Vulnérabilité sociale des consultants d`odontologie d`un hôpital public
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Vulnérabilité sociale des consultants d`odontologie d`un hôpital public
ÉTUDES Santé publique 2005, volume 17, no 3, pp. 357-369 Vulnérabilité sociale des consultants d’odontologie d’un hôpital public Social vulnerability of out-patients consulting the dentistry service of a public hospital J. Pascal (1), O. Laboux (2), J. Paillereau (1), B. Giumelli (2), P. Lombrail (1) Résumé : Il existe des inégalités sociales de santé dentaires. Il peut être utile d’identifier les personnes en situation de vulnérabilité sociale car elles nécessitent probablement des soins particuliers. Nous avons cherché à identifier parmi les consultants d’un centre de consultation de soins dentaire d’un CHU, les personnes en situation de vulnérabilité sociale à l’aide d’un outil de repérage construit par un groupe pluri-professionnel et validé. Cet outil comprend 5 critères, présentés sur une fiche de recueil, remplie par tout consultant dès son entrée dans le service. Ce repérage a été réalisé au cours de deux périodes distinctes (été et hiver). 865 fiches ont été recueillies : le taux d’exhaustivité du recueil est de 73 %. 94 % de ces fiches permettent de déterminer la situation socio-économique du consultant : 48 % (n = 382) ont été identifiés en situation de vulnérabilité sociale. Parmi eux, 69 % bénéficient de la CMU ou de l’AME, 59 % n’ont pas de complémentaire santé, 47 % disent avoir des difficultés à payer leurs médicaments ou leurs examens médicaux et 48 % perçoivent une prestation solidarité. La prévalence de la vulnérabilité sociale des consultants pris en charge dans le centre de consultation dentaire est estimée à 32 %. L’outil de repérage a permis de mesurer l’importance et la nature de la vulnérabilité sociale des consultants pris en charge par un service de consultation d’odontologie d’un hôpital public. Il reste à apprécier sa capacité à identifier des consultants ayant des besoins de soins plus souvent non satisfaits et la capacité de l’hôpital à rattraper les pertes de chance ainsi mises en évidence. Summary : There are social inequalities in oral and dental health. It can be useful to identify people in socially vulnerable or marginalised situations because they require a particular kind of care. Through a survey of patients in a dentistry services in a public hospital, we sought to identify those people in a precarious socio-economic situation by the use of a tool designed and validated by multi-disciplinary experts. The tool includes five criteria, and is presented in the format of an index card which is filled in by the patient upon his arrival. This data collection was carried out in two distinctly separate period of (1) Laboratoire de Santé Publique et d’Épidémiologie, CHU de Nantes, PIMESP - Hôpital Saint Jacques - 85 rue St Jacques - 44093 Nantes cedex 1 France (2) UFR d’Odontologie, Nantes, France Correspondance : Dr Jean Pascal Réception : 23/03/2004 - Acceptation : 18/02/2005 358 J. PASCAL, O. LABOUX, J. PAILLEREAU, B. GIUMELLI, P. LOMBRAIL time (winter and summer). 865 cards were collected, and the rate of collection of complete data was 73%. 94% of the cards allowed us to determine the socio-economic status of the patient, and 48% (n=382) of them were classified as having a socially vulnerable situation. Among them, 69% of them benefited from CMU or AME, and 59% of them do not have any supplementary health insurance. 47% of them admit to having difficulties in paying for their medications or covering the cost of their medical consultations, and 48% perceive a social service aide. The prevalence of social vulnerability of the dental centre’s patients is estimated at 32%. This data collection tool has made it possible to measure the significance and the nature of the social vulnerability of the patients who receive care and services from this public hospital’s dentistry unit. Its capacity to identify patients whose care needs are often not met remains to be seen, as well as the capacity of the hospital to make up for these lost opportunities thus remains to be highlighted. Mots-clés : épidémiologie clinique - dépistage - qualité des soins - accès aux soins inégalité sociale de santé. Key words : clinical epidemiology - screening - quality of care - access to care - social health inequalities. Introduction Il existe en France de fortes disparités sociales d’état de santé et de recours aux soins [11, 16]. Une part non négligeable de ces inégalités sociales de santé provient d’inégalités de soins, que celles-ci résultent de difficultés d’accès [6] ou de différences de prise en charge [10]. Si ces difficultés d’accès aux soins commencent à être bien documentées en France (obstacles économiques, administratifs, psychosociaux, culturels…), les inégalités de prise en charge médicale sont bien moins connues. Le potentiel de rattrapage de certaines de ces inégalités serait souvent sous-estimé par les professionnels du champ sanitaire [24, 19]. Il en résulterait de nombreuses pertes de chance [15]. Ce sont plus particulièrement les personnes en situation de précarité sociale qui sont exposées à ces inégalités de santé [8, 18]. Les études montrent qu’elles concernent un public en situation de précarité plus large que les seules personnes sans droits sociaux ou sans domicile fixe [17, 20]. Finalement, l’hétérogé- néité des situations socio-économiques de précarité sociale contribue à définir un état de vulnérabilité sociale qui a des conséquences en terme de santé. Les travaux internationaux, sur le sujet, ont objectivé les relations qui peuvent exister entre le vécu des situations de vulnérabilité sociale et les dégradations de l’état buccodentaire [7-23]. En France, une étude descriptive de l’état bucco-dentaire de personnes prises en charge dans différents centres d’examens de santé, comparant un groupe en situation de précarité sociale à un groupe de personnes ayant un emploi, montre que les personnes en situation précaire présentent un nombre plus élevé de dents cariées non soignées, de dents manquantes non remplacées par une prothèse, de prothèses amovibles et une fréquence plus élevée de problèmes gingivaux et orthodontiques [9]. Une autre étude, plus récente, menée par le Centre de Recherche d’Étude et de Documentation en Économie de la Santé (CREDES) sur 80 centres de soins gratuits auprès de 590 consultants montre, d’une part, les liaisons VULNÉRABILITÉ SOCIALE DES CONSULTANTS D’ODONTOLOGIE D’UN HÔPITAL PUBLIC importantes entre le type de précarité et l’état de santé bucco-dentaire, tant pour ce qui est du nombre de dents absentes que des problèmes de caries ou de prothèses que l’examen du médecin a permis de diagnostiquer, et, d’autre part, des logiques de recours aux soins dentaires, bien différentes entre celles des personnes en situation de précarité et celles de la population générale [2]. L’hôpital public est particulièrement concerné du fait de son rôle social, par la question des disparités socioéconomiques d’état de santé des patients qu’il prend en charge [12]. Une partie de sa clientèle se recrute dans les couches les moins favorisées de la population [14]. En France, peu de données objectives permettent de connaître l’ampleur de ces inégalités sociales de santé, notamment du secteur odontologique [13, 16]. Et, à notre connaissance, aucune n’a été publiée au niveau des centres de soins dentaires des hôpitaux français. Une première difficulté tient à l’absence de caractérisation fiable de la situation socio-économique de ces personnes dans les systèmes d’information hospitaliers. Dans ce contexte, les professionnels sont conduits à s’interroger sur l’adaptation de leurs modes d’intervention, collectifs ou individuels, en direction de ces personnes. Si on pense utile d’améliorer la qualité de prise en charge des usagers en situation de vulnérabilité sociale des consultations d’odontologie de l’hôpital, encore faut-il que les professionnels puissent, d’une part, identifier en routine les personnes concernées et, d’autre part, mesurer l’ampleur du « problème » pour dimensionner leurs efforts. 359 Matériel et méthode Cette étude a été réalisée dans le centre de consultation de soins dentaires du CHU de Nantes au cours de deux périodes distinctes. La première période va du 29 mai au 16 août 2001 (été : 54 jours ouvrables) et la deuxième période va du 8 janvier au 1er février 2002 (hiver : 19 jours ouvrables). Chaque jour, une liste papier des consultants attendus était établie par le secrétariat des consultations, comprenant le nom, le prénom, l’âge et le sexe des consultants. Tous les consultants se voyaient remettre, par la secrétaire de l’accueil, à leur arrivée dans le centre, une fiche de recueil (figure 1), qu’ils étaient libres de remplir. Ces consultants venaient pour la première fois ou n’avaient pas consulté depuis plus de six mois au centre. Les consultants mineurs et acceptant de répondre étaient éligibles : c’est alors la situation du chef de famille qui était renseignée. Le consultant répondait seul aux questions présentées sur la fiche de recueil, sans que lui soient apportées des explications sur le sens de chacune. Les consultants ne sachant ou ne pouvant pas lire (lésion oculaire, perte de lunettes...) ou écrire (fractures, paralysies, contention...) étaient également inclus. Pour ces derniers, les secrétaires de l’accueil apportaient une aide au renseignement de la fiche. Cette fiche devait être remise à la secrétaire par le consultant, avant qu’il ne soit pris en charge par un odontologiste. La fiche de recueil standardisée comprenait une partie renseignée par le service (identification du consultant, nom du service, date et heure d’entrée), une partie information aux consultants (présentation des finalités 360 J. PASCAL, O. LABOUX, J. PAILLEREAU, B. GIUMELLI, P. LOMBRAIL Programme Hospitalier de Recherche Clinique : « Besoins de soins des consultants des services de l’hôpital » Service : ............................. Etiquette patient Date : .................................. Heure de la consultation : ................................... l N° anonymat : R : |___|___|___|___| E : |___|___|___|___| C / T : |___| n° |___| N° anonymat : R : |___|___|___|___| E : |___|___|___|___| C / T : |___| n° |___| Mademoiselle, Madame, Monsieur, Afin d’améliorer la prise en charge médicale des consultants du service, le CHU de Nantes et le Centre Hospitalier de Saint-Nazaire mènent une étude de recherche scientifique. Nous demandons à toutes les personnes venant consulter dans le service de bien vouloir répondre à 5 questions. La confidentialité des informations recueillies sera respectée et cette fiche sera traitée de manière anonyme. Cette fiche est à remplir et à remettre à la personne qui vous l’a donnée avant de rencontrer le médecin. Age : |____|____| ans Sexe : Masculin K / Féminin K Année de naissance : |_1_|_9_|___|___| Pour répondre à chacune des questions : entourer le « oui » ou le « non » . Avez-vous la CMU (couverture maladie universelle) ou l’Aide Médicale d’Etat (AME : hospitalière ou totale) ? oui non / Avez-vous une Mutuelle santé ou une Assurance maladie complémentaire ? oui non 0 Avez-vous du mal à payer vos médicaments ou vos examens médicaux ? oui non 1 Recevez-vous une de ces allocations : le RMI, l’AAH (allocation adulte handicapé), l’API (allocation parent isolé), l’ASS (allocation solidarité spécifique), l’AI (allocation d’insertion), l’allocation de veuvage, le minimum vieillesse ou l’allocation supplémentaire de vieillesse ? oui non 2 Êtes-vous à la recherche d’un emploi depuis plus de 6 mois ou d’un 1 emploi ? oui non er Nous vous remercions d’avoir répondu à ces questions. N’oubliez pas de rendre cette fiche, même si vous ne l’avez pas remplie. • Au cours de votre passage, une personne de l’hôpital viendra peut- être vous rencontrer pour vous proposer de répondre à un questionnaire anonyme plus complet. • Si vous acceptez de la rencontrer, vous nous aiderez à mieux connaître les besoins de soins des consultants du service, en particulier dans le domaine de la prévention. Responsables de l’étude : ………………………………….. Figure 1 : La fiche de recueil. VULNÉRABILITÉ SOCIALE DES CONSULTANTS D’ODONTOLOGIE D’UN HÔPITAL PUBLIC de l’étude et des garanties de confidentialité et d’anonymat), et une partie renseignée par le consultant : âge, sexe, et l’outil de repérage. L’outil de repérage est un autoquestionnaire comprenant 5 caractéristiques de repérage : ❶ bénéficier de la Couverture Maladie Universelle ou de l’Aide Médicale d’État ; ❷ ne pas avoir de complémentaire santé ; ❸ avoir du mal à payer ses médicaments ou ses examens médicaux ; ❹ être allocataire d’un minimum social ; ❺ être à la recherche d’un emploi depuis plus de six mois ou d’un premier emploi. Une situation de vulnérabilité sociale est identifiée selon la règle de décision suivante : « avoir au moins la caractéristique ❶ ou la caractéristique ❷ ou 2 caractéristiques parmi les caractéristiques ❸, ❹ et ❺ ». Cette règle de décision précisant 5 critères à partir des 5 caractéristiques de l’auto-questionnaire a été établie par un groupe de professionnels du CHU plus particulièrement concernés par la prise en charge de cette partie de la clientèle [21]. La sensibilité de l’outil est de 70 % (IC : 64 -76) et sa spécificité est de 77 % (IC : 71-82). L’analyse statistique des données a été réalisée à l’aide du logiciel SPSS (version 9.0). Les variables qualitatives ont été comparées par le test du Chi2 et les variables quantitatives par le test t de student. Le seuil de signification retenu est de 5 % et les tests ont été réalisés en attitude bilatérale. Résultats Sur la totalité de la période de l’étude, le nombre de consultants est estimé à 1 185 (885 sur la 1re période et 300 sur la 2e période). 865 fiches ont été rassemblées, soit un taux d’exhaustivité du recueil de 73 % 361 (76 % pour la 1re période ; 64 % pour la 2e période). Les perdus de vue ne semblent pas introduire de biais majeur au vu de la comparaison de leurs caractéristiques socio-démographiques avec celles des répondants. Parmi les fiches recueillies, 806 fiches sont exploitables : elles permettent de déterminer avec certitude la situation du consultant au vu des critères de décision de l’outil de repérage. C’est sur ces fiches que porte l’analyse des caractéristiques et des critères de vulnérabilité sociale des consultants, soit 94 % des fiches en notre possession (92,6 % pour la 1re période et 95,3 % pour la 2e période). Le sex ratio H/F dans le groupe dont les fiches sont exploitables est de 1,03 contre 1,32 dans l’autre. Parmi les consultants en situation de vulnérabilité sociale, le sex ratio est de 1,13 et parmi ceux qui ne sont pas porteurs de critères, le sex ratio est de 0,94, mais ces différences n’atteignent pas le seuil de signification statistique. Les consultants en situation de vulnérabilité sociale sont un peu plus jeunes que ceux qui ne sont pas identifiés comme tels (âge moyen 33 ans versus 38 ans, p < 0,001) ; 62 % des consultants en situation de vulnérabilité sociale sont âgés de moins de 35 ans contre 49 % des autres consultants. L’analyse de l’exhaustivité du remplissage des caractéristiques de l’auto-questionnaire (figure 2) montre que 8 % des fiches exploitables sont partiellement renseignées (elles permettent toutefois de déterminer avec certitude la situation du consultant). Près des 2/3 des fiches partiellement renseignées concernent des consultants en situation de vulnérabilité sociale : deux fois plus d’hommes 362 J. PASCAL, O. LABOUX, J. PAILLEREAU, B. GIUMELLI, P. LOMBRAIL effectif 900 800 non remplie 10 (1%) 12 (1%) 24 (3%) 8 (1%) 6 (1%) absente présente 700 600 500 532 (66%) 533 (66%) 522 (65%) 264 (33%) 261 (32%) 260 (32%) 1 2 3 400 617 (77%) 577 (72%) 300 200 100 181 (22%) 223 (28%) caractéristiques 0 4 5 Figure 2 : Exhaustivité du remplissage des caractéristiques de l’outil de repérage (n = 806)*. que de femmes. C’est la question ❸ « difficultés à payer ses médicaments ou ses examens médicaux » qui est le plus souvent non renseignée (33 % des non-réponses) et cela concerne majoritairement les consultants en situation de vulnérabilité sociale (69 % des non répondants à la question ❸). Par ailleurs, cette même figure montre, d’une part, que les caractéristiques ❶, ❷, et ❸ sont retrouvées dans le tiers des fiches et, d’autre part, que les caractéristiques ❹, ❺ concernent le quart des fiches. L’outil de repérage, utilisé avec sa règle de décision, a permis d’identifier 382 consultants en situation de vulnérabilité sociale, soit 47,6 %. Parmi eux, 69 % présentent le critère ❶, 48 % le critère ❹, 33 % le critère ❷+❸, 30 % le critère ❷+❺ et 31 % le critère ❸+❺ (figure 3). Sur cet échantillon, en moyenne, près de 6 consultants en situation de vulnérabilité sociale sont venus chaque jour durant la période d’été (1re période) et 4 durant la période d’hiver (2e période). Les consultants en situation de vulnérabilité sociale sont plus nombreux que les consultants sans critères durant la semaine qui a précédé le 14 juillet et les deux semaines qui ont précédé le 15 août (inversion des proportions). Parmi les consultants en situation de vulnérabilité sociale, l’analyse des caractéristiques montre que 59 % d’entre eux déclarent ne pas avoir de complémentaire santé (mutuelle ou assurance santé), 53 % ont des difficultés à payer leurs médicaments ou leurs examens médicaux et 52 % sont au chômage (à la recherche d’un 1er emploi ou d’un emploi depuis plus de 6 mois). * Un même individu peut cumuler plusieurs critères [somme des % > 100] 363 VULNÉRABILITÉ SOCIALE DES CONSULTANTS D’ODONTOLOGIE D’UN HÔPITAL PUBLIC Femme 300 Homme 250 200 139 (47%) 150 92 (49%) 58 (54%) 100 125 (53%) 50 89 54 (52%) 49 (58%) (51%) 69 (46%) 58 (48%) 68 (42%) Critère 4 Critère 2+3 Critère 2+5 Critère 3+5 0 Critère 1 Figure 3 : Répartition des critères de vulnérabilité en fonction du sexe (n = 382). Difficultés à payer ses soins n = 60 Sans emploi n = 83 Prestations sociales n = 73 46 % Absence de complémentaire santé n = 73 51 % 63 % 48 % 55 % Absence de complémentaire santé n = 160 Prestations sociales n = 132 50 % 58 % 48 % 59 % Absence de complémentaire santé n = 73 47 % Difficultés à payer ses soins n = 124 Difficultés à payer ses soins n = 76 60 % Bénéficiaire CMU / AME n = 264 Sans emploi n = 72 Prestations sociales n = 60 Sans emploi n = 81 45 % 51 % 53 % Sans emploi n = 135 Difficultés à payer ses soins n = 72 60 % 61 % Absence de complémentaire santé n = 81 Prestations sociales n = 83 Figure 4 : Répartition des consultants en situation de vulnérabilité sociale bénéficiaires de la CMU ou AME en fonction des caractéristiques de vulnérabilité sociale. 364 J. PASCAL, O. LABOUX, J. PAILLEREAU, B. GIUMELLI, P. LOMBRAIL Sans emploi n = 53 Bénéficiaire CMU / AME n = 73 Difficultés à payer ses soins n = 38 Sans emploi n = 81 50 % 48 % 87 % 46 % 45 % 38 % 71 % Absence de complémentaire santé n = 224 Sans emploi n = 64 50 % 30 % Prestations sociales n = 73 Bénéficiaire CMU / AME n = 160 Prestations sociales n = 84 Prestations sociales n = 38 Difficultés à payer ses soins n = 76 63 % 57 % Difficultés à payer ses soins n = 127 50 % 47 % Sans emploi n = 112 Prestations sociales n = 53 57 % 72 % 60 % Bénéficiaire CMU / AME n = 76 Difficultés à payer ses soins n = 64 Bénéficiaire CMU / AME n = 81 Figure 5 : Répartition des consultants en situation de vulnérabilité sociale sans complémentaire santé en fonction des caractéristiques de vulnérabilité sociale. Dans le groupe des consultants bénéficiant de la CMU ou de l’AME, 60 % déclarent ne pas avoir de complémentaire santé et 47 % disent avoir des difficultés à payer leurs médicament ou leurs examens médicaux (figure 4). Dans le groupe des consultants qui déclarent ne pas avoir de complémentaire santé, 57 % disent avoir des difficultés à payer leurs médicaments ou leurs examens médicaux (figure 5). Dans le groupe des consultants qui déclarent avoir des difficultés à payer leurs médicaments ou leurs examens médicaux, 66 % sont sans emploi, 39 % bénéficient d’une prestation sociale et 62 % déclarent ne pas avoir de complémentaire santé (figure 6). Parmi les 424 consultants ne présentant pas les critères de vulnérabilité sociale, tels que définis par l’outil de repérage, 28 % présentent néanmoins l’une des trois caractéristiques ❷, ❸ ou ❺. Parmi ces derniers, 57 % disent avoir des difficultés à payer leurs médicaments ou leurs examens médicaux et 32 % n’ont pas de complémentaire santé. Discussion Le taux de participation spontanée des consultants est relativement satisfaisant. En effet, près de 70 % des consultants en odontologie ont renseigné, correctement, seuls et sans aide, les items de l’outil de repérage. Ceci peut s’expliquer par une distribution systématique à tous 365 VULNÉRABILITÉ SOCIALE DES CONSULTANTS D’ODONTOLOGIE D’UN HÔPITAL PUBLIC Sans emploi n = 55 Bénéficiaire CMU / AME n = 60 Prestations sociales n = 38 30 % Absence complémentaire n = 38 50 % 70 % 60 % 48 % 39 % 62 % Difficultés à payer ses soins n = 204 Sans emploi n = 60 48 % 61 % Bénéficiaire CMU / AME n = 76 Absence complémentaire n = 127 Prestations sociales n = 79 Absence complmentaire santé n = 76 Sans emploi n = 64 76 % 61 % Bénéficiaire CMU / AME n = 124 58 % Sans emploi n = 72 66 % 53 % Sans emploi n = 135 Bénéficiaire CMU / AME n = 72 47 % 40 % Absence complémentaire n = 64 Prestations sociales n = 55 Figure 6 : Répartition des consultants en situation de vulnérabilité sociale ayant des difficultés à payer leurs soins (médicaments et / ou examens médicaux) en fonction des caractéristiques de vulnérabilité sociale. les consultants dès leur admission et par la consigne de retourner la fiche avant de réaliser les soins. La proximité entre l’accueil et la salle d’attente a joué un rôle facilitant. Les équipes d’accueil et soignantes n’ont pas observé d’opposition des consultants. La simplicité de la procédure n’a pas introduit de surcharge de travail pour le personnel. Enfin, il semble que la rapidité de renseignement des questions de l’outil et sa simplicité facilitent la qualité du remplissage. Cet outil, facile à mettre œuvre en routine, permet de qualifier l’importance de la vulnérabilité sociale en fonction de caractéristiques essentiellement économiques. Il ne permet pas de déterminer la nature de la vul- nérabilité sociale (situation face au logement, à l’isolement social ou à l’éducation par exemple), ce qui peut en constituer une limite d’usage si l’on cherche à apporter des solutions aux « ruptures de soins » ou des réponses thérapeutiques adaptées et réalisables. Toutefois, le cumul des difficultés sociales relativise l’arbitraire du choix opéré par le groupe d’experts locaux ; on sait, par exemple, combien la situation par rapport au travail conditionne le niveau de revenu des ménages et combien la fragilité du statut par rapport à l’emploi est liée au niveau de qualification et donc d’éducation. À notre connaissance aucune étude publiée n’a essayé de mesurer la fréquence des difficultés sociales des 366 J. PASCAL, O. LABOUX, J. PAILLEREAU, B. GIUMELLI, P. LOMBRAIL personnes soignées dans un centre de soins dentaires hospitalier. Dans cette étude, la prévalence de la vulnérabilité sociale ne peut être qu’estimée. En effet, en l’absence de gestion informatisée en temps réel des reports et des annulations de rendezvous ainsi que des consultations non programmées, la liste journalière des consultants prévus n’est pas enregistrée avec précision. Il existe donc un biais de recrutement potentiel, mais comme les caractéristiques d’âge et de sexe des consultants prévus ne sont que très partiellement renseignées sur cette liste, il est impossible de le caractériser. Par ailleurs, à partir du moment où le choix était fait que seuls les consultants renseignent les fiches de recueil, il existe un biais de non réponse car un quart n’ont pas répondu (27 %). Une partie des fiches recueillies sont non exploitables car incomplètement renseignées (6,8 %) comme dans l’étude du CREDES portant sur l’état de santé dentaire des consultants des centres de soins gratuits en situation de précarité dans laquelle 8 % des questions soumises aux patients sont restées sans réponse [2]. Malgré ces limites, la prévalence de la vulnérabilité sociale des consultants pris en charge dans le centre de soins dentaires de l’hôpital peut être située entre un minimum de 32 % (si l’on rapporte le nombre de consultants en situation de vulnérabilité sociale identifiés à l’ensemble des 1 185 consultants) et un maximum de 48 % (proportion de consultants en situation de vulnérabilité sociale parmi les 806 fiches exploitables). La limite à la généralisation des résultats présentés est que les clients du centre de consultation de soins dentaires du CHU de Nantes ne sont pas représentatifs de ceux de l’ensemble des consultations du CHU, ni ceux d’un CHU de l’ensemble des hôpitaux publics. Si ceci influence la prévalence des situations observées, cela ne saurait spécifier la nature des traits principaux à prendre en compte pour identifier des situations sociales problématiques trop largement répandues dans la société française. Les patients en situation de vulnérabilité sociale venant consulter au centre de soins dentaires de l’hôpital sont plutôt jeunes, majoritairement âgés de moins de 35 ans, et plutôt de sexe masculin. Ceci concorde avec d’autres études effectuées auprès de populations en situation précaire consultant d’autres types de structures de soins dentaires [1,2]. Dans notre échantillon, le tiers des consultants déclare avoir des difficultés à payer leurs soins (médicaments et/ou examens médicaux) ; 30 % n’ont pas été identifiés en situation de vulnérabilité sociale par l’outil de repérage car la règle de décision repose sur l’association de cette caractéristique à l’une des caractéristiques ❸ ou ❺, afin d’améliorer sa spécificité [21]. À la différence des consultations odontologiques de ville, les consultants venant à l’hôpital font seulement l’avance des frais correspondant au tiers payant, ce qui peut s’avérer malgré tout impossible pour les malades les plus pauvres. Par ailleurs, en accord avec le trésor public du CHU, ils peuvent négocier l’échelonnement des paiements et lorsqu’il y a une demande de prestation supplémentaire et de recours auprès de la caisse primaire d’assurance maladie, les soins sont le plus souvent débutés et les dossiers de facturation peuvent être mis en attente. VULNÉRABILITÉ SOCIALE DES CONSULTANTS D’ODONTOLOGIE D’UN HÔPITAL PUBLIC Or, parmi ces mêmes consultants, un quart bénéficie d’une complémentaire santé. Ceci s’explique par le fait que les contrats de couverture complémentaire ne couvrent que partiellement les frais dentaires, notamment les prothèses. Ainsi, l’enquête Santé Protection sociale 1998 montre qu’un quart des contrats rembourse moins de 55 % du tarif de la sécurité sociale et la moitié rembourse moins de 130 % [3]. Par ailleurs, cette enquête montre que le niveau de remboursement dentaire dépend relativement peu de l’état de santé, mais varie fortement selon le milieu social : les garanties les plus faibles ou nulles concernent 28 % des plus riches et 65 % des plus pauvres. Dans notre échantillon, la proportion de bénéficiaires de la CMU, parmi les patients en situation de vulnérabilité sociale, est relativement importante. Il semblerait que certains consultants, notamment âgés, assimilent parfois la question « avez-vous la CMU ? » à « avez-vous la sécurité sociale ? » (6 % des bénéficiaires de la CMU en France ont plus de 60 ans alors qu’ils représentent 12 % des bénéficiaires de la CMU de notre échantillon, [4]). Ainsi, une partie des consultants ont répondu « oui » à la question ❶ alors qu’ils bénéficient d’une couverture maladie d’un autre type. La proportion de bénéficiaires de la CMU est peut-être un peu moindre que celle que nous avons mesurée. Toutefois, on peut penser qu’une partie des bénéficiaires de la CMU s’orientent plus facilement vers l’hôpital que vers des cabinets de ville. Ce d’autant que les tarifs dentaires pratiqués en cabinet de ville excèdent le niveau de remboursement de la sécurité sociale et que certains professionnels du secteur libéral auraient tendance à réorienter ces bénéfi- 367 ciaires vers d’autres structures de soins [5]. Il est probable aussi que ceci traduit avant tout un recours préférentiel à la structure hospitalière du fait des facilités de paiement rappelées plus haut, ce d’autant que l’admission à la CMU complémentaire n’est pas immédiate. Parmi eux, la proportion de consultants déclarant ne pas avoir de complémentaire santé est relativement importante (60 %). Elle est très supérieure à ce qu’elle est pour l’ensemble des bénéficiaires de la CMU en France (77 % des bénéficiaires de la CMU de base sont également affiliés à la CMU complémentaire [4]). Un biais de sous estimation de bénéficiaires de la CMU complémentaire (CMU c) est possible du fait que certains bénéficiaires de la CMU ne savent pas toujours s’ils bénéficient ou non de la CMU complémentaire [1] : les personnes bénéficiaires de la CMU c ne la perçoivent pas toujours comme une complémentaire santé. En France, en 2002, 1,2 millions de personnes étaient affiliées à la CMU de base et 4,7 millions de personnes bénéficiaient de la CMU complémentaire [4]. Afin de mieux appréhender, d’une part, cette dimension de la vulnérabilité sociale et, d’autre part, les difficultés spécifiques de l’accès aux soins dentaires de ces populations, il semble préférable pour l’avenir de demander aux consultants s’ils bénéficient ou non de la CMU c. De même pour mieux apprécier la difficulté d’accéder aux soins dentaires, il semble opportun de différencier « bénéficiaire de la CMU » de « bénéficiaire de l’AME ». En effet, les prestations dentaires offertes pour ces deux groupes de population sont très différentes. Les bénéficiaires de la CMU ont une prise en charge des prothèses dentaires, regroupant quasiment toutes les situations cliniques 368 J. PASCAL, O. LABOUX, J. PAILLEREAU, B. GIUMELLI, P. LOMBRAIL courantes, alors que les bénéficiaires de l’AME n’ont aucune possibilité d’avoir des prothèses prises en charge par leur régime d’assurance maladie : seuls les soins conservateurs et chirurgicaux sont pris en charge ou exonérés. Par ailleurs, ces deux types de population ne viennent probablement pas pour les mêmes raisons au centre de soins dentaires de l’hôpital. Les bénéficiaires de la CMU peuvent venir en dernier recours s’ils ont été « déboutés » du secteur libéral (cf. supra) alors que les bénéficiaires de l’AME viennent nécessairement en premier recours car ils n’ont pas d’autres choix. Compte tenu des différences de prise en charge, la réponse thérapeutique offerte sera différente pour des raisons contingentes. Des dispositions votées récemment par l’Assemblée Nationale risquent de limiter encore plus les possibilités de ces personnes qui se verraient obligées de faire l’avance du ticket modérateur. Conclusion La qualité et la relative exhaustivité de son remplissage prouvent que l’utilisation systématique de l’outil de repérage que nous avions élaboré est possible du fait de son acceptabilité et de sa simplicité. Les résultats obtenus montrent la fréquence de la vulnérabilité sociale et notamment de la précarité économique parmi les consultants du centre de soins dentaires de l’hôpital. Ils expliquent les difficultés rencontrées par les professionnels du secteur odontologique de l’hôpital qui doivent élaborer pour un grand nombre de consultants un plan de soins de qualité qui soit économiquement supportable et pédagogiquement promoteur. Pour les Centres de soins dentaires (services hospitalo-universitaires), compte tenu de la rigidité financière liée à la gestion des hôpitaux depuis 1984, il devient indispensable d’obtenir à court terme des budgets complémentaires dédiés à la prise en charge de la population en situation de vulnérabilité sociale. Ce qui ne dispense pas d’une réflexion plus générale sur les conditions d’accès aux soins de ces personnes pour lesquelles l’hôpital représente la seule offre de soins possible. REMERCIEMENTS Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un Programme hospitalier de recherche clinique national sur les : « Pertes de chances médicales de la clientèle en situation de précarité sociale ou de pauvreté consultant à l’hôpital public » - BRD 99/11-E. Les auteurs remercient Mademoiselle Callac et Messieurs Moisan et Riochet, ARC, qui ont permis le recueil des informations, ainsi que les professionnels du service de consultation d’odontologie du CHU de Nantes sans lesquels ce travail n’aurait pu avoir lieu, les autres membres du comité de pilotage : Dr Agard, Pr Ballereau, Pr Barrier, Pr Baron, Dr Berranger, Dr Billaud, Pr Galmiche, Dr Grinand, Pr Grolleau, Dr Libeau, Mme Pasquier, Dr Pinzaru, Dr Pouliquen, Mme Vachet, et, également, Madame le docteur Sylvie Azogui, MCU-PH en santé publique de l’UFR d’odontologie de Paris VII pour ses précieux conseils. VULNÉRABILITÉ SOCIALE DES CONSULTANTS D’ODONTOLOGIE D’UN HÔPITAL PUBLIC 369 BIBLIOGRAPHIE 1. Amossé T, Doussin A, Firdion JM, Marpsat M, Rochereau T. Vie et santé des jeunes sans domicile ou en situation précaire. Paris : CREDES, 2001. 2. Beynet A, Menahem G. Problèmes dentaires et précarité. Paris : CREDES, 2002. 3. Bocognano A, Couffinhal A, Dumesnil S, Grignon M. 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