UNIVERSITÉ BORDEAUX 2 VICTOR SEGALEN FACULTÉ DE

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UNIVERSITÉ BORDEAUX 2 VICTOR SEGALEN FACULTÉ DE
UNIVERSITÉ BORDEAUX 2
VICTOR SEGALEN
FACULTÉ DE CHIRURGIE DENTAIRE
16 – 20 Cours de la Marne 33082 Bordeaux Cedex
Année 2014
MÉMOIRE POUR LE DIPLÔME D’UNIVERSITÉ
Management de l’assurance qualité en Odontologie
Par
Docteur Marie-Hélène HAYE
LA DÉMARCHE QUALITÉ CENTRÉE SUR L’HUMAIN AU
SECOURS DU SYSTEME DE SOINS BUCCO-DENTAIRES
FRANÇAIS
Responsable de la formation : Monsieur le Doyen François PELI
Coordonnateur : Docteur Patrick BONNE
Remerciements,
A mon petit Papa, disparu trop tôt cette année, un homme de toute confiance,
Mon chagrin est immense
Ciao, caro Babbo
A mes enfants, à mon compagnon, qui me supportent, me soutiennent et m’encouragent au
quotidien,
A toute l’équipe du DU Management par la Qualité en Odontologie de Bordeaux,
Vaillamment menée par le Dr Patrick Bonne
Pour le véritable bain de jouvence qu’ils m’ont offert, la meilleure chose qui me soit arrivée
dans ma vie professionnelle à ce jour !
Professionnels, compétents, joyeux, rigoureux, engagés, passionnants, accueillants, ils sont
un modèle pour moi, et les inspirateurs de mon travail.
1
Diplôme Universitaire : Management de l’assurance Qualité en
Odontologie
La Démarche Qualité centrée sur l’Humain, au
secours du Système de Soins Bucco-dentaires
Français.
Docteur Marie-Hélène Haye
8, Impasse du Chanoine-Contrasty 31 500 Toulouse
[email protected]
RESUME : Après un bref exposé décrivant le Système de santé Bucco-dentaire Français, le
constat d’une situation de malaise en son sein est établi. L’article propose ensuite une revue
des déclinaisons possibles de la notion de Qualité, en recherchant un appui dans le domaine
des Sciences Sociales. Enfin, l’auteur s’attache à explorer comment, avec l’aide d’une
approche Qualité réellement centrée sur la dimension humaine des soins, il est possible
d’envisager un changement en profondeur de notre Système de Santé Bucco-dentaire.
MOTS CLEFS :
Démarche Qualité, Système de Santé Bucco-dentaire, Système de Soins
Bucco-dentaires, Sciences Sociales, Relation praticien-patient, Qualité empêchée, Confiance.
___________________________________________________________________________
« Tant que nous sommes parmi les hommes, pratiquons l’humanité »
Sénèque, De la colère III, 43
I – INTRODUCTION
Sourire, croquer, parler, aimer, séduire… chaque jour les chirurgiens-dentistes, au cœur du
système de soins bucco-dentaires, sont auprès de la population pour que tout cela reste possible
2
tout au long de la vie. Chaque jour ils expliquent, soignent, reconstruisent pour permettre à
leurs patients de se sentir en équilibre dans leur bouche, et par là-même dans leur corps. Les
études montrent que, à titre individuel, chaque patient apprécie son praticien et lui accorde sa
confiance [1]. D’autre part la sélection très sévère permettant l’accès en France aux études de
chirurgie-dentaire est le garant d’une population de praticiens à la fois motivés, travailleurs et
méritants.
Et pourtant, le chirurgien-dentiste a mauvaise presse.
Malaise dans la profession, changements de paradigme, désamour des médias, manque de
reconnaissance, bonds en avant des techniques, blocage des honoraires, fermetures des cabinets,
virulence des attaques, concurrences déloyales, diktat des mutuelles, surcharges
administratives, responsabilité engagée, épuisement professionnel, défiance des patients,
troubles musculo-squelettiques, tourisme dentaire, déserts médicaux, désengagement de la
sécurité sociale, reste à charge, renoncement aux soins, sentiment d’abandon, centres
d’enseignement privés, polémiques confratricides, accusations de sur-traitements, de
mutilations volontaires…
Autant de mots qui alimentent aujourd’hui les conversations, les éditoriaux, les réseaux sociaux,
qui traduisent l’inquiétude d’une profession, et tendent à prouver que notre système de soins
bucco-dentaire va mal.
Alors que se passe-t-il, pourquoi connaissons-nous cette situation paradoxale qui ne satisfait
personne ? Comment réduire cette fracture et laisser s’installer la sérénité qu’une société
moderne est en droit d’attendre au sein de son système de soins ?
Nous allons tenter une analyse de la situation à l’aide des apports des recherches en Sciences
Sociales et des outils relatifs à la notion de Démarche Qualité.
II – LE SYSTEME DE SANTE BUCCO-DENTAIRE FRANÇAIS
Proposition de modèle analytique : revue de ses composants essentiels, afin de bien nous
recentrer, face à une situation complexe, où de nombreux écheveaux sont à démêler avant
d’espérer comprendre et résoudre quoique ce soit.
3
1 – Raison d’être
Au risque de sembler n’énoncer que des évidences, ne négligeons pas ce point : la toute
première raison d’être de notre système de santé est de maintenir la sphère bucco-dentaire de
la population en bon état de santé. Dans une société moderne, c’est donc d’abord la prévention
et l’entretien notre mission. Je veux citer ici la première phrase prononcée par le Professeur
Joseph Fantoni en introduction à son cours de prothèse « Souvenez-vous toujours que la
meilleure prothèse est celle qu’on ne ferait pas » [2]. Cette phrase est restée gravée dans ma
mémoire, témoin de l’humilité qui nous incombe.
Ensuite naturellement, nous sommes là pour soulager, reconstruire, rendre le sourire, la
fonction, etc,.., c’est-à-dire répondre aux besoins de la population, toujours dans un souci de
sécurité et de pérennité des soins. Pour rappel, le Système de Santé Bucco-dentaire Français est
régit par la loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoire » qui prône, entre autres, d’améliorer l’accès
à des soins de qualité, de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, suivie
d’une véritable évaluation avec notamment un « dispositif de généralisation d’indicateurs de
qualité et de sécurité des soins », et publication annuelle des résultats [3]. Le système de soins
représente la partie opérationnelle médicale du système de santé. Enfin l’OMS, dans un rapport
datant déjà de 2004, demande d’adopter une attitude novatrice pour la recherche sur les
systèmes de santé, afin de faciliter l’application des progrès scientifiques, par des mesures
simples et peu coûteuses. En outre, elle déclare : « les recherches en santé devraient, dans l'esprit
comme dans la pratique, dépasser le cadre des institutions académiques et des laboratoires pour
englober les dispensateurs de soins, les responsables politiques, le grand public et la société
civile » [4].
2 – La relation soignant-soigné
La pierre angulaire, le roc d’être du système de santé, est la relation praticien-patient. C’est
cette relation, basée sur la confiance, qui permet de lutter contre les pathologies et les
malchances de la vie qui nous atteignent malgré tout. Cela n’est pas facile de soigner des
patients qui souffrent de leur bouche et de leur dents, c’est même parfois une guerre avec, pour
reprendre l’expression de Churchill, « sang, larmes, et sueurs ». Il faut savoir jongler avec
l’angoisse, la peur, la douleur, les difficultés techniques, les compromis financiers et
esthétiques, les contraintes économiques. C’est une relation qui s’établit sur la durée, mettant
en jeu le toucher et une grande proximité physique : le patient allongé, privé de la parole, de
ses mimiques et de sa mobilité se sent atteint dans son intimité et maintenu dans un état de
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vulnérabilité difficile pour lui mais nécessaire pour mener à bien les soins. La pratique des soins
bucco-dentaires est une pénétration. En dehors de la relation humaine qui permet de gagner et
de donner la confiance, elle est douloureuse, voire insupportable, et s’apparente au viol. En
revanche, quand la relation de confiance s’installe, la position allongée du patient favorise les
confidences, et propulse parfois le praticien dans un rôle inattendu de professionnel de l’écoute.
3 – Histoire
Les patients n’ont pas toujours été allongés et confiants, et les emblématiques images de
l’arracheur de dents sont encore très présentes dans les esprits. Ainsi, les problèmes dentaires
ne concernaient pas la médecine, mais des bonimenteurs de foire, menteurs voire voleurs.
Aujourd’hui encore notre profession pâtit de ces antiques considérations, n’oublions pas que la
modification du code de la santé publique reconnaissant la spécificité de notre profession, et la
création de notre doctorat d’exercice ne datent que de 1971 [5].
Pourtant les études se succèdent qui montrent le rapport étroit entre l’état de santé buccodentaire et le taux de morbidité de pathologies lourdes, diabète, maladies cardio-vasculaires,
pneumopathies, et il n’est plus question de contester la place légitime de la dentisterie, partie
intégrante de la médecine. De même, nos plateaux techniques deviennent ultra sophistiqués, et
il y a loin de la place du marché au chirurgien implantologue dans son cabinet certifié, ou à
l’endodontiste exerçant sous microscope.
4 – Les acteurs
Au cœur de cette relation de soin naviguent les praticiens avec leurs équipes au complet, et les
patients. Puis tout autour gravitent l’Ordre, les Unités d’Enseignement, Sociétés scientifiques,
Syndicats, Sociétés industrielles et commerciales. L’immense majorité des chirurgiensdentistes ont un statut d’exercice libéral, dans une profession réglementée où ils engagent leur
responsabilité à chaque acte [6]. La réglementation apporte son lot de contraintes mais est
également une assurance pour les patients d’une certaine exigence, elle concourt à la
l’instauration de la relation de confiance. Chacun de nous est aussi un patient potentiel qui se
tourne un jour ou l’autre vers un chirurgien-dentiste pour demander à bénéficier de ses soins.
Ce jour-là, il espère bien ne pas avoir mal, se sentir en sécurité, recevoir des conseils et
informations honnêtes, ne rien avoir à débourser. Nous avons donc déjà une idée de ce que le
patient attend en termes de Qualité.
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5 – L’encadrement
Ministère, ARS, UNCAM, UNOCAM, les codes de déontologie, du travail et de la santé, sont
autant de cadres qui veillent à coordonner les actions, à les favoriser, les orienter, à régler les
différends. Parfaitement indispensables, gardons à l’esprit que les cadres sont cependant en
dehors de la relation humaine de soins, les vrais experts sont les praticiens, seuls éléments du
puzzle à appréhender tout à fait le déroulement clinique des processus de soins. Un respect
mutuel, assorti de fréquents dialogues et échanges, est donc nécessaire entre les parties pour
que l’information circule, et permette une politique d’encadrement cohérente.
6 – Le malaise actuel
Parce qu’il a choisi ce noble métier du soin, qu’il a travaillé dur pour y parvenir, parce qu’il a
été bien formé, et qu’auprès de son patient il est aussi un être capable d’empathie, le chirurgiendentiste recherche la Qualité dans son travail. Il ne peut en être autrement. L’intérêt du soigné
rejoint donc bien celui du soignant : maintenir l’état de bonne santé, gagner la guerre contre
tout ce qui vient le troubler, pour réaliser la meilleure prothèse qui soit, celle qu’on ne fera pas.
Quoi de plus agréable pour un praticien de recevoir son patient souriant, reconnaissant, avec
une bouche propre saine et stable ? Nous sommes ici pour être utile à notre société, répondre à
ses besoins, et nous en avons la capacité, avec les compétences nécessaires.
Malgré cela tous les mots énumérés en introduction évoquent le malaise ressenti par la
profession. La confrontation au monde socio-économique est redoutable et ne laisse que très
peu de place au rêve. La demande de nos cadres est simple à exprimer : nous devons pour
remplir notre mission de service public, soigner chacun de nos patients dans des conditions
optimum de sécurité et de qualité, dans la limite des tarifs réglementaires. Ces tarifs des soins
sont bloqués en France à un niveau ridiculement bas, sans rapport avec la réalité, et donc ultra
déficitaires pour tout praticien [7]. Une péréquation tarifaire est donc nécessaire afin de garantir
la viabilité économique de nos structures. Pendant des années cette péréquation a été rendue
possible par la libération des tarifs de prothèses, nous mettant dès lors en face de cette situation
pour le moins curieuse où le praticien est encouragé à réaliser la fameuse prothèse qu’il a appris
à ne pas faire. Nous sommes en présence de ce que l’on nomme une « injonction paradoxale »,
génératrice pour le praticien d’un conflit éthique intérieur permanent conduisant inévitablement
à un déséquilibre plus ou moins extériorisé, à une kyrielle d’actions plus ou moins conscientes
6
mais toujours délétères de notre système. La Qualité, recherchée par tous, praticiens, patients,
cadres, n’est plus au rendez-vous.
Résumons ce préambule :
Pas de Qualité sans une vraie politique de prévention
Pas de Qualité sans relation de confiance
Pas de Qualité sans reconnaissance médicale
Pas de Qualité sans règlementation ni sans satisfaction du patient
Pas de Qualité sans respect et dialogue entre acteurs et cadres
Pas de Qualité sans bien-être du praticien
III – DEMARCHE QUALITE
1 – Qualité
La Démarche Qualité est une recherche continue d’amélioration de la Qualité. Dans ce souci
constant sont développés et utilisés un certain nombre d’outils applicables à un système. Quelle
définition donner à la Qualité ? Du point de vue sémantique, la Qualité s’oppose au défaut, mais
aussi à la quantité. En termes de management, elle est la meilleure façon de produire. Enfin la
Qualité est à l’origine ce qui définit et caractérise un système, une manière d’être « tel quel »
puis plus tard une manière d’être, jugée bonne [8]. La Qualité s’associe donc à un système, et
devient ce que l’on se croit en droit d’attendre à l’évocation de ce système, elle permet la
satisfaction de ses utilisateurs. Dans le modèle analytique proposé de notre système de soins,
soignés ET soignants sont utilisateurs.
2 – Qualité totale
Le management va plus loin et parle de Qualité Totale, liant la recherche de satisfaction des
utilisateurs à la notion de compétitivité des entreprises, avec une mobilisation de l’ensemble du
personnel. En d’autres termes, comment utiliser au mieux ses ressources, pour obtenir des
résultats, au plus près de ses objectifs. Selon le schéma suivant, l’efficience, terme omniprésent
dans le langage du manager actuel, est le rapport entre les résultats obtenus et les ressources
engagées. C’est ce que l’on cherche en permanence à améliorer, c’est comment, avec un citron,
avoir le plus de jus possible. L’efficacité est l’expression de la conformité entre les résultats
obtenus et les objectifs fixés. L’effectivité est le témoin de cohérence, de pertinence des
objectifs, la première qualité d’un objectif étant d’être atteignable
7
Ressources
Effectivité
Efficience
Objectifs
Résultats
Efficacité
3 – Qualité quantifiée
La Qualité que nous proposons de qualifier par le terme de « contrainte » est mesurée, contrôlée,
objective, elle est le fruit des normes, des indicateurs, des objectifs. La Qualité contrainte
rassure, elle permet de communiquer, de comparer, d’analyser. La Qualité ressentie est plus
difficile à appréhender, elle relève du domaine de la complexité cher à Edgar Morin [9], c’est
une appréciation subjective fonction de l’adéquation entre un ressenti, une impression, et une
attente consciente ou non. En voulant quantifier la qualité, on se heurte toujours au problème
de l’évaluation. Comment mesurer la motivation, le degré d’empathie ? Même la simple durée
du travail est difficile à évaluer, comment en effet connaître le retentissement du travail sur la
sphère privée, le temps passé en insomnie à réfléchir sur une organisation, une difficulté ? Le
risque est de dériver vers la quantophrénie, qualifiée par le sociologue américain d’origine
soviétique Sorokin de « péril majeur menaçant les sciences psycho-sociales », et que G. Frasca
définit comme une « pathologie qui consiste à vouloir traduire systématiquement les
phénomènes sociaux et humains en langage mathématique », ou encore : « Une frénésie du
quantifiable, un mal qui renferme l’utopie d’un monde prévisible, déterministe, mécanisé
encore plus, une déshumanisation du devenir commun » [10]. Pour Ch. Dejours il y a toujours
une partie non quantifiable du travail, et l’évaluation « s’appuie sur des bases scientifiques
8
fausses, crée la concurrence, déstructure la loyauté, nuit à la coopération et au travail collectif».
Il est donc pour lui préférable d’investir d’abord le bien-être au travail pour doper la
performance [11]. Ainsi émerge un lien entre la notion de Qualité et de souffrance au travail.
4 – Qualité et travail
Nous faisons aisément la distinction entre la Qualité du travail, c’est-à-dire de la production, et
Qualité au travail, liée aux conditions de travail. Ces deux notions sont étroitement imbriquées,
ce qu’on peut résumer par « pas de bien-être sans bien-faire ». La Démarche Qualité nous
apprend à créer des cartographies des processus, définir des modes opératoires précis pour s’y
conformer, cherchant à limiter au maximum l’imprévu. Toujours pour Ch. Dejours, travailler,
c’est cependant se confronter au réel, c’est donc être capable de tricher en permanence avec les
processus, les modes opératoires, en fonction de ce que le monde réel nous réserve comme
surprises. Le travailleur oscille entre son désir de suivre la prescription qui définit sa tâche, et
l’adaptation au réel qui crée son activité vraie. Bien travailler, c’est combler cet écart entre la
tâche et l’activité, et donc savoir faire preuve de motivation, d’engagement, de créativité [12].
Le manager ne peut pas décider de la motivation de ses employés, il peut juste créer des
conditions favorables. Dans leur ouvrage T. Amabile et S. Kramer [13] révèlent que le plaisir
de pouvoir avancer efficacement dans son travail est un élément puissant et sous-estimé de
motivation. L’inverse est encore plus fort, un travail qui n’avance pas entraîne une frustration
et une démotivation extrêmes. Ils proposent 6 points clés essentiels pour booster la productivité,
l’engagement et la créativité :
•
Fixer des buts et objectifs clairs
•
Autoriser l’autonomie
•
Fournir les ressources nécessaires
•
Donner suffisamment de temps
•
Assurer aide et expertise
•
Aider à apprendre de ses échecs
Ces points clés en place, la reconnaissance des succès, même modestes, est nécessaire. Elle
concourt à la satisfaction de l’employé, et c’est cette satisfaction qui génère la performance.
5 - Qualité empêchée
Y. Clot insiste lui aussi sur l’importance au travail de pouvoir agir et sur les conséquences
désastreuses de ce qu’il nomme la Qualité empêchée, origine pour lui du malaise et d’une
9
souffrance la plupart du temps réduite au silence. Il propose de mettre le conflit sur la Qualité
au cœur des revendications pour reconstruire l’entreprise, mais aussi les institutions publiques.
C’est ce qui ne peut pas être fait qui entraîne le plus de souffrance, et non pas l’activité réalisée
[14]. A l’extrême comme nous l’avons déjà évoqué, c’est devoir répondre à une injonction
paradoxale, risquer de se retrouver en situation d’échec, se sentir incompétent, puis
décompenser et déclencher une pathologie. « Travailler, c’est souffrir », nous dit Ch. Dejours
qui étudie les psychopathologies du travail. Un certain nombre de comportements se mettent
alors en place pour transformer cette souffrance quand elle devient intolérable, cela peut
s’exprimer par une suractivité pour oublier de penser, un isolement pour cacher aux autres et à
soi-même, une stratégie de l’ingénuité, de l’angélisme, de la bêtise. Ces comportements ouvrent
la voie au TMS troubles musculo-squelettiques, RPS risques psychosociaux, burn-out, suicides,
aux graves négligences incompréhensibles et inexplicables. Y. Clot dénonce également le
recours aux cabinets d’expertise, à la sous-traitance et à l’externalisation du traitement des
problèmes au travail et de leurs causes. Les seuls vrais experts sont les employés, la solution
leur appartient. Les TMS sont une préoccupation majeure de notre système santé au travail. En
2006 ils sont la première cause de morbidité au travail, avec une prévalence largement sousévaluée car sous-déclarée, entraînant 6 millions de journées de travail perdues [15]. De même,
concernant les RPS au travail, « enjeu majeur de santé publique » [16] et devant l’augmentation
considérable de leur prévalence, JP. Durand propose un renversement judicieux des termes de
l’expression « risques psycho-sociaux » pour la transformer en « troubles socio-psychiques »,
mieux adaptée à la réalité du terrain, insistant sur « une source des troubles qui mérite de s’y
attacher au lieu de ne dénoter qu’un fait brut » [17]. En 2013, L’ANACT, Agence Nationale
d’Amélioration des Conditions de Travail publie un dossier relatif à la prévention des RPS, et
recommande leur inscription sur le DU (Document Unique) [18]. Il est urgent que notre société
du XXI ème siècle s’organise pour ne plus sacrifier ses travailleurs les plus fragiles. La fragilité
n’exclut pas le talent, et pour rappel l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme stipule que « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des
conditions équitables et satisfaisantes de travail » [19].
6 – Qualité low-cost
En 1991, le sociologue américain George Ritzer décrit le phénomène de « McDonaldisation ».
Il liste cinq points essentiels à ce concept : [20]
10
-
Efficience : recherche permanente de production maximale avec diminution des
ressources nécessaires, temps et coût des services
-
Quantification : création pléthorique d’indicateurs visant à supprimer toute subjectivité
à l’analyse de la production
-
Prédictibilité : reproductibilité du service rendu qui doit être le même pour tous
-
Contrôle : ressources humaines normées, et dès que possible remplacées par des
technologies non-humaines
-
Culture : hybridation des cultures puis standardisation et effacement des différences
culturelles
A l’heure où fleurissent les centres dentaires low-cost, où l’on parle de déréglementation des
professions libérales, d’ouverture du capital des structures de soins aux investisseurs privés, où
la santé devient un marché comme un autre, ce concept bien connu issu du « fast-food » est un
réel danger pour notre médecine. Il aboutit à la déshumanisation de la relation de soins,
supposant que chaque patient doit être lui aussi normé, et réduisant le soignant à l’état de
technicien automate. La Démarche Qualité ne peut pas dans le domaine de la santé faire
abstraction des valeurs humaines. Cela n’est tout simplement pas possible. J. Rifkin nous cite
cet exemple d’orphelinats de New-York, avec un taux de mortalité choquant pour des
nourrissons pourtant bien nourris et en conditions de sécurité sanitaire. Ils étaient tout
simplement en état de « famine émotionnelle », mourant en masse de n’être pas pris dans les
bras, de ne pas être touchés [21]. La guérison ne se réduit pas à une affaire d’indicateurs et de
processus, ce serait bien trop simple [22], et ce mode de fonctionnement va à l’encontre des
découvertes récentes en matière de management [13]. Par ailleurs l’uniformisation, la négation
des différences nuisent au progrès, le progrès naissant essentiellement de la confrontation et de
la coalition entre des cultures différentes [23].
7 – Qualité défaillante
Quand la qualité fait défaut, les causes en sont souvent d’origine externe. Cela peut-être dû à
une insuffisance de moyens (temps, matériel, formation), à une pénibilité non prise en compte,
à des contraintes inadéquates liées à l’environnement socio-économique, au cadre légal, aux
conventions. Parfois sont en cause des conflits de valeurs entre les personnes, des divergences
importantes entre les convictions personnelles et les demandes de la hiérarchie, des conflits
éthiques. Tout conflit de valeur, toute atteinte à l’image du métier, entraînent un risque
d’hyperactivité ou de glissement vers le cynisme qui nuit à la recherche de Qualité [11]. Mais
11
cela n’est pas suffisant pour comprendre le défaut de Qualité. D’autres causes, internes et
insidieuses interviennent. Parce que la mise en place de la Démarche Qualité nous conduit à
l’auto-analyse, à réformer nos habitudes, elle se heurte à notre inertie intérieure, et nos freins
au changement sont nombreux. Savoir, pouvoir, prendre le temps de se libérer du connu, sauter
le pas pour aller vers d’autres modes de fonctionnement plus réfléchis demande de l’énergie,
du courage, une volonté et une confiance qui peuvent manquer dans un exercice difficile et déjà
bien installé dans sa routine. Les habitudes, ces « choix inconscients et ces décisions invisibles
qui nous entourent chaque jour » sont tout à fait redoutables. Elles sont à la fois puissantes et
fragiles, néanmoins, en changer est possible, comme l’explique en détail Ch. Duhigg dans son
livre : « Le pouvoir des habitudes » [24].
Enfin, malgré tous les garde-fous, les protocoles, les règlementations qu’on peut imaginer pour
garantir le niveau de Qualité, celui que F. Renouard et JG. Charrier nomment « le maillon
faible » intervient. L’opérateur, qui agit dans son travail, sous l’effet d’un stress plus intense
que prévu, d’un excès de confiance, d’un phénomène de tunnelisation mentale, va commettre
une erreur, au moment le plus inopportun. C’est l’irruption du facteur humain, un traître qui
nous guette sournoisement [25].
8 – Qualité et sphère privée
Nous avons largement fait état des conséquences et de l’impact négatif sur la personne de la
Qualité empêchée, ou déshumanisée. En effet, bien au-delà du cadre professionnel, le travail
s’infiltre dans notre intimité, influence nos comportements, retentit sur nos relations familiales
et amicales, modèle notre image vis-à-vis de l’autre et de soi. A contrario, une Démarche
Qualité bien menée, centrée sur l’Humain participe à la création d’un cercle vertueux, pour
aboutir à l’estime de soi. Et si nous adoptions la Démarche Qualité comme une compagne plus
que comme une contrainte ? Suggestion pour un chirurgien-dentiste :
-
« L’attention que je donne à l’organisation de ma pratique, à mon outil de travail, à mes
relations dans l’équipe de soins, à mes patients, à mes collaborateurs, c’est l’attention
que je me porte à moi-même. »
Mieux se connaître, respecter ses propres besoins, pour mieux pouvoir donner.
9 - Limites de la Démarche Qualité
Pour le néophyte qui entreprend de plonger dans l’étude de la Démarche Qualité, la sensation
est souvent vertigineuse. C’est une plongée dans un gouffre sans fond. De traçabilité
12
ascendante, descendante en évaluations, contrôles etc…, c’est le sentiment d’une suite sans fin
de contraintes, qui risque de décourager immédiatement l’opérateur. Et puis n’oublions pas que
quel que soit le degré de précaution apporté à la prévention des risques et des défauts de notre
exercice, au final l’erreur ou la faute sans témoin est toujours possible. La Démarche Qualité,
même poussée à l’extrême, ne nous exonère pas de la nécessité d’une relation de confiance.
IV – QUALITE ET SYSTEME DE SOINS BUCCO-DENTAIRES
Aujourd’hui, à l’aune des fabuleux progrès techniques que connaît la médecine bucco-dentaire,
les résultats ne sont pas ceux que nous attendons pour une société du XXI ème siècle, dans un
pays considéré par le monde entier comme un modèle dans le domaine de la santé. C’est du
moins ce qui semble évident à l’écoute des différents protagonistes. Nul besoin de statistiques
pour l’énoncer, il suffit d’observer le gouvernement qui cherche à déréglementer la profession,
légiférer sur le règlement des honoraires, des patients qui se plaignent d’inaccessibilité aux
soins, de reste à charge trop élevé, des médias qui mettent en avant le renoncement aux soins,
des praticiens épuisés par la charge de travail, la pénibilité, les contraintes, démotivés par le
manque de reconnaissance.
Un clin d’œil historique pour nous redonner le sourire : le célébrissime « I have a dream » de
Luther King, détourné par le chirurgien-dentiste en « I have a drill ». Et si nous allions à la
rencontre de la « dream team » transformée en « drill team » ? Bâtir ensemble en mettant à
profit les outils que nous offre la Démarche Qualité, l’équipe qui va remplir au mieux sa mission
de service public : prévention, délivrance des soins, maintenance de l’état de santé. Une utopie ?
Et par où commencer ?
1 – Raison d’être
L’Analyse Fonctionnelle en Démarche Qualité nous apprend à repartir de la fonction première
et oublier l’historique qui a abouti au système présent, de façon à le dépoussiérer et à le
reconsidérer. Mettre en place une vraie politique de prévention et de préservation du capital
santé est l’objectif numéro un, consensuel, générateur d’économies à tout point de vue. Pour
cela il faut organiser l’offre des soins de prévention, et donc les rémunérer, puis encourager
l’adhésion de la population à ce projet. L’analyse de l’enquête commandée par l’UFSBD et
Webdentiste en 2013 [1], montre que la première raison de non-consultation du CD sur les deux
années précédentes est que le patient :
-
1 Estime ne pas en avoir besoin 36%
13
Le patient s’érige donc en spécialiste capable de savoir s’il a besoin ou non de consulter
-
2 A peur du dentiste, pour 21%
-
3 Craint le coût pour 20%
-
4 Considère que cela n’est pas une priorité 8%
Extrait de l’enquête UFSBD /Webdentist, octobre 2013, France
Ainsi une simple campagne médiatique honnête, expliquant qu’il n’est pas possible de juger
soi-même du besoin en soins de sa bouche, que la peur du dentiste est une réminiscence du
passé qui n’a plus lieu d’être, que le coût pour les soins dentaires en France en 2014 est TRES
modique, pris en charge à 70% par la couverture sociale pour tous et à 100% pour les plus
démunis via la CMU, que l’enjeu est un réel problème de santé, permettrait d’agir sur 85% des
personnes qui restent deux ans ou plus sans voir un praticien. Voilà une mesure simple, peu
coûteuse, qui peut être mise en place sans délai. Elle est du ressort de l’Etat.
Comment rendre cette campagne efficace ? (avoir des résultats en rapport avec nos objectifs)
Là encore, les recherches en sciences sociales nous guident, en particulier les travaux de Joule
et Beauvois sur la psychologie de l’engagement qui nous montrent comment construire une
communication engageante [26], [27].
14
2 – La relation praticien-patient
Nous avons situé cette relation au cœur du système de soins, et compris combien la notion de
confiance était primordiale, cette confiance « que les chirurgiens-dentistes tissent au quotidien
de leur exercice avec leurs patients » [28], en est l’élément le plus précieux. Il est de notre
devoir de la préserver. Dans ce but, il est légitime de s’interroger sur le rôle des médias. S’il
faut se féliciter de leurs interventions en tant que lanceurs d’alerte, il faut aussi se méfier de la
course au scoop et à l’audimat. Alors que les reportages se succèdent sur les dépassements
d’honoraires (inexistants dans le cadre de notre convention), les tarifs indécents (entretien de la
confusion entre tarifs de soins et de prothèses, assimilation du praticien à un revendeur de
prothèse, pour résumer), les accusations d’escroquerie, on oublie de préciser que 91% des
patients ont une image assez bonne ou très bonne de leur praticien [1]. On oublie aussi que dans
un exercice majoritairement libéral, le chirurgien-dentiste engage sa responsabilité à chaque
acte, et que lorsque la confiance est rompue « les patients ont à leur disposition un arsenal, qui
va des juridictions ordinales aux juridictions civiles voire pénales» [28]. Soulignons à ce sujet
l’ouverture des données publiques de santé en « open data » préconisée dans le rapport soumis
ce 9 juillet 2014 à la ministre de la santé [29]. Dans le cadre d’une Démarche Qualité associée
au système de soins, cette décision serait importante, permettant d’éliminer la subjectivité
induite par les articles à sensations, pour asseoir le débat sur des chiffres accessibles à tous.
Quelle est la responsabilité des journalistes dans cette problématique ? Le journaliste S. Bohler
nous éclaire sur ce sujet [30]. Pour s’assurer de capter l’attention du public, et donc faire vendre,
une annonce doit évoquer un fait récent, proche, d’ampleur, choquant, et surtout faire peur. Une
information potentiellement dangereuse est considérée vraie par défaut. Le biais de
confirmation conduit ensuite le public à ne considérer que les éléments d’information allant
dans le sens de l’énoncé premier, puis la loupe médiatique, par passage en boucle de
l’information amplifie la crainte, et le renforcement par répétition d’annonces similaires ancre
le tout définitivement. Enfin le vocabulaire de l’article est délibérément choisi dans le champ
lexical de l’émotion évitant celui plus neutre du technique ou du scientifique. C’est le
psychologue social G. Gerbner qui a étudié initialement ce phénomène, utilisant le terme de
« Mean World Syndrome » « Syndrôme du Grand Méchant Monde », pour désigner le monde
imaginaire et cruel créé par les médias et expliquer la puissance de l’imprégnation des
informations catastrophistes sur la population [31]. La peur instillée au sein d’une population
est lourde de conséquences, en particulier elle suscite le besoin du recours à l’autorité. Ainsi en
stigmatisant une profession, on fait le lit de l’acceptation populaire des décisions même non
15
concertées la concernant. La pléthore d’articles et de documentaires destinés au grand public
que nous connaissons actuellement discrédite notre profession et met à mal la relation praticienpatient. De plus en focalisant l’attention sur des difficultés d’accès aux soins, elle occulte
l’importance de la prévention, de la responsabilisation des patients, et inscrit dans l’inconscient
collectif de la population l’idée d’un financement répété et lourd des prothèses comme
inévitable. Dans notre cas nous comprenons que la crainte de devoir débourser des sommes
conséquentes pour la santé fait accepter sans sourciller la mutuelle complémentaire obligatoire
(alors que le débat n’est pas si simple [32]), l’irruption des plateformes santé, la perte du libre
choix du praticien, voire à terme, la perte totale de l’indépendance du professionnel libéral et
l’asservissement de la médecine au monde des grands capitaux privés. Ne perdons pas de vue
que le financement du fonctionnement des organismes complémentaires de santé, ainsi que
celui des plateformes santé nécessite des sommes importantes. Ces sommes sont ponctionnées
aux travers des cotisations sur l’argent que consacre le patient à sa santé. Elles viennent donc
en réduire la part effective, celle qui concerne la rémunération de l’acte de soin. Ainsi, dans une
gestion efficiente de notre système de santé, il convient de s’interroger sur la pertinence d’un
modèle où émergent maintenant trois acteurs dans la couverture sociale : UNCAM (Union
Nationale de Caisses d’Assurance Maladie), UNOCAM (Union Nationale des Organismes
Complémentaires d’Assurance Maladie), et Plateformes santé.
Comment réagir ? Dans son ouvrage sur le pouvoir des habitudes déjà cité, C. Duhigg s’attarde
sur l’approche gagnante de Paul O’Neill nouvellement nommé à la tête du groupe Alcoa. Alors
que le groupe semblait tituber depuis un an, O’Neill prend le parti de le réformer et de le
redynamiser en focalisant son action sur un seul point précis : la sécurité des employés au
travail. En changeant une seule habitude clef, il a gagné le pari de créer une nouvelle culture
dans son entreprise, où se sont enracinées de nouvelles valeurs. Une attitude similaire pourrait
s’envisager pour nous en recentrant tout le débat sur la Qualité. C’est ce que suggère également
Y. Clot pour les syndicats, de mettre le conflit sur la Qualité de l’activité au cœur des
revendications. Un moyen pour nous de renforcer la confiance.
3 - Histoire
Les études ne manquent pas qui prouvent l’importance de l’odontologie en médecine, et c’est
une part importante de l’effort de communication à faire par notre profession. C’est à nous
également de décloisonner nos pratiques, d’imaginer qu’un lieu moderne d’accueil du patient
en odontologie puisse comprendre aussi un spécialiste de la nutrition, des addictions, de la
16
posture, de l’orthophonie, de la gestion du stress, des chocs émotionnels… A nous d’établir des
ponts avec la médecine, de nous imposer comme vrais chirurgiens, de militer pour l’inscription
de nos assistantes au code de la santé, pour la création de postes d’hygiénistes.
Par ailleurs notre exercice traditionnellement libéral nous isole, nos cabinets sont autant de
petits ilots d’un archipel gigantesque, réparti sur tout le territoire. Cette répartition est un atout
à préserver pour la Qualité de notre service, c’est un fin maillage qui assure aux habitants une
possibilité de recours rapide à un lieu de soins. Cela dit, les plateaux techniques de plus en plus
coûteux et sophistiqués, les exigences des normes, les recherches d’efficience font que la
tendance est au regroupement de cabinets. Là encore, à nous d’oser sortir du cadre, et d’inventer
comment articuler ensemble de nouvelles structures de soins, répondant à la nécessité de la
proximité et de la technicité. Changeons de paradigmes, avançons dans notre histoire, ne restons
pas figés sur les règles d’une autre époque.
4 – Les acteurs
En 1984, R. Edward Freeman publie un ouvrage proposant un modèle d’entreprise qui va à
l’encontre de celui traditionnellement défendu et admis de Milton Friedman [33]. Ce modèle
s’avère être pertinent et bien s’appliquer à notre système de soins. Il énonce la « Théorie des
parties prenantes » et soutient que bien avant la réalisation de profits, la raison d’être d’une
entreprise, d’un système, est de pourvoir aux besoins des parties prenantes. Dans notre cas, les
parties prenantes sont d’une part les patients, d’autre part les praticiens.
Nous avons déjà avancé l’idée pour toucher les patients et améliorer la prévention de mettre en
place une communication de l’engagement, qui puisse permettre de diminuer de façon
conséquente le taux de morbidité bucco-dentaire. En implantant au sein de nos structures la
culture de la Démarche Qualité, nous œuvrons en faveur d’une amélioration continue de notre
pratique et de la réponse aux besoins de la patientèle. Nous souhaitons également faire référence
au récent travail tout à fait novateur et fondamental que nous offrent trois auteurs issus des
facultés de Montréal et Toulouse [34]. Ces confrères nous exposent pourquoi le modèle issu du
positivisme, d’où découle notre approche clinique en dentisterie, n’est plus d’actualité dès lors
que notre exercice se transforme, avec le passage à la chronicité de plus en plus fréquent des
problèmes dentaires. Dans le nouveau modèle qu’ils proposent, centré sur la personne,
l’Evidence Based Dentistry n’est plus suffisamment pertinente. Alors que leur modèle prône le
partage du pouvoir entre patient et praticien, il rend nécessaire de respecter un principe directeur
basé sur l’humanisme. En outre, il favorise la prise en compte de la Qualité ressentie, et dénonce
17
la vision réductrice d’une Démarche Qualité uniquement contrainte, encourageant une
dentisterie « business ». Cette approche du patient accroît son implication et donc le taux de
réussite de nos traitements. D’autre part, elle autorise une mise en adéquation de l’offre de soins
avec la demande du patient, à travers des plans de traitement souvent moins ambitieux et par
conséquent moins coûteux. Elle permet le rétablissement d’une relation praticien-patient plus
sereine. C’est une voie de recherche passionnante et prometteuse.
Concernant les chirurgiens-dentistes, il nous faut considérer la spécificité de cette profession.
Notre exercice à 90% libéral [35], cultive le paradoxe d’une situation à la fois très autonome et
très réglementée. L’ampleur des investissements à réaliser, les responsabilités d’employeur,
l’impossibilité de déléguer la tâche, installent le chirurgien-dentiste dans le statut d’un chef
d’entreprise lui-même seul pourvoyeur de valeur ajoutée. Le chirurgien-dentiste se voit donc
rapidement en tant que libéral, propulsé encore une fois dans un rôle pour lequel il n’est pas
formé. Nous renvoyons ici à l’excellente thèse du Dr. F. Camelot [36] dans laquelle l’auteur
montre parfaitement comment le stress omniprésent dans notre profession, les conditions de
travail, l’isolement, le manque d’opportunité d’évolution, l’engagement de la responsabilité,
agissent sur le praticien. Par ailleurs il explique que les caractéristiques des praticiens, modelées
par le degré de perfectionnisme cultivé au cours des études, conduisent à l’apparition de
comportements inadaptés typiques de la lutte contre le stress. Dans ces comportements, liés à
une attente de reconnaissance sociale, on note un haut degré d’hostilité, d’impatience, de hâte,
d’hyperactivité, d’ambition, de compétition, d’engagement, et de dépendance au travail.
L’analyse de l’évolution des pratiques sur 25 ans montre de plus que les praticiens afin de
limiter les difficultés financières cherchent à augmenter leur rendement, quelques fois au
détriment de la Qualité. D’autre part, ils regrettent l’inadéquation entre la formation initiale et
la réalité du terrain. Enfin, la demande pour une mise à jour de la nomenclature de la Sécurité
Sociale est extrêmement élevée. Nous sommes loin d’un exercice serein !
Pourtant notre statut de libéral mérite d’être défendu. Par l’engagement personnel qu’il sousentend, il est le garant d’une Qualité et d’une indépendance au service des patients.
Aujourd’hui, la question est : qui prend soin des soignants libéraux? Il n’y a pas de médecine
du travail obligatoire pour nous. Qui s’occupe de la Qualité au travail de notre Drill Team ?
Notre syndicat majoritaire, ouvre en 2013 une ligne d’écoute 24H/24 7J/7 proposant un soutien
psychologique aux praticiens en difficulté, un groupe d’assurance sous la plume de M. EstrynBehar édite son fascicule : « Agir sur les risques psychosociaux des professionnels de santé ».
Cela témoigne de l’urgence de la situation. Mais quid de la prise en charge des causes en
amont ? A-t-on mesuré les conséquences de l’injonction paradoxale précédemment évoquée ?
18
Il est urgent de repenser notre système où le chirurgien-dentiste a intérêt à délaisser les soins
au profit de la prothèse. Voilà le vrai scandale à dénoncer. Des formations syndicales poussent
des cris d’alarme et multiplient les efforts pour faire entendre ce message insuffisamment
relayé, des sociétés scientifiques s’expriment dans leurs éditoriaux sans succès. Pourtant ce
message en faveur de la Qualité est dans l’intérêt de tous : nous sommes tous des patients.
5 – L’encadrement
A propos des différents acteurs de notre système de soins, et de l’imbrication complexe des
rôles de chacun, nous proposons d’en référer au travail remarquable conduit par le Dr C.J.
Cywie, [37] qui étudie avec l’appui des méthodes de l’Analyse Fonctionnelle, des abaques de
Régnier et de la méthode Mactor, comment les impliquer de façon cohérente et pertinente dans
le pilotage et les possibilités de changement du système.
6 - Du malaise au bien–être
Bâtir la Drill Team, c’est bien sûr rompre avec l’isolement. Nous sommes en majorité des
libéraux habitués à trouver seuls nos solutions. C’est une des questions encore posées : qui,
pour être le leader de cette équipe, pour créer le lien entre les individus, ce que Y.Clot appelle
le « tissu conjonctif » afin de ressouder la confrérie, et de trouver la Qualité dans la solidarité?
L’arrivée de la « génération Y » commence à bousculer la donne. Les jeunes « Y » ont besoin
de comprendre, ils remettent facilement en cause la hiérarchie, les habitudes et déconcertent les
anciens [38]. Ils surfent sur les réseaux sociaux et leur opinion se répand comme une traînée de
poudre. Ils sont un espoir, une force vive que nous devons préserver et faire grandir. Cela doit
être pris en compte au plus tôt, dès leur arrivée à la Faculté où il faut encourager l’émergence
d’un lien fort entre les étudiants, ancré sur une relation sincère, au moment où la capacité
d’empathie est la plus forte chez le jeune adulte qui a choisi la voie du soin. En effet, nous
savons que le jeune étudiant va très rapidement voir son niveau d’empathie diminuer au cours
de ses études, au fur et à mesure de sa confrontation avec les patients [34]. Opter parallèlement
à l’enseignement, pour une formation à la relation humaine, qui utilise le canal de l’andragogie
afin de lui donner du sens pourrait permettre de conserver ce haut degré d’empathie qui paraît
essentiel à la recherche d’une Qualité centrée sur l’Humain..
Actuellement, les tensions sont sensibles à l’intérieur de la profession. Cela n’est pas sans
rappeler l’expérience du Pr. H.Laborit dans le film « Mon Oncle d’Amérique » [39]. Quand il
n’y a pas d’issue et que le stress se répète, l’animal devient agressif envers son congénère le
19
plus proche, partenaire d’infortune. Nous nous trompons de combat. Le chirurgien-dentiste en
malaise ne peut pas fuir, ses possibilités de reconversion sont faibles, ses investissements
financiers lourds, ses projets d’évolution sont faibles ou inexistants. Combattre est inutile et
mutilant, se résigner est la voie ouverte aux RPS et TMS, il faut donc réformer et changer, c’està-dire comme nous y invitent Dejours et Amabile/Krammer, investir le plaisir dans le travail.
Nous proposons pour cela de réfléchir avec nos sociétés scientifiques, à l’instauration d’un
système de veille dédié à la publication permanente de marqueurs des avancées obtenues en
matière de Qualité, par exemple de pérennité des soins, de diminution de l’indice CAO, de
façon à matérialiser nos progrès et à encourager les avancements. Nous, chirurgiens-dentistes
sommes les seuls vrais experts dans notre domaine. Il nous appartient, en tant que partie
prenante du système au sens de Freeman d’assumer notre responsabilité sociétale, et de mettre
en place ces processus d’information à l’attention de notre équipe et de l’autre partie prenante
que sont les patients. En contrepartie, il appartient aux instances gouvernementales de veiller
auprès des chirurgiens-dentistes à leur permettre d’exercer leur profession pour mener à bien
leur mission de service public : Un gouvernement, agissant en tant que « manager responsable »
de la Drill Team, évitera de prendre des décisions non-concertées et uniquement coercitives à
l’encontre de ses équipiers. Il veillera à :
-
Enoncer des objectifs clairs, précis et atteignables,
-
Garantir leur autonomie
-
Pourvoir aux ressources nécessaires
-
Accorder suffisamment de temps
-
Fournir aide et expertise
-
Encourager l’apprentissage après examen des échecs
Cela signifie créer les conditions nécessaires pour donner naissance au sentiment de satisfaction
des équipiers, qui génère la performance. La Drill Team se transformera alors sans aucun doute
pour devenir encore plus impliquée, plus productive, plus créative, pour assurer pleinement son
rôle dans la société.
V – CONCLUSION
Le système de santé bucco-dentaire français est à un tournant de son histoire. Il est urgent de
réagir pour le maintenir en gardant à l’esprit que son principal atout, sa valeur, réside dans les
femmes et les hommes qui en sont la cheville ouvrière : les Chirurgiens-Dentistes. De multiples
outils peuvent nous y aider, qui sont à chercher dans d’autres domaines de compétences. Nous
20
avons suggéré ici quelques pistes, d’autres très certainement existent et méritent d’être
explorées. Pour relever ce défi, ce sont à la fois l’Etat et les professionnels de santé qui ont un
rôle fondamental à jouer.
A vous, chers ami(e)s, confrères, consoeurs qui avez eu le courage de lire cet article jusqu’au
bout, merci. Nous exerçons une profession merveilleuse, parfaitement utile, indispensable à la
société, qui met en jeu un nombre incroyable de compétences, de qualités, de savoir-faire, mais
qui est aussi terriblement difficile et délicate. De nombreuses solutions sont possibles pour la
défendre et la faire évoluer. Mobilisons-nous, relevons la tête, soyons créatifs et engagés,
ouvrons les champs du possible, enfin, croyons en nous, malgré le climat difficile de ce
moment.
Considérons toujours le célèbre aphorisme de Jean Bodin : « Il n’est de richesse que d’hommes
(et de femmes !)» Nous sommes donc riches de 41 186 personnes au 1er janvier 2014 [6].
Et que la recherche de la Qualité, centrée sur l’Humain, soit notre priorité, au service de nous
tous, soignants et soignés.
Dr Marie-Hélène Haye
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