Pour le pire et le meilleur, l`universalité façon Ray
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Pour le pire et le meilleur, l`universalité façon Ray
LE JOURNAL DU JURA SAMEDI 22 FÉVRIER 2014 30 RIFFS HIFI THE KINKS Première biographie critique en français d’un groupe exquis Pour le pire et le meilleur, l’universalité façon Ray Davies PIERRE-ALAIN BRENZIKOFER Dans cet univers du rock où sectes et chapelles sont éminemment plus nombreuses que les plaies d’Egypte, les musicologues s’accordent cependant sur un point. Une preuve? Titillez-les à proposdesgroupesquionteuune influence majeure sur l’évolution de cette musique! Eh bien, ils seront quasiment unanimes à citer les cinq mêmes gangs. On veut bien sûr parler des Beatles, des Rolling Stones, des Who, des Beach Boys et des Kinks. Et, quand il s’agit d’établir un classement parmi les précités, ce sont les Beach Boys et surtout les Kinks qui se hissent le plus souvent au sommet de cette hiérarchie. Ah! les Kinks. Leurs exégètes ne prétendent-ils pas qu’ils avaient le sens mélodique des Beatles, l’intelligence des Stones et la méchanceté des Who? En d’autres termes, qu’ils survolaient la pourtant bien établie Sainte Trinité du rock. Avaient? Si les aficionados misent sur une reformation et une tournée pour leurs 50 ans d’existence cette année, ils sont en effet en froid depuis le milieu des années 90. Mais quel parcours rock and roll! Elément majeur: la hainequesevouentlesdeuxfrères Avant de devenir le monsieur très sain qu’il est aujourd’hui – il ne boit plus sauf du Coca light, il se nourrit de fruits et est devenu champion de golf –, l’immense Alice Cooper, dont on ne vantera jamais assez la profondeur des textes, était résolument trash. Il planche actuellement sur un album de reprises. Et pas n’importe lequel. Il réunira en effet les créations de ses potes de défonce: «Je rendrai hommage à tous ceux avec qui j’avais l’habitude de boire et qui ne sont plus parmi nous», at-il révélé. Des noms? Ils sont faciles à répertorier. Les Doors pour Jim Morrison, les Who pour Keith Moon, John Lennon avec ou sans les Beatles et forcément Jimi Hendrix. Sont encore évoqués? Le furieux Harry Nilsson et le regretté Marc Bolan, de T-Rex. Bref, de quoi faire un nouvel album incontournable... d’Alice Cooper. PABR Les Kinks des origines. De gauche à droite: Dave Davies, Ray Davies, Peter Quaife et Mick Avory. LDD Ray et Dave Davies, respectivement chanteur-auteur-compositeur et guitariste sous-estimé. Entre bagarres, concerts ratés pour cause d’éthylisme profond et interdictiond’entréeauxStatesau motifdecomportementtroprock and roll, que de sommets vertigineux et de ramassées pathétiques. Sans oublier que la cohérence n’a pas toujours constitué la caractéristique majeure de l’œuvre davie- RAY DAVIES LEADER DES KINKS sienne. Au début, il y a eu tous ces hymnes touchés par la grâce que sont «Sunny afternoon», «Waterloo Sunset», «Autumn almanach», «Dead end street» et bien évidemment ce «You really got me» que les lourdingues attribuent à Van Halen. Puis vinrent aussi ces concept albums un brin pompeux que Dave Davies imposait à son gang. Puis cette période résolument hard rock pour conquérirl’Amérique,quidégoûtaparadoxalement les Anglais. Et enfin «Lola». Pour les uns, les Kinks ontinventélaBritPop.Blur,Oasis, Supergrass & Cie ne jurent d’ailleurs que par eux. Comme tous les nouveaux groupes aspirés par cette galaxie. Maisd’autresfans,enréférenceà «You really got me» et «All day and all of the night», en font presque les inventeurs du rock lourd. Bref, avec les punks qui les adulaient, que de coteries distinctes. Sûr, les Kinks n’ont jamais cessé d’évoluer. Mais contrairement à certains rivaux, leurs disques ont souventsouffertd’uneproduction catastrophique. En tout cas, pas question de les réduire à un gang purement sixties comme certains sectaires. A chaque époque, on découvre des perles. Du genre «Sleepwalker» en 1977, «Think visual» en 1986, «Phobia» en 1993 et le prodigieux semi-unplugged «To the bone» en 1994. Alors, oui, «The Kinks, Une histoire anglaise» ravira les puristes. Alain Feydri y suit littéralement pas à pas un des plus grands groupes du monde. Que le règne des Kinks (re)vienne! «The Kinks, Une histoire anglaise», par Alain Feydri, Le Castor Astral KENT Entre les débutants et les stars, quelle place pour les artistes «moyens»? Disques invendus, concerts rares: quid? PATRICIA BRENZIKOFER La crise de la presse n’épargne pas la galaxie rock. A ce titre, on n’a pas fini de pleurer la disparition récente des excellents Rock First et de la version française de Mojo. Dans cet univers de ruine, toutefois, une lueur d’espoir. Du côté de l’Hexagone, de joyeux kamikazes viennent de lancer Rockawa. Un mensuel qui en est à sa troisième sortie, mais qu’on n’a pas encore déniché en Suisse. En attendant une éventuelle pénétration de notre marché national – les quotas ne concernent heureusement pas la presse étrangère –, on peut déjà se rabattre sur le site internet du magazine (www.rockawa.com). Tout y est libre d’accès. Et, contrairement à Rock & Folk qui ne brille pas par ses entrées multiples, Rockawa croule sous les rubriques diverses. Des news à la pelle, des interviews musclées, des chroniques originales comme s’il en pleuvait? Le bonheur absolu. Et, en prime, un éclectisme de bon aloi qui rassurera – et comblera – les Anciens comme les Modernes. Le combat rock continue! PABR Hommage aux morts: un album de covers contre les sixties. Je m’opposais à la liberté superficielle qui, selon moi, était un piège...» En 2014, Kent poursuit sa route comme à l’époque Starshooter. Rockawa promet énormément ALICE COOPER « J’étais vraiment en guerre ● Dans les années 90, il fut un hôte régulier de Tavannes et Tramelan. De Bienne, aussi. Depuis, Kent a poursuivi son petit bonhomme de chemin, parfois plus semé de ronces que de roses. C’est que l’ex-hurleur de Starshooter n’a pas choisi une voie facile. N’innove-t-il pas à chaque album, avec une préférence toujours plus marquée pour le dépouillement musical et la chanson exigeante? Loin des mo- NOUVEAU MAGAZINE ROCK des et des décibels, il était récemment de retour à Lausanne, invité par un petit festival très sympa baptisé «Le chant des beaux humains». Accompagné d’un seul pianiste, l’homme a proposé un récital aussi intimiste que riche en émotions. Parolier et showman hors pair, il a heureusement récolté un triomphe mérité. Ceux qui s’intéressent à lui le retrouveront avec plaisir sur son dernier CD («Le temps des âmes) et son excellent site (kent-artiste.com), notamment pour dévorer les poignantes chroniques issues de son journal. Tenez, l’autre soir, à Lausanne, on lui a demandé de pouvoir en reproduire une dans Riffs Hifi. Un texte représentatif de ce que vivent aujourd’hui la plupart des artistes. Mais on vous laisse en compagnie de Kent... PABR Dans le monde artistique comme ailleurs, on assiste à un effondrement de la classe moyenne. Des stars caracolent toujours sous les feux de la rampe, affichant ou non un train de vie luxueux. Des débutants débutent, prêts à tout pour se faire connaître et tant pis si on les exploite. Entre les deux, des artistes professionnels qui, hier encore vivaient bien de leur musique, se retrouvent tels la cigale ayant chanté tout l’été. Non pas qu’ils travaillent moins qu’avant, mais leurs œuvres sont mises à la disposition du public pour trois fois rien, voire rien. A moins de ne pas payer les musiciens ni le studio, faire un disque coûte encore de l’argent et la communication (ou promo, comme vous voulez) bien plus encore. Or, le public n’achète pratiquement plus de disques. Dans le meilleur des cas, il télécharge légalement et nous l’en remercions. Mais il apparaît qu’il va désormais sur Youtube, Deezer ou Spotify pour écouter ses chansons favorites. Et là, on reste coi devant les chiffres... Ne parlons pas du piratage. Les fervents amateurs de musique nous lancent joyeusement: «Oui, mais il reste les concerts.» Certes. Mais nous sommes aujourd’hui dans un véritable embouteillage de tournées. Tous les artistes se ruent sur les routes pour gagner leur croûte. Devant trop de choix, l’organisateur de concerts se tournera vers les artistes les mieux exposés, les têtes de gondoles, ceux qui ont les moyens de s’offrir une campagne de pub qui séduira des partenaires médiatiques. Et ainsi le public. Il y a bien évidemment des exceptions, mais j’ai compté, ils tiennent sur les doigts des deux mains d’un bûcheron maladroit. Ne vous méprenez pas! Ceci n’est pas une plainte, mais un constat que je me dois de vous faire partager. Nous ne pouvons pas rêver que les choses redeviennent un jour comme avant. C’est fini. A vous d’agir en connaissance de cause. Pour ma part, comme beaucoup d’entre vous dans d’autres domaines, je continuerai aussi loin que je pourrai tant que je me sentirai soutenu... KENT WITHIN TEMPTATION Des Hollandais volants qui ne volent rien Les galériens comme les esthètes le savent, la Hollande est depuis longtemps une terre résolument rock. De Golden Earring aux Nits en passant par Focus, que de géants à l’originalité exacerbée, tellement représentatifs de ce pays particulier. Oui, le vent semé par ces pionniers a toujours permis de récolter une tempête de très haute tenue. Voilà pour la préhistoire. Plus près de nous, mais toujours chez les Bataves, Within Temptation s’est imposé comme le leader de la galaxie metal symphonique avec les Finlandais de Nightwish. Heureusement pour leurs admirateurs, les premiers nommés ont cédé à la tentation pour sortir un sixième album baptisé «Hydra» (distribution BMG/TBA). Visiblement, toutes ces têtes de serpent ont permis au gang de produire un album fort bien léché, délicieusement harmonique, mais pas (plus) sombre pour un sou. Les vieux fans regretteront peut-être l’abandon d’hymnes plus déjantés. Ils pourront se rassurer le 16 mars au Hallenstadion de Zurich. PABR LA PLAYLIST DE... Philippe Oudot [email protected] MILES DAVIS «Live around the world» (1996) La superstar, l’élégant, le ténébreux Miles; le maître, l’apprenant de toujours, le passeur… Cette compil est un enchantement: on y retrouve son inimitable timbre de sourdine métallique, ses orchestrations riches, ses arrangements soignés, ses fulgurances et quelques morceaux mythiques qui resteront dans l’inconscient musical comme «Tutu», «Wrinkle» – enregistrés à Montreux en juillet 1990. Ou encore «Amandla», «Time after Time» où le temps et l’espace se dilatent, pour se terminer sur «Hannibal», morceau joué lors de sa dernière apparition publique. Ma foi, on est transposé dans le sublime! JETHRO TULL «Aqualung» (1971) Bien avant d’en lire les textes ou d’en comprendre les paroles, le jeu des sons de la guitare acoustique, du violon, de la flûte de Ian Anderson et de sa voix nasillarde et parfois grinçante, enthousiasment depuis plus de 40 ans! Les morceaux, aux accents aussi bien folk celtique, jazz ou hard rock martèlent leur puissance: «Aqualung», «Hymn 43», et envoient leurs fascinantes mélodies qu’on répète, comme «Mother Goose». Mais, les paroles, «Oh my God!», ce n’est pas de l’eau bénite, mais plutôt une potion noire d’ivresse! Ecoutez «Locomotive Breath»: on nous balance les halètements de la machine, le chant ombrageux de la bête humaine et la chevauchée fantastique… ABDULLAH IBRAHIM «Trio Cape Town Revisited» (1997) C’était au Festival de Montreux, en été 83, et dès les premières notes égrenées, ce fut l’envoûtement. Et la magie du jazzman m’éblouit toujours. Mais ce pianiste comment fait-il donc, pour transmettre un son si velouté, un rythme si riche et des phrasés mélodiques si beaux, qui se déroulent sans heurts, avec élégance, et une classe infinie? Garanti, le plaisir enveloppant de «Song for Sathima»; plaisir plus pétillant avec «Sweet Samba»; ça devient plus grave avec «District Six» ou «Soweto». Du morceau root, «Water from an ancient well» – un de ses préférés – éclate la magnifique surprise de la trompette de Feya Faku. Et avec «The Wedding», thème qu’il réinterprète et glisse tout au long de son œuvre, on se laisse traverser par l’émotion, vous savez, celle qui va au-delà des mots…