C`est l`histoire d`un mec... - l`Association des Sciences-Po
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C`est l`histoire d`un mec... - l`Association des Sciences-Po
magazine portrait François-Xavier Demaison C’est l’histoire d’un mec... Bénédicte Lutaud (M 11) Devenu humoriste après un passé de fiscaliste, diplômé de Sciences Po, nommé aux César en 2008 pour son interprétation de Coluche dans le biopic d’Antoine de Caunes, François-Xavier Demaison (EF 98) partage maintenant sa vie entre les plateaux de télévision, les One man shows et les tournages. Rencontre. De la répartie et un côté cocasse mêlés à une forme de pudeur. François-Xavier Demaison enchaîne les boutades mais semble sur ses gardes au moment où commence l’interview. Coquetterie d’image ? Souci du regard des autres ? Comme si, une fois que l’habit du comédien était tombé, il redoutait de se mettre à nu. Avec cette crainte qu’on lui colle des étiquettes. « Je ne me lasserai jamais de vivre mon rêve. Mais parfois, il y a des moments de fatigue, d’angoisse. On est très observé, critiqué, et ça crée de la tension. Je suis peut-être moins naïf qu’il y a dix ans », se justifie-t-il. Il y a dix ans, justement, c’est sa naïveté de jeune homme de 29 ans qui l’a poussé à changer de vie. Le 11 septembre 2001, il assiste aux attentats du World alumni sciences po. magazine n septembre 2013 Trade Center depuis son bureau de Manhattan, où il est fiscaliste pour le cabinet d’avocats de PricewaterhouseCoopers (PWC). « Je me suis dit que la vie était courte, et que je ne voulais plus la perdre à la gagner, raconte-til. Ma passion première, c’était de monter sur scène. Je n’étais pas fait pour un costard de fiscaliste, mais pour un costume de clown. Je savais que c’était comme ça que j’allais me réaliser. » Une philosophie qu’il conseillerait aux jeunes diplômés en quête d’aventure ? « C’est con à dire, les gens me prendront pour le philosophe du café du commerce si je dis ça, mais on ne vit qu’une fois. J’avais envie de faire quelque chose qui m’habite du matin jusqu’au soir. Mais c’est très personnel, chacun trouve son bonheur là où il peut. Je ne donne pas de leçons à vocation universelle sur ce qu’il faut faire dans la vie. » Toujours cette retenue. Un an plus tard, le 2 décembre 2002, il loue le théâtre du Gymnase, joue de son réseau et remplit la salle de 800 places. Le « Je n’étais pas fait pour un costard de fiscaliste, mais pour un costume de clown. » spectacle, mêlant épisodes autobiographiques (l’histoire de sa reconversion) et scénettes où défilent des personnages inspirés lors de ses missions d’audit, est un vrai succès. Le comédien Samuel Le Bihan décide de produire son one man show, qui se jouera sans interruption dans toute la France de 2005 à 2009. manuel braun D 52 septembre 2013 n alumni sciences po. magazine magazine portrait 1973 Naissance à Asnières-sur-Seine (92). 1998 Diplômé de Sciences Po en économie-finance. François-Xavier Demaison, 2007 Naissance de sa fille, Sasha. 11 septembre 2001 Assiste aux attentats du World Trade Center depuis ses bureaux à Manhattan. 2005-2009 One man shows « A story pour les gens qui belive in dream » et « Demaison s’envole ». La suite, on la connaît : chroni- 54 queur dans l’émission « Le fou du roi », de Stéphane Bern, sur France Inter, puis dans « Samedi pétantes » sur Canal +, le grand écran avec Le Premier Jour du reste de ta vie, Tellement proches, Le Petit Nicolas, La Chance de ma vie et, surtout, en 2008, le biopic Coluche, l’histoire d’un mec, d’Antoine de Caunes, où il imite avec brio l’accent nasillard du comique. Pour que la ressemblance soit la plus parfaite possible, l’acteur a dû prendre pas moins de 12 kilos, et aussi se faire épiler les sourcils ! « Ma compagne s’est un peu sentie étouffée, parfois, plaisante-t-il. J’avais aussi des cheveux uniquement sur les côtés du crâne, pour faire la tignasse. Mais j’ai adoré prendre du poids : entrée, plat, fromage, dessert à tous les repas, c’est magnifique ! » Depuis, on l’a vu tenir le premier rôle dans Moi, Michel G, milliardaire, maître du monde (2011), et à l’affiche du poignant Comme des frères (2012), de Hugo Gélin, aux côtés de Nicolas Duvauchelle, Pierre Niney et Mélanie Thierry. Mais c’est sur scène qu’il se sent le mieux. « Pour moi, c’est comme une transe », explique-til. Son spectacle, « François-Xavier Demaison s’évade », se joue depuis un an et demi dans tout l’Hexagone. Étudiant en droit à Nanterre, il suit la classe libre du cours Florent durant deux ans. Puis à l’entrée à Sciences Po, afin de rassurer sa famille (ses parents sont tous deux avocats, sa sœur aussi), il abandonne le théâtre pour se consacrer à ses études alumni sciences po. magazine n septembre 2013 François-Xavier Demaison et son meilleur ami à Sciences Po, Grégory Possoz. et à sa carrière. « J’avais vraiment enfoui ça. J’en avais même peur. Je me disais : c’est ma part de folie, faut que je la réfrène », raconte-t-il. De brillantes études, la vie de « La fiscaliste à Manhattan, et le traupéniche, matisme du 11 septembre 2001 le quarcomme révélation subite pour changer de vie ? En réalité, ça, tier, ma c’est “la belle histoire”. Françoisbande de copains… Xavier Demaison n’a jamais vraiment quitté sa passion, et n’a j’avais 23 ans, j’avais pas tout décidé du jour au lendemain. « En partant à New York, la beauté il était déjà dans une perspective de du diable, changement, de quête d’aventure, j’avais des raconte son ami et complice Grécheveux… gory Possoz (CRH 98), qui l’a renTout était contré, étudiant, sur les bancs possible ! » de Sciences Po. Il en avait ras-le-bol d’être fiscaliste à Paris. Il pensait déjà à écrire, à être sur scène. » FrançoisXavier confesse : « J’avais commencé à écrire des sketchs dans mon open space américain, avec des personnages très franchouillards... C’était complètement décalé ! » Avant même son arrivée à New York, au sein du cabinet de PWC, à Paris, l’obsession du rideau rouge est présente : « Il parlait du théâtre, et ne se cachait pas d’avoir fait le cours Florent », raconte Jean-Emmanuel Combes (EF 94), ancien senior partner de PWC, et ancien président de l’Association des Sciences-Po. De même, durant ses années Rue Saint-Guillaume, l’artiste en herbe avait du mal à “refouler” ses envies de scène. « La première chose dont on a parlé, quand on s’est rencontré, c’était le cours Florent, se souvient Grégory Possoz. Ce qui l’agitait intérieurement, c’était le théâtre. Cela le faisait partir dans des grandes digressions. » Chassez le naturel, il revient au galop. Privé de théâtre, François-Xavier met à profit son éloquence et son charisme lors de ses exposés : « Il avait une capacité à faire rire les étudiants et même les professeurs, sur des sujets pourtant très arides », s’amuse encore son ami. Il tente aussi de créer une association, qui s’appelait Art conseils, une ingénierie culturelle pour les collectivités locales, mais ne recueille pas assez de signatures pour la poursuivre jusqu’au bout. De Sciences Po, François-Xavier Demaison se rappelle « la péniche, le quartier, ma bande de copains... J’avais 23 ans, j’avais la beauté du diable, j’avais des cheveux... Tout était possible ! (rires) » Par modestie, cet expert de l’autodérision n’en dira pas plus. C’est son compère des années Saint-Germain, Grégory Possoz, qui complète : 2008 Premier rôle dans le biopic d’Antoine de Caunes : Coluche, l’histoire d’un mec 2011 Premier rôle dans Moi, Michel G, milliardaire, maître du monde, et création du spectacle « François-Xavier Demaison s’évade ». 2010 2012 Comme des frères, de Hugo Gélin, aux côtés de Nicolas Duvauchelle et Pierre Niney. Interprétation de M. Dubon, dit « le Bouillon », le surveillant, dans Le Petit Nicolas, de Laurent Tirard. « Une sorte de bande s’est créée autour de lui. C’était lui le pôle d’attraction. Avec ses deux sœurs, Laetitia et Céline, très charismatiques elles aussi, ils organisaient des fêtes chez lui. On a mené la grande vie dans les cafés du quartier, passé beaucoup de temps au Flore. On a fait les 400 coups ensemble ! Une fois, en sortant de boîte à Paris, on a filé en voiture au bord de la mer regarder le soleil se lever, avant de rentrer ventre à terre et d’enchaîner sur une conférence à Sciences Po, du sable encore dans nos cheveux ! » Les « pestacles » Cet amour de la mise en scène et de la comédie, François-Xavier était en fait “tombé dedans” depuis tout petit. Dans un portrait de l’acteur publié dans Le Monde, daté de novembre 2007, sa sœur Céline raconte qu’à 5 ans, le petit FX organisait des spectacles de cirque : « Un jour, notre cousin Laurent, qui faisait le lion, a dû tourner en rond de plus en plus vite à quatre pattes. Quand on s’est aperçu qu’il était tout vert, il était trop tard. » Trente-cinq ans plus tard (ses 40 ans se fêteront le 22 septembre), l’humoriste s’en souvient bien : « Il a rendu, mon pauvre cousin ! Pauvre petit gars. J’étais déjà tellement galvanisé par la mise en scène de ce spectacle improbable que j’en ai oublié que mes acteurs étaient des enfants de trois ans. Je m’en excuse, j’espère que ça n’a pas laissé des séquelles ! » Il poursuit, les yeux brillants : « C’est vrai, déjà tout petit, il y avait cette passion. L’envie de faire des “pestacles”. » Aujourd’hui, il « Si je devais changer de vie une nouvelle fois, ce serait pour aller vers une autre passion, le vin. » continue de raconter des histoires à sa fille de six ans, Sasha. « Mais c’est elle qui fait le pitre ! », prévient-il. S’il devait une nouvelle fois changer de vie, François-Xavier Demaison se verrait bien vigneron dans le sud de la France : « J’adore le vin et le soleil. » Puis il ajoute : « Oui, si je devais changer de vie une nouvelle fois, ce serait pour aller vers une autre passion, le vin. Mais c’est un dur métier, vigneron, c’est une vocation. » C’est encore le même schéma : la boutade spontanée, qui semble venir du vrai François-Xavier Demaison, puis une phrase plus nuancée, plus conciliante. Toujours ce même souci de ne vexer personne ou de ne pas passer pour quelqu’un d’arrogant. Le comédien n’a pas pour autant totalement “rompu” avec son passé d’étudiant, ou avec sa “vie d’avant”. Il reste très fidèle à la Rue Saint-Guillaume. En témoigne sa présence au Gala des alumni de Sciences Po, le 4 juillet dernier, où il a effectué une intervention avec David Abiker. Quant à ses anciens collègues, il les a retrouvés en 2005 et 2006, lorsqu’il a accepté de se produire devant eux pour de grands événements de fin d’année : « La dernière fois, c’était à Bercy, devant 3 000 personnes. Le tout dans l’ambiance de critique chaleureuse et sympathique de ce monde de la finance, raconte Jean-Emma- nuel Combes. C’est un garçon qui avait énormément de talent dans notre métier, insiste-t-il. Il faisait partie des meilleurs. S’il a changé de vie, ce n’est donc pas par dépit, juste par vocation personnelle. Des gars de cette trempe, on aurait aimé les garder avec nous longtemps. » À la fin de notre rencontre, quand on lui demande de trouver une qualité et un défaut pour se définir, François Xavier Demaison répond : « La gentillesse et la gentillesse. J’ai de la sympathie pour mon prochain, mais j’ai du mal à dire non. Il y a toujours peut-être cette culpabilité, dans le fond, d’avoir réussi, enfin, percé dans le milieu où je suis, donc j’ai toujours le sentiment d’avoir une dette vis-à-vis de la société. » Un peu à l’image du Coluche en campagne présidentielle dans le film d’Antoine de Caunes. Le comique, à l’image de son interprète, s’est convaincu d’avoir une dette envers les autres, comme le montre cette scène, à la fin du long métrage : Coluche. – Ils ont qui, à part moi ? Son impresario. – De qui tu parles ? Coluche. – Des gens ! Je m’en fous, c’est pas moi qu’on va baiser. J’ai du blé, je peux ne plus rien foutre pendant 100 ans ! (...) Je suis le seul en qui ils ont confiance. Son impresario. – Calme toi, t’es pas Robin des bois non plus. Le spectacle « François-Xavier Demaison s’évade » sera à l’affiche du théâtre Édouard VII à Paris dès le 6 décembre prochain et jusqu’au 5 janvier 2014. septembre 2013 n alumni sciences po. magazine 55