnelle et
que le système générationnel, en dépit de ses modifications, imprègne encore l’ethos et les pratiques de
ces populations par le truchement notamment des initiations masculines qui continuent d’être organisées.
Les Meru connaissaient deux types de liens de bétail: les liens dits ndogo et les liens dits gwato
(litt. “Ce qui lie, ce qui tient”)
Les liens ndogo mettent en jeu tout à la fois le pouvoir politique, le système générationnel et celui
des alliances matrimoniales. La transmission des pouvoirs politiques d’une génération à l’autre se faisait
tous les 15-20 ans. Elle coïncidait avec l’ouverture d’un nouveau cycle initiatique qui formait une
nouvelle classe de guerriers, qui une fois l’état de guerrier quitté, devenaient des candidats reconnus au
mariage. Les liens ndogo liaient les donneurs de femmes aux preneurs de femmes au moment de
l’initiation des filles, laquelle est la première étape des transactions matrimoniales. Une génisse dite
mwalle apportée par les preneurs aux donneurs (suivant l’idée que le départ d’une fille correspondait à
l’arrivée d’une génisse) ouvrait un cycle de transactions, reconduites sur trois ou quatre générations, au
terme duquel il y avait la possibilité d’un renchaînement d’alliance. A cette circulation du bétail
correspondait donc un type d’union préférentielle, qui se négociait durement à chaque génération et pour
laquelle toute nouvelle naissance s’accompagnait du versement d’une tête de bétail dite ndogo au profit
des donneurs d’épouse. Les Meru établissent un parallèle entre les généalogies humaines et les
généalogies du bétail, les généalogies de vaches annonçant la pérennité et donc la qualité des liens à venir
entre générations de filles.
Les liens dit gwato concernaient les hommes qui n’avaient pas de bétail. Ils pouvaient s’en
procurer de la façon suivante : six sacs de grains permettaient d’acquérir une chèvre, et trois chèvres un
taureau, animal dont la possession permettait de sceller un contrat gwato. Ce contrat consistait à prêter
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une génisse en échange du taureau ; l’emprunteur de génisse avait la jouissance du lait et des veaux
mâles; les veaux femelles en revanche revenaient au propriétaire de la vache.
AMP rappelle que les Meru avaient plusieurs moyens d’acquérir du bétail:
- par les raids guerriers
- par compensation de meurtre (“prix du sang”)
- par héritage (mais le chef de famille distribuait parfois tard, et parfois autant à ses
favoris qu’à ses descendants)
- par compensation matrimoniale
- par contrat gwato.
Après la conquête coloniale (en 1908), les raids guerriers furent interdits. Les guerriers, “réduits
au chômage”, perdirent de leur importance sociale et symbolique. A contrario, les “pères” restèrent, eux,
en pleine possession de leurs prérogatives juridiques et accrurent leur pouvoir économique. Dans les
années 1930-1950, en conséquence d’un conflit aigu opposant hommes et femmes, jeunes et vieux, Meru
et administration coloniale, l’âge de l’initiation des filles fut abaissé, ce qui, en accélérant le cycle de vie,
déséquilibra le système des prestations matrimoniales. Devant cette situation, les “pères”, par ailleurs
renforcés dans leur autorité politique et économique, limitèrent puis finirent par interdire l’établissement
de liens de type ndogo car, outre qu’ils étaient une source de conflits récurrents, ces liens limitaient leurs
projets polygamiques. Dans le même temps, le contrat gwato prit de l’importance, ce qui créa d’autres
déséquilibres. C’est ainsi que, à partir de 1930-1950, il y eut une augmentation inhabituelle de la taille des
troupeaux dans certaines mains, et des transformations dans la répartition des pouvoirs politiques. A.M.
Peatrik, sollicitant quelques récits historico-mythiques , les représentations meru sur le corps et la
personne, la différentiation des sexes et l’opposition brousse / espace cultivé et habité, montre que ce fut
en fait tout l’équilibre symbolique et religieux qui fut mis en cause par cette augmentation soudaine des
contrats gwato concomitante de l’affaiblissement et de la disparition des liens ndogo. Ce qui est en jeu
c’est la relation antinomique entre produit de la terre / produit pastoral, qui s’exprime notamment dans le
système sacrificiel (où il est toujours apporté une grande importance au choix des animaux sacrifiés). Les
Meru furent ainsi également amenés à limiter puis interdire les contrats gwato, lesquels, à l’instar des
liens ndogo, étaient une source de tensions et de conflits récurrents entre les parties contractantes.
2 - Pierre BONTE, DR au CNRS, LAS, présente ensuite un exposé intitulé “De la boomanie au
fétichisme du bétail : l’approche anthropologique du pastoralisme en Afrique de l’Est”.
Les sociétés est-africaines ont pour trait commun d’accorder une place importante au bétail. Les
raisons de cette attention ne sont qu’économiques, comme on vient de le voir chez les Meru, et comme l’a
bien montré l’exemple classique des Nuer. Cette place tient plutôt aux valeurs que ces sociétés attribuent
au bétail.
P.B. s’est proposé de mettre ces valeurs en lumière, en revenant à la notion de fétichisme. Il
distingue pour la commodité de l’exposé les dimensions cognitives, sociales et rituelles de ce lien au
bétail, et propose de procéder par “prétérition”, à la façon de Fr. Héritier.
1/ Dimension cognitive :
- Une 1ère distinction est faite par le biais de la différence des sexes: le bétail est toujours associé aux
hommes. Cette distinction de genre rompt avec l’indistinction originelle relatée par le mythe. Un de ces
mythes fonde par exemple l’exclusion des femmes du lien au bétail et l’acte sacrificiel.
- Une deuxième distinction relève de l’opposition éleveur/agriculteur (ceux à qui a été attribué le bétail /
ceux à qui a été attribuée l’agriculture), et cela même dans les sociétés agro-pastorales, telle les Meru.
Cette distinction va parfois jusqu’à la distinction ethnique (cas des Masai). L’idée essentielle est ici que
l’origine du bétail est d’ordre surnaturel. La catégorie “bovin” a une fonction de classement. On dispose
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sur ce point de nombreux récits de l’ordre de la cosmogénèse. P.B. renvoie aux travaux de J. Galety sur
les Masai, qui montre que le bétail permet par exemple de distinguer les quatre éléments fondamentaux
(Eau et bois d’une part, associés au bétail, feu et roche d’autre part, associé au minéral). Il revient sur les
distinctions établies entre l’activité liée au bétail, qui serait de l’ordre du loisir, et celle de l’agriculture,
associée au travail; mais aussi les dichotomies éleveurs / forgerons, et éleveurs / chasseurs.
2/ Fonction symbolique et sociale de la catégorie bétail.
Le bétail n’est pas conçu comme une activité humaine mais comme “déterminant” la façon dont
ces sociétés s’organisent. Il est conçu comme étant à l’origine des relations sociales. Il fonde par exemple
les rapports de parenté, en particulier la relation de filiation (référence à Evans-Pritchard: le lignage est
d’abord chez les Nuer le lieu d’attribution du bétail) et la relation de genre. Chez les Masai, il fonde le
système d’âge et ses différents grades. Il est également à la base des liens de mariage (ainsi chez les Nuer,
le bétail ne peut pas circuler deux fois dans le même groupe: il fonde donc les relations de clan).
3/ Dimension rituelle, notamment sacrificielle.
Dans toutes ces sociétés, les bovins sont en quelque sorte prédestinés à être sacrifiés (et on ne
peut tuer sans sacrifier). Ce trait amène à penser que les bovins trouvent dans le sacrifice la forme
achevée de leur valeur.
Revenant en fin d’exposé sur la notion de fétichisme, P.B. pense que, bien qu’elle n’ait pas
toujours bonne presse chez les anthropologues, cette notion permet de bien mettre en lumière le fait que le
lien au bétail est, dans ces sociétés, la condition même de leur existence. Elle permet de dévoiler des
mécanismes de connaissance. En s’appuyant sur cette notion, il y aurait peut-être un rapprochement à
faire entre la fonction du bétail dans les sociétés pastorales africaines et celle du porc dans les sociétés
mélanésiennes (dans les deux cas, ces animaux sont “bons à penser”), ou encore celle du maïs au
Mexique.
Dans le débat qui suit l’exposé, A-M.Peatrik regrette l’accent mis par P.B. sur les Masai, qui
représentent tout de même un cas limite. Mais les cas limites permettent parfois de mettre en lumière des
points restés inaperçus autrement, répond P.B..
3 - La matinée se termine sur l’exposé de Sergio MAGNANI, anthropologue à l’URP-CIRAD1/ADD, et
Claire MANOLI, vétérinaire à l’URP-CIRAD-EMVT : “Le Dudal chez les Peuls du Ferlo, au Nord-Est
du Sénégal” et “Famille et gestion du troupeau chez les Peuls du Ferlo, Nord-Est du Sénégal”2. Alliant
de manière originale les préoccupations zootechniques et sociologiques, ils tentent de répondre à trois
questions: Comment les éleveurs envisagent leur futur? Quelles sont les logiques concrètes de
reproduction? et Quelles sont les actions collectives qu’ils adoptent?,
Ce travail s’appuie largement sur le travail, désormais classique, de Bonfiglioli (Dudal. Histoire
de famille et histoire de troupeau chez un groupe de Wodaabe du Niger, 1988). A partir des conclusions
de cet auteur (- la généalogie de la vache permet de lire le réseau de parenté humaine - le troupeau est un
objet de partage - le bétail est lié à l’identité individuelle - la vache permet un système de prêts), ils
observent plusieurs évolutions ou variantes.
Cl. M. présente d’abord la structure zoothechnique du troupeau en notant que de nos jours les
Peuls élèvent aussi bien des vaches “locales” (gobrah) que des vaches “exotiques” (guzérat mais aussi
montbéliardes par exemple), tout en ne semblant pas faire de différence quant à la valeur accordée aux
unes et aux autres, même s’ils reconnaissent leurs différences zoologiques.
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“Centre pour la Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement”.
Claire Manoli a soutenu en 2006 une thèse à l’Ecole vétérinaire de Lyon sur “Les liens famille-troupeau bovin chez les Peuls du
Ferlo. Témoins de la dynamique des systèmes d’élevage pastoraux.” où elle expose les résultats d’une enquête conjointe avec
S. Magnani.
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L’élevage est essentiellement dédié à la production laitière d’autoconsommation, mais certains
animaux peuvent aussi être vendus pour la viande (il y a néanmoins très peu d’autoconsommation : pas
plus d’un animal par an). Le troupeau est commun et familial, mais avec plusieurs “propriétaires”, chacun
ayant des droits et des devoirs spécifiques. Il est extrêmement difficile de comptabiliser les unités du
troupeau peul. En revanche, on peut voir qu’il se divise en trois parties: les vaches du “chef de famille”,
celles apportées par les épouses (constitutives du tenge), et les vaches des fils (reçues à l’occasion de leur
mariage). De nos jours, le père donne de moins en moins de vaches à sa fille car il devient de plus en plus
difficile d’obtenir des animaux des oncles maternels. En revanche, on accorde une attention plus serrée
qu’auparavant à la circulation des bovins dans la famille ; il y a un contrôle étroit de cette circulation par
rapport à ce qu’avait observé Bonfiglioli. Le prêt d’animaux est également moins répandu (sauf au sein
d’un même campement).
Ce qui est important, c’est de conserver le nom de la vache, et non la vache elle-même. C’est la
lignée qui importe, et non la vache. Le nom correspond à une lignée et à l’ensemble des caractères
associés à cette lignée. Il y a des noms plus “traditionnels” que d’autres. Il est remarquable que les vaches
d’origine étrangère puissent être insérées dans les lignées familiales (thiossan) en prenant le nom de la
vache qui a servi à les acheter, mais le pourcentage de “thiossan” d’un animal n’est pas pour autant ignoré
(on dit : c’est une “vraie” ou une “fausse” thiossan).
Les petits ruminants (caprins et surtout ovins) semblent occuper une place croissante dans le
troupeau. Cet élevage permet une plus grande mobilité, une partie du groupe familial partant transhumer
avec ce bétail tandis que les bovins restent plus près du campement fixe. Ce petit bétail remplace de plus
en plus souvent les biens de l’agriculture dans les échanges. L’une des conséquences est un
appauvrissement des circuits d’échange avec les agriculteurs. Les circuits de transhumance évoluent
également, les éleveurs allant de plus en plus loin avec ce petit bétail, ce qui se traduit par des
transformations sur le plan du statut: les anciens, qui ont davantage de vaches, et de vaches
traditionnelles, sont ceux qui vont le moins loin. Les plus jeunes, avec des ruminants plus petits, sont plus
“mobiles” et moins soumis aux règles sociales de l’échange. Ils vendent ce bétail plus aisément et
acquièrent ainsi une indépendance économique nouvelle, qui modifie les rapports d’autorité.
C.M et S. M. terminent leur exposé en proposant une nouvelle typologie de la gestion familiale du
troupeau, qui correspondrait à des différences sur les plans économique et sociologique:
1. Le troupeau est placé entièrement sous l’autorité de l’aîné de la lignée. Dans ce cas, il est composé
majoritairement de bovins “traditionnels” et se déplace peu. Le rendement est essentiellement laitier,
d’autoconsommation, et très moyen.
2. Le troupeau est géré par un ensemble de frères. Ce type de gestion donne des résultats plus
dynamiques, en termes d’espace et de rendement. Il y a aussi une plus grande diversifition (davantage de
vente de viande).
3. Il y a une gestion disjointe de chaque “partie” du troupeau, chaque propriétaire disposant
indépendamment de ses vaches. Ce système donne des résultats éclectiques et irréguliers sur le plan
économique, et conduit souvent à des disjonctions effectives.
4 - Au début de l’après-midi, Eric GARINE, MC à Paris X-Nanterre, présente un exposé sur “Les Duupa
et leurs taurins - Massif de Poli, Nord-Cameroun.”
Les Duupa possèdent des bovins et du petit bétail. Il y a deux types de bovins: un type ancien,
petite race taurine dont il reste peu d’exemples en Afrique, et une race importée, courante. Les bovins
sont réservés aux sacrifices, servent de monnaie d’échange et sont des biens de prestige. La fibre pastorale
n’apparaît pas évidente chez les Duupa. Les bovins sont en effet le plus souvent laissé en gardiennage à
un bouvier qui les laisse en semi-errance et le propriétaire ne semble guère s’en préoccuper (“les taurins
sont rétifs à l’autorité”). Le propriétaire est néanmoins perçu comme ayant de grands pouvoirs, de type
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magique. De son pouvoir dépend la fertilité du troupeau et inversement. Il est tout aussi remarquable que
les affaires de bétail soient le principal objet des conflits. Ces conflits ne se règlent jamais directement, ils
font intervenir un tiers, qui joue ici le même rôle que celui qui règle les affaires de mariage. EG établit par
ce biais un parallèle entre les carrières des taurins et celles des épouses.
Les bovins font partie des “choses que l’on élève”, des “choses de la pauvreté”, et aussi des
“choses de l’emballage”. Cette dernère expression doit être mise en rapport avec la coutume de
l’emmaillotage des cadavres qui a cours dans cette société. De fait, les cadavres peuvent être emmaillotés
dans des peaux de taurins, mais ils le sont tout autant dans des peaux de chèvre ou des bandes de tissus, et
autrefois dans des peaux d’animaux sauvages.
E.G. décrit ensuite la distribution de la viande du taurin à l’issue d’un sacrifice, pour repérer les
“chemins de l’alliance”. Il note le même trajet pour cette viande que pour celle de chèvre, qui tient une
place plus importante que la viande bovine car la chèvre est l’animal sacrifié pour l’initiation. Les
sacrifices faits à cette importante occasion sont toujours accompagnés de nombreuses offrandes de mil.
E.G. est ainsi amené à réfléchir sur l’importance relative du bétail et du mil. Il note que tandis que le
taureau n’est nulle part indispensable (à la différence de la chèvre, qui est aussi la viande sacrificielle la
plus courante), le mil l’est partout. Les Duupa disent d’ailleurs qu’il faut toujours du mil pour “rassembler
le bétail”. Après l’examen du rôle du mil chez les Duupa, et plus particulièrement de la bière de mil, E.G.
conclut que tout se passe ici comme si le bétail avait une importance relative, mais non fondatrice.
Autrement dit, les Duupa ne sont pas une société pastorale. S’il y a bien chez eux des “liens au bétail”,
ces liens ne contribuent pas à la définition même du groupe. C’est le mil, et plus particulièrement un type
particulier de mil, qui tient ici ce rôle. Et si la notion de fétichisme devait être utilisée ici, ce serait en ce
qui concerne les céréales qu’elle devrait l’être.
5 - Philippe BERNARDET, sociologue, CR au CNRS/MNHN, revient sur des recherches effectuées dans
les années 1980 sur l’équilibre agro-pastoral prévalent au Nord de la Côte d’ivoire dans le cadre d’un
projet de développement lancé par la SODEPRA (Société de développement des Productions Animales)
et la CIDT (Compagnie ivoirienne de Développement des Textiles)3.
Deux systèmes d’élevage prévalent dans le secteur : un élevage de type sédentaire, ancien,
pratiqué par les Baoulé/ Sénoufo, et un élevage de transhumance, pratiqué essentiellement par les Peuls.
Le parc est géré de manière traditionnelle, mais on voit se mettre en place une gestion “de transition”
tandis que se développe aussi au nord de la région un secteur “pionnier”, avec des parcs à bétail mais
toujours prépondérance d’un élevage strictement familial.
Le secteur traditionnel “organise” la sclérose du système. Le troupeau “appartient” à un chef de
famille, un ancien, et donné en gestion à un bouvier de manière très libre. Dans le secteur de transition, le
chef de parc est davantage investi de la qualité de son parc, mais c’est aussi un personnage âgé, assez gros
propriétaire. Dans le secteur pionnier, les troupeaux communautaires relèvent d’un homme aux
compétences techniques avérées, souvent assez jeune et qui dépend peu du conseil des anciens.
En règle générale, pendant la saison des pluies, il y a divagation du bétail, beaucoup d’herbe et
peu de gardiennage. Pendant la saison sèche, en revanche, le bétail doit être gardé en permanence. Ce sont
les Peuls qui s’en chargent. Tous les bouviers sont peuls. Le lait leur revient. Lorsque les bouviers
deviennent cultivateurs (et éventuellement commerçants), le bétail est gardé par leurs enfants. Il peut y
3
P.Bernardet a consacré plusieurs ouvrages à ces questions, en particulier: Vache de la houe, vache de la dot. Rapports sociaux
et rapports de production liés à la pratique de l’élevage bovin en Moyenne et Haute Côte d’Ivoire, Paris, CNRS 1999. Voir aussi
Association agriculture-élevage en Afrique: les Peuls semi-transhumants de Côte d’Ivoire, l’Harmattan 1984.
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avoir un bouvier-chef qui supervise d’autres bouviers. Il y a de nombreux conflits entre propriétaires et
bouviers, ou entre bouvier-chefs et simples bouviers.
Le système comporte plusieurs faiblesses:
- Il faut nourrir les bouviers sans terre (leur abandonner le lait du troupeau, qui est donc de peu de rapport
économique).
- Les bouviers volent du bétail ou disparaissent avec celui dont ils ont la garde et le vendent.
- Les propriétaires des parcs ont tendance à vouloir fixer les bouviers, ce qui, à terme, aboutit à leur
disparition (le bouvier se sédentarise parfois au point de perdre son ethnie; il s’insère tellement qu’il
devient Baoulé/Sénoufo).
L’élevage est un moyen de prestige, un moyen de thésaurisation et d’épargne et permet
d’absorber le surplus agricole. C’est donc une réserve. Néanmoins, pour le propriétaire, le bétail est
largement improductif, et il s’en désintéresse, limitant au maximum les frais de gestion. Cette situation
change un peu avec l’arrivée d’un système de subvention et l’utilisation des engrais. La taille des
troupeaux varie beaucoup, allant de 18 têtes à 1400 têtes par propriétaire (ou “parc”). En période de
transhumance, une partie du troupeau reste au camp fixe pour l’exploitation laitière. Lorsque les Peuls
sont également agriculteurs, ils utilisent aussi leurs boeufs pour la traction animale. Les parcs à bovins
restent néanmoins toujours de structure légère (pas de piquets ni de clôture en dur).
Le système peul donne naissance à un système agro-pastoral où les bouviers peuls sont vecteurs
d’innovation. Ils sont en effet non seulement évolutifs, mais également en étroite relation avec les
agriculteurs sénoufos, qui se sont vite rendus compte que les champs étaient plus beaux lorsque les
troupeaux y passaient et que le piétinement des vaches empêchait la repousse des mauvaises herbes.
Cette association entre Peuls et agriculteurs sénoufos ne va pas sans heurts. Récemment, les Peuls
sont descendus vers le Sud en suivant les cultivateurs de coton. Cette mouvance a posé des problèmes car
les Peuls se sont appropriés les terrains sénoufos que ces derniers considéraient comme incultes. Les
Peuls s’en suffisent et les rentabilisent, mais sans demander l’autorisation aux chefs de terre locaux, ce
qui créent de nombreux conflits. Il y eut néanmoins des contrats durables de fumure entre Sénoufos et
Peuls. Sur la base cette réussite en terme d’agro-pastoralisme, la SODEPRA voulut pérenniser le système,
mais cela aboutit à un échec et même à d’intenses conflits (en 1981 et surtout, plus violent, en 1986). Des
études ont montré que les conflits viennent autant des Peuls que des agriculteurs. Associer l’agriculture et
l’élevage apparaît donc bien possible, mais c’est une opération complexe qui met en jeu des dynamiques
sociales anciennes, et il est délicat de vouloir la gérer de l’extérieur ou par des décisions rapides.
Journée du 20 mars 2007
6 - La journée commence avec la présentation du film de Jacques LOMBARD et Michèle FIELOUX
(IRD-EHESS): “Le départ du taureau. Funérailles d’un éleveur mahafale en Madagascar” (20mn).
Ce film sur les funérailles d’un éleveur illustre l’importance du bétail dans cette société, qui
énonce que “qui n’a pas de boeuf n’a pas de funérailles”. A travers différents moments des funérailles, on
voit ici comment le destin du boeuf suit celui de son maître et comment le boeuf est véritablement un
“élément de réflexivité de la société sur elle-même... Tout ce qui est important est dit à travers le boeuf”.
Le boeuf est en particulier ici au centre des enjeux politiques, car seuls les hommes des clans puissants et
prestigieux peuvent avoir un troupeau de boeufs, donc des funérailles.
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7 - Dans son exposé sur “L’activité pastorale et le cycle végétatif ches les Masa
(Tchad/Nord(Cameroun)”, Françoise DUMAS-CHAMPION, CR au CNRS (CEMAF), met l’accent sur
les relations entre les activités pastorales et les activités agricoles. En suivant le cycle des activités
agricoles, elle montre comment, dans cette société, l’élevage est au service de la culture4.
La culture principale dans cette société est le mil. Les bovins servent essentiellement de monnaie
d’échange pour les mariages. Le cycle calendaire est ouvert par des cérémonies liées au mil. Il commence
en janvier avec la mise à feu de la brousse pour les cultures. La pêche, largement pratiquée, s’ouvre un
mois plus tard, elle aussi par un ensemble de rites, suivis à la lune suivante (en mars) par la transhumance
du bétail. Le cycle agraire organise donc l’ensemble des activités; il prime sur les autres cycles (pêche et
élevage).
La transhumance est décrite dans de nombreux mythes. Elle est essentiellement placée sous la
responsabilité des jeunes hommes. Ces bouviers sont répartis en différents camps, ou guruna, dirigés
chacun par un adulte plus âgé. Cette période est pour eux comme une initiation et un prélude au mariage.
En favorisant par exemple la naissance de jeunes veaux pendant la transhumance, les bouviers se
montraient particulièrement aptes au mariage.
Les activités agricoles reprennent au retour du guruna, courant juillet. Cette période coïncide avec
la saison des pluies. C’est une période de fêtes. Les guruna, avec les danses qu’ils exécutent à ce moment
et leurs instruments de musique spécifiques (des sortes de flûtes), sont censés avoir un pouvoir sur ces
pluies. La période agricole suivante, celle du sarclage, correspond aussi à un changement dans l’activité
des guruna. A ce moment les jeunes hommes deviennent “enfants du wala”: ils s’installent définitivement
au village et la période des luttes et du « gavage » commence. Le lutteur doit en effet être gras et fort. Il
est littéralement gavé, en particulier avec de la viande de boeuf. Ce gavage (au moins six repas par jour)
est conçu à l’image du mûrissement du grain, et la force des lutteurs fera fructifier le grain. Fr.D-C
remarque que des populations voisines gavent un taureau dans le même but.
La dernière période du cycle agricole est la récolte. C’est aussi le moment où le chef de terre
autorisent les jeunes à sortir de la période du wala et que leur gavage cesse.
8 - Catherine BAROIN, CR au CNRS, fait ensuite un exposé sur “Les transferts de bétail, clé de
l’économie et des rapports sociaux ches les Toubou (Tchad, Niger).
LesToubou, pasteurs musulmans qui nomadisent à la limite sud du Sahara, à l’est de Touaregs,
sont essentiellement des éleveurs de dromadaires, même si plus au sud, ils élèvent aussi des bovins. Ils
vivent en famille restreinte. L’échange de bétail est à la base de la constitution des familles. Le bétail sert
essentiellement pour le lait et les échanges matrimoniaux.
A la différence d’autres nomades, les Toubou ne se marient pas entre proches parents, le mariage
chez eux étant interdit jusqu’à la troisième générations de parenté cognatique. Pour se marier, le jeune
doit verser une compensation matrimoniale élevée (de 10 à 30 têtes de bétail). Pour cela, il va solliciter
ses divers parents pendant un ou deux ans, qui lui donnent chacun une ou deux bêtes. Ces animaux sont
remis au père de la fiancée, qui à son tour les distribue aux divers parents de cette dernière. Le mariage a
lieu à la saison des pluies chez le père de la fiancée. Le deuxième jour des cérémonies, on montre le bétail
que les parents de la mariée (qui ont reçu une part de la compensation matrimoniale) donnent à leur tour
au marié. Ce troupeau, nommé conofora, constitue la base économique qui assure l’indépendance du
jeune couple.
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Fr. Dumas-Champion reprend ici en partie des données exposées dans son article “Les rites calendaires et le cycle végétatif
chez les Masa, dans Rites de possession, Karthala
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Ainsi, le troupeau d’un homme est-il composé : 1/des animaux qu’il a reçus lors de sa
circoncision ; 2/ des animaux donnés par les parents de son épouse lors de son mariage (conofora), qui
forme souvent la plus grosse part de son cheptel ; 3/ du sadak, animal donné par le mari à sa femme en
« garantie du mariage » (qui lui restera si elle est répudiée) ; 4/ des animaux reçus de ses parents en
héritage ; 5/ des animaux que lui ont confiés ses sœurs ; 6/ d’animaux prêtés. Chacune de ces catégories
portent un nom et a un statut juridique propre. Ce statut s’applique aux dromadaires aussi bien qu’aux
vaches.
Un homme tient donc sa richesse essentiellement des parents de sa femme, et continue d’en
recevoir d’eux tout au long de sa vie de couple. Il a donc tout intérêt à garder de bonnes relations avec sa
belle-famille.
9 - Isabelle BAUMONT, sociologue au CERLIS, fait ensuite un exposé intitulé: “Des liens au bétail:
evolution et diversité du métier de berger dans l’élevage ovin transhumant du Sud-est de la France”.
I.B. tente ici de montrer en quoi la transhumance peut créer de l’harmonie territoriale, dans une
articulation de l’espace et du temps.
Trois types de personnes sont concernées: les propriétaires (de terre et de troupeau), les éleveurs
et les salariés. Quant aux troupeaux, il faut distinguer s’ils sont composés de bêtes gestantes et allaitantes,
qui demandent beaucoup d’herbe, ou de bêtes qui ne le sont pas. A partir de là, il y a plusieurs
configurations possibles, entre terre, propriété et main d’oeuvre. Il y a beaucoup de situations différentes,
mais tous les intéressés revendiquent le nom de berger.
Deux types de liens au bétail se dégagent assez nettement: on a d’une part les salariés, qui ne
possèdent ni terres ni brebis, et d’autre part les éleveurs qui ne s’occupent jamais des brebis. Ces deux
groupes correspondent à deux types de bergers, qui ont des liens aux brebis très différents. Quels sont
leurs caractéristiques ?
- Les premiers sont souvent très mobiles; ils peuvent avoir plusieurs patrons, sont plutôt individualistes.
Certains sont des diplômés en rupture de société. Ils font corps avec le troupeau, vivant souvent en
camion pour une meilleure symbiose avec lui. Ce type de berger a une grande connaissance du terrain et
un mode de structuration de l’espace particulier. Il évalue les pâturages par rapport à la possibilité de
forger ce type de lien au troupeau, le tout formant un ensemble cohérent où s’équilibrent le confort de
toutes les bêtes, l’espace dont il peut se servir et sa propre vie. Le troupeau, dans ce type de configuration,
est souvent diversifié, comprenant de jeunes bêtes, des mères, etc.
- Pour l’éleveur, ce qui compte avant tout, c’est le nombre et l’engraissement des bêtes. Il a une bonne
connaissance des filiations, il connaît surtout les bonnes mères, les bêtes qui ont une meilleure qualité de
laine, bref ce sont les aspects génétiques et économiques qui vont guider ses choix, et il sera reconnu dans
le milieu pour cela.
Ces qualités et savoirs devraient être complémentaires: les uns et les autres doivent en effet
s’entendre pour faire prospérer le troupeau. Dans les faits, il y a souvent entre les deux des conflits de
légitimité, le troupeau étant rapporté tantôt à son gardien (c’est le plus fréquent) et tantôt à son
propriétaire, mais rarement aux deux (avec la distinction des charges de chacun).
On observe aujourd’hui une évolution du métier, qui accentue l’un ou l’autre type de lien au
bétail.
- Après 1980-1990 par exemple, un type de clôture mobile et électrifiée, facile à placer et à enlever, tout
en étant très sûre, fait son apparition. On peut faire un grand parc à moutons en quelques heures
seulement. Ce système permet de se passer des bergers. Dans certains cas, ces derniers peuvent rester en
charge du troupeau ainsi gardé, mais ils doivent alors acquérir des compétences “techniques” plus
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spécifiques (ils doivent s’y connaître un minimum en électricité) et abandonner une partie de ce qui
construisait leur lien au bétail (ils ne suivent plus leur troupeau autant que dans l’ancien système).
- La baisse du cours de l’agneau a entraîné un rassemblement des troupeaux, et donc la mise au chômage
de gardiens.
- Il y a des changements dans la demande de viande bouchère. La distribution, surtout la grande
distribution, demande aujourd’hui des gigots “conformes”, de taille, de forme, de couleur régulière. Ce
qui a valorisé le métier d’éleveur en poussant certains d’entre eux à réaliser des croisements entre
différentes races de brebis.
- A contrario, s’est développé un élevage axé sur une meilleure qualité de viande, en particulier pour les
agneaux. Ces élevages sont orientés sur le renouvellement, mais aussi sur la qualité : le troupeau est alors
constitué d’agneaux coureurs, qui peuvent et même doivent se fortifier dans des espaces difficiles, où le
berger doit lui consacrer toute son attention. Ces bêtes sont souvent écoulés dans des circuits informels,
différents de ceux de la grande distribution.
On observe donc, dans ces deux derniers cas, une tendance accrue à la disjonction des systèmes.
10 - Jean BOUTRAIS, géographe, DR à l’IRD-CEAF, fait un exposé sur “La ‘vache d’attache’ chez les
Peuls (Niger, Cameroun et Centrafique).”
Tout l’exposé de Jean Boutrais prend appui sur une étude très fouillée du vocabulaire peul qui a
trait à la “vache d’attache”, dite en peul: habbanaaye nannganaaye, litt. “attacher/prendre”. Ce terme
renvoie donc au fait que le veau de cette vache sera pris/donné. C’est par conséquent l’idée de transfert
qui est ici importante (transfert d’un éleveur à un autre).
Il y a sept formes de habbanaaye, selon les modalités de remise, ou plutôt de prêt, de l’animal. Le
principe est simple: une vache est remise à un bénéficiaire. Après avoir vélé, elle retourne à son
propriétaire, accompagnée d’une deuxième vache dite laachu. La vie du Peul est rythmée par ce type de
prêt. Par l’analyse des expressions et proverbes qui ont trait à ce type de lien, J.B. analyse ce type de
transfert.
Le statut de la vache d’attache se transmet à ses veaux, lesquels appartiennent totalement à celui
qui a bénéficié de la vache. Ces animaux sont prioritaires sur les autres. On ne les frappe jamais. Ils sont
dans une relation de familiarité avec leur propriétaire, et cette familiarité s’étend à tout le groupe. Mais
cette familiarité implique, à l’inverse, une plus grande responsabilité vis à vis de l’animal. Une vache
d’attache qui meurt est un fait grave. La vache d’attache met également les deux partenaires dans une
relation particulière dite semteende, qui implique une sorte de retenue (traduit à tort par honte), de
discrétion. “C’est comme un beau-frère”.
J.B. note que ce type de lien a de nombreuses dimensions:
- économique. Donner la vache d’attache, c’est aider économiquement quelqu’un. C’est un acte fait au
bénéfice des pauvres.
- zoologique: il permet une diversification du cheptel, donc plus de solidité zoologique et des résultats
pastoraux meilleurs.
- affective. La vache d’attache est bénie. Elle apporte la chance. C’est aussi l’image exemplaire de la
relation en hommes. Le Peul se reconnaît dans ce type de lien.
- identitaire. Celui qui n’a pas de vache d’attache n’est pas un Peul. Pour lui, elle est l’image de la
richesse et du prestige, deux valeurs importantes dans cette société.
Il existe de nombreuses autres formes de transferts de bétail dans la société peule (par exemple
des systèmes de prêts de vache laitière, sorte d’assistance aux éleveurs pauvres), mais la vache d’attache
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est la plus exemplaire et la plus prestigieuse. Par ailleurs, elle a ceci de particulier qu’elle ne suit pas la
logique lignagère. Elle est “publique”, alors que les autres contrats se font presque toujours à l’intérieur
du lignage. Il faut toutefois noter que si la vache d’attache est aujourd’hui un élément structurel de la
société peule, la pratique est relativement récente. Par ailleurs, le système n’est pas présent dans toutes les
communautés peules. Les spécialistes de la vache d’attache sont surtout les Peuls du Dallol (qui se
donnent comme les « vrais Peuls »), qui associent la vache d’attache aux grandes vaches rouges.
Pour ces Peuls, la vache d’attache leur est spécifique et les différencie des autres groupes qui
occupent leur territoire. Et même si les non-Peuls ont adopté ce système, il est notable que les Peuls
n’envoient jamais leurs vaches chez des non-Peuls (dont ils pensent qu’ils ne s’occuperaient pas bien de
leur vache) tandis que l’inverse est vrai.
De nos jours, les Peuls se plaignent qu’il y ait moins de vaches d’attache qu’autrefois. Cela est
sans doute dû à un appauvrissement certain. L’on dit aussi que “les jeunes ont un mauvais comportement
avec les vaches”. De plus en plus également, le donateur, s’il est non peul, enlève sa vache avant que le
veau soit né. Enfin, et c’est sans le signe le plus notable du changement, les litiges qui ont trait aux vaches
d’attache se règlent dorénavant au niveau de la chefferie. Il y a donc transformation d’un contrat à but
uniquement “pastoral” en un contrat de type “coutumier”.
Dans le débat qui suit cette prestation, il est évoqué l’idée que le système de la vache d’attache
pourrait offrir une bonne entrée pour aider au développement économique de ces régions. Sur ce point,
J.B. renvoie au livre de Bonfiglioli, qui traite au fond la question.
Il est par ailleurs insisté sur la grande capacité des Peuls à renouveler leur cheptel, notamment en
cas d’épizootie (cas sévère au 19è siècle par ex.). Tous les experts s’en sont étonnés. J.B. confirme qu’en
effet, les différentes pratiques de prêts, et en particulier celui de la vache d’attache qui crée des liens
singuliers, sont sans doute responsables de cette capacité. La vache d’attache est l’image même de la
stabilité du groupe.
11 - Sada Mamadou BA, chercheur au CEMAF-Ivry, fait un exposé sur “La vache est une femme qui
épouse la femme peule sa congénère mais passe la nuit au coral”. Notes sur le symbolisme du lien avec
la vache dans le mariage chez les Peuls de l’Est du Sénégal.”
S.M.Ba s’attache à mettre en évidence les liens qui existent chez les Peuls entre le mariage et la
razzia, le mariage apparaissant comme “une métaphorisation de la razzia”, ces deux événements étant des
moments où se met en place l’identité peule par rapport au bétail. “C’est aujourd’hui qu’on va savoir la
véritable relation du peul à son bétail” disent les Peuls au moment du mariage.
Les Fulabe, dits “vrais Peuls”, étaient de grands razzieurs. Ils n’ont jamais formé d’état
théocratique. C’étaient aussi de grands esclavagistes.L’esclavage faisait partie intégrante de l’organisation
de la société. Le système était que pendant que les Fula guerroyaient, les esclaves s’occupaient des
enfants. Ces esclaves prenaient peu à peu les noms de leurs maîtres.
La razzia permettait d’obtenir des esclaves, des femmes et du bétail. Elle se faisait dans d’autres
lignages Fulbe, le système étant basé sur le fait qu’il faut laisser au razzié la possibilité de la réciproque.
Seuls les Fulbe (Peuls) vont razzier. Les razzia avaient lieu aux périodes de transhumance, pendant
lesquelles les jeunes conduisaient les troupeaux. C’étaient aussi des périodes favorables aux trahisons et
aux alliances. Ce système était lié au mariage, le cycle des fiançailles et des mariages épousant le cycle
des saisons et des transhumances. Une partie du bétail, sorte de capital appelé tenge (compensation
matrimoniale) dont il fallait disposer pour se marier provenait des razzias.
L’un des termes qui désignent le mariage est diffungu, que l’on doit rapprocher de deux autres
termes qui signifient respectivement « prendre à l’arraché » (diftaabe, utilisé pour les femmes) et « razzier
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des vaches ». Se marier, c’est être initié à la razzia et inversement. C’est ainsi que pour savoir si un jeune
homme est marié, on lui demande: “est-ce que tu as razzié”?
Il y a par ailleurs toute une série d’homologies entre les phases du mariage et celles de la
préparation à la razzia. Ainsi, tout comme la cérémonie du tressage doit être faite avant le mariage, elle
doit l’être avant de partir en raid. Le fiancé, comme le razzieur, doit “se mettre sous la table du lait”. Dans
la guerre et la razzia, tout comme lorsque le fiancé va “rapter”sa future femme, il faut de la ruse. Autre
homologie : lorsqu’il rentre dans le village de la femme qu’il veut “rapter”, le fiancé émet un cri qui est
celui du bétail. Le butin razzié, comme la fiancée, est reçu par le silatigui (chef de village), et il y a un
sacrifice.
( Texte relu par les intervenants).
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