Le Monde - entree

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Le Monde - entree
MERCREDI 20 AVRIL 2016
72E ANNÉE – NO 22165
2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
L’ONU acte l’échec de la guerre contre la drogue
▶ La session extraordinaire
▶ Le projet de résolution
▶ La lutte contre la drogue
▶ Les politiques de tolé-
▶ Uruguay, Canada,
de l’Assemblée générale
des Nations unies
consacrée à la lutte contre
la drogue s’est ouverte
mardi à New York
entérine l’échec du toutrépressif qui a prévalu ces
dernières décennies et accorde une plus large place
à la prévention et au soin
représente 1 000 milliards
de dollars par an. Pourtant, ce marché génère
300 milliards de chiffre
d’affaires annuel
rance zéro ont par ailleurs
été néfastes pour la santé
publique. En témoigne la
progression fulgurante
du VIH en Russie
Portugal… Les pays qui
expérimentent de nouvelles approches sont de plus
en plus nombreux
LIR E PAGE 9
Nuit debout,
le tournant
Finkielkraut ?
Panama papers
LES COMPTES
OFFSHORE
DE L’AUTORITÉ
PALESTINIENNE
L’attitude d’une partie des
manifestants à l’encontre
du philosophe Alain
Finkielkraut a relancé la
polémique sur la nature et
les limites du mouvement
DÉBATS - LIRE PAGES 12 ET 20
SCIENCE
& MÉDECINE
▶ L’un des fils
de Mahmoud Abbas
détenait près d’un
million de dollars
d’actions dans
une société des îles
Vierges
▶ A Malte, le gouvernement est ébranlé
par le scandale
des « Panama papers »
→ LIR E
ENVIRONNEMENT
PSYCHIATRIE
PORTRAIT
ET AU MILIEU NE COULE
PAS TOUJOURS UNE RIVIÈRE
UNE MOLÉCULE POUR APAISER
LES SOUVENIRS TRAUMATIQUES
MICHEL CABARET
MET LA SCIENCE EN SCÈNE
→ PAGE 2
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→ PAGE 7
La grippe aviaire
sous haute surveillance
De nouvelles mesures sanitaires sont entrées en vigueur, lundi 18 avril, pour enrayer l’épizootie qui sévit dans des élevages du sud-ouest
de la France. Les chercheurs tentent de décrypter le fonctionnement d’un virus, dont les capacités de mutation font redouter qu’il ne s’adapte à l’homme.
PAGES 4-5
Des canards élevés en plein air, dans une ferme du sud-ouest de la France. FRANCIS LEROY/HEMIS/CORBIS
Carpaccio paléolithique
A
PAGE 8
carte blanche
Nicolas Gompel,
Benjamin
Prud’homme
Généticiens,
LMU de Munich, Institut
de biologie du développement
de Marseille-Luminy (CNRS)
lors que les végétariens de tous bords
poussent les consommateurs de viande
dans leurs retranchements d’espèce omnivore, la science s’intéresse à nos origines
carnivores. Les paléoanthropologues Katherine Zink
et Dan Lieberman, de l’université de Harvard, viennent de publier dans la revue Nature du 24 mars une
étude sur la façon dont nos lointains ancêtres ont
commencé à consommer de la viande. Un tournant
qui a influencé notre évolution anatomique.
Nous descendons assurément de singes herbivores,
qui passaient le plus clair de leur temps, tout comme
les grands singes d’aujourd’hui, à mastiquer des
feuilles. Ce régime alimentaire est, entre autres,
rendu possible par une puissante mâchoire et de
grosses prémolaires. Les menus se diversifient dans
le genre Homo il y a environ 2,6 millions d’années
avec l’introduction de la viande. Celle-ci apporte
certes bien plus de calories que les feuilles, mais elles
sont difficiles à extraire. Or paradoxalement, Homo
erectus, pourtant consommateur de viande accompli,
présentait déjà une réduction sérieuse de l’appareil
masticateur et de la taille des dents. Comment ces
premiers hommes carnivores s’y prenaient-ils
pour extraire les calories de la viande avec leurs
petites dents ? La découverte du feu et son usage en
cuisine pour cuire et attendrir la viande ont certainement aidé. Mais son usage ne s’est généralisé que
plus tard, quand la viande était déjà une constante
au menu d’Homo erectus.
Zink et Lieberman ont voulu savoir si l’utilisation
d’outils en pierre, apparus avant le feu, pouvait avoir
contribué à rendre la viande crue ingérable, en réduisant les efforts nécessaires à sa mastication. Pour ce
faire, ils ont tout d’abord donné à mastiquer à des
volontaires de la chèvre crue, dont la chair ferme
est proche du type de viande à laquelle nos ancêtres
avaient accès. Mais sans traitement préalable, cette
viande crue est presque impossible à découper en
morceaux ingérables avec nos petites dents.
En revanche, en découpant la viande avec des outils,
et en l’apprêtant pour l’attendrir, l’effort de mastication nécessaire pour qu’elle devienne ingérable est
réduit de 17 %. Et plus encore si cette viande est cuite.
Un scénario évolutif se dessine : l’usage d’outils,
et plus tard du feu, pour apprêter et consommer la
viande aurait permis d’extraire davantage de calories
tout en diminuant l’énergie et le temps de mastication nécessaires. En conséquence, les individus dotés
de dents plus petites et de mâchoires moins fortes ont
survécu tout aussi bien que leurs congénères (résultat
de ce que les évolutionnistes appellent le relâchement
d’une contrainte sélective). Cette réduction de la taille
des mâchoires a modifié la forme de la face, permettant l’apparition de lèvres plus mobiles, essentielles
pour former des mots.
On perçoit ainsi de quelle manière de nouvelles
pratiques culturelles, tel l’usage d’outils, ont permis
l’évolution progressive de notre anatomie et la modification en profondeur de notre identité biologique.
Comment les développements technologiques que
nous vivons vont-ils à leur tour influencer notre
évolution future ? Nous en remettre de plus en plus
aux machines pour nous déplacer ou penser à notre
place n’est sans doute pas sans conséquence sur notre
destin biologique. p
Cahier du « Monde » No 22165 daté Mercredi 20 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
▶ Grippe aviaire :
les chercheurs
contre-attaquent
▶ Soigner le stress
post-traumatique
Le président palestinien,
Mahmoud Abbas
à Ramallah, le 11 avril.
THOMAS COEX / AFP
SUPPLÉMENT
Energie Les dangers que doit affronter EDF
L
a liste des participants est
impressionnante :
mercredi 20 avril, à l’Elysée,
François Hollande, Manuel Valls,
Jean-Marc Ayrault, Emmanuel
Macron, Michel Sapin et un conseiller de Ségolène Royal se réuni-
ront pour parler d’EDF. Il s’agit
pour l’actionnaire public de décider si l’entreprise doit ou non
construire deux coûteux réacteurs EPR en Grande-Bretagne, et,
le cas échéant, de prévoir le plan
de financement adéquat. Quelle
que soit la décision qui sera arrêtée, les risques que devra affronter EDF sont très importants.
Qu’ils soient d’ordre financier,
technologique, politique, commercial ou social.
Cinéma
« Everybody
Wants Some ! ! »,
so vintage !
LIR E PAGE S 1 4 - 1 7
30 mars
— 17 juillet 2016
71, rue du Temple
75003 Paris
mahj.org
Lore Krüger
une photographe en exil
1934-1944
Soudan du Sud
Après deux ans
LE REGARD DE PLANTU de guerre, l’espoir
de la paix
LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3
LIR E PAGE 2
Hôpitaux
A Calais, on soigne
les Anglais
LIR E PAGE 1 2
1
ÉD ITO R IAL
L’IMBROGLIO
DES MASTERS
UNIVERSITAIRES
LI R E P A G E 22
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
INTERNATIONAL
Le Soudan du Sud, au risque de la paix
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0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Le chef rebelle Riek Machar est attendu à Juba, la capitale, dans l’espoir d’atténuer les guerres intestines
johannesburg correspondant régional
Khartoum
I
l ne se passe jamais rien
d’important au Soudan du
Sud sans qu’il faille, à un
moment donné, attendre interminablement l’arrivée d’un
avion. Lundi 18 avril, à l’aéroport
de Juba, un long tapis rouge, un
peu décoloré, se gondole sous le
soleil, prêt à accueillir un appareil
qui ne se matérialise pas dans le
ciel vide. Juba, capitale du Soudan
du Sud, l’Etat le plus jeune et désormais l’un des plus abîmés de la
planète – la moitié de son existence légale au sein des nations a
été consacrée à la guerre civile –,
attend plus précisément un
homme : Riek Machar, chef de la
rébellion.
Déjà signataire d’un accord de
paix en août 2015, ainsi que d’innombrables cessez-le-feu tous
violés, déjà réinstallé, à distance, à
son poste de vice-président par le
président sud-soudanais, Salva
Kiir, le chef de la rébellion doit à
présent atterrir à Juba avec un
programme chargé : rester en vie ;
prêter serment pour redevenir,
formellement, vice-président ; se
recueillir devant le mausolée de
John Garang, le héros national,
mort en 2005, dans un accident
d’hélicoptère ; participer à la création d’un gouvernement transitoire d’union nationale et espérer,
ainsi, jeter les fondations de la
paix avec le camp de Salva Kiir.
Un avion atterrit. Ce n’est pas le
bon. L’un de ses passagers, arrivé
pile au milieu de cette attente par
un vol régulier, dit sa surprise
d’arriver dans une ville en état de
siège : « Des centaines de soldats
et de policiers, un cordon autour
de l’aéroport, les routes fermées… » Hormis 3 300 hommes,
officiellement restés à Juba,
les troupes loyales au président
Salva Kiir ont pourtant été cantonnées à 25 kilomètres de la
capitale.
Menacés par la paix
Du côté de Riek Machar,
1 370 hommes ont fait leur retour
avant leur chef, pour assurer sa sécurité. Ce dernier ne retournera
pas s’installer dans sa résidence.
Un nouvel emplacement a été
préparé dans un quartier périphérique, vers le djebel Kujur, à la sortie de la ville, avec la possibilité de
se replier vers la brousse ou de recevoir des renforts en cas de besoin. « Ils se sont préparés à toute
hypothèse, y compris à une reprise
de la guerre », précise une source
proche de la rébellion.
Mais l’avion qui devait amener
Riek Machar de Gambella, en
Ethiopie, non loin de la frontière,
n’est pas arrivé. On l’annonce
pour mardi 19 avril. Des sources
proches de son camp affirment
que ce retard tient au fait que le
vol, affrété par les Nations unies,
n’aurait pu emmener le chef
d’état-major de la rébellion,
Simon Gatwich Dual, ce dernier figurant sur une liste de personnes
sur lesquelles pèsent des sanctions. Un prétexte, sans doute, car
ÉTHIOPIE
SOUDAN
Malakal
RÉP.
CENTRAFRICAINE
SOUDAN DU SUD
CENTR.
RÉP.
DÉM. DU CONGO
250 km
Juba
KENYA
OUGANDA
Les rapports des Nations unies,
de l’Union africaine, d’ONG, s’empilent et décrivent les atrocités
commises par chaque camp :
massacres, viols, mutilations,
n’épargnant ni les enfants ni les
malades. Au total, 43 travailleurs
humanitaires ont été tués depuis
le début du conflit.
Selon un rapport de la division
des droits de l’homme des Nations unies, « à partir de la mi2015, un nouveau modèle a
émergé dans les comtés du centre
ou du sud de l’Etat d’Unité, avec
des villages entiers brûlés, les récoltes détruites et le bétail volé. Il y a
des indications que cela constitue
une stratégie délibérée du gouvernement ou de la SPLA [Armée de libération des peuples du Soudan,
le camp du président Kiir], destinée à priver les populations de
toute forme de moyens de subsistance pour les obliger à fuir ». Des
constatations de même nature
valent pour chaque camp.
Comment un pays neuf, désiré
pendant des décennies par ses habitants, en arrive-t-il à cette automutilation ? Dans un climat de rivalités politiques croissantes entre le président, Salva Kiir, et son
vice-président, Riek Machar, sur
fond de pillage des fonds publics,
des combats avaient éclaté, le
15 décembre 2013, à Juba. A l’époque, les deux rivaux habitaient
tout près l’un de l’autre. Ils ne
partageaient pas seulement une
adresse, mais aussi la garde présidentielle, intégrant conjointement leurs hommes tout comme
l’armée constituée lors de la création du Soudan du Sud, deux ans
plus tôt, lors de la scission avec le
Soudan.
Une affiche à Juba, le 14 avril, montrant le président Salva Kiir (à gauche), et le chef rebelle Riek Machar. ALBERT GONZALEZ FARRAN/AFP
le problème est plus grave.
Chaque camp redoute un piège.
Il y a, d’un côté, les négociations,
les délégations, les accords signés. Et, de l’autre, les impondérables du conflit sud-soudanais, à
commencer par les extrémistes
et faucons de chaque camp, menacés par la paix bien plus que
par la guerre. Si la transition est
menée à bien – et la constitution
Chaque camp
redoute un piège.
Il y a, d’un côté,
les négociations.
Et, de l’autre,
les extrémistes
et les faucons
d’un gouvernement en est « un
premier pas décisif », a rappelé
Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies –, un tribunal hybride sera constitué un
jour au Soudan du Sud pour juger
les exactions commises pendant
cette guerre civile.
Or, dès les premières heures du
conflit, les atrocités ont été la règle. En vingt-huit mois, le bilan
est lourd. Plus de 50 000 morts,
deux millions de déplacés, dont
200 000 réfugiés dans les sites de
protection de civils, organisés
par l’ONU à travers le pays. Les résidents s’y trouvent comme enfermés, car, en sortant, leur appartenance ethnique peut leur
valoir la mort. En février, un de
ces camps a été attaqué à Malakal : 25 morts, plus de 100 blessés.
La partition de 2011 n’a pas apaisé les conflits
ce n’est pas parce que le Soudan du
Sud (capitale Juba) est en guerre que le
Soudan (capitale Khartoum) est en paix.
Ces derniers mois, les combats y ont repris partout. Au Darfour, d’abord, où une
insurrection a commencé en 2003, le
gouvernement soudanais vient de tenir,
dans des conditions discutables, un référendum sur l’avenir de ces trois Etats
(Darfour Ouest, Nord et Sud) dans le but
de les fondre dans une même entité.
Parallèlement, une offensive loyaliste
est en cours dans la région du djebel
Marra, bastion de l’aile principale de la
rébellion darfourie, dirigée par Abdel
Wahid Al-Nour. Faute de témoins, il est
impossible de connaître son résultat. Le
gouvernement affirme avoir réduit les
dernières poches tenues par les rebelles, lesquels, inversement, affirment
avoir repoussé leur ennemi.
Malaises profonds
Ces derniers mois, le camp darfouri et ses
alliés ont enregistré des défaites. Le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM)
a notamment perdu de nombreux combattants. Le lien avec le Soudan du Sud est
réel. Outre que ces conflits sont l’héritage
de malaises profonds, ancrés dans le Soudan, auxquels la partition de 2011 n’a pas
mis fin, le JEM s’est trouvé combattre, à
plusieurs reprises, aux côtés du camp de
Salva Kiir, le président sud-soudanais,
contre la rébellion de Riek Machar.
Au même moment, dans les Etats du
Kordofan du Sud (où se trouvent les
monts Nouba) et du Nil Bleu, une rébellion parrainée par le Soudan du Sud, le
SPLM/A-N (Armée/Mouvement de libération des peuples du Soudan-Nord), est
engagée dans des combats avec les forces gouvernementales. Le SPLM/A-N est
au fond la résultante de la notion de
« New Sudan » (nouveau Soudan) de
John Garang, le leader historique de la
rébellion sudiste qui ne concevait pas
l’objectif de la longue guerre civile sou-
danaise comme un problème de sudistes, mais comme une question nationale, et espérait voir un jour le pouvoir
changer à Khartoum.
La scission de 2011 et la naissance du
Soudan du Sud ont mis fin à ce projet,
en théorie, qui persiste néanmoins sous
la forme de la rébellion anti-Khartoum
(le SPLM/A-N), laquelle opère avec la
sympathie discrète de Juba. Les efforts
internationaux pour trouver un règlement à la question du Darfour (partie
ouest du pays) ou à celui du Nil Bleu et
du Kordofan du Sud ont été jusqu’ici
menés sans succès. p
j.-p. ry
Atrocités entre sudistes
Durant la longue guerre civile de
vingt ans (1983-2005) entre les
forces de Khartoum (le « Nord »
du Soudan) et celles de la rébellion sudiste (la SPLA), il y eut de
féroces dissensions et de multiples atrocités entre sudistes. Ce
passé ne s’est pas éteint en deux
ans d’indépendance. Le soir du
15 décembre 2013, la rivalité politique entre deux hommes a ravivé de vieux feux. Les hommes
en armes ont tué suivant des divisions ethniques, Dinka proches
de Salva Kiir contre Nuer de Riek
Machar.
A Juba, la chasse aux Nuer avait
commencé en ville. Ailleurs, on
massacrera des Dinka. Riek
Machar, lui, avait quitté Juba au
milieu de cette nuit de décembre,
hâtivement vêtu, échappant de
justesse à un groupe de loyalistes
qui venaient le tuer en défonçant
son portail avec un blindé. Puis il
était entré en rébellion.
Son retour peut-il sauver le Soudan du Sud ? « Les deux parties
prennent des risques, analyse
Jérôme Tubiana, chercheur au
Small Arms Survey, le risque pour
Machar est que sa base rejoigne de
plus en plus les chefs de guerre
Nuer, qui préfèrent continuer la
guerre à tout prix. De même pour
Kiir, le risque est que sa base Dinka
et ses faucons, comme Paul
Malong [son chef d’état-major],
eux aussi, se détournent de lui et
sabotent la paix. » p
jean-philippe rémy
international | 3
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Hollande et Sissi soignent leur « relation spéciale »
Au Caire, le président a réaffirmé son soutien à l’Egypte sans occulter les inquiétudes sur les droits de l’homme
le caire - envoyée spéciale
« La France
est le sixième
investisseur
étranger et nous
pensons gravir
encore quelques
marches »
F
rançois Hollande avait
promis d’envoyer des
« messages » de façon
« discrète et efficace » sur
la situation des droits de l’homme
en Egypte à son homologue,
Abdel-Fattah Al-Sissi, lors de sa
première visite officielle au Caire,
les 17 et 18 avril. L’engagement a
été tenu, et la question a bien été
évoquée lors des discussions sur
l’approfondissement du partenariat stratégique en matière sécuritaire et économique.
Critiqué quelques jours auparavant par des ONG françaises pour
son « silence assourdissant » face
aux violations des droits de
l’homme en Egypte, le président
français s’est livré à un jeu d’équilibriste visant à réaffirmer les
« principes et les valeurs de la
France », sans mettre en péril la
nécessité de renforcer « la relation
spéciale » entre les deux pays et
leurs efforts communs contre la
menace djihadiste. Lundi soir, il a
remis au président Sissi une liste
de « quinze cas » de violation présumée des droits de l’homme, a
indiqué son entourage, sans plus
de détails. Cette liste pourrait
comprendre des personnalités
emblématiques de la société civile égyptienne, condamnées ou
inquiétées par les autorités depuis l’accession au pouvoir de l’armée, en juillet 2013.
Lutter contre le terrorisme « suppose de la fermeté mais aussi un
Etat, et un Etat de droit, c’est le sens
de ce que la France évoque quand
elle parle des droits de l’homme.
Les droits de l’homme, ce n’est pas
une contrainte, c’est aussi une façon de lutter contre le terrorisme »,
avait martelé M. Hollande lors
d’une conférence de presse avec le
président Sissi, dès dimanche soir.
« Ce serait manquer à mes propres
devoirs par rapport à la sécurité en
Europe et en France » de ne pas
aborder ces questions, a-t-il justifié en priant les autorités du Caire
de ne pas y voir « une attaque »
mais « une attente, une exigence ».
FRANÇOIS HOLLANDE
président français
François Hollande et Abdel Fattah Al-Sissi au palais Qubba, au Caire, le 17 avril. LAURENCE GEAI/SIPA POUR « LE MONDE »
La question semblait inévitable
après la controverse suscitée en
Europe par la disparition au Caire,
le 25 janvier, et la mort sous la torture, de l’étudiant italien, Giulio
Regeni. Sa mort avait mis de nouveau sous les projecteurs la dérive
sécuritaire du pays, où les violations des droits de l’homme se
multiplient sous le couvert de la
lutte antiterroriste. M. Hollande a
assuré avoir évoqué avec M. Sissi
cette affaire, ainsi que le cas d’Eric
Lang, l’enseignant français battu à
mort en 2013 dans un commissariat de police du Caire.
Le président Sissi avait luimême pris les devants dans l’es-
poir de couper court à la polémique, en évoquant le premier les efforts réalisés par l’Egypte sur la
voie démocratique. L’insistance
des médias français a visiblement
agacé le président égyptien, qui a
invoqué la situation « exceptionnelle » que traversait l’Egypte face
à la menace djihadiste dans le
Sinaï et dans la Libye voisine.
« Les normes en Europe, qui est
au sommet du progrès et de la civilisation, ne peuvent prévaloir dans
la situation que vit notre région,
notamment l’Egypte », a commenté sèchement M. Sissi. Il n’a
pas hésité à dénoncer « des forces
du mal qui veulent donner une
mauvaise image de l’Egypte » et
« des tentatives pour détruire les
institutions les unes après les
autres », renforçant les craintes,
côté français, de représailles contre les organisations de la société
civile qui documentent les violations des droits de l’homme.
Dix-huit accords commerciaux
La mise au point effectuée sur les
droits de l’homme, François Hollande a défendu l’importance
pour la France de maintenir des relations stratégiques avec l’Egypte
pour la lutte antiterroriste et la résolution des conflits en Libye, en
Syrie, en Irak et aussi en Israël-Pa-
lestine. « La sécurité de l’Egypte est
celle de la région et de la France », a
souligné le président français.
L’expansion de la menace djihadiste sur fond de crise politique
en Libye est au centre des préoccupations communes de l’Egypte
et de la France. MM. Hollande et
Sissi ont réaffirmé leur soutien
au nouveau gouvernement libyen et leur pleine entente pour
ramener la stabilité dans le pays.
« L’armée libyenne doit être renforcée, la France contribuera à cela »,
a promis M. Hollande, sans toutefois s’engager pour une levée de
l’embargo onusien sur les armes,
que réclame Le Caire. La France se
Gaza : l’Egypte inonde les tunnels pour presser le Hamas
Le Caire accuse le mouvement islamiste palestinien de collusion avec les djihadistes de l’EI dans le Sinaï
gaza - envoyé spécial
T
ous les tunnels ne se valent pas. Il y a les passages
artisanaux, étroits et sombres, et les véritables forages. Celui de D., à Rafah, dans le sud de la
bande de Gaza, appartient à la seconde catégorie. Une poulie électrique massive a été installée audessus du puits d’entrée. Sous le
toit en tôle, protégeant les lieux
des drones israéliens, un véritable
atelier a été installé. Sous terre, les
parois ont été consolidées avec du
bois et du fer. Depuis quatre jours,
grâce à un générateur bourdonnant et un long tuyau, on y
pompe un flot d’eaux usagées.
C’est l’armée égyptienne, de
l’autre côté de la frontière, qui
pensait ainsi condamner l’un des
rares tunnels de contrebande encore en activité, par lequel circulent notamment les cigarettes.
Trois semaines plus tôt, le même
tunnel avait déjà été inondé, puis
asséché. « J’ai dû changer la sortie
en faisant creuser plus loin, raconte D. Ça fait six ans que je suis
dans cette activité, et ça devient
vraiment de plus en plus dur. »
En moins d’un an, 90 % des tunnels ont été détruits. Une douzaine se sont effondrés. Le régime
égyptien n’a pas ouvert, en
contrepartie, le point de passage
de Rafah, si ce n’est un jour ou
deux, de temps à autre. L’armée
israélienne aussi traque les tunnels. Elle a annoncé, lundi 18 avril,
avoir neutralisé un tunnel d’attaque creusé par le Hamas, qui
s’étendait du sud de la bande de
Gaza vers l’une des communautés israéliennes frontalières. Il
s’agit du premier tunnel de cette
nature identifié depuis la guerre
de l’été 2014.
Le blocus demeure impitoyable
autour de la bande de Gaza, aux
mains des islamistes du Hamas.
Le Caire ne compte pas faire de
geste conciliant à l’égard du mouvement armé palestinien, accusé
d’un double péché : sa proximité
avec les Frères musulmans, et ses
relations discrètes avec les djihadistes dans le Sinaï, qui ont fait allégeance à l’organisation Etat islamique (EI) en novembre 2014.
Ces derniers mois, une dizaine
de personnes sont mortes dans
l’effondrement et l’inondation
de tunnels. Parmi eux, Fadi Abou
Dein, 23 ans. A Khan Younès,
dans le sud de la bande de Gaza,
sa famille s’est serrée sous un
abri de fortune, en guise de tente
de deuil. Nous sommes à la mimars. Les habitants du quartier
viennent présenter leurs condoléances. L’oncle de Fadi, Emad
Abou Dein, 54 ans, raconte son
histoire banale. Le jeune homme
a terminé le lycée, puis n’avait
pas les moyens de poursuivre des
études. « Il a sept frères et sœurs. il
« Les tunnels,
c’était le seul
endroit
où l’on
embauchait »
EMAD ABU DEIN
Palestinien de Khan Younès
a dû travailler pour nourrir tout le
monde. C’était très facile d’aller à
Rafah et de trouver du boulot. Les
tunnels, c’était le seul endroit où
l’on embauchait. » Le 12 mars,
Fadi travaillait des dizaines de
mètres sous terre, avec l’un de ses
frères, lorsque les Egyptiens ont
ouvert les vannes et inondé. Lui
et un autre jeune homme de Rafah ont péri.
Des rapports ambivalents
Coïncidence : le jour même où
Fadi est mort, une délégation de
douze officiels du Hamas s’est
rendue dans la capitale égyptienne, pour rencontrer les responsables des services de sécurité. Une démarche exceptionnelle. Les accusations des Egyptiens sont nourries. Par exemple,
sur l’implication du Hamas dans
l’assassinat du procureur Hisham
Barakat, en 2015. Ou encore les
liens avec les djihadistes dans le
Sinaï. Selon l’armée israélienne, la
branche militaire du Hamas
passe par les hommes de péninsule du Sinaï, la branche locale de
l’EI, pour l’acheminement d’armes lourdes. Les djihadistes, eux,
prélèveraient leur dîme sur ces
livraisons et feraient soigner leurs
blessés dans les hôpitaux de Gaza.
« Les Israéliens mentent à 100 % »,
assure Ghazi Hamad, haut cadre
du Hamas pour les affaires
étrangères.
Selon lui, les discussions entamées avec le régime du maréchal
Sissi servent à « briser la glace,
après trois années de tension et
une longue série d’accusations ».
« On leur a dit : si vous avez des accusations précises, parlons-en. Si
vous voulez un renforcement de la
sécurité le long de la frontière, on le
fera. L’Egypte est un pays-clé, aussi
bien pour l’amélioration de la vie
quotidienne à Gaza que sur les
questions de réconciliation palestinienne. »
Malgré les gestes du Hamas,
l’Egypte n’a pas confiance. Les
rapports ambivalents qu’entretient le mouvement islamiste
avec les salafistes à l’intérieur
même de la bande de Gaza la conforte dans ce sentiment. Le Hamas balance depuis des années
entre tolérance et répression. Selon une source diplomatique,
l’une des demandes égyptiennes
est l’arrestation et le transfert à
ses services d’une liste d’activis-
tes salafistes, Palestiniens ou
étrangers, présents à Gaza. Ce
foyer salafiste demeure certes
très limité ; mais il sert d’exutoire
pour une minorité radicale. Parmi
elle, il y aurait des déçus des
groupes armés palestiniens traditionnels.
L’un des jeunes leaders salafistes a 31 ans. Il dit avoir terminé des
études de médialogie à l’université de Gaza. Son dernier surnom
en date est Abou Al-Aynein Ansari. Déjà arrêté trois fois, il fait
preuve d’une grande prudence
dans son expression, au sujet du
Hamas. « On ne considère pas le
Hamas comme notre ennemi,
dit-il. Notre première volonté est
de vaincre l’occupation israélienne. Ensuite, d’établir la charia
[loi islamique]. » Il se présente
comme un « sympathisant de
l’Etat islamique », sans pour
autant entretenir de « contacts
formels » avec ses cadres, qui lui
donnent tout de même « quelques
conseils ».
Selon Abou Al-Aynein Ansari, il
y aurait « quelques centaines » de
salafistes comme lui, répartis en
cinq groupes distincts, dans la
bande de Gaza. Un chiffre probablement gonflé. Le sien serait responsable de plusieurs tirs de roquettes vers Israël, depuis la
guerre de l’été 2014, n’ayant causé
pour l’instant aucun dégât. p
piotr smolar
dit favorable au déploiement
d’une force européenne navale
dans les eaux territoriales de la
Libye, dès lors que le gouvernement d’« union nationale » en
fera la demande, à Tripoli.
L’autre volet important de cette
visite a été consacré au développement des échanges commerciaux
bilatéraux. « La France est le
sixième investisseur étranger en
Egypte [et] nous avons l’intention
de gravir encore quelques marches », a affirmé lundi François
Hollande, lors d’un forum d’affaires franco-égyptien. Le président
français était accompagné d’une
trentaine de chefs de grands groupes français et de petites et moyennes entreprises, venus signer différents accords sectoriels, notamment dans les domaines des transports urbains et de l’énergie
renouvelable. Le président Sissi a,
pour sa part, promis « d’instaurer
un climat d’investissement attractif
pour les entreprises étrangères ».
Dix-huit accords et protocoles
d’entente intergouvernementaux
ont été signés dimanche soir,
dont un accord commercial pour
1,2 milliard d’euros par le consortium Vinci-Bouygues, en vue de la
réalisation de la phase 3 de la ligne 3 du métro cairote. L’acquisition par l’Egypte d’un satellite de
télécommunications militaire a
également été finalisée dans la
nuit entre les président français et
égyptien. Au total, les contrats
signés se montent à plus de 2 milliards d’euros. p
hélène sallon
I S RAËL
Attaque à la bombe
dans un bus
Une bombe a explosé lundi
en fin d’après-midi dans
un bus à Jérusalem, faisant
au moins 21 blessés. L’attaque
a été « saluée » par le mouvement islamiste palestinien
Hamas comme une réponse
aux « crimes sionistes », allusion aux assaillants palestiniens qui, ces derniers mois,
s’en sont pris à des Israéliens
à l’arme blanche et ont été
abattus. – (AFP.)
ÉQUAT EU R
Nouveau bilan du séisme
à 350 morts
Un nouveau bilan publié
lundi fait état d’au moins
350 morts et 2 068 blessés
dans le séisme de samedi
en Equateur. Le tremblement
de terre a aussi provoqué des
dégâts matériels considérables. – (Reuters.)
U K RAI N E
Deux soldats russes
condamnés
La justice ukrainienne a
condamné lundi à 14 ans de
prison deux militaires russes
soupçonnés d’avoir
combattu aux côtés des séparatistes, ouvrant la voie à un
éventuel échange avec la pilote ukrainienne emprisonnée en Russie. Ils avaient été
capturés le 16 mai 2015 après
avoir été blessés par des tirs
sur la ligne de front, preuve,
selon les Ukrainiens, de la
présence de troupes russes
dans l’est du pays. – (AFP.)
4 | international
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
A Genève,
les négociations
syriennes au
point de rupture
L’opposition remet en question
sa participation aux discussions
alors que les combats s’intensifient
beyrouth - correspondant,
L’
intensification
des
combats autour d’Alep
et le refus de Damas de
toute remise en cause
du pouvoir du président Bachar
Al-Assad risquent de donner le
coup de grâce aux négociations de
Genève sur la Syrie. L’opposition a
suspendu lundi 18 avril sa participation « formelle » au processus
de paix, qui avait repris le 13 avril
sous l’égide des Nations unies,
dans l’attente d’une réponse du
régime sur les questions-clés de la
transition politique et de l’acheminement de l’aide humanitaire
dans les villes assiégées.
La délégation anti-Assad devrait
continuer à prendre part à des discussions avec le médiateur de
l’ONU, Staffan de Mistura, mais
dans l’hôtel où elle réside et non
au palais des Nations, le siège de
l’ONU à Genève. Une position
bancale, qui illustre les divisions
au sein de l’opposition, entre ceux
désireux de quitter les rives du lac
Léman – principalement les groupes armés – et ceux qui ne veulent
pas rompre ce fragile processus.
Les négociations étaient censées
se concentrer sur la question cruciale de la transition politique, sur
laquelle ont buté tous les précédents efforts de règlement du conflit. Avec le soutien de Paris et celui
plus théorique de Washington, le
Haut Comité des négociations
(HCN), le bras diplomatique de
l’opposition, exige que l’autorité
de transition soit dotée des pleins
pouvoirs, y compris ceux du président, ce qui suppose que Bachar
Al-Assad quitte son poste sitôt cet
organe formé. Le régime, pour sa
part, se dit prêt à envisager un gouvernement élargi, qui intégrerait
quelques opposants triés sur le volet, mais estime que le statut de Bachar Al-Assad est non négociable.
Des bombardements dans la zone du vieil Alep tenue par les rebelles, lundi 18 avril. ABDALRHMAN ISMAIL/REUTERS
« Système mafieux »
Preuve des tiraillements au sein
du camp anti-Assad, quelquesuns des groupes armés les plus actifs sur le terrain ont envoyé une
lettre aux négociateurs pour les
inciter à « prendre une position
plus ferme et décisive à l’égard des
demi-solutions qui sont colportées
par les alliés du régime syrien et
par de Mistura ». Deux jours plus
tôt, lors d’une rencontre avec les
délégués du HCN, le médiateur de
l’ONU avait en effet émis l’idée de
maintenir Bachar Al-Assad à la
tête de l’Etat pendant la transition, mais en l’entourant de trois
vice-présidents de l’opposition.
Cette dernière a rejeté avec véhémence ce qui pouvait ressembler, à première vue, à un compromis, permettant à terme la
marginalisation du dictateur. « Le
droit n’existe pas dans le régime
syrien, c’est un système mafieux,
et si le parrain reste en place, il
garde de fait la réalité du pou-
voir », reconnaît un observateur.
Cette suggestion a d’autant plus
braqué les opposants que, parallèlement aux discussions officielles, des tractations discrètes sont
en cours, entre Américains et Russes, non loin du palais des Nations, pour élaborer un plan de
sortie de crise. Selon le quotidien
panarabe Al-Hayat, les deux parties envisagent un mécanisme de
« quotas politiques », de façon à répartir le pouvoir entre Assad et
ses adversaires, sur le modèle du
système libanais. Un plan qui
porte en germe la marginalisation du HCN, dont le chef, l’ancien
premier ministre syrien Riyad
Hijab, est arrivé lundi à Genève.
« Il est inacceptable » de poursuivre les discussions alors que le régime continue « de bombarder et
d’affamer les civils », a-t-il affirmé,
dans le souci de resserrer les rangs
au sein de l’opposition. Malgré
Américains
et Russes
envisageraient
de répartir
le pouvoir
entre Assad et
ses adversaires
l’entrée en vigueur d’un cessez-lefeu, le 27 février, l’aviation syrienne n’a jamais cessé de pilonner les zones rebelles, au motif
que le Front Al-Nosra, la branche
syrienne d’Al-Qaida, est exclu de
cet accord de trêve.
Après une accalmie d’un mois,
les opérations terrestres ont repris
début avril, surtout au sud d’Alep,
la grande ville du nord, divisée en
deux depuis 2012. Dimanche
17 avril, 22 civils y sont morts dans
des bombardements mutuels, soit
l’un des plus lourds bilans depuis
l’entrée en vigueur de la trêve.
« Provocations » du régime
Lundi, selon la télévision d’Etat,
huit personnes ont été tuées par
des roquettes lancées par des rebelles sur des quartiers d’Alep tenus par les forces gouvernementales. « Les parrains saoudien, turc
et qatari de l’opposition ne veulent
pas arrêter le bain de sang en Syrie
et ne veulent pas d’une solution
politique en Syrie », a estimé
Bachar Al-Jaafari, le chef de la délégation du régime, dans une interview à la télévision Al-Mayadeen, basée à Beyrouth.
L’opposition, rejointe sur ce
point par l’ONU, accuse aussi le régime de n’avoir pas laissé entrer
des convois de nourriture dans
plusieurs villes assiégées, en viola-
tion de l’accord de cessez-le-feu.
« L’opposition considère non sans
raison que le régime, en multipliant
les provocations sur le terrain, fait
tout pour éviter la poursuite des discussions », confie un diplomate occidental. Mais cette source relève
que si « l’opposition tombe dans ce
piège, elle portera la responsabilité
de la rupture, et elle se privera pour
longtemps de la possibilité de pousser à la table des négociations la
question de la transition ».
Signe d’une dégradation supplémentaire de la situation sur le terrain, une dizaine de groupes armés ont lancé lundi une vaste offensive au nord de la province de
Lattaquié. Leur objectif est de reprendre plusieurs localités dont
ils avaient été délogés au début de
l’année, au plus fort de la vague de
bombardements russes. p
benjamin barthe
et marc semo (à paris)
Al-Qaida s’installe au Yémen, les pourparlers de paix patinent
Le groupe djihadiste profite du chaos créé par la guerre pour construire un mini-Etat dans le Sud. L’Arabie saoudite minimise la menace
unies. L’envoyé spécial de l’ONU,
Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, a annoncé lundi un report, tout en affirmant que ces opposants au gouvernement d’Abd Rabo Mansour
Hadi pouvaient encore rejoindre
la délégation gouvernementale,
arrivée à l’heure. Ces négociations
Laurence ROSSIGNOL
Invitée de
Mercredi 20 avril à 20h30
Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA
Avec :
Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ
sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone
et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.
www.lcpan.fr
étaient largement perçues jusqu’ici comme les premières ayant
une véritable chance de succès,
plus d’un an après l’entrée en
guerre de l’Arabie saoudite, le
25 mars 2015, à la tête d’une coalition de pays arabes en soutien au
gouvernement Hadi. Un conflit
qui a fait plus de 6 300 morts.
L’Arabie saoudite, qui souhaite
réduire la puissance des houthistes, des chiites perçus comme instrumentalisés par son rival iranien, avait préparé ces négociations par des contacts directs, à
Riyad, avec les rebelles. Mais,
avant de négocier, ceux-ci exigent
l’application réelle du cessez-lefeu déclaré le 10 avril, qui a été sévèrement violé de part et d’autre.
Lundi soir, des avions de la coalition rugissaient dans le ciel de la
capitale, Sanaa, tenue par les rebelles. Mardi, les combats reprenaient avec plus d’intensité sur
plusieurs fronts.
Face au risque d’impasse diplomatique, un acteur se réjouit. AlQaida dans la péninsule arabique
(AQPA) a profité des combats de
l’année écoulée et de l’intervention saoudienne pour étendre
son emprise dans l’est du pays,
malgré des frappes aériennes régulières qui ont encore tué plusieurs dizaines de ses membres le
23 mars. « Même si la trêve se met
en place, la guerre reviendra (…).
Les houthistes profitent de ces jeux
politiques pour massacrer les sunnites », tempêtait la semaine der-
nière Saad Atef Al Awaqi, un commandant djihadiste, dans l’hebdomadaire du groupe.
Dirigée depuis juin 2015 par le
Yéménite Qassem al-Rimi, après
la mort de son prédécesseur dans
une attaque de drone américain,
l’organisation mène une stratégie
d’ancrage territorial, en marge
des combats. Les djihadistes, largement issus du tissu tribal local,
négocient avec les populations
pour le contrôle de trafics divers,
notamment la contrebande de
pétrole et d’armes, par la ville portuaire d’Al-Moukala, qu’ils tiennent depuis avril 2015, et sur une
bande côtière de 600 kilomètres
où le groupe peut se déplacer librement. Selon un autonomiste
sudiste, opposant à AQPA, le seul
contrôle du port d’Al-Moukala
leur assurerait un revenu quotidien de 2 millions de dollars en
taxes. Jamais Al-Qaida au Yémen
n’a disposé d’une telle manne.
De « grandes quantités d’armes »
Cette rente est en partie réinvestie
dans la construction d’un miniEtat djihadiste, avec sa police religieuse et ses « services publics » :
pavage de routes, réhabilitation
d’hôpitaux, distribution de vivres
et d’argent aux plus pauvres…
AQPA achète les loyautés, cherchant à éviter de reproduire l’erreur de l’« émirat » d’Abyan, proclamé en 2011 à l’est d’Aden. Les
djihadistes en avaient été chassés
un an plus tard par l’armée yémé-
nite, aidée de « comités populaires » locaux, après y avoir imposé
un ordre islamique strict qui les
avait rendus impopulaires.
L’organisation se serait emparée
« de grandes quantités d’armes et
de munitions, dont des missiles portatifs sol-air », à la faveur du retrait
de l’armée face à l’avancée des
houthistes, début 2015, selon une
source proche du président Hadi.
Cet arsenal aurait permis d’abattre
un Mirage 2000 émirati de la coalition en mars dans la région d’Aden.
AQPA combat par ailleurs à
Mareb et surtout à Taëz, où ont eu
lieu les principales violations de
la trêve. Les djihadistes ont noué
dans cette dernière ville une alliance de circonstances avec les
combattants issus du mouvement islamiste Al-Islah, affilié
aux Frères musulmans, qui peinent depuis des mois à déloger les
rebelles des positions élevées
qu’ils tiennent au nord et à l’est de
Taëz, d’où ils bombardent la cité.
Accusée de nier le problème,
voire d’instrumentaliser Al-Qaida
à son profit – même si elle a bombardé les positions djihadistes ces
dernières semaines –, l’Arabie
saoudite rétorque qu’AQPA disparaîtra ou se résorbera une fois un
réel gouvernement remis en
place. « La coalition arabe a pour
mandat international de rétablir le
gouvernement légitime et l’intégrité territoriale du pays, déclare
au Monde un responsable saoudien sous couvert d’anonymat. Si
ARABIE SAOUDITE
YÉMEN
Sanaa
OMAN
T
out espoir n’était pas
perdu, mardi 19 avril, de
voir arriver les négociateurs des rebelles houthistes et de
l’ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh aux pourparlers de paix
qui auraient dû s’ouvrir la veille au
Koweït, sous l’égide des Nations
Moukalla
Mareb
Taëz
Aden
Golfe d’Aden
DJIBOUTI
SOMALIE
300 km
on veut éliminer ce groupe, il faut
se concentrer sur la reconstruction
de l’Etat ». Un pari risqué.
Pour l’heure, le gouvernement
Hadi soutenu par les Saoudiens
n’est présent que la moitié du
temps à Aden, le grand port du
Sud libéré en juillet du siège des
houthistes. AQPA y rivalise avec
d’autres groupes armés pour accaparer les ressources de la ville.
Mais cette dynamique, plus mafieuse qu’idéologique, pourrait
changer avec un éventuel afflux
de djihadistes étrangers, que le
chaos yéménite ne peut manquer
d’attirer. « Il est encore possible de
récupérer les tribus liées à AQPA
avec de nouvelles ressources politiques et économiques. Avec les éléments internationaux, cela sera
plus difficile », estime une source
diplomatique occidentale. p
louis imbert
et madjid zerrouky
6 | international
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
L’UE espère un accord
avec la Libye pour arrêter
l’afflux de migrants
Les Européens veulent étendre l’opération
navale « Sophia » dans les eaux libyennes
luxembourg - envoyé spécial
R
Pedro Sanchez
(à gauche), le
leader du PSOE,
et Pablo Iglesias,
de Podemos,
à Madrid,
le 30 mars.
FRANCISCO SECO/AFP
En Espagne, Podemos dit « no »
à une coalition avec les socialistes
Après quatre mois de négociations, un nouveau scrutin paraît inéluctable
madrid - correspondance
C’
était le vote de la dernière chance, l’ultime espoir qu’un
gouvernement soit
formé en Espagne avant le 2 mai,
date limite avant la dissolution du
Parlement. Lundi 18 avril, 88,2 %
des militants du parti de gauche
anti-austérité Podemos ont voté
contre un « gouvernement basé
sur le pacte Rivera-Sanchez », en
référence à l’accord d’investiture
signé entre le secrétaire général
du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Pedro Sanchez, et le
président du parti centriste Ciudadanos, Albert Rivera.
Après quatre mois de négociations, cet accord, soutenu par
131 députés sur 350, avait absolument besoin de l’appui de Podemos. Sauf improbable coup de
théâtre, de nouvelles élections législatives devraient donc être con-
Dans l’
voquées le 26 juin. Alors que Podemos et le PSOE gouvernent ensemble dans de nombreuses mairies et plusieurs régions, les deux
partis ne seront pas parvenus à
s’entendre au niveau national.
Au soir des élections législatives
du 20 décembre 2015, pourtant,
tout portait à croire que serait
formé un gouvernement de gauche, alliant le PSOE (22 % des voix,
90 députés) et Podemos (20,7 %,
69 députés), grâce au soutien ou à
l’abstention des nationalistes basques et catalans. Le Parti populaire (PP, droite) du premier ministre Mariano Rajoy, arrivé en
tête avec 28,7 % des suffrages
(123 députés sur 350) n’apparaissait pas en mesure de trouver des
alliés lui assurant une majorité à
la Chambre basse.
Mais deux exigences de Podemos auront bloqué les négociations : la tenue d’un référendum
d’autodétermination en Catalo-
êt de
la science
mathieu vidard
arré
la tête au c
14 :00 -15 :00
avec, tous les mardis,
la chronique de Pierre Barthélémy
« Le leader
du PSOE pensait
que Podemos
capitulerait, mais
il n’a pas compris
qu’il lui dispute
l’hégémonie
de la gauche »
PABLO SIMON
politologue
gne et la composition d’un gouvernement de coalition « proportionnel » aux résultats électoraux.
En Catalogne, Podemos a obtenu
un de ses meilleurs résultats, en alliance avec la plate-forme de la
maire de Barcelone, Ada Colau, en
promettant ce référendum. Il y
tient d’autant plus que, pour obtenir la majorité absolue des voix au
Parlement, il compte sur l’abstention des indépendantistes catalans, qui en ont fait une condition
sine qua non. Mais pour les socialistes, pas question de céder sur ce
point. Parmi les électeurs de Podemos, qui considèrent souvent que
les thèmes sociaux et économiques sont prioritaires, c’est le premier désenchantement. « Podemos n’a pas pris en compte dans ses
calculs que l’Espagne est un pays
qui ne fonctionne pas seulement
sur l’axe droite-gauche mais aussi
[sur l’axe] nationaliste-non-nationaliste », résume un responsable
socialiste au Monde.
L’autre exigence est annoncée
par surprise le 22 janvier. Pablo
Iglesias déclare qu’il serait « enchanté d’être le vice-président »
d’un gouvernement présidé par
Pedro Sanchez. Au PSOE, on misait plutôt sur un gouvernement
« à la portugaise », c’est-à-dire en
minorité avec le soutien extérieur
des autres partis de gauche. Le
chef de file de Podemos explique,
avec un ton méprisant qui lui sera
reproché dans son propre camp,
qu’il n’a « pas confiance » en « l’appareil et les vieilles élites socialistes ». Il réclame donc, en gage, un
poids « proportionnel » aux résultats obtenus – en clair, il veut la
moitié des ministères, dont un de
la « plurinationalité » pour ses partenaires catalans. « Ce n’est pas
une coalition qu’il exige, mais deux
gouvernements parallèles », fustige un responsable socialiste.
Ces deux postulats conditionnent la suite. Le 2 février, après le
refus de M. Rajoy de briguer l’investiture, faute de soutiens, Pedro
Sanchez se porte candidat avec
une nouvelle stratégie. Décidé à se
passer du soutien des indépendantistes catalans, le socialiste décide d’entamer des négociations
« transversales » avec à la fois Podemos et le parti antinationaliste
Ciudadanos. Il espère ainsi courtcircuiter la question du référendum catalan, limiter la possible
participation de Podemos à une
coalition et s’assurer au moins un
allié au débat d’investiture.
« Force de blocage »
Le 4 mars, après un discours virulent de Pablo Iglesias contre les
socialistes, Pedro Sanchez n’obtient pourtant pas la confiance de
la Chambre. « Le PSOE a surévalué
ses forces, estime le politologue
Pablo Simon. En s’alliant avec Ciudadanos, Pedro Sanchez pensait
faire pression sur Podemos en le
présentant comme une force de
blocage, opposée au changement.
Il pensait qu’il capitulerait, mais il
n’a pas compris que Podemos lui
dispute l’hégémonie de la gauche
et ne pouvait pas accepter d’être
un sujet passif. »
Lundi 18 avril, les militants de Podemos ont renforcé la ligne officielle défendue par Pablo Iglesias.
Même s’il baisse dans les sondages, celui-ci considère qu’il vaut
mieux aller à de nouvelles élections plutôt que soutenir un programme qui n’est pas celui de Podemos et un gouvernement dans
lequel il n’entrerait pas. Il espère,
en cas de nouveau scrutin, former
une coalition avec les écolo-communistes de la Gauche unie, qui
pourrait leur permettre de devancer les socialistes. Un objectif pour
lequel Podemos est prêt à prendre
le risque de voir le PP et Ciudadanos, annoncé en forte hausse dans
tous les sondages, obtenir à eux
deux la majorité absolue au Parlement. Et permettre ainsi à la droite
de continuer à gouverner. p
sandrine morel
éunis à Luxembourg, lundi
18 avril, les ministres des
affaires étrangères et de la
défense de l’Union européenne espéraient marquer fermement leur
soutien au nouveau pouvoir qui se
met difficilement en place en Libye. Leurs efforts auront été contrariés. Le vote de confiance attendu du Parlement libyen au gouvernement d’union nationale dirigé par le premier ministre
désigné Fayez Al-Sarraj, n’a pas eu
lieu. Il a été reporté sine die. Les
ministres ont donc dû se contenter de renouveler leur soutien au
chef du gouvernement et de lui
promettre des aides financières,
en l’attente d’une stabilisation politique durable.
L’UE, qui a débloqué 100 millions
d’euros d’aide économique et humanitaire, propose également aux
nouvelles autorités une mission
civile « de conseil et de soutien »
dans les domaines policier, judiciaire et de la lutte antiterroriste.
Le premier ministre a demandé un
appui pour lutter contre les passeurs de clandestins, sans, cependant, réclamer directement une
intervention de l’UE dans les eaux
libyennes, afin d’endiguer l’afflux
de migrants.
Les Vingt-Huit aimeraient élargir le mandat de la mission « Sophia », opération navale de lutte
contre les passeurs au large de la
Libye, lancée à l’été 2015. Elle a
sauvé 13 000 vies jusqu’ici, a indiqué la Haute Représentante Federica Mogherini, et pourrait être
étendue à la lutte contre les trafics
d’armes et de drogue, dans les
eaux territoriales libyennes si, du
moins, le nouveau pouvoir mar-
que son accord. La mission « Sophia » est actuellement limitée
aux eaux internationales, ce qui
laisse le champ libre aux passeurs
qui exploitent les migrants.
Inquiétude de l’Italie
L’extension de la mission navale
européenne pourrait ensuite s’accompagner d’une coordination
avec l’OTAN afin, notamment, de
mettre sur pied un corps de gardecôtes libyens. L’Italie s’inquiète
particulièrement de la possible arrivée sur ses côtes de migrants partis de Libye, même si, pour le premier ministre Matteo Renzi, il ne
s’agit pas d’une « invasion ».
Rome recense depuis le début de
l’année 25 816 arrivées, soit 7 000
de plus qu’en 2015 à la même date.
M. Renzi prône aussi une véritable
stratégie européenne et a adressé à
ses homologues un document
proposant une accélération de la
conclusion d’accords avec les pays
d’origine, ainsi que la création de
fonds pour inciter les pays de transit à bloquer les flux. Cette dernière
idée s’est heurtée, lundi, au refus
de l’Allemagne.
Mais une rumeur, d’abord confirmée, puis nuancée par la diplomatie italienne, est venue ajouter
à l’urgence de traiter le problème :
une embarcation comptant 200
– voire 400 – migrants, essentiellement somaliens, aurait coulé
lundi en Méditerranée. Parti
d’Egypte, en direction des côtes
italiennes, le bateau aurait emprunté une nouvelle route tracée
par les passeurs pour échapper
aux contrôles au large de la Libye.
Diffusée par la BBC en langue
arabe, l’information n’était pas
confirmée mardi matin. p
jean-pierre stroobants
Excuses de l’armée mexicaine
après un cas de torture
mexico - correspondance
U
ne militaire pointe son arme sur la tête d’une jeune
femme qui gémit d’angoisse. Une policière asphyxie ensuite la prisonnière avec un sac en plastique… Diffusées
sur Internet, les images de cet interrogatoire ont provoqué une
vague d’indignation au Mexique qui a contraint le ministre de la
défense, Salvador Cienfuegos, à s’excuser, samedi 16 avril, pour
cet acte de torture. Un mea culpa historique pour l’armée, engagée dans une lutte controversée contre les cartels de la drogue.
« Je présente de profondes excuses à toute la société pour cet événement inadmissible », a déclaré le général Cienfuegos devant
30 000 soldats dans une base militaire à Mexico. La victime est
une femme de 22 ans, emprisonnée pour port illégal d’arme à
feu. La vidéo de quatre minutes a été filmée
après son arrestation, le 4 février 2015, à
Ajuchitlan del Progreso, dans l’Etat de GuerCE MEA CULPA
rero (sud-ouest), zone stratégique de la culture et du trafic de pavot et de marijuana.
EST UNE PETITE
Deux militaires et trois policiers, dont
RÉVOLUTION
deux femmes apparaissant dans la vidéo,
ont depuis été interpellés. Le ministre a inPOUR L’ARMÉE,
vité ses troupes à dénoncer ces crimes qui
LONGTEMPS ACCU- « affectent de manière importante l’image »
de l’armée. Une petite révolution pour l’institution, longtemps accusée de couvrir les
SÉE DE COUVRIR
abus de ses soldats. Ces abus décollent deSES SOLDATS
puis que, fin 2006, l’ancien président Felipe
Calderon (2006-2012) a déployé 50 000 militaires sur le territoire pour combattre le trafic de drogue. Les
plaintes pour torture sont passées de 1 163 à 2 403 entre 2013 et
2014, selon Amnesty International (AI). Juan Mendez, rapporteur
spécial des Nations unies sur la torture, avait dénoncé, en 2014,
une « pratique généralisée » au sein des forces de l’ordre.
M. Cienfuegos a néanmoins précisé que cette dernière affaire
restait un « cas isolé ». Sa remarque a provoqué un tollé : « Si les
excuses [de l’armée] représentent une avancée, il s’agit juste
d’une stratégie pour limiter les dégâts », a déploré Perseo
Quiroz, directeur d’AI au Mexique. Dans son éditorial de dimanche, le quotidien El Universal a invité les « autres autorités » à suivre l’exemple du ministre de la défense. Message reçu
par Renato Sales, chargé de la sécurité nationale, qui s’est
excusé, le lendemain, au nom de la police fédérale, restée jusqu’à présent plus discrète que l’armée. p
frédéric saliba
COMMUNIQUÉ
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Spécial allergies et maladies
MIEUX RESPIRER
POUR MIEUX VIVRE
© JNA / DR
RENFORCER LES
FORMATIONS EN
ALLERGOLOGIE
Maladies complexes,les allergies nécessitent des praticiens bien formés
pour une prise en charge optimale.
Le Pr Philippe Bonniaud alerte sur
le manque de formations.
« Peu d’heures dans la formation des
médecins en France sont dédiées à
l’allergologie et c’est un souci majeur, alors même que le nombre de
patients augmente continuellement.
Nous nous battons pour mettre en
place de véritables formations et diplômes d’allergologie, à l’instar de ce
qui existe dans de nombreux pays
européens. Preuve de l’intérêt et des
besoins de formation des médecins,
notre congrès annuel rassemble plus
de 2 000 médecins (allergologues,
pneumologues, dermatologues, pédiatres, ORL, ophtalmologistes…). Ce
11e Congrès francophone d’Allergologie aura lieu du 19 au 22 avril au Palais
des Congrès, à Paris, avec comme fil
rouge les allergies au fil des saisons :
le rôle des saisons, les rythmes scolaires, les virus, le réchaufement
climatique… Ce congrès permet des
échanges et un état des lieux des enjeux et des travaux de recherche fondamentale et clinique réalisés.
Les maladies respiratoires allergiques
sont multifactorielles et complexes à
comprendre. A côté du terrain génétique, l’environnement et ses multiples éléments jouent bien sûr un rôle,
mais isoler chaque facteur reste un
défi. Les poumons sont ainsi exposés
à 15 000 litres d’air par jour et,lors des
pics de pollution, les urgences respiratoires augmentent. L’alimentation
modifie notamment le microbiote
intestinal, qui a une influence sur les
maladies allergiques. Le mode de vie
– des appartements plus confinés, un
environnement plus « stérilisé » dans
l’enfance – a un impact mais dans
quelles proportions ? La compréhension du rôle de ces facteurs, seuls ou
en synergie, est essentielle pour la
prévention et la prise en charge de ces
maladies respiratoires.Et,pour avancer dans cette compréhension, nous
avons besoin d’une communauté de
professionnels de santé bien formés
et actifs.Les enjeux pour les patients
sont importants. L’asthme, mais aussi les rhinites allergiques,les allergies
alimentaires…toutes ces pathologies
peuvent avoir un impact très fort sur
la vie quotidienne,et être très graves.
Les traitements de désensibilisation
pour modifier la réponse immunitaire des patients se développent
mais nous attendons aussi des traitements innovants, avec des biothérapies pour réellement transformer la
vie des patients. » �
Prévention,diagnostic
précoce,nouveaux
traitements : tous les
angles d’attaque sont à
renforcer pour pouvoir
lutter eicacement contre
les allergies et les maladies
respiratoires.Sans plus
attendre.
EN 2050, UNE PERSONNE SUR DEUX DANS LE
monde sera afectée par au moins une maladie
allergique, selon l’Organisation mondiale de la
santé. En France, près d’un quart de la population générale en soufre déjà,conséquence d’une
exposition plus grande aux allergènes qui augmente avec des appartements confinés pour les
économies d’énergie,une diversification alimentaire précoce,les bouleaux plantés en masse dans
les villes… La prévalence de l’asthme augmente
ainsi régulièrement.Estimée à 2-3 % il y a quinze
ans,elle est actuellement comprise entre 5 et 7 %,
avec des conséquences qui peuvent être drama-
© DJORONIMO - FOTOLIA.COM / DR
Philippe Bonniaud,
professeur, chef du service
Pneumologie et Soins Intensifs
Respiratoires au CHU de Dijon et
président du conseil scientifique de
la Société Française d’Allergologie.
tiques : l’asthme est responsable d’environ 2 000
décès chaque année. Autre palmarès inquiétant, les allergies respiratoires sont au premier
rang des maladies chroniques de l’enfant.
Au regard de ces enjeux de santé publique, la
recherche a réalisé de nombreuses avancées,
notamment dans la compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires qui régulent
l’inflammation des voies aériennes.Néanmoins,
de nombreuses questions demeurent, en particulier concernant le niveau d’implication des
diférents facteurs environnementaux et génétiques. Outre la recherche fondamentale et clinique à renforcer,une meilleure prise en charge
des patients est également un des objectifs à
atteindre. Avec non seulement des diagnostics plus précoces, mais aussi des traitements
plus eicaces. Pour le moment, aucun d’entre
eux n’est encore capable de modifier l’histoire
naturelle de ces pathologies. Ces traitements
sont contraignants et prescrits sur de longues
périodes, ce qui en rend d’autant plus diicile
l’observance, nuisant à l’eicacité de la prise en
charge.Il est donc essentiel de mieux accompagner le patient afin qu’il comprenne bien les enjeux de son traitement et devienne un véritable
acteur de son parcours de soins. Anne Pezet �
LES TRAITEMENTS D’IMMUNOTHÉRAPIE AU
PLUS PRÈS DES BESOINS DES PATIENTS ALLERGIQUES
Exigence �
Traiter rapidement,et avec une eicacité à long terme,les patients allergiques du monde entier,
c’est la mission de Stallergenes Greer qui s’engage à amener l’immunothérapie allergénique
au niveau des plus hauts standards de qualité grâce à une approche globale et intégrée.
Michele Antonelli,président de Stallergenes SAS et directeur Europe et Reste du monde de Stallergenes
Greer,présente les défis relevés pour remplir cette mission.
QUELS TRAITEMENTS DE
l’allergie développez-vous ?
Nous sommes un leader mondial de
l’immunothérapie allergénique, traitement à base d’allergènes (acariens,
pollens de graminées et d’arbres,etc.)
qui permet de rééduquer le système
immunitaire des patients soufrant
de maladies allergiques respiratoires.
Notre portefeuille ofre une large
gamme d’allergènes cliniquement
pertinents, disponibles soit en spécialités pharmaceutiques en comprimés, soit en médicaments personnalisés, les APSI (Allergènes préparés
spécialement pour un seul individu),
sous forme sublinguale et injectable,
qui répondent aux besoins spécifiques de chaque patient.
La production a repris sur votre
site d’Antony après une suspension
temporaire d’un peu plus de deux
mois, qu’est-ce qui a été modifié ?
La suspension temporaire du site
d’Antony était liée au déploiement
d’un nouveau système informatique
qui a engendré des perturbations
opérationnelles, désormais résolues
en totalité. En liaison constante avec
les autorités de santé, nous avons
repris l’intégralité de nos activités
en mars dernier. A aucun moment
la qualité inhérente de nos médicaments n’a été mise en question.
Grâce à l’investissement dans cet outil informatique intégré, nous pou-
également un délai de livraison optimisé et une chaîne d’approvisionnement permettant d’informer sur la
disponibilité des produits et le statut
de livraison.
© STALLERGENES / DR
� TRIBUNE
respiratoires
« Nous pouvons garantir
aux patients et aux
médecins le respect des
exigences réglementaires
internationales les plus
élevées qui permettent
d’assurer à nos
médicaments biologiques
une reproductibilité et
une traçabilité accrues.»
Michele Antonelli.
vons garantir aux patients et aux
médecins le respect des exigences
réglementaires internationales les
plus élevées qui permettent d’assurer à nos médicaments biologiques
une reproductibilité et une traçabilité accrues.Ce nouveau système ofre
Quelles sont les spécificités du
site de production d’Antony ?
L’obtention de nos principales matières premières (acariens, pollens
de graminées) est réalisée selon
des normes de qualité très élevées
et suit des procédés de fabrication
spécifiques et brevetés. Nos allergènes sont parfaitement caractérisés, grâce à une approche combinée
recouvrant à la fois la sélection des
matières premières, la documentation des procédés industriels, la caractérisation préclinique, ainsi que
la réalisation d’études de stabilité.
Par ailleurs, le développement et la
mise en place de nouvelles méthodes
analytiques nous permettent de caractériser et de quantifier avec précision les allergènes majeurs contenus
dans nos produits. Le site d’Antony
est déjà équipé de technologies avancées pour l’extraction,la formulation
et le conditionnement.
Quels sont vos axes de
développement ?
Le rapprochement avec le leader américain Greer Laboratories nous assure
une forte présence aux Etats-Unis avec
notamment le comprimé Oralair®,
DES TRAITEMENTS
PERSONNALISÉS AU DOMICILE DU
PATIENT EN QUELQUES JOURS
Grâce à la mise en place d’un nouveau
système d’informatique intégré,
Stallergenes Greer sera en mesure de
délivrer ses traitements personnalisés
au patient en quelques jours. De l’envoi électronique de l’ordonnance par
le médecin jusqu’à la livraison du traitement au patient, toutes les étapes
sont suivies par diférentes interfaces
de gestion. Stallergenes Greer est le
seul laboratoire d’immunothérapie
allergénique disposant d’un système
qui gère de manière automatisée et
intégrée l’ensemble de ces étapes.
qui s’ajoute à nos activités en Europe
et au-delà. En Australie, nous avons
reçu l’approbation pour Actair®, le
premier comprimé d’immunothérapie sublinguale pour le traitement
de l’allergie aux acariens enregistré
dans ce pays. Il est déjà disponible au
Japon et en cours de développement
en Europe et aux Etats-Unis.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Nous investissons significativement
en recherche et développement afin
de pouvoir élargir dans le futur notre
ofre thérapeutique à l’asthme allergique, aux allergies alimentaires, ou
encore en dermatologie.
Propos recueillis par Anne Pezet �
Daté du 20 avril 2016, Grand Angle est édité par CommEdition • Directeur général Éric Lista • CommEdition, agence de communication éditoriale • www.commedition.com • Rédaction Anne Pezet •
Création / maquette & réalisation Aline Joly (andie.j) • LA RÉDACTION DU QUOTIDIEN LE MONDE N’A PAS PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE COMMUNIQUÉ. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT.
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0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
La fortune offshore de l’Autorité palestinienne
L’un des fils de Mahmoud Abbas détenait près d’un million de dollars d’actions dans une société des îles Vierges
L
es « Panama papers »,
analysés par le Consortium international des
journalistes d’investigation (ICIJ) et le quotidien israélien
Haaretz, ont mis en lumière le
curieux mélange des genres de
l’Autorité palestinienne et de l’un
des fils de son président, Mahmoud Abbas. L’affaire est née
dans le secret du cabinet fiscal
Mossack Fonseca, au Panama. Il
immatricule en septembre 1994
la société Arab Palestinian Investment Company (APIC) aux îles
Vierges britanniques. Yasser Arafat est alors le chef de la Palestine,
Mahmoud Abbas a conduit la délégation palestinienne qui a signé
les accords d’Oslo un an plus tôt.
Les actionnaires d’APIC se réunissent la première fois le 24 mai 1995
à l’hôtel Sheraton de Dubaï. Le
cheikh Omar Aggad, un homme
d’affaires saoudien d’origine palestinienne, est nommé administrateur. Il évoque, selon le procèsverbal, « les objectifs généraux de la
société, la situation économique
dans le monde arabe et les territoires occupés, ainsi que les obstacles
rencontrés par les investisseurs. Il a
souligné qu’il leur fallait créer des
emplois pour éviter que l’économie
palestinienne ne pâtisse de celle
d’Israël ».
En vingt ans, APIC est ainsi devenu un géant économique en Palestine. La société a des activités
dans presque tous les domaines :
l’alimentation, le matériel médical, la communication, les véhicules ou les centres commerciaux.
Elle est même cotée depuis 2014 à
la Bourse palestinienne. Son directeur général et président du conseil d’administration est Tarek
Aggad, fils d’Omar Aggad.
L’Autorité palestinienne, indirectement, y pèse lourd depuis 1994.
Mahmoud Abbas a en effet pris
par décret le contrôle d’un puissant fonds d’investissement, le Palestinian Investment Fund (PIF).
« Ce décret présidentiel place le PIF
plus directement sous le contrôle
du cabinet du président, écrit Jake
Walles, alors consul des Etats-Unis
à Jérusalem, dans un câble de février 2006 dévoilé par WikiLeaks.
Mahmoud
Abbas,
le 11 avril
à Ramallah.
THOMAS COEX/AFP
Le portefeuille d’investissement de
plus d’un milliard de dollars du PIF
(…) est maintenant mieux contrôlé
par le président Abbas grâce à un
conseil d’administration qu’il a
choisi, à l’exception des postes ministériels. » L’Autorité palestinienne n’a certes pas d’actions
dans APIC, mais le PIF détient 18 %
du capital de la société offshore.
Des liens financiers et personnels
Les liens entre APIC et l’Autorité
palestinienne ne sont d’ailleurs
pas seulement financiers. Mohammed Rashid, proche confident et gestionnaire financier de
Yasser Arafat, était membre du
conseil d’administration d’APIC et
président du PIF. En 2012, un tribunal palestinien l’a jugé coupable
par contumace du détournement
de plusieurs millions de dollars –
dont une partie volée au PIF. Or,
en 2011, un nouveau membre a fait
son entrée au conseil d’administration d’APIC : Tarek Abbas, l’un
des fils du chef de l’Autorité palestinienne. Sa nomination était connue, mais les « Panama papers »
révèlent qu’il détenait en juin 2013
pour 982 000 dollars d’actions
dans la société des îles Vierges.
Tarek Abbas est par ailleurs un
homme d’affaires puissant. Il était
déjà directeur général adjoint de
l’agence de communication Sky,
qui domine le marché publicitaire
palestinien, lorsqu’APIC l’a rachetée en 1999 – il en est devenu le
président du conseil d’administration, au nom d’APIC. Sky a signé
en 2006 un contrat pour une campagne de communication visant à
améliorer l’image des Etats-Unis
dans les territoires occupés.
Kareem Shehadeh, l’avocat de
Tarek et de Yasser, les fils Abbas, a
Le cabinet
Mossack Fonseca
n’a pas fait
le lien entre
Tarek Abbas
et son père
précisé à l’époque que laisser entendre que le choix de l’agence reposait sur ses liens avec la famille
Abbas était « contraire à l’éthique,
et sans fondement ».
Le magazine Foreign Policy s’est
interrogé à son tour en juin 2012
sur leur réussite. Il a relevé que
Tarek avait des intérêts dans deux
autres filiales d’APIC : il était directeur général adjoint de l’Arab
Palestinian Shopping Centers
Company, qui possède des centres
commerciaux dans les territoires
occupés, et membre du conseil
d’administration d’Unipal General Trading Company, le principal
distributeur des territoires, qui
vend des produits alimentaires,
des cigarettes, des cosmétiques…
Mossack Fonseca est censé vérifier si les responsables des sociétés
qu’il crée sont des « personnalités
politiquement exposées », notamment au blanchiment d’argent, à
l’évasion fiscale ou à la corruption.
Mais le cabinet fiscal n’a pas fait le
lien entre Tarek Abbas et son père.
Il a pourtant repéré d’autres membres du conseil d’administration
d’APIC. Tarek Aggad a ainsi été désigné comme « personnalité politiquement exposée » parce que
membre du conseil d’administration du PIF. Mohammad Mustafa
aussi, parce qu’il était à la fois ministre de l’économie, vice-premier
ministre et directeur général du
fonds d’investissement. Khaled
Osseili, autre membre du conseil
d’administration d’APIC, a été
identifié car il avait été maire
d’Hébron en 2007.
Le cabinet panaméen a aussi relevé la présence de l’avocat israélien Durgham Maraee, représentant du PIF au conseil d’administration d’APIC. Il est également directeur général de Wataniya
Mobile, l’un des deux principaux
opérateurs de téléphonie de Palestine. Le PIF détient 34 % du capital
de cette société. Alors que Wataniya s’apprêtait à entrer en Bourse,
le consul américain Jake Walles
écrivait en avril 2009 à son gouvernement que « l’interaction entre
l’opérateur existant, le nouveau,
l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien multiplie les risques de collusion et de duplicité ».
Il ajoutait que le rôle de Mahmoud Abbas dans tout cela était
« compliqué par le fait que le second opérateur de téléphonie mobile [Wataniya] est largement financé par le Fonds d’investissement palestinien et que son propre
conseiller économique, Mohammad Mustafa, est à la fois président du PIF et directeur général de
Wataniya Palestine ».
D’ailleurs, « beaucoup de Palestiniens pensent que le fils [de Mahmoud Abbas], Yasser Abbas, a des
intérêts financiers dans Wataniya », indiquait le consul. Le représentant des frères Abbas jure
du contraire. « APIC est une société
cotée en Palestine dont les actions
sont échangées en Bourse quotidiennement, souligne Me Kareem
Shehadeh. Elle fait l’objet d’une surveillance par le cabinet d’audit bien
connu Deloitte, et des informations
exhaustives et transparentes apparaissent dans son rapport annuel
mis en ligne sur son site Internet.
Les activités d’APIC sont contrôlées
par le ministère du commerce et la
Palestine Capital Market Authority », l’autorité boursière du pays.
Le cabinet de Mahmoud Abbas n’a
pas répondu à nos sollicitations. p
uri blau et daniel dolev
(« haaretz »), adaptation
« le monde »
A Malte, le gouvernement ébranlé
CORRESPONDANCE
Deux proches du premier ministre maltais sont cités dans les « Panama papers ». Une motion
de censure déposée par l’opposition à l’encontre du gouvernement a été rejetée lundi
Une lettre de Richard Attias
L
e gouvernement maltais
est à son tour dans la tourmente après les révélations
des « Panama papers » sur les
clients du cabinet fiscal Mossack
Fonseca. L’opposition de droite
réclame depuis deux semaines la
démission du premier ministre
travailliste, Joseph Muscat. Jusqu’ici sans succès. Si M. Muscat
n’apparaît pas lui-même dans les
documents récupérés par la
Süddeutsche Zeitung et analysés
par plusieurs dizaines de médias,
dont Le Monde, deux de ses proches y figurent.
Il s’agit de son chef de cabinet,
Keith Schembri, et du ministre de
la santé et de l’énergie, Konrad
Mizzi. Selon l’Australian Financial
Review (AFR), les deux hommes
ont créé en juin 2015, par l’intermédiaire de Mossack Fonseca, des
fondations en Nouvelle-Zélande,
propriétaires officielles de sociétés panaméennes, elles-mêmes
censées ouvrir de discrets comptes bancaires dans des paradis fiscaux. En Nouvelle-Zélande, ces organismes ne sont soumis à
aucune taxe, et leurs bénéficiaires
peuvent garder l’anonymat. Soupçonneuses, plusieurs banques
contactées par Mossack Fonseca
ont cependant refusé d’ouvrir des
comptes pour ces deux personnalités « exposées politiquement ».
M. Mizzi s’est défendu d’avoir
voulu utiliser ce montage complexe à des fins d’évasion fiscale.
« La fondation ne détient pour l’instant aucun compte bancaire, elle a
été créée à des fins de gestion d’actifs familiaux et d’héritage, a-t-il expliqué à l’AFR. La Nouvelle-Zélande
est une démocratie parlementaire
stable parmi les mieux gouvernées
du monde. »
M. Schembri a, lui, affirmé avoir
opté pour une fondation néozélandaise uniquement à des « fins
de gestion de patrimoine ». Mais,
dans un nouvel article publié mercredi 13 avril, l’AFR contredit ces arguments : le journal publie le contenu d’un mail issu des « Panama
papers » évoquant plutôt « des opérations » dans le secteur du « recyclage » et des « paris en ligne ».
Ces explications n’ont visiblement pas suffi à convaincre l’opposition, qui reproche au premier
ministre de protéger ses deux
proches, au lieu de les sanctionner. Dimanche 10 avril, une manifestation organisée par le Parti
nationaliste (centre droit) a réuni
plusieurs milliers de personnes
devant les bureaux de Joseph
Muscat à La Valette. « Vous humiliez Malte, vous avez perdu l’autorité morale pour gouverner », a
proclamé le leader de l’opposition, Simon Busuttil, devant des
affiches proclamant « Dehors ! »
Le parti nationaliste a par ailleurs
déposé une motion de censure,
mais elle a été rejetée au Parlement maltais lundi 18 avril par
38 voix contre 31.
« Pas le meilleur choix »
Face aux députés, M. Muscat a
toutefois promis de commander
un audit sur les sociétés de ses
deux collaborateurs et de prendre des décisions en fonction.
« Ne rien faire n’est pas une option », a-t-il assuré. Ouvrir une société à Panama « n’était pas le
meilleur choix », a d’ailleurs convenu M. Mizzi, en assurant que
tout était légal. Au sein du Parti
travailliste, le ministre de l’éducation et un ancien premier ministre ont, entre autres, appelé à
sa démission.
Mais, pour l’instant, le choc est
plus limité à Malte qu’en Islande,
où le premier ministre a démissionné mardi 5 avril après avoir caché l’existence de sa société offshore basée dans les îles Vierges
britanniques. Il faut dire que Malte
a été longtemps accusée d’être elle-même un paradis fiscal, en raison de sa fiscalité très attractive.
De son côté, le gouvernement
néo-zélandais a annoncé, lundi
11 avril, qu’il avait nommé un expert pour examiner sa législation
en matière de secret sur les détenteurs de fondation et l’adapter en
fonction. C’est un brutal changement de position : le premier ministre, John Key, avait d’abord fermement contesté que son île
puisse être un paradis fiscal après
la publication des « Panama papers ». La Nouvelle-Zélande héberge pourtant 11 645 fondations
détenues en toute discrétion par
des étrangers. p
jean-baptiste chastand
A la suite de la publication le 12 avril de l’article intitulé
« Panama papers : les affaires sans complexe de Richard
Attias », nous avons reçu de l’homme d’affaires marocain
le courrier suivant :
« J’ai créé depuis 2009 plusieurs sociétés dans les régions
du monde où mon groupe opère aujourd’hui : Dubaï pour le
Moyen-Orient et l’Afrique de l’Est, Paris pour l’Europe, New York
pour l’Amérique du Nord, Casablanca pour l’Afrique du Nord.
Nous avons le projet d’ouvrir également des filiales en Amérique latine et en Asie pour compléter notre offre internationale.
C’est dans cet esprit qu’il avait été envisagé en 2010
de développer notre activité dans la région des Caraïbes
et en Amérique centrale. Une filiale avait donc été créée avec
de nouveaux partenaires sous l’égide de l’avocat du groupe,
à Dubaï. Ce dernier avait fait appel, comme je l’ai appris par
les journalistes du Monde, au cabinet panaméen Mossack
Fonseca pour les formalités d’immatriculation de cette filiale.
Pour des raisons stratégiques, nous avons finalement renoncé
à opérer dans cette région du monde et la filiale n’a jamais
eu aucune activité. Elle a donc été dissoute en 2014.
Mon épouse, Cécilia Attias, n’en a jamais été actionnaire.
L’ensemble des sociétés du groupe paie ses impôts dans
le parfait respect des législations des pays où elles sont
enregistrées et respecte les normes des pays dans lesquels
elles interviennent.
Je précise enfin que contrairement à ce qui est affirmé
dans l’article je ne suis pas franco-marocain. La nationalité
marocaine est celle de ma naissance, et je n’ai jamais
eu d’autre nationalité. Je ne réside pas non plus en France.
En revanche, notre filiale européenne, qui a son siège social
à Paris, s’acquitte de ses impôts en France. Je n’ai jamais mis
en place de montages ayant pour objet de dissimuler
frauduleusement mes avoirs ou ceux des sociétés du groupe
aux administrations fiscales compétentes. »
planète | 9
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
L’ONU acte l’échec de la guerre contre les drogues
La session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies privilégierait la prévention et les soins
V
a-t-on vers la fin de la
guerre aux drogues ? La
session extraordinaire
de l’Assemblée générale des Nations unies, du 19 au
21 avril à New York, devrait marquer un tournant dans l’approche
de la politique sur les stupéfiants.
Dans le contexte d’un bilan de plus
en plus critique du plan d’action
2009-2019 qui fait la part belle au
tout-répressif, le projet de résolution, qui sera soumis au vote de
l’Assemblée jeudi, présente des inflexions notables, en faisant plus
de place au sanitaire et au social.
Reste à savoir si ce document, non
contraignant, demeurera à l’état
de déclaration formelle ou sera
mis en pratique par beaucoup des
193 Etats membres.
Le projet de résolution, préparé
en mars, fait référence à « une société exempte de tout abus de drogues », et non plus à un utopique
« monde sans drogue ». Il accorde
plus de place à la prévention et au
soin, et défend des politiques et
mesures judiciaires « proportionnées » ainsi que le recours à la naloxone, un antidote utilisé en cas
de surdose aux opiacés. Enfin, il
prône les « mesures visant à réduire au minimum les conséquences néfastes de l’abus de drogues
sur la santé publique et la société »,
contorsion linguistique pour éviter l’expression de « réduction des
risques » rejetée par la Russie.
C’est un changement radical :
dans le sillage de la « guerre à la
drogue » préconisée au début des
années 1970 par le président américain Richard Nixon, une précédente session extraordinaire de
l’Assemblée générale, en 1998,
avait adopté le slogan : « Un
monde sans drogue : nous pouvons y arriver. » Résultat, les dé-
penses pour lutter contre ce fléau
sont actuellement évaluées à
1 000 milliards de dollars
(883 milliards d’euros) par an à
l’échelle mondiale, dont environ
50 milliards de dollars pour les
Etats-Unis. Pourtant, le narcotrafic planétaire génère un chiffre
d’affaires de 300 milliards de dollars – en deuxième position après
celui des armes – et l’interdiction
ne réussit pas à rendre les prix de
l’offre prohibitif
« But inatteignable »
« Cette politique a échoué sur toute
la ligne : beaucoup d’usagers de
drogue ont été infectés par le VIH
et les virus des hépatites, ont été
emprisonnés ou soumis à la contrainte. Ni l’offre ni la demande
n’ont été réduites. Dans beaucoup
de pays, le gouvernement et la société civile ont compris que le slogan “Un monde sans drogue” n’est
ni réaliste ni utile », juge Daniel
Wolfe, directeur du programme
international de réduction des
risques de l’Open Society Foundations, un réseau de fondations
créé par le milliardaire américain
George Soros.
Le rapport de 2014 « Mettre fin
aux guerres contre la drogue » de
la London School of Economics
dressait, lui aussi, un bilan sans
appel : « La stratégie mondiale dirigée par les Nations unies de parvenir à un “monde sans drogue” a
échoué. Poursuivre ce but inatteignable s’est révélé dommageable
pour la sécurité des hommes et le
développement socio-économique. » De même, la Commission
sur la santé mondiale accusait,
dans la revue médicale The Lancet
le 24 mars, la guerre à la drogue et
les politiques de « tolérance zéro »
d’avoir sapé la santé publique
Au Vietnam,
une affiche
incite les
toxicomanes
à prendre un
substitut aux
opiacées, la
méthadone,
pour éviter
les seringues
usagées
contaminées
par le VIH.
HOANG DINH
NAM/AFP
dans le monde et contribué à
beaucoup des crises de santé publiques actuelles.
Parmi les conséquences les plus
visibles, la progression fulgurante de l’infection par le VIH en
Russie, où la loi interdit les programmes de substitution aux
opiacés – qui évitent l’injection –
et où ceux permettant l’échange
de seringues et d’aiguilles ne sont
autorisés qu’au compte-gouttes.
Le nombre officiel de personnes
séropositives y est passé de
500 000 en 2010 à 907 000 à la fin
2014, sachant que près de 60 %
des cas d’infection sont dus à l’injection de drogue dans des conditions non stériles. « Quelle autre
politique publique, nationale et internationale, avec des indicateurs
montrant qu’elle échoue depuis
quarante ans, pourrait continuer à
être prônée ? », s’étonne Nathalie
Latour, déléguée générale de la Fédération addiction.
La « politique des petits pas » de la France
la position défendue par la France lors
de la session extraordinaire de l’ONU consacrée au « problème mondial de la drogue » devrait être à l’image de la politique
menée depuis 2012 : prudente et pragmatique. Danièle Jourdain-Menninger, la présidente de la Mission interministérielle de
lutte contre les drogues et les conduites
addictives (Mildeca), a d’ailleurs coutume
de dire qu’elle mène à ce poste une « politique des petits pas », hors de toute « idéologie ». Une ligne jugée parfois trop timorée
par certains acteurs du monde associatif.
A New York, Mme Jourdain-Menninger devrait défendre une « approche globale et
équilibrée », reposant sur la prévention, la
répression et le soin. Elle devrait mettre en
avant les différentes expérimentations lancées ces dernières années en France. Parmi
celles-ci, l’ouverture de deux salles de consommation à moindre risque (« salles de
shoot ») à l’automne 2016 à Paris et à Strasbourg ou le lancement d’un projet pilote, en
juin 2015, au tribunal de Bobigny (SeineSaint-Denis), afin de permettre à plus d’une
quarantaine de délinquants toxicomanes
ou alcooliques récidivistes de suivre un programme thérapeutique intensif au lieu de
purger une peine de prison. Elle devrait par
ailleurs expliquer comment le réseau des
« consultations jeunes consommateurs »,
qui gère 540 points de consultation, cherche
aujourd’hui à aller davantage à la rencontre
des adolescents pour gagner en efficacité.
Une loi inefficace
Mais, si ces initiatives sont loin d’être négligeables, le « pragmatisme » de la France en la
matière s’est jusqu’à présent arrêté au seuil
de la législation de 1970 prohibant l’usage
des stupéfiants, qui a pourtant fait la preuve
de son inefficacité. Un jeune de 17 ans sur
deux a déjà expérimenté le cannabis, et près
d’un sur dix fume régulièrement des joints,
selon les derniers chiffres de l’Observatoire
français des drogues et des toxicomanies.
« La consommation du cannabis, parce
qu’elle a un impact sur la santé publique,
doit rester un interdit », a rappelé le premier
ministre, Manuel Valls, le 13 avril, après
l’appel de Jean-Marie Le Guen, le secrétaire
d’Etat aux relations avec le Parlement, à ce
que « le Parti socialiste ouvre un débat sur la
fin de la prohibition du cannabis ». Dans ce
contexte, les réflexions menées discrètement ces derniers mois par la Mildeca avec
les ministères de la santé, de la justice et de
l’intérieur autour d’une contraventionnalisation du délit d’usage du cannabis – avec
une amende d’un montant maximum de
450 euros – pourraient ne pas voir le jour
d’ici à la fin du quinquennat. p
françois béguin
Certains pays expérimentent de
nouvelles approches. En décembre 2013, l’Uruguay a été le premier Etat au monde à légaliser la
production, la distribution et la
consommation du cannabis dans
le but d’en contrôler le marché et
de le soustraire au crime organisé.
Aux Etats-Unis, le Colorado et
l’Etat de Washington ont mis en
place une politique publique de régulation du marché du cannabis,
tandis que le Vermont en débat. Le
nouveau premier ministre canadien Justin Trudeau a promis la légalisation de cette substance et le
président mexicain Enrique Peña
Nieto a proposé un grand débat
national. En Europe, le Portugal a
décriminalisé l’usage du cannabis.
Salles d’injection
La Suisse a été pionnière, en 1986,
en matière d’expérimentation de
salles d’injection sous supervision médicale, permettant, en cas
d’overdose aux opiacés, l’administration de la naloxone, outre
l’accès à du matériel d’injection
stérile. Une dizaine de pays européens disposent de tels sites et
d’autres, dont la France et l’Irlande, ont avancé dans cette voie.
Selon les ONG Harm Reduction
International et HIV/AIDS Alliance, réorienter, d’ici à 2020, 7,5 %
des dépenses visant au contrôle
des drogues, vers les moyens de
prévention de l’infection par le
Le narcotrafic
génère
300 milliards
de dollars par an
et l’interdiction
ne réussit pas à
rendre les prix de
l’offre prohibitifs
VIH chez les usagers de drogues injectables, permettrait de réduire
de 94 % les nouvelles infections et
de 93 % les morts. En mars, le rapport de l’Organe international de
contrôle des stupéfiants, qui veille
à la mise en œuvre des traités internationaux, invitait à « réexaminer les politiques et les pratiques ».
La nouvelle résolution de l’ONU
pèsera-t-elle réellement ? Pour
Daniel Wolfe, cela dépendra de la
manière dont les délégations nationales feront bouger les lignes :
« La Suède, le Japon ou les Philippines, qui étaient jusqu’ici sur une ligne dure, ont évolué et pourraient
le faire savoir, explique-t-il. Plus
des pays, notamment européens,
appuieront une politique favorisant la réduction des risques, plus
des pays hésitants pourraient ne
pas se cantonner à soutenir une
politique mi-chèvre mi-chou. » p
paul benkimoun
En Chine, 493 élèves malades dans un lycée situé sur un terrain pollué
Bronchites, lymphomes et leucémies se sont déclarés dans un établissement scolaire de Changzhou, construit sur un ancien site chimique
D
ans un pays où pollution
et éducation comptent
parmi les préoccupations majeures des familles, un
sujet diffusé par la télévision publique chinoise, dimanche
17 avril, sème l’anxiété. Selon ce
reportage de CCTV, 493 enfants
sont malades sur les 620 qui ont
subi un examen médical à l’école
des langues étrangères de la ville
de Changzhou, dans le très industriel delta du Yangzi. Plaques d’irritations, saignements de nez : on
relève dans ce collège-lycée des
cas de bronchite mais aussi de
lymphome et de leucémie.
Le site accueille 2 800 étudiants
depuis son ouverture en septembre 2015. Par le passé, la zone était
consacrée à l’un des piliers de
l’économie de Changzhou, 160 km
à l’ouest de Shanghaï : la chimie.
En réalité, l’affaire qu’évoque la
télévision centrale n’est pas inédite. A l’hiver 2015-2016, l’agence
officielle Chine nouvelle faisait
état d’une odeur pestilentielle
provenant de l’autre côté de la
rue. En particulier à partir de décembre, trois mois après l’inauguration du nouveau complexe
d’enseignement secondaire, parents et enfants s’étaient alarmés
de la multiplication des cas
d’éruptions cutanées, d’irritations oculaires et de nausées.
Les Chinois s’inquiètent particulièrement des pollutions de
source chimique, dans des villes
où un certain laxisme a longtemps régné, dans un contexte de
course pour attirer les investissements. La lutte contre ce fléau est
devenue un thème politique majeur. En mars 2014, le premier mi-
Une enquête
en 2013 a
constaté des
niveaux élevés
d’hydrocarbures
et de chlorure
de benzyle
nistre, Li Keqiang, déclarait une
« guerre contre la pollution ». Signe de la crainte populaire, le hashtag « école contaminée » atteignait 43 millions de références
sur Weibo, le Twitter chinois,
mardi 19 avril au matin.
En janvier, le site d’information
Caixin, réputé pour ses enquêtes
malgré la censure qui pèse sur la
presse chinoise, citait un parent
jugeant l’odeur insupportable
même le temps de déposer les enfants le matin devant l’établissement incriminé : « Mais eux doivent rester à l’école et respirer cet
air toxique toute la journée. C’est
déchirant. »
Lorsque les cours avaient repris
en février après les congés du
Nouvel An lunaire, certaines familles avaient hésité à y renvoyer
leurs enfants, d’autres avaient
cherché à les scolariser ailleurs,
ce qui n’est pas évident en milieu
d’année.
Dès le 29 janvier, le ministère de
l’environnement avait déterminé
que l’odeur provenait du site industriel abandonné, un temps
partagé par trois acteurs de la chimie dont Changlong, une branche du premier producteur chi-
nois de pesticides, Noposion, qui
avait ouvert là une usine en 2000
pour la fermer en 2010.
Mi-février, Gao Yuefeng, le
sous-directeur du bureau environnemental du district de Xinbei, où le site est implanté, avait
expliqué à la presse locale qu’une
enquête avait bien été conduite
entre 2011 et 2013. Les autorités
avaient relevé des niveaux d’hydrocarbures et de chlorure de
benzyle élevés, mais M. Gao précisait que la contamination du
sol n’était pas « grave », tandis
que celle de l’air restait dans les
normes nationales.
Dissimulation de déchets
Pourtant, d’après l’un des articles
de Caixin, plusieurs ex-salariés
de l’usine aujourd’hui à la retraite, dont un nommé Xu
Lixiong, racontaient dès octobre 2015 au bureau de l’environnement que l’usine avait enterré
des déchets toxiques avant de déménager. Un de ses anciens collègues avait expliqué que, entre
2008 et 2010 en particulier, l’entreprise avait fait disparaître à
une dizaine de mètres sous terre
une quantité indéterminée de
ces déchets.
L’administration locale s’était
défendue contre ces accusations,
soutenant avoir creusé à trente
endroits et dépensé 1 million de
yuans (136 000 euros) pour une
investigation de quinze jours,
sans rien découvrir de problématique. Mais pour M. Xu et les
autres retraités lanceurs d’alerte,
les officiels avaient en fait employé une carte inexacte. p
harold thibault
FRANCE
Tafta : la négociation sur le point de capoter
10 |
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
La France, de plus en plus sceptique, menace de ne pas ratifier le traité de libre-échange transatlantique
L
e traité de libre-échange
transatlantique, connu
sous le nom de TTIP ou
Tafta, est-il déjà mort
avant d’avoir vu le jour ? Alors que
le treizième round de négociations entre Américains et Européens doit s’ouvrir lundi 25 avril,
le scepticisme gagne du terrain à
Bruxelles. A commencer par le
camp français, qui envisagerait
de mettre de son côté un terme
aux discussions. « La France a fixé
ses conditions, la France a dit que
s’il n’y a pas de réciprocité, s’il n’y a
pas de transparence, si pour les
agriculteurs il y a un danger, si on
n’a pas accès aux marchés publics
et si, en revanche, les Etats-Unis
peuvent avoir accès à tout ce que
l’on fait ici, je ne l’accepterai pas »,
avait déjà expliqué François Hollande sur France 2 lors de l’émission « Dialogues citoyens », jeudi
14 avril. En coulisses, le chef de
l’Etat est incité par Matthias Fekl,
le secrétaire d’Etat au commerce
extérieur, chargé du dossier, à
prendre les devants sur la scène
internationale. Le calcul politique
est simple : Paris n’aurait rien à
perdre à quitter des négociations
qui ne lui sont pas favorables et
tout à gagner sur le plan politique
à dénoncer un accord de plus en
plus impopulaire en Europe et en
France.
Mais tirer sur le TTIP ne requiert
plus un courage politique considérable. La contestation monte
dans plusieurs pays à propos de
cet accord qui prévoit d’abaisser
les barrières douanières des deux
côtés de l’Atlantique, mais aussi
de parvenir à une forme de convergence des réglementations et
des standards dans l’industrie et
les services. Aux Pays-Bas, un référendum pourrait être engagé
sur le sujet. Barack Obama doit se
rendre à Hanovre, dimanche
24 avril, pour rencontrer Angela
Merkel. « Vu la tonalité de la campagne aux Etats-Unis, il est clair
que, quel que soit son successeur à
la Maison Blanche, les accords
commerciaux ne seront pas la
priorité, ils vont revenir à du protectionnisme, estime Alain Lamassoure, le patron des eurodéputés LR au Parlement. Ma
crainte c’est que la fenêtre soit
quasiment déjà refermée. »
Aux Etats Unis, l’accord fait en
effet polémique, une partie des
démocrates (et des conservateurs
populistes) dénonçant les risques
de perte d’emploi. Jusqu’à fin
2015, la priorité de l’administration Obama était la conclusion
d’un autre accord, le TPP (accord
transpacifique, avec l’Asie). Et depuis début 2016, rien ne permet
de penser que Washington a décidé de se consacrer enfin au TTIP.
En février dernier, un des porteparole du président américain,
Manifestation contre le traité de libre-échange transatlantique, à Paris, lundi 18 avril. FRANCOIS PAULETTO/CITIZENSIDE
John Earnest, avait d’ailleurs mis
les pieds dans le plat, confirmant
presque l’évidence : l’accord a peu
de chances d’être conclu en 2016.
Position de fermeté
La chancelière allemande pousse
de son côté pour trouver une solution avant la fin du mandat du
président américain. Angela Merkel, qui avait mis tout son poids
politique dans la balance dès le
début des négociations, en
juillet 2013, joue gros, alors que
l’opinion publique allemande est
de plus en plus défavorable. Pour
éviter un échec, elle serait prête à
signer un accord symbolique, qui
ne contiendrait rien, ni sur
l’ouverture des marchés publics
américains aux Européens, ni sur
la reconnaissance des indications
géographiques protégées. Une solution que veulent à tout prix éviter les Français, qui estiment que
cela entérinerait la situation actuelle, favorable aux Américains.
« L’accord n’a de sens que s’il y a
une convergence réglementaire
par le haut, s’il ne met pas en cause
« Quel que soit
le successeur
d’Obama, les
Américains vont
revenir à du
protectionnisme »
ALAIN LAMASSOURE
député européen LR
nos propres régulations, et s’il y a
une réelle ouverture du marché
américain qui fait actuellement du
protectionnisme déguisé », estime
le secrétaire d’Etat aux affaires
européennes, Harlem Désir. La
commissaire Cecilia Malmström,
chargée des négociations, a, elle
aussi, laissé très clairement entendre qu’elle ne voudrait pas
d’un accord au rabais.
Depuis le début de l’année 2015,
Matthias Fekl a adopté une position de fermeté sur le sujet. A
l’époque, déjà, il s’exprimait contre les tribunaux d’arbitrage, cen-
sés régler les conflits entre les
multinationales et les Etats dans
le cadre des accords de libreéchange, mais critiqués par la
gauche radicale et les Verts européens pour leur opacité. Comme
nombre d’eurodéputés, il réclamait des aménagements, des juges plus indépendants, la création d’une cour internationale de
justice, une idée également portée par la Luxembourgeoise et
ex-commissaire européenne Viviane Reding. M. Fekl avait aussi,
dès sa prise de poste, en septembre 2014, réclamé un accès libre
aux documents de négociation
du TTIP, comme beaucoup
d’eurodéputés, toutes familles
politiques confondues. La France
a fait du manque de transparence
l’un de ses principaux griefs. Une
soixantaine de parlementaires
de gauche ont d’ailleurs signé
une tribune dans Le Monde pour
critiquer l’opacité des pourparlers et pour affirmer qu’ils ne
laisseraient pas l’Union européenne « réduire le Parlement
français au silence ».
Un an plus tard, en septembre 2015, il mettait en garde : si les
Américains ne prenaient pas davantage en compte les préoccupations françaises (respect des indications géographiques protégées,
accès plus grand aux marchés publics outre-Atlantique), alors la
France ne ratifierait pas le traité.
Cynisme
Dans l’entourage de François Hollande, les détracteurs du traité estiment que le chef de l’Etat, en dénonçant les négociations, pourrait envoyer un message fort de
souveraineté, ainsi qu’un signal à
une partie de la gauche assez opposée aux négociations. Le risque
serait a contrario de fragiliser le
couple franco-allemand, qui, en
période de référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de
l’Union européenne, a plus que jamais besoin d’être renforcé.
Il y aurait aussi une forme de cynisme de la France à endosser une
telle démarche, tant Paris est apparu pendant longtemps déconnecté des négociations. Avant
Matthias Fekl, Fleur Pellerin, qui
était chargée du dossier, avait
brillé par son absence sur ce sujet
pourtant très sensible dans les
opinions publiques européennes,
et aux implications économiques
mais surtout géopolitiques considérables. François Hollande luimême a largement ignoré le sujet
de longs mois durant. La Commission de Bruxelles (qui dispose
d’un mandat de négociation au
nom des 28 membres de l’Union)
avait à plusieurs reprises discrètement fait savoir qu’elle regrettait
ce manque d’implication – du
chef de l’Etat français, mais aussi
d’autres dirigeants européens –,
expliquant ne pas avoir les
moyens de faire, seule, campagne,
pour un tel accord. Elle finira
peut-être par regretter le silence
de Paris. Car si la France venait enfin à mettre tout son poids dans la
balance, ce pourrait être non pas
pour sauver l’accord, mais pour
lui porter le coup fatal. p
nicolas chapuis
et cécile ducourtieux
(bruxelles, bureau européen)
Matthias Fekl, un secrétaire d’Etat aux discrètes ambitions
- CESSATIONS DE GARANTIE
matthias fekl a la rondeur des vrais
ambitieux, ceux qui ont le temps. Le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, en première ligne sur la négociation du traité
transatlantique de libre-échange (TTIP ou
Tafta) ne faisait pas partie des plans du
quinquennat. Mais à la faveur de la négligence fiscale de Thomas Thévenoud (qu’il a
remplacé en septembre 2014) et d’une réelle
habileté politique, il s’est frayé une place
parmi les ministres qui comptent aux yeux
de François Hollande.
A 38 ans, il est de la même génération
qu’Emmanuel Macron, Najat Vallaud-Belkacem ou Myriam El Khomri. Né d’un père
allemand et d’une mère française, il a
grandi à Berlin avant de rejoindre Paris, et
bientôt l’Ecole normale supérieure, Sciences Po et l’ENA. Mais, contrairement à ses
pairs qui ont sauté les étapes partisanes
pour rejoindre le gouvernement, ce passionné de Cuba affiche en sus un parcours
plus classique de socialiste : conseiller municipal à Marmande (Lot-et-Garonne)
en 2008, conseiller régional de l’Aquitaine
en 2010, premier secrétaire fédéral au PS et
député à partir de 2012, puis finalement secrétaire d’Etat en 2014.
Moins à l’aise devant les caméras
A Bruxelles, il comprend vite l’intérêt qu’il
peut tirer des négociations sur le traité transatlantique. « Dans chaque patelin en France,
il y a au moins une personne qui a une accumulation de savoir militant sur le thème. S’il y
a l’étincelle, ça peut devenir un sujet passionnel », estime son ami Gaël Brustier, chercheur en sciences politiques. Les députés
européens, même de droite, lui font crédit
de s’être saisi du sujet. « C’est un homme courageux, très intéressé par son sujet, avec des
convictions, estime un élu LR, qui préfère
rester anonyme. Le seul moment ou je l’ai
senti un peu moins ferme c’était quand couraient les rumeurs sur sa possible nomination au Quai d’Orsay, en février. » Mais le
poste est échu à Jean-Marc Ayrault. Manque
de surface politique et déficit de notoriété
ont eu raison des ambitions de M. Fekl.
Devant les caméras, le jeune secrétaire
d’Etat est moins à l’aise que M. Macron ou
Mme Vallaud-Belkacem. Il est également
plus prudent et, contrairement au premier,
n’a par exemple pas fait publicité de son opposition à la déchéance de nationalité, lui
qui est binational.
Pour compenser, M. Fekl tente de se créer
un réseau de chercheurs et de parlementaires. Avec un petit groupe de fidèles, cet ancien proche de Pierre Moscovici veut établir un corpus d’idées pour une refondation de la social-démocratie, entre gauche
radicale tendance Nuit debout et social-libéralisme façon Macron. Il réfléchit notamment à un bouleversement des institutions avec remise en cause du doublon premier ministre-président de la République
et réflexion sur le septennat non renouvelable. Il affirme qu’il mettra ses idées à disposition de M. Hollande en 2017. Mais,
comme beaucoup au PS, il pense surtout à
l’après et à la façon de jouer les premiers rôles dans la grande recomposition de la gauche qui s’annonce. p
n. ch.
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
SARL VILLENEUVE IMMOBILIER
161 Grand Rue
34750 VILLENEUVE LES
MAGUELONE - RCS: 482 023 256
depuis le 1er octobre 2005 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIEREcessera
de porter effet trois jours francs après
publication du présent avis. Les créances
éventuelles se rapportant à ces opérations
devront être produites dans les trois mois
de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SARL VILLENEUVE IMMOBILIER
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la:
SARL AGENCE DU FESTIVAL
2 Rond Point Duboys d’Angers
06400 CANNES
RCS: 322 406 943
depuis le 1er janvier 2004 pour ses activités
de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES
ET FONDS DE COMMERCE cessera
de porter effet trois jours francs après
publication du présent avis. Les créances
éventuelles se rapportant à ces opérations
devront être produites dans les trois mois
de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SARL AGENCE DU FESTIVAL.
france | 11
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Vers une simplification de l’accès
aux minima sociaux
Bruno Le Maire veut
résister à la surenchère
libérale à droite
Un rapport du député PS Christophe Sirugue suggère la mise en place
de mesures visant notamment à élargir le RSA aux jeunes de 18 ans
Le député de l’Eure était l’invité, mardi,
du Club de l’économie du « Monde »
L
U
e gouvernement poursuit
son offensive de charme
sur le terrain du social.
Après les annonces à destination de la jeunesse, liées au
projet de loi de la ministre du travail, Myriam El Khomri, Manuel
Valls a profité de la remise du rapport de Christophe Sirugue sur les
minima sociaux, lundi 18 avril,
pour annoncer qu’une partie des
dispositions allaient être adoptées « très rapidement ».
Rapporteur du projet de loi travail, le député socialiste de Saône-et-Loire a travaillé sur le sujet,
à la demande de Matignon, depuis octobre 2015. Il propose de
mettre en place une douzaine de
mesures dès le 1er janvier 2017,
destinées à simplifier l’accès aux
droits pour les quatre millions de
personnes qui bénéficient
aujourd’hui des minima sociaux.
L’objectif est à la fois de faciliter
les démarches, de pouvoir mieux
prévoir quel sera le montant des
aides, de limiter le cumul de certaines d’entre elles, et de permet-
tre aux adultes handicapés de
continuer à toucher leur allocation après le départ à la retraite.
Ce premier volet de la réforme,
dont le coût est estimé à 150 millions d’euros, pourrait être étudié à l’automne, lors du débat sur
le projet de loi de finances 2017.
Dans un deuxième temps, le
rapport préconise de repenser
tout le système, en fusionnant
les dix minima sociaux actuels
en un seul socle commun qui
s’adresserait à tous, dès l’âge de
18 ans. Le nouveau dispositif permettrait notamment de prendre
en compte la précarité qui frappe
les jeunes entre 18 et 25 ans, et de
redonner une vigueur aux mécanismes d’insertion dans le marché du travail.
Réforme complexe et coûteuse
Ce chantier, d’une ampleur considérable, ne pourra pas être
lancé avant la fin du quinquennat. Outre la complexité d’une
telle réforme, son coût, difficile à
estimer, serait également un
Ce que contient cette « couverture
socle commune »
Le député PS Christophe Sirugue propose, dans son rapport sur les
minima sociaux, de créer un revenu minimum d’existence dès l’âge
de 18 ans construit en deux niveaux. A la base, la « couverture socle
commune », d’un montant de 400 euros par mois, serait ouverte à
toute personne se situant au-dessous d’un certain seuil de revenus. A cette somme pourraient s’ajouter deux dispositifs. Soit un
« complément d’insertion » pour tous les bénéficiaires âgés de 18 à
65 ans. Celui-ci « pourrait atteindre 100 euros par mois » et serait financé par les départements. Soit un « complément de soutien »
pour les personnes âgées ou en situation de handicap, qui pourrait
atteindre 407,65 euros, financé par l’Etat. Dans ce « scénario ambitieux », qui « mettra du temps à se réaliser », précise Christophe Sirugue, la « couverture socle commune » remplacerait les dix minima
dont bénéficient actuellement quatre millions d’allocataires.
« Il vaut mieux
donner du boulot
à des jeunes
plutôt qu’une
une allocation
d’assistance.
C’est plutôt
cela ma façon
d’essayer d’agir »
MARTINE AUBRY
maire de Lille
frein. M. Valls a d’ailleurs demandé aux ministres concernés
– Marisol Touraine (santé), JeanMichel Baylet (collectivités territoriales) et Christian Eckert (budget) – de chiffrer le tout.
« Le premier ministre veut endosser résolument une politique
active de solidarité pour lutter
contre la précarité », expliquet-on à Matignon, où l’on souligne
que le gouvernement avait déjà
fait un premier pas en élargissant la prime d’activité aux étudiants qui travaillent et aux apprentis qui touchent moins de
0,8 fois le smic.
Alors que la majorité est en
proie à une forte contestation sur
son projet de réforme du droit du
travail de la part de sa gauche, les
mesures pourraient permettre
d’adoucir un peu le climat social,
notamment avec les organisations de jeunesse. « Sur l’essentiel
des mesures, l’échéance n’est pas
pour demain, on n’est pas là pour
donner d’illusions aux jeunes »,
prévient cependant l’entourage
de M. Valls. William Martinet, le
Denis Baupin, député de Paris,
quitte Europe Ecologie-Les Verts
A
près vingt-sept ans chez les Verts
puis à Europe Ecologie-Les Verts
(EELV), Denis Baupin a choisi de rendre sa carte. « J’ai décidé de ne pas renouveler
ma cotisation et donc de démissionner », a annoncé, lundi 18 avril, le député de Paris dans
une lettre adressée à David Cormand, le secrétaire national par intérim de la formation,
et publiée sur Facebook.
En désaccord avec « les choix stratégiques »
du mouvement, l’ancien bras droit de Dominique Voynet rejoint ainsi une longue liste de
parlementaires qui ont quitté EELV ces derniers mois. Jean-Vincent Placé et Barbara
Pompili, désormais secrétaires d’Etat à la
simplification de l’Etat et à la biodiversité,
François de Rugy, coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, Pascal Durand, ex-secrétaire national, l’ont précédé.
Sans oublier Emmanuelle Cosse, l’ancienne
patronne d’EELV, qui a rejoint le gouvernement contre l’avis de sa formation.
« Même si je peux partager une partie des
analyses (sur la situation politique, le rapport
des écologistes au pouvoir…), mon intuition
personnelle ne me conduit pas aux mêmes
conclusions sur ce qui est le plus efficace pour
faire progresser concrètement l’écologie »,
ajoute celui qui est aussi vice-président de
l’Assemblée nationale.
Entré chez les Verts en 1989, M. Baupin
s’était fait connaître comme adjoint aux
transports, puis au développement durable
de l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë,
avant de rejoindre l’Assemblée nationale
en 2012. Partisan de l’aile réformiste du
groupe écologiste au Palais-Bourbon, l’élu
parisien était le dernier, avec Eric Alauzet, député du Doubs, à être encore adhérent chez
EELV chez les progouvernement.
En 2015, le député de Paris s’était particulièrement impliqué lors de la loi sur la transition énergétique de Ségolène Royal dont il
avait salué la qualité. Mais il avait aussi pris
des positions qui avaient déplu en interne :
son choix de voter la loi renseignement,
comme celui d’approuver la réforme constitutionnelle, lui a créé de sérieuses difficultés.
Mais c’est surtout le départ d’Emmanuelle
Cosse – son épouse – qui avait rendu sa position très inconfortable.
M. Baupin avait d’ailleurs commencé à préparer sa sortie. Le 9 avril, il avait mis sur pied,
au côté de Mme Cosse, un club de réflexion
avec pour objectif de permettre aux organisations politiques écologistes d’être « en capacité de peser, et non de régresser ». Le
13 avril, il était également
avec Jean-Christophe CamLE DÉPART D’EELV
badélis, le premier secrétaire du PS, pour le lanceDE SON ÉPOUSE,
ment de la Belle Alliance
EMMANUELLE
populaire, agrégat de socialistes, écologistes et raCOSSE, AVAIT
dicaux de gauche.
A EELV, pas sûr que beauRENDU LA POSIcoup regrettent son départ.
TION DE DENIS
« C’est la queue de comète
des départs perlés qui se
BAUPIN TRÈS
font toujours à des moments très opportuns », a
INCONFORTABLE
réagi M. Cormand. Ce dernier relie cette annonce à la
législative partielle qui s’est tenue dimanche
en Loire-Atlantique. Arrivé en troisième position derrière le PS et la droite, le candidat EELV,
qui a obtenu 17,05 % des voix, n’a pas donné
de consigne de vote pour le second tour.
Ce départ reste une mauvaise nouvelle
pour EELV, une formation très affaiblie ces
derniers mois et dont les comptes sont dans
le rouge. Non content de perdre un de ses
meilleurs spécialistes sur les questions
énergétiques, le parti voit également filer
une source de financement. « Ça devrait
nous faire réfléchir, regrette Jean Desessard,
sénateur de Paris. Nous sommes incapables
de garder la diversité que l’on prône par
ailleurs. » p
raphaëlle besse desmoulières
président de l’UNEF, le principal
syndicat étudiant, salue l’initiative mais appelle le gouvernement à aller plus loin : « Le problème est beaucoup plus large :
nous avons un système de protection sociale très discriminant
pour les jeunes. »
« Signal désastreux »
A Matignon, on se félicite en revanche de réintroduire un peu de
clivage dans le débat politique,
entre « une gauche fidèle à la solidarité » et « une droite qui, dès
qu’on s’attaque à la précarité, dénonce l’assistanat ». Les proches
du premier ministre ont ainsi
noté avec satisfaction que Martine Aubry, souvent opposée à M.
Valls, avait plutôt réagi positivement au rapport Sirugue, tout en
restant réservée sur l’extension
du RSA aux moins de 25 ans. « Il
vaut mieux donner un boulot à
des jeunes plutôt que leur donner
une allocation d’assistance, (…)
c’est plutôt cela ma façon d’essayer d’agir », a déclaré la maire
de Lille en marge d’une conférence de presse, estimant néanmoins que la mesure pouvait se
justifier « avec un tel chômage ».
Les responsables du parti Les
Républicains sont, eux, montés
au créneau pour dénoncer une
promesse électorale. « Outre le signal désastreux que cela enverrait
à notre jeunesse confinée dans
l’assistanat (…), Les Républicains
dénoncent cette mesure parfaitement électoraliste, symptomatique d’un pouvoir à l’agonie qui
cherche à s’affilier une clientèle »,
a réagi dans un communiqué Valérie Debord, porte-parole du
parti. p
nicolas chapuis
ltralibéral, Bruno Le
Maire ? En ascension
dans les sondages, le
candidat à la primaire de la droite
s’en défend. Il prend même soin
de se démarquer, sur la question
des finances publiques, de Nicolas Sarkozy et de François Fillon.
« Je suis circonspect sur l’idée de
choc, de thérapie », a déclaré,
mardi 19 avril, le député de l’Eure,
invité du Club de l’économie du
Monde : « Il y a une surenchère à
droite sur le thème : “plus libéral
que moi tu meurs.” »
Alors que M. Fillon veut ramener
les comptes publics à l’équilibre à
l’horizon 2022, M. Le Maire veut se
donner du temps : il condamne
« la réduction du déficit à marche
forcée », souligne que les réformes,
dans un premier temps, « peuvent
coûter », insiste sur le fait que « ce
n’est pas nécessaire aux yeux de nos
partenaires » européens, pourvu
que des « réformes en profondeur »
soient engagées dès le début du
quinquennat. Et d’égrener celles
qu’il prendra par ordonnances, s’il
est élu, « sans négociation avec les
syndicats », précise-t-il : « La réforme de l’Etat, celle du marché du
travail ou encore la dégressivité des
allocations chômage. »
M. Le Maire juge « anxiogène » la
thématique de la sueur et des larmes développée par M. Fillon. Il ne
croit pas davantage au « choc fiscal » défendu par M. Sarkozy qui
prévoit, en cas de victoire, de baisser à la fois l’impôt sur les entreprises et sur le revenu. « Mon choix est
de relancer la croissance avec une
fiscalité favorable à l’investissement, pas de redistribuer la richesse
qu’on n’a pas encore créée », dit-il.
Sur la réduction des dépenses
publiques, même démarquage.
Alors que MM. Fillon et Sarkozy
évoquent 120 à 130 milliards
d’euros de coupes, lui ne donne
aucun chiffre, mais prévoit de
« réinvestir massivement » dans la
justice et de consacrer plusieurs dizaines de milliards d’euros supplémentaires à la défense en dix ans.
Dix ans est son cap. Un double
quinquennat qui tranche avec
l’horizon borné de M. Juppé, contraint par ses 70 ans. M. Le Maire
exploite autant qu’il peut sa quarantaine pour déployer le temps et
tenter de déstresser le pays : « On
part d’une situation tendue, mon
objectif est que le pays retrouve sa
fierté, ait confiance en lui et soit capable de créer de la richesse. »
« Facteurs de blocage »
Moqué par ses concurrents pour
vouloir incarner coûte que coûte
« le renouveau », M. Le Maire affûte ses arguments : « Le renouveau, c’est une méthode pour accompagner la transformation radicale » du pays. Il dit avoir « identifié trois facteurs de blocage » qu’il
veut faire sauter en début de mandat, d’abord en organisant un référendum visant à « transformer
la classe politique ». Ensuite en
abrogeant la loi de 2007 « qui
oblige les pouvoirs publics à négocier avec les syndicats les dispositions relatives au marché du travail ». Enfin, en donnant les
moyens au politique de « reprendre la main » sur l’administration.
« Il faut changer une trentaine de
directeurs d’administration centrale et créer un cabinet commun
entre l’Elysée et Matignon », affirme celui pour qui ce ne sont pas
les institutions qui sont malades
mais « la gouvernance ». p
françoise fressoz
Bronca contre le PS à l’ouverture
du congrès de la CGT
Dans son discours, Philippe Martinez s’en est pris au gouvernement
marseille - envoyé spécial
P
hilippe Martinez n’a pas eu
droit à une standing ovation. Le secrétaire général
de la CGT n’est pas un tribun en
quête d’effets oratoires. A la fin de
son intervention de plus d’une
heure pour l’ouverture du 51e congrès de sa centrale, lundi 18 avril à
Marseille, les 980 délégués l’ont
applaudi mais sont restés assis. Illustrant le slogan du congrès,
« Pour mon avenir, c’est tous ensemble », M. Martinez a tenu un
discours de combat, exaltant « le
syndicalisme de classe et de
masse ». Il est parvenu à galvaniser
ses troupes dans sa dénonciation
de la loi El Khomri dont la CGT demandera de nouveau le retrait lors
de ses prochaines mobilisations
du 28 avril et du 1er mai. « Hollande
et Valls, a-t-il lancé, nous proposent
un retour au XIXe siècle. Sarkozy en
rêvait, Hollande veut le faire. »
M. Martinez a surtout décerné
plusieurs cartons rouges à François Hollande, sans que l’évocation
du nom du président ne suscite de
réactions. « Fini le temps des promesses du candidat Hollande, a-t-il
martelé, qui voulait s’attaquer au
monde de la finance et aux inégalités ; qui voulait que le quinquennat
soit celui de la lutte contre le chômage et placé sous le signe de la
jeunesse. (…) Le gouvernement actuel prolonge et amplifie ce que faisait celui de Nicolas Sarkozy. » Evoquant les aides aux entreprises, il a
manié l’ironie et la mise en garde :
« Tout le monde est en mesure d’apprécier leur efficacité dans la lutte
contre le chômage. Nous exigerons
leur remboursement si elles n’ont
pas servi à favoriser l’emploi. »
Il a aussi dénoncé les déclarations « belliqueuses » du chef de
l’Etat : « François Hollande se présente en chef de guerre, en espérant
ainsi redorer son blason sur le plan
national, en reprenant le flambeau
de Bush père et fils, de Poutine et de
Nétanyahou. »
Cazeneuve
écrit à Martinez
Une affiche de la CGT dénonçant les violences policières
a provoqué, lundi 18 avril, la
colère du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Le
syndicat Info’com de la CGT
(salariés de l’information et
de la communication) a publié le 16 avril sur son site Internet une affiche montrant
une matraque et un insigne
de CRS, près d’une flaque de
sang, titrée : « La police doit
protéger les citoyens et non
les frapper. » Ce visuel met
« gravement en cause la police nationale », a jugé lundi
soir M. Cazeneuve dans une
lettre ouverte au secrétaire
général de la CGT, Philippe
Martinez, dénonçant une
campagne « choquante ».
Le patron de la CGT a également
pris pour cible la CFDT, bien placée
pour se hisser à la première place
dans le paysage syndical en 2017.
La CGT, a-t-il affirmé, « entend bien
rester » la première. Soulignant
que la centrale ne pouvait pas « se
cantonner à la seule contestation »,
il a observé : « Nous sommes modernes parce que notre conception
de la réforme, c’est le progrès social
et non l’accompagnement du capital. » Au passage, il a égratigné le
« syndicalisme rassemblé » cher à
Louis Viannet et Bernard Thibault,
présents au congrès, en estimant
que cela avait été « une erreur de favoriser [les] relations avec la CFDT »
lorsqu’en 2008 les deux centrales
se sont entendues pour réformer
la représentativité syndicale.
Les sifflets ont ensuite succédé
aux cartons rouges. Lorsque la présence de Thierry Lepaon a été
mentionnée, l’ancien secrétaire
général contraint à la démission,
en janvier 2015, à la suite d’affaires
mettant en cause son train de vie,
a été copieusement hué. « C’était
chaleureux », a-t-il commenté… Le
représentant de la CFDT, Philippe
Antoine, a été sifflé. Mais c’est l’envoyé du PS, Jean Grosset, ancien
syndicaliste et conseiller social de
Jean-Christophe Cambadélis, qui a
fait exploser l’applaudimètre, provoquant une longue bronca de
huées et de sifflets. Jean-Luc Mélenchon a été, en revanche, applaudi. Mais avec modération. p
michel noblecourt
12 | france
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
L’hôpital de Calais, sous-traitant du NHS anglais
Un partenariat a été signé avec la sécurité sociale britannique qui fait face à de longues listes d’attente
L
undi 18 avril, le téléphone
du centre hospitalier de
Calais sonne et résonne.
De l’autre côté de la Manche, on veut tout savoir sur cette
première qui s’est déroulée vendredi 15 avril, découverte dans les
médias : un patient britannique
opéré en France, mais dans le cadre du système de santé anglais.
Timothy Brierley, qui habite Lyminge, un village à une quinzaine
de kilomètres de Douvres, est
venu à Calais se faire opérer de la
vésicule biliaire. Hormis les frais
de transport, le Britannique n’a
rien dû débourser pour son opération. Tout était pris en charge par le
National Health Service (NHS),
l’équivalent britannique de la Sécurité sociale. Un personnel fraîchement formé à l’anglais, une
chambre simple avec douche et
WC, la possibilité qu’un accompagnant dorme sur place. M. Brierley
n’a pas hésité un instant.
L’opération s’est bien passée. « Il
va bien, fait-on savoir à l’hôpital. Et
au lieu d’attendre dix-huit semaines en Angleterre, ici, en trois semaines, c’était plié. » Réduire l’attente de l’opération était sa principale motivation : « Je travaille depuis trente ans, je paie pour le NHS,
je ne l’ai jamais utilisé auparavant,
et on me dit qu’il n’y a rien de disponible avant juillet, a-t-il expliqué au
Guardian. J’ai décidé de trouver une
autre solution. »
C’est ainsi qu’il a découvert que
deux accords franco-britanniques
venaient d’être signés entre le NHS
et le centre hospitalier de Calais,
d’une part, l’Institut Calot de
Berck-sur-Mer, d’autre part, spécialisé dans les pathologies orthopédiques et les affections neurologiques. Les deux sont devenus des
sous-traitants à part entière du
système de santé britannique, facturant les opérations au même
prix qu’au Royaume-Uni.
L’hôpital de Calais a été partiellement reconstruit en 2012 et les ca-
Mais les relations n’avaient jamais été pérennisées. Et les gros investissements effectués dans le
NHS dans les années 2000 par le
gouvernement Blair avaient réduit la pression. Jusqu’à l’austérité
ces dernières années. « On a bouclé
la boucle », constate M. Bolton.
Timothy
Brierley,
un patient
britannique
opéré
à Calais,
avec son
chirurgien,
à l’hôpital
de Calais,
le 14 avril.
CH CALAIS
pacités d’accueil ont été surdimensionnées en prévision d’une augmentation de la population. Pour
le centre hospitalier, il s’agit d’une
nouvelle source de revenus. Objectif : 400 patients annuels d’ici trois
ans. Le phénomène reste limité :
sur un budget de 155 millions
d’euros, il s’agit de faire 1 million
d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire par an. « Nous voulons
développer la chirurgie programmée, précise le directeur général,
Martin Trelcat. Loin de moi l’idée
de faire concurrence aux hôpitaux
britanniques ou d’avoir des bus entiers de patients britanniques. »
L’affaire illustre la crise que traverse le NHS. En ces temps d’austé-
Sélection en master :
la polémique se poursuit
Le Conseil de l’enseignement supérieur s’est
prononcé contre le décret pris par le ministère
L
e Conseil national de l’enseignement supérieur et de
la recherche (Cneser), dont
l’avis est consultatif, a montré un
véritable embarras sur le projet de
décret sur la sélection en master
dont il était saisi, lundi 18 avril. Le
texte, qui vise à « régulariser » la
sélection entre la première et la
deuxième année de master (dites
M1 et M2), a reçu seulement 19 votes favorables contre 27 contre,
et… 29 abstentions. Malgré ce résultat, il sera mis en œuvre « afin
de sécuriser la prochaine rentrée
universitaire », a annoncé le ministère de l’éducation nationale
dans un communiqué : 42 % des
formations de master, dont la liste
est annexée au décret, sont officiellement autorisées à continuer
à sélectionner, ce qu’elles faisaient
jusque-là sans fondement légal.
Le débat, polémique, a longtemps été mis sous le tapis. Mercredi 10 février, le Conseil d’Etat
avait cependant mis le gouvernement au pied du mur en rappelant
qu’en vertu de l’article L. 612-6 du
code de l’éducation « aucune sélection ne peut être mise en place » en
première ou en deuxième année
de master si la formation en question ne figure pas sur « une liste limitative établie par décret ».
Cette jurisprudence donnait raison à l’avocat Florent Verdier, initiateur de plusieurs dizaines de recours devant les tribunaux administratifs. Et obligeait le gouverne-
ment, pressé par les présidents
d’université, à se positionner sur
un sujet évité par les pouvoirs publics… depuis la création du diplôme de master en 1999 et l’adoption en 2002 du système universitaire en trois cycles : licence
(bac + 3), master (bac + 5) et doctorat (bac + 8) (LMD), dans le cadre du
« processus de Bologne » d’harmonisation européenne qui permet
des équivalences et des reconnaissances mutuelles dans 41 pays.
Concertation de quatre mois
Pour autant, dit aujourd’hui
Me Verdier, « rien n’est réglé » car la
sélection dont il est question est
entachée selon lui de nombreuses
failles. La plus essentielle : « Sélectionner entre le M1 et le M2 va à l’encontre du principe du cycle inscrit
dans l’article 612-1 du code de l’éducation », que l’avocat avait déjà invoqué pour faire annuler des refus
d’inscription en deuxième année
de master. C’est donc la question
de l’unicité du master en quatre
semestres – et de l’accès en master
après la licence – qui sera au centre
de la concertation de quatre mois
que le gouvernement a lancée parallèlement « afin d’aboutir à une
situation pérenne ». Rendez-vous à
la rentrée 2017 pour savoir si les
universités françaises passent véritablement au système européen
en trois cycles : licence, master et
doctorat. p
adrien de tricornot
Objectif :
400 patients
annuels d’ici à
trois ans et un
million d’euros
de chiffre
d’affaires par an
rité, le budget britannique de la
santé peine à répondre à la demande croissante due notamment au vieillissement de la population. Si la qualité des soins n’est
pas en cause, les listes d’attente en
FAI TS D I VERS
L’évêque d’Orléans
révèle une affaire de
pédophilie dans le Loiret
Mgr Jacques Blaquart, évêque
d’Orléans, a retiré ses derniers
ministères à un prêtre de la
ville, mis en examen en 2012
pour des faits de nature pédophile, a-t-il expliqué lors d’une
conférence de presse, lundi
18 avril. Les faits remonteraient à 1993 selon l’évêque
contacté par une victime
en 2011. « J’ai aussitôt saisi le
procureur, a précisé Mgr Blaquart. L’enquête est en cours
et aurait mis en évidence huit
ou neuf cas d’attouchements
sur mineurs. » – (AFP.)
Un chirurgien poursuivi
à Bourges pour
homicide involontaire
Une enquête préliminaire
pour homicide involontaire a
été ouverte par le parquet de
Bourges (Cher), à la suite du
décès d’un retraité lors d’une
intervention bénigne à la
prostate pratiquée, selon sa
famille, par un chirurgien aux
méthodes brutales. Le patient
de 60 ans était entré au bloc
opératoire du centre hospitalier de Bourges, le 14 janvier,
pour une intervention sous
anesthésie locale. Il était décédé d’un arrêt cardiaque,
après hémorragie. – (AFP.)
Mort d’un détenu
dans l’incendie
de sa cellule à Poissy
Un détenu de 57 ans, incarcéré
à la maison centrale de Poissy
(Yvelines), est mort dans l’incendie qui s’est déclaré dans
sa cellule, dimanche 17 avril au
soir. Cinq autres personnes
ont été intoxiquées. – (AFP.)
revanche s’allongent dangereusement. Le NHS s’impose comme
objectif un temps d’attente maximal de dix-huit semaines pour les
opérations : en février, 8 % des patients, soit 260 000 personnes,
avaient dépassé ce délai dans l’ensemble de l’Angleterre. C’est une
hausse de 30 % par rapport à 2015.
Les attentes supérieures à un an,
qui avaient presque disparu, reviennent : près de 700 patients
sont actuellement dans ce cas.
« Envoyer les gens à Calais n’est
qu’un cautère sur une jambe de
bois, s’agace Simon Bolton, représentant d’Unison, un syndicat de
la fonction publique. Pour les habitants du Kent, la question ne de-
vrait pas être de choisir entre aller à
Londres ou à Calais comme c’était
le cas pour ce patient, mais pourquoi les deux principaux hôpitaux
près de chez eux sont débordés pour
les recevoir. »
Sous-traiter à des hôpitaux de
l’autre côté de la Manche n’est
pourtant pas une nouveauté. Au
début des années 1990, après des
années de sous-investissement, le
NHS souffrait déjà de très longues
listes d’attente. Juste avant les élections législatives de 1992, quand
John Major cherchait à se faire réélire premier ministre, la question
était devenue brûlante. Un budget
ad hoc avait été trouvé pour envoyer quelques patients en France.
Redorer le blason de la ville
Cette fois-ci, le contrat de soustraitance avec les établissements
français n’est pas temporaire.
Après deux ans de tractations,
l’hôpital de Calais a obtenu l’accord de référencement auprès du
NHS fin janvier. Ce document lui
permet d’être considéré comme
un hôpital britannique à part entière, son cahier des charges étant
identique à celui des hôpitaux britanniques. « Pour accueillir une patientèle anglaise, rien ne nous obligeait à lancer cette procédure avec
le NHS, explique M. Trelcat. Mais
cela nous permet de rentrer dans le
système de contractualisation du
NHS. » Une messagerie sécurisée
et cryptée les relie directement au
NHS et aux dossiers médicaux des
patients.
De quoi attirer la patientèle anglaise mais aussi redorer le blason
de la ville. « C’est très intéressant
pour l’image de Calais écornée par
la grève de My Ferry Link et le dossier des migrants, remarque Thaddée Segard, directeur de Frenchdeals, l’entreprise de relations
transmanche mandatée par l’hôpital de Calais pour ce partenariat
avec le NHS. Il y a eu un “Calais
bashing” qu’on est en train de renverser. » Le directeur de l’hôpital
confirme : après avoir pris en
charge de nombreux migrants
en 2015 (environ 5 % des séjours),
notamment au service orthopédique, il a constaté une relative désaffection de la patientèle habituelle qui ne souhaitait pas être en
contact direct avec les réfugiés. p
éric albert (à londres)
et laurie moniez (à lille)
A Nuit debout, le casse-tête
des opinions divergentes
L’altercation avec Alain Finkielkraut a mis en lumière des tensions
D
eux jours après avoir été
chassé de la place de la République par un groupe
de personnes présentes à Nuit debout, Alain Finkielkraut écrit, dans
une tribune parue dans Le Figaro,
mardi 19 avril : « Certains participants sont, j’en suis sûr, désolés de
ma petite mésaventure. Mais le fait
est là : on est entre soi à Nuit debout.
Sur cette prétendue agora, on célèbre l’autre, mais on proscrit l’altérité. Le même discute fiévreusement avec le même. » Dans sa « réponse à ceux qui m’ont expulsé »,
l’académicien ajoute : « Tout le
monde s’en fout de Nuit debout.
Tout le monde, sauf les médias qui
cherchent éperdument dans ce rendez-vous quotidien un renouveau
de la politique et lui accordent une
importance démesurée. »
Les participants dénoncent l’agitation médiatique autour de la
« mésaventure » du philosophe,
dont les images ont montré l’altercation avec les manifestants. Mais
le mouvement se retrouve de fait
en tension entre sa vocation
d’ouverture et son identité politique marquée à gauche, qui rend
certaines opinions malvenues. Il
s’était pourtant donné une règle :
n’importe qui peut s’exprimer,
mais les propos racistes, sexistes et
homophobes ne sont pas tolérés.
Ceux violents « contre la mondialisation ou contre les banques » sont
en revanche acceptés, reconnaît le
« pôle modération ».
Le mouvement
est tiraillé
entre sa vocation
d’ouverture et son
identité politique
marquée
à gauche
Le « pôle sérénité » se charge de
faire respecter cette règle, « toujours dans la médiation », explique
Camille (le prénom a été modifié).
« Tous les gens qui ne sont pas d’accord peuvent le dire, jusqu’au stade
de la provocation. » Exemple ? « Un
type s’est mis devant le stand propalestinien en criant des insultes. »
L’individu est pris à part, on lui
réexplique les règles. « Parfois, ça
prend cinq minutes, parfois une
heure. Au bout d’un moment, ceux
qui ne veulent pas être dans le dialogue finissent par partir. » Un
autre soir, quelqu’un vient « avec
une sono, en se présentant comme
électeur FN ». Le « pôle sérénité » le
laisse causer, un petit groupe se
forme. « On lui a juste demandé
d’éteindre sa sono à un moment,
parce que l’AG allait commencer. »
La situation se complique lorsque quelqu’un exprime des opinions divergentes pendant l’AG, où
le temps est chronométré et les réponses différées, à moins de pré-
senter une « opposition radicale »
(il faut alors mettre les bras en
croix). Lundi soir, un jeune
homme se lève pour accuser les
« commissions » de ne pas tenir
compte des opinions de « l’assemblée souveraine ». Alors qu’il
s’époumone, il est mis sur le côté,
calmé, puis invité à s’inscrire sur la
liste d’attente. « Vous êtes des bureaucrates ! Vous êtes tout ce qu’on
voulait éviter ! », lâche-t-il. Nuit debout met un soin particulier à faire
respecter ses « outils démocratiques ». Même si les « tours de paroles » peuvent agacer, car certaines
opinions n’attendent pas.
Ces « règles du jeu », destinées à
pacifier le débat, ne protègent pas
toujours les orateurs contre les
réactions immédiates. Le pôle modération se félicite que les discussions « s’autorégulent » grâce aux
réactions de l’assemblée. « Quand
quelqu’un dit quelque chose de déplacé, il le sent très vite. » Mais justement, comment aller au bout de
son idée, qui pourrait, après tout,
avoir droit de cité, devant une assemblée qui manifeste son désaccord ? Interdiction d’arracher le
micro des mains d’un autre, de
couper la parole, d’intimer à un
autre participant l’ordre de se taire.
Mais les forêts de bras en croix, et
même parfois les huées, peuvent
avoir raison des meilleures intentions pour garantir la libre expression de tous. p
violaine morin
enquête | 13
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
JEAN-MANUEL DUVIVIER
maud dugrand
saillans (drôme) et veynes (hautes-alpes)
- envoyée spéciale
T
ristan Rechid va droit au but : « Il
fallait cesser de parler de démocratie participative, il fallait la
faire. » Depuis sa victoire de
mars 2014 aux élections municipales, la liste Autrement pour
Saillans… tous ensemble, dont il a été l’un des
initiateurs, suscite la curiosité de ceux qui
veulent « faire ». Faire comme ce village drômois de 1 200 habitants, au sud du Vercors,
nouveau champion de la « démocratie participative » appliquée.
Directeur d’un centre social à Die, Tristan Rechid est devenu en quelque sorte l’ambassadeur de Saillans. Ce 19 mars, il est en mission à
Veynes, un bourg de 3 150 habitants situé à
quelque 100 kilomètres du village, dans la vallée du Petit-Buëch (Hautes-Alpes). Une centaine de personnes sont venues pour l’écouter, comme un conteur à la veillée, et pour débattre. L’orateur rappelle l’esprit qui a donné
naissance à l’expérience saillansonne : « Personne ne sait mieux que vous ce dont vous avez
besoin au village, dans votre quartier. L’élu vous
représente, il ne pense pas à votre place. » Un
participant s’étonne : « Ce n’est pas possible.
Vous n’aviez élaboré aucun programme pour
l’emporter ? » Voilà qui ne manque pas de surprendre les citoyens curieux de l’expérience
drômoise que Tristan Rechid a rencontrés depuis l’été 2015.
L’histoire singulière de la « municipalité participative » de Saillans a commencé en 2013
par une âpre bataille contre la volonté du
maire MoDem d’alors, François Pégon, d’implanter un supermarché Casino à un gros kilomètre du centre du bourg, pourtant bien doté
en petits commerces. Manifestations avec
poussettes et chariots, pétition rassemblant
800 signatures : l’enseigne de grande distribution jette l’éponge. Fort de cette victoire, un
cercle d’habitants se lance un défi : se mobiliser pour les municipales à venir. Une première
réunion publique, « sans programme ni candidat », réunit 120 citoyens ! Soit 10 % du village…
Organisés en groupes thématiques, dossier
par dossier, ces engagés volontaires diagnostiquent les besoins de leur commune. Lors
d’une deuxième assemblée, ils ébauchent l’ossature d’un programme pour une liste de candidats à la mairie. « On débat sans entraves :
quelles sont les qualités d’un futur maire ? », raconte Tristan Rechid. Emerge alors le nom de
Vincent Beillard, 41 ans, veilleur de nuit dans
un centre pour adultes handicapés, jugé le
plus apte à animer une équipe au service du
collectif. Il apprendra sa désignation par mail,
à l’issue de la troisième réunion publique…
Au soir du premier tour, le 23 mars 2014, la
liste citoyenne Autrement pour Saillans… tous
La politique
en circuit court
d’une réunion à Saillans, en janvier, puis à Vogüé en Ardèche, en mars, un réseau d’une dizaine de collectifs se constitue.
L’initiative peut-elle engendrer un mouvement national ? « Une équipe locale a émergé
autour d’une mobilisation. Un programme a
ensuite été élaboré collectivement, sans leader.
L’expérience de Saillans n’a rien de révolutionnaire, affirme le sociologue Loïc Blondiaux,
professeur de science politique à l’université
Paris-I-Panthéon-Sorbonne. C’est l’essence
même de ce que devrait être la politique locale.
Reste à savoir si le défi que Saillans lance à la
démocratie peut s’étendre. »
Le défi de Saillans, pour l’heure, est la maturation de l’exercice démocratique. Treize citoyens de la commune ont été formés à l’animation de la démarche de « coconstruction
entre élus et citoyens », en vue de la révision
du plan local d’urbanisme. En projet : une
maison de santé dans les locaux de l’ancienne perception, quatre constructions en
bois à « énergie positive » en guise de logements sociaux, et une salle des fêtes à créer et
à équiper. Le 31 janvier, lors des vœux du
maire, une bonne centaine de citoyens ont
assisté trois heures durant aux comptes rendus de bilan des commissions participatives
de l’année. De quoi redonner du mordant à
des élus parfois épuisés.
Soucieuse d’éviter le burn-out, l’équipe envisage d’engager deux collaborateurs, tout en
renforçant l’initiative des citoyens. La gestion
du compost collectif est confiée à des volontaires. Une dizaine de bénévoles assurent La
Petit’Entraide, un guichet d’aide sociale se
consacrant aux urgences quotidiennes. Formée techniquement, une Saillansonne assure la gestion du site Internet du village. Une
quinzaine de citoyens animent les réunions
participatives, une dizaine se chargent de la
rédaction des informations municipales.
« Nous ne sommes pas encore très bons sur le
budget. Cette matière n’attire pas les foules.
Nous cherchons des outils pour faire venir les citoyens », confie Agnès Hatton, adjointe aux finances, à la santé et au social. Elle assure que
tous les élus ont parfaitement intégré la participation citoyenne comme étant normale.
Reste à convaincre encore les rétifs du village –
des agoras publiques les jours de marché sont
envisagées par le « conseil des sages » – et à pacifier les relations avec les opposants et les
municipalités voisines.
« PLUS INTELLIGENTS À PLUSIEURS »
Dans la Drôme, le village de Saillans expérimente
depuis 2014 une « municipalité participative » qui
suscite l’intérêt de nombreux élus et associations
ensemble l’emporte sans appel, avec 56,8 %
des voix pour une participation de 80 % des
électeurs. La nouvelle équipe décide aussitôt
d’ouvrir les portes de la mairie. Par choix ou
compétence, pas moins de 250 volontaires
s’inscrivent à sept commissions prioritaires,
décidées pendant la campagne électorale. Ces
« groupes action-projet » (GAP) planchent sur
l’école et ses nouveaux rythmes, la rivière
Drôme, la circulation, les parkings, le lien social, la santé, la salle des fêtes. A l’égal du maire
et de sa première adjointe, Annie Morin, les
conseillers travaillent en binômes. Un « conseil des sages », auquel Tristan Rechid appartient, veille au respect de l’éthique du projet :
transparence, collégialité et participation, le
nouveau triptyque des Saillansons.
« EST-IL POSSIBLE D’AGIR AUTREMENT ? »
Les Veynois venus l’écouter en ce soir de mars
sont dubitatifs. Jean-Luc Blanchard, ancien
instituteur, militant écologiste « depuis le naufrage de l’Erika », ne comprend pas pourquoi
l’alliance Europe Ecologie-Les Verts (EELV)
- Front de gauche n’a pas fonctionné aux dernières municipales à « Veynes la rouge ». La
mairie est passée à droite après plusieurs décennies de gestion à gauche. « Nous aussi, on
organise des réunions, mais personne ne
vient », dit-il en soupirant.
Un ancien maire d’une toute petite commune de la région, souhaitant garder l’anonymat, raconte sa propre expérience : « Diriger
comme un autocrate, je l’ai fait pendant trois
mandats. Nous, les élus de la ruralité, nous ne
sommes pas outillés. J’ai très vite atteint mon
seuil d’incompétence. » Coupe de clairette-dedie en main, Sandrine Charriot, 36 ans, confie
aussi sa frustration d’ancienne conseillère
municipale de Réallon (Hautes-Alpes), 250 habitants : « Nous tenions deux réunions publiques, une en début de mandat, l’autre à la fin,
c’est tout ! Je ne supporte plus cette manière de
faire ; est-il possible d’agir autrement ? Que les
gens, enfin, ne suivent plus les débats télé, mais
qu’ils le vivent, le débat, chez eux ! »
« NOUS
NE SOMMES
PAS ENCORE
TRÈS BONS SUR
LE BUDGET. CETTE
MATIÈRE N’ATTIRE
PAS LES FOULES »
AGNÈS HATTON
conseillère municipale
de Saillans
Tel est le vœu de Tristan Rechid : que l’expérience suscite « l’émergence de 36 000 listes
participatives dans les 36 000 communes de
France pour les municipales de mars 2020 ».
C’est tout l’enjeu de ses pérégrinations. Lors
des régionales de novembre 2015, il a posté un
appel en ligne et a développé un projet de
« conférence articulée » pour partager l’expérience de Saillans et proposer une formation à
l’élaboration d’une réunion publique. Les
week-ends, il se déplace au gré de demandes
toujours plus nombreuses de collectifs, d’associations locales et d’élus. « Notre projet est
apolitique au sens des partis, insiste-t-il. L’unique proposition est celle de la réelle participation citoyenne et du retour à un véritable fonctionnement démocratique dans notre pays. »
Le Saillanson a rencontré à Veynes un alter
ego, Philippe Saugier-Séranne. Au lendemain
des élections régionales de décembre 2015, ce
compositeur interprète de 44 ans a créé avec
des amis le site Nouslamajorite. fr. Leur programme, clairement « alter », propose « aux
abstentionnistes, aux antisystème, aux indignés, aux votants désespérés et à tous les partisans d’une renaissance de la démocratie de
s’unir pour restaurer l’intérêt commun, développer le pouvoir d’agir de tous, et construire,
loin des partis aveuglés par les luttes de pouvoir,
l’alternative citoyenne qui l’emportera sur l’extrémisme en 2017 ». Cette déclaration d’intention s’accompagne d’un « Petit manuel pratique pour se mettre debout ».
« Les attentats de Paris, l’application de l’état
d’urgence, les scores du Front national nous ont
convaincus d’agir », explique ce père de trois
enfants – dont l’un se trouvait « à 500 mètres
du Bataclan le 13 novembre ». M. Saugier-Séranne a été pendant vingt ans coordinateur
des programmes européens d’éducation à la
citoyenneté pour des ONG et des instituts de
recherche. Trois automnes successifs, lors de
séjours en résidence d’artistes en Espagne, il
assiste à l’émergence du parti alternatif de
gauche Podemos. Après les élections régionales, des échanges se nouent sur Internet. Lors
Sous les impressionnantes falaises de la
chaîne des Trois-Becs, un nouveau modèle
d’alternative politique serait-il en train
d’émerger ? En décembre 2015, aux élections
régionales, la liste Front national de Christophe Boudot pour la région Auvergne-RhôneAlpes a plafonné à 13,1 % à Saillans, soit deux
fois moins que son score régional.
Le 31 mars, une Nuit debout a eu lieu sur la
place de la mairie. Deux cents personnes y ont
visionné le film Merci patron !, de François
Ruffin, avant d’échanger jusque tard dans la
nuit. Et samedi 16 avril, c’est à Crest, ville voisine de 8 000 habitants, que le collectif est
venu passer la nuit, dans le fief d’Hervé Mariton, maire (Les Républicains) et plus farouche
contempteur de la municipalité participative
au sein de la communauté de communes du
Crestois et du pays de Saillans. « Les relations
s’apaisent avec les petites communes, peu à peu
nous construisons des partenariats fondés sur
l’échange, tempère la première adjointe, Annie
Morin, ancienne directrice d’école. Nous avons
créé ensemble un syndicat à vocation unique
autour de l’éducation, de l’école et des temps
d’activités périscolaires. »
Parmi les réalisations concrètes de la nouvelle équipe : l’extinction de l’éclairage public
la nuit. Promu « village étoilé » au concours
« Villes et villages étoilés », Saillans a obtenu
deux macarons de l’Association nationale
pour la protection du ciel et de l’environnement. Cowork Saillans, une association installée dans un espace de travail partagé, accueille
une dizaine de travailleurs indépendants,
dont certains sont des habitants récents, de
jeunes néoruraux, diplômés, qui ont déserté
la ville pour s’installer au village avec leurs enfants, au bénéfice de l’école publique.
« Nous avons tenu soixante-dix réunions publiques l’année dernière. Rien n’est facile, mais je
doutais d’aller aussi loin dans l’action. Nous vivons tous les jours la preuve que nous sommes
plus intelligents à plusieurs », se félicite l’adjoint à l’économie et à la transparence, Fernand Karagiannis, 57 ans, imprimeur qui travaille à Lyon deux jours par semaine.
A Veynes, ce 19 mars, la réunion finie, c’est
l’heure du café chez Philippe Saugier-Séranne
et Aline Chipaux. Dans leur salle à manger, des
cagettes d’oranges et de mandarines accueillent le visiteur. Acteurs de Court-Circuit,
une association d’achats de denrées alimentaires sans intermédiaires, ils régalent les adhérents d’agrumes de Sicile. Aline l’assure,
après les circuits courts alimentaires, « l’heure
est à la politique en circuit court ». p
CULTURE
Le campus, un autre espace-temps
14 |
pppp CHEF-D'ŒUVRE
pppv À NE PAS MANQUER
ppvv À VOIR
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
pvvv POURQUOI PAS
vvvv ON PEUT ÉVITER
Richard Linklater enrobe d’une bulle vintage les débuts d’un jeune Américain à l’université dans les années 1980
EVERYBODY
WANTS SOME !!
pppv
Glen Powell (à gauche)
et Blake Jenner.
U
VAN REDIN
d’expériences de laboratoire où
des idées, toujours plus ou moins
liées à la perception du temps, se
traduisent par des propositions esthétiques toujours différentes.
Regard ironique et mélancolique
Everybody wants some ! ! (« Tout le
monde en veut ! ») prend peu ou
prou le relais de Dazed and
Confused (« Génération rebelle »,
1993), peinture de la dernière journée de lycée d’un groupe d’adolescents, en 1976. Ce film de campus
se déploie en un enchaînement
fluide de tableaux, surfaces scintillantes et lisses, tout en couleurs
vives et en sonorités pop, où le
temps paraît dilaté à l’infini. Les ac-
Licence 2-1066882 / 3-1066883 / RCS 400 188 983 00078 / Crédit photo : Eric Garault / Graphisme : Philippe Lebruman
ne maison en bois
peuplée de jeunes
gens bâtis comme des
dieux grecs, moulés
dans des shorts et tee-shirts ajustés à leur belle musculature, la
bouche coiffée d’une moustache
bien taillée. C’est la résidence de
l’équipe de base-ball de la fac
texane où débarque Jake (Blake
Jenner) avec sa valise et sa caisse de
vinyles, à deux jours de la rentrée
universitaire. Une petite usine à
testostérone où les vannes claquent comme des balles de pingpong, où l’esprit de corps prend la
forme d’une compétition féroce à
tous les niveaux de l’existence :
sport, drague, amitié. On se déplace en meute, entassés dans une
belle Dodge bleu métal toutes fenêtres ouvertes, l’autoradio crachant à plein volume des tubes de
Blondie, des Cars, de Foreigner. On
repère les lieux, on alpague les
filles en fleurs aux jambes interminables qui renvoient en revers de
volée des reparties d’intellectuelles au caractère bien trempé.
On pourrait être dans un clip de
Wham ! ou une publicité pour
after-shave des années 1980. On
est dans le souvenir idéalisé que
Richard Linklater se fait de ce
temps suspendu qui précède le
début des années campus, période
pleine de promesses et de liberté
pendant laquelle les étudiants
américains, arrachés au cocon
familial et pas encore soumis
aux astreintes de la vie d’adulte,
sont rendus entièrement disponibles à leurs désirs et à l’invention
de soi. En l’enveloppant dans une
bulle vintage, le cinéaste texan qui
a un temps pensé, comme son
personnage, devenir joueur de
base-ball professionnel (et écrivain), crée la collusion avec cet espace-temps inconnu.
De Slacker (1991), où il recomposait une journée comme un collage de moments vécus par une
constellation de personnages
étrangers les uns aux autres, à
Boyhood (2014), fiction tournée sur
douze ans avec les mêmes acteurs,
les films de Linklater se suivent
sans se ressembler, comme autant
À Paris au
11/12/17/18 mai
24/25/26 mai
ET EN TOURNÉE DANS TOUTE LA FRANCE
Nouvel album
“Le Film”
disponible
tions sont sans conséquence. Les
menaces que brandit l’entraîneur
de base-ball à l’attention de qui
enfreindrait les règles de la maison
(pas d’alcool, pas de filles dans les
étages), alors que celles-ci vont être
ostensiblement bafouées le soirmême, restent sans effet.
Trop parfaits pour être vrais, les
décors, la lumière d’été, le bleu du
ciel, la qualité graphique du moindre costume, du moindre accessoire, de la moindre coiffure,
créent comme un effet d’hallucination sur le spectateur, qui se retrouve dans un état proche de celui
de l’auteur, mais aussi de son alter
ego, Jake, qui évolue comme dans
un rêve éveillé – on ne dort pas
dans Everybody Wants Some !!,
du moins pas avant le dernier
plan, quand démarre le premier
cours de l’année. Jake ne suit pas
une trajectoire : on n’est pas dans
un roman d’apprentissage. Le film
met à plat le conflit qu’il doit résoudre pour s’intégrer à l’équipe
Le charme
du film tient
à ce talent qu’a
toujours eu
Linklater de saisir
une vérité
des gestes et
des expressions
de baseball sans se soumettre à
son emprise. Rétif à toute forme
d’assignation, il est le seul sportif à
ne pas porter la moustache, et
peut-être le seul étudiant du campus à refuser de choisir une matière dominante, qui le réduirait,
selon lui, à une identité fixe. La liberté, c’est le mouvement.
De fait, le film glisse en permanence entre des scènes d’intérieur,
filmées dans la maison de l’équipe
de base-ball, où Jake apparaît
comme un élément d’un corps collectif mouvant, et d’autres qui le
voient frayer à sa guise avec toutes
sortes de tribus. L’attraction qu’il
éprouve pour une étudiante en art
(Zoey Deutch) lui ouvre les portes
d’un autre monde, raffiné et sensible, dans lequel il se découvre aussi
à son aise que chez les sportifs. La
rencontre fortuite d’un ancien camarade de lycée, converti au punk,
qui l’entraîne le soir même à un
concert, lui révèle non seulement
une culture inconnue, mais la possibilité d’un rapport alternatif à
l’existence, révolté, affranchi du
carcan des conventions sociales.
Plus qu’à sa réjouissante bande
originale, plus qu’à sa singulière
beauté plastique, le charme du
film tient à ce talent qu’a toujours
eu Linklater de saisir une vérité des
gestes et des expressions, et de révéler, ce faisant, l’essence de l’instant. Quelque artificielle que soit
la mise en scène, il parvient ici
aussi à donner à ses scènes la
force de l’évidence. Dans le grand
patchwork qu’elles composent ensemble, les personnages évoluent
à égalité, comme des figures archétypales bizarres, dont on ne sait
jamais bien si la folie traduit une
nature ou un pur fantasme de
l’auteur. Cet art de filmer le groupe,
autre spécialité dans laquelle
Linklater est passé maître, s’appuie sur un casting composé d’inconnus, qui aide à ce qu’aucun ne
vole jamais la vedette aux autres.
Le regard à la fois ironique et tendrement mélancolique qu’il pose
sur eux leur confère une aura
étrange, à la fois mythique et totalement kitsch, qui donne envie de
prolonger indéfiniment ce moment hors du temps qu’ils nous offrent en partage. p
isabelle regnier
Film américain de Richard
Linklater. Avec Blake Jenner, Ryan
Guzman, Tyler Hoechlin, Wyatt
Russell, Zoey Deutch (1 h 57).
Richard Linklater, rocker de Celluloïd
le cinéaste texan, qui ne joue d’aucun
instrument, est pourtant responsable de
l’un des meilleurs albums de l’histoire du
rock, la bande originale de Dazed and
Confused, sortie en 1993. Ce récit, situé au
milieu des années 1970, de la dernière journée de lycée au Texas d’une bande de garçons était scandé des titres obscurs ou évidents de l’âge d’or du rock gras, d’Aerosmith
à ZZ Top. Le succès de cet album, qui égale la
notoriété du film (sorti en France sous le
titre Génération rebelle) – aux débuts timides, mais qui accéda ensuite au rang de classique –, ne tient pas tant à la qualité de chacun des titres qu’à leur savant assemblage,
qui peignait le paysage mental et sensuel
d’un adolescent de l’époque.
Présenté par son auteur comme le « successeur spirituel de Dazed and Confused »,
Everybody Wants Some ! ! (qui emprunte son
titre à celui d’une composition de Van
Halen) se prévaut aussi d’une bande originale impeccable, expression de l’essence
d’une époque historique (le film est situé à
l’automne 1980, pendant la campagne électorale qui devait se conclure par l’élection de
Ronald Reagan à la présidence des EtatsUnis) et d’un moment de la vie d’un groupe
d’êtres humains. En l’occurrence, puisque
c’est l’un des sujets de prédilection de
Linklater (voir également Boyhood), le
jeune mâle texan pris ici dans le sas entre
l’adolescence et l’âge d’homme.
Cette virilité heureuse s’exprime dès le
premier titre que l’on entend, pendant la
première séquence qui montre Jake (Blake
Jenner) au volant de son Oldsmobile, sur la
route qui le mènera jusqu’à l’université, loin
de la maison familiale. L’autoradio crache à
pleine puissance My Sharona, de The Knack
(1979), succès transatlantique qui profitait
du retour à la simplicité et à la brutalité rock
prônées par les punks et leurs épigones,
tout en revenant au machisme triomphant
des superstars des années 1960. Joint au téléphone, Richard Linklater s’amuse d’entendre évoquer la mauvaise réputation de
The Knack. Il se souvient de l’opprobre que
le groupe avait encouru en donnant à son
premier album, Get the Knack, le même aspect que celui de Meet the Beatles ! « Mais
c’est l’une des meilleures expressions de la
teen sex angst jamais enregistrée », fait remarquer le réalisateur, qui n’est pas étranger aux frustrations érotiques adolescentes.
L’éclectisme musical de l’année 1980
A rebours de la bande originale de Dazed
and Confused, uniformément rock, celle
d’Everybody Wants Some ! ! panache les genres. Le rock à grand spectacle (Foreigner,
Cheap Trick) essaie de rester digne face aux
outrages du punk et de la new wave (Stiff
Little Fingers ou Blondie) et doit faire une
place au R’n’B (Jermaine Jackson) et au hiphop naissant (White Lines, de Grandmaster
Flash). « C’était un moment éclectique, se
souvient Richard Linklater, qui avait 20 ans
à l’époque. Quand on vivait dans le Sud, on
écoutait du rock et l’on voyait arriver ce truc
qu’on appelait rap, on pensait que c’était une
mode. De toute façon, ça ressemblait au
disco, on pouvait très bien danser dessus. »
A cet éclectisme historique répond l’éclectisme d’un âge où l’on doit se définir : « On
fouillait toujours dans les collections d’albums des copains pour savoir qui ils étaient,
rappelle l’ex-étudiant texan. La musique
vous aidait à vous construire. »
Au fil de la soirée qui constitue le plat de
résistance du scénario d’Everybody Wants
Some ! !, Jake et ses condisciples errent de
boîte punk en club country, avec un détour
sous la boule à facettes de la discothèque.
Là, on entend Let’s Get Serious, de Jermaine
Jackson. Richard Linklater aurait bien voulu
décrocher les droits d’un titre de Michael
Jackson, tout comme il aurait voulu caser
les Eagles, eux aussi hors de prix. Le réalisateur se console en faisant remarquer que
« Let’s Get Serious aurait pu trouver sa place
sur Off the Wall », l’album du petit frère. p
thomas sotinel
culture | 15
0123
La comtesse de Ségur prend un coup de jeune
K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr
(éditions abonnés)
ppvv À VOIR
La Saison des femmes
Film indien de Leena Yadav (1 h 56).
Ce brûlot féministe, magnifiquement interprété, mêle la colère
avec la coquetterie bollywoodienne et les danses exotiques. Il
gagne en puissance sur deux heures pour atteindre dans son
final une rage vindicative. p n. lu.
Christophe Honoré filme les aventures de l’incontrôlable Sophie avec grâce et vitalité
LES MALHEURS
DE SOPHIE
ppvv
Documentaire français de Tamara Erde (1 h 33).
Tamara Erde filme l’enseignement du conflit israélo-palestinien dans des écoles en Israël, et fait avec ce documentaire passionnant la démonstration de la difficulté d’apprendre l’Histoire lorsqu’on est incapable d’apprendre de l’Histoire. p n. lu.
Un homme charmant
Film argentin d’Ariel Rotter (1 h 33).
Le noir et blanc de ce récit retenu et cruel exprime l’enfermement de Luisa dans la bonne société argentine des années
1960. Veuve, elle voudrait succomber à la séduction d’Ernesto
sans renoncer à son indépendance. Mais les barreaux des prisons dorées sont aussi solides que les autres. p t. s.
pvvv POURQUOI PAS
L E S
A U T R E S
Blind Sun
Film franco-grec de Joyce A. Nashawati (1 h 28).
Entre objet conceptuel et parabole contemporaine, Blind Sun
construit un tableau dérangeant d’une Grèce où la pénurie
d’eau s’offre en métaphore de la crise. Ce premier film à la
forme raffinée fait preuve d’une maîtrise étonnante. p n. lu.
Granny’s Dancing on the Table
Film suédois de Hanna Sköld (1 h 26).
Une adolescente vit seule dans la forêt avec son père. Ce huis
clos forestier, lourd d’une menace incestueuse, mélange prises
de vue réelles et animation en pâte à modeler, conférant une
certaine originalité à ce portrait de jeune fille. p j.-f. r.
Le Potager de mon grand-père
Documentaire français de Martin Esposito (1 h 16).
Après Super Trash, one-man-show écologique situé dans une décharge, Martin Esposito filme son grand-père au milieu de son
potager luxuriant : le vieil homme apparaît en héros des temps
modernes, et on aurait du mal à lui en refuser le titre, tant sa
joie de vivre au contact de la nature est inspirante. p n. lu.
Parfum de printemps
Film tunisien de Férid Boughedir (1 h 39).
Longtemps après Un été à La Goulette (1996), le réalisateur tunisien Férid Boughedir revient avec une fable sur le « printemps »
tunisien. L’histoire d’un jeune provincial naïf, Zizou, qui monte
dans la capitale à l’heure de l’embrasement. Le ton bon enfant
du film peine à s’élever à la hauteur de l’événement. p j. m.
Tout s’accélère
Documentaire français de Gilles Vernet (1 h 23).
Trader devenu instituteur, Gilles Vernet entraîne ses élèves de
CM2 dans une réflexion sur l’accélération du temps, les faisant
dialoguer avec des spécialistes dans une dialectique qui alerte
sur l’aporie de cet irrésistible mouvement. p j. m.
Robinson Crusoé
Film d’animation belge de Vincent Keesteloot (1 h 30).
Cette adaptation aussi libre que simpliste du roman de Daniel
Defoe balaie toute dimension philosophique au profit de bagarres entre le naufragé et des chats de gouttière débarqués du
bateau. Amusant au début, le principe devient lassant. p i. r.
vvvv ON PEUT ÉVITER
Le Chasseur et la reine des glaces
Film américain de Cédric Nicolas-Troyan (1 h 55).
Quatre ans après Blanche-Neige et le chasseur, ce second volume
frôle l’accident industriel. Et se concentre sur l’amie du chasseur,
en butte aux tracasseries des sœurs maléfiques de BlancheNeige, en empruntant à la série Game of Thrones. p j. m.
NOUS N’AVONS PAS PU VOIR
Adopte un veuf
Film français de François Desagnat (1 h 37).
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
Nombre
de semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées (1)
Nombre
d’écrans
1 1 089 589
653
Les Visiteurs : la Révolution
2
496 164
727
Kung Fu Panda 3
3
412 934
671
Batman vs Superman…
4
178 561
629
Tout pour être heureux
1
133 366
221
Médecin de campagne
4
126 200
503
Zootopie
9
114 285
524
Gods of Egypt
2
101 133
285
Five
3
96 699
290
Le Fantôme de Canterville
2
90 605
416
Le Livre de la jungle
AP : Avant-première
Source : Ecran total
Evolution
par rapport
à la semaine
précédente
Total
depuis
la sortie
1 089 589
↓
↓
↓
– 47 %
1 646 211
– 14 %
1 828 366
– 27 %
2 276 030
133 366
↓
↓
↓
↓
↓
– 21 %
1 197 249
– 7%
4 532 725
– 39 %
304 465
– 21 %
497 260
– 27 %
260 078
* Estimation
Période du 13 au 17 avril inclus
Sous l’invocation de Rudyard Kipling et Walt Disney, plusieurs générations se sont vraisemblablement donné la main pour aller célébrer le
remake du Livre de la jungle, sorti voici un demi-siècle. Le résultat est
impressionnant : un million d’entrées en cinq jours, mille spectateurs
par salle. Parmi les entrées de la semaine, un seul autre titre, ni plus ni
moins, tire son épingle du jeu : la comédie nationale Tout pour être
heureux, qui atteint plus de cent trente mille entrées. Le beau temps et
la dépression programmatrice pré-cannoise sont à l’origine de l’accueil réservé qui touche leurs concurrents. p
A
elle seule, l’idée qu’a eue
Christophe Honoré de réhabiliter la comtesse de
Ségur, de passer un petit coup de
plumeau entre ses pages pour
remettre au goût du jour la fantaisie et la sagacité de ses romans
mérite une belle salve d’applaudissements. Depuis la fin du siècle dernier, la prose de cette écrivaine magnifique semblait avoir
perdu de son attrait auprès de la
jeunesse, et c’était bien triste. Le
nouveau film de Christophe Honoré devrait y remédier.
Auteur lui-même de formidables livres pour enfants, ce cinéaste, qui associe volontiers une
manière ludique de mise en scène
avec une réflexion sur les questions de genre, était certainement
bien placé pour faire des Malheurs
de Sophie et de sa suite, Les Petites
Filles modèles, un film moderne,
fidèle à l’esprit de leur auteure.
Le résultat, enlevé, débordant
d’imagination, tout en restant
proche des textes, dépasse les
espérances.
On est tout de suite frappé par
la beauté de la lumière, des
intérieurs boisés et spacieux, des
frondaisons du jardin, des costumes légers et fluides des personnages, du cadre carré vintage…
Et plus encore par celle des enfants dans le monde duquel le
film, branché du début à la fin sur
l’irréductible vitalité et la grâce
émouvante, nous immerge.
R E P R I S E
F I L M S
D E
L A
This Is My Land
Le charme opère, même si l’on
redoute, dans les premières scènes où Sophie fait fondre les yeux
de sa poupée au soleil et ses pieds
dans un bain d’eau bouillante, que
son parfum soit quelque peu
suranné. Mais l’impression se dissipe à mesure que les bêtises de la
petite fille, en prenant une tournure plus crue – bientôt elle découpera vivants les poissons rouges de sa mère, servira à ses amis,
en guise de thé, de la chaux diluée
dans l’eau de la gamelle du
chien… –, estompent ce que l’histoire pouvait avoir de daté. Lorsqu’elle devient, dans la deuxième
partie du film, victime de la
cruauté d’une épouvantable marâtre (Muriel Robin), le souffle romanesque finit par tout emporter.
Immense solitude
Le cinéaste éclaire en outre d’une
lumière neuve les agissements de
cette incontrôlable gamine en
laissant imaginer qu’elle grandit
dans une solitude immense, sur
un tapis de secrets et de non-dits,
entre un père absent et une mère
neurasthénique (Golshifteh Fara-
Le résultat,
enlevé,
débordant
d’imagination,
tout en restant
proche des
textes, dépasse
les espérances
Kiarostami, par-delà
le vrai et le faux
Close-up est, après Où est
la maison de mon ami ?, le
film qui a fait découvrir
Abbas Kiarostami, en
France, en 1991. Cela a été
un choc. L’homme avait
déjà un long passé de réalisateur de courts-métrages institutionnels. Les
qualités de Close-up sont
spectaculaires. Elles résident dans la manière avec
laquelle Kiarostami conjugue les particularités les
plus extrêmes et les plus
opposées du cinéma. A
l’origine du film, il y a un
fait divers. Un employé
d’imprimerie, Hossein Sabzian, s’est fait passer
pour le cinéaste Mohsen
Makhmalbaf auprès des
membres d’une famille
aisée de Téhéran, leur laissant miroiter la perspective de tourner dans son
prochain film. Le pot aux
roses découvert, il sera arrêté et jugé. Kiarostami
est allé retrouver tous les
protagonistes de ce récit,
leur a fait rejouer leur
aventure. Il filme par
ailleurs, en noir et blanc,
le procès d’Hossein Sabzian, qu’il entrelarde de
retours en arrière reconstitués, et organise après sa
libération la rencontre de
celui-ci avec le vrai Makhmalbaf. Entre reconstitution et documentaire, Close-up apparaît comme un
objet conceptuel qui mêle
le vrai et le faux, ce qui est
rejoué et ce qui est pris
sur le vif, jusqu’à brouiller
ces notions, racontant finalement l’histoire d’une
imposture. Avec Close-up,
il devenait clair que Kiarostami était un des
grands du cinéma contemporain. La révolution
est venue d’Iran. p
jean-françois rauger
Avec Hossein Sabzian,
Mohsen Makhmalbaf,
Abolfazl Ahankhah (1 h 31).
Le film mériterait
d’être vu pour
le seul plaisir de
regarder Caroline
Grant, qui
incarne Sophie
hani, formidablement romantique), soumise à l’emprise d’un sinistre confesseur (Michel Fau). On
comprend comment le conflit entre l’aspiration de cette petite fille
à la liberté et la résistance que lui
oppose son environnement a pu
inspirer le réalisateur de Non ma
fille, tu n’iras pas danser. Ses intentions, toutefois, se diluent organiquement dans la fiction et le jeu
des acteurs qui la portent (formidable casting dont l’hétérogénéité participe de la modernité du
film), qui focalisent toute son attention. La patience, la tendresse,
l’amour avec lequel il filme les enfants, en particulier, restant toujours à leur hauteur, les invitant à
s’approprier leur personnage, à
plier la langue de la comtesse à
leur façon de parler, insufflent
dans les plans une émotion qui se
suffit à elle-même. Caroline
Grant, qui incarne Sophie, est si
intensément présente que le film
mériterait d’être vu pour le seul
plaisir de la regarder. La malice de
son personnage, son audace et sa
curiosité conquérantes sont
d’autant plus inspirantes qu’elles
s’accordent avec un amour pour
ses parents aussi absolu et bouleversant qu’il peut l’être à cet âge.
«HUPPERT CULTE !»
Les Malheurs de Sophie propose
un cocktail de vitalité légère et débordante, de sentiments profonds et de tragédie qui rappelle
Les Chansons d’amour ou Les
Bien-Aimés. S’y mêle ce goût pour
le bricolage et l’hétérogène qui
fondait Les Métamorphoses, précédent film du cinéaste. L’intrigue accueille aussi bien les chansons d’Alex Beaupain, son éternel
complice, qu’un bestiaire animé
dont les couleurs vives scintillent
ici et là comme des petites lucioles, ou des scènes fantaisistes qui
viennent transfigurer la dimension mélodramatique de l’histoire en lui donnant les couleurs
du rêve.
A la fin de la première partie, la
voix de Golshifteh Farahani, posée sur l’image d’un navire ballotté par une mer déchaînée, lit
une lettre d’amour magnifique de
la mère à sa fille, avant que la
scène se fonde dans une marine
accrochée au mur de la maison familiale. Puis un écran noir tombe.
Terrible ellipse qui exprime le destin du personnage, avant que la
narration reprenne, sur un mode
plus âpre et romanesque à la fois.
Ce refus de donner au récit une
forme unifiée qui serait la signature d’un auteur au point de vue
omniscient revient souvent dans
le cinéma d’Honoré. Mais il
n’avait jamais assumé ce parti
pris avec une telle générosité. p
isabelle regnier
Film français de Christophe
Honoré. Avec Caroline Grant,
Anaïs Demoustier, Golshifteh
Farahani, Muriel Robin (1 h 46).
3 COULEURS
«UN DRÔLE DE GRAND FILM !»
BANDE-A-PART.FR
«LE PLUS BEAU FILM FRANÇAIS
DE CE DÉBUT D’ANNÉE. » PARIS-MATCH
CHARLES GILLIBERT PRÉSENTE
ISABELLE HUPPERT
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UN FILM DE
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Design : Benjamin Seznec / TROIKA • Photo : Ludovic Bergery
S E M A I N E
MERCREDI 20 AVRIL 2016
ANDRÉ MARCON
ROMAN KOLINKA
EDITH SCOB
ACTUELLEMENT
16 | culture
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Le long du fleuve, une jeunesse à la dérive
Ours d’argent au Festival de Berlin en 2015, le deuxième long-métrage du Vietnamien Phan Dang Di,
en partie autobiographique, suit les tribulations d’une poignée de jeunes gens à Saïgon
MÉKONG STORIES
Cuong, qui est pourtant amoureux, renonce à la paternité pour
s’acheter un téléphone portable.
ppvv
L
e Mékong, au cinéma,
c’est le fleuve qui mène
au cœur des ténèbres, celui que Willard remonte
jusqu’à Kurtz, dans Apocalypse
Now, et qu’importe s’il coulait
aux Philippines. Cette vision
dantesque était celle d’Occidentaux rongés de culpabilité postcoloniale, qui ne voyaient dans
ces eaux que la mort qu’ils y
avaient versée. Le fleuve de
Mékong Stories est comme tous
les fleuves de ce siècle, pollué,
sale, mais vivant, charriant les
traces et les déchets des existences qui foisonnent sur ses berges.
Le deuxième long-métrage de
Phan Dang Di est à son image,
tour à tour tumultueux et languissant, séduisant et sordide.
Etant donné le volume de la
production cinématographique
vietnamienne et son absence
presque complète du circuit des
festivals, les images que l’on a du
pays relèvent plus des souvenirs
de voyage, de l’utilisation des
paysages comme décors pour des
fictions qui n’ont rien à avoir avec
sa réalité. Cette pénurie sert puissamment Mékong Stories (qui devait initialement s’appeler « pères, fils et autres histoires »), qui
fait surgir sur l’écran une réalité
toute neuve au cinéma.
Dimension tactile et olfactive
En partie autobiographique, le
scénario suit les tribulations
d’une poignée de jeunes gens à
Saïgon, au début du XXIe siècle.
Vu (Le Cong Hoang) étudie le cinéma et parcourt la ville pour la
photographier. Van (Do Thi Hai
Yen) danse dans un cabaret. Avec
Thang, un petit truand, Cuong,
un ouvrier qui travaille dans une
usine décatie qui est comme une
version tropicale des installations en ruine que l’on voit dans
le grand documentaire chinois A
l’Ouest des rails et Tun, un chan-
Vu (Le Cong Hoang),
Van (Do Thi Hai Yen)
et Thang (Truong
The Vinh). NGUYEN K’LINH
Les séquences
immergent
le spectateur
dans une vie
aux règles
fluctuantes,
incompréhensibles
teur de rue, ils forment une petite
communauté qui se réunit dans
une maison flottante sur le
fleuve. Les jeunes gens tirent le
diable par la queue, dépendant
en grande partie des largesses de
M. Sau, le père de Vu, agriculteur
dans le delta du Mékong et trafiquant de riz, de jeunes femmes
qu’il amène de la campagne à la
ville, ou d’appareils photo japonais, comme celui qu’il offre à
son fils.
Comme il y parvenait déjà dans
Bi, n’aie pas peur, son premier
film présenté à la Semaine de la
critique cannoise en 2010, Phan
Dang Di donne une dimension
tactile et olfactive à ses images
qui véhiculent autant que la lu-
mière et les formes la touffeur et
les odeurs d’une ville charmante,
violente et pourrissante.
Les séquences ne sont pas disposées de façon à constituer une
progression dramatique. Il s’agit
plutôt d’immerger le spectateur
dans une vie aux règles fluctuantes, incompréhensibles. Dans
l’établissement où Van se produit
au milieu de boys habillés
comme à Las Vegas, le rêve du
show-business à l’américaine
étend son ombre pendant que,
dans les rues, on vit selon l’économie des pays les plus pauvres,
où les vendeurs à la sauvette gagnent chaque jour de quoi ne pas
dormir dehors, de quoi manger.
Peu à peu, comme le laissait de-
viner le titre original, apparaît
une question récurrente, obsédante, celle des origines. Elle
passe ici par la filiation, par la
perpétuation ou non d’une lignée. Vu est gay, ce que son père
n’admet pas, qui essaiera de le remettre sur le chemin de l’hétérosexualité à l’occasion d’une escapade des jeunes gens dans la
mangrove où est située la ferme
familiale.
La seule figure d’autorité récurrente est une voisine, responsable d’un comité de quartier, qui
encourage les jeunes gens célibataires à subir une vasectomie
(théoriquement réservée aux pères de famille nombreuse) afin
d’arrondir leurs fins de mois.
Ambition esthétique
Ces dérèglements sont si bien incrustés dans le tissu social qu’on
ne sait même plus quelle norme
ils défient. Loin de toute idée de
révolte, Vu et ses amis dérivent
comme des jacinthes sur le
fleuve, se laissant porter par des
pulsions qui les exposent à la violence de la pègre (la menace des
forces de l’ordre semble beaucoup plus lointaine). C’est pour
fuir des créanciers violents qu’ils
trouvent refuge chez M. Sau. Cet
épisode est pour Phan Dang Di le
moyen de changer radicalement
de registre. Entre les racines de
palétuvier, pataugeant dans la
vase, les personnages sont renvoyés à leur condition organique,
comme s’ils n’étaient guère plus
que des batraciens se débattant
pour se reproduire, pour échapper à leurs prédateurs.
Ces séquences témoignent de
l’ambition esthétique du jeune
cinéaste (il est né en 1976) sans
pour autant la satisfaire entièrement. Le portrait cruel et légèrement ironique de la vie urbaine
aurait dû être le contrepoint
d’une interrogation plus profonde sur la place d’un homme
qui ne veut plus de la position patriarcale qu’occupait son père.
Prévisibles et un peu appuyées,
les allégories que permet le recours à la boue, à la purification
par l’eau claire (Van, qui accompagne des hommes d’affaires
dans un spa, se trouvera à son
tour prisonnière d’un bain de
vase) n’atteignent pas la puissance d’évocation qui est celle de
Mékong Stories lorsque le réalisateur suit ses jeunes et beaux personnages dans les rues de
Saïgon. p
thomas sotinel
Film vietnamien de Phan Dang
Di. Avec Do Thi Hai Yen, Le Cong
Hoang, Nguyen Ha Phong (1 h 42).
« J’étais un rêveur, je le suis encore »
ENTRETIEN
Avec Mékong Stories, le cinéaste
vietnamien Phan Dang Di, 39 ans,
signe son deuxième film. Il raconte les difficultés à voir et à réaliser des films dans un pays encore
frappé par la censure.
Lear
Comment vous est venue l’envie
de faire du cinéma ?
D’un coup. A 17 ans, en 1993, je
voulais être écrivain. Mais quand
L’Odeur de la papaye verte a remporté la Caméra d’or au Festival de
Cannes, j’ai vu le film, et j’ai été
subjugué par ses images, ainsi que
par celles du festival. Un an après,
j’intégrais l’Académie de théâtre et
de cinéma de Hanoï.
alessio albi, You make me feel, 2014 ©   /   - es : 1-1075037, 1-1075038, 2-1075039, 3-1075040
Aribert Reimann
direction musicale
Fabio Luisi
mise en scène
CaLixto bieito
chef des chœurs
aLessandro di steFano
orChestre et Chœurs
de L’opéra nationaL de paris
paLais garnier
du 23 mai
au 12 juin 2016
operadeparis.fr
08 92 89 90 90
(0,40 € ttc/min)
Comme se passait un cursus
d’étudiant en cinéma dans
le Vietnam des années 1990 ?
Le cinéma vietnamien était en
crise. Les salles fermaient, tout le
monde se tournait vers la télévision, les professeurs partaient en
Europe. Surtout, nous n’arrivions
pas à voir de films ! La censure
était très sévère, et nous n’avions
que quelques VHS de films autorisés, parfois moisies. Ma chance a
été que l’ambassade de France
offrait les Cahiers du cinéma à
mon école. Je regardais les photos,
demandais aux francophones de
traduire… C’est ainsi que j’ai découvert des cinéastes comme
Satyajit Ray ou Ingmar Bergman,
dont les films n’auraient pas
passé la censure. J’ai, par exemple,
vu la célèbre scène d’automutilation de Cris et Chuchotements, de
Bergman… en photo dans les Cahiers. Une chance qu’ils n’aient
pas été censurés.
Le contexte n’était guère
encourageant…
Heureusement, je ne m’en rendais pas compte ! J’étais un rêveur,
je le suis encore. Mes camarades
allaient vers la télévision, je continuais de lire et imaginer les histoires que je voulais raconter. Grâce à
un professeur qui voyait que j’étais
le seul à ne pas travailler en studio,
je suis devenu secrétaire au département du cinéma du ministère
de la culture et de l’information,
notamment chargé d’attribuer
les subventions, ainsi que de la
censure. Le cinéma privé n’existait
pas… J’y ai rencontré beaucoup de
gens, et beaucoup appris sur le
fonctionnement institutionnel.
Arriviez-vous tout de même
à voir des films interdits par
la censure ?
Oui, grâce à une salle de cinéma
très particulière, Fan’s Land.
Son gérant avait rapporté de
l’étranger toutes sortes de films,
et comme il avait créé la salle en
collaboration avec les militaires,
la censure ne s’y appliquait pas.
J’ai pu y voir Adieu ma concubine,
Il était une fois dans l’Ouest, La Leçon de piano… des films chinois
censurés là-bas, et que les cadres
de l’ambassade de Chine venaient
voir à Hanoï !
Comment avez-vous finalement
trouvé le chemin de la réalisation ?
Après quelques années, je me
suis dit que je connaissais assez
bien le système pour parvenir à
créer quelque chose que j’aimais.
Ce n’était pas si simple. J’ai commencé par écrire un scénario,
Vertiges, qui a été très difficile à
financer : c’était une histoire intime, et la plupart des films financés avaient des sujets patriotiques… J’ai quitté le département,
et commencé à enseigner à l’université, où des collègues étrangers
m’ont expliqué comment obtenir
des financements internationaux
et en particulier français. Le Centre national du cinéma (CNC) a eu
un rôle fondamental dans ma
carrière et dans le développement
d’un cinéma indépendant au
Vietnam.
« Mékong Stories », plus encore
que « Bi, n’aie pas peur », est très
critique sur l’évolution sociétale
vietnamienne… Quels rapports
entretenez-vous aujourd’hui
avec la censure ?
Bi, n’aie pas peur avait été amputé de cinq minutes, de sorte que
même si la presse a beaucoup
parlé du film, les spectateurs n’ont
pas pu comprendre l’histoire, et le
film n’a pas été un succès… Quant
à Mékong Stories, on lui a retiré
une minute seulement. Mais à
l’heure actuelle, ce sont les exploitants qui hésitent à le sortir : le
public vietnamien s’est tellement
habitué à un cinéma de pur divertissement… Je ne corresponds pas
à leur cible. p
propos recueillis par
noémie luciani
culture | 17
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Une saga familiale
transméditerranéenne
Vincent (Victor
Ezenfis), Marie
(Natacha Régnier)
et Joseph (Fabrizio
Rongione).
A travers la fugue d’une mère, Fejria Deliba
brosse le portrait de deux générations
LES FILMS DU LOSANGE
D’UNE PIERRE
DEUX COUPS
ppvv
L’
Derrière le nom du père, un fils
Eugène Green raconte les troubles d’un adolescent
LE FILS DE JOSEPH
pppv
L
e cinéma d’Eugène Green
est foncièrement honnête. Que la situation soit
poétique ou triviale, il
laisse voir d’emblée les fortes particularités de son travail formel : le
goût du décor, des postures picturales, du beau français et des
liaisons si bien faites qu’elles semblent fort étranges aux oreilles et
aux langues paresseuses qui sont
les nôtres. Il ne faudra pas plus
d’une scène ou deux au novice
pour savoir s’il aimera les suivantes. Natacha Régnier, qui retrouve
le réalisateur douze ans après Le
Pont des arts, raconte comment
elle a découvert son travail, avec Le
Monde vivant : « D’abord, j’ai été
surprise par la forme, puis j’ai adoré
ce qu’il racontait à l’intérieur de
cette forme, ce qui s’y passait entre
les personnages et me touchait profondément. Je trouvais cela audacieux d’oser imposer sa singularité
comme cela. »
Les mots de l’actrice condensent
exactement ce qui fait la force et la
beauté du cinéma de Green : si raffinée qu’elle soit, si digne d’être admirée en elle-même, la forme y
reste constamment soumise à la
nécessité de faire sens, à échelle
humaine et à l’intérieur du monde
contemporain. Les mots, la diction, n’y sont pas une barrière
pour le spectateur, mais le mur
que les personnages ont érigé
pour eux-mêmes, chacun avec ses
raisons propres. Certains d’entre
eux s’appuient dessus, d’autres se
dissimulent derrière. Certains, en
parlant ainsi, prêtent à rire : ils
croient, avec de grands mots, s’inventer une stature. D’autres, avec
les mêmes mots, semblent grandir
en parlant. Le beau langage les
anoblit, parce qu’il est le garant
d’un engagement sérieux à vivre
une vie belle.
Si l’on tient compte du référentiel biblique sur lequel se construit, comme de coutume chez
Green, le découpage du film, le
« fils de Joseph » est d’abord « le fils
de Marie » – et d’elle seule, ce qui le
fait souffrir. Il s’agit de Vincent
(Victor Ezenfis), adolescent solitaire que ses camarades qualifient
de « bizarre » parce qu’il a mieux à
faire que torturer un rat. Vincent
est en colère. Chez lui, le langage
contrôlé est une violence, il semble mordre sur les mots pour les
remplir de toute son exigence. Il
n’a qu’eux pour construire son
identité. « Qui est mon père ? » lance-t-il à sa mère Marie (Natacha Régnier) – c’est peut-être la millième
fois qu’il le lui demande. Et cette
dernière de lui dire « Je te réponds
aujourd’hui comme toujours : tu
n’as pas de père. »
Les êtres libres changent
L’itération du « toujours » suggère
le régime propre à son langage :
contrôler cette réponse, c’est se
contrôler elle-même contre la tentation d’ouvrir, par un nom propre, la voie au désordre. Marie est
une passionnée sage : elle a cédé
une fois au désir d’aimer un
homme qui n’aurait pas fait un
bon père, a eu un enfant de cet
Foin de jeu
littéraire pour
les personnages
à prénom :
les mots les
entourent d’un
halo de beauté
homme, décidé d’élever son enfant sans cet homme. A tort ou à
raison, elle tient.
Dans Le Fils de Joseph, les prénoms ne sont pas exactement des
noms propres. Le père de Vincent
a un visage, celui de Mathieu Amalric, et un nom propre à la redondance dorée, Oscar Pormenor. Le
personnage est un éditeur parisien sûr de lui et sans morale, dont
on ne parierait pas facilement
qu’il a la fibre paternelle. Dans son
cercle pédant, d’autres noms propres. Violette Tréfouille (Maria de
Medeiros) : cela sonne n’importe
comment, et indique n’importe
quoi – on parierait bien sur un
« Tréfouillis » dont la dernière syllabe aurait au gré de l’évolution
phonétique muté en e muet, ou
peut-être sur « Tréfolle », tout
aussi opportun. De fait, Violette
est folle. Journaliste littéraire, elle
croit parler avec les morts, erre
d’une coupe de champagne à la
suivante, trouve que Proust n’est
plus ce qu’il était. Leurs noms propres disent tout de ce qu’ils sont.
Et ce qu’ils sont, bien que ce soit
très drôle dans le cas de Violette
Claudine Nougaret présente
Les Habitants
un film de
Tréfouille qui inspire à Eugène
Green des scènes absurdes délicieuses, n’est guère aimable. Eux
qui prétendaient peut-être un
temps servir les textes sont prisonniers d’eux-mêmes, de leur
nom, et des mots.
Seuls les personnages à prénom
ont droit à leur mystère. Foin de
jeu littéraire pour eux : les mots ne
leur volent rien, ils les protègent,
les entourent d’un halo de beauté.
Le prénom sans nom propre leur
laisse la liberté d’être et de changer. Marie ne s’appelle pas Marie
pour rien : elle a donné à la maternité le plus précieux d’elle-même.
Mais elle a été et reste aussi quelqu’un d’autre, que le film ne nous
montrera pas, et que l’on peine à
deviner – celle qui a pu s’éprendre
d’un Oscar Pormenor. Chez
Eugène Green, les êtres libres
changent, et changent toujours
bien, car ils font toujours le choix
de l’amour. Marie l’a fait, Vincent
le fera en s’accordant la liberté de
se choisir un père aimable, Joseph,
frère sans nom de famille d’Oscar
Pormenor. Si ceux-là parlent un
français élégant et continuent de
faire toutes ces liaisons que l’on ne
fait plus, ce n’est pas qu’ils sont prisonniers de la langue et des textes,
c’est qu’ils choisissent la beauté
comme ils choisissent l’amour – et
que la langue et le monde sont
plus beaux ainsi. p
noémie luciani
Film franco-belge d’Eugène Green.
Avec Victor Ezenfis, Natacha
Régnier, Fabrizio Rongione,
Mathieu Amalric… (1 h 55).
héroïne de D’une pierre
deux coups est une mère
de famille née en Afrique
du Nord, qui a mis au monde et
élevé ses enfants en France. Etant
donné le nombre de femmes qui
ont suivi ce parcours, on ne devrait
pas s’étonner de voir, quelques
mois après la sortie de Fatima, un
deuxième film construit autour
de cette figure. Mais si, on
s’étonne, parce que le cinéma français n’est pas très prodigue de nouveaux personnages. Ensuite, il faut
passer à autre chose, au film luimême, si différent de celui de Philippe Faucon. D’une pierre deux
coups est une comédie familiale
enjouée un peu désordonnée, là
où Fatima était un portrait intime
et rigoureux.
Septuagénaire, Zayane vit seule
dans l’appartement de banlieue
où ont grandi ses onze enfants. Au
début du film, elle reçoit une lettre
qui l’invite à venir chercher une
mystérieuse boîte laissée par son
ex-patron, un commerçant français qui a quitté l’Algérie à l’indépendance. Le temps de déchiffrer
la missive – elle lit à grand-peine –
la vieille dame abandonne la cité
dont elle n’était jamais sortie, et
part, seule d’abord, puis avec l’aide
d’une amie titulaire du permis de
conduire (Brigitte Roüan) à la recherche d’un lointain passé, du
temps de la colonie.
Repas de famille anarchique
Pendant ce temps, ses enfants
s’aperçoivent, les uns après les
autres, de la disparition de leur
mère. Leur inquiétude provoque
une réunion de famille qui fait se
croiser tous les chemins qu’ils ont
pris, professionnels, familiaux, religieux, géographiques.
Il y a beaucoup d’audace de la
part de Fejria Deliba à réunir dans
un même film le voyage dans le
temps de la mère et le pèlerinage
géographique des enfants, comme
pour dire tout du destin de deux
générations. Même s’il reste inabouti, le geste valait la peine d’être
tenté. Dans la voiture de son amie,
Zayane (Milouda Chaqiq, qui n’est
pas comédienne, mais a dit du
slam sous le pseudonyme de Tata
Milouda) se débat avec ses souvenirs de jeune femme, d’amoureuse, en un temps où elle n’avait
pas encore rencontré son mari, où
son pays natal était ravagé par la
guerre d’indépendance.
Son énergie
sauve le film, tout
en menaçant de
le faire exploser
à la manière
d’un autocuiseur
Dans l’appartement, les frères et
les sœurs se disputent les secrets
de la famille. Les uns voulant les
préserver à tout prix, les filles redoutant de découvrir à quel point
leur mère leur ressemble. Cette fratrie réunit des acteurs connus et
expérimentés (Zinedine Salem, Samir Guesmi), d’autres moins. Leur
réunion peut sonner un moment
comme une cacophonie qui fait
s’entrechoquer des façons et des
attitudes a priori incompatibles.
Elle devient bientôt un vrai repas
de famille, anarchique, instable,
spontané, qui éclaire (trop) brièvement le parcours de chacun et chacune. On frôle parfois l’énumération sociologique (de la docteure
en médecine au livreur, en passant
par le commerçant et l’entrepreneur ; de la belle-sœur convertie à
la coquette), mais les interprètes
débordent d’enthousiasme.
Cette énergie sauve le film, tout
en menaçant de le faire exploser, à
la manière d’un autocuiseur. Il y a
dans les discussions sur la conduite qu’une femme doit tenir en
société, sur sa tenue, sur les liens
avec le pays d’origine, de quoi remplir au moins une demi-douzaine
de scénarios (ou deux saisons
d’une série qui ne serait sans doute
jamais produite en France), un
trop-plein dont parfois la réalisatrice peine à se dépêtrer.
Heureusement, il y a l’autre versant du film, le voyage de Zayane,
qui tire le récit vers la gravité, vers
la colère même, incarnée par le
bref et juste accès de fureur qui saisit la vieille dame face à une autre
femme, qui elle aussi a quitté le
pays de son enfance. Il aurait fallu
un peu de temps (de projection sûrement, de tournage aussi sans
doute) pour que le film déploie
toutes ses possibilités. Leur seule
énumération suffit à donner envie
de mieux connaître ces personnages, de découvrir d’autres secrets
de famille. p
thomas sotinel
Film français de Fejria Deliba.
Avec Milouda Chaqiq, Zinedine
Soualem, Samir Guesmi,
Brigitte Roüan, Linda
Prévot Chaïb (1 h 23).
“UN PORTRAIT MALICIEUX
DE LA FRANCE”
OUEST FRANCE
“COCASSE ET DRÔLE”
LA PROVENCE
★★★★
★★★
STUDIO CINÉ LIVE
L’OBS
Musique originale Alexandre Desplat
RÉALISATION ET IMAGE : RAYMOND DEPARDON, PRODUCTION ET SON : CLAUDINE NOUGARET, MONTAGE : PAULINE GAILLARD,
MIXAGE : EMMANUEL CROSET, UNE COPRODUCTION : PALMERAIE ET DÉSERT – FRANCE 2 CINÉMA AVEC LA PARTICIPATION DE FRANCE TÉLÉVISIONS,
DE CINÉ+ ET AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION ILE-DE-FRANCE. ©PALMERAIE ET DÉSERT ET FRANCE 2 CINÉMA VISA N° 141760
AU CINÉMA LE 27 AVRIL
CONCEPTION GRAPHIQUE: ATALANTE-PARIS
Raymond Depardon
18 | télévisions
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Très chère diplomatie
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Le Quai d’Orsay entretient une certaine
opacité quant au coût de la représentation
française à l’étranger
FRANCE 3
MERCREDI 20 – 23 H 25
MAGAZINE
U
ne ambassadrice chargée de la piraterie maritime dans le monde ?
Pourquoi pas… Encore
faudrait-il qu’elle soit capable de
donner ne serait-ce qu’un chiffre
sur l’ampleur de ce phénomène.
Lorsqu’une journaliste du magazine « Pièces à conviction » lui demande le nombre d’actes de ce
genre dans le golfe de Guinée, à la
veille d’une réunion en Côte
d’Ivoire sur le sujet, elle est incapable de répondre ! Quand on la retrouve un peu plus tard, cette
même ambassadrice semble plus
préoccupée par l’horaire trop matinal d’un avion qu’elle devra
prendre pour un prochain rendezvous que du sujet qu’elle est censée traiter… Elle ne sera pas toujours en mesure de communiquer
un chiffre quand la journaliste lui
pose une question sur la criminalité en mer.
Troisième réseau au monde
L’équipe de « Pièces à conviction »
s’est penchée sur les coûts de
fonctionnement de notre représentation à l’étranger. Un travail
difficile quand on apprend que
même le rapporteur du budget du
Quai d’Orsay à l’Assemblée nationale ne parvient pas à obtenir le
détail de certains frais.
En France, il y a 25 ambassadeurs
thématiques chargés de suivre des
dossiers aussi variés que les pôles,
le développement de la cohésion
sociale ou encore la mobilité externe des cadres supérieurs…
Leurs missions sont floues pour
un montant également opaque.
Car la diplomatie française mène
grand train, même si, officiellement, l’heure est aux économies.
La France dispose du troisième
réseau d’ambassades à travers le
monde, derrière celui des EtatsUnis et de la Chine. Dans la République populaire, une nouvelle
ambassade vient d’être érigée en
plein Pékin. Le Quai d’Orsay a accepté d’entrouvrir les portes de ce
bâtiment flambant neuf qui est
présenté comme un modèle. Ici,
on fait attention à l’argent du contribuable. L’ambassadeur veille à
ce que chaque centime soit bien
dépensé, et que les entreprises
françaises puissent s’appuyer sur
ses services. L’activité des visas
(un million par an) est un centre
de profit.
Cependant, dans le reste du réseau des 161 ambassades, les deniers publics ne sont pas toujours
M E RCR E D I 20 AVR IL
TF1
20.55 Grey’s Anatomy
Série créée par Shonda Rhimes.
Avec Chandra Wilson, Ellen Pompeo
(EU, saison 11, ép. 15 et 16/24).
22.40 Night Shift
Série créée par Gabe Sachs et Jeff
Judah. Avec Eoin Macken, Brendan
Fehr (EU, S1, ép. 7 à 8/8).
France 2
20.55 Rose et le soldat
Téléfilm de Jean-Claude Flamand
Barny. Avec Zita Hanrot, Fred Testot,
Pascal Légitimus (Fr., 2014, 95 min).
22.35 Folie passagère
Animé par Frédéric Lopez.
Discours du président Hollande à La Semaine des ambassadeurs, à Paris, en 2015. FRANCE 3
utilisés de la même façon. L’enquête menée par les journalistes
de « Pièces à conviction » montre
d’abord que le Quai d’Orsay vit
dans une certaine opacité. Il est
vrai qu’il faut faire preuve de discrétion pour défendre les intérêts
de la France à travers le monde.
Pourtant, l’opacité est souvent un
prétexte pour que perdurent des
situations difficilement compréhensibles alors que l’Etat doit se
serrer la ceinture. Ainsi, dans le
documentaire, un représentant
du ministère juge normal de ne
existeraient pour diminuer les dépenses et les rendre plus efficaces.
Pourtant, leur mise en place tarde.
La diffusion de cette enquête
sera suivie d’un débat animé par
Patricia Loison, qui recevra JeanChristophe Rufin, ancien ambassadeur au Sénégal de 2007 à 2010,
et Alexandra Jousset, journaliste,
auteure de ce documentaire. p
pas détailler les indemnités de résidence aux diplomates expatriés
(qui peuvent atteindre plusieurs
dizaines de milliers d’euros par
mois) pour des raisons « stratégiques ». D’une manière générale,
les primes et les salaires exceptionnels versés aux diplomates
ne se font pas dans la plus grande
transparence.
Fermeture de certains consulats, rééquilibrage de la présence
française ou encore suppression
de certains services proposés aux
Français expatriés, des solutions
joël morio
Nos très chères ambassades,
d’Alexandra Jousset
(France, 2016, 70 min).
En 1942, à la Martinique, une jeune institutrice tente de rejoindre le camp des dissidents
I
nstitutrice dans un village de
pêcheurs martiniquais, Rose
se voit contrainte, en
mars 1942, d’abandonner son emploi pour obéir aux lois de Vichy
qui souhaitent renvoyer les femmes dans leur foyer. Pour gagner
sa vie – sous la coupe de l’amiral
Robert, haut-commissaire aux
Antilles, l’île est alors affamée par
le blocus britannique –, Rose accepte de faire le ménage chez un
jeune officier allemand gravement blessé et assigné à résidence.
Elle espère ainsi pouvoir l’espionner et le livrer aux jeunes rebelles qui tentent de fuir en bateau pour rejoindre la Résistance
et contribuer à libérer la France.
Dans le même temps, infiltrant
les rangs d’officiers pétainistes,
Rose va rencontrer le capitaine
Jacques Meyer (Fred Testot) dont
elle tombe amoureuse. L’histoire
ne sera évidemment pas simple
mais ne parviendra pas à ébranler
les convictions politiques de la
jeune femme.
Après la série sur l’histoire de
l’esclavage aux Antilles françaises « Tropiques amers » (diffusée
en 2007 sur France 3), le réalisateur Jean-Claude Barny et la productrice Elizabeth Arnac (Lizland
production) reviennent avec ce
téléfilm dont l’ambition est d’apporter une reconnaissance aux
4 000 Antillais qui se sont opposés au régime dictatorial et collaborationniste de l’amiral Robert
et n’ont pas bénéficié des honneurs accordés aux héros de la
métropole. Ecrit par Philippe
Bernard, avec l’aide des deux his-
Canal+
21.00 La Collection papillon
« Ils changent le monde : les sorciers
du portable »
Présenté par Daphné Roulier.
22.30 Enfant 44
Thriller de Daniel Espinosa.
Avec Tom Hardy, Noomi Rapace,
Joel Kinnaman, Gary Oldman
(EU-GB, 2015, 138 min).
France 5
20.45 Le Tombeau perdu
de Cléopâtre
Documentaire de Paul Olding
(All., 2015, 45 min).
22.25 C dans l’air
Magazine animé par Yves Calvi.
Rose, l’insoumise
FRANCE 2
MERCREDI 20 – 20 H 55
TÉLÉFILM
France 3
20.55 Le Monde de Jamy
« Dans la tête de nos animaux
préférés ». Documentaire
de François Ducroux, Bruno Bucher,
Stéphane Jobert (Fr., 2016, 115 min).
23.25 Pièces à conviction
« Nos très chères ambassades »,
d’Alexandra Jousset (Fr., 2016, 70 min)
Magazine animé par Patricia Loison.
toriens Gilbert Pago et Eric Jennings, Rose et le soldat fait le
choix de s’attacher à quelques
personnages
emblématiques
pour incarner les forces, les tensions et les enjeux en présence :
l’engagement des résistants, la
soumission des officiers au régime de Vichy qui ranime les
vieux réflexes esclavagistes, la dignité des pêcheurs qui tentent de
survivre sans courber l’échine
face aux vexations et suspicions
dont ils sont l’objet.
Soucieux de viser un large public, le réalisateur Jean-Claude
Barny n’évite pas toujours les facilités (accents mélodramatiques, répliques appuyées, éloquence des bons sentiments…)
qui, croit-on a priori, tendent à
servir ce but. Il n’en demeure pas
moins que Rose et le soldat, essentiellement porté par l’attachante Zita Hanrot, se laisse volontiers regarder. p
véronique cauhapé
Rose et le soldat, de Jean-Claude
Barny. Avec Zita Hanrot,
Fred Testot, Pascal Légitimus
(Fr., 2014, 95 min).
Arte
20.55 Jane Eyre
Drame de Cary Joji. Avec Mia
Wasikowska, Michael Fassbender
(GB-EU, 2011, 120 min).
22.55 Libre et biélorusse
Documentaire de Friedemann
Hottenbacher (All., 2015, 50 min).
M6
20.55 Superkids
Divertissement animé par Faustine
Bollaert et Stéphane Rotenberg.
23.15 Tout sur Jamel
Spectacle enregistré au Zénith
de Paris, en décembre 2012
(120 min).
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 16 - 094
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
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9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 093
HORIZONTALEMENT I. Thésauriseur. II. Rugissant. Ne. III. Arole. Ironie.
IV. NL. Oxalide. V. « Sun ». Uns. Onde. VI. Ibères. Clé. VII. Tête. Erra. At.
VIII. Ircam. Ie. Gui. IX. Ola. Irapuato. X. Numérisation.
VERTICALEMENT 1. Transition. 2. Hurluberlu. 3. Ego. Netcam. 4. Silo.
Réa. 5. Asexué. Mir. 6. US. Anse. Ri. 7. Rails. Rias. 8. INRI. Crêpa.
9. Stodola. Ut. 10. Néné. Gai. 11. Uni. Auto. 12. Réélection.
I. Fait ressortir de vieux souvenirs.
II. Augmente le stress et les larmes.
Epreuve pour le jeune loup. III. Evite
d’arrêter le travail en bout de chaîne.
L’air des poètes. IV. Rencontre pleine
de risques. Laissé sur place. En ligne.
V. Mis en tube au laboratoire.
Grecque. Centrale pour le monde enseignant. VI. Un peu de zeste. Gamin
lyonnais. Tuyau d’évacuation.
VII. Méprisable. Choisir de la fermer.
VIII. Encourage le spectacle. Région
des Balkans. IX. Crieras comme un
duc. Fournisseur pour artiste. X. Sans
rire ni plaisanter.
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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SUDOKU
N°16-094
VERTICALEMENT
1. Même galant, il faut l’organiser.
2. Réveille les sens. 3. Grimaces
pleine de dédain. Personnel. 4. En
met plein la vue. Mesuré au pied de
la Muraille. 5. Ailes armées de Russie.
N’était pas vache. Base de lancement.
6. Décorations en façade. Le premier
premier ministre de l’Inde indépendante. 7. Au cœur de l’atrium. Détestas au plus haut point. 8. Coup sur
le tatami. Mis à plat. 9. Prend son
repas à la source. Met in à un cycle.
10. Finement galbé. 11. Suive idèlement. La in d’un quatrain. 12. Firent
preuve d’un grand mépris.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
“Elles viennent du fond
des temps et de tous les
continents nous raconter
leur histoire.”
Un hors-série
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
Présidente :
Corinne Mrejen
PRINTED IN FRANCE
80, bd Auguste-Blanqui,
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L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
disparitions & carnet | 19
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Troyes.
Rolande Trempé
Ng Ectpgv
Xqu itcpfu fixfipgogpvu
Historienne
Pckuucpegu. dcrv‒ogu. octkcigu
Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu.
oguugu cppkxgtucktgu
Eqnnqswgu. eqphfitgpegu.
rqtvgu/qwxgtvgu. ukipcvwtgu
Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu
ont l’immense joie d’annoncer
la naissance du petit
Marius,
le 24 mars 2016, à 22 h 44,
aux Lilas, Paris,
A
quelques jours de ses
100 ans, l’historienne
Rolande Trempé, spécialiste du monde des
mineurs et des luttes ouvrières,
est morte à Paris le 12 avril.
Quand elle naît à Fontenailles
(Seine-et-Marne) le 31 mai 1916,
second enfant d’un ouvrier boulanger et d’une jeune repasseuse,
son père est au front. Il y disparaît
dans une offensive à Verdun le
19 juillet, à l’âge de 27 ans. La
fillette, qui vouera une vénération sans faille à ce père inconnu,
est confiée à ses grands-parents
maternels, en Brie, où son aïeule,
orpheline elle-même de la guerre
franco-prussienne, lui transmet
son antimilitarisme comme son
anticléricalisme.
Les bourses que reçoit la jeune
pupille de la Nation l’orientent,
brevet supérieur en poche, vers
l’Ecole normale d’institutrices
(1936), puis le concours de professeur des écoles primaires supérieures. Reçue, elle demande son
affectation en Algérie. Nommée à
Constantine, elle doit renoncer au
départ, la déclaration de guerre en
septembre 1939 la dissuadant de
s’éloigner de sa mère. Elle débarque ainsi, au volant de sa Ford –
éprise de vitesse, cette sportive se
rêvait aviatrice – à Charleville-Mézières, où son énergie et ses talents oratoires font sensation.
C’est bientôt la défaite, et l’exode.
Evacuée vers l’Ouest, elle assiste,
à Nantes, à un défilé allemand et
décide d’entrer en résistance. En
esprit pour l’instant. De retour
à Charleville en 1942, elle opte
pour l’activisme, adhère au Parti
communiste français, rejoint en
tant qu’agent de liaison les francstireurs et partisans, sillonnant la
région à vélo. A la Libération, tandis qu’elle participe à la fondation
de l’Union des femmes françaises
qui milite pour la défense des
droits des femmes, Rolande
Trempé se présente aux élections
municipales, le premier scrutin
ouvert aux femmes, mais le PCF
qui se sert de sa popularité se méfie toutefois de son irréductible insoumission, la dénigre et l’écarte
finalement. Furieuse, elle quitte
toutes ses responsabilités, jusqu’à
la région où elle a tant œuvré.
« La vieille pétroleuse » de 1968
Arrivée à Toulouse en 1947 pour y
enseigner la pédagogie, elle y
renoue avec l’histoire, sous la
direction de Jacques Godechot,
qu’elle rencontre en 1952. Un choc
humain, doublé par la découverte
de Jean Jaurès, qui va marquer son
engagement intellectuel. Un
fonds d’archives sur les mineurs
de Carmaux, surabondant, décide
Elise LHOMEAU,
Nicolas GIULIANI.
Niki,
31 MAI 1916 Naissance à
Fontenailles (Seine-et-Marne)
1969 Soutenance de
sa thèse « Les Mineurs
de Carmaux 1848-1914 »
1970 À 1983 Professeure
à Toulouse-Le Mirail
2005 Sortie du film
« Résistantes, de l’ombre
à la lumière »
12 AVRIL 2016 Mort à Paris
du sujet de sa thèse d’histoire
sociale. Le domaine comme la discipline sont encore peu explorés,
et Rolande Trempé y rejoint
d’autres pionnières : Madeleine
Rebérioux, Annie Kriegel ou
Michelle Perrot.
Elle est encore de la partie quand
naît en 1960 la revue Le Mouvement social sous la houlette de
Jean Maitron, qui fit entrer l’histoire ouvrière à l’université. Assistante à la faculté des lettres de
Toulouse dès 1964, elle s’apprête à
soutenir sa thèse quand le mouvement étudiant au printemps 1968
retarde l’échéance. Si elle porte
« un regard sans illusions » sur une
contestation trop peu politique à
son goût, celle que les étudiants
baptisent « la vieille pétroleuse »
rejoint finalement leurs rangs.
En juin 1969, elle est recrutée
par Jacques Godechot et Philippe
Wolff pour enseigner à l’université Toulouse-Le Mirail, où elle renouvelle avec Rémy Pech, jeune
assistant qui partage ses vues,
les pratiques pédagogiques, associant les étudiants à la construction des cours, dialoguant et débattant, proposant des visites de
sites industriels pour donner aux
étudiants un aperçu des réalités
de la condition ouvrière. Dans la
même optique, elle est l’une des
premières à préconiser l’utilisation de la vidéo et du témoignage
filmé à des fins historiques, préservant ainsi et diffusant la mémoire des humbles.
Si elle se défend d’être féministe,
Rolande Trempé s’attache à faire
reconnaître la place des femmes,
choisissant l’ampleur des enjeux
sociaux contre les querelles de
chapelle ou de clans. De cafés-histoire en cours d’éducation populaire, la nouvelle retraitée croise
les perspectives pour évoquer le
monde du travail ou la Résistance
au féminin. La rigueur de sa démarche, la constance de ses options, un goût pour l’insoumission et une liberté frondeuse ont
fait de cette femme généreuse un
modèle d’énergie et d’indépendance pour celles et ceux qui l’approchèrent. p
philippe-jean catinchi
Mme Titia Houplain,
son épouse,
Ses enfants
Et toute sa famille,
ont l’immense chagrin de faire part
du décès de
M. Bernard DUBOIS,
chevalier de la Légion d’honneur,
ancien délégué général
de la Fondation Hôpitaux
de Paris-Hôpitaux de France,
Une cérémonie d’hommage civil aura
lieu le jeudi 21 avril, à 10 heures, en la
Maison funéraire de Montreuil, 32, avenue
Jean-Moulin, où l’on se réunira.
Elle sera suivie de l’inhumation au
cimetière Ancien de Romainville,
rue Paul-de-Kock.
Famille Dubois,
60, rue Saint-Germain,
93230 Romainville.
David VRANKEN
et Louise LABIB
Nina,
chez
survenu le 7 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
survenu le samedi 16 avril 2016,
à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Jean LABIB
et Catherine LAMOUR
ont la très grande joie d’annoncer
les naissances de
et de
ENS de Fontenay-aux-Roses,
1943-1946,
professeure retraitée
de l’université de Reims,
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements.
GIULIANI, HOPPSTOCK,
LHOMEAU,
les grands-parents,
chez
Mme Andrée DENIS,
ectpgvBorwdnkekvg0ht
Naissances
PATRICK DUMAS/LABEX SMS
font part du décès de
Rqwt vqwvg kphqtocvkqp <
AU CARNET DU «MONDE»
En novembre 2012.
Les familles Nunes et Thierry
Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité
familiale, le mercredi 13 avril.
23 79 4: 4: 4:
23 79 4: 43 58
ils de
La Fondation Entraide Hostater
Paolo SARNO
et Jeanne LABIB.
Décès
Mme Valentina Badiali,
son épouse,
Nadya Hristova,
sa belle-ille,
Jean-Paul et Bernard Barjot,
ses frères
Ainsi que tous ses amis,
ont la douleur de faire part du décès de
M. Jean-Pierre BADIALI,
directeur de recherche au CNRS,
survenu le 15 avril 2016,
dans sa soixante-quinzième année.
La cérémonie civile se tiendra ce mardi
19 avril, à 16 heures, au cimetière de
Montmartre, Paris 18e.
[email protected]
35, avenue du Général-de-Gaulle,
Résidence Clos d’Alençon, D6,
91140 Villebon-sur-Yvette.
Gérard Cahn,
son mari,
Jean-Yves Cahn,
son ils et sa belle-ille Brigitte,
Thierry Cahn,
son ils et sa belle-ille Christine,
Julien et Polina, Simon et Marie,
Juliette, Fanny, Nathan,
Sacha et Cosmo,
ses petits et arrière-petits-enfants,
Alain et Jean-Marc,
ses frères,
Colette et Chantal Cahn,
Marion Wormser,
ses belles-sœurs
Ainsi que toute la famille,
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Gérard CAHN,
née Annie WORMSER.
L’enterrement aura lieu au cimetière
israélite, rue du Ladhof, à Colmar,
ce mardi 19 avril 2016, à 14 heures.
Ni leurs ni couronnes.
19, rue du Premier-Cuirassiers,
68000 Colmar.
M. Jacques Chirac,
ancien président
de la République Française
Et Mme Jacques Chirac,
M. et Mme Frédéric Salat-Baroux,
M. Martin Rey Chirac,
ont la grande douleur de faire part du décès
de
Laurence CHIRAC,
survenu à Paris, le jeudi 14 avril 2016.
La cérémonie religieuse a eu lieu
en la chapelle de Jésus Enfant, de la
basilique de Sainte-Clotilde, Paris 7 e,
dans l’intimité familiale.
(Le Monde du 16 avril.)
Francis Cimier,
Maurice et Christiane ChancelFribourg,
Jean-Serge Valla
et ses enfants et petits-enfants,
Bernard et Monique Fribourg
et leurs enfants et petits-enfants,
Toute sa famille,
Ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès,
à Paris, le jeudi 14 avril 2016, de
Sugeeta-Chantal
FRIBOURG,
La cérémonie d’adieu aura lieu
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20 e, le jeudi 21 avril,
à 14 h 30, suivie de l’incinération.
Ils rappellent à votre souvenir sa sœur,
Josette.
C’est avec une ininie tristesse que nous
avons appris le décès de
Anne-Marie LUCCIONI,
directrice des Programmes Eurodoc,
DOC Med, Produire en Région
et Eurodoc Executives,
une personnalité irremplaçable dans
le documentaire en Europe et dans
le monde.
Pendant des décennies, elle a nourri
notre engagement pour le documentaire
et a contribué à son épanouissement
international. Avec élégance et
persévérance, elle nous a incités à faire
vivre un cinéma documentaire humaniste,
et à partager notre courage pour des ilms
inouïs, engagés, humains.
Son regard, son esprit, sa douceur et sa
force, et son amour pour le documentaire
nous manquent déjà.
Les produc(teurs)trices indépendants,
chargé(e)s de programme des télévisions
publiques internationaux qui ont eu
la chance de participer à ses programmes
et de travailler avec elle,
Massimo Arvat (Turin),
Erkki Astala (Helsinki),
Paolo Benzi (Naples),
Matthieu Belghiti, Jacques Bidou,
Xavier Carniaux, Juliette Cazanave,
Denis Freyd (Paris),
Mohammed Belhaj,
Jean-Marie Bertineau (Bègles),
Alexandre Cornu (Marseille),
Melina Chosson (Montpellier),
Luis Correa (Lisbonne),
Heino Deckert, (Leipzig),
Patricia et Thierry Garrel (Vancouver),
Alessandro Gropplero,
Anita Hugi (Zurich),
Doris Hepp, Susanne Mertens,
Martin Pieper (Mayence),
Serge Lalou (Montpellier),
Fleur Knopperts
et Denis Vaslin (Rotterdam),
Thomas Kufus (Berlin),
Anne-Laure Negrin (Strasbourg),
Astrid Ohlsen (Stockholm),
Carl-Ludwig Rettinger,
Sabine Rollberg (Cologne),
Isabelle Truc (La Hulpe),
Joan Ubeda (Barcelone),
Clara Vuillermoz (Nantes),
Ralph Wieser (Vienne)
Et tous ceux qui se joignent à notre
tristesse.
a la grande tristesse de faire part du décès
de
Janine LEVAIN,
survenu le 9 avril 2016.
Administratrice de la Fondation dès
sa création en 1979, jusqu’en 2009, Janine
Levain était encore ces derniers temps
un membre très actif de la commission
des bourses d’études.
Mme Pierre Vandevoorde,
née Aliette Couder,
son épouse,
Mathilde et Gilles Courtois,
Marie-Adélaïde et Andreas Nielen,
ses enfants,
Joseph, Léontine, Victoire, Pierre-Eloi,
Octavie, Marguerite, Blanche et Jean,
ses petits-enfants,
Toute la famille,
Pierre, Christine, Jean-Pierre, Olivier,
Stéphane et Françoise,
ses illeuls,
Son dynamisme, son intelligence
des situations, sa bienveillance vont
manquer aux membres de la Fondation,
à tous ses amis et aux étudiants qui
motivaient son engagement.
ont la tristesse de faire part du décès,
survenu dans sa quatre-vingt-troisième
année, de
On se souviendra d’une femme de
convictions attentive et généreuse.
ancien élève de l’ENS Ulm,
agrégé d’histoire,
poète,
Simone Monestier, née Lacotte,
son épouse,
Jean Monestier,
Le docteur Danièle Monestier Carlus
et le docteur Francis Carlus,
Michèle Monestier
et Roland Matutini (†),
Elisabeth Monestier
et Jean Paul Cazal,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Louis MONESTIER,
ancien maire de Prades,
survenu le 10 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.
Les obsèques ont été célébrées le jeudi
14 avril, en l’église Saint-Pierre de Prades
(Pyrénées-Orientales).
Agrégé d’histoire et de géographie,
Louis Monestier fut maire de Prades,
pendant trois mandats, à partir de 1959.
Ecrivain, il publia son premier roman
en 1949.
Cinéphile averti, il créa le premier Cinéclub de Prades et fut à l’origine du festival
de cinéma qui contribue, depuis bientôt
soixante ans, à porter haut les couleurs de
la ville.
Mélomane, il assura la pérennisation
du festival Pablo Casals, quand le maître
se retira à Porto Rico.
Enin il fut rédacteur en chef de la revue
La France, pendant plus de dix ans.
[email protected]
[email protected]
Michelle Roux,
son épouse,
Christine King,
Sylvie et Frédéric Gohl,
François Roux et Claire Girard,
Jean-Michel et Valérie Roux-Formond,
ses enfants et leurs conjoints,
Ses petits-enfants
Et arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès,
le 16 avril 2016, de
Georges ROUX,
général de division,
grand oficier
de la Légion d’honneur.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 21 avril, à 10 heures, en l’église
de Saint-Eloy-les-Mines (Puy-de-Dôme).
Elle sera suivie de l’inhumation au
cimetière de cette même commune.
La famille sera reconnaissante de don
à l’association : Les Amis du Petit Câlin.
Marc Desvignes et Delphine Fortier,
Sophie et Xavier Roquel,
Eric et Anna Delalande,
ses enfants et leurs conjoints,
Philippe, Claire, Emma,
Alessandro et Louis,
ses petits-enfants,
Martine Sobel,
sa sœur,
Jean-Louis Sicard et Dominique,
son frère et sa belle-sœur,
Sa famille
Et ses amis,
ont la grande tristesse de faire part
du décès du
docteur Claudine SICARD,
survenu à Paris, le 13 avril 2016.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 21 avril, à 10 h 30, en l’église
Saint-Thomas-d’Aquin, Paris 7e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
7, rue Sédillot,
75007 Paris.
Pierre VANDEVOORDE,
ancien maître de conférence
à la Faculté des Lettres de Toulouse,
inspecteur d’académie honoraire
de la Lozère et du Pas-de-Calais,
ancien directeur
des personnels enseignants
du ministère de l’Education nationale,
ancien directeur du Livre
au ministère de la Culture,
ancien président
du Centre national des lettres,
doyen honoraire de l’Inspection générale
établissements et vie scolaire
de l’Education nationale,
président fondateur de l’AFLEC,
président honoraire
du CA collège Sévigné,
maire honoraire
de Saint-Clément-de-Régnat,
de 1971 à 2001,
ancien combattant d’AFN,
oficier de la Légion d’honneur,
chevalier
de l’ordre national du Mérite,
commandeur
dans l’ordre des Palmes académiques,
commandeur
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
oficier
dans l’ordre du Mérite agricole.
La cérémonie religieuse aura lieu
le lundi 18 avril 2016, à 15 heures, en
l’église de Saint-Clément-de-Régnat,
suivie de l’inhumation dans le caveau
de famille.
Aliette Vandevoorde,
Le Presbytère,
4, route de Bussières,
63310 Saint-Clément-de-Régnat.
Anniversaire de décès
Il y a deux ans, le 20 avril 2014,
disparaissait
Jacques ZAJDERMANN.
Sa famille,
Ses amis,
pensent à lui.
« Il est quelque chose plus fort
que la mort,
c’est la présence des absents
dans la mémoire des vivants. »
Communications diverses
Le Consistoire
souhaite de bonnes fêtes de Pessah 5776
à toute la Communauté.
Les informations et la liste des produits
cacher pour Pessah
sont sur www.consistoire.org
ou sur l’application Consistoire
(Iphone ou Androïd).
Institut universitaire Elie Wiesel cycles de cours : 2 mai 2016 à 15 heures,
« Réhumaniser l’histoire de la Shoah :
un acte de résistance ? », par Fabienne
Regard (4 séances) - 3 mai, à 15 h 30,
« Le monde de la Bible, l’aventure de la
chair », par Jérôme Bénarroch ( 6 séances)
- 3 mai, à 17 h 15, « Le monde du Talmud :
doctrine de la filiation », par Jérôme
Bénarrroch (6 séances) - 4 mai, à 17 heures
« L’intellectuel juif, figure ambigüe de
la culture occidentale ? », par Carlos Levy
(4 séances) - 10 mai, à 18 h 30, « Du
terrorisme aux terrorismes », par Alain
Bauer (3 séances) - Antenne Val-deMarne, 4 mai, à 19 h 30 « Rois et tyrans de
la Bible », par Franklin Rausky (5 séances),
- Antenne Ouest-parisien, 2 mai, à 18 h 30
« Histoire du peuple d’Israël - entre
mythes, idéologies et certitudes », par
Michel Abitbol (4 séances).
Inscriptions à l’avance :
119, rue La Fayette,
75010 Paris.
Tél. : 01 53 20 52 61.
www.instituteliewiesel.com
[email protected]
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20 | décryptage
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Le départ mouvementé du philosophe, insulté et pris à partie après avoir
assisté à une assemblée générale place de la République, questionne
les pratiques démocratiques d’un mouvement fortement médiatisé
Nuit debout, le tournant Finkielkraut ?
Un incident mineur ne doit pas
discréditer ce bel élan politique
Ne retombons pas dans
les dérives sectaires de Mai 68 !
Même si les insultes sont
condamnables, l’hostilité
aux idées réactionnaires de
l’essayiste est compréhensible.
Cette altercation est une
aubaine pour tous ceux
qui observent avec méfiance
ces rassemblements novateurs
On ne peut pas vouloir
réinventer la démocratie
et rejeter toute voix discordante.
N’oublions pas nos erreurs
passées
Par CAROLINE DE HAAS
A
lain Finkielkraut a assisté ce week-end
[le 16 avri] à une assemblée générale de
Nuit debout et s’est éloigné du rassemblement après un temps assez long. Il a alors été
pris à partie et insulté par des individus. Breaking news. Sortons le bandeau spécial sur
BFM-TV, le direct, le duplex et tout le tralala.
Alain Finkielkraut se fait enguirlander lorsqu’il
marche dans la rue. Ça, c’est une info. Une vraie.
Qui mérite, c’est clair, la réaction de non pas un
mais de plusieurs membres du gouvernement.
Cela mérite au moins un édito de type « Je suis
choqué » dans Libération. Et les commentaires,
tweets et autres petites phrases d’une foule
d’éditorialistes, intellectuels et commentateurs
qui choisissent des mots tout à fait adaptés
pour décrire la situation : fascisme, pogroms,
totalitarisme. Le point Godwin atteint en moins
de quarante-cinq secondes. Un record.
Quatre ou cinq personnes ont donc insulté
Alain Finkielkraut en marge d’une assemblée
générale de Nuit debout. Est-ce bien d’insulter
des gens ? Certainement pas. L’insulte est
l’arme des faibles à court d’arguments. On
pourrait d’ailleurs le rappeler au principal intéressé de cette aventure, qui se répand sur les plateaux télé pour déverser sa haine des autres,
d’une France diverse et dans laquelle nous essayons, sans forcément y arriver d’ailleurs, de
faire avancer l’égalité. Au passage, on notera que
lorsque Alain Finkielkraut nous insulte dans les
médias, il n’y a pas grand monde pour lui faire
remarquer que cela ne se fait pas.
Mais que se passe-t-il dans notre société pour
que, lorsqu’un polémiste réactionnaire, vulgaire, aux relents xénophobes, se fait insulter
dans la rue, nous traitions cela comme une information majeure et déterminante pour la vie
politique et citoyenne française ? Peut-être n’y
avait-il aucune autre information intéressante
ce jour-là. Entre la destitution de Dilma Rousseff, la Syrie, les élections aux Etats-Unis, la situation en Grèce, les débats autour de 2017 en
France, les chiffres du chômage, on aurait
pourtant eu une foule de choses intéressantes
à raconter.
UN MOUVEMENT QUI DÉRANGE
Ce n’est donc pas cela qui explique l’emballement. Alors je formule une hypothèse. Peut-être
qu’au final, cette histoire arrange beaucoup de
monde. En tout cas, toutes celles et ceux qui, depuis trois semaines, regardent d’un œil inquiet
les rassemblements Nuit debout et n’attendaient que ça. Ils et elles ont – enfin ! – trouvé
l’occasion de dire tout le mal qu’ils pensaient de
Nuit debout. L’histoire n’est pas vraiment celle
qu’ils racontent ? Ce n’est pas grave. Alain Finkielkraut n’a pas été viré de l’AG de Nuit debout
sous les huées ? Peu importe.
Parce qu’au fond, je ne suis pas certaine que
quelqu’un en ait quelque chose à cirer que Finkielkraut échange des noms d’oiseaux avec quatre ou cinq individus sur la place de la République. Par contre, que cela permette de remettre à
leur place tous ces idéalistes qui veulent transformer ce monde, ça, c’est intéressant. Nuit debout est insaisissable, dérange, interpelle, sort
des codes et des cases habituelles. Et nous
n’aimons pas ça. Ce mouvement, qui n’aimerait
sans doute pas être qualifié comme cela, nous
met le nez dans nos propres contradictions, nos
difficultés, notre incapacité collective à construire une alternative au monde qu’on nous impose aujourd’hui.
Je suis passée plusieurs fois à Nuit debout. J’ai
rencontré de l’envie de faire, de comprendre, de
se saisir ensemble de nos vies et de notre avenir.
A titre personnel, j’y ai rencontré de la bienveillance, beaucoup. De temps en temps, de la
méfiance. Parfois, aussi, des désaccords. Le patron des socialistes lui-même et une ministre
ont tous deux raconté leur déambulation place
de la République, sans que personne ne les ait
invectivés. Les responsables des principales forces politiques de gauche sont venus saluer Nuit
debout et n’ont rencontré que des sourires, parfois distants, des questions et, au pire, du désintérêt. Jamais de haine ou d’invective.
Finkielkraut, en spécialiste de la provocation
et de l’invective, a voulu faire un coup. Et tout le
monde s’est engouffré dans la brèche. On peut
l’applaudir. La machine a marché à plein régime. Provocation du « philo-réacosophe »,
montée en mayonnaise immédiate des médias,
occupation de l’espace pendant trois jours pour
raconter à quel point tous ces jeunes gens sont
très méchants et irresponsables.
Le plus triste ? C’est que si par malheur ce petit
monde réussit sa vaste entreprise de découragement, nous l’entendrons à nouveau se lamenter
pendant une décennie de cette jeunesse qui ne
s’engage pas, qui ne rêve plus, passe son temps à
jouer aux jeux vidéo et vote Front national. En
langage Twitter, on dirait : « #fatigue ». Ou
alors : « #Onvautmieuxqueça ». p
¶
Caroline De Haas, militante féministe, a été
à l’initiative de la pétition « Loi travail, non merci »
Par ROMAIN GOUPIL
S
e découvre sur la place de la République
pour une jeune génération le plaisir de se
retrouver, de se parler et de s’écouter. Du
coup, la façon dont Alain Finkielkraut a été interpellé, chassé, expulsé et insulté est la négation de toutes les aspirations proclamées du
mouvement ZAD (« zone à débats »).
Lors d’assemblées générales, un vote à la majorité écrasante de 80 % fait et défait la politique. Souhaiter la paix à 100 %… La fin de l’horreur économique, 100 %. La condamnation des
violences policières, 99 %. Une meilleure éducation, 107 %… C’est une assemblée qui peut toujours remettre en cause le vote du jour précédent, c’est ouvert, hypradémocratique, non
contrôlé et revendiqué comme incontrôlable.
Alain Finkielkraut venait observer, écouter, se
rendre compte. La façon dont il a été reconnu et
repoussé est l’illustration contraire des aspirations du mouvement. Sinon il leur faut installer
des caméras à reconnaissance faciale pour éviter tout éventuel contradicteur ou sceptique. Sinon il faut un service d’ordre armé d’autres matraques que les cannes à selfies pour chasser
l’ennemi de la classe, ou s’emparer de « Finki »,
De toutes les couleurs | par serguei
lui mettre une pancarte de « Causeur » au cou et
le convoquer devant les masses de « merci patron » pour en faire un procès édifiant. Je suis
abattu, dégoûté par les insultes adressées, les
crachats envoyés…
Mais… mais, et c’est le paradoxe qui m’interpelle. Je sais l’ignominie de l’intolérance, des pogroms, de la loi de Lynch, de la foule amoureuse
des raccourcis simplistes. Je me souviens de Mai
68, de l’occupation des lycées, des facs et des usines. Je me souviens des bonnets d’âne, des moqueries et des menaces contre les mandarins,
les profs et les suppôts de l’ordre moral. Je me
souviens des idéaux de mon groupuscule d’extrême gauche (JCR), de mes discours. J’avais
pour but comme leader d’éviter toute possibilité d’expression des autres groupuscules, d’éliminer toute parole qui n’émanait pas de notre
analyse « juste », de « La Vérité ». Bagarres très
violentes contre les maoïstes qui tenaient meeting à la Mutualité sous les portraits de Staline
et de Mao. Bagarres sanglantes contre l’AJS,
sous-groupe trotskiste aux vues différentes sur
l’Amérique latine, Cuba et la IVe Internationale.
TÉMOIN ET COUPABLE
Interdiction de parole des JC (Jeunesses communistes) dans les bahuts. Cogne systématique
aux manifs contre la CGT et les gros bras du PCF.
Je ridiculisais les hésitants, les neutres, les
mous, les socio-traîtres et surtout les staliniens.
Nous étions l’avant-garde, nous détenions l’avenir de l’humanité, il suffisait d’organiser la
grève générale pour qu’elle devienne insurrectionnelle et que l’on s’empare du pouvoir pour
instaurer la dictature du prolétariat et la victoire
de la classe ouvrière. Tout le pouvoir aux Soviets !!! Donc tous ceux qui se mettaient en travers de notre chemin devaient plier. Tous ceux
qui émettaient un doute étaient injuriés
comme traîtres à la classe ouvrière.
Je me souviens des insultes en 1968 contre
Jean Vilar = Salazar en Avignon, des hurlements
à l’Odéon contre Jean-Louis Barrault « valet du
théâtre bourgeois », les crachats contre Aragon
devant la Sorbonne. Les menaces contre les
chiens de garde du Grand Capital, j’en ai été le témoin et le coupable. Je sais, mais si les jeunes
écoutaient les vieux qui ont l’expérience et la
raison, alors ça deviendrait des vieux jeunes qui
ne hurleraient que pour leurs futures retraites
et la protection de leur emploi de fonctionnaires de souche.
Un môme, moi en 1968, s’opposait systématiquement et de manière hyperviolente aux
vieux (profs, parents, PC, CGT, écrivains…) qui
étaient comptables d’un monde que je voulais
renverser. Je n’avais pas confiance et j’avais raison. Ils – les vieux – n’avaient pas confiance
dans mes diatribes de bolchevik déchaîné pour
un Homme nouveau. Mes utopies purificatrices et sanglantes à l’image des gardes rouges et
des Khmers rouges. Et… ils avaient raison de me
mettre en garde. C’est eux qui ont évité que je
me radicalise à l’image du terrorisme des Brigades rouges, de la bande à Baader et de l’Armée
rouge japonaise… J’avais raison de les insulter,
ils avaient raison d’essayer de me raisonner.
Heureusement qu’il y a eu Grimaud (préfet de
police), Edgar Morin, Alain Touraine, Georges
Pompidou et mon père. C’est une liberté incroyable que d’être en désaccord, de pouvoir opposer nos arguments, nos attitudes, nos écrits,
nos pensées, sans redouter la prison, l’expulsion, le bannissement ou la pendaison.
Donc, je dis à mes amis les agitateurs de
mains : « Invitez Alain, laissez-lui cinq minutes
et votez à 100 % contre ce qu’il vous aura exposé… Cela vous rassurera sur votre pureté idéologique. » Allez, c’était une grosse connerie, superdésagréable, de le menacer. Je veux bien continuer à faire semblant qu’il n’y a pas de « direction du mouvement », mais je sais
pertinemment par vieille expérience que c’est
faux et manipulatoire. La « direction » est contre « toute direction » pour mieux conserver la
« bonne » direction. p
¶
Romain Goupil est cinéaste
décryptage | 21
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Giscard, Chirac, Sarkozy, Hollande et Jean-Louis Debré
Le livre
L
e journal tenu par Jean-Louis Debré,
71 ans, durant les neuf années qu’il a
passées à la tête du Conseil constitutionnel entre 2007 et 2016, ne se résume pas à cette période de sa vie. Il raconte
aussi la passionnante histoire d’une famille
juive qui se mêle intimement à celle de la République française. Quand Anschel Moïse, devenu Anselme Debré en 1808, s’installe en Alsace, il ne peut imaginer le rayonnement intellectuel et spirituel que connaîtra le rabbin Simon Debré, son petit-fils. « En mettant de
l’ordre dans mes affaires, j’ai retrouvé les ouvrages de votre arrière-grand-père, je tiens beaucoup à ces livres mais je vais vous les donner »,
dit un jour un vieil homme à Jean-Louis Debré,
qui roulait à vélo rue de Rivoli. Cet anonyme déposa le colis au Conseil constitutionnel.
Le rabbin Simon, lui, ne pouvait deviner que
son petit-fils Michel écrirait la Constitution
française de 1958, dont l’article premier célèbre
la République laïque. Mort en 1939, il lui fut
épargné de porter l’étoile jaune, de se cacher
dans son propre pays. Qu’aurait-il dit de voir
son arrière-petit-fils Jean-Louis devenir,
en 1978, le chef de cabinet d’un certain Maurice
Papon, qui organisa le départ à Auschwitz de
plus de 1 600 juifs ? Gageons pourtant qu’il
aurait été fier de le voir présider deux institu-
tions essentielles de la démocratie, l’Assemblée
nationale puis le Conseil constitutionnel, en y
gagnant l’estime de ses pairs sans céder sur ce
qu’il estimait juste et fondé en droit. La dynastie compte aussi un grand pédiatre, Robert Debré, un homme politique, Bernard Debré, le jumeau de Jean-Louis, qui entretient avec lui des
relations aussi gracieuses que celles de Caïn et
Abel, et de jeunes générations qui prospèrent.
Mais c’est évidemment pour ce que JeanLouis Debré a observé de la vie politique depuis
son poste du Palais Royal – le quinquennat de
Nicolas Sarkozy et les trois quarts de celui de
François Hollande – que son livre sera attentivement lu. Quatre portraits de présidents de la
Ve République se dessinent sous sa plume, souvent moqueuse.
Jacques Chirac y tient le premier rang, en affection et en proximité. Tant de souvenirs les
lient, comme cette campagne de 1995, dont les
réminiscences s’effacent chez l’ancien président, qui peine à évoquer Edouard Balladur.
Debré en a gardé une mémoire très vive et
s’emploie à rafraîchir celle de Chirac, en présence de son mémorialiste, Jean-Luc Barré. A ce
moment-là, « retourner à l’abreuvoir » n’est pas
sa priorité. Quel amusement, en revanche,
d’emmener Jean-Louis à Nikky Beach, à SaintTropez, où virevoltent des serveuses aux seins
nus ! S’il n’y avait Bernadette. Au moment de la
photo avec les jeunes femmes, celle-ci exige de
Debré qu’il se place entre elles et son mari,
comme une barrière de sécurité.
Le Japon danse
sur un volcan atomique
Le gouvernement nippon
n’a pas décidé d’arrêter
le fonctionnement
de la centrale nucléaire
de Sendai, sise à proximité
des zones de failles
sismiques. Et réveille ainsi
le terrible traumatisme
de Fukushima, en 2011
Par CÉCILE ASANUMA-BRICE
A
Kumamoto (préfecture située dans le
sud du Japon), secouée par des séismes importants depuis quelques
jours, le gouvernement japonais joue un bras
de fer bien risqué avec les éléments naturels et
ceux qui le sont moins. Le choix de maintenir
en activité la centrale nucléaire de Sendai, à
140 km de là, suscite la colère des Japonais. La
centrale nucléaire de Sendai se trouve en effet
dans le département de Kagoshima, dans le
sud-ouest du département de Kumamoto.
Cette centrale, composée de deux réacteurs, est la seule à avoir été redémarrée sur
le territoire japonais, en août 2015, depuis le
séisme accompagné d’un tsunami qui avait
provoqué la fonte des cœurs de trois des six
réacteurs de la centrale nucléaire de
Fukushima Daiichi, en mars 2011. La centrale
de Sendai, bien que construite en 1984, aurait
été remise aux normes après le drame nucléaire du Tohoku. Cette fois, l’enjeu pour le
gouvernement japonais serait de montrer
que les nouvelles normes sont viables et permettent de résister aux plus forts séismes,
redonnant un élan à la politique de redémarrage des centrales nucléaires, qui rencontre
de fortes oppositions dans le pays.
ARROGANCE
En quatre jours, la préfecture de Kumamoto a
subi pas moins de 410 secousses sismiques,
dont trois tremblements de terre principaux,
les jeudi 14, vendredi 15 et samedi 16 avril. Ces
secousses sont d’intensité croissante, leur
magnitude allant de 6,5 à 7,3 sur l’échelle de
Richter (qui va jusqu’à 12). Elles sont précédées et suivies de nombreuses répliques. Ces
poussées tectoniques ont engendré une avancée des terres d’un mètre vers le sud-ouest.
La région est sillonnée par d’innombrables
failles actives d’où proviennent les séismes
actuels, le long de la vallée du rift Beppu-Shimabara. Ces failles sont reliées à la ligne tectonique médiane du Japon, qui traverse le
pays dans sa longueur.
La centrale nucléaire de Sendai, située à
proximité de ces zones de failles, réveille le
traumatisme de mars 2011, dont ni les spécialistes japonais ni les nombreux experts internationaux ne savent, cinq ans après, maîtriser
les conséquences matérielles, environnemen-
tales et humaines. Conséquences incommensurables par leur ampleur.
A la suite du séisme de 2011, le magma souterrain s’est rapproché de l’écorce terrestre,
provoquant le réveil, si ce n’est l’éruption, de
divers volcans. La centrale nucléaire de Sendai, localisée sur une zone extrêmement sensible, entourée de nombreux volcans, avait
déjà inquiété, alors que le volcan de l’île de
Sakura, à une cinquantaine de kilomètres de
là, était entré en éruption le 25 août 2015.
L’évacuation de la totalité de la population insulaire avait alors été préconisée. Sur l’île de
Kyushu, le volcan Aso, actif depuis un mois,
est entré en éruption le 16 avril. Huit personnes du village d’Aso sont portées disparues.
Des pans entiers de montagne se sont effondrés, emportant tout sur leur passage :
routes, ponts, bâtiments, ainsi que 41 vies (au
17 avril). Plus de 190 000 personnes sont réfugiées dans les écoles, gymnases et autres
bâtiments permettant leur accueil.
Malgré un risque qui pourrait sembler évident, et à l’encontre des diverses protestations
qui se manifestent, le gouvernement japonais
a pourtant pris la décision de ne pas arrêter le
fonctionnement de la centrale nucléaire de
Sendai. La dépendance énergétique du Japon
au nucléaire ayant toujours été faible (28 % de
l’énergie produite par les 54 réacteurs avant
Fukushima), ça n’est pas la nécessité énergétique qui motive une telle décision.
Quelques heures après le plus fort des séismes, et alors que les répliques se succèdent
par centaines chaque jour, la ministre de l’environnement, Tamayo Marukawa, a déclaré, le
16 avril, qu’après réunion du conseil des normes nucléaires, il ne paraissait pas nécessaire
d’arrêter la centrale. Elle a justifié cette décision par le fait que les séismes actuels engendrent des mouvements allant jusqu’à 12,6 gal
– le gal est une unité spéciale employée en
géodésie et en géophysique pour exprimer
l’accélération due à la pesanteur terrestre. Or
les réacteurs de la centrale de Sendai sont dotés d’un système d’arrêt automatique pour
des mouvements d’intensités allant de 80 à
260 gal, soit un séisme dont la magnitude serait supérieure à 8,1, chiffres en deçà desquels
la centrale ne serait pas mise en péril.
Ainsi, les motivations militaires à l’origine
de la volonté politique farouche de relancer
le nucléaire au Japon recherchent dans cette
nouvelle « expérience » la preuve de leur infaillibilité. L’arrogance liée au désir de pouvoir atomique coûte pourtant cher et le Japon, qui en a déjà subi maintes fois les frais,
devrait être le premier à s’en méfier. Chaque
jour nous le prouve un peu plus, la menace
de la guerre nucléaire, sous un prétendu intérêt de liberté, crée, dans les faits, une extrême privation de liberté. p
¶
Cécile Asanuma-Brice est chercheuse
en sociologie urbaine, rattachée
au centre de recherche de la Maison
franco-japonaise de Tokyo
CE QUE JE NE POUVAIS
PAS DIRE,
de Jean-Louis Debré,
Robert Laffont,
400 pages, 21 euros
« Tu as vu le pingouin qui arrive ? » Chirac a
oublié son nom ou fait semblant, gratifiant
d’un commentaire peu amène le grand couturier parisien, ami de sa femme, qui vient vers
eux. Des moments plus tristes, dus à la fatigue
et à la maladie, viennent assombrir cette relation faite de confiance et de complicité, tissée
au fil des campagnes et des cruautés de la vie
politique. Debré ne supporte pas non plus que
l’on travestisse la pensée de son aîné : après que
ce dernier eut apporté son soutien à François
Hollande en 2011, Claude Chirac et son mari ont
prétendu qu’il s’agissait d’« humour corrézien »
pour tenter d’apaiser la colère de Nicolas
Sarkozy à l’Elysée.
HOLLANDE, UNE DÉCEPTION
Du successeur de Jacques Chirac, nul ne sera
surpris que l’ancien président du Conseil constitutionnel pense beaucoup de mal. S’il le remercie, comme il l’a toujours fait, d’avoir permis la création de la question prioritaire de
constitutionnalité, qui a profondément renouvelé les missions du Conseil, il l’étrille en revanche sur tout le reste, n’épargnant au lecteur la
révélation d’aucun de ses petits calculs, de ses
exigences, de ses mesquineries. Et surtout de la
profonde soif de revanche qui l’anime. En dépit
de ses dénégations, il est persuadé très tôt que
l’ancien président, qui n’a pas supporté sa défaite, tentera de retourner à l’Elysée.
Valéry Giscard d’Estaing, qui a enduré la
sienne et se comporte comme un monarque
déchu, ne bénéficie pas d’un portrait plus flatteur. Sans méconnaître les qualités intellectuelles de l’ancien président, Debré rapporte
une anecdote hilarante survenue à l’occasion
du cinquantième anniversaire du Conseil
constitutionnel, en 2009. Comment le célébrer ? Giscard proposa… un bal. « Un grand bal,
insista-t-il, comme il y en avait jadis au Palais
Royal. On pourrait danser la valse. J’ai appris à
danser la valse avec Anne-Aymone à Vienne,
nous pourrions ouvrir le bal. » Interloqué,
comme la plupart des membres du Conseil,
Debré imaginait déjà les titres de la presse du
lendemain. Giscard lui rétorqua : « Ne lisez pas
les gazettes ! » Divertissantes aussi, les scènes
entre Giscard et Chirac, les deux meilleurs ennemis de la Ve République.
Quant au président en exercice, François Hollande, c’est l’histoire d’une déception que raconte Debré. Celle d’un homme auquel il attribuait un important capital de sympathie et de
confiance pour réparer une société troublée
par les excès de son prédécesseur. « Jovial,
aimable, chaleureux, il n’impressionne pas
outre mesure. (…) Il ne dégage aucun magnétisme. » La fausse bonne idée du président
« normal », les déchirements de la majorité, la
pression fiscale excessive, le manque de hauteur, la multiplication de lois mal pensées et
mal ficelées, autant de défis politiques manqués que Jean-Louis Debré se plaira désormais
à regarder de loin. p
béatrice gurrey
L’« alliance froide » avec Riyad
Analyse
gilles paris
washington - correspondant
E
SELON
BARACK OBAMA,
LES SAOUDIENS
DOIVENT
APPRENDRE
À PARTAGER
LA RÉGION AVEC
LEURS ENNEMIS
JURÉS, LEURS
PUISSANTS
VOISINS IRANIENS
n avril 2009, un débat d’importance avait agité Washington. Barack Obama ne s’était-il pas incliné avec trop de déférence lorsqu’il avait rencontré pour la première fois le roi Abdallah, au cours
d’un sommet à Londres ? Les contempteurs
conservateurs du président démocrate, qui se
rend à Riyad les 21 et 22 avril, avaient manifestement oublié les propos définitifs vis-à-vis du
pouvoir saoudien prononcés par celui qui
n’était encore que sénateur de l’Illinois, lors de
son discours historique contre une invasion
de l’Irak, en 2002.
« Président Bush, vous voulez vous battre ?,
avait demandé M. Obama. Alors battons-nous
pour nous assurer que nos soi-disant alliés au
Moyen-Orient, les Saoudiens et les Egyptiens,
cessent d’opprimer leur peuple, de réprimer la
dissidence, et tolérer la corruption, les inégalités
et la mauvaise gestion de leurs économies, condamnant leurs jeunes à grandir sans éducation,
sans perspectives, sans espoir, recrues disponibles pour des cellules terroristes. »
M. Obama n’avait certainement pas changé
d’avis en entrant à la Maison Blanche, sept ans
plus tard, et les mêmes critiques apparaissaient d’ailleurs dans le discours prononcé
au Caire, deux mois après la rencontre avec Abdallah, sans que ces régimes soient nommément cités. Les contraintes de la relation particulière entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite
ont pu masquer tant bien que mal, pendant
sept autres années, cette analyse impitoyable
du régime saoudien. Mais le président des
Etats-Unis a, de nouveau, parlé sans fard du
royaume saoudien dans l’article consacré à sa
doctrine en matière de politique étrangère publié par The Atlantic, en mars.
Le journaliste Jeffrey Goldberg y a rapporté
un échange avec le premier ministre australien, Malcom Turnbull, dans lequel le président imputait à l’influence saoudienne le rigorisme religieux croissant qu’il observait en Indonésie, un pays qui lui est cher. « Les Saoudiens sont-ils vos amis ? », lui avait demandé
son interlocuteur. « C’est compliqué », avait répondu le président. Le président a développé,
dans cet article, une analyse de nature à provoquer l’hystérie à Riyad. Les Saoudiens, y dit en
substance M. Obama, doivent apprendre à partager la région avec leurs ennemis jurés, leurs
puissants voisins iraniens, et parvenir à « une
paix froide » avec Téhéran de part et d’autre des
eaux du Golfe.
C’est d’une figure de la famille saoudienne,
ancien ambassadeur aux Etats-Unis, Turki AlFayçal, qu’est venue la réplique, virulente, le
14 mars, sous forme de lettre ouverte au président. Le prince, qui n’occupe plus de fonctions
officielles, a rappelé la trahison qu’avait constituée pour le royaume la décision américaine
de ne pas intervenir en Syrie en 2013 en dépit
de la « ligne rouge » tracée par le président luimême, à propos du recours aux armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad. « Avezvous à ce point pivoté vers l’Iran que vous mettez sur le même pied les quatre-vingts années de
constante amitié avec le royaume et une direction iranienne qui continue de décrire l’Amérique comme son plus grand ennemi ? », a demandé Turki Al-Fayçal.
Nul doute que la dernière formule de
M. Obama a été de simplifier la nature de la relation entre le roi au pouvoir depuis un an, Salman, et un président qui quittera la Maison
Blanche dans moins d’une année. Le conseiller
de M. Obama pour la région, Robert Malley, a
pris soin de rappeler, jeudi 14 avril, dans un
échange avec la presse en amont du voyage,
qu’il ne saurait y avoir d’ambiguïté sur la question de savoir « qui est notre partenaire dans la
région et qui ne l’est pas ». Et les formules sacramentelles sur l’intangibilité des liens conclus
sur le croiseur Quincy, en mer Rouge, il y a
soixante et onze ans, seront certainement prononcées sur le sol saoudien à l’occasion de la
visite du président.
LA « LIGNE ROUGE » DE 2013
Mais elles ne suffiront pas à donner le change.
Les Saoudiens ont passé l’administration
Obama par pertes et profits. Ils doivent maintenant se demander si la défiance lui survivra
ou si l’alliance « froide », voire glaciale, qui règne entre les deux pays aura une chance de se
réchauffer. Les fissures apparues au sein de la
famille royale compliquent l’affaire, compte
tenu des ambitions à peine dissimulées du fils
du roi, Mohammed ben Salman, de ravir la
succession à son cousin le ministre de l’intérieur et prince héritier, Mohammed ben
Nayef, alors que ce dernier a tissé une relation
de confiance avec les Etats-Unis
« Si une autre relation pouvait s’installer entre
le Conseil de coopération du Golfe [CCG] », qui
regroupe les monarchies sunnites et que dirige Riyad, « et l’Iran, une relation moins susceptible d’alimenter des guerres par procuration,
notre conviction et certainement la conviction
du président est que cela serait bon pour la région, pour le CCG, et bon pour la stabilité générale », a estimé Robert Malley. Confrontée à un
Proche-Orient décidément maudit pour les
Etats-Unis et enlisé dans une « guerre de
Trente Ans » entre puissances sunnites et chiites, la personne qui s’installera à la Maison
Blanche le 20 janvier partagera-t-elle cette analyse ? M. Obama emportera avec lui le souvenir
cuisant à Riyad de la « ligne rouge » de 2013.
Que pourra proposer à son successeur le roi
Salman ? Ce dernier avait inauguré son règne,
il y a un an, par une entrée en guerre au Yémen,
au nom de la lutte contre l’influence de l’Iran,
qui l’a détourné aux yeux de Washington de
l’ennemi principal constitué par l’organisation
Etat islamique (EI). Une illustration parfaite de
la divergence d’intérêts qui sape ce qui peut
rester de confiance entre Riyad et Washington. p
[email protected]
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0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
FRANCE | CHRONIQUE
par gé r ar d co urtois
La « Star Ac’»
présidentielle
E
clipsé ces dernières semaines par les polémiques sur la déchéance de
nationalité ou le code du
travail, puis par le décollage de la
fusée Macron ou l’échouage du
paquebot Hollande, un débat parlementaire est passé au second
plan. Il est vrai que l’affaire paraît
relever de la cuisine électorale, réservée aux spécialistes et toujours suspecte : elle porte sur la
modification de plusieurs règles
applicables à l’élection présidentielle et, en particulier, des conditions dans lesquelles les radios et
télévisions donnent la parole aux
candidats pendant la campagne
électorale.
Adoptée définitivement le
5 avril, donc applicable en 2017,
cette proposition de loi d’apparence technique pose, en réalité,
la question de la fonction de l’élection majeure de notre système
politique. De quoi s’agit-il ? Légitimement destinées à assurer l’égalité entre les candidats, les règles
d’accès aux médias durant la campagne présidentielle sont soigneusement codifiées. Dans la période préliminaire, qui commence quatre à cinq mois avant le
scrutin et s’achève lors de la publication de la liste des candidats établie par le Conseil constitutionnel, c’est la règle souple de l’équité
qui s’applique. Pendant la campagne officielle, ouverte deux semaines avant le premier tour de
scrutin, c’est la règle stricte de
l’égalité de temps de parole des
candidats et du temps d’antenne
qui leur est consacré qui s’impose
aux médias audiovisuels.
Reste la période « intermédiaire », de l’ordre de trois semaines, entre la validation des candidatures et la campagne officielle.
Cet entre-deux n’existe que depuis 2007, du fait que la date limite de dépôt des parrainages des
candidats a été avancée et que l’officialisation des candidatures est
donc plus précoce. Lors des scrutins de 2007 et 2012, pendant
cette période intermédiaire, le
Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a imposé aux médias
audiovisuels de respecter une
stricte égalité des temps de parole
entre les candidats.
Cette règle a été vivement critiquée par les responsables de radios et de télévisions en 2012. Excessivement rigide et contraignante, déconnectée de la représentativité électorale de chacun
des candidats, obligeant à compenser une minute de Sarkozy
(27 % des voix au premier tour)
par une minute de Cheminade
(0,25 % des voix), elle a eu pour effet pervers de rendre quasiment
impossible l’organisation de débats entre candidats et de réduire
sensiblement (de moitié pour les
chaînes généralistes) la couverture médiatique de la campagne
durant les trois semaines-clés
précédant campagne officielle.
Après l’élection, toutes les instances compétentes – CSA, Conseil constitutionnel, Commission
nationale de contrôle de la campagne – se sont penché sur la
question. Toutes ont conclu qu’il
fallait appliquer, durant la période intermédiaire, la règle plus
souple de l’équité du temps de parole, tenant compte de la représentativité des candidats, des résultats obtenus par les partis qui
POUR LA PLUPART,
PEU IMPORTE
LE SCORE,
L’ESSENTIEL EST
DE PARTICIPER
LES RÈGLES D’ACCÈS
AUX MÉDIAS
DURANT LA
CAMPAGNE SONT
SOIGNEUSEMENT
CODIFIÉES
les soutiennent lors des plus récentes élections, des indications
des sondages et de la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral.
C’est ce que le Parlement vient
de voter. Non sans déclencher la
colère de tous les « petits » partis.
« Une fois qualifiés pour l’élection,
tous les candidats doivent se retrouver à égalité », s’est insurgé Nicolas Dupont-Aignan, président
de Debout la France, qui juge cette
nouvelle réglementation « honteuse ». Le président de l’UDI, le
centriste Jean-Christophe Lagarde, a fustigé cette modification
« scandaleuse », ce « coup de force »
des grands partis (PS, FN et Républicains) qui « monopolisent le débat public pendant deux cent cinquante-cinq semaines » et ne supportent pas de le partager, tous les
cinq ans, pendant cinq semaines.
Même écho chez les communistes ou chez les Radicaux de gauche, dont le président à l’Assemblée, Roger-Gérard Schwartzenberg, a déploré que le législateur
se plie « aux codes de l’Etat spectacle » et à ses impératifs d’audience,
au mépris des mouvements politiques plus modestes ou des courants émergents.
« Candidat des chiens battus »
C’est là que l’on bute sur l’ambivalence de l’élection présidentielle.
Sa fonction dernière est, évidemment, de choisir le futur chef de
l’Etat, le projet qu’il porte et incarne, la manière dont il entend
diriger le pays. Seuls deux ou trois
candidats, rarement plus, peuvent y prétendre et c’est entre eux
que les Français arbitrent en définitive. Mais depuis qu’un parfait
inconnu et farfelu, Marcel Barbu,
« candidat des chiens battus »,
s’est présenté à la première élection présidentielle en 1965, et y a
bénéficié du même traitement
que de Gaulle ou Mitterrand, chacun a compris l’extraordinaire
caisse de résonance offerte par la
campagne à la télévision.
Depuis, chacun veut en être.
Chaque parti, chaque courant ou
sous-courant, presque chaque
groupuscule entend saisir l’occasion de faire largement entendre
sa voix, ses idées, sa différence. En
prime, d’offrir à son porte-voix,
comme dans une « Star Academy » présidentielle, quelques
semaines de notoriété, ce qui
constitue un puissant ressort
dans la société du spectacle contemporaine. Pour la plupart, peu
importe le score, l’essentiel est de
participer. Et ce qui est vrai de la
présidentielle elle-même est en
train de déteindre sur les épreuves qualificatives, comme le démontre l’avalanche de candidatures – onze à ce jour – à la prochaine primaire de la droite.
Chacun sait que le pluralisme
des opinions est le fondement de
la démocratie. Mais personne ne
peut ignorer, depuis un certain
21 avril 2002, que l’effervescence
des candidatures, l’égalité mécanique de traitement entre eux et
l’aura fugace que cela peut conférer à tel ou telle, risquent de biaiser dangereusement le choix final auquel doit conduire l’élection présidentielle. p
[email protected]
Tirage du Monde daté mardi 19 avril : 241 203 exemplaires
L’IMBROGLIO
DES MASTERS
UNIVERSITAIRES
C’
est une histoire française – trop
française ! –, où se mêlent tous les
ingrédients de la difficulté de ce
pays à avancer, à se réformer dans la clarté
et à surmonter quelques solides tabous.
Notamment quand cela concerne la jeunesse et que surgit la perspective périlleuse
de la sélection à l’université.
De quoi s’agit-il ? La France fait partie des
membres fondateurs du « processus de Bologne » qui a établi la reconnaissance mutuelle des diplômes entre pays européens
avec, à la clef, une très grande mobilité des
étudiants dans les pays de l’Union européenne. Depuis 2002, elle se conforme
donc officiellement au système dit « LMD »
– licence, master, doctorat –, qui définit des
cycles d’études de trois, cinq et huit ans.
Dans la réalité, elle a surtout changé la façade et conservé ses habitudes anciennes :
au lieu d’adopter ces cycles homogènes
constitués de semestres, elle a conservé la
césure entre la quatrième année universitaire (la maîtrise d’autrefois, le master 1
d’aujourd’hui) et la cinquième année (le DEA
ou le DESS de naguère, le master 2 actuel).
Sans même parler des concours, notamment ceux de l’enseignement ou des professions juridiques, qui continuent à recruter
au niveau de la quatrième année, la première année du master est souvent restée
une année généraliste au terme de laquelle
les étudiants candidatent pour les masters 2
les plus réputés dans leur domaine, en gestion ou en sciences par exemple.
Parer au plus pressé
Depuis une décennie, dans les disciplines
où la compétition est la plus vive et le nombre de places limité, bon nombre d’universités ont donc mis en place, dans les faits,
une sélection sur dossier et jury entre le
master 1 et le master 2. Cette pratique
n’étant formellement autorisée par aucun
texte, il était inévitable qu’elle finisse par
provoquer des recours, engagés par des
étudiants n’ayant pas été admis en master
2 après leur master 1. Une première décision du tribunal administratif de Bordeaux, en décembre 2013, leur avait donné
raison. Depuis, des dizaines d’autres ont
été engagés. Et l’affaire a fini par atterrir au
Conseil d’Etat qui, le 10 février, a conclu que
la sélection en master ne repose sur aucune
base légale.
Le gouvernement a donc décidé de parer
au plus pressé : il a rédigé un décret autorisant de nombreux masters (42 % du total) à
pratiquer cette sélection. En dépit de l’avis
négatif, mais seulement consultatif, rendu
le 18 avril par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce
décret s’appliquera à la prochaine rentrée.
Mais le ministère de l’enseignement supérieur, bien conscient qu’il ne s’agit que
d’une solution juridiquement bancale et
provisoire, a lancé une concertation de
quatre mois pour repenser sérieusement
l’organisation du cycle des masters.
Ce n’est pas un problème de places disponibles : il est pratiquement le même en
master 1 (130 000) et en master 2 (120 000).
Mais d’orientation des flux d’étudiants. De
deux choses l’une, désormais. Soit les différents acteurs (ministère, présidents d’université, responsables de masters et étudiants) trouvent un consensus pragmatique. Soit ce n’est pas le cas, et la question
risque d’être tranchée pendant la campagne, à partir de postures plus idéologiques :
celles des pro-sélection et celles des anti-sélection, qui se heurteront ensuite à la complexité de la réalité. Ce ne serait pas la première fois, malheureusement. p
ENVIRONNEMENT
PSYCHIATRIE
PORTRAIT
ET AU MILIEU NE COULE
PAS TOUJOURS UNE RIVIÈRE
UNE MOLÉCULE POUR APAISER
LES SOUVENIRS TRAUMATIQUES
MICHEL CABARET
MET LA SCIENCE EN SCÈNE
→ PAGE 2
→ PAGE 3
→ PAGE 7
La grippe aviaire
sous haute surveillance
Pour enrayer l’épizootie qui sévit dans des élevages du sud-ouest de la France, de nouvelles mesures sanitaires sont entrées en vigueur, lundi 18 avril.
Les chercheurs, eux, tentent de décrypter le fonctionnement d’un virus, dont les capacités de mutation font redouter qu’il ne s’adapte à l’homme.
PAGES 4-5
Des canards élevés en plein air, dans une ferme du sud-ouest de la France. FRANCIS LEROY/HEMIS/CORBIS
Carpaccio paléolithique
A
carte blanche
Nicolas Gompel,
Benjamin
Prud’homme
Généticiens,
LMU de Munich, Institut
de biologie du développement
de Marseille-Luminy (CNRS)
lors que les végétariens de tous bords
poussent les consommateurs de viande
dans leurs retranchements d’espèce omnivore, la science s’intéresse à nos origines
carnivores. Les paléoanthropologues Katherine Zink
et Dan Lieberman, de l’université de Harvard, viennent de publier dans la revue Nature du 24 mars une
étude sur la façon dont nos lointains ancêtres ont
commencé à consommer de la viande. Un tournant
qui a influencé notre évolution anatomique.
Nous descendons assurément de singes herbivores,
qui passaient le plus clair de leur temps, tout comme
les grands singes d’aujourd’hui, à mastiquer des
feuilles. Ce régime alimentaire est, entre autres,
rendu possible par une puissante mâchoire et de
grosses prémolaires. Les menus se diversifient dans
le genre Homo il y a environ 2,6 millions d’années
avec l’introduction de la viande. Celle-ci apporte
certes bien plus de calories que les feuilles, mais elles
sont difficiles à extraire. Or paradoxalement, Homo
erectus, pourtant consommateur de viande accompli,
présentait déjà une réduction sérieuse de l’appareil
Cahier du « Monde » No 22165 daté Mercredi 20 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
masticateur et de la taille des dents. Comment ces
premiers hommes carnivores s’y prenaient-ils
pour extraire les calories de la viande avec leurs
petites dents ? La découverte du feu et son usage en
cuisine pour cuire et attendrir la viande ont certainement aidé. Mais son usage ne s’est généralisé que
plus tard, quand la viande était déjà une constante
au menu d’Homo erectus.
Zink et Lieberman ont voulu savoir si l’utilisation
d’outils en pierre, apparus avant le feu, pouvait avoir
contribué à rendre la viande crue ingérable, en réduisant les efforts nécessaires à sa mastication. Pour ce
faire, ils ont tout d’abord donné à mastiquer à des
volontaires de la chèvre crue, dont la chair ferme
est proche du type de viande à laquelle nos ancêtres
avaient accès. Mais sans traitement préalable, cette
viande crue est presque impossible à découper en
morceaux ingérables avec nos petites dents.
En revanche, en découpant la viande avec des outils,
et en l’apprêtant pour l’attendrir, l’effort de mastication nécessaire pour qu’elle devienne ingérable est
réduit de 17 %. Et plus encore si cette viande est cuite.
Un scénario évolutif se dessine : l’usage d’outils,
et plus tard du feu, pour apprêter et consommer la
viande aurait permis d’extraire davantage de calories
tout en diminuant l’énergie et le temps de mastication nécessaires. En conséquence, les individus dotés
de dents plus petites et de mâchoires moins fortes ont
survécu tout aussi bien que leurs congénères (résultat
de ce que les évolutionnistes appellent le relâchement
d’une contrainte sélective). Cette réduction de la taille
des mâchoires a modifié la forme de la face, permettant l’apparition de lèvres plus mobiles, essentielles
pour former des mots.
On perçoit ainsi de quelle manière de nouvelles
pratiques culturelles, tel l’usage d’outils, ont permis
l’évolution progressive de notre anatomie et la modification en profondeur de notre identité biologique.
Comment les développements technologiques que
nous vivons vont-ils à leur tour influencer notre
évolution future ? Nous en remettre de plus en plus
aux machines pour nous déplacer ou penser à notre
place n’est sans doute pas sans conséquence sur notre
destin biologique. p
2|
0123
Mercredi 20 avril 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
AC T UA L I T É
Rivières intermittentes: la pêche aux données
| Sur la planète, la moitié des cours d’eau s’assèchent une partie de l’année. Pour étudier le rôle dans
l’environnement de ces milieux mal connus, deux chercheurs ont lancé un réseau mondial de collectes d’échantillons
écologie
david larousserie
C
haque discipline a ses continents
d’ignorance. Les physiciens ne connaissent pas la nature de 95 % de
l’Univers. Les biologistes se demandent à quoi sert 98 % de l’ADN
qui ne code pas pour des protéines.
Et les écologues s’interrogent sur le rôle dans
l’environnement d’au moins 30 à 50 % de certaines rivières, et jusqu’à 70 % dans certains pays
comme l’Australie. Ces inconnues couvrant de si
grandes proportions désignent les cours d’eau
intermittents, qui, une partie de l’année, cessent
de s’écouler ou s’assèchent de manière naturelle,
ou parfois en réponse aux pressions humaines.
« Les sept plus grands fleuves du monde en font
partie, le Nil, le rio Grande, l’Indus… Le Colorado
n’atteint plus la mer depuis les années 1970. Le
fleuve Jaune, en Chine, est sec 600 kilomètres
avant l’embouchure, une partie de l’année », rappelle Thibault Datry, de l’Institut de recherche en
sciences et technologies pour l’environnement
et l’agriculture (Irstea) à Lyon, devenu l’un des
spécialistes de ce sujet méconnu. « Ces rivières
ont été complètement négligées jusqu’à récemment », confirme Klement Tockner, autre spécialiste, directeur de l’Institut Leibniz d’écologie
aquatique et de la pêche (IGB), à Berlin.
Le sujet compte plus de questions que de réponses. Et d’abord, quelle est la véritable proportion de ces rivières intermittentes ? Quels
effets a cette inconstance sur la biodiversité
aquatique et terrestre et les interactions entre
ces écosystèmes ? Quel rôle jouent ces intermittences d’écoulement dans le cycle du carbone,
la phase sèche décomposant moins vite a priori
la biomasse que la phase humide ? Comment
gérer ces cours d’eau, dont la définition
échappe en fait aux différents règlements nationaux et européens en la matière ?
Pour toutes ces raisons et bien d’autres,
Thibault Datry et Klement Tockner ont lancé
en 2015 le projet original « 1 000 rivières intermittentes ». « 1 000 rivières et 1 000 mails ! », sourit le Français en se rappelant les efforts pour
« Ces rivières sont des
écosystèmes de grande valeur
et pas des décharges, comme
on les considère souvent »
klement tockner
directeur de l’Institut Leibniz d’écologie aquatique
convaincre des collègues et répondre à leurs
questions. Pourtant l’idée est simple : collecter
un maximum d’échantillons dans les lits de rivière afin d’estimer leur contenu biologique et
leur réactivité biogéochimique sur une large
échelle dans le monde. En mars, 106 personnes
avaient déjà participé, couvrant 27 pays, dont l’Algérie, l’Australie, la Bolivie, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, la Suisse… Des dizaines de petites
poches plastique contenant soit des feuilles, soit
La Clauge, en eau à l’automne, puis sèche au printemps, à Chissey-sur-Loue, dans le Jura. B. LAUNAY
des sédiments s’entassent dans des caisses dans
le laboratoire lyonnais de l’Irstea, destinataire de
ce grand mouvement participatif et bénévole.
La première expérience est simple à réaliser.
Une pincée de feuilles de chaque échantillon
est mise dans un peu d’eau minérale pendant
une journée. La disparition de l’oxygène dissous et le dégagement de CO2 sont alors mesurés : c’est un indicateur de l’activité biologique
des bactéries et champignons présents, qui
consomment cette matière organique. En
Allemagne et en Espagne, des mesures complémentaires plus complexes seront effectuées
sur le contenu en carbone, mais aussi en azote
ou en phosphore. A Grenoble, c’est l’ADN présent dans ces échantillons qui est séquencé.
De quoi permettre de premières comparaisons à l’échelle mondiale et estimer le rôle de
ces rivières dans le cycle du carbone ou dans
l’organisation de la biodiversité, encore mal
pris en compte dans les modèles climatiques.
« En aucun cas, il ne s’agit de rivières mortes.
C’est plein de vie !, assure Klement Tockner.
Beaucoup d’espèces dépendent même de cette
phase sèche. »
Si, pour les rivières en eau, des indicateurs de
bonne santé existent, basés sur la présence de
certains invertébrés, ce n’est pas encore le cas
pour les rivières intermittentes. « Nous ne savons pas ce que deviennent ces communautés
lorsque la rivière s’assèche. Nous avons par
ailleurs identifié différentes stratégies d’espèces
adaptées à l’intermittence. Soit elles résistent à
l’assèchement (respiration par la peau, enfouissement dans la vase, mise en dormance), soit
elles sont dites résilientes, c’est-à-dire qu’elles
reviennent très rapidement en provenance de
refuges », indique Thibault Datry.
D’autres aspects sont désormais connus.
Comme par exemple, des morts subites d’espèces aquatiques à la suite de la remise en eau
d’une rivière à sec. Cela est dû à l’arrivée soudaine dans des affluents de biomasse non décomposée lors d’une phase sèche. Ce festin réveille les microscopiques espèces gloutonnes
qui consomment l’oxygène aux dépens des
poissons, notamment. Marie-George Tournoud,
professeure à l’université de Montpellier, a
également noté une autre conséquence négative de ces assèchements. « Cela peut créer en
aval des chocs de pollution, à cause de rejets
surchargés de contaminants. Nous réfléchissons
aux moyens de mieux gérer ces chocs ou de les
prévenir », complète la chercheuse.
L’équipe de Thibault Datry a aussi récemment
montré qu’il fallait gérer avec prudence les
cours d’eau intermittents. Diminuer de 50 % la
durée d’immersion réduit de 43 % la dégradation des feuilles mortes et aussi de moitié la
biodiversité aquatique en invertébrés : « Nous
sommes régulièrement sollicités par des agences
de l’eau ou des pêcheurs pour connaître l’impact
de la durée et de la fréquence des assèchements,
mais nous n’avons pas encore toutes les réponses. » De son côté, Klement Tockner, dans
un article paru en 2012, listait d’innombrables
avantages de ces rivières, « biodiversité unique,
refuge pour les graines et les œufs, corridor de
migration, réservoir de matière organique… ».
« Pour nous, ce sont des écosystèmes de grande
valeur et pas des décharges, comme on les considère souvent », indique-t-il. « C’est beau, une rivière qui ne coule pas, contrairement à ce qu’on
peut dire », confesse Thibault Datry.
« Nous manquons d’eau minérale », fait-il mine
de tempêter dans son laboratoire, devant l’afflux
d’échantillons à tester. Avec son collègue Arnaud
Foulquier, de l’université de Grenoble, il envisage de donner une suite au projet : déposer
dans ces rivières des bandes en bois ou en coton
pour étudier la vitesse de biodégradation. Il s’occupe en même temps de projets européens et de
fédérer les recherches en cours. Il alimente aussi
une base de données mondiale concernant ces
rivières. Et envisage de créer une application
pour mobile permettant à tous de signaler des
cours d’eau à sec. « Nous construisons un vaste
réseau mondial qui devrait faciliter les coopérations et travaux futurs », ajoute Klement Tockner.
Petite rivière deviendra grande. p
L’aspirine prévient aussi des cancers
Des experts américains ont identifié les personnes pour lesquelles la prise quotidienne de ce médicament est le plus bénéfique
L’
aspirine peaufine ses
métamorphoses. La dernière émane d’un groupe d’experts américain
respecté, le US Preventive Services
Task Force (USPSTF). Le 12 avril, il a
publié ses recommandations sur
l’utilisation préventive au long
cours de faibles doses d’aspirine
(75 à 160 milligrammes par jour) :
l’enjeu, ici, est de limiter la survenue d’accidents cardio-vasculaires
(infarctus, AVC…), mais aussi de
cancer colorectal, chez celles ou
ceux qui ne souffrent pas déjà
d’une maladie cardio-vasculaire.
Cette prévention dite « primaire »
s’adresse toutefois aux personnes
qui ont un risque accru de faire un
accident cardio-vasculaire : elles
sont diabétiques ou cumulent plusieurs facteurs de risque (tabac,
hypertension, âge…).
« Pour la première fois, la prévention du risque de cancer colorectal
est reconnue comme un bénéfice
secondaire, quoique modeste, d’un
traitement par l’aspirine qui vise
d’abord à prévenir le risque cardiovasculaire », résume Gabriel Steg,
cardiologue à l’hôpital Bichat (Paris). Il souligne aussi la prudence
des experts américains : par rapport à 2009, ces recommandations restreignent un peu l’utilisation de l’aspirine en prévention
primaire, en raison du risque de
saignements liés à ce traitement.
« Les patients à faible risque cardiovasculaire ne bénéficient pas d’un
tel traitement, commente Gabriel
Steg. Leur pronostic peut même
être aggravé en raison d’hémorragies, même de gravité modérée. »
Les experts de l’USPSTF ont colligé les données de nombreux essais cliniques, en y ajoutant les résultats de cinq études parues depuis 2009. Ils ont aussi pris en
compte les données de suivi du
risque de cancer colorectal, notamment celles des travaux du
Britannique Peter Rothwell. Puis, à
l’aide d’un modèle de microsimulation, ils ont chiffré les bénéfices
et les risques de ce traitement selon les tranches d’âge et le niveau
de risque cardio-vasculaire.
Pour les 50-59 ans
Résultats : le bénéfice apparaît
maximal pour les 50-59 ans. Plus
précisément, l’USPSTF recommande l’aspirine à faibles doses
chez les 50-59 ans dont le risque
cardio-vasculaire à dix ans est supérieur ou égal à 10 %, du moment
qu’ils n’ont pas de risque accru de
saignements, que leur espérance
de vie est d’au moins dix ans et
qu’ils sont prêts à suivre ce traitement pendant au moins dix ans.
Pour les 60-69 ans dans la même
situation, la décision est à prendre
au cas par cas. Aucun bénéfice net
n’apparaît au-dessous de 50 ans,
et les données sont insuffisantes
pour les plus de 70 ans.
Chez les 50-59 ans, les bénéfices
ont été chiffrés : par exemple,
pour 10 000 hommes de cette
tranche d’âge qui ont un risque
cardio-vasculaire de 10 % sur dix
ans, l’aspirine évite 225 infarctus,
84 accidents vasculaires cérébraux ischémiques et 139 cancers
colorectaux. C’est au prix de
284 saignements digestifs sérieux et de 23 hémorragies cérébrales. Au final, 588 années de
« vie de qualité » et 333 années de
vie sont ainsi gagnées.
« Ces recommandations devraient
permettre de mettre en place une
prévention primaire plus adaptée
au risque. On passerait ainsi d’une
prévention “prêt-à-porter” à une
prévention “sur mesure” », estime
Joseph Emmerich, responsable
de l’unité de médecine cardio-
vasculaire de l’Hôtel-Dieu (Paris).
Mais on sait qu’outre-Atlantique
le risque cardio-vasculaire est supérieur au risque français
moyen ; et l’utilisation de l’aspirine à titre préventif est bien plus
répandue, notamment en raison
d’une automédication fréquente.
« Près de 40 % des Américains de
plus de 50 ans prennent de l’aspirine en prévention cardio-vasculaire », signale l’USPSTF. C’est
énorme. En France, la proportion
de patients sous aspirine au long
cours sans avoir jamais fait d’infarctus ni eu d’angioplastie ou de
pontage est très faible, « inférieure
à 5 % », estime Gabriel Steg.
« C’est intelligent d’avoir réuni les
bénéfices de l’aspirine pour la prévention du risque cardio-vasculaire
et de cancer colorectal. Dans certains cas, l’intérêt sur la prévention
de ce cancer peut faire pencher la
balance en faveur de ce traitement »,
dit Joseph Emmerich. En revanche, l’intérêt de l’aspirine pour
prévenir le seul risque de cancer
colorectal n’est ici pas reconnu. « Il
faudrait disposer des résultats
d’essais randomisés prospectifs en
population générale », commente
Fabien Calvo, directeur scientifique du consortium Cancer Core
Europe à Gustave-Roussy (Villejuif). « Ces essais ne viendront sans
doute jamais, car trop chers et pas
assez rentables pour l’industrie,
estime François Chast, chef du service de pharmacie clinique des hôpitaux universitaires Paris-Centre.
Pour autant, cette recommandation s’engage positivement : les
auteurs indiquent que la prise de
75 mg et plus d’aspirine pendant
dix à vingt ans peut diminuer jusqu’à 40 % le risque de cancer colorectal. » Pas au point de la préconiser chez tous, cependant. p
florence rosier
AC T UA L I T É
| SCIENCE & MÉDECINE |
Soigner le stress post-traumatique
0123
Mercredi 20 avril 2016
|3
télescope
Paludisme
La résistance des parasites
à un antipaludéen en question
| Un traitement canadien innovant, associant psychothérapie et médicament,
va être proposé à des victimes des attentats du 13 novembre 2015. Un appel à volontaires est lancé
médecine
sandrine cabut
C’
est une étude de
terrain sans précédent sur l’état
de stress posttraumatique
(ESPT) qui se
lance dans une dizaine d’hôpitaux
franciliens. Objectif : évaluer une
thérapie innovante, associant une
psychothérapie et un médicament
– le propanolol –, chez des personnes souffrant de stress post-traumatique, principalement à la suite
des attentats du 13 novembre 2015.
Le professeur Alain Brunet, directeur de recherche en psychotraumatologie à l’université McGill de
Montréal (Canada), à l’origine de
cette stratégie, et le professeur
Bruno Millet (psychiatre à l’hôpital
de la Pitié-Salpêtrière), qui coordonne l’essai, espèrent recruter plus
de 400 volontaires. Les grandes lignes du projet, baptisé Paris MEM,
ont été présentées le 13 avril au Centre culturel canadien, à Paris.
Reviviscences répétées de l’événement traumatisant, avec flashback et cauchemars ; stratégies
d’évitement des situations et des
lieux pouvant rappeler le traumatisme ; perte d’intérêt pour les activités auparavant appréciées ; état
de tension permanent avec anxiété, insomnie… L’ESPT est un
trouble très handicapant, qui peut
se déclarer des mois voire des années après le traumatisme. Il est as-
Le propanolol bloque
la reconsolidation
du souvenir, il ne l’efface
pas mais diminue son
intensité émotionnelle
socié à un risque accru de dépression, suicide, addictions.
Si seule une minorité des individus exposés à des événements traumatisants développe ce syndrome,
la proportion est plus élevée pour
les traumatismes d’origine humaine
et en particulier les attentats. Ainsi,
31 % des rescapés des attentats de Paris de 1995 ont souffert d’ESPT dans
les trois ans qui ont suivi.
Les prises en charge précoces par
des cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) – auxquelles ont
eu recours des milliers de personnes
après les attentats du 13-Novembre –
Bonne nouvelle sur le front de la lutte
contre le paludisme : les parasites
qui développent une résistance à
l’atovaquone – utilisé en association
avec le proguanil – ne transmettent pas
cette propriété à leur descendance.
Une équipe australienne a pu suivre,
chez la souris, l’apparition de mutations génétiques de l’agent infectieux,
permettant à celui-ci de tromper les
assauts de l’atovaquone. Mais ils ont
découvert que ces mêmes mutations
empêchent le parasite de se reproduire
au sein du moustique, vecteur unique
de transmission de la maladie. Cette
découverte pourrait modifier l’usage
de la malarone, le médicament qui
contient l’atovaquone. (PHOTO : JAMES GATHANY/AP)
> Goodman et al., « Science », 15 avril.
Médicaments
Les inhibiteurs de la pompe
à protons incriminés
YASMINE GATEAU
ont pour but de prévenir ces séquelles psychiques. Le traitement d’un
ESPT diagnostiqué fait, lui, appel en
première intention à des psychothérapies. Deux techniques sortent du
lot : les thérapies cognitivo-comportementales axées sur le traumatisme et l’EMDR (« Eye movement
desensitization and reprocessing »).
Certains antidépresseurs sont également autorisés. « Ces médicaments
sont efficaces, mais un tiers des gens
les abandonnent dans les trois mois,
du fait d’effets secondaires. Les psychothérapies ont aussi démontré leur
efficacité mais le taux de rechute à un
an est élevé », relève le professeur
Brunet. Depuis les années 2000, son
équipe a mis au point et validé un
protocole associant une psychothérapie sur six semaines avec réactivation du souvenir traumatique, et du
propanolol, un médicament utilisé
en cardiologie.
« Si l’on ne se souvenait pas de
l’événement traumatisant, il n’y
aurait pas de stress post-traumatique. C’est un trouble de la mémoire
émotionnelle », justifie Alain Brunet. D’où son idée de bloquer la consolidation ou plutôt la reconsolidation des souvenirs traumatisants.
« Quand on vit une expérience, elle
se transforme en souvenir. La consolidation, avec passage de la mémoire
à court terme vers celle à long terme,
prend entre deux et cinq heures, et il
est possible d’interférer avec ce processus. En revanche, on a longtemps
cru qu’un souvenir consolidé était
permanent, comme marqué au fer
rouge. Mais il y a quinze à vingt ans,
on a découvert que lorsqu’on se remémore un souvenir, il doit être consolidé de nouveau », explique le psychologue canadien.
Le propanolol agit en bloquant la
reconsolidation, il n’efface pas le
souvenir mais diminue son intensité émotionnelle. Ce médicament
ne fonctionne cependant pas seul,
d’où le couplage avec une procédure
de remémoration du trauma, souligne Alain Brunet. Efficace dans deux
tiers des cas, ce protocole dit
« de blocage de la reconsolidation
mnésique » est désormais utilisé au
Québec. En France, il a été testé avec
succès sur une petite série de patients avec un ESPT après l’explosion
de l’usine AZF de Toulouse, en 2001.
En pratique, le patient prend un
comprimé de propanolol avant chacune des six séances de psychothérapie. Lors de la première séance, il
écrit le récit de son trauma, récit
qu’il lit à l’intervenant lors de chacune des séances ultérieures. A la fin
du traitement, le texte ne doit plus
correspondre à son ressenti…
Le psychologue canadien a eu
l’idée d’une collaboration avec les
hôpitaux français, peu après le 13Novembre. Il a alors contacté Martin
Hirsch, le patron de l’AP-HP, pour lui
proposer de former bénévolement
des soignants à sa méthode. Une
démarche motivée par la solidarité
mais aussi par la recherche : c’est
l’occasion d’une évaluation sur le
terrain, à une échelle inédite, de
cette thérapie. Mi-décembre, Alain
Brunet a présenté son projet aux soignants parisiens. « C’était un peu
houleux », se rappelle-t-il. Si les travaux du psychologue canadien sont
internationalement reconnus, son
approche ne fait pas l’unanimité,
notamment dans les équipes avec
des pratiques psychodynamiques
(d’inspiration psychanalytique).
Séduit, le professeur Bruno Millet
– qui, au départ, n’est pas un spécialiste de l’ESPT – s’est porté volontaire pour coordonner un essai. Depuis, Alain Brunet a formé une centaine de médecins et psychologues.
Une dizaine d’hôpitaux ont accepté
de participer, mais la liste n’est pas
définitive. L’étude, qui n’a pas encore toutes les autorisations, devrait
démarrer d’ici à fin avril. Le traitement canadien sera comparé aux
méthodes habituelles de prise en
charge de l’ESPT. Un numéro d’appel unique (01-42-16-15-35) a été
ouvert, et un site Internet d’information devrait suivre. p
Médicaments très populaires pour
traiter les reflux gastro-œsophagiens
et les ulcères, et prévenir les effets
secondaires digestifs des anti-inflammatoires, les inhibiteurs de la pompe à
protons (IPP) sont associés à un risque
accru d’insuffisance rénale chronique,
conclut une nouvelle étude américaine.
La survenue de lésions rénales augmente avec la durée du traitement.
D’autres travaux ont déjà pointé une
association entre IPP et insuffisance
rénale. Ces produits, dont certains
peuvent être achetés sans ordonnance,
sont aussi accusés de favoriser des
infections pulmonaires, l’ostéoporose
et des infarctus.
> Xie et al., « Journal of the American
Society of Nephrology », 14 avril.
75 %
Alors que les traitements contre
l’hémophilie ont beaucoup progressé
depuis soixante ans, trois malades
sur quatre (75 %) n’y ont pas accès dans
le monde pour des raisons économiques, indique l’Association française
des hémophiles (AFH) à l’occasion
de la Journée mondiale de cette maladie
hémorragique, le 17 avril. Un constat
qui concerne surtout les pays les plus
pauvres, ceux d’Afrique en particulier.
Une souris pour traiter le bégaiement
La modification d’un gène sur un rongeur ouvre un champ de recherche
I
ncroyable souris ! Reine du
laboratoire, elle assiste les
scientifiques dans presque
tous les secteurs de la recherche médicale, de l’allergie au
diabète, des maladies infectieuses aux désordres du comportement. Mais un domaine leur
semblait interdit : les troubles de
la parole. Des chercheurs américains annoncent pourtant, dans
la revue Current Biology, être parvenus à modifier génétiquement une souris afin de la faire
bégayer. Ce premier modèle animal ouvre la voie à des recherches tant fondamentales que
thérapeutiques.
Le bégaiement touche environ
1 % de la population, soit
600 000 personnes en France et
3 millions aux Etats-Unis. S’il
s’installe dès l’âge de 2 ans, il disparaît après 6 ans dans 75 % des
cas. Pourquoi survient-il ? Qui
court le risque de le voir persister ? Comment expliquer la variabilité du bégaiement d’un instant à l’autre ? La recherche ne
manque pas d’enjeux. Un outil
faisait défaut : un animal sur lequel conduire des expériences.
Une compétence innée
Pour « construire » la précieuse
bestiole, les scientifiques se sont
appuyés sur les travaux de Dennis Drayna. Ce chercheur du Porter Neuroscience Research Center du NIH à Bethesda (Maryland) a en effet identifié une
modification génétique, et, plus
précisément, au sein du gène incriminé, le changement d’un
acide aminé responsable de plus
de 10 % des bégaiements humains. Il a proposé de modifier
le gène afin de vérifier si le rongeur allait souffrir d’une pathologie semblable.
Car, si elle ne parle pas, la souris
vocalise. Une mère privée de son
petit, un mâle en présence d’une
femelle… « Je n’y croyais pas beaucoup, admet Terra Barnes, chercheuse en neurosciences à l’université Washington de SaintLouis (Missouri), première signataire de l’article. La vocalisation
chez les souris diffère tant de celle
des humains. Elles naissent avec,
c’est donc une compétence innée.
Les sourdes vocalisent comme les
autres. » La scientifique a ainsi
comparé l’organisation et le débit de la parole des souris (modifiées) et des hommes (bègues).
« On retrouve les mêmes résultats,
explique-t-elle. Je ne dis pas que
les souris bégaient. Mais un
même mécanisme crée des
anomalies similaires. »
Si des modèles animaux (souris, canaris) existent déjà pour
l’étude des pathologies liées à
FOXP2, un gène responsable de
graves mais rares handicaps
vocaux et cérébraux, la recherche sur le bégaiement manquait
d’un tel instrument. « L’étude
confirme que l’atteinte est motrice, que c’est le corps qui est touché, pas la fonction langage, réagit Marie-Claude MonfraisPfauwadel, médecin phoniatre.
Et elle fournit aux chercheurs un
outil précieux. » Terra Barnes le
dit avec gourmandise : « On va
pouvoir s’amuser. » Au programme : déterminer les parties
du cerveau où s’exprime la modification génétique, les protéines engagées, le chemin qui
conduit ensuite vers des troubles qui n’affectent que le langage. « Et tester sur le rongeur les
différentes thérapies, continue la
chercheuse. Mais peut-être pas la
rééducation orthophonique ! » p
nathaniel herzberg
Dans l’
êt de
la science
mathieu vidard
arré
la tête au c
14 :00 -15 :00
avec, tous les mardis,
la chronique de Pierre Barthélémy
4|
0123
Mercredi 20 avril 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
ÉVÉNEMENT
Grippe aviaire
Les chercheurs
contre-attaquent
épizootie
Plusieurs laboratoires étudient à la loupe ce virus difficile à combattre,
qui touche, depuis novembre 2015, des élevages du Sud-Ouest
P
nathalie picard
our les éleveurs du sudouest de la France, le 18 avril
restera marqué d’une pierre
noire. Un arrêté ministériel
du 9 février a fixé de nouvelles mesures sanitaires pour
endiguer l’épizootie de
grippe aviaire. Dans une
zone de restriction qui a été étendue à dixhuit départements, les oies et les canards ne
peuvent plus, depuis lundi, être laissés en extérieur et seront maintenus enfermés. Parallèlement, l’interdiction, depuis le 18 janvier,
de la mise en production de nouveaux canetons « a permis de dépeupler progressivement
les exploitations. Ce vide sanitaire, associé à
des mesures de nettoyage et de désinfection,
nous permet d’éliminer les palmipèdes porteurs du virus », indique Bruno Ferreira, chef
de service à la Direction générale de l’alimentation (DGAL). Seules les salles de gavage peuvent encore accueillir les palmipèdes en
cours d’élevage jusqu’au 2 mai. A partir du
16 mai, certains élevages accueilleront à nouveau des canetons de moins d’une semaine.
Dans la mesure où les couvoirs autorisés ne
pourront fournir toutes les exploitations en
même temps, ce repeuplement va se dérouler de manière progressive. L’objectif de cette
stratégie établie par le ministère de l’agriculture ? Eradiquer le virus et permettre à la
France de recouvrer son statut de pays indemne, afin de relancer les exportations.
Le 24 novembre 2015, le premier cas touché
par le virus influenza, responsable de la
grippe, était détecté dans une basse-cour en
Dordogne. Depuis, les autorités sanitaires ont
décelé, au total, 76 foyers de grippe aviaire
hautement pathogène dans huit départements. « En général, un seul élevage est contaminé par un oiseau migrateur. Une fois détecté, le foyer est éliminé et l’histoire s’arrête là.
Mais la crise actuelle est exceptionnelle : des
foyers sont infectés simultanément par des
souches différentes du virus, s’inquiète Gilles
Salvat, directeur du laboratoire de Ploufragan-Plouzané (Côtes-d’Armor) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Ce qui signifie probablement que le virus
circule à bas bruit depuis longtemps dans
les élevages. » Une propagation insidieuse qui
préoccupe les responsables sanitaires.
D’autant que, chez le canard, les souches de
virus impliquées causent peu de signes cliniques. Ce qui rend leur diffusion difficilement
détectable par la surveillance vétérinaire. Et
pour ne rien arranger, leur transmission est
facilitée par l’organisation de la filière des pal-
« La crise actuelle est
exceptionnelle : des foyers sont
infectés simultanément par
des souches différentes du virus »
gilles salvat
directeur de laboratoire à l’Anses
mipèdes à foie gras, caractérisée par une forte
circulation d’animaux vivants. « Contrôler
l’épizootie est indispensable, confirme Nicolas
Eterradossi, directeur adjoint du laboratoire.
Sinon, le virus risquerait de devenir plus pathogène pour les volailles et pourrait à terme
s’adapter à l’homme. » Voilà pourquoi la
grippe aviaire est placée sous haute surveillance. Lorsqu’un éleveur remarque une
mortalité anormale de ses volailles ou une
baisse de la ponte, il doit alerter son vétérinaire sanitaire. Lui se rend sur place pour établir un diagnostic et effectuer des prélèvements. D’abord, un laboratoire départemental agréé analyse les échantillons. Un test
permet de savoir si l’animal souffre bien de la
maladie et si la souche est potentiellement
dangereuse. Ensuite, les prélèvements sont
transférés au laboratoire national de réfé-
rence pour la grippe aviaire à Ploufragan, en
Bretagne. L’objectif ? Déterminer le niveau de
virulence par des tests complémentaires. Au
choix, deux catégories : faiblement ou hautement pathogène. Cette dernière forme, spécifique aux oiseaux, se distingue par sa mortalité élevée et sa rapidité de propagation.
H5N1, H5N2, H5N9, plusieurs souches de virus influenza ont été détectées dans les élevages français. Ces différents sous-types
sont classés selon les propriétés de deux protéines présentes à leur surface : l’hémagglutinine, dont il existe seize types (H1 à H16), et
la neuraminidase (N1 à N9). La première permet au virus de s’arrimer à la cellule puis de
« Frankenvirus », bientôt l’épilogue ?
L
es « Frankenvirus » vont-ils
faire leur retour dans les laboratoires ? Depuis dix-huit
mois, la légitimité de ces virus
mortels et contagieux créés par
l’homme alimente le débat lancé
par l’instance américaine National
Science Advisory Board for Biosecurity (NSABB). En octobre 2014,
la Maison Blanche instaurait un
moratoire sur les financements
qu’elle accorde aux travaux visant
à créer des virus mutants dotés de
fonctions dangereuses. Le temps
d’analyser les impacts potentiels
de ces recherches dites gain of
function (« acquisition de fonction »). En cause, les risques d’évasion de ces virus dans la nature.
Ces craintes sont renforcées par la
découverte de failles de sécurité
dans certains laboratoires : durant
l’été 2014, les éminents National
Institutes of Health (NIH) ont, notamment, révélé avoir trouvé au
fond d’un congélateur des flacons
de variole, un virus mortel et dont
la possession est interdite depuis
trente ans. Mandaté par le gouvernement américain, le NSABB s’apprête à franchir l’ultime étape d’un
processus jalonné de réunions d’experts, de rapports et de colloques
scientifiques : il finalisera ses recommandations le 24 mai. A charge ensuite pour le gouvernement de déterminer une nouvelle politique pour
encadrer ces recherches.
Car le cadre actuel a autorisé des
travaux pour le moins controversés.
La communauté scientifique en a
pris conscience en 2011, lorsque
deux équipes ont annoncé avoir
réussi à rendre un virus H5N1 aviaire
hautement pathogène transmissible
par voie aérienne entre furets, un
modèle animal proche de l’homme.
Cet événement a marqué le début
d’une polémique qui n’en finit pas.
En France, aucune recherche de type
gain of function ne semble actuellement menée sur des virus influenza.
Les travaux sont souvent réalisés sur
des souches faiblement pathogènes.
Sinon, l’objectif est plutôt de diminuer leur capacité.
Au niveau de l’Union européenne,
les académies des sciences des pays
membres – réunies au sein d’un
Conseil consultatif européen
(EASAC) – ont publié un rapport fin
2015. Dans le cadre de la consulta-
tion organisée outre-Atlantique,
Volker ter Meulen, membre de l’Académie allemande des sciences
Leopoldina, a représenté l’EASAC au
colloque organisé par l’Académie des
sciences américaine, en mars. Cette
avant-dernière réunion du processus
visait à débattre du projet de recommandations porté par le NSABB.
Parmi les principaux messages de
l’EASAC : « Les recherches qui posent
problème doivent être gérées et analysées au cas par cas », affirme Volker
ter Meulen. Une position en accord
avec les propositions du NSABB.
Des études à risque élevé
Le comité américain a caractérisé
les études à risque élevé : celles qui
peuvent générer un pathogène hautement transmissible et très virulent
dans un modèle animal pertinent
pour les mammifères, et résistant
aux vaccins et aux médicaments.
Leur financement serait conditionné
à une évaluation complémentaire.
Un refus pourrait être opposé s’il
existe une méthode alternative
moins risquée, si les bénéfices
potentiels ne sont pas suffisants eu
égard aux risques encourus ou si
l’institution proposant la recherche
ne peut la mener en toute sécurité.
Reste une interrogation : qui assurerait cette évaluation ? « Le conseil
devrait être indépendant de l’organisme de financement et de l’institution proposant les travaux, et devrait
avoir une expertise appropriée », écrit
Marc Lipsitch, professeur d’épidémiologie à Harvard, avec deux collègues dans une publication de l’Institut national américain d’étude des
maladies infectieuses.
Une autre option serait de fixer une
ligne jaune à ne pas franchir. Et d’interdire d’office certaines recherches.
Membre du groupe de travail de
l’EASAC, Simon Wain-Hobson, professeur de virologie à l’Institut Pasteur,
regrette que ce conseil n’ait pas pris
une position plus ferme : « Certaines
recherches ne sont pas acceptables :
on ne doit pas rendre volontairement
un microbe plus dangereux. » Et le
scientifique de s’interroger : « Le clonage humain est interdit, les travaux
sur les cellules souches strictement encadrés, pourquoi ne ferait-on pas de
même avec ces expériences dangereuses pour la santé publique ? » p
n. pi
pénétrer à l’intérieur. La neuraminidase, elle,
favorise la diffusion dans l’organisme des
nouvelles particules virales produites dans
la cellule infectée. Si l’hémagglutinine est de
type H5 ou H7, un séquençage partiel du
gène permet de déterminer si le virus est
hautement pathogène ou non. Un caractère
détecté par la présence d’une suite particulière d’acides aminés, signe d’une hémagglutinine très efficace.
Les génomes des virus alimentent une base
de données internationale. Des informations scrutées à la loupe par de nombreux
scientifiques. Que recherchent-ils parmi ces
millions de lettres codées ? « Par exemple,
une séquence bien conservée au fil de l’évolution peut capter notre attention. Si elle est importante, y introduire une mutation nous permettra de mieux comprendre le fonctionnement du virus », explique Daniel Marc,
virologiste à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Nouzilly (Indreet-Loire). Au sein de l’équipe Pathologie et
immunologie aviaires, il planche sur la protéine virale non structurale 1 (NS1), dénommée ainsi car elle ne s’exprime que dans la
cellule infectée. Son rôle : empêcher la cellule
de se défendre en inhibant des molécules
chargées de lancer l’alerte. En comparant les
milliers de séquences répertoriées, Daniel
Marc et ses collègues ont remarqué une mutation dans la région qui relie les deux domaines de NS1 : « Une perte de cinq acides
aminés, apparue dans une souche H5N1 en
l’an 2000, est devenue prépondérante. » Cette
modification lui conférerait-elle un avantage
sélectif ? Oui, répondent les chercheurs, qui
ont démontré en 2014 qu’elle renforçait la virulence du pathogène. Autrement dit, une
meilleure capacité à se multiplier et à provoquer un état pathologique marqué.
Aujourd’hui, l’équipe s’intéresse à des parties très stables du gène de la protéine NS1.
Des mutations dans ces zones entraveraientelles le fonctionnement de la protéine ?
« Pour le savoir, nous construisons des virus
mutants grâce à la génétique inverse », explique Daniel Marc. Une méthode qui permet de
générer un virus à partir d’un génome dans
lequel des mutations sont introduites. Le
chercheur compare douze mutants différents
à une souche sauvage. Ce vendredi-là, un
ÉVÉNEMENT
| SCIENCE & MÉDECINE |
0123
Mercredi 20 avril 2016
|5
Structure de la polymérase, enzyme
clé du virus de la grippe A.
ALEX PFLUG ET STEPHEN CUSACK/EMBL, GRENOBLE
Voir l’ennemi
en trois
dimensions
C
omment se protéger de la
grippe ? Chaque année, l’Organisation mondiale de la santé doit
revoir la composition du vaccin contre
la grippe saisonnière. L’objectif : l’adapter aux souches de virus les plus représentatives. Et comme six à huit mois
sont nécessaires pour produire le vaccin, il s’agit en quelque sorte d’un pari
sur l’avenir. C’est pourquoi son efficacité n’est pas toujours optimale. Cela
a été le cas en 2014-2015, où son niveau
de protection a été moins élevé qu’escompté. Quant à l’émergence d’une
souche pandémique – un nouveau virus qui se propagerait à grande échelle
au sein d’une population non immunisée –, elle semble impossible à prévoir.
D’où l’importance des traitements antiviraux pour soigner la maladie.
Aujourd’hui, deux médicaments sont
utilisés : ils inhibent l’activité d’une enzyme virale, la neuraminidase. Mais les
virus grippaux ont tendance à développer des résistances qui les rendent difficiles à combattre. « Comme ils mutent
très rapidement, il faut combiner plusieurs médicaments, qui ciblent différents sites essentiels pour la réplication
du virus. Un peu à l’image des thérapies
utilisées contre le sida », explique Rob
Ruigrok, professeur à l’université de
Grenoble.
technicien de l’équipe suit un protocole pour
compter les virus dans des prélèvements réalisés à partir de cellules infectées. Des expériences menées dans un laboratoire L3, à haut
niveau de confinement, ultrasécurisé : sas
d’entrée, accès réglementé, dépression de la
zone de travail, stérilisation du matériel dans
un autoclave… Des dispositifs mis en place
pour éviter un risque de contamination accidentelle. Pour pénétrer à l’intérieur, le technicien franchit deux sas de sécurité. Il enfile sa
blouse, ses chaussures et ses gants dans le second. Ainsi protégé, l’homme s’installe à son
poste de sécurité microbiologique : les manipulations à risque se déroulent dans cet espace de travail protégé par une vitre et un
flux laminaire pour purifier le plan de travail.
Muni d’une pipette, le technicien dilue les
prélèvements dans des tubes, puis les distribue dans de petites boîtes de Petri contenant
un tapis de cellules en culture. Enfin, il place
les boîtes à l’étuve jusqu’au mardi suivant.
Elevage
de canards.
Depuis
novembre 2015,
les autorités
sanitaires ont
décelé
76 foyers de
grippe aviaire
hautement
pathogène
dans huit
départements.
REMY GABALDA/AFP
Dans l’adaptation du virus
à l’homme, une enzyme,
la polymérase virale,
joue un rôle-clé
La coloration des tapis cellulaires infectés
permettra alors de dénombrer les particules
virales et de déterminer la vitesse de réplication du virus. « Nous décèlerons peut-être des
différences entre des mutants et la souche sauvage, espère le virologiste. Complétés par
d’autres expériences, ces résultats nous permettront de préciser l’importance de la protéine dans le cycle de multiplication du virus. »
Afin de découvrir des déterminants de virulence et, in fine, explorer de nouvelles pistes
de stratégies antivirales chez l’homme.
La protéine NS1 intéresse aussi les chercheurs en virologie de l’INRA de Toulouse.
Eux explorent les interactions de la protéine
virale avec celles de l’hôte, chez le poulet et le
canard. Un travail commencé il y a deux ans :
« D’abord, nous déterminons une liste de pro-
téines aviaires qui interagissent avec NS1.
Ensuite, nous allons comparer cette liste à celle
des protéines humaines déjà connues pour se
lier à NS1. Les différences entre les deux nous
permettront d’analyser les mutations de NS1
susceptibles d’induire un changement d’interactions, favorisant un passage du canard à
l’homme », prévoit Mariette Ducatez, chercheuse en virologie.
Comment le virus s’adapte-t-il à l’homme ?
Une question-clé qui appelle de multiples réponses. A l’origine, l’influenza est une maladie aviaire. Pour autant, son potentiel de
transmission entre espèces lui permet d’atteindre l’homme. « Les espèces domestiques,
comme les volailles ou le porc, jouent souvent
le rôle d’intermédiaires entre le réservoir de virus – les oiseaux aquatiques sauvages – et
l’homme », note Nadia Naffakh, directrice de
recherche au CNRS à l’Institut Pasteur de Paris. L’exceptionnelle plasticité génétique du
virus constitue le deuxième moteur de son
adaptation. Là, deux mécanismes entrent en
jeu. Le premier, le réassortiment, survient
lorsque deux virus différents infectent simultanément une cellule. Et donnent naissance à
un nouveau virus, fruit de l’assemblage de
leur matériel génétique. Ce que craignent les
virologistes ? Un réassortiment entre un virus aviaire hautement pathogène et un virus
humain. L’accumulation de mutations constitue le deuxième mécanisme. Ici intervient
une enzyme-clé, la polymérase virale. Son
rôle dans la cellule infectée est de fabriquer
les copies du génome qui seront incorporées
dans les nouvelles particules virales. Les erreurs qu’elle introduit dans le génome, couplées à une pression de sélection, font évoluer le virus en permanence. Ainsi, « de multiples chemins adaptatifs sont possibles, ce qui
rend difficile la prévision du prochain virus
pandémique. Celui de 2009, par exemple, détenait une combinaison de déterminants
d’adaptation à laquelle nous ne nous attendions pas, compte tenu des observations faites
jusqu’alors », souligne Nadia Naffakh.
Elle et son équipe concentrent leurs recherches sur la polymérase. Plus spécialement
sur ses interactions avec l’environnement
cellulaire. Pourquoi cette protéine ? Car des
mutations sont impliquées dans l’adaptation du virus à l’homme. Par exemple, des
modifications qui lui confèrent une plus
grande capacité à passer dans le noyau d’une
cellule humaine et augmentent la réplication
du virus. Certaines sont justement recherchées par l’Anses dans les virus aviaires circulants. « Lorsque l’on détecte un virus comme
H5N1, on peut analyser sa séquence complète
grâce à la plate-forme de séquençage à haut
débit du laboratoire. Puis, en lien avec le Centre national de référence des virus influenzae
de l’Institut Pasteur, on vérifie si certaines mutations sont présentes. Comme celles de la polymérase, connues pour faciliter la réplication
du virus chez les mammifères », détaille Nicolas Eterradossi. D’autres marqueurs sont recherchés, comme une adaptation de l’hémagglutinine lui permettant de se fixer aux
cellules humaines, ou des mécanismes spécifiques de contrôle de la réponse immunitaire. Dans son avis du 14 décembre 2015,
l’Anses conclut à un risque « quasi nul » de
transmission à l’homme du virus H5N1 qui
sévit dans les élevages français. Quant au risque de transmission interhumaine, elle le
considère « encore plus faible ».
Pourquoi cette vigilance particulière face au
virus H5N1 ? Parce que, depuis son émergence chez l’homme, en 2003, celui-ci a provoqué 449 morts dans seize pays, en Asie du
Sud-Est surtout, sur un total de 846 cas confirmés par des analyses de laboratoire, selon
les décomptes de l’Organisation mondiale de
la santé. Ainsi, un sous-type du virus H5N1 a
acquis la capacité de se répliquer chez l’être
humain. Pour autant, son adaptation reste
partielle puisqu’il ne se transmet pas entre
humains. Les autorités sanitaires craignent
une telle évolution, d’autant que le virus affiche un taux de létalité supérieur à 50 %. D’où
la surveillance dont il fait l’objet à l’échelle
mondiale. « Les oiseaux sauvages migrateurs
constituent un réservoir gigantesque qui ne
connaît pas de frontières », précise Bruno
Lina, professeur de virologie et directeur du
Centre national de référence des virus influenza pour le sud de la France. Pour l’expert,
les mesures prises par le gouvernement sont
adaptées. « Mais seul l’avenir nous le confirmera. Face à la menace pandémique, notre devoir est d’abaisser le risque au maximum. Celui
qui ne prend pas cette responsabilité met en
danger toute l’humanité. » p
Comme une vision en 3D
Développer un traitement efficace
contre la grippe, telle est la finalité des
travaux de Rob Ruigrok et Thibaut
Crépin, chercheur au CNRS. Tous deux
travaillent à l’Institut de biologie structurale de Grenoble. Leur cible : la polymérase virale, une enzyme-clé dans le
mécanisme de prolifération du virus.
Ils utilisent la cristallographie afin de
comprendre, au niveau atomique, le
fonctionnement de cette macromolécule. Une méthode qui s’appuie sur
l’utilisation des rayons X : lorsqu’ils traversent une molécule, leur diffraction
informe sur la manière dont les atomes
sont organisés. « Nous obtenons ainsi
la position de tous les atomes de la protéine dans l’espace. Ce qui nous permet
de visualiser sa forme, ses replis et la
manière dont elle peut interagir avec
d’autres molécules », détaille Thibaut
Crépin. En somme, une vision en trois
dimensions.
En 2014, en collaboration avec
l’équipe de Stephen Cusack, du Laboratoire européen de biologie moléculaire,
les chercheurs ont réussi une véritable
prouesse : obtenir la structure complète
de la polymérase. Une découverte sur
laquelle s’appuient des scientifiques
comme Nadia Naffakh, de l’Institut Pasteur : « Un verrou important a sauté. Désormais, lorsque nous introduisons une
mutation dans la polymérase, nous pouvons visualiser précisément sa position
sur la structure tridimensionnelle de la
protéine. Ce qui facilite nos travaux sur
l’adaptation du virus à l’homme. » C’est
aussi une étape-clé dans la mise au
point d’antiviraux ciblant la polymérase virale, estiment les chercheurs.
« Aujourd’hui, nous pouvons collaborer avec des entreprises pharmaceutiques qui testent des molécules inhibitrices », affirme Thibaut Crépin. Grâce à la
cristallographie, l’équipe analyse les interactions potentielles de ces substances avec la polymérase. « Comme pour
l’hépatite B ou le sida, connaître la structure de cette protéine devrait accélérer
les recherches pharmaceutiques, espère
Rob Ruigrok. Et permettre de développer, d’ici dix à quinze ans, une multithérapie efficace. » p
n. pi
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Mercredi 20 avril 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
Des méduses
visitent
la capitale
Comment rendre la Terre invisible aux extraterrestres
l’ e x p o s i t i o n
L’Aquarium de Paris présente
des cnidaires, qui pullulent
à présent dans certaines mers
hervé morin
L
a densité que vous voyez là, c’est celle
qu’on observe dans la Baltique, la mer
Noire ou la mer Rouge ! » Jacqueline
Goy, qui a voué toute sa carrière
de biologiste aux méduses, désigne les cnidaires qui tournent, en ronde perpétuelle,
dans le flux laminaire des bassins de l’aquarium de Paris. Après quatre années de préparation méticuleuse, celui-ci a décidé de présenter une poignée d’espèces de méduses.
« Il s’agit du premier médusarium à Paris »,
se félicite Alexis Powilewicz, président
de cet établissement privé, niché sous l’un
des tentacules du palais de Chaillot.
« Elles sont l’un des marqueurs de la dégradation du milieu marin », enchaîne-t-il, insistant
sur le fait que son « institution d’éducation
populaire à l’environnement » se devait de familiariser le public avec un animal qui constitue à la fois une menace et une promesse.
Une menace, parce que la « gélification des
océans » est en marche : le réchauffement
climatique, mais aussi la surpêche, favorisent la pullulation des méduses, cercle
vicieux qui sera difficile à enrayer. Atteinte
à la biodiversité marine, à la pêche, au
tourisme, voire à la sécurité de l’approvisionnement nucléaire – des méduses ont obstrué
des systèmes de refroidissement d’une
centrale en Suède en 2013 –, la liste s’allonge.
Source de collagène et antirides
Une promesse aussi, énumère Jacqueline
Goy, parce qu’elle est source de collagène
pour les grands brûlés, « et de crèmes
antirides hors de prix ». Parce que ses facultés de régénération pourraient inspirer
des recherches sur les cellules souches, tout
comme ses gènes de fluorescence sont
utilisés en biologie et en médecine.
Membre du comité scientifique de l’Aquarium de Paris, la chercheuse a regroupé, pour
l’exposition « Méduses et poètes », des textes
littéraires qui accompagnent une vingtaine
de reproductions du dessinateur naturaliste
Charles Alexandre Lesueur (1778-1846). L’Aquarium accueille aussi « Jellyfish », des créations
du plasticien israélien Micha Laury, qui évoquent les lampes d’Emile Gallé (1846-1904).
Mais revenons aux vraies méduses. En
coulisses, le biologiste Etienne Bourgoin
les nourrit de crevettes vietnamiennes microscopiques, se garde des piqûres cuisantes,
veille à ne jamais mélanger les polypes qui
donneront naissance aux différentes espèces
de méduses, pour éviter qu’elles se cannibalisent. Ces polypes proviennent de l’aquarium
de Kamo à Tsuruoka (Japon), où l’équipe
française a fait ses classes. « On veut maîtriser,
grâce à leur collaboration, tout le cycle de
reproduction », explique Alexis Powilewicz.
Dans les cages bleutées, le ballet languide
des méduses fascine. Elles peuplaient déjà
la mer il y a 600 millions d’années. Quelque
chose suggère, dans leurs pulsations têtues,
l’étreinte molle de leurs filaments mortels,
que leur règne ne fait que commencer. p
« Médusarium », aquarium de Paris, 5, avenue
Albert-de-Mun, Paris 16e. www.cineaqua.com
Agenda
Médecine
La journée de dépistage du diabète
Un dépistage gratuit est organisé le 23 avril,
dans 70 villes françaises par l’association
Lider Diabète. Accessibles à tous les adultes de
plus de 18 ans, les tests seront réalisés anonymement en moins de deux minutes. Les personnes identifiées avec un taux de glycémie
élevé pourront s’entretenir avec un médecin.
La première journée de dépistage, le 14 novembre 2015, avait permis de tester plus de
20 000 personnes dans 35 villes ; 829 avec une
glycémie hors limite avaient été identifiées.
> Sur le Web : liderdiabete.org/evenements
RENDEZ-VOUS
improbablologie
Pierre
Barthélémy
Journaliste et blogueur
Passeurdesciences.blog.lemonde.fr
A
près que Christophe Colomb
eut « découvert » l’Amérique,
le moins que l’on puisse
dire c’est que l’irruption des
Européens dans le Nouveau Monde
ne bénéficia pas vraiment aux
autochtones. Pourquoi ce rappel
historique ? Parce que certains, à
commencer par le célèbre cosmologiste britannique Stephen Hawking,
redoutent que la situation ne se
reproduise mais au détriment de
l’humanité entière. Notre Terre pourrait bien être un tentant eldorado pour
des extraterrestres en avance de plusieurs technologies, qui n’hésiteraient
pas à venir jouer les conquistadores
et à écraser nos faces d’Indiens mal
dégrossis sous leurs pattes gluantes.
D’où l’idée de ne pas hurler notre
présence sur les toits cosmiques,
de nous faire discrets, tout petits.
L’ennui, c’est qu’il est difficile de
planquer la Terre sous un tapis.
Si, depuis une vingtaine d’années,
nous avons été capables de détecter
plus de 2 000 planètes extrasolaires,
de plus en plus modestes en taille, il y
a de bonnes chances qu’E.T. soit en
mesure d’en faire autant avec notre
jolie boule bleue. Et, dans une étude
publiée le 30 mars par les Monthly
Notices of the Royal Astronomical
Society (MNRAS), deux astronomes
de l’université Columbia (New York)
se sont dit qu’il n’est pas improbable
qu’il utilise la méthode qui nous a
le plus réussi au cours des dernières
années, celle dite du transit.
Son principe consiste à observer
la lumière d’une étoile, en espérant
que nous soyons sur le même plan
que les éventuelles planètes qui tournent autour. Au bout d’un moment,
celles-ci finissent par passer devant
le disque de leur soleil – ce qu’on
appelle un transit en astronomie –,
provoquant une baisse de luminosité
de l’étoile, aisément repérable.
Des panzers venus de Zantar
Il est ensuite assez facile de calculer
la taille des exoplanètes en question,
de déterminer si elles se trouvent
dans une zone tempérée, propice au
maintien de l’eau sous forme liquide.
Bref, de dire si elles sont habitables.
On peut aussi, par spectroscopie,
chercher dans leur atmosphère des
molécules trahissant la présence
d’organismes vivants, voire des traces
de pollution industrielle produite
par d’hypothétiques gougnafiers.
Si nous ne voulons pas, un de ces
beaux matins, voir débarquer des
colonnes de panzers spatiaux tout
droit issues de la planète Zantar,
peut-être faudrait-il songer, non pas
à empêcher la Terre de passer devant
le Soleil – cela risque d’être un peu
compliqué à mettre en place –, mais
à lui créer une sorte de cape d’invisibilité, explique, le plus sérieusement
du monde, l’étude des MNRAS. Ses
auteurs ont donc calculé combien
d’énergie il faudrait dépenser pour
compenser la baisse de luminosité
produite par notre transit annuel
devant notre étoile en dirigeant, à ce
moment précis, des lasers vers Zantar, de manière à faire croire aux astronomes zantariens que, autour du
Soleil, il n’y a rien. Ce qui revient à
allumer un immense phare non pas
pour être vu, mais pour ne pas l’être !
Résultat de l’estimation : pour une
cape d’invisibilité parfaite, il faut
compter un réseau de lasers d’une
puissance totale de 250 mégawatts,
à allumer dix heures par an. Soit
un coût énergétique somme toute
raisonnable. Autre possibilité moins
gourmande (160 kilowatts), masquer
uniquement les « biosignatures »
de notre atmosphère, pour faire
croire que la Terre est privée de vie.
Tout cela est très joli. Mais c’est
oublier que les Zantariens ont depuis
longtemps… détecté nos émissions
radio et qu’ils sont déjà en route.
En fait, ils arrivent demain. p
DAVID R. WEAVER
La boussole
du monarque modélisée
affaire de logique
Chaque automne, des millions de papillons monarques quittent l’est des Etats-Unis pour un
voyage de 4 000 km vers le centre du Mexique.
Une équipe américaine propose dans Cell Reports
du 14 avril une modélisation de leur boussole interne. Celle-ci combinerait les signaux provenant
d’une horloge comprise dans leurs antennes et
de leurs yeux à facettes capables d’estimer la
hauteur du Soleil sur l’horizon. Combiner ces impulsions nerveuses permettrait au lépidoptère de
recaler son cap au sud-ouest au fil de la journée.
Et de faire l’inverse pour le voyage de retour. p
RENDEZ-VOUS
| SCIENCE & MÉDECINE |
Michel Cabaret,
au CCSTI de Rennes,
en avril 2016.
0123
Mercredi 20 avril 2016
|7
Les chercheurs,
des mineurs
de fonds
RICHARD DUMAS POUR « LE MONDE »
vie des labos
david larousserie
S
david larousserie.
L
es belles histoires de start-up commencent souvent dans un garage.
Celle de Michel Cabaret a débuté
dans un espace déserté du premier
étage d’un centre commercial de
Rennes. Trente ans plus tard, c’est
le succès : la petite entreprise est devenue la
première non parisienne dans son domaine.
Le domaine est atypique et Michel Cabaret,
55 ans, n’a rien en fait d’un entrepreneur de la
haute technologie. Sa passion, c’est la science,
et il a contribué à créer le plus grand Centre de
culture scientifique, technique et industrielle
(CCSTI) de province. Depuis 2006, le CCSTI, devenu Espace des sciences en 1997, a quitté le
centre commercial des débuts pour un lieu
dans le centre-ville, à côté du musée de
Bretagne et de la médiathèque. Il y a accueilli
plus de 200 000 personnes en 2015, un record.
« Quand il pleut, les hôteliers conseillent à leurs
clients d’y aller », sourit Michel Cabaret, qui en
est le directeur depuis 1988.
L’envie de ce pionnier est simple, « partager
la découverte et le plaisir de la découverte ». Le
credo, classique, « promouvoir la pensée rationnelle pour faire reculer l’obscurantisme ».
Sans surprise, il avoue, « j’ai eu ma vocation
scientifique en visitant le Palais de la découverte à Paris, créé par Jean Perrin, qui est un de
mes modèles ». Tout naturellement, son engagement a été célébré par le prix Jean-Perrin
de la Société française de physique en 2007. Il
a également reçu l’un des grands prix de
l’Académie des sciences en 2012.
« Lorsque je suis venu visiter ce centre, au milieu des années 2000, les bras m’en sont tombés. C’est une folie, ce truc ! », salue Roland
Lehoucq, astrophysicien au Commissariat à
l’énergie atomique, très impliqué dans la
popularisation des sciences et chroniqueur au
Monde. « L’idée est la même que celle de Perrin :
mettre la science en culture par des expériences, des démonstrations, des exposés… », ajoute
celui qui a aussi contribué avec l’Espace des
sciences à réaliser une exposition itinérante
en astronomie.
Michel Cabaret a rejoint la petite équipe des
débuts trois ans après la création de l’association en 1984. Aujourd’hui, le centre compte
50 employés. Les conférences hebdomadaires
du mardi soir remplissent facilement les
500 places de l’amphithéâtre Hubert-Curien,
nommé en hommage à l’ancien ministre de la
recherche (de 1984 à 1986 puis de 1988 à 1993),
mentor de Michel Cabaret et très impliqué
dans la promotion des CCSTI. La chaîne YouTube de l’Espace des sciences compte plus
d’abonnés que celle d’Universcience, le fleuron des CCSTI à Paris, et certaines vidéos dépassent les 200 000 vues. La revue du lieu,
Sciences Ouest, compte 12 000 lecteurs.
Le centre abrite aussi l’un des plus grands
planétariums d’Europe, doté d’une capacité
de 100 places. Il a été l’un des premiers à
accueillir des séances en « temps réel » : sur la
base de scénarios définis à l’avance, celles-ci
sont commentées en direct par des animateurs, qui s’adaptent au public et à l’actualité
astronomique. « Nous mettons à jour notre ciel
presque toutes les semaines. Nous avons ainsi
pu tenir compte immédiatement du fait que
Pluton n’était plus une planète ».
Au rez-de-chaussée, en juin, une des fiertés
de Michel Cabaret sera rénovée, le laboratoire
de Merlin, un espace pour les 7 à 77 ans où l’on
peut expérimenter les phénomènes physiques. Dehors, les passants peuvent même voir
l’étonnement des visiteurs devant des vélos à
roues carrées ou des balles en lévitation. Au
sous-sol, autre particularité du lieu, de vastes
réserves contiennent des expositions ambulantes rangées dans des malles ou des caisses.
177 000 personnes en ont profité hors les
murs de Rennes l’an dernier, grâce à trois expositions hebdomadaires.
Dans les salles d’exposition, de jeunes animateurs contribuent à enrichir les visites.
« Parfois ce sont eux qui sauvent une exposition ! », plaide Michel Cabaret. « Je n’ai pas
trouvé d’équivalent ailleurs. J’aime bien transférer la connaissance au public et en retour
Michel Cabaret
ouvre grand
les portes du savoir
| Ce passionné a contribué à créer
l’Espace des sciences, à Rennes, haut lieu de découverte
et de partage de la connaissance
portrait
cela me sert pour ma recherche », souligne l’un
de ces animateurs, étudiant en thèse.
« Les gens se moquaient un peu de lui au
début », se souvient Dominique Bernard,
ancien enseignant-chercheur de l’université
de Rennes, membre du bureau de l’Espace
des sciences. « Même les scientifiques pensaient qu’on n’y arriverait pas. Il a aussi fallu
faire bouger auprès des bibliothécaires l’image de la science », rappelle Michel Cabaret,
qui a d’abord été directeur de la rédaction
du magazine Réseau, devenu Sciences Ouest.
Dans les premiers temps, certaines expositions ne voyaient passer qu’une centaine de
personnes…
« J’ai eu ma vocation
scientifique en visitant
le Palais de la découverte,
à Paris, créé par Jean Perrin,
qui est un de mes modèles »
michel cabaret
Puis la ténacité de ce coureur de marathon
(en moins de trois heures) a convaincu les élus
locaux de soutenir et développer ce projet ambitieux. « On a même réussi à mettre la culture
scientifique dans les priorités de la région », rappelle Paul Tréhen, à l’origine de l’association
initiale et aujourd’hui président d’honneur de
l’Espace des sciences. C’est lui qui a recruté le
jeune Michel, fils d’agriculteurs, en maîtrise à
la sortie d’un BTS. Ensemble, ils travaillent sur
ce qui ne s’appelait pas encore le développement durable et plus concrètement sur la biologie des sols. Dans la forêt de Paimpont, non
loin de Rennes, ils apprécient de partager avec
les locaux leurs résultats et connaissances.
« Souvent on réalisait qu’on ne leur apprenait
rien », s’amuse Michel Cabaret qui faisait là ses
premières armes dans la vulgarisation.
Après des études complémentaires au
Canada, puis un service militaire à Dakar, Paul
Tréhen lui propose alors de rejoindre la jeune
association de culture scientifique en 1987. « Il
a eu le mérite de persister dans l’idée de mettre
le grand public au contact des laboratoires »,
témoigne ce pionnier. « Il n’abandonne jamais,
donne de sa personne. C’est un très bon organisateur et gestionnaire », ajoute Paul Tréhen.
Le combat pour la culture scientifique n’est
jamais gagné. « J’ai enragé lorsque j’ai vu qu’à la
“une” des informations locales en novembre 2014, ce n’était pas la comète Tchourioumov-Guerrassimenko qui était en vedette, mais
la visite de l’équipe de France de football à Rennes », regrette Michel Cabaret. Il note aussi que
des expositions ou des conférences suscitent
des controverses, comme celles sur la génétique ou bien un exposé dans une mosquée sur
la religion. Il a bien sûr observé aussi des évolutions dans les rapports entre la science et la
société. « Avant, la science était sur un piédestal
et maintenant de plus en plus de gens interpellent les scientifiques. Il faut éviter d’être arrogant, mais cela reste quand même important
d’écouter la parole des spécialistes », estime-t-il.
A suivre les grandes enjambées du directeur,
d’une salle d’exposition aux fauteuils du planétarium en passant par son bureau ou le studio à fond vert utilisé pour les tournages, on
réalise que l’enthousiasme des débuts ne s’est
pas éteint. Il faut dire que ce bâtisseur a un
grand projet d’extension à Morlaix (Finistère),
au cœur de l’ancienne fabrique de tabacs, fermée en 2004. Dans ce bâtiment datant du
XVIIIe siècle devrait ouvrir, en 2019, un espace
muséographique présentant le passé industriel du lieu, mais aussi une salle de conférences et une copie du laboratoire de Merlin. Son
œil pétille en effeuillant la plaquette et les
futurs plans. « On a encore un bel avenir devant nous, assure-t-il. La curiosité est sans fin.
J’aimerais revenir dans un siècle pour voir ce
que nous aurons découvert ! » p
i nous attendons, « alors on est
mort ! », a lancé Thierry Mandon,
secrétaire d’Etat à l’enseignement
supérieur et à la recherche, en clôture,
le 6 avril, d’un colloque sur la diffusion des
savoirs par le numérique. Quelle menace
plane donc sur la recherche française ? La
crainte d’entraves à sa liberté par des restrictions sur des outils récents : la fouille de textes et de données (FTD). Ces techniques, dont
l’essor est lié à la numérisation des documents, permettent d’explorer de vastes corpus afin d’en extraire automatiquement des
informations. Par exemple, fouiller une base
de données de gènes pour étudier leurs relations. Ou plonger dans un catalogue astronomique pour comparer différents objets…
Rien de bien neuf ou de problématique.
Mais la FTD est aussi une nouvelle manière
de lire la documentation scientifique constituée par les millions d’articles écrits et publiés par les chercheurs. « L’un des buts est de
produire de nouvelles connaissances par ces
explorations », résume Marin Dacos, directeur du Centre pour l’édition électronique,
un éditeur public de ressources en sciences
humaines et sociales. « C’est comme passer
de la lunette au télescope pour un astronome.
Cela permet de voir mieux et plus loin »,
ajoute Renaud Fabre, directeur de l’Information scientifique et technique du CNRS.
Ainsi des chercheurs génèrent automatiquement des « cartes » des collaborations entre
scientifiques ou entre pays, détectent des
domaines émergents, étudient les liens entre
disciplines… En biologie, on repère, dans le
texte des articles, des gènes ou des protéines,
et des associations inédites entre eux.
D’autres encore étudient la progression du
« data mining », le nom anglais de la FTD,
dans la littérature de recherche… « Nous avons
aussi besoin de corpus pour tester nos outils de
fouille de données, par exemple pour qualifier
automatiquement la “polarité” d’un texte, neutre, positif, négatif… », complète Marin Dacos.
Des « fouilles de textes »
C’est là que le bât blesse car pour ces « expériences », les chercheurs doivent bien souvent télécharger les documents pour y appliquer leurs algorithmes. Autrement dit, copier
des œuvres qui ne leur appartiennent pas,
violant ainsi le droit d’auteur et le copyright
des éditeurs. « La France et l’Europe sont
en retard sur ces questions législatives par
rapport aux Etats-Unis, au Japon, au Canada,
qui autorisent, pour leurs chercheurs,
ces fouilles de textes », note Renaud Fabre.
D’où la bataille actuelle autour de l’article 18 bis du projet de loi « République numérique ». Cet amendement, contre l’avis du
gouvernement, a été ajouté par les députés
le 18 janvier. Il autorise « les copies ou reproductions numériques (…) en vue de l’exploration de textes et de données pour les besoins
de la recherche publique, à l’exclusion de toute
finalité commerciale ». Mais le gouvernement
craint l’incompatibilité avec la révision d’une
directive européenne de 2001 sur le droit
d’auteur, toujours en débat. Le Sénat a opté,
en commission, pour une formulation privilégiant des contrats entre éditeurs et organismes de recherche. De telles solutions existent
déjà. L’un des plus grands éditeurs, Elsevier,
explique au Monde que l’accord avec la France
« inclut une clause permettant aux chercheurs
publics de faire du “text and data mining”,
sans coût additionnel ». Mais les chercheurs
regrettent certaines contraintes du contrat.
A l’inverse, « il n’est pas nécessaire d’ajouter
une exception ! », proteste François Gèze,
président du Cairn, un portail de revues
scientifiques, et porte-parole sur cette question du Syndicat national de l’édition. « On
pourrait travailler à des solutions techniques
répondant aux besoins des chercheurs »,
ajoute-t-il, en précisant que les demandes
sont faibles, selon lui. Une idée serait
d’héberger des « copies » techniques chez un
tiers et en réserver l’accès aux chercheurs.
En même temps, un Livre blanc d’acteurs
de la recherche plaide pour autoriser la FTD
par une simple modification du code
de la recherche, qui réglemente cette activité.
Et un rapport est attendu sur le sujet avant
le débat au Sénat à partir du 26 avril. Restera
à fouiller parmi toutes ces solutions. p
8|
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Mercredi 20 avril 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
Suivre en temps réel les performances des sportifs
Depuis plusieurs années, un petit
boîtier a pris place sous les
maillots des rugbymen et des
footballeurs. Il est bien plus
qu’un classique GPS, précis à trois
mètres environ. Doté d’une
centrale inertielle (gyroscopes,
accéléromètres, magnétomètre), il
calcule pas à pas les déplacements
pour atteindre une précision
dix fois meilleure. La start-up
française Mac-Lloyd, née en 2013,
revendique la meilleure précision
face à ses concurrents Catapult,
GPSports ou VX Sport, grâce
à des traitements mathématiques
de la douzaine de paramètres
mesurés. Elle innove aussi, à
partir de juin, avec une brassière
intégrant des mesures de rythmes
cardiaques et respiratoires à l’aide
d’un tissage breveté qui n’utilise
qu’un seul fil d’argent sans
jonction. Une vingtaine d’équipes
d’élite – Racing Club 92 (rugby),
Olympique lyonnais (football),
Nanterre (basket), équipes de
France olympiques – sont déjà
clientes. La batterie d’indicateurs
fournis aide les préparateurs
physiques à prévoir les séances
d’entraînement ou à repérer des
baisses de régime, par exemple.
Ainsi l’accélération verticale, qui
diminue au cours d’un match,
trahit la fatigue d’un joueur.
L’entreprise voudrait convaincre
les chaînes de télévision
d’incruster à l’écran la vitesse,
le rythme cardiaque des joueurs,
ou encore la force d’un choc… p
david larousserie
Boîtier
Brassière
Electrode
arrière
5 électrodes contre la peau mesurent
des différences de potentiels et des
résistances électriques afin d’estimer
les rythmes cardiaque et respiratoire
(les contractions musculaires locales
engendrent des potentiels
électriques différents) ainsi que la
dépense énergétique (notamment
par la sudation qui influence le
passage du courant).
Electrode
40 grammes
GPS
Connexion
sans fil
Centrale
inertielle
Brassière
Electrodes
avant
Boîtier
Un accéléromètre, un gyroscope et un magnétomètre
fournissent neuf mesures, 1 300 fois par seconde,
complétées par trois provenant du GPS. Un traitement
mathématique calcule les dix-huit données-clés sur les
trois axes pour la position, la vitesse, l’accélération, la
rotation.
10 cm
Antenne
de transmission
V
Fréquence cardiaque
Transpiration
Avant
Récupération
des données
Dos
Tableau de bord
Ω
Terrain
de rugby
Dépense énergétique
INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER
Jusqu’à 150 indicateurs par joueur peuvent être
recueillis en temps réel. En pratique, une dizaine
d’entre eux sont utilisés : vitesse instantanée, distance
totale, nombre d’accélérations, de courses rapides, de
chocs, déséquilibre jambe droite/gauche… Chaque
sport a ses préférences : changements de direction
(tennis), distance (rugby, foot), accélérations (basket).
SOURCE : MAC-LLOYD
Le sexisme se nourrit de préjugés sur des différences « naturelles » entre hommes et femmes. Mais lutter contre
en mettant en avant une quasi-identité entre les deux sexes, c’est faire fausse route, met en garde un collectif de chercheurs
Les différences sexuelles méritent mieux que des caricatures
|
L
es mythes scientifiques sont toujours néfastes à la connaissance, mais il existe des
domaines où le citoyen qui souhaite s’informer aura bien du mal à trouver autre
chose que des caricatures. Tel est le cas des
différences entre hommes et femmes.
Alors que les scientifiques sont arrivés sur les grandes
lignes à un réel consensus et discutent surtout de l’interprétation à donner à des faits bien établis, le champ
médiatique donne à voir une tout autre histoire… Les
scientifiques seraient divisés entre ceux qui affirment
une différence biologique radicale et irréductible entre femmes et hommes et ceux qui démontreraient
au contraire une absence totale de différence.
Les ouvrages de John Gray – Les hommes viennent de
Mars, les femmes viennent de Vénus, Mars et Vénus
sous la couette, etc. (J’ai lu) – présentent une première
caricature : un tableau où hommes et femmes n’ont
presque rien de commun, où les hommes sont tous
agressifs, directs, ambitieux, et les femmes douces, romantiques et bordéliques. Le spectacle Tale of Two
Brains (« L’histoire des deux cerveaux », en DVD) de
l’Américain Mark Gungor est du même tonneau : Gungor y présente un cerveau masculin composé de cases
bien rangées et sans contact les unes avec les autres,
alors que le cerveau féminin serait un entrelacs inextricable de connexions improbables. Le public de Gungor est hilare, et il est difficile de savoir si c’est parce
qu’il prend le spectacle au second degré, ou parce qu’il
s’y reconnaît. Ce qui est certain, c’est qu’une partie des
lecteurs de Gray pensent avoir accès à des résultats
scientifiques quand ils ne lisent qu’une fable.
Le mythe des hommes et des femmes radicalement
différents ne convainc pas dans les milieux universitaires ou « intellectuels ». Mais ces milieux ont développé leur propre mythe, porté par d’autres figures.
Et parce que ce mythe est transmis par des personnes
qui peuvent influencer les directions que prend la recherche, il est au final plus sournoisement destructeur qu’il n’y paraît. Selon cette autre caricature,
toute différence entre hommes et femmes provient
nécessairement et entièrement d’une différence de
traitement culturel, sauf peut-être la présence, ou
non, d’un pénis pour lequel un certain chromosome
et quelques hormones pourraient avoir une influence. Chez l’humain, seule exception parmi toutes
les espèces animales, l’action des chromosomes et
hormones sexuels se limiterait aux caractères primaires et secondaires du même nom. Cette caricature poursuit un objectif louable : contrer le sexisme
en prétendant qu’hommes et femmes sont par nature parfaitement identiques au niveau cérébral et
psychologique. Mais l’idée même qu’elle est bénéfique repose sur plusieurs erreurs.
tribune
|
D’abord, accepter avec les spécialistes qu’il existe des
différences statistiques (parfois modestes et spécifiques) entre hommes et femmes n’est pas dire que chaque homme ou femme correspond à un « type » particulier. Par exemple, il est bien établi que les hommes
sont en moyenne plus grands que les femmes, mais
cela n’est évidemment pas applicable à chaque
homme et chaque femme en particulier. La sourde inquiétude que toute différence soit systématiquement
en défaveur des femmes n’est pas justifiée non plus :
les garçons sont plus touchés par le retard mental et
sont plus agressifs que les filles en moyenne, par
exemple. Enfin, la crainte que toute différence de fait
entre hommes et femmes pourrait justifier une discrimination sexiste est encore une erreur : ce qui est naturel n’est pas nécessairement bon, et ce qui est biologique n’est pas inexorable. C’est aux citoyens de décider des comportements et des modes d’organisation
de la société souhaitables, y compris si cela doit aller à
l’encontre de nos prédispositions biologiques.
« Certaines maladies ont
des manifestations dissemblables
selon les sexes et devraient être
étudiées et traitées en conséquence »
Certains auteurs comme Lise Eliot, Daphna Joel ou,
en France, Catherine Vidal, présentent la plasticité cérébrale (le fait que le cerveau se modifie en permanence sous l’effet de l’environnement ou de l’expérience) comme la preuve que rien n’est déterminé.
C’est évidemment un paralogisme : la force musculaire est aussi très plastique et extrêmement dépendante de l’entraînement. Il n’en reste pas moins que la
championne du monde d’haltérophilie, même si elle
soulève des dizaines de kilos de plus que la quasi-totalité de la population mondiale, reste 127 kg en dessous
du record masculin. Autre argument irrecevable : les
cerveaux des hommes et des femmes seraient de
toute manière « indiscernables ». Cette affirmation est
vraie si l’on parle de comparer les cerveaux individuellement à l’œil nu. Mais le poids est déjà une indication.
Des noyaux que l’on peut voir au microscope, tout
comme des analyses sophistiquées à l’IRM, permettent de les différencier un peu mieux. Et au niveau
moléculaire, on peut à coup sûr différencier un cerveau féminin d’un cerveau masculin avec les chromosomes sexuels (XY pour le mâle et XX pour la femelle).
Dans le même ordre d’idées, on voit des confusions
ou des oppositions qui aident à faire passer le message
caricatural d’une indifférenciation totale. Confusion
entre une différence de traitement (le sexisme qui est
condamnable) et des différences statistiques de fait
(qui ne sont pas du sexisme – de toute évidence les
faits ne peuvent se plier à nos idéaux). Opposition injustifiable entre le génétique (supposé irréductible et
fixe) et le culturel (supposé malléable). Opposition absurde entre le corps d’un côté (seul lieu d’une différenciation sexuelle) et l’esprit de l’autre. On aurait donc à
choisir d’adhérer soit à l’idée d’une différence radicale
entre les sexes, rejoignant la cohorte des conservateurs moisis, soit à celle d’une indifférenciation totale,
embrassant la voie de l’éthique et du progrès.
La vision véhiculée par John Gray est fausse, et dangereuse pour cette raison. La vision d’une parfaite
identité entre hommes et femmes est elle aussi dangereuse. Des médecins et des chercheurs militent depuis
des années pour que soient prises en compte les différences entre hommes et femmes, car certaines maladies ont des manifestations dissemblables selon les
sexes et devraient être étudiées et traitées en conséquence. Or, les médicaments sont le plus souvent testés majoritairement sur des mâles (humains et nonhumains). En conséquence, la médecine est mieux
adaptée aux hommes qu’aux femmes, et cela en partie à cause du présupposé faux d’une parfaite identité.
La science montre des différences statistiques cérébrales et psychologiques subtiles et localisées entre
hommes et femmes, vraies seulement en moyenne.
Les tentatives pour expliquer ces différences par des
effets purement sociaux se sont soldées par des semiéchecs : il est prouvé que la culture intervient, mais
elle n’arrive pas à expliquer l’ensemble des observations (par exemple, pourquoi certaines différences
sont d’autant plus grandes que la culture environnante est égalitaire ?). Il est tout aussi absurde de faire
de ces petites disparités des frontières hermétiques en
affirmant une absolue séparation des sexes que de les
nier ou de prétendre qu’elles s’expliquent parfaitement par l’existence d’une culture sexiste (par ailleurs
bien réelle). Ce n’est pas seulement faux : ce mythe de
l’indifférenciation est sans doute en partie la cause de
la quinzaine d’années de retard que la France accuse
par rapport au reste de la communauté médicale
européenne eu égard au développement d’une médecine (dont la psychiatrie) adaptée à chacun.
Il est temps de comprendre que la recherche de la
vérité n’est pas un frein au développement de la morale et aux progrès de la justice, bien au contraire. Il
est temps de comprendre que les scientifiques qui
trouvent des différences ne justifient en aucun cas la
discrimination. p
¶
Peggy Sastre, docteur
en philosophie des
sciences, auteur
et journaliste ; Nicolas
Gauvrit, chercheur
en psychologie
cognitive, agrégé
de mathématiques ;
Claudine Junien,
professeur émérite
de génétique, membre
de l’Académie
de médecine ; Franck
Ramus, directeur
de recherche au CNRS ;
Magali Lavielle-Guida,
docteur en psychologie ;
Jacques Balthazart,
docteur en biologie,
professeur émérite,
université de Liège,
Belgique ; Elena
Pasquinelli, chercheuse
en sciences cognitives ;
Michel Raymond,
directeur de recherche
au CNRS ; Charlotte
Faurie, chargée de
recherches, université
de Montpellier-II.
Le supplément « Science
& médecine » publie
chaque semaine une
tribune libre ouverte au
monde de la recherche.
Si vous souhaitez
soumettre un texte,
prière de l’adresser à
[email protected]
François Hollande face à
la montée des périls chez EDF
L’Android de
Google dans la
ligne de mire
de l’Europe
▶ Une réunion se tient
▶ Le risque financier
▶ Les syndicats estiment
▶ La direction d’EDF rétor-
mercredi à l’Elysée pour
examiner le projet de construction de deux réacteurs
EPR pour la centrale britannique d’Hinkley Point
est important : le coût
du chantier est estimé
à 24 milliards d’euros, alors
qu’EDF est déjà endetté
à hauteur de 37 milliards
que l’électricien est
« au bord de la faillite » et
ne peut pas se permettre
ce projet. Des administrateurs s’interrogent aussi
que que renoncer à Hinkley Point porterait un
coup mortel à l’exportation de nouvelles centrales
→LIR E PAGE 3
Les guerres de Poutine dopent l’industrie militaire russe
▶ Pour la pre-
mière fois depuis
la chute de
l’URSS, la production des usines
d’armement russes est en hausse
▶ Les conflits syrien et ukrainien
obligent l’armée
russe à se réarmer et favorisent
les exportations
▶ Reportage
à Toula, au cœur
du complexe
militaroindustriel russe
bruxelles - bureau européen
M
argrethe Vestager, la
très volontaire commissaire européenne à
la concurrence, l’a confirmé, lundi
18 avril, lors d’une conférence à
Amsterdam : oui, Android est bien
dans le collimateur de Bruxelles.
Selon nos informations, la commission s’apprêterait même, dans
les jours à venir, peut-être dès
mercredi 20 avril, à envoyer un
acte d’accusation en bonne et due
forme (un settlement of objections,
« SO » dans le jargon bruxellois)
contre le système d’exploitation
du géant américain, qui équipe
80 % des smartphones dans le
monde.
Que reproche Bruxelles à Android, cette couche logicielle utilisée par des milliers de développeurs d’applications ? « Notre
préoccupation, c’est qu’en exigeant
des constructeurs de smartphones
et des opérateurs de précharger
une série d’applications Google,
plutôt que de les laisser décider
seuls quelles applications fournir
avec les appareils, Google pourrait
avoir empêché des applications de
trouver leurs clientèles », a expliqué Mme Vestager. La Commission
soupçonne Android d’abus de position dominante. Contactée lundi
18 avril au matin, elle n’a pas confirmé qu’elle s’apprêtait à envoyer
un « SO » à Google.
cécile ducourtieux
→ LIR E L A S U IT E PAGE 6
→ LIR E PAGE 4
7
Vladimir Poutine
en visite dans une
entreprise de
fabrication
d’armes, à Toula,
en Russie, en 2014.
C’EST, EN MILLIARDS D’EUROS,
L’AMENDE À LAQUELLE S’EXPOSE
GOOGLE, SELON LES CALCULS
DU « FINANCIAL TIMES »
ITAR TASS/BESTIMAGE
AÉRIEN
AIR FRANCE VEUT
SA PART
DU MARCHÉ IRANIEN
→ LIR E PAGE 5
MÉDIAS
LES PROGRAMMES
EN CLAIR DE CANAL+
MENACÉS
→ LIR E PAGE 8
j CAC 40 | 4 529 PTS + 0,49 %
j DOW JONES | 18 004 PTS + 0,60 %
j EURO-DOLLAR | 1,1339
j PÉTROLE | 43,44 $ LE BARIL
j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,50 %
VALEURS AU 19 AVRIL À 9 HEURES
PERTES & PROFITS | DETTE ARGENTINE
Les lumières de Buenos Aires
0123
hors-série
L
es blancs et les bleus ont bien travaillé.
Deux équipes aux couleurs du drapeau argentin, banquiers et hauts
fonctionnaires, ont sillonné le monde
de la haute finance, de Washington à Londres,
pour vendre le retour de leur pays sur les marchés. Mardi 19 avril, le troisième pays d’Amérique latine devait emprunter près de 15 milliards de dollars (13,2 milliards d’euros) auprès
des investisseurs internationaux. Le succès est
déjà au rendez-vous. Plus de 50 milliards de
dollars auraient été proposés au pays.
Cet emprunt, l’un des plus importants jamais
émis par un pays émergent, est hautement symbolique, après quinze ans de glaciation. Depuis
la faillite de l’Argentine en 2001, les lumières de
Buenos Aires se sont éteintes pour la finance internationale. Incapable de rembourser une
dette de près de 95 milliards de dollars, le gouvernement de Cristina Kirchner a plongé son
pays dans l’isolement. Il a puisé dans les caisses
de la banque centrale et a fait tourner la planche
à billets pour couvrir ses dépenses, nourrissant
une inflation encore estimée à près de 25 % par
an. Les capitaux se sont enfuis, plongeant le
pays dans les difficultés. Selon l’actuel ministre
des finances, Alfonso Prat-Gay, cette fermeture
au monde extérieur aurait coûté 120 milliards
de dollars à l’économie et empêché la création
de près de 2 millions d’emplois.
Personne ne pourra jamais valider ces chiffres, mais il est étonnant de voir avec quelle rapidité les investisseurs sont passés de la haine à
l’amour pour un pays qui alterne avec cons-
Cahier du « Monde » No 22165 daté Mercredi 20 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
tance les crises économiques depuis l’aprèsguerre, naviguant, au gré des dictatures populistes ou militaires, entre les solutions radicales
pour combattre une inflation qui, aux riches
heures de la fin des années 1980, dépassait les
1 000 % par an (4 924 % en 1989 !). Mais les investisseurs oublient vite, pourvu que la promesse
soit alléchante. Et, en ces temps de taux d’intérêt négatifs dans les pays développés, des rendements de plus de 7 % ont tout pour séduire.
Confiance retrouvée dans les émergents
Ils ont aussi été séduits par le changement politique intervenu en décembre 2015 avec l’élection de Mauricio Macri. En trois mois à peine,
l’ancien maire de Buenos Aires a supprimé le
contrôle des capitaux, levé les barrières à l’importation, coupé dans les dépenses gouvernementales et réformé l’institut national de la
statistique. Comme si elles n’attendaient que
cela, les agences de notation ont relevé leur
note, réduisant le coût de la dette. Enfin, les
pouvoirs publics ont trouvé un accord avec les
créanciers qui poursuivaient le pays, acceptant
de lâcher plus de 10 milliards de dollars pour
apurer le passif. L’essentiel de la nouvelle émission permettra de financer ce remboursement.
Le succès de l’émission porte un autre message. Au-delà du retour de la confiance pour
l’Argentine, c’est celle des marchés envers les
pays émergents qui est en jeu. L’alternance politique a joué spectaculairement. Peut-être en sera-t-il de même avec le grand voisin brésilien. p
philippe escande
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2 | plein cadre
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Quentin Sannié,
cofondateur
de Devialet, avec
l’enceinte Phantom,
dans la boutique
de la marque,
à Paris, en 2015.
CAPUCINE GRANIER-DEFERRE/
« THE NEW YORK TIMES »
Devialet,
le petit Frenchy
qui monte le son
C’
est un rêve de gosses devenu réalité. Quentin
Sannié est cofondateur et
directeur général de Devialet, une start-up parisienne née en 2007, dont
l’enceinte connectée est distribuée dans les
Apple Store américains et européens. Dans
sa boutique située au cœur de Paris dans un
immeuble d’inspiration Art nouveau, il se
souvient avec nostalgie de ses débuts. « Mon
cousin, Emmanuel Nardin [cofondateur et
designer de Devialet], avec qui nous rêvions
depuis nos 14 ans de monter une boîte dans le
son, m’a dit qu’il avait rencontré un ingénieur
absolument incroyable, Pierre-Emmanuel
Calmel, qui travaillait sur une technologie révolutionnaire. L’opportunité était là, je ne l’ai
pas laissée passer », raconte-t-il.
Dix ans plus tard, les trois compères n’ont
pas fini de faire du bruit. Après le lancement
de la gamme d’amplificateurs haut de
gamme Expert, qui s’adresse à un public
d’audiophiles prêts à payer cher pour assouvir leur passion, l’arrivée il y a moins d’un an
et demi du Phantom, une enceinte sans fil
connectée ultra-compacte au design léché et
au prix un peu plus accessible (à partir de
1 690 euros), a fait décoller la jeune pousse.
En quelques années, son chiffre d’affaires a
bondi, passant de 3,5 millions d’euros en 2012
à 33 millions d’euros en 2015. Aujourd’hui, la
marque compte six boutiques, dont deux
dans l’Hexagone, et plus de 400 revendeurs
dans le monde.
UN SUCCÈS « MADE IN FRANCE »
Coup de maître : depuis mi-décembre, le
Phantom, son produit phare, est vendu dans
les Apple Store américains. « Nous avons
formé des équipes là-bas pour les familiariser
au produit. Les retours sont positifs, tous les
magasins vendent », se réjouit Quentin Sannié. Depuis le mardi 19 avril, Devialet franchit un nouveau cap. Son enceinte connectée
est désormais disponible dans toutes les
boutiques de la marque à la pomme en Europe. Une véritable consécration pour la
jeune marque. L’entreprise tricolore s’attend
à voir son chiffre d’affaires grimper en flèche
grâce à ce partenariat, et estime que les pré-
La start-up parisienne, qui a conclu
un partenariat avec les Apple Store,
se rêve leader mondial du son. La clé
de son succès ? Une technologie
de rupture, des soutiens de poids,
le réseau français de la Silicon Valley
sentoirs d’Apple pourraient représenter au
minimum 20 % de ses ventes.
Cette bonne fortune, le petit Français la
doit d’abord à sa technologie de rupture
dans un domaine qui avait connu très peu
d’innovations depuis une vingtaine d’années. Grâce à une technologie hybride mise
au point par Pierre-Emmanuel Calmel, qui
combine l’amplification analogique avec
l’amplification numérique, le son diffusé par
les produits reste intact, sans souffle ni distorsion, et ce jusqu’à 3 000 watts et 105 décibels de puissance, soit le volume sonore d’un
concert. Pas moins de 88 brevets et presque
trois ans de recherche et développement
(R&D) auront été nécessaires pour le seul
Phantom.
Véritable bijou de technologie, ce dernier
divise par trente la taille du produit par rapport à une enceinte standard. « Il restitue des
sons dans les graves avec un niveau de puissance inégalé par la concurrence, tandis que,
par rapport à une solution hi-fi classique, les
aigus sont agréables, même à très forte puissance. Il retransmet parfaitement l’ambiance
sonore, c’est très immersif », note Raphaël de
Labarthe, directeur de l’usine PHL Audio, située en Seine-et-Marne. Rachetée en
juin 2015 par Devialet, c’est elle qui produit et
assemble les haut-parleurs de la marque, au
Châtelet-en-Brie et à Chartrettes, près de Melun, avec une capacité de production pouvant aller jusqu’à 200 000 unités par an, soit
un haut-parleur toutes les deux minutes.
Pour fabriquer le Phantom, le Parisien tra-
« NOUS VOULONS
DEVENIR LA PLUS
IMPORTANTE
ENTREPRISE
DE L’AUDIO
DE TOUS LES TEMPS »
QUENTIN SANNIÉ
cofondateur et directeur
général de Devialet
vaille avec 22 usines à travers la France, qui
lui fournissent des pièces originales de
haute technicité. Un « made in France »
dicté par la raison. « Ce n’est pas un effet de
mode mais un choix stratégique. C’est ici que
nous avons trouvé les meilleurs industriels
pour répondre à nos cahiers des charges extrêmement exigeants », clame le patron du
spécialiste audio. Résultat : les châssis viennent de la région lyonnaise, les dômes des
haut-parleurs du Jura, les membranes en
aluminium peint du Grand Est, les coques
en résine de la région de Tours, l’électronique et les flasques en métal de Normandie.
La plaque de silicium, qui constitue la puce,
est, elle, importée de Malaisie.
Dans le showroom au décor volontairement sobre et épuré de la marque, rue Réaumur, les clients venus tester les produits
sont sous le charme. « Le son est extraordinaire, ce sont les meilleurs », chuchote l’un
d’entre eux à sa compagne, l’œil rivé sur les
vibrations du Phantom pendant la diffusion d’un morceau de rock. Et il n’est pas le
seul, les adeptes du petit Frenchy ne se
comptent plus. Des superstars Jay-Z,
Beyonce ou Will.i.am, en passant par le violoniste Renaud Capuçon, le rappeur Joey
Starr ou encore l’acteur de Bollywood aux
millions de fans, Shahrukh Khan, les célébrités du monde entier ont succombé. Des
ambassadeurs de choix, qui boostent la notoriété de la marque aux quatre coins de la
planète.
Il faut dire que le Français sait s’entourer et
n’a pas froid aux yeux. Pour faire connaître
ses produits, Quentin Sannié n’a pas hésité
à frapper à toutes les portes, quitte à ce
qu’on les lui claque au nez. En 2009, alors
qu’il ne disposait encore que d’un prototype, il obtient un rendez-vous à Londres
avec le rédacteur en chef très en vue d’un
magazine spécialisé dans l’audio. Immédiatement séduit, celui-ci décide de les mettre
en couverture, déclenchant un effet boule
de neige dans le microcosme des mélomanes. Fin 2010, le premier produit de l’entreprise, le D-Premier, était ainsi distribué
dans une vingtaine de pays. La jeune entreprise reçoit même une proposition de rachat, qu’elle décline.
Mais la R&D coûte cher et la société commence à envisager la nécessité d’une grosse
levée de fonds pour accélérer la cadence.
« Notre stratégie financière, depuis le début,
était de dire qu’on ne voulait travailler et être
financés que par des entrepreneurs, et non par
des fonds d’investissements », précise M. Sannié. Intrigué par cette petite entreprise, Marc
Simoncini, fondateur de Meetic, a rencontré
l’équipe il y a quatre ans. « Je suis allé écouter
leur son dans leur auditorium et j’ai trouvé ça
extraordinaire. Finalement, j’ai appelé Xavier
[Niel, patron de Free et actionnaire à titre
personnel du groupe Le Monde] et JacquesAntoine [Granjon, PDG de Vente-privee.com] », se remémore Marc Simoncini.
Les deux entrepreneurs rappliquent moins
d’une heure plus tard dans l’auditorium
pour tester à leur tour le produit. La magie
opère. « Ça a été un coup de cœur. Le son était
tellement évident dans sa limpidité, dans sa
fluidité, ciselé. Comme si les musiciens étaient
là devant nous », précise Jacques-Antoine
Granjon. L’affaire est conclue : les trois hommes d’affaires, auxquels se greffe Bernard Arnault, le PDG de LVMH, vont mettre la main
au portefeuille, à hauteur de 15 millions
d’euros en novembre 2012, puis de nouveau à
hauteur de 25 millions d’euros en juin 2015.
Le réseau français de la Silicon Valley
« Ils sont en avance sur le challenge technique.
Reste maintenant le défi commercial et de distribution », analyse M. Granjon. Pour cela, Devialet mise sur la qualité et le positionnement haut de gamme de ses produits : la
marque est distribuée dans des enseignes de
luxe telles que Harrod’s ou Colette. Mais son
succès outre-Atlantique, l’entreprise le doit
surtout au réseau français de la Silicon Valley. « C’est la meilleure campagne marketing
que j’ai vue, et ça montre à quel point le réseau
peut être efficace », observe Loïc Le Meur, fondateur de Leade.rs et personnalité française
incontournable à San Francisco. C’est lui qui,
après avoir rencontré Quentin Sannié, décide de lui présenter les grands patrons de la
Silicon Valley. « J’avais adoré le produit, alors
j’ai voulu les aider. On est allés voir Garrett
Camp [cofondateur d’Uber], qui en a d’abord
eu un à l’essai puis a fini par en acheter quatre,
et Tony Fadell [père de l’iPod et fondateur de
Nest]. Tous les entrepreneurs cool de la Silicon
Valley ont adoré le produit », se souvient-il.
En parallèle, Alex Dayon, un des hauts cadres de Salesforce et autre Frenchy très influent de la région, les présente à Marc
Benioff, le PDG de Salesforce qui leur décroche le précieux sésame : un rendez-vous avec
la grande prêtresse des Apple Store, Angela
Ahrendts. « D’habitude, elle ne reçoit pas les
fournisseurs, mais nous avions fait un tel travail de notoriété en Californie qu’elle a été intriguée », remarque M. Sannié. Après une
heure et demie d’entretien, le partenariat est
finalement acté.
Fort de son succès, Devialet ne compte pas
s’arrêter là et affiche sans fausse pudeur ses
ambitions : « Nous voulons devenir la plus importante entreprise de l’audio de tous les
temps », proclame M. Sannié. Le Français vise
notamment le marché plus large des amplificateurs, qui représenterait aujourd’hui
2,5 milliards de dollars par an (2,2 milliards
d’euros). Ses ingénieurs travaillent actuellement au déploiement de leur technologie
dans les voitures et les écrans plats de télévision, dont la qualité du son est souvent pointée du doigt. Un premier contrat dans l’industrie automobile pourrait être annoncé
dès cette année. Le petit Français semble
avoir trouvé le bon tempo. p
zeliha chaffin
économie & entreprise | 3
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Hinkley Point : les cinq risques qui pèsent sur EDF
L’Elysée doit examiner mercredi le projet controversé de construction de deux réacteurs EPR outre-Manche
R
éunion critique pour
EDF, mercredi 20 avril à
l’Elysée. François Hollande, Manuel Valls,
Jean-Marc Ayrault, Emmanuel
Macron, Michel Sapin, sans
oublier un conseiller de Ségolène
Royal : la liste des participants attendus, exceptionnelle pour un
dossier industriel, montre à elle
seule l’importance des arbitrages
prévus. Il s’agit de décider si l’entreprise doit ou non construire
deux coûteux réacteurs EPR au
Royaume-Uni, et, le cas échéant,
prévoir le plan de financement
adéquat. Lancer le projet ferait
courir de lourds risques à EDF. Y
renoncer pourrait remettre en
cause la crédibilité de la France.
« Quelle que soit la décision, les
dangers sont énormes », reconnaît un administrateur d’EDF.
La position de l’Etat ne serait
pas arrêtée. Le ministre de l’économie, M. Macron, est un fervent
partisan du projet, qui consiste à
installer à Hinkley Point, dans le
sud-ouest de l’Angleterre, deux
réacteurs de nouvelle génération,
des EPR (European Pressurized
Reactor). La France mènera à son
terme ce chantier, a-t-il encore
déclaré dimanche 17 avril à la BBC,
en précisant son objectif : « Etre
en situation de signer » le contrat
définitif « dans la semaine à venir
ou plus tard ». D’autres, comme la
ministre de l’environnement et
de l’énergie, Mme Royal, se montrent plus réservés.
Seule certitude : l’heure du
choix approche. Après la réunion
à l’Elysée, EDF a prévu un conseil
Les syndicats
de l’énergéticien
français
rejettent
unanimement cet
investissement
jugé pharaonique
d’administration vendredi sur le
volet financier du projet, puis un
autre début mai. Ce sera alors
aux administrateurs d’appuyer
ou non sur le bouton. En l’état, il
n’est pas sûr que la majorité du
conseil y soit favorable. Les syndicats d’EDF, qui disposent de
6 postes sur 18, rejettent unanimement cet investissement jugé
pharaonique, et plusieurs administrateurs indépendants sont
dubitatifs.
Le président de la République
va donc devoir trancher, mais
aussi convaincre toutes les parties prenantes de la validité de
son choix. Une décision qui revient à slalomer entre cinq
grands risques.
Le risque financier Le groupe
EDF est-il « au bord de la faillite »,
comme l’écrivent les syndicats
dans une lettre envoyée à
M. Hollande le 13 avril ? Sans
doute pas. La maison dispose de
rentrées régulières d’argent et
d’importantes lignes de crédit.
Aucune crise de liquidité ne se
profile à court terme. La situa-
tion est néanmoins tendue. La
dette de l’énergéticien dépasse
37 milliards d’euros, et ses bénéfices vont souffrir de la chute des
prix de l’électricité en Europe,
passés en un an de 40 à 26 euros
le mégawatt-heure sur le marché
de gros. Cela oblige EDF à baisser
ses tarifs pour rester compétitif.
Or « la pression sur les prix va durer », assure Juan Camilo Rodriguez, analyste chez AlphaValue.
En Bourse, la valeur du géant tricolore a tant baissé que l’entreprise a été exclue du CAC 40 en
décembre. Elle ne vaut plus que
22 milliards d’euros, moitié
moins qu’il y a un an.
Dans ces conditions, lancer
Hinkley Point paraît osé. Il faut
investir 24 milliards d’euros, sans
rien en récupérer avant 2025,
date prévue de la mise en fonctionnement des réacteurs. Et
malgré l’appui d’un partenaire
chinois, EDF devra assumer l’essentiel du risque.
Jugeant le dossier trop périlleux alors que d’autres très
grosses dépenses sont prévues, le
directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal, a démissionné en
mars. « Du point de vue des finances et des risques, le plus raisonnable serait d’annuler le projet »,
juge M. Rodriguez.
Pour s’y engager malgré tout,
EDF va devoir céder des actifs (un
plan portant sur 10 milliards
d’euros est en préparation), et
durcir son plan d’économies, qui
prévoit déjà la suppression de
3 500 postes. L’Etat, actionnaire à
85 %, a accepté de son côté de ne
plus recevoir son dividende en
cash, mais en actions. En revanche, il semble réticent à recapitaliser la société.
Le risque technologique Complication supplémentaire : construire un EPR est ardu. Aucun ne
fonctionne encore dans le
monde. Sur les chantiers en
cours en Finlande et à Flamanville (Manche), les délais et les
coûts ont explosé. Flamanville
pourrait même ne jamais entrer
en service, en raison de malfaçons. EDF assure que les deux
EPR envisagés en Angleterre profiteront des leçons tirées de ces
expériences. Mais « il s’agit à nouveau d’un prototype, avec des différences notables par rapport aux
autres EPR », met en garde un cadre. Le délabrement d’Areva, partenaire-clé de l’EPR, donne aussi
des sueurs froides chez EDF. L’ancien patron du Commissariat à
l’énergie atomique, Yannick d’Escatha, a réalisé une analyse des
risques liés au chantier de Hinkley Point, mais le PDG d’EDF a
refusé de communiquer le document aux administrateurs.
Le risque politique La question
de l’EPR est aussi celle de la politique énergétique, et de la répartition des risques. « Faut-il vraiment
mobiliser autant d’argent sur une
seule filière, le nucléaire, qui ne représente pas forcément l’avenir ?
Que se passera-t-il si un accident
comme Fukushima remet tout en
cause ? », s’interroge un administrateur. Vu de l’Elysée, miser sur
l’EPR, c’est aussi tendre un peu
plus les relations avec les Verts.
Le risque commercial A l’inverse, renoncer à l’EPR anglais
pourrait ruiner les espoirs internationaux de la filière nucléaire
tricolore. Si la France refuse le premier contrat qu’elle remporte à
l’étranger depuis des années,
quels clients, demain, lui feront
confiance ? Selon EDF, les contacts
noués en Pologne, en Inde ou en
Arabie saoudite risquent de tomber à l’eau. Pour M. Macron, c’est
une question de « cohérence » et
de « crédibilité ». Les syndicats,
eux, suggèrent d’attendre deux
ou trois ans, et de proposer au
Royaume-Uni la version optimisée de l’EPR, moins coûteuse, qui
est dans les cartons. Cela permettrait de maintenir les ambitions
hors de l’Hexagone. Le plan doit
être présenté à M. Macron le
27 avril.
Le risque social C’est souvent celui auquel les décideurs politiques
sont les plus sensibles. Surtout
pas de grève, pas de coupure de
courant ! Or, passer en force et
lancer Hinkley Point risque de
heurter profondément la « collectivité EDF ». La possible cession de
50 % du réseau de transport
d’électricité inquiète aussi : « Ce
serait attaquer l’ADN de l’entreprise, et vendre un métier qui a une
rentabilité modeste mais régulière », dit une élue du personnel.
Force ouvrière a déjà déposé un
préavis de grève. p
denis cosnard
LES CHIFFRES
75 MILLIARDS
C’est, en euros, le chiffre d’affaires réalisé par EDF en 2015.
1,2 MILLIARD
Soit le résultat net, en euros,
dégagé par l’électricien en 2015.
Il a fondu de 68 % par rapport
à 2014.
– 50 %
Soit la baisse de l’action EDF
en un an.
37,4 MILLIARDS
C’est, en euros, l’endettement
net d’EDF. Il s’est alourdi de 9 %
en 2015.
24 MILLIARDS
C’est le coût, en euros, du projet
de centrale EPR à Hinkley Point
(Royaume-Uni), selon l’évaluation initiale.
4 | économie & entreprise
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Les guerres de Poutine dopent les armuriers russes
A Toula, au sud de Moscou, l’industrie militaire redresse la tête, portée par les conflits en Syrie et en Ukraine
REPORTAGE
toula (russie) - envoyée spéciale
U
n flot ininterrompu
d’ouvriers pressés de
rentrer chez eux sort
des usines TOZ et Toulamachzavod. Erigé entre les deux
manufactures qui se font face, un
imposant dôme, semblable à un
ancien casque militaire russe,
coiffe le musée d’Etat où sont exposés, au côté d’antiques pièces
d’artillerie, des canons antiaériens
et des roquettes modernes. Bienvenue à Toula, « capitale des armes » de la Russie, qui connaît un
renouveau inattendu.
« En 2015, la production du complexe militaro-industriel a augmenté de 11 % à Toula, de 14 % à
Briansk [ouest de la Russie] et de
10 % à Mari-El [au nord de la Volga].
C’est une première dans l’histoire
post-soviétique », note Natalia Zoubarevitch, spécialiste des régions à
l’Institut indépendant des sciences sociales de Moscou. La raison :
les guerres de Vladimir Poutine
dopent le secteur.
Située à 190 kilomètres au sud
de Moscou, au cœur d’un bassin
houiller, Toula est longtemps restée à l’écart des circuits touristiques, en raison de son statut d’armurerie nationale. Pierre le
Grand y fit bâtir la première fabrique d’armes en 1712, la Toulski
Oroujeïny Zavod (TOZ), qui a traversé les siècles. Encore
aujourd’hui, la cité est communément présentée comme le « bouclier » de la Russie. « Jamais le
pied de l’ennemi n’est arrivé jusqu’ici », s’enorgueillit Grigori Lavroukhine, ministre régional du
développement économique.
Bien sûr, la cité a souffert lorsque, après la chute de l’URSS, le secteur militaro-industriel n’était
plus la priorité de Moscou. Toula
n’a d’ailleurs eu de cesse d’essayer
de se diversifier et d’attirer des entreprises étrangères : le constructeur automobile chinois Great
Wall, notamment, prévoit d’y
ouvrir une usine. Mais le retour de
la « Grande Russie » chère à Vladimir Poutine dope incontestablement le secteur militaro-indus-
triel et, ce faisant, l’économie locale, alors que le reste de la Russie
s’enfonce dans la crise.
« L’industrie de la défense a reçu
plus d’argent. Grâce au réarmement de l’armée, il y a moins de
chômage », assure Ilya, 38 ans. Ce
juriste de Toula voit la différence
avec son secteur d’activité où,
dit-il, « les contentieux ont fortement augmenté : nous avons de
plus en plus de mal à nous faire
payer depuis deux ans ». « Le pouvoir d’achat des gens a beaucoup
baissé », approuve sa femme Veronika, gérante d’un petit magasin
de mode féminine.
Le salaire moyen dans la région,
selon M. Lavroukhine, s’élève à
27 500 roubles (environ 365 euros),
ni plus ni moins qu’ailleurs, mais
au moins le travail ne manque pas.
Quelque dix-sept grandes usines
liées au complexe militaro-industriel fonctionnent toujours à Toula,
comme KBP, spécialisée dans les
armes de précision et les missiles.
Vladimir Poutine s’y était rendu
en janvier 2014, quelques mois
avant qu’elle ne soit inscrite, en
juillet, sur la liste des entreprises
sanctionnées par les Etats-Unis.
L’armement russe le plus récent
y est assemblé. Notamment les
batteries anti-aériennes de défense, de type Pantsir, utilisées en
Syrie. « En ce moment, nous avons
beaucoup de commandes, beaucoup de travail », s’est réjoui Youri
Kouznetsov, chef d’atelier chez
KBP, invité, le 14 avril, en duplex de
l’émission « Ligne directe », au
cours de laquelle le président russe
a répondu aux questions du public. « Nous achetons de nouveaux
équipements, un grand nombre de
jeunes nous ont rejoints », a-t-il
poursuivi, ajoutant cependant,
non sans une pointe d’inquiétude :
« Se pourrait-il qu’un jour nous
soyons obligés, comme dans les années 1990, de nous convertir à la
production de casseroles, poêles à
frire et autres produits ménagers ? »
« Penser à la reconversion »
La réassurance attendue n’est pas
venue. « Le pic des commandes a
lieu maintenant mais l’année prochaine ou plus tard, il va baisser, a
Assemblage de batteries antiaériennes chez Scheglovsky Val, l’une des 17 usines d’armement de Toula. SERGEY MAMONTOV/RIA NOVOSTI
« Nos opérations
contre
les terroristes
en Syrie ont été
un sérieux test
pour nos
nouvelles armes »
VLADIMIR POUTINE
répondu Vladimir Poutine. Nous
devons penser à la reconversion. »
Pas sûr, en effet, que l’embellie
du complexe militaro-industriel,
malgré les 75 milliards d’euros
consacrés à la défense dans le budget en 2015, soit de longue durée.
En attendant, la modernisation
de l’armée russe et les exercices
d’entraînement grandeur nature,
entrepris en parallèle au conflit
ukrainien, et surtout l’intervention militaire en Syrie, stimulent
une industrie vieillissante. Faisant
le point sur l’équipement de l’armée, le 11 mars, au sein même du
QG des opérations en Syrie, dans le
ministère de la défense à Moscou,
le chef du Kremlin s’était réjoui des
résultats enregistrés, malgré les
sanctions internationales.
« Notre programme de remplacement des importations est en cours
depuis environ dix-huit mois maintenant, et nous avons réorganisé la
production de la plupart des composants livrés précédemment à
l’étranger, avait indiqué M. Pou-
Toyota, Honda et Sony ont dû suspendre leur production pendant quelques jours
I
ndustrie, tourisme, distribution : l’économie du Kyushu
(Sud-Ouest) souffre après les
puissants séismes des 14 et
16 avril, qui ont des conséquences
sur l’ensemble de l’activité au Japon. « Toyota va suspendre par
étapes, du 18 au 23 avril, la production de ses chaînes d’assemblage. »
Annoncée le 17 avril, la décision
du premier constructeur automobile mondial découle des « pénuries en pièces détachées provoquées par les tremblements de
terre ». Elle concerne ses usines du
Kyushu comme celles de Nagoya
et celles de ses filiales Daihatsu et
Hino. 56 000 véhicules pourraient être concernés.
Toyota a pris cette décision car la
catastrophe a fortement affecté
l’activité des deux usines d’Aisin
Seiki de la ville de Kumamoto,
dans le département du même
nom, qui était proche des épicentres. Aisin Seiki fabrique des pièces pour Toyota, Daihatsu ou encore Nissan. Honda a par ailleurs
arrêté la production de son usine
de motos d’Ozu.
Dans l’électronique, Sony, qui
assemble à Kikuyo – également
dans le Kumamoto – des capteurs
d’images pour les caméras de
smartphones, notamment des
iPhone d’Apple, a fait de même.
Dans l’attente de la relance de l’activité, le géant de l’électronique
pourrait externaliser la production de certains composants dans
une usine Fujitsu du département de Mie, dans le centre de
la péninsule.
Coup d’arrêt pour le tourisme
Fuji Film a de son côté dépêché
une vingtaine d’ingénieurs à son
usine de Kikuyo pour relancer au
plus vite la production de films
polarisants pour écrans LCD, dont
l’établissement assure 40 % de la
production mondiale.
Si l’impact du drame est réel,
l’inquiétude pour l’activité à
moyen terme demeure limitée.
« Tirant les leçons de la catastrophe de mars 2011, les constructeurs et leurs fournisseurs ont établi des réseaux pouvant être rapidement restaurés en cas de catastrophe », explique dans un
rapport du 17 avril la maison de titres Nomura, qui table sur un retour « rapide à la normale ». Selon
des calculs de Mitsubishi UFJ
Morgan Stanley, Toyota pourrait
cependant enregistrer une baisse
de 30 milliards de yens (243 millions d’euros) de ses profits opérationnels pour le trimestre entre avril et juin.
Outre l’industrie, la vente au détail est affectée, avec des conséquences plus directes pour la population qui souffre d’un manque
d’approvisionnement en nourriture et en eau. L’enseigne de magasins de proximité Lawson avait
rouvert le 17 avril sept de ses 141
points de ventes en zones sinistrées. Mais certains ne fonctionnent que quelques heures par
jour, faute d’approvisionnement
ou de personnel. Les services de
distribution, interrompus au moment des séismes, reprennent
progressivement depuis lundi,
hors les zones les plus sinistrées.
Plus généralement, les réseaux
de transport sont toujours perturbés. Si le trafic à l’aéroport de
Kumamoto devait reprendre le
19 avril, celui des trains à grande
vitesse Shinkansen reste interrompu, comme celui de plusieurs
lignes ferroviaires. Et plusieurs
axes routiers importants sont fermés à la circulation en raison des
dégâts causés par les séismes.
Ces difficultés devraient avoir
Preuve de son importance, le
secteur est l’objet de toutes les attentions du Kremlin. A Toula,
c’est désormais un gouverneur
militaire qui a pris la direction
par intérim de la région. Nommé
par décret présidentiel le 2 février
dernier, Alexeï Dioumine serait
l’homme qui a organisé l’exfiltration de l’ex-président ukrainien
Viktor Ianoukovitch vers la Russie, en février 2014, et qui aurait
joué un rôle dans l’annexion de
la Crimée. C’est un proche de Viktor Zolotov, le chef de la sécurité
personnelle de Vladimir Poutine,
promu récemment à la tête d’une
nouvelle « Garde nationale » placée directement sous la tutelle
du chef de l’Etat. p
isabelle mandraud
971
Tremblements de terre du Kyushu :
un choc pour l’économie japonaise
tokyo - correspondance
tine. Environ 4 000 types d’armes
dernier modèle, qui vont façonner
l’image de nos forces armées, ont
été livrés en 2015. Cela comprend
96 avions, 81 hélicoptères, 2 sousmarins polyvalents, 152 systèmes
de défense aérienne, 291 stations radar et plus de 400 véhicules blindés
et pièces d’artillerie. »
« Bien sûr, avait ajouté le président russe, nos opérations contre
les terroristes en Syrie ont été un sérieux test pour nos nouvelles armes, en particulier pour notre
équipement aérien. » Ce « test »,
ainsi que M. Poutine a qualifié à
plusieurs reprises les opérations
en Syrie, a permis à la Russie, selon lui, d’engranger « 15 milliards
de dollars l’année dernière » de
ventes d’armement.
un impact sur l’ensemble de l’économie japonaise, qui devra gérer
la reconstruction et répondre aux
difficultés des entreprises locales.
Selon le ministère de l’économie,
le produit intérieur brut du
Kyushu, à 431 milliards de dollars
(380 milliards d’euros) en 2015, représente environ 10 % de celui du
Japon. Les constructeurs nippons
assemblent dans cette région
1,3 million de véhicules par an,
soit 10 % de la production totale
du pays. Le Kyushu assure 20 % de
la production agricole nippone.
Proche du continent asiatique,
la grande île méridionale japonaise attire aussi de plus en plus
de touristes. En 2015, 2,83 millions
d’étrangers l’ont visitée, un chiffre
en hausse de 69 %. 40 % venaient
de Corée du Sud.
Cette activité devrait connaître
un coup d’arrêt, en raison des dégâts subis notamment par les infrastructures hôtelières. Le ministère chinois des affaires étrangères
a déconseillé à ses ressortissants
de se rendre dans le Kyushu avant
le 16 mai, et Hana Tour, la principale agence de voyages sud-coréenne, a annulé le 17 avril l’ensemble des séjours dans la région. p
philippe mesmer
C’est le nombre d’emplois de Cauval concernés par l’offre de reprise déposée par Steinhoff au tribunal de commerce de Meaux, jeudi 14 avril. Le
sud-africain, propriétaire de Conforama, a amélioré son offre pour s’emparer du fabricant de matelas placé en redressement judiciaire le 29 février. Steinhoff s’engage à reprendre cinq des six usines de Cauval, contre
quatre auparavant. Le site de Bar-sur-Aube (Aube, 460 salariés) n’est pas
concerné. Au total, 971 des 1 800 emplois de Cauval en France pourraient
être repris par Steinhoff, contre 771 auparavant. L’industriel promet d’investir 76,2 millions d’euros et de créer 300 emplois. Objectif : 250 millions
d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Les juges se prononceront le 17 mai.
AC I ER
Pas d’accord entre pays
producteurs
La Chine et les grands pays
producteurs d’acier ne sont
pas parvenus, lundi 19 avril, à
s’entendre sur des mesures
pour résoudre la crise liée à la
surproduction. A l’issue d’une
réunion de plus de 30 pays,
organisée par la Belgique et
l’OCDE, les Etats-Unis ont demandé à la Chine de réduire
sa production, sous peine de
sanctions. Un porte-parole
chinois a affirmé que son pays
avait fait « plus qu’assez » pour
réduire les capacités.
LUXE
Sophie Hallette reprend
le dentellier Codentel
Le tribunal de commerce de
Boulogne-sur-Mer a désigné,
lundi 18 avril, la maison Sophie Hallette (groupe Holesco)
comme repreneur du dentellier calaisien Codentel, en re-
dressement judiciaire. Soutenue financièrement par
Chanel, cette offre préservera
36 des 46 emplois et apportera 500 000 euros pour rénover les machines. Elle a été
préférée à celle du chinois
Yongsheng, qui vient de reprendre un autre fleuron de la
dentelle de Calais, Desseilles.
PHAR MAC I E
Sanofi investit
300 millions d’euros
en Belgique
Le groupe pharmaceutique
français va investir 300 millions d’euros dans l’extension
de son usine de Geel, en Belgique, a-t-il annoncé dans un
communiqué, mardi 19 avril.
L’investissement permettra
d’agrandir de 8 000 mètres
carrés les installations de
cette usine spécialisée dans
les produits biologiques et de
soutenir son activité dans les
anticorps monoclonaux.
économie & entreprise | 5
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Air France fait son retour sur
un marché iranien très disputé
Consolidation en vue
dans le « crowdfunding »
La compagnie espère aussi reprendre l’entretien des appareils d’Iran Air
A
ir France a fait son
grand retour en Iran
après huit années d’absence. Un Airbus A330
de la compagnie aérienne s’est
posé dimanche 17 avril à Téhéran,
pour la première fois depuis 2008.
Le potentiel économique du marché iranien, rouvert après des années d’embargo, attire toutes les
compagnies aériennes occidentales. La franco-néerlandaise, elle, a
décidé de revenir. progressivement dans la République islamique, à raison de trois liaisons par
semaine – « le temps d’accrocher le
marché », fait-elle savoir –, puis de
cinq, son objectif étant de parvenir
« à un vol quotidien ».
« Au moins un an de discussions »
avec les Iraniens a été nécessaire
pour permettre ce retour, précise
l’entreprise. A l’origine, Air France
voulait effectuer la liaison vers
Téhéran avec un Airbus A320. In
fine, la compagnie a opté pour un
long-courrier A330 ou un A340,
deux avions de 218 et 275 sièges qui
disposent d’une « plus grande cabine de business class », a indiqué
Frédéric Gagey, PDG d’Air France.
La clientèle
des hommes
d’affaires
est la première
visée par
ces liaisons
La clientèle des hommes d’affaires est en effet la première visée
par la compagnie qui proposera au
départ « une centaine de sièges business par semaine ». Air France espère rentabiliser cette nouvelle
destination « d’ici deux à trois
ans ». Le vol inaugural du 17 avril a
été l’occasion d’une grande opération de séduction auprès des entreprises françaises qui font des affaires en Iran. Dans l’avion, M. Gagey avait invité des dirigeants
d’Aéroports de Paris, d’Alstom, de
la SNCF, de Thales, du bureau
Veritas, de Vinci, de Voyageurs du
monde ou encore d’Aqualand.
Avec près de 80 millions d’habitants, dont 16 à Téhéran, l’Iran est
un marché stratégique. Pour Air
Délicate succession à Air France-KLM
Le cabinet de chasseurs de tête, mandaté par le comité des nominations pour trouver un successeur à Alexandre de Juniac à la présidence d’Air France-KLM, n’en a pas terminé. Alain Vidalies, secrétaire d’Etat aux transports, penche pour Fabrice Brégier, l’actuel
PDG d’Airbus. Mais ce capitaine d’industrie devrait consentir
d’importantes concessions financières : M. de Juniac est l’un des
patrons de compagnie aérienne les moins bien payés d’Europe.
En 2015, il a touché près de 700 000 euros contre respectivement
2,5 et 9,5 millions d’euros à ses homologues de Lufthansa et de
British Airways. Outre M. Brégier, Jean-Marc Janaillac (63 ans), PDG
de Transdev, un proche de François Hollande, et Jean-François
Cirelli, ancien dirigeant de GDF Suez, aujourd’hui chez le gestionnaire d’actifs BlackRock, seraient sur les rangs.
France, toutefois, une certaine
prudence est de mise, car elle n’est
pas la première compagnie européenne à prendre le chemin de la
capitale iranienne. Lufthansa
« n’a jamais arrêté ses vols vers
Téhéran », pointe M. Gagey. La
compagnie allemande opère un
vol quotidien vers Téhéran depuis
Francfort et trois par semaine
depuis Munich. Un mini-pont
aérien porté par des enjeux économiques d’importance. Déjà, les
flux financiers entre l’Allemagne
et l’Iran atteignent 3,5 milliards de
dollars (3 milliards d’euros) par an
tandis que les échanges avec la
France se montent seulement à
700 000 dollars annuels (soit
618 380 euros).
Guerre sans merci
Outre
l’omniprésence
de
Lufthansa, Air France devra
compter avec Alitalia et British
Airways. La compagnie britannique a prévu de reprendre ses vols
vers la capitale iranienne le
10 juillet. Toutefois, selon M.
Gagey, la plus forte concurrence
devrait venir des trois compagnies du Golfe (Emirates, Qatar
Airways et Etihad) et de Turkish
Airlines. Pour se faire une place
sur ce marché très disputé, Air
France se pense « mieux située
géographiquement ». Notamment
pour faire venir la clientèle américaine et la forte diaspora iranienne installée aux Etats-Unis,
principalement en Californie.
Air France veut tirer le meilleur
parti de son partenariat sur
l’Atlantique Nord avec la compagnie américaine Delta. « Notre vol
vers Téhéran est bien calé par rapport à celui qui arrive de Los Angeles », se félicite le PDG d’Air France.
Une autre guerre commerciale,
menée dans l’ombre, est cruciale
pour la compagnie franco-néerlandaise. En reprenant pied en
Iran, en effet, Air France veut relancer un partenariat de trente-cinq
ans dans la maintenance avec Iran
Air. Lundi 18 avril, M. Gagey a signé
un « Memorandum of understanding » (une lettre d’intention),
la première étape pour reprendre l’entretien des appareils de la
compagnie iranienne.
Faute de pièces de rechange, la
majorité de la flotte d’Iran Air est
clouée au sol. Avec la fin de l’embargo, l’Iran a déjà commandé plus
d’une centaine d’Airbus A320 ainsi
que 16 A350. A terme, « Iran Air
devrait compter une flotte de 250 à
300 appareils ». Une véritable
manne qu’Air France ne veut pas
voir captée par son grand concurrent Lufthansa.
La compagnie allemande, leader
mondial de la maintenance, et Air
France, son challenger, se livrent
une guerre sans merci pour gagner des parts de ce juteux marché. Rien que pour assurer la réparation et la logistique d’une dizaine de vieux avions d’Iran Air,
Air France a signé des contrats de
quatre à cinq ans d’un montant de
4 à 5 millions d’euros annuels.
La compagnie franco-néerlandaise a marqué des points vis-à-vis
de ses rivales : elle a obtenu une licence auprès de l’Office of Foreign
Asset Control (OFAC), une division
du département du Trésor américain, pour assurer l’entretien d’avions iraniens avec des pièces de rechange américaines encore frappées d’embargo. Et, assure Air
France, d’autres accords de licence
sont en préparation. p
guy dutheil
Lendix, leader des prêts aux entreprises sur
Internet, rachète son concurrent Finsquare
O
livier Goy, le président de
Lendix, l’admet. Il n’imaginait pas que la consolidation interviendrait si rapidement dans le secteur naissant du
prêt aux entreprises sur Internet.
Pourtant, c’est lui qui est à la
manœuvre. Sa société, qui se revendique numéro un de ce marché en France, avec 19 millions
d’euros de crédits alloués en 2015,
a annoncé mardi 19 avril qu’il
mettait la main sur son concurrent Finsquare (4 millions d’euros
de prêts). « Cela ne faisait pas partie de nos plans, mais l’occasion
s’est présentée. Avec sa communauté de 3 500 prêteurs actifs et
son positionnement sur les crédits
de courte durée, Finsquare complète idéalement notre offre », explique M. Goy.
Pour le secteur, cette opération
sonne comme le début du retour
à la réalité. Depuis que le gouvernement a permis aux particuliers,
le 1er octobre 2014, de prêter des
fonds à des PME par le biais de sites Internet, une myriade de
start-up se sont lancées. Fin 2015,
pas moins de 60 plates-formes
s’étaient fait immatriculer auprès
de l’Organisme pour le registre
des intermédiaires en assurance (Orias). Leur promesse ?
Permettre aux entreprises de se
financer plus rapidement qu’en
passant par une banque, grâce
aux internautes qui, en retour,
perçoivent des intérêts élevés.
« En France, les PME bénéficient de
80 milliards d’euros de nouveaux
prêts chaque année. A terme, le
marché du crédit en ligne peut en
représenter 15 % », avance M. Goy.
A terme, car, pour le moment,
cette activité, bien qu’en vive
croissance,
reste
modeste.
En 2015, l’ensemble des sites fran-
çais de crowdfunding ont produit
55 millions d’euros de crédits. Or,
pour être rentable dans ce métier
aux faibles marges, une plateforme doit en réaliser 100 millions par an.
En attendant, les sites brûlent
du cash, et beaucoup n’ont pas les
reins solides. « Les start-up se sont
jetées dans la bataille avec des
fonds propres très faibles, en sousestimant les coûts technologiques
ou marketing. La concentration
est inévitable », explique Hubert
de Vauplane, associé au cabinet
Kramer Levin. « Quatre sociétés
ont déjà fermé depuis janvier et
l’écrémage va s’accélérer, abonde
Grégoire Dupont, secrétaire général de l’Orias. Une vingtaine d’entreprises n’ont toujours pas de sites
Internet ou le moindre projet à présenter aux internautes. »
Le succès appelle le succès
En fait, seule une poignée de sites
parvient à générer des volumes, ce
qui est logique car, dans ce type
d’activité, qui s’apparente à une
place de marché, le succès appelle
le succès : les PME vont sur les sites
les plus actifs, pour être certaines
de se faire financer, et les prêteurs
se rendent sur les plates-formes
où il y a le plus de projets, afin de
diversifier leurs investissements.
« L’écart s’est creusé très rapidement entre les trois ou quatre leaders et le reste du peloton. Les premiers se développeront, tous les
autres fermeront ou vivoteront »,
estime M. Goy, qui est en train de
boucler une nouvelle levée de
fonds, de plus de 10 millions
d’euros. Objectif : financer son déploiement en Italie et en Espagne,
où Lendix veut se lancer d’ici à
fin 2016. p
frédéric cazenave
Maisons du monde souhaite entrer en Bourse avant l’été
Sous la houlette de Gilles Petit, son PDG, le spécialiste de l’équipement de la maison veut accélérer son développement à l’international
L’
enseigne d’ameublement
et de décoration Maisons
du monde espère entrer
en Bourse en 2016. Lors de la publication de ses résultats, mardi
19 avril, marqués par une hausse
de 15,7 % des ventes sur un an, à
699,4 millions d’euros, le groupe
LES CHIFFRES
262
C’était le nombre de magasins
Maisons du monde fin 2015,
installés dans sept pays (France,
Italie, Espagne, Belgique, Allemagne, Suisse et Luxembourg).
Le groupe vise près de 400 magasins en 2020, avec un rythme
d’ouverture de 25 à 30 magasins
par an à partir de 2017.
699,4 MILLIONS
Ce sont, en euros, les ventes réalisées par Maisons du monde en
2015. Pour l’année 2016, l’enseigne vise entre 800 et 815 millions
d’euros de recettes.
17,2 %
C’est le pourcentage des ventes
que l’enseigne a enregistrées sur
sa plateforme en ligne en 2015.
Les ventes sur Internet ont progressé de 32,2 % entre 2014 et
2015, représentant 120,6 millions d’euros en 2015. L’objectif
est d’atteindre 25 % du chiffre
d’affaires en ligne d’ici à 2020.
a annoncé l’enregistrement de
son document de base auprès de
l’Autorité des marchés financiers
dans l’espoir de réaliser sa mise
sur le marché avant l’été.
Les banques chargées de l’opération ont été choisies : en plus de
sa banque conseil Rothschild, la
Société générale et les américaines Goldman Sachs et Citigroup
conduiront l’opération. Le spécialiste de l’équipement de la maison
est actuellement détenu à 94 %
par le fonds d’investissement
américain Bain Capital, qui l’avait
racheté en 2013, pour 680 millions d’euros, à deux autres fonds,
LBO France et Apax Partners. Et
il arrive à la fin de son troisième
LBO (leverage buy out, acquisition
financée par endettement), en
général le dernier avant une sortie en Bourse.
A la pointe de la mode
Depuis quelques semaines déjà,
Gilles Petit, nommé PDG le
15 septembre 2015, rencontre investisseurs et financiers pour
sonder le marché. Il leur explique
que le rival direct de Pier Import
dans les années 1990, avec ses
collections de mobilier au style
ethnique, est aujourd’hui devenu
une enseigne d’ameublement et
de décoration à la pointe de la
mode, concurrent sans l’être vraiment des Ikea, Alinéa, et autres
But et Conforama.
« Il y a dix ans, le style ethnique
représentait 25 % du chiffre d’affaires de Maisons du monde.
Aujourd’hui, il en représente
moins de 5 %, explique M. Petit.
Nous avons actuellement huit sty-
Argument
de poids pour
les investisseurs :
la promesse
d’une rentabilité
supérieure
au marché
les, et deux collections de décoration par an. Presque tous les mois,
il y a des thèmes qui viennent appuyer ces dernières et nos clients
trouvent toujours quelque chose
de nouveau. » A en croire son
PDG, Maisons du monde se définirait davantage comme un « Inditex [maison mère de la chaîne
de prêt-à-porter Zara] du meuble
et de la décoration », qui possède
un argument de poids pour les
investisseurs : la promesse d’une
rentabilité assez stable, et supérieure au marché, avec « une croissance moyenne annuelle de 21 %
depuis 2001 », indique M. Petit.
Pour séduire les investisseurs
boursiers, ce patron n’en est pas à
son galop d’essai. A la tête d’Elior
de 2010 à 2015, il a mené à bien la
mise en Bourse en 2014 du spécialiste mondial de la restauration
collective, qui avait quitté les marchés huit ans auparavant.
En comparaison, l’histoire de
Maisons du monde paraît finalement assez simple. A partir d’une
petite boutique brestoise connue
sous le nom de 1 000 choses, Xavier Marie, son fondateur, encore
actionnaire à hauteur de 4 %, a
créé il y a vingt ans l’enseigne « La
Maison », puis « Maisons du
monde », spécialisée dans l’importation de meubles issus de
l’artisanat des pays du monde entier (Inde, Asie, Maroc…), avec un
premier magasin à Bordeaux en
avril 1996. Vingt ans plus tard, le
modèle se décline en centre-ville,
en centre commercial, et dans les
zones d’activités périurbaines qui
concentrent les deux tiers des
magasins, et il prend « plutôt des
parts de marché aux indépendants », estime M. Petit.
Son secret : des collections sans
cesse renouvelées, 56 % de son
chiffre d’affaires en articles de décoration et 44 % en meubles, pas
de stock d’invendus – ils sont
écoulés en étant réintégrés dans
une collection différente – et un
processus de fabrication mi-intégré mi-externalisé. « Une équipe
de 90 personnes travaille sur les
collections, dont 17 designers,
basés au siège près de Nantes, et
pour la fabrication, nous avons
500 fournisseurs en Asie, dont 300
avec lesquels nous faisons 80 % du
chiffre d’affaires, précise M. Petit.
Aujourd’hui, avec l’Asie, il y a quatre mois de délais pour être livrés,
et cela suppose d’avoir une bonne
maîtrise du suivi des ventes. »
Vente sur Internet
Nommé pour accélérer le développement, l’inventeur du
concept et du nom Carrefour City
lorsqu’il travaillait dans le groupe
de grande distribution, jusqu’en 2010, annonce la couleur :
il veut porter le chiffre d’affaires
à 1,3 voire 1,4 milliard d’euros
fin 2020 avec une croissance
comprise entre 12 % et 14 % par an,
dont une partie reposera sur
l’existant et profitera de l’embellie
naissante du marché du meuble.
Le développement de la vente
sur Internet sera sa seconde
source de croissance. Ouverte depuis 2005, elle fournit actuellement un peu plus de 17 % du chiffre d’affaires. « Nous venons
d’ouvrir la livraison gratuite en
magasin, un créneau assez por-
teur pour les petits produits, et
nous visons 25 % du chiffre d’affaires sur Internet », explique M. Petit. Le parc de magasins sera développé dans les six pays européens
autres que la France où l’enseigne
est déjà implantée. L’objectif est
de passer de 262 commerces
fin 2015, à près de 400 magasins
en 2020, et de porter la part du
chiffre d’affaires à l’international
de 34 % en 2015 à 50 % en 2020. p
cécile prudhomme
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6 | économie & entreprise
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Android
est dans
le collimateur
de Bruxelles
La commissaire
à la concurrence,
Margrethe
Vestager,
à Bruxelles,
le 15 avril 2015.
VIRGINIA MAYO/AP
La Commission s’apprêterait
à envoyer son acte d’accusation.
Google risque une amende élevée
suite de la première page
Cette étape de la procédure, si elle
se vérifie, n’a rien d’anodin. Elle signifie que la Commission est arrivée au bout de son enquête et
qu’elle se tient prête à prendre des
sanctions. A moins que dans sa réponse, la société incriminée ne
LES DATES
2009
La Commission européenne
lance les premières investigations sur Google pour abus
de position dominante.
2011-2014
Le commissaire à la concurrence, Joaquin Almunia,
négocie des mesures correctives
par la conciliation.
15 AVRIL 2015
Margrethe Vestager envoie
une communication de griefs
sur les services de comparaison
de prix de Google et ouvre
son enquête sur Android.
trouve des arguments suffisamment convaincants pour l’en dissuader. Ou qu’elle propose de transiger, ce qui est toujours possible.
Google risque une amende très
conséquente, pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires
pour la partie visée (mobile, applications, système d’exploitation),
soit plus de 7 milliards d’euros selon les calculs du Financial Times.
Bruxelles a travaillé particulièrement vite : l’enquête formelle
n’a été lancée qu’il y a un an, le
15 avril 2015, le jour où Mme Vestager annonçait l’envoi d’un premier acte d’accusation contre
Google Shopping, le moteur de
shopping de Google. « La Commission a travaillé mal et lentement
sur le moteur de recherche Google,
elle se rattrape avec Android. Il
n’est pas exclu qu’elle sorte sa décision finale concernant le système
d’exploitation avant celle sur le
shopping », assure Jacques Lafitte,
de la société de conseil Avisa, spécialiste à Bruxelles dans les affaires de concurrence.
De fait, selon nos informations,
la Commission aurait la partie
plus difficile avec Shopping
qu’avec Android. Dans le cas du
moteur de shopping, Google a envoyé, à la fin de l’été 2015, une réponse particulièrement argumen-
tée. La Commission, avant de pouvoir passer au stade ultime de la
sanction, doit réussir à démontrer
que le groupe américain manipule
son algorithme de recherche pour
handicaper d’autres services de
shopping en ligne. Pas simple : ces
algorithmes sont secrets, et réputés particulièrement complexes.
Une « cible » délicate
A en croire une source bruxelloise, l’acte d’accusation contre
Android serait prêt depuis la fin
janvier, mais la Commission
aurait multiplié les avis pour être
sûre de son argumentaire. De fait,
Google est une « cible » délicate.
Car le groupe Internet, qui est
dans le collimateur de la Commission depuis 2009, ne prend pas les
préoccupations de Bruxelles à la
légère. Ses dirigeants ont tiré les
leçons du « cas » Microsoft : l’autre
géant américain de l’informatique est resté aux prises avec
Bruxelles pendant plus de dix ans.
Cela lui a coûté énormément d’argent, de temps, et son image en a
été durablement flétrie.
Le « Brexit » coûterait 5 400 euros
à chaque famille britannique
Une étude du gouvernement provoque la polémique outre-Manche
londres - correspondance
L
e gouvernement britannique a – littéralement – jeté,
lundi 18 avril, un pavé dans
la mare du « Brexit » : 202 pages
d’analyse économique et de graphiques denses pour mesurer
l’impact d’une sortie du RoyaumeUni de l’Union européenne (UE).
Conclusion principale : chaque
foyer britannique serait plus pauvre de 4 300 livres (5 400 euros) en
moyenne à l’horizon 2030.
L’étude, réalisée par les fonctionnaires du ministère de l’économie, se veut « sérieuse et sobre », a
commenté George Osborne, le
chancelier de l’Echiquier. Elle a
pourtant immédiatement provoqué la controverse. « La fonction
publique est utilisée pour faire de la
propagande », accuse Bernard Jenkin, l’un des leaders du oui au
« Brexit ». Avant d’ajouter : « le Trésor ne sait pas faire des prévisions
six mois à l’avance. Alors, 2030… »
Recul du PIB
Le travail du gouvernement reprend une méthodologie déjà utilisée par plusieurs grandes banques et think tanks. Le postulat de
base est que l’Union européenne
bénéficie économiquement au
Royaume-Uni à deux niveaux : elle
facilite le libre-échange avec ses
vingt-sept partenaires européens,
et elle attire les investisseurs étrangers, qu’ils soient de l’UE ou du
reste du monde.
« La fonction
publique
est utilisée pour
faire de la
propagande »
BERNARD JENKIN
parlementaire pro- « Brexit »
En cas de « Brexit », la question
qui se pose est de savoir quel accès
l’économie britannique conserverait au marché unique. Trois modèles sont possibles. Celui de la
Norvège, qui fait partie de l’Espace
économique européen : le pays
paie une contribution annuelle –
un peu plus faible que pour un
membre à part entière –, accepte
les règles du marché unique et la libre circulation des personnes,
mais ne peut pas voter à Bruxelles.
Le deuxième modèle est celui de la
Suisse ou du Canada, qui ont signé
des accords bilatéraux avec l’UE,
leur accordant un accès partiel au
marché unique. La Suisse a ainsi
passé 120 accords bilatéraux sur
différents secteurs de son économie. Le dernier modèle est celui de
simple membre de l’Organisation
mondiale du commerce, au même
titre que la Russie ou le Brésil.
A partir de là, le Trésor a mis en
évidence différents scénarios, plus
ou moins optimistes. Dans le pire
des cas, il en ressort que le PIB britannique serait en baisse de
9,5 points d’ici à 2030 (par rapport
à ce qu’il aurait été en restant dans
l’UE). Dans le meilleur des cas, la
chute n’est que de 3,4 points. Le
scénario jugé le plus probable est
un recul de 6,2 points, fondé sur le
modèle d’un accord bilatéral. C’est
ce calcul qui donne le chiffre de
4 300 livres par foyer.
Cette croissance affaiblie se traduirait par des recettes fiscales
plus faibles. Un « trou noir » de
36 milliards de livres (45 milliards
d’euros) est identifié dans le scénario central, soit le tiers du budget de la santé. « Les conclusions
sont claires : aucun des cas de figure ne soutient le commerce et ne
fournit autant d’influence que le
maintien dans l’Union européenne », estime M. Osborne.
Les partisans du « Brexit » sont
furieux de cette analyse. Selon
eux, le rapport ne prend pas en
compte les avantages d’un Royaume-Uni « libéré » de l’UE. Des accords de libre-échange pourraient
être signés avec des pays comme la
Chine, par exemple. Andrea Leadsom, ministre de l’énergie et militante pro - « Brexit », estime que
l’économie britannique pourrait
tirer parti d’une forte dérégulation
et se soustraire aux lourdeurs administratives imposées par
Bruxelles. Mais surtout, elle se moque des prévisions à quinze ans :
« Même comme diseuse de bonne
aventure payée à temps-plein, je ne
pourrais pas être aussi précise. » p
éric albert
En Europe comme aux EtatsUnis, Google s’est donc entouré
des meilleurs avocats (le cabinet
Cleary Gottlieb, en Belgique) et
son bureau de Bruxelles, situé à
quelques centaines de mètres de
la Commission et du Parlement
européen, est quasiment affecté
aux enquêtes à son encontre. Entre 2009 et 2014, le groupe américain a espéré s’en sortir en transigeant avec la Commission. Le
commissaire à la concurrence de
l’époque, Joaquin Almunia, prédécesseur de Margrethe Vestager,
était convaincu que le dialogue
devait primer.
Mais les trois tentatives de conciliation du groupe ont échoué,
en raison notamment de la mobilisation des plaignants, en 2014. Et
quand elle est arrivée en poste, en
novembre 2014, Mme Vestager a
décidé de passer à la manière
forte. Depuis, Google a aménagé
sa stratégie en conséquence : « Il a
adopté une démarche très dure, il
rejette toutes les accusations de la
Commission », relève une source
bruxelloise au fait du dossier.
« La Commission
a mal travaillé
sur Google,
elle se rattrape
avec son système
d’exploitation »
JACQUES LAFITTE
fondateur d’Avisa
Si l’acte d’accusation contre Android se confirme, la réaction
américaine pourrait être virulente. Cela fait des mois que
Washington fait passer des messages sans nuances à la Commission, accusant l’Europe de s’en
prendre à des groupes américains
pour protéger son marché intérieur. Accusations rejetées, régulièrement et avec fermeté, par
Mme Vestager, qui précise n’agir
qu’au nom du respect des règles
de concurrence de l’Union. Les
Etats-Unis sont aussi très inquiets
de l’enquête pour aides d’Etat illé-
gales de l’Irlande à l’encontre d’Apple : une décision de la Commission, avec à la clé une amende conséquente pour la firme de Cupertino, est redoutée depuis des mois.
Un acte d’accusation contre Android renforcerait l’image d’intransigeance et de courage politique de Mme Vestager. La Danoise –
qui fut ministre de l’économie et
de l’intérieur à Copenhague, et à
qui certains prédisent un destin
de premier ministre – suscite l’admiration à Bruxelles. C’est une
des « pointures » de la Commission Juncker, où elle est aux
avant-postes de la croisade contre
la fraude et l’évasion fiscale. En
plus du cas Apple, elle a déjà fait
condamner la Belgique pour
aides d’Etat illicites envers des dizaines de multinationales. Fiat et
Starbucks ont aussi été condamnés à rembourser respectivement
le Luxembourg et les Pays-Bas.
Sans compter Amazon et McDonald’s, qui sont aussi dans son viseur, pour leurs arrangements
avec le fisc luxembourgeois… p
cécile ducourtieux
Jean-Michel Aulas, le patron
de l’OL, se sépare de Cegid
A
près trente-trois ans sous les couleurs tricolores, Cegid battra bientôt
pavillon étranger. La pépite lyonnaise, qui figure parmi les leaders français de
l’édition de logiciels de gestion et de services
cloud, pour les entreprises et les organisations du secteur public, opérera d’ici à quelques mois sous la houlette d’un consortium
de fonds d’investissement américano-britannique. Le groupe a annoncé, lundi 18 avril, la
cession des participations de ses principaux
actionnaires, l’assureur Groupama, et JeanMichel Aulas, via sa holding ICMI, qui détiennent respectivement 26,9 % et 10,7 % des
parts de la société. « Je suis enchanté de pouvoir offrir à l’ensemble de nos actionnaires ce
que je considère être (…) un prix extrêmement
attractif », a commenté M. Aulas.
Un fleuron français de l’informatique
Le consortium à l’origine de ce rachat, qui regroupe les fonds d’investissement américain
Silver Lake et britannique AltaOne Capital,
lancera prochainement une offre publique
d’achat amicale pour concrétiser l’opération.
Cette dernière sera libellée au prix de
62,25 euros par action et de 44,25 euros par
bon d’acquisition d’action remboursable, valorisant la société à 580 millions d’euros. Si les
titres apportés lors de l’offre publique atteignent plus de 95 % du capital de la société, un
complément de 1,25 euro par action sera
ajouté. Soit une prime de 20 % par rapport au
cours du 15 avril et de 44 % sur la moyenne des
douze derniers mois. Une belle opération
pour l’homme d’affaires rhônalpin et l’assureur Groupama, qui devraient profiter de
plus-values substantielles.
« Cette annonce n’est pas une surprise, nous
nous y attendions plus ou moins du fait de la
stratégie d’accélération à l’international affichée par le groupe », commente Gilbert
Ferrand, analyste chez Midcap Partners. Déjà
implantée aux Etats-Unis et en Afrique, Cegid
entend accélérer fortement ces prochaines
années sur ces continents et devenir ainsi une
référence à l’international.
Le patron du club de football l’Olympique
lyonnais (OL), aujourd’hui âgé de 67 ans, avait
fondé l’entreprise d’édition de logiciels
en 1983 en plein cœur de la capitale des Gaules, misant sur l’essor de l’informatique dans
les entreprises. Avec succès : la société fut introduite en Bourse à peine trois ans après sa
création. Trois décennies plus tard, le groupe
est devenu l’un des fleurons français de l’informatique, affichant sa bonne
PREUVE
santé, ces dernières anDE LA VITALITÉ DU
nées, dans un secteur
pourtant devenu très conGROUPE, M. AULAS
currentiel. Son chiffre d’affaires a atteint 282,1 milRESTERA PRÉSIlions d’euros en 2015, en
DENT DU CONSEIL
croissance de 5,8 %, pour
un résultat net de 23,2 milD’ADMINISTRATION
lions d’euros.
Originellement tournée
vers la fourniture de solutions informatiques
aux experts-comptables, la société lyonnaise
compte aujourd’hui plus de 120 000 clients et
400 000 utilisateurs, dont plus de 120 000
sont équipés en mode Saas (mise à disposition de logiciels par Internet). C’est sur ce dernier segment, en très forte croissance, que Cegid concentre ses efforts.
Preuve de la vitalité du groupe, Jean-Michel
Aulas a précisé qu’il conservera sa fonction de
président du conseil d’administration, tout
comme son bras droit, Patrick Bertrand, qui
sera maintenu à la direction générale. Le patron de l’OL a également indiqué qu’il réinvestira dans la société une partie « plus que significative » des sommes tirées de la cession de
ses parts. « C’est un signal fort. Cela montre
qu’il croit toujours fortement à l’avenir et au
potentiel de croissance de Cegid », note M.
Ferrand. La vente de la société devrait être finalisée au cours du second semestre. p
zeliha chaffin
idées | 7
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
LETTRE DE LA CITY | par ér ic al b ert
L’échec d’une décennie de régulation des très hauts salaires
V
oici venu le mois d’avril, ses cerisiers en fleurs, son soleil printanier… et ses assemblées générales.
Et une fois de plus, les actionnaires
des grandes multinationales ne sont pas contents. Ils ne supportent plus les salaires démesurés des patrons des multinationales.
Cette année, la saison a démarré très fort.
Jeudi 14 avril, les actionnaires de BP ont rejeté
à 59 % la rémunération du patron de la compagnie pétrolière, Bob Dudley : 17 millions
d’euros, soit 20 % d’augmentation, alors que
la société affichait les plus grosses pertes de
son histoire.
Quelques heures plus tard, les actionnaires
du groupe d’appareils médicaux Smith & Nephew ont eux aussi rejeté, à 53 %, la rémunération du patron de l’entreprise, le Français Olivier Bohuon. Celui-ci ne touche pourtant
« que » 4,8 millions d’euros, en baisse de 20 %
par rapport à 2014. Mais cela reste beaucoup
trop pour les actionnaires.
Le problème est que tout cela ne sert pas à
grand-chose. Les votes des actionnaires ne
sont que consultatifs. Les patrons empochent
quand même les sommes rondelettes que leur
« proposent » les comités de rémunération.
Surtout, cette révolte n’est pas une première, loin de là. En 2012, les actionnaires
avaient exprimé leur colère une première
fois. Eux qui d’habitude avalisent les décisions des entreprises avec des scores staliniens – en général au-dessus de 90 % d’approbation – en ont soudain eu marre. Alors que
les Bourses dévissaient et qu’ils voyaient leur
portefeuille fondre comme neige au soleil, les
grands patrons continuaient à se gaver. Le
« printemps des actionnaires », comme l’avait
surnommé la presse anglo-saxonne, avait remué quelques-uns des établissements les
plus prestigieux : le groupe de publicité WPP,
les assureurs Aviva et Prudential, le minier Xstrata, le groupe de presse Trinity Mirror…
On avait alors entendu les cris du cœur des
grandes entreprises, sur le thème « Je vous ai
compris ». Promis, juré, on ne les y reprendrait plus. Le gouvernement britannique était
lui aussi monté au créneau. Il fallait que ça
change. Et pourtant, ça continue… En 1998, les
directeurs généraux des entreprises du
FTSE 100 gagnaient 47 fois le salaire moyen de
leurs propres salariés ; en 2014, c’était 148 fois.
Pour 2015, toutes les entreprises n’ont pas encore publié leur rapport annuel, mais la
hausse des rémunérations des grands patrons est pour l’instant en hausse de 6 %.
L’envolée des très hauts salaires est l’échec
d’une décennie de régulation. Conscientes du
problème, les autorités britanniques ont instauré en 2003 une nouvelle règle, en introdui-
L’ÉCLAIRAGE
Mince alors, les jeunes
débattent aussi en France !
B
ien que très embryonnaire,
Nuit debout prend de court
les états-majors syndicaux,
politiques et patronaux.
L’empressement du gouvernement
Valls ou de l’Elysée à dresser des rideaux de fumée – légaliser le cannabis, satisfaire l’UNEF, mettre en marche Emmanuel Macron… – tient
même de la panique. Il est vrai que les
expériences étrangères ont de quoi
faire froid dans le dos. Si le mouvement s’étend, on risque un scénario à
l’espagnole. S’il s’incruste, comme
avec les Occupy Wall Street, une partie
importante de la jeunesse peut se retrouver à terme derrière un Sanders.
Pourtant, il y a encore quelques semaines, ce n’était pas du côté de la jeunesse française que l’on pouvait craindre une remise en cause de l’ordre social et capitaliste. Son malaise se traduit en effet majoritairement par le
repli. Le vote massif des moins de
25 ans pour le Front national dépasse,
selon les enquêtes d’opinion, celui
pour toutes les gauches réunies. Et
lorsque des jeunes manifestaient,
c’était contre le mariage de personnes
de même sexe.
L’explication avancée de ce repli
identitaire est la situation « entredeux » de la jeunesse. Ni confrontée
aux inégalités stratosphériques américaines ni confrontée au chômage
extrême ibérique, elle ne pourrait
comprendre qu’elle doit réfléchir collectivement aux mécaniques qui
l’écrasent. Et cet écrasement l’empêcherait de penser le progrès et la condamnerait au conservatisme.
Cette explication économico-sociale est cependant très fragile. Traversons la Manche. En 2015, selon
Eurostat, le Royaume-Uni comptait
près de 8,1 millions de 15-24 ans, le
plus gros contingent européen, juste
¶
Philippe Askenazy
est chercheur
au CNRS-EEP-ENS.
derrière l’Allemagne, et devant la
France et ses 7,8 millions. Le niveau
d’éducation est globalement similaire
des deux côtés du tunnel, la part des
« issus de l’immigration » ou de la minorité musulmane l’est également.
Selon les dernières statistiques provisoires d’Eurostat, si le reflux du chômage des jeunes est plus marqué
outre-Manche, fin 2015, le RoyaumeUni
ployait
toujours
sous
600 000 chômeurs de moins de
25 ans, contre un peu moins de
680 000 en France. La crise a durement touché cette population avec
une précarité accrue : plus d’instabilité en France, des salaires d’embauche en chute outre-Manche. Dans les
deux pays, étudiants et jeunes actifs
font face à des difficultés aiguës d’accès au logement. La mobilité sociale
est en panne.
Bref, les Britanniques sont aussi
dans un entre-deux. Pourtant, si le
Royaume-Uni demeure dans l’Union
européenne en juin, ce sera grâce aux
jeunes, qui voteraient à 70 % contre le
« Brexit », selon des sondages convergents. De même, dans la lignée de la
victoire de Corbyn pour le leadership
du Labour, la jeunesse risque de lancer un message fort le mois prochain :
son vote pourrait bien porter à la tête
du Grand Londres (plus de 8,5 millions d’habitants) Sadiq Khan, un avocat des droits de l’homme de 45 ans,
anti-blairiste, fils d’immigrés pakistanais, musulman et pro-mariage gay !
IL NE MANQUE QU’UNE ÉTINCELLE
Si l’explication économique est insuffisante, pourquoi les jeunes Français
seraient-ils si différents ? A moins
qu’ils ne soient tout simplement
comme les autres : il ne manque
qu’une étincelle pour qu’ils basculent. D’où l’angoisse qui étreint certains milieux patronaux. La consternation est grande, au point de se demander si l’abandon de la « loi travail » n’est pas nécessaire. Leur pire
scénario serait que les « intellectuels
déclassés » – pour reprendre le terme
condescendant qu’ils aiment utiliser
–, militants et jeunes organisent une
convergence des débats et des luttes.
Même le contrôle des médias classiques, papier ou audiovisuels, ne suffirait pas à les freiner, puisqu’ils utilisent des outils alternatifs.
Cauchemar pour les uns, rêve pour
les autres ? Pour le moins, probablement, des traces durables, comme à
chaque occupation d’une place ou
d’un parc depuis 2011 – Tahrir, Taksim,
Zuccotti ou Puerta del Sol. p
sant un vote consultatif sur la rémunération
des dirigeants. L’idée était simple : les patrons
n’oseraient jamais aller à l’encontre de leurs
actionnaires. La suite a prouvé que c’était faux.
En 2013, Londres a durci les règles. Désormais, une fois tous les trois ans, un vote dont
l’effet est décisionnaire doit être organisé.
Mais ce vote concerne… la politique de rémunération, pas le salaire perçu effectivement
par le patron.
9 000 EUROS DE L’HEURE
Résultat, les consultants en rémunération ont
pondu de magnifiques rapports qui semblent
remplis de bon sens. Désormais, les bonus
sont payés essentiellement en actions plutôt
qu’en cash, afin d’aligner l’intérêt du patron et
celui de l’entreprise. Une bonne partie est différée de plusieurs années, pour éviter le
court-termisme. Mieux encore : dans certains
cas, cet argent peut théoriquement être repris
par l’entreprise si l’établissement rencontre
ensuite des difficultés liés à de mauvaises décisions prises en amont.
Tout ceci est très savant et intéressant. Mais
ça ne change rien au problème initial : le montant total de la rémunération reste exorbitant.
L’exemple de BP est en cela révélateur. Le calcul du bonus est basé sur d’intelligents critères « sous-jacents » des performances de l’en-
treprise, et son versement est pour l’essentiel
différé de trois ans. A l’arrivée pourtant, la
compagnie pétrolière perd de l’argent tandis
que le salaire de son patron est augmenté.
Le cas de Martin Sorrell, directeur général de
WPP, est également instructif. Pour 2015, il va
toucher… 80 millions d’euros ! Soit
9 000 euros de l’heure. Il assume pleinement.
La politique de rémunération a été « votée et
approuvée, fait-il valoir. La seule raison pour
laquelle cette politique a ce résultat est que l’entreprise va bien ». Ce qui est vrai : l’action a
augmenté de 168 % en cinq ans, et de 8 % sur
un an, malgré des marchés turbulents. Mais
80 millions d’euros, vraiment ?
Même le patronat britannique est mal à
l’aise. L’Institute of Directors mène campagne
depuis des années pour éviter ces excès. Pour
lui, ces quelques salaires démesurés entachent la réputation de l’ensemble des entreprises. Le salaire versé par BP « envoie le mauvais message », estime Simon Walker, son directeur général.
Le problème est identifié depuis longtemps.
Le débat a dépassé les simples ONG, et même
les actionnaires et le patronat protestent.
Pourtant, rien ne change : les très hauts salaires continuent leur envolée exponentielle. p
Twitter : @IciLondres
EN 1998,
LES DIRECTEURS
GÉNÉRAUX DES
ENTREPRISES
DU FTSE 100
GAGNAIENT 47 FOIS
LE SALAIRE
MOYEN DE LEURS
SALARIÉS. EN 2014,
C’ÉTAIT 148 FOIS
Quel programme économique
pour la présidentielle de 2017 ?
Avec Le Cercle des économistes et « Le Monde »,
treize think tanks de toutes tendances ont lancé
des débats publics. Leur objectif : dégager des clés
d’analyse des enjeux économiques et sociaux
collectif
L
a France est à un moment
singulier. Le triste record du
nombre de chômeurs, les incertitudes économiques mais
aussi géopolitiques, énergétiques et
financières mondiales freinent la reprise économique. Les radicalisations
de tous bords, les bouleversements
migratoires, le réchauffement climatique, les opportunités ainsi que les
impacts du progrès technique et du
numérique rebattent les cartes et les
cadres dans lesquels nous avions l’habitude d’analyser le monde.
Les réponses inadéquates, le manque de débat véritable et la saturation
d’affrontements binaires – et, bien
trop souvent, sommaires – ont pour
conséquence une perte totale de
confiance de nos concitoyens dans
les institutions et les politiques. Nous
risquons aujourd’hui un point de
non-retour.
Voilà pourquoi quatorze représentantes et représentants d’institutions
de réflexion, d’organisations citoyennes et de think tanks ont lancé
en 2015 l’opération – totalement inédite – de se rencontrer régulièrement
et de débattre, acceptant et assumant
leurs désaccords, autour de questions
qu’ils jugent primordiales dans la
perspective de l’élection présidentielle de 2017 bien sûr, mais aussi audelà.
C’est ainsi qu’Attac, Le Cercle des
économistes, Coe-Rexecode, La Fabrique de l’industrie, la Fondapol, l’Institut Montaigne, GenerationLibre, Les
Economistes atterrés, l’Institut de
MÊME SI LA SITUATION
EST DIFFICILE,
NOUS REFUSONS
L’AFFAIBLISSEMENT
DE NOTRE ÉCONOMIE
ET L’EFFRITEMENT
DE LA COHÉSION
DE NOTRE SOCIÉTÉ
l’entreprise, la Fondation Concorde,
l’OFCE, la Fondation Jean-Jaurès, la Fabrique Spinoza et Terra Nova ont engagé un cycle de débats publics afin
de faire progresser la réflexion sur
l’économie française et les voies à
emprunter pour en améliorer le fonctionnement, l’efficacité et la place
dans le monde.
Nos premiers échanges ont permis
une confrontation des points de vue
autour de trois sujets : les incertitudes de la trajectoire de l’économie
mondiale, le rôle des banques centrales, notamment en Europe, et l’ouverture du marché du travail à la jeunesse.
QUATRE THÉMATIQUES DÉCISIVES
Car, même si la situation est difficile,
nous refusons le renoncement, l’affaiblissement de notre économie et
l’effritement de la cohésion de notre
société. Nous refusons que notre
pays compte durablement plus de
6 millions de chômeurs, que notre
système éducatif produise autant
d’échecs et d’inégalités, que l’Europe
ne survive que grâce aux crises.
Par nos travaux, par nos réflexions,
par nos échanges en France et
ailleurs, nous savons que d’autres solutions existent. Il est de notre responsabilité de les partager, de les discuter le plus largement possible afin
que la campagne qui s’ouvrira bientôt
soit porteuse d’espoir et d’un nouveau souffle.
Notre objectif est ainsi de pouvoir
donner au plus grand nombre, sans
logique partisane, les clés et les outils
d’analyse permettant la compréhension des enjeux économiques et sociétaux afin de pouvoir agir et voter
en conscience. Nous avons ainsi décidé de poursuivre notre cycle de débats lors des prochains mois autour
de quatre thématiques qui seront déterminantes pour l’avenir de tous.
Premièrement, la refondation de
l’Europe. Il existe en Europe des divergences, nous devons les reconnaître et proposer des pistes pour sortir
de l’impasse dans laquelle nous sommes. Comment les économistes peuvent-ils répondre aux défis que pose
l’Union européenne et aux crises
qu’elle traverse actuellement ?
Deuxièmement, le logement. La
préoccupation qu’il représente pour
notre jeunesse, ses liens étroits avec
le marché du travail, son impact sur
la croissance comme sur l’organisation des territoires, notamment des
périphéries délaissées que sont les
banlieues et le monde rural, sont
autant d’entrées pour cette question
primordiale.
Troisièmement, les politiques publiques. L’efficacité et la pertinence des
politiques économiques, notamment
pour favoriser l’emploi, sont
aujourd’hui clairement en débat.
Quelles innovations institutionnelles
et politiques sont ici nécessaires pour
que l’action publique retrouve efficacité et légitimité ?
Quatrièmement, le système de production de soins. Cette institution
majeure de la société française est
aujourd’hui sous forte tension. Quels
sont les voies et les débats, y compris
en termes de modes de financement,
permettant de conforter un ensemble de garanties et de protections
auquel le peuple français est fortement attaché et de développer l’écosystème indispensable à l’innovation
en matière de santé ?
Dans un contexte de crise politique
particulièrement aiguë, qui voit les
Français se défier des principales forces politiques et sociales, nous nous
donnons pour mission commune
que nos échanges apportent des réponses concrètes et alternatives aux
défis que la France doit relever, qu’ils
soient, pour les citoyens comme pour
ceux qui aspirent à les représenter,
un foyer d’idées et d’inspirations
dans lesquelles ils pourront puiser
pour conduire leur action. p
¶
Laurent Bigorgne (Institut Montaigne),
Benjamin Coriat (Les Economistes
atterrés),
Denis Ferrand (Coe-Rexecode),
Gilles Finchelstein (Fondation JeanJaurès),
Alexandre Jost (Fabrique Spinoza),
Gaspard Koenig (GenerationLibre),
Jean-Hervé Lorenzi (Le Cercle
des économistes),
Frédéric Monlouis-Félicité (Institut
de l’entreprise),
Thierry Pech (Terra Nova),
Dominique Plihon (Attac),
Xavier Ragot (Observatoire français
des conjonctures économiques, OFCE),
Dominique Reynié (Fondation
pour l’innovation politique, Fondapol),
Michel Rousseau (Fondation Concorde),
Thierry Weil (La Fabrique de l’industrie).
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
MERCREDI 20 AVRIL 2016
Tensions autour des émissions en clair de Canal+
La direction de Vivendi serait tentée de réduire leur nombre pour miser davantage sur les programmes cryptés
L
e « clair » de Canal+ est-il
menacé et avec lui, son
fleuron actuel, « Le Petit
Journal » ? La question se
pose en interne, à l’approche de la
fin de la saison pour les émissions
gratuites. « Les décisions ne sont
pas encore prises », assure la direction de la chaîne cryptée, qui ne
souhaite pas commenter davantage, à la veille de l’assemblée générale de Vivendi, jeudi 21 avril.
Selon une source proche du dossier, l’actionnaire tient pourtant
auprès de ses équipes un discours
demandant une réduction des
coûts et de la durée totale des
émissions en clair.
« Ce sont des sujets sur lesquels
réfléchissent tous les producteurs
d’émissions gratuites en ce moment », explique un bon connaisseur de la chaîne. Cette réflexion
est menée avec en tête le souvenir
de la reprise en main de la chaîne
et du « Grand Journal » par le nouveau patron, Vincent Bolloré, à
l’été 2015, ainsi que le passage des
« Guignols » en crypté.
Les spéculations autour du « Petit Journal » de Yann Barthès et de
son producteur Laurent Bon sont
d’autant plus fortes que des contacts ont cette année été établis
avec d’autres chaînes. Bangumi, la
boîte de production née pour fa-
briquer ce JT décalé, vient de s’accorder avec France Télévisions
pour créer une émission culturelle et artistique hebdomadaire,
baptisée « Stupéfiant ». Celle-ci
prendrait le créneau horaire, le
vendredi, de « Ce Soir ou Jamais »
de Frédéric Taddéï – appelée à disparaître en fin de saison – ou serait diffusée le mercredi.
Changement de philosophie
Faut-il pour autant imaginer que
« Le Petit Journal » va migrer sur
TF1 ou France 2 ? La chose n’est pas
évidente : d’abord, Canal+ peut
conserver la marque, car la chaîne
coproduit l’émission avec Bangumi. Tenter une greffe ailleurs
est aussi toujours un risque. Vivendi n’a pas jusqu’ici donné de
signe qu’il voulait se séparer de la
bande des Catherine et Liliane et
autres Eric et Quentin, ni exercé
de pressions sur les contenus
cette saison, assure une source.
Mais l’absence de certitudes sur
l’avenir, ainsi que la perspective
de devoir comprimer les budgets,
ne sont pas rassurants pour la
centaine de membres de l’équipe.
« Dans le secteur, il y a un traumatisme : le cas de KM, la société
de Renaud Le Van Kim, qui produisait depuis des années le Grand
Journal et qui a été décimée du
Reprise des tournages
étrangers en Ile-de-France
jour au lendemain », raconte un
membre du « Petit Journal ». Le
talk-show de fin de journée a été
confié à Maïtena Biraben et à la
société de production interne à
Canal+, Flab. Un schéma intégré
qu’affectionne M. Bolloré. « Le Petit Journal », lui, est fier d’avoir
conquis son indépendance économique en s’autonomisant du
« Grand Journal » et en gérant sa
production.
« Il y a une inquiétude en interne
à Canal+, nous n’avons pas assez
d’information », regrette un représentant du personnel, tout en acceptant une réforme du clair.
« Nous ne savons pas trop ce qui va
se passer », ajoute un employé des
émissions gratuites du week-end,
« Le Tube » et « Le Supplément ».
Il faut bien sûr voir dans ces spéculations le jeu habituel des renégociations de fin de saison, qui
implique souvent des fuites dans
la presse pour obtenir des baisses
de prix ou une reconduction.
Mais il y a aussi un vrai change-
ment de philosophie, insufflé par
M. Bolloré : priorité à l’abonné,
martèle-t-il. « Je me fous des recettes et des audiences. Ce que je
veux, c’est que pour 40 euros
l’abonné en ait pour son argent »,
avait-il résumé à des proches, selon Les Inrocks.
Une rupture avec l’histoire de
Canal+, seule chaîne payante du
monde à proposer plusieurs heures de gratuit par jour. A l’origine,
c’était une condition posée par
l’Etat, soucieux de ne pas privatiser un canal pour une chaîne
100 % cryptée. Mais le clair s’est
mué en avantage : il véhicule une
« image aspirationnelle » pour que
les abonnés se sentent valorisés
de regarder Canal+, grâce à des
programmes sophistiqués.
De plus, c’est une publicité massive gratuite, qu’il faudrait sinon
financer, argumente un vétéran
de la chaîne. Surtout, pointe-t-il,
c’est un créneau rentable, grâce à
la publicité : en 2014, le clair a rapporté 150 millions d’euros envi-
Les spéculations
autour du
« Petit Journal »
sont d’autant
plus fortes que
des contacts ont
été établis avec
d’autres chaînes
ron, pour un coût de 110 millions
environ, soit environ 40 millions
d’euros d’excédent.
Mais le marché publicitaire est
aujourd’hui dégradé et les recettes
de la chaîne souffrent de la baisse
d’audience des émissions en clair.
« Le Grand Journal » oscille entre
500 000 et 600 000 téléspectateurs, contre 1,3 million un an plus
tôt. Cela n’est pas forcément un
problème si le coût des émissions
en clair, jugé élevé par la direction,
baisse… Toutefois, la facture de
l’émission de Maïtena Biraben
n’aurait reculé que de 25 à 23 millions d’euros par an, selon Le Parisien, cité par BFMBusiness.
« Tout est une question de curseurs », reconnaît une source interne. Selon cette dernière, une
suppression totale du clair n’est
pas à l’ordre du jour : une émission gratuite comme « Canal
Football Club » crée, par exemple,
une envie de s’abonner, en proposant des débats autour des matches de football cryptés, pointet-on. Pour trancher, il s’agit de
sonder les motivations parfois
complexes des abonnés, dont le
nombre recule en France.
Reste un dernier élément de
l’équation : D17 et D8, dont la locomotive incontestée est « Touche
pas à mon poste » de Cyril Hanouna, prolongé pour cinq ans.
Certains veulent en interne que
ces chaînes « en clair » jouent à
l’avenir un rôle plus important
dans le groupe. p
alexandre piquard
HORS-SÉRIE
UNE VIE, UNE ŒUVRE
L’amélioration du crédit d’impôt cinéma en
janvier a eu des effets bénéfiques immédiats
B
ollywood tourne à Paris, et
c’est une excellente nouvelle. Befikre, du producteur, réalisateur et scénariste indien Aditya Chopra, qui raconte
une romance amoureuse dans
Paris – « city of love » comme il désigne la capitale – vient de débuter son tournage pour une durée
de cinquante-deux jours.
C’est une des conséquences directes de l’amélioration, en janvier, du crédit d’impôt international. Ce dispositif, qui concerne
les films d’initiative étrangère
dont tout ou partie de la fabrication a lieu en France, est accordé
par le Centre national du cinéma
(CNC). Il permet de déduire 30 %
des dépenses de tels films en
France et peut atteindre 30 millions d’euros.
En 2014, The Moon and the Sun,
une superproduction de Sean McNamara à destination des publics
américain et chinois avec Pierce
Brosnan dans le rôle de Louis XIV
et la star chinoise Fan Bingbing,
avait bien été tournée à Versailles,
mais toutes les scènes réalisées en
studio l’avaient été à Melbourne
en raison du crédit d’impôt australien, plus compétitif.
La donne a complètement
changé. « Tous les studios parisiens sont occupés jusqu’au mois
d’août », note Olivier-René
Veillon, directeur général de la
commission du film d’Ile-deFrance qui a rendu public, mardi
19 avril, le rapport réalisé avec le
groupe de protection sociale
Audiens sur les chiffres de l’emploi dans la production cinématographique et audiovisuelle en Ilede-France.
Celle-ci demeure un très gros
pourvoyeur de travail dans la région, avec plus de 4 000 emplois
permanents et 23 000 emplois intermittents nets créés sur les dix
dernières années. Une belle performance. Pourtant, les années
récentes ont été périlleuses. De
2011 à 2014, selon les chiffres du
CNC, les investissements dans le
cinéma français ont baissé en
moyenne de 20 % chaque année,
avec un phénomène inquiétant
de délocalisation des productions
françaises pour les films à gros
budgets comme Les Visiteurs 3 de
Jean-Marie Poiré.
Malgré cela, la production internationale est venue à la rescousse
du secteur grâce aux arguments
artistiques que la France peut
faire valoir. Le travail de la commission est pour l’essentiel de dénicher des lieux publics ou privés
en Ile-de-France et de les rendre
accessibles au tournage. Il y en a
au total plus de 2 000.
Trois studios de référence
La cote d’alerte a été atteinte
en 2015, avec la moitié des jours de
tournage du cinéma français organisés à l’étranger. Les pouvoirs
publics ont alors décidé de porter
à 30 % les crédits d’impôt national
et international. L’impact de ces
deux mesures est immédiat. La
production cinématographique
devrait connaître en 2016 « une
croissance à deux chiffres pour
l’emploi et l’activité », prédit
M. Veillon.
A cela s’ajoute la reconnaissance
internationale des studios français dans le domaine de l’animation et de la 3D. L’Ile-de-France
possède trois studios de référence
pour Hollywood. Universal a doublé ses commandes auprès d’Illumination Mac Guff, qui a actuellement quatre longs-métrages en
développement et a conçu Les Minions, le film le plus rentable de
l’histoire de la major. Dreamworks a renforcé son partenariat
avec Mikros image. Quant à
Disney, il utilise les services du
studio indépendant d’animation
TeamTO.
Paris, toutefois, est loin de faire
jeu égal avec Londres, dont
l’agence Film London dispose
d’un budget quatre fois supérieur
à celui de la commission du film
francilien, ce qui lui a notamment
permis d’attirer les tournages de
dix blockbusters en 2015 et rapporté 2 milliards de livres (2,5 milliards d’euros). p
alain beuve-méry
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