Lettre N° 87

Transcription

Lettre N° 87
Prise de contact 87
« Et ensuite 2 ? »
Février/Mars/Avril 2010
Me voici donc sur le point « d’attaquer » le troisième volet de cette série d’articles, et que j’ai
intitulé : « Et ensuite ? » …
J’ai déjà mentionné le nom de « Brengle », faisant ressortir sa puissance d’élocution, et conduisant
ceux et celles qui l’écoutaient à la conviction que, sans la force toute puissante de Dieu, il leur serait
impossible de surmonter les forces ou pensées du mal. C’est, parmi les 3 « S » qui nous distinguent, ce
que j’ai retenu sous le vocable : « Salut » … Le premier pas étant, déjà, la possibilité de croire que, si
l’on comptait sur Dieu … croire qu’il existe, qu’il peut nous aider, jour après jour, il nous donne la
force d’aider notre prochain et de le représenter dignement … Alors, en comptant sur lui, nous
pouvons nous permettre de voir notre vie transformée …
En mentionnant le nom d’Henri Becquet, j’ai voulu aller un peu plus loin, et relever le fait qu’à côté
du « S » qu’il a si magnifiquement mis en pratique, nous permettant de réaliser que ces Officiers de
l’Armée du Salut ont mis leurs talents et leur intelligence au service de leur prochain, se sont donnés
à corps perdu, et jusqu’à leur dernier souffle, à cette activité qu’ils considéraient comme un
véritable sacerdoce ! Pour preuve, j’en veux le fait que, quatre ans avant d’entrer dans les cadres de
la retraite, Henri Becquet, devenu « Commissaire » entre-temps, ne put se faire à l’idée d’avoir eu à
quitter son cher Zaïre, le comparant sans cesse aux besoins de la Suisse, n’arrivant pas à s’adapter
aux lois et exigences de ce pays. Au bout de trois ans, il fût muté en Angleterre, avec le même
résultat … Il ne vécut qu’une année par la suite … Péan le rencontra deux mois avant son
installation, et de l’entendre lui dire : « Péan, m’avait-il dit d’une voix angoissée ; Péan, je vais
mourir ici. Je n’arrive pas à m’arracher du Congo. Le Congo, c’est ma vie.
Ils avaient transformé l’appartement Ŕ le nôtre aujourd’hui Ŕ en musée congolais, et y vivaient de
leurs souvenirs … Hors de chez eux, tout leur était étranger .
Il est temps maintenant que je mentionne le troisième personnage de ma série des trois « S »
(soupe, savon, salut), même si je n’en ai pas respecté l’ordre, ou plus exactement parce que chacun,
à sa manière, en a pratiqué les trois facettes. Et puis, j’ai eu le privilège de le connaître. Mieux
encore, il fût l’un de mes pères spirituels, et ses conseils furent à même de m’aider tout au long de
ma carrière.
Ah, Péan … Il fait partie de la grande lignée de ces Officiers prestigieux que nous avons eu le
privilège d’avoir à un certain moment dans notre Armée du Salut … Pourtant, rien ne semblait, à
priori, l’y destiner. Enfant, il a eu deux oncles, dont l’un est tombé amoureux d’une anglaise, et
l’autre, d’une allemande ! Résultat, Charles étant né d’une française, et ses deux oncles ayant eu
chacun un garçon, il leur arrivait souvent de jouer ensemble, parlant indifféremment l’une de ces
trois langues sans avoir besoin de se faire traduire !
Mais son père meurt très jeune, et sa maman décide de se rendre et vivre en Algérie, où il passera
quelques années. Les bruits de la grande guerre se faisaient de plus en plus présents. Et voici que des
revers financiers obligent la maman à vendre ses terres une à une et, bientôt, ils sont obligés de
revenir en Europe, et se dirigent vers la Suisse !
Mais son désir de devenir agriculteur n’ayant pas changé, il retourne en Algérie, à Philippeville puis
continuera son apprentissage en Suisse.
De retour en France, Il n’avait pour ainsi dire jamais entendu parler de l’Armée du Salut. Avec sa
famille, il était alors dans le Gard. Un jour, il vit deux femmes drôlement habillées qui parlaient aux
gens, en plein air … Elles parlaient de Dieu et de Jésus-Christ … Elles cherchaient un endroit pour
s’adresser à qui voudrait les suivre, mais ni le Pasteur de l’Eglise libre, ni celui de l’Eglise réformée ne
donnèrent leur accord ! Alors, en toute simplicité, la maman de Charles proposa son logement, et
c’est là qu’eût lieu la rencontre ! C’était pratiquement l’une de ses premières rencontres avec
l’Armée du Salut. Elles parlèrent ensuite de la création de foyers du soldat, et sa maman se proposa
immédiatement pour en diriger un, en tant qu’infirmière-directrice : et ce fût chose faite, et elle le
resta jusqu’à la fin des hostilités, ces foyers étant placés sous la direction générale d’un certain
« Major » Boisson !
Les années ont passé, et le voici avec les siens dans l’Est de la France. Il était désireux de faire un tour
en Suisse, pour faire une visite aux anciens élèves de l’une de ses promotions, dans l’école
d’agriculture de la « Châtaigneraie » où il avait poursuivi ses études ; et le voila, de l’Alsace où il
demeurait alors, à Audincourt. En fonction de ses moyens financiers, il chercha une pension modeste,
et se retrouva … à l’Armée du Salut ! Il fût accueilli par une femme très affable … Mais dans la pièce
à côté une voix s’éleva avec une grande force : c’était le major Boisson qui ne comprenait pas que
parmi tout ces Salutistes présents devant lui, aucun n’avait son permis de conduire ! Alors, sans se
laisser émouvoir, et malgré ses 18 ans, il présenta son permis tout neuf : et le voila embauché ! Il
s’agissait de tout mettre en place pour une mission, à Audincourt, dirigée par l’Officier d’Etat-Major,
le Colonel Peyron. Et le dernier jour de la mission, Charles Péan décida de consacrer sa vie à Dieu :
adieu les grands projets agricoles ! il veut « militer » de suite, propose sa candidature, est accepté, et
entre très vite à l’école de formation, devient « Cadet » … Et cela marche ! Il est ensuite nommé
Cadet-Lieutenant, en seecond à Paris . C’est alors qu’il reçut une lettre de sa maman :
« Mon bien aimé Charles,
Tu m’as donné une grande joie cette année en te consacrant au service du Seigneur, ce que je souhaite et ce
que je demande journellement en prière, pour l’année 1920, c’est que tu persévères, que tu gagnes de plus
en plus la connaissance de Dieu et ce qu’il veut de toi.
Je t’embrasse tendrement. Ta mère affectionnée.
Evangéline Péan
Après son service militaire, qui était obligatoire, il est nommé à Marseille, puis de nouveau à Paris,
dans le quartier de La Bastille, et enfin Enseigne à l’Ecole de formation.
Dix années se sont écoulées, et le voici plus fort, plus sûr, plus convaincu, plus convaincant, Et c’est
alors que le Colonel Peyron (devenu entre-temps Commissaire) le fait appeler, et lui dit :
« - Péan, j’ai décidé de vous envoyer au Bagne ! ( c’était là un rêve, pour ne pas dire une vision,
que ce Chef avait en lui depuis plus de dix ans, et il était certain d’avoir trouvé l’homme qu’il lui
fallait pour un tel projet).
Mais j’arrête ici l’histoire de ce prestigieux prédécesseur de notre œuvre et, en conclusion, je me
contenterai de transcrire le « ministère du Commissaire Péan », tel qu’il fût écrit et lu lors de sa
cérémonie funèbre (à l’Armée du Salut, nous appelons cela : la promotion à la Gloire !)
Charles Péan est né à Paris le 28 février 1901. C’est en septembre 1919 qu’il rencontre le Seigneur lors
d’une mission d’évangélisation du Commissaire Albin Peyron. A peine converti, il ressent l’appel de Dieu
à devenir Officier de l’Armée du Salut. Il y répond immédiatement et le 2 juin 1920 il est promu
Lieutenant et nommé à Paris Central. De 1921 à 1923 il rejoint les rangs de l’armée française pour
accomplir son service militaire. En 1923 et 1924 il œuvre successivement dans les Postes de Marseille 2 et
de Paris-Bastille avant d’être nommé à l’Ecole de Formation.
En 1928 on lui demande de se rendre en Guyane Française pour étudier la possibilité d’un travail parmi
les bagnards. Cette mission va profondément bouleverser sa vie.
En 1929 il unit sa vie à celle de la Lieutenante Marie-Pascale Chaligne. Ensemble ils dirigeront les
Postes d’Alès puis de Nice avant de repartir pour la Guyane pour une deuxième mission de 1933 à
1934, puis pour une troisième et une quatrième mission de 1935 à 1939.
En 1940 ils sont nommés directeurs du Foyer du soldat et puis en 1941 responsables du Poste de ParisCentral avec le grade de Major. A côté de sa tâche astreignante de responsable spirituel Charles Péan
poursuit des études de théologie à la Faculté de Paris. En 1944 il obtient le grade de licencié en théologie.
La même année il est nommé Secrétaire Social puis en 1948, Secrétaire en Chef, en France d’abord, puis
en Suisse en 1953
.Quatre ans plus tard, c’est en qualité de Chef de territoire qu’il retourne au pays. En 1964 il sera nommé
membre du Conseil privé du Général et en 1966 il revient en Suisse pour prendre la direction de l’œuvre.
En 1971 l’heure de la retraite sonne pour Charles Péan et son épouse ; il n’utilisera jamais le terme de
« retraité » mais préfèrera plutôt l’appellation « mis en libre service » En effet, tant que ses forces le lui
permettront, Charles Péan continuera de servir son Seigneur et Sauveur. Pendant de longues années il
représentera l’Armée du Salut auprès des Nations Unies.
En 1974 la mort de sa chère épouse le frappe de plein fouet. Après deux ans de veuvage il retrouve une
compagne et une force nouvelle en la personne de la Major Rose-Marie Gysin.
Charles Péan collectionnait les dons et les activités multiples. Il a tiré de ses riches expériences la
matière à six ouvrages : trois livres consacrés au Bagne et trois volumes autobiographiques. En 1979 il
publie encore un livre sur les repas de Jésus : « Quand Dieu se met à table »
Durant sa carrière le Commissaire Péan a été membre de plusieurs commissions ministérielles. Il a été
trois fois « Chargé de mission » par le ministère de justice pour planifier la liquidation du Bagne et le
rapatriement de plusieurs milliers de libérés. Il a reçu du Général une médaille le récompensant pour
ses cinquante ans de service ininterrompu. En 1938 le Gouvernement français le fait Chevalier de l’Ordre
de la légion d’honneur et l’élèvera en 1958 au grade d’Officier. En 1966 il est fait Grand Officier de la
ville de Paris et recevra la médaille de vermeille.
Une telle carrière ne pouvait que démontrer une personnalité exceptionnelle qui a marqué durablement
l’Armée du Salut et laissera une empreinte durable.
A l’aube du 14 juillet 1991, Charles Péan quittait notre terre.
Les temps ont changé, certes, mais ne nous feront pas oublier ces pages glorieuses accomplies par
l’Armée du Salut. Qui se souvient, aujourd’hui, de cette honte que cela représentait pour notre pays
et qui, par son opiniâtreté, ses connaissances, sa persévérance et sa volonté, ont permis à notre
œuvre, dirigée par l’action éclairée de cet homme, de l’éradiquer ? On ne connaît plus, aujourd’hui
la Guyane que pour sa base de satellites de Kourou …
Oui, les temps ont changé, mais nous n’oublions rien, ni le «Commissaire Péan », ni la poignée
d’Officiers qui ont été affectés pour l’épauler dans une telle entreprise et qui avaient pour nom :
Hausdorff Ŕ Chastagnier Ŕ Klopfenstein Ŕ Cornillon Ŕ Pérus Ŕ Palpant Ŕ Thoni Ŕ Waelly Ŕ Durand …
Et plusieurs d’entre eux étaient accompagnés de leurs enfants, dont certains sont même nés en
Guyane ! A ce sujet, on n’est pas prêt d’oublier ce fameux jour où l’une d’entre elles, ayant besoin de
ses bras, confia son bébé, et le remit dans ceux d’un ancien dangereux assassin … Mais il y a de ces
miracles que Dieu permet !
Lors du rapatriement des libérés, l’Armée du Salut fut invitée à les accompagner, et cela dura de
1946 à 1953, car il était hors de question d’agir vite : chaque cas devait être étudié et trouver sa
solution. En 1949, les « Capitaines » Ferrer furent adjoints à toute cette équipe, et chargés
d’accompagner tous les libérés d’Afrique du nord, alors colonies françaises. Leur connaissance du
pays, eux qui avaient vécu longtemps là-bas, rendaient la tâche plus aisée.
Voila, j’ai terminé ma série des 3 « et ensuite », et vous demande d’excuser mon retard, car je viens
de changer d’ordinateur et de mode d’application : quel boulot ! Mais cela ne m’empêche pas de
vous dire que je vous aime et ne vous oublie pas … A bientôt !
Khorèn
P.S : J’ai dit plus haut que les temps ont changé … mais aussi les méthodes … L’Association des
Œuvres de Bienfaisances de l’Armée du Salut est devenue Fondation, alors que celle dépendant de
la loi de 1901 est maintenant une Congrégation … Autres temps, autres méthodes : mais toujours
l’Armée du Salut avec ses 3 « S » : Soupe, Savon, Salut !