Le pari des autoroutes de la mer

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Le pari des autoroutes de la mer
Le pari des autoroutes de la mer
Louis Dreyfus Armateurs va doubler les capacités sur sa liaison maritime entre la France et l’Espagne. La rentabilité de ses lignes est
difficile à atteindre sans subventions.
JEAN-CLAUDE MOSCHETTI/REA
Chargement d’un navire à Saint-Nazaire, en partance pour Gijón.
Mettre des camions sur les bateaux pour désengorger les routes. À l’heure où le projet de création d’une écotaxe suscite
tant d’hostilités, notamment en Bretagne, le sujet devrait revenir tôt ou tard sur le devant de la scène. C’est en tout cas le
pari que fait Louis Dreyfus Armateurs (LDA) en doublant les capacités de sa ligne maritime entre Saint-Nazaire et le port
de Gijón en Espagne, ouverte en 2010. Depuis la première semaine de 2014, un navire supplémentaire a été mis en
place et deux nouvelles lignes sont créées, entre Saint-Nazaire et Rosslare (Irlande) et entre Gijón et Poole, au sud-est
de l’Angleterre.
Le transport maritime, une priorité de l’Union européenne
Sur le papier, le concept de ces autoroutes de la mer est séduisant. C’est d’ailleurs une des priorités par la Commission
européenne, depuis la publication d’un livre blanc en 2001, qui vise à encourager le « report modal » (de la route vers le
rail ou la mer) et à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le principe de ces autoroutes n’est pas nouveau non
plus.
« Les conditions géographiques font souvent que cela marche ou pas. Entre la Suède et la Pologne, c’est par exemple
une évidence », explique Jean-Marie Millour, délégué général de BP2S, la structure de promotion du transport maritime.
En Méditerranée, les liaisons marchent aussi plutôt bien entre l’Espagne et l’Italie. C’est plus compliqué, en revanche, sur
le littoral atlantique.
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Une difficile rentabilité
« Avec un taux de remplissage supérieur à 70 %, notre ligne Saint-Nazaire-Gijón est un succès commercial indéniable,
mais ce n’est pas encore un succès économique », reconnaît Christophe Santoni, directeur général de LD Lines, filiale de
Louis Dreyfus armateurs. Pour trois allers-retours par semaine, la ligne a transporté 20 000 camions en 2013 ainsi que
30 000 voitures fabriquées dans les usines espagnoles de Renault. La clientèle particulière est loin d’être anecdotique,
notamment en été, avec 50 000 passagers et 13 000 véhicules embarqués.
Cette fréquentation est malgré tout insuffisante pour gagner de l’argent, selon LDA, et seules les subventions publiques
permettent d’équilibrer les comptes. Sur Saint-Nazaire-Gijón, le groupe a reçu l’an dernier 6 millions d’euros d’aides pour
un chiffre d’affaires de 15 millions. Au total, depuis 2010, LDA a obtenu plus de 30 millions d’euros (15 millions de la
France, 15 millions de l’Espagne et 4 millions de la Commission européenne) pour l’exploitation de la ligne. Mais ce
soutien financier se termine en septembre et l’augmentation des fréquences annoncées par Louis Dreyfus n’est sans
doute pas étrangère à cette échéance.
Des avantages certains
« Nous avons des coûts fixes importants et avoir un bateau en mer seulement trois jours et demi sur sept n’est pas
suffisant. Avec plus de rotations et plus de routes, on va pouvoir améliorer la productivité des navires » , affirme le patron
de LD Lines. Selon lui, il existe une demande importante à satisfaire sur l’arc atlantique et le transport maritime offre de
nombreux avantages par rapport à la route.
« Sur le bateau, le camion poursuit sa route même quand le chauffeur fait sa coupure légale. Et cela permet aussi de
contourner l’interdiction de rouler le week-end pour les poids lourds », souligne Christophe Santoni. La liaison maritime
entre Saint-Nazaire et Gijón se fait en quatorze heures, soit dix heures de moins que par la route. « La plupart des
utilisateurs de fret qui ont goûté une fois le transport maritime y reviennent fréquemment » , juge Anne Gallais Bouchet,
chercheur à l’Institut supérieur d’économie maritime de Nantes-Saint Nazaire (Isemar).
La concurrence économique de la route
Reste tout de même, la question primordiale des coûts, qui plaident largement en défaveur des autoroutes de la mer.
Dans certains cas, les tarifs par bateau peuvent être deux tiers plus chers que ceux proposés par la route, où la
concurrence féroce contribue également à faire chuter les prix. « Le transport maritime peut être bien adapté pour certains
marchés spécifiques très localisés et quand il s’agit de franchir des obstacles naturels. Mais il induit souvent des ruptures
de charges et parfois des temps d’attente assez long qui pèsent sur sa compétitivité », estime Nicolas Paulissen, délégué
général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR).
L’armateur français Brittany Ferries qui exploite également plusieurs liaisons entre l’Espagne et la Grande-Bretagne,
afficherait ainsi des résultats très en deçà de ses prévisions sur ces lignes. En 2005, Louis Dreyfus Armateurs avait
également lancé une liaison entre Toulon et Rome. Pour finalement jeter l’éponge quatre ans plus tard, faute d’avoir
séduit suffisamment de transporteurs.
« Les chargeurs sont très conservateurs et changent difficilement de mode logistique. Pour eux, la mer reste en appoint
de la route », affirme un professionnel. Sans incitations, il y a donc peu de chances qu’il progresse rapidement. Mais les
États sont sans le sou et la Commission européenne reste ambiguë sur son soutien. « Elle pousse énormément au report
modal, souligne Anne Gallais-Bouchet, mais veut sortir de cette logique de subventions dans les transports, au nom de la
concurrence. »
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Une définition précise
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La notion d’autoroutes de la mer répond à un certain nombre de critères de performance, qui la différencie du cabotage
traditionnel. Ces autoroutes doivent pouvoir offrir des fréquences régulières et cadencées (avec des horaires fixes). Les
ports concernés doivent également proposer des infrastructures permettant des chargements et des déchargements
rapides ainsi que des formalités administratives simplifiées. Mais des liaisons sont aussi qualifiées d’autoroutes de la mer
uniquement parce qu’elles sont en partie subventionnées par le programme européen Marco Polo.
JEAN-CLAUDE BOURBON
http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Le-pari-des-autoroutes-de-la-mer-2014-01-09-1086819
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