La notion de « Jubilé » dans la Bible et dans l`histoire de l`Eglise

Transcription

La notion de « Jubilé » dans la Bible et dans l`histoire de l`Eglise
1
La notion de « Jubilé » dans la Bible et dans l’histoire de l’Eglise
Le jubilé de la miséricorde que nous vivons depuis le 8 décembre dernier n’est pas une
nouveauté dans l’histoire de l’Eglise. Il s’inscrit dans une longue histoire des
« années saintes » dont l’origine se situe dans la Bible, notamment dans le code de l’alliance.
Il va donc sans dire que le peuple de l’ancienne alliance aussi bien que celui de la nouvelle
alliance a toujours voulu ponctuer l’histoire avec des moments propices, des kairos, à qui on
donne le nom de jubilé. Nous voulons donc, comme l’exige le titre de notre exposé, parcourir
les Ecritures, mais aussi l’histoire de l’Eglise pour découvrir le ou les sens, les contenus, les
formes que le terme jubilé a revêtus au fil des temps. L’intervention aura donc deux grandes
parties qui sont : 1. La notion du jubilé dans la Bible ; 2. La notion du jubilé dans l’histoire de
l’Eglise.
1. La notion de jubilé dans la Bible
Le texte fondateur du jubilé se trouve dans le livre du Lévitique au chapitre 25 et dans le livre
du Deutéronome au chapitre 15, les versets 12 à 18. Avant de passer au contenu de ces textes,
voyons d’abord la signification que le terme prend dans la Bible.
1.1.
Le sens biblique du jubilé
Le mot jubilé vient du latin jubilaeus qui est une traduction de l’expression hébreu jôbêl. Le
mot est utilisé 14 fois au chapitre 25 du livre du Lévitique, 5 fois au chapitre 27 du même.1
On a souvent défini le jubilé comme un moment de joie. Mais il semble qu’originellement le
mot jôbêl de la Bible n’a rien à voir avec la joie et que c’est saint Jérôme qui a forcé la
traduction du mot hébreu jôbêl en jubilaeum latin qui a donné jubilé en français et signifie
l’action d’éprouver la joie. La Septante a traduit le shenat haj-jôbêl de Lev 25, 13 par
« l’année de la rémission ». Josèphe Flavius dans Les Antiquités juives (III, 12, 3) prétend que
jôbêl signifie plutôt la liberté.2 Le mot a donc connu une évolution sémantique. Au début,
jôbêl aurait désigné le bélier. En Jos 6, 5 on a l’expression qeren haj-jôbêl qui se traduit par
corne de bélier. Par la suite, le mot jôbêl a désigné la corne de bélier, puis la trompette faite de
corne de bélier. Le terme évoluera pour désigner la sonnerie que retentit la trompette faite de
corne de bélier et désignera enfin la solennité dont la sonnerie de trompette annonce
l’ouverture.3 Saint Jérôme a forcé la traduction jôbêl en jubilaeum à partir de Jos 6, 4.6.13.
Dans ce passage de Jos 6, les Israélites se trouvent enfermés dans une enceinte à Jéricho à leur
entrée en terre promise. Jahvé commanda à Josué de faire retentir sept trompettes faites de
corne de bélier en tête d’un défilé du peuple avec l’arche de l’alliance pendant sept jours. Le
septième jour, le résonnement des trompettes mêlé au cri de guerre fera crouler
miraculeusement les murs de Jéricho et libérer le peuple. Saint Jérôme a cru que les cors et les
trompettes qui ont retenti pour faire crouler les murs étaient les trompettes qui servaient à
annoncer l’année jubilaire. Mais pour ce qui est de l’annonce du jubilé, il est signalé que
l’appel du cor n’invitait pas à « l’exubérance publique mais [plutôt] à la conscience d’être
pécheur, à l’intériorisation des attitudes de pénitence et à la conscience d’avoir été pardonné
et sauvé de la colère de Dieu ».4 A présent, exploitons les textes qui fondent le jubilé biblique
pour en découvrir le contenu du terme.
1
Cf G. Lambert, « Jubilé hébreu et jubilé chrétien », in Nouvelle Revue Théologique, 72 (1950), 235.
Ibidem.
3
Ibidem.
4
Thomas P. Osborne, « L’année jubilaire et la remise de la dette », in Avançons Ensemble (septembre – octobre
1999), 22.
2
2
1.2.
Contenu du terme jubilé dans la Bible
Le texte fondateur du jubilé par excellence est lévitique 25. Ce texte se présente comme le
parachèvement d’une vaste collection législative. Le législateur élabore un calendrier basé sur
un cycle de 7 jours aux chapitres 23 et 25 du livre du Lévitique. On a en Lév 23,3 la
prescription du sabbat hebdomadaire ; puis la fête des pains-sans-levain avec un sabbat au
début de la semaine du printemps (Lév 23, 6-8). La fête des tentes est fixée en automne pour
une durée de sept jours commençant par une journée sainte, le premier jour, et se terminant le
huitième jour par une assemblée sainte (Lév 23, 33-36). La fête des semaines est fixée au
bout de sept semaines, autrement dit, de sept sabbats. On a ainsi 7 semaines fois 7 jours de la
semaine, ce qui fait 49 jours. Au lendemain du septième sabbat, autrement dit du 50 e jour, le
peuple est invité à offrir une oblation à Yahvé (Lév 23, 15-22). Il y a aussi la prescription du
repos le premier jour du septième mois. Le rythme septénaire est donc d’une grande
importance dans le calendrier ou la chronologie du peuple hébreu. Yahvé a créé le monde en
six jours et il se reposa le septième jour. Le code de l’alliance prescrit qu’à l’instar du
Créateur, le peuple travaille pendant six jours et se repose le sabbat, le septième jour
considéré comme un jour sacré. Le repos est étendu aux animaux. Il s’agit bien sûr des bêtes
qui servent pour le labourage et pour le transport, mais aussi l’étranger en service chez les
juifs a, lui aussi, besoin de ce repos pour reprendre le souffle (Lév 23, 12). La septième année
est aussi légiférée comme une année sabbatique.
Lévitique 25 intervient comme le couronnement de la fixation de ce rythme septénaire. Lév
25, 8-17 prescrit pour le jubilé un cycle de sept périodes de sept années. Lisons cette péricope.
Tu compteras sept sabbats d`années, sept fois sept années, et les jours de ces sept
sabbats d`années feront quarante-neuf ans. Le dixième jour du septième mois, tu feras
retentir les sons éclatants de la trompette; le jour des expiations, vous sonnerez de la
trompette dans tout votre pays. Et vous sanctifierez la cinquantième année, vous
publierez la liberté dans le pays pour tous ses habitants: ce sera pour vous le jubilé;
chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans sa
famille. La cinquantième année sera pour vous le jubilé: vous ne sèmerez point, vous
ne moissonnerez point ce que les champs produiront d`eux-mêmes, et vous ne
vendangerez point la vigne non taillée. Car c`est le jubilé: vous le regarderez comme
une chose sainte. Vous mangerez le produit de vos champs. Dans cette année de
jubilé, chacun de vous retournera dans sa propriété. Si vous vendez à votre prochain,
ou si vous achetez de votre prochain, qu`aucun de vous ne trompe son frère. […]
Aucun de vous ne trompera son prochain, et tu craindras ton Dieu; car je suis
l`Éternel, votre Dieu.
Quand précisément a lieu le jubilé ? Le début du texte prescrit la sonnerie de la trompette qui
annonce l’année jubilaire le 10 du septième mois de la 49 e année. Le législateur appelle ce
jour, jour d’expiation. Nous sommes au verset 9. Mais les versets 10 et 11 recommandent de
considérer la 50e année comme année jubilaire. N’est-ce pas une contradiction avec le verset
9. Pour ne pas entrer dans les débats exégétiques pour lesquels nous n’avons aucune
compétence nous nous limiterons à interpréter avec risque d’erreur que le jubilé commençait
au septième mois de la 49e année et s’étendait tout au long de la 50 e année. Il advenait,
comme dit le texte, au terme de sept périodes d’années sabbatiques, une année sabbatique
étant célébrée au bout de sept ans. 7 ans X 7 = 49 ans. Certains exégètes y voient l’influence
de l’exil babylonien dans la législation du jubilé à la 49e année. L’exil a duré 49 ans soit de
587 à 538 avant JC. Pour affirmer son identité et résister devant la puissance politique et
l’attrait religieux babyloniens, le peuple hébreu en exil aurait dû créer une cohérence
3
rythmique de célébrations religieuses ayant pour clé de voûte le sabbat. Le cycle septenaire a
dû renforcer l’identité du peuple ou la conscience d’appartenance à un groupe à part. La
libération advenue à la 49e année d’exil par Cyrus, roi des Perses, a été accueillie comme un
grand jubilé. Le peuple retrouvant sa terre a dû savourer la joie toute l’année de retour vécue
comme une année de grâce. Le Deutéro-Isaïe fait écho de ce rapprochement entre la libération
de la captivité babylonienne et le jubilé en Is 40, 1-5.
Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
Parlez au cœur de Jérusalem, et criez-lui que sa servitude est finie,
Que son iniquité est expiée,
Qu`elle a reçu de la main de l`Éternel au double de tous ses péchés.
Une voix crie: Préparez au désert le chemin de l`Éternel,
Aplanissez dans les lieux arides, une route pour notre Dieu.
Que toute vallée soit comblée,
Que toute montagne et toute colline soient abaissées!
Que les coteaux se changent en plaines, et les défilés étroits en vallons!
Alors la gloire de l`Éternel sera révélée, et au même instant toute chair la verra;
Car la bouche de l`Éternel a parlé.
Il ajoute par ailleurs en Is 51, 11 :
Comme un berger, il paîtra son troupeau,
Il prendra les agneaux dans ses bras,
Et les portera dans son sein;
Il conduira les brebis qui allaitent.
Quelles sont les recommandations de Yahvé au peuple pour vivre l’année jubilaire ? Les
prescriptions pour l’année jubilaire de Lévitique 25 sont à compléter avec celle du
Deutéronome 15, 1-12. Parmi les recommandations nous allons en cibler trois : le repos des
hommes et de la terre, la remise de la dette et la libération des esclaves enfin la méditation sur
les bienfaits reçus de Dieu.
1.2.1. Repos des hommes et de la terre
Le législateur légifère l’année jubilaire comme une année de repos, autrement dit une année
sabbatique, où le peuple en majorité agriculteur laissera la terre en jachère. « Vous ne sèmerez
point, vous ne moissonnerez point ce que les champs produiront d`eux-mêmes, et vous ne
vendangerez point la vigne non taillée » (Lév 25, 11). Dans le livre de la Genèse, la terre
appartient à Dieu. Il l’a donnée à l’homme pour tirer sa subsistance, mais il reste le
propriétaire. « D’après le récit de la création… la terre a donné son fruit à profusion avant
d’avoir été travaillée par l’homme (Gn, 1, 11-13) ».5 La terre laissée en jachère devient plus
féconde non seulement parce qu’elle s’est enrichie en restant au repos, mais parce que Dieu
l’a aussi bénie. La terre est aussi donnée à tous. En jachère, les pauvres et les animaux tirent
eux-aussi profit de ce qui y pousse spontanément.6 Qui donne aux pauvres, prête à Dieu, dit le
proverbe. En laissant la possibilité aux pauvres de se nourrir de la terre, on se rend
récipiendaire des bénédictions de Yahvé.
La terre promise, Israël, est aussi un don de Yahvé (Jos 21, 43-45). Israël est appelé à vivre
sur cette terre selon les indications de Yahvé (Dt 4, 6-8), s’il veut que sa bénédiction y
subsiste. Lév 25, 23 rappelle que la terre appartient à Dieu et on y vit comme des hôtes et des
étrangers. Autrement dit, Dieu peut à tout moment mettre le peuple à la porte. On ne peut par
5
Jean François Lefèvre, « Le jubilé biblique, mémorial de la création et de la rédemption », in Sources de vie
dominicaine, 3-4 (2000), http://www.studiumdenotredamedevie.org [consulté le 22.02.2016].
6
Cf G. Lambert, « Jubilé hébreu et jubilé chrétien », in Nouvelle Revue Théologique, 72 (1950), 239.
4
conséquent exploiter la terre jusqu’à épuisement, ce serait devenir ingrat vis-à-vis du vrai
propriétaire qui est Yahvé. « Le chef d’exploitation, lui-même, habitué à administrer son
domaine et à donner à chacun la part qui lui revient, est invité à se faire mendiant de la
bénédiction. Il s’agit de s’en remettre à la providence divine qui donne à chacun, en temps
voulu, ce dont il a besoin (cf Ps 104) ».7 Dieu promet d’ailleurs en Lévitique 25, 21-22 une
abondante récolte l’année précédant l’année sabbatique de sorte que le peuple puisse faire les
réserves pour l’année jubilaire. C’est d’ailleurs lui qui met le dynamisme de croissance dans
la plante.
1.2.2 L’année de libération des esclaves et de la remise de la dette
L’année jubilaire est une année de la remise de la dette et de la libération des esclaves
d’Israël. Dt 5, 12-15 recommande à Israël de se souvenir qu’il a été esclave au pays d’Egypte
et que c’est Yahvé qui l’en a délivré. Pour avoir connu l’esclavage en Egypte, pour avoir
connu la captivité babylonienne et pour avoir été libérés et pour avoir savouré la joie de cet
affranchissement, les Israélites sont invités à leur tour à affranchir leurs esclaves ou à en
racheter lorsqu’ils fêtent le jubilé. Qui sont ces esclaves à libérer ? Notons de prime abord
qu’il ne s’agit pas des étrangers. Dt 15, 3 précise que les étrangers ne bénéficient pas de cette
clémence avec ces termes : « tu pourras exploiter l’étranger, mais tu libèreras ton frère de ton
droit sur lui ». Il est clair que la libération ne concerne que les esclaves hébreux. Israël, à
l’heure de la législation de la prescription jubilaire, ne se sent pas encore solidaire des
nations.8 L’auteur du texte ne s’attarde pas sur les raisons de l’esclavage en Israël, mais
généralement les esclaves étaient parfois des débiteurs insolvables qui, par manque de moyen
de payer leur dette, se faisaient esclaves de leurs créanciers. Ces derniers avaient la
permission de les exploiter mais l’obligation de les affranchir pendant l’année jubilaire. Par
ailleurs, des personnes, voire des familles pouvaient aliéner leurs propriétés foncières ou
immobilières à cause d’une situation de précarité comme une mauvaise récolte ou une
malversation financière. L’acquéreur devrait avoir conscience qu’il n’était pas le propriétaire
et par conséquent il était convié à remettre les biens des pauvres pendant l’année jubilaire.
Comme écrivait le Pape Jean-Paul II dans Tertio Millenium Euntes : « l’année jubilaire
devrait servir précisément à rétablir l’égalité entre les fils d’Israël, ouvrant de nouvelles
possibilités aux familles qui avaient perdu leurs biens et même la liberté personnelle ».9 Lév
25, 10 demande qu’en l’année jubilaire, on proclame l’affranchissement de tous et que chacun
entre en possession de son patrimoine. Il y avait aussi la possibilité pour un proche parent ou
tout philanthrope de racheter un esclave ou une famille en reversant au créancier la somme de
la propriété. Celui-là était appelé le go’el autrement dit le « racheteur ». L’année jubilaire est
en fait une année où tout le peuple retrouve l’égalité sociale. Jean-Jacques Rousseau dit au
sujet de l’égalité sociale : « Il ne faut pas entendre par ce mot (égalité) que les degrés de
puissance et de richesse soient les mêmes mais que quant à la puissance, elle soit au-dessus de
toute violence et ne s'exerce qu'en vertu [...] des lois et quant à la richesse, que nul citoyen ne
soit assez opulent pour pouvoir acheter un autre et nul pauvre pour être contraint de se
7
Jean François Lefèvre, art. cit., http://www.studiumdenotredamedevie.org [consulté le 22.02.2016].
Cf Ibidem, 25.
9
Jean-Paul II, Tertio Millenium Adeveniente, 13.
8
5
vendre ».10 L’affranchissement de l’esclave l’année jubilaire est aussi un remboursement de la
dette à Dieu pour les juifs, car Dieu les a libérés de l’esclavage d’Egypte.
1.2.2 L’année de pénitence et de la méditation des bienfaits reçus de Dieu
L’année jubilaire n’est pas une année d’oisiveté. S’il est demandé à l’homme de cesser le
travail, c’est pour offrir le temps à Dieu. Libéré des contraintes et du souci du travail, il se
tourne vers Dieu dans la louange et l’action de grâce pour les bénédictions reçues. Au cours
de l’année sabbatique, le Deutéronome prévoit la lecture solennelle de la Loi qui rappelle les
conclusions de l’alliance du Sinaï (Dt 31, 10-11). Il s’agit d’un retour aux sources de la Parole
de Dieu.11 Le jubilé est vécu dans la liturgie, autrement comme un service au Seigneur. Le
début est annoncé par la sonnerie du cor (shophar) qui est un instrument de musique employé
pour proclamer certaines fêtes religieuses et le jeûne et pour sonner l’alarme en cas de
danger.12 La sonnerie du cor éveille donc à la conscience d’être pécheur, à l’attitude de
pénitence et à la demande du pardon pour échapper à la colère de Dieu. L’année jubilaire
commençait donc par un jour d’expiation, le « jom hak-kippourim » qui apparaît comme la
plus solennelle de la liturgie juive (Lév 14, 1-34 ; 23, 26-32). Les cérémonies de la journée
comprenaient le sacrifice d’expiation des péchés des prêtres, des sacrifices de bouc pour les
péchés, les rites de purification par le sang, du sanctuaire et de l’autel de l’holocauste,
l’expulsion dans le désert du bouc-émissaire chargé de toutes les iniquités du peuple. Tout
Israël devait jeûner ce jour et faire pénitence.13 Par ailleurs, le détachement recommandé est
une reconnaissance que les biens viennent de Dieu et qu’on ne les mérite pas. C’est dans le
même sillage qu’il faut inscrire la générosité recommandée à l’égard des pauvres. Se
reconnaissant tributaire de Dieu, l’homme est invité à donner aussi avec largesse aux pauvres.
1.3 Jésus et le jubilé biblique
Terminons cette partie biblique en parlant de l’attitude de Jésus vis-à-vis du jubilé. Il est
certain que le jubilé ne s’est pas pratiqué pendant longtemps à cause de la cupidité des
hommes qui s’imagent une grosse perte en abandonnant leurs activité pour une année. De
plus, aux jours du Christ, Israël était sous la domination romaine et le coût de l’impôt (63% de
revenu de chaque homme par an) ne pouvait pas permettre de se donner le luxe de pratiquer
constamment la jachère de la terre. Cependant, Jésus va orienter sa prédication inaugurale,
voire tout son ministère, sur le jubilé à venir en s’appropriant Is 61, 1-2 à la synagogue de
Nazareth : « L’esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par
l’onction pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres ; il m’a envoyé annoncer aux captifs la
délivrance (…), renvoyer en liberté les opprimés et proclamer une année de grâce ». En
appliquant ce programme d’action dans son ministère quotidien, le Christ nous montre qu’il
ne faut pas attendre 50 ans pour pratiquer les recommandations jubilaires. C’est sans cesse
qu’il faut pratiquer la miséricorde, remettre les dettes, délivrer le frère ou la sœur en captivité.
Dans la prière du Notre Père, il nous enseigne que le Père remet sans cesse nos dettes et que
nous sommes invités comme lui à remettre la dette de nos frères sans délai et sans compter. Il
opte pour la justice sociale et l’égalité sociale à tout temps. C’est ainsi que la première
communauté chrétienne ne pouvait avoir des indigents, car elle concevait le quotidien chrétien
comme un jubilé.
10
Jean Jacques Rousseau, Du contrat social, Flammarion, Paris, 1992, p.76
Jean François Lefèvre, Art. cit., in http://www.studiumdenotredamedevie.org [consulté le 22.02.2016].
12
Thomas P. Osborne, « L’année jubilaire et la remise de la dette », in Avançons Ensemble (septembre – octobre
1999), 22.
13
Cf G. Lambert, « Jubilé hébreu et jubilé chrétien », in Nouvelle Revue Théologique, 72 (1950), 245.
11
6
2. Le jubilé dans l’histoire de l’Eglise
2.1.
Sens du jubilé dans l’Eglise catholique
Selon le site du Saint Siège :
Dans la tradition catholique, le Jubilé est un grand événement religieux. C'est l'année
de la rémission des péchés et des peines pour les péchés, c'est l'année de la
réconciliation entre les adversaires, de la conversion et de la pénitence sacramentelle,
et, en conséquence, de la solidarité, de l'espérance, de la justice, de l'engagement au
service de Dieu dans la joie et dans la paix avec ses frères. L'Année jubilaire est avant
tout l'année du Christ, porteur de vie et de grâce à l'humanité.14
Le tout premier jubilé chrétien eu lieu en 1300 promulgué par le Pape Boniface VIII. De là
une tradition des « années saintes » devrait se constituer et s’enrichir au fil des temps avec
l’évolution sur la périodicité de leur convocation, la durée d’une année sainte et sur
l’extension des indulgences. Compte tenu du temps imparti, nous n’allons pas parler de toutes
les années jubilaire de l’histoire chrétienne, mais seulement de ceux qui ont apporté des
innovations dans l’histoire jubilaire.
2.1. Le premier jubilé chrétien : jubilé de 1300
Le Pape Boniface VIII inaugure la célébration du jubilé chrétien le 22 février 1300 par la
bulle Antiquorum habet fida relatio. Ce sont les courants de spiritualité, de pardon et de
fraternité en opposition aux haines et aux violences prédominantes de cette époque qui ont
incité le Pape à proclamer une année des indulgences en lui rappelant qu’à chaque année
centenaire, des indulgences étaient accordées à Rome.15 Même si la bulle est promulguée en
février 1300, elle prescrit que l’année sainte a commencé le 25 décembre 1299. De ce jour de
noël et tout au long de l’année 1300, le Souverain pontife accorde aux pèlerins qui, confessés
et contrits, visiteront les Basiliques Saint Pierre et Saint Paul, « Magnae remissiones et
indulgentiae peccatorum ».16 Les Romains doivent faire les visites aux deux Basiliques
pendant trente jours et les étrangers pendant quinze jours. Les rebelles sont exclus des faveurs
du jubilé tandis que les indulgences s’étendent à tous les étrangers qui se trouvent à Rome le
jour de Noël 1300 et aux fidèles morts en chemin pour Rome, de même que ceux qui se sont
mis en route pour Rome et n’y sont pas parvenus ainsi que ceux qui sont arrivés à Rome et
n’ont pas rempli toutes les conditions fixées par le Pape. Tout au long de l’année 1300, plus
de deux millions de chrétiens, hommes, femmes, nobles et gens du peuple, réguliers et
séculiers, vieillards et jeunes venus de toute l’Europe visiteront les tombeaux des apôtres
Pierre et Paul.17 L’année jubilaire revêt dès lors la signification de « l’année de la rémission
des péché ». La bulle laisse entendre que le jubilé se célèbrera après chaque cent ans. La
tradition des jubilés est ainsi lancée.
2.2. Evolution des jubilés chrétiens
En 1348, l’Europe est endeuillée par la peste noire qui décime la moitié de sa population. Des
processions de pénitence s’organisèrent dans plusieurs villes et l’on jugea opportun de
convoquer la prochaine année sainte en 1350 au lieu de 1400. Le Pape Clément VII,
d’Avignon ou résident les Papes depuis 1305, accepta la convocation du jubilé et la fixation
de leur échéance à 50 ans désormais. Aux basiliques Saint Pierre et Saint Paul à visiter, on
14
« Histoire des jubilés », in www.vatican.va/jubilee_2000/docs/documents [consulté le 22-02.2016].
Cf E. de Moreau, « Les années saintes », in Nouvelle Revue Théologique, 72 (1950), 9.
16
Cf Paul Ciss, « Origine et évolution du terme « Jubilé » », in Aube Nouvelle, 47 (janvier 2000), 11.
17
Cf E. de Moreau, « Les années saintes », in Nouvelle Revue Théologique, 72 (1950), 9-10.
15
7
ajouta aussi celle de Latran. Rien que de Noël 1349 à Pâques 1350, 1 200 000 pèlerins
visitèrent Rome. Ce jubilé se passa sans le Pape, lui, étant à Avignon. Néanmoins il apporta
beaucoup de consolation aux populations de rescapés de la peste noire. Des modifications sur
les échéances de la convocation des années jubilaire virent le jour. Urbain VI décida de fixer
l’échéance à 33 ans en référence à la vie terrestre du Christ, et à sa mort, Boniface IX
convoqua l’année sainte de 1390 ce qui n’empêcha pas les pèlerins d’affluer à Rome en 1400
pour le jubilé.18 Martin V, élu au concile de Constance en 1415 pour mettre fin au schisme
d’Occident convoqua l’année sainte pour 1425 et introduisit deux nouveautés dans l’histoire
jubilaire, à savoir, la frappe d’une médaille commémorative et l’ouverture de la porte sainte à
Saint Jean de Latran.19 Le jubilé de 1450 fit un succès comparable à celui de 1300. Le Pape
Nicolas V, appelé « Père de l’humanisme de la renaissance », fixa pour la première fois, les
conditions pour gagner les indulgences plénières. Pour la première fois aussi, il étend la grâce
jubilaire en dehors de Rome, à Malines à la demande de Philipe le Bel au début de l’année
1451. D’autres villes et pays jaloux de cette faveur réclameront et obtiendront aussi les
indulgences pour leur localité en 1451 et 1452.20 En 1470, la bulle de Paul II établit qu’à
l’avenir, les jubilés seront convoqués à échéances de 25 ans, ce qui amena son successeur
Sixte IV à convoquer une année sainte en 1475.21 En 1500, Alexandre VI décida de
l’ouverture des « portes saintes » de toutes les quatre grandes basiliques de Rome. Il se
réserva l’ouverture de la Basilique Saint Pierre. Il défendit aux cardinaux de ne pas s’absenter
de Rome pendant l’année jubilaire. L’affluence des pèlerins à Rome le força à prolonger le
jubilé jusqu’à l’épiphanie 1502.22
Les autres jubilés du XVIe siècle se déroulèrent normalement avec l’affluence des pèlerins. A
partir de 1575, on introduisit l’inscription des noms des pèlerins dans les registres. Et depuis
lors on peut connaître le nombre de pèlerins qui participèrent aux successives années saintes :
400 000 en 1575, 300 000 en 1600, 1 400 000 en 1675, 1 000 000 en 1750 et 376 365 en
1825.
Au XIXe siècle, il n’y a eu qu’une seule année sainte, celle de 1825. En 1799, le Pape Pie VI
se trouvait prisonnier de la révolution française jusqu’à sa mort au mois d’août. Son
successeur Pie VII ne connaîtra pas la tranquillité pour pouvoir convoquer une année sainte en
l’an 1800. En 1848, la révolution romaine avait forcé Pie XI à se refugier à Gaète, de même
qu’en 1870, il se trouva fait prisonnier au Vatican après la confiscation des Etats pontificaux
et l’occupation de Rome par les troupes de Victor Emmanuel. Le jubilé de 1825 introduisit la
nouveauté de faire des années saintes une occasion des béatifications et des canonisations.
Malgré la présence des pèlerins américains à Rome l’affluence des pèlerins étrangers les
« années saintes » dans la ville éternelle commence à diminuer drastiquement à causes
d’autres pèlerinages qui se font à tout temps et en d’autres lieux.23 Léon XIII convoqua le
jubilée de 1900, où il fit six béatifications et deux canonisations (celle de saint Jean Baptiste
de la Salle et celle de sainte Rita de Cascia). Pour le jubilé de 1925, Pie XI invita les fidèles
pour gagner les indulgences à prier pour la paix entre les peuples. Après la deuxième guerre
mondiale, Pie XII promulgua le jubilé de 1950 pour plusieurs buts : premièrement, la
sanctification des âmes par la prière et la pénitence et par la fidélité indéfectible au Christ et à
son Eglise ; en deuxième lieu, l’action pour la paix et la protection des lieux saints ; en
18
Cf « Histoire des jubilés », in www.vatican.va/jubilee_2000/docs/documents [consulté le 22-02.2016].
Cf Ibidem.
20
Cf E. de Moreau, « Les années saintes », in Nouvelle Revue Théologique, 72 (1950), 230-231.
21
Cf « Histoire des jubilés », in www.vatican.va/jubilee_2000/docs/documents [consulté le 22-02.2016].
22
Cf E. de Moreau, « Les années saintes », in Nouvelle Revue Théologique, 72 (1950), 231.
23
Cf Paul Ciss, « Origine et évolution du terme « Jubilé » », in Aube Nouvelle, 47 (janvier 2000), 14.
19
8
troisième lieu la défense de l’Eglise contre les attaques des ennemis et la demande de la vraie
foi pour ceux qui sont dans l’erreur, les infidèles, et les sans-Dieu et en dernier lieu, la
réalisation de la justice sociale et des œuvres d’assistance en faveur des humbles et des
nécessiteux. La proclamation du dogme de l’immaculée conception eut lieu pendant ce jubilé
notamment le 1er novembre 1950. Paul VI convoque le jubilé de 1975 en lui assignant deux
objectifs : renouveau et réconciliation. Le dernier jubilé avant celui que nous vivons, est le
jubilé de l’année 2000 convoqué par Jean-Paul II. Le Souverain Pontife l’a voulu une année
de louange pour le don de l’incarnation, car « le sauveur incarné dans le sein de la Vierge
Marie il y a vingt siècles continue à s’offrir comme source de vie divine ».24 La particularité
de ce jubilé est qu’il s’est préparé pendant trois ans, chaque année dédiée à une personne de la
Trinité.
Conclusion
Notre conclusion cherchera à répondre à deux interrogations. Premièrement, qu’il y a-t-il de
commun entre le jubilé juif et le jubilé chrétien ? La deuxième question est celle de savoir en
quoi le jubilé concerne nos vies. Nous avons dit que si l’on s’en tient au sens, on pourrait
conclure que le jubilé chrétien est différent du jubilé juif, mais examiner de plus près, on
découvre des similitudes dans la matérialité et la périodicité des célébrations des deux jubilés.
Le code d’alliance recommande la célébration du jubilé chaque 50 ans, recommandation à
laquelle souscrit le jubilé chrétien du moins depuis le XIVe siècle. Si le jubilé hébreu est
l’occasion pour libérer les esclaves, rendre maisons et terres à ceux qui les avaient perdues et
de remettre les dettes, le jubilé chrétien cherche à rendre l’homme libre de l’esclavage du
péché en œuvrant pour le repentir de ses fautes, en faisant de l’année jubilaire une année de la
purification et de la sanctification à travers la prière.25 Les chrétiens, à l’instar de juifs,
plaident pendant l’année jubilaire pour les opprimés et les laissés-pour-compte. Le Christ a
annoncé sa mission comme l’accomplissement des prescriptions de l’année jubilaire à la
synagogue de Nazareth. A sa suite, les chrétiens doivent inscrire dans leur quotidien les
recommandations des années jubilaires : se libérer et libérer leur frères et sœurs du joug du
péché, se montrer solidaires des pauvres et des marginalisés, faire de leur vie un témoignage
de la bonne nouvelle et cela au jour-le-jour.
Joseph Kuate, scj
24
25
Cf « Histoire des jubilés », in www.vatican.va/jubilee_2000/docs/documents [consulté le 22-02.2016].
Cf Paul Ciss, « Origine et évolution du terme « Jubilé » », in Aube Nouvelle, 47 (janvier 2000), 15.

Documents pareils