71 LE MARCHAND DE BIENS EN DROIT FISCAL TUNISIEN

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71 LE MARCHAND DE BIENS EN DROIT FISCAL TUNISIEN
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
LE MARCHAND DE BIENS EN DROIT
FISCAL TUNISIEN
Mohamed KOSSENTINI∗
Assistant à la Faculté de Droit
de Sfax
Sommaire
I- L’incertitude de la qualification fiscale du marchand de biens
A- Imprécision de la notion d’achat revente
B- Difficultés d’appréciation du caractère habituel des
opérations d’achat revente
C- Difficultés d’appréciation du caractère spéculatif des
opérations d’achat revente
D- Imprécision de la nature des biens objet des opérations
d’achat revente
II- L’inadéquation du régime fiscal du marchand de biens
A- Le cumul des droits d’enregistrement et de la TVA
frappant respectivement les opérations d’achat et de
revente
1- Régime des droits d’enregistrement frappant les
acquisitions effectuées par le marchand de biens
2- Le régime de la TVA frappant les reventes effectuées
par le marchand de biens
B- L’ambiguïté du sort fiscal des revenus réalisés par le
marchand de biens
1- La qualification fiscale des revenus réalisés par le
marchand de biens
2- Le régime fiscal des revenus réalisés par le marchand
de biens
∗
E-mail : [email protected]
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Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
1- Savoir ce qu’est un « marchand de biens » peut sembler de
prime abord une tâche relativement aisée. Comme son nom l’indique,
le marchand de biens signifie étymologiquement l’activité de celui qui
achète un bien en vue de le revendre. La notion de marchand de biens
apparaît dès lors comme une notion tellement large et générale qu’elle
pourrait s’identifier à toute activité de commerce de distribution1.
2- Pourtant, au-delà de son sens étymologique large, le vocable
« marchand de biens » couvre une « réalité juridique » beaucoup plus
précise. « L’usage, écrivaient certains auteurs, veut que le terme
général de marchand de biens soit réservé à une activité portant sur
des immeubles ou des meubles incorporels (parts de sociétés, fonds de
commerce) »2. Induite à l’usage, cette signification ne trouve pas son
origine dans la législation positive qui ignore la notion de marchand
de biens. Contrairement à certains professionnels de l’immobilier et
notamment, les promoteurs3 et les lotisseurs4 qui constituent des
professions reconnues par le droit et dotées d’un cadre légal et
réglementaire assez particulier, la profession de marchand de biens est
exercée en dehors de tout cadre juridique qui lui est propre. Le
marchand de biens n’opère pourtant pas dans un vide juridique total. Il
reste soumis dans l’exercice de son activité aux règles juridiques de
droit commun. Effectuant des opérations d’achat revente qui sont
juridiquement analysées comme des « actes de commerce par
1
2
3
4
Conformément à la loi n° 91-44 du 1er juillet 1991, portant organisation du
commerce de distribution « ...est réputée activité de commerce de distribution…
toute activité à but lucratif, exercée habituellement ou à titre professionnel et
ayant pour objet l’achat sur le marché local ou extérieur de produits ou
marchandises en vue de leur revente en l’état sur le marché intérieur ».
Bernard VALEYRE et Jean-Louis MONNOT, Le marchand de biens, statut
juridique et pratiques professionnelles, Dalloz, Paris, 1997, p. 9.
Le promoteur immobilier dispose d’un statut légal figurant dans la loi n° 90-17
du 26 février 1990.
L’activité du lotisseur immobilier est régie par les articles 58 à 67 du Code de
l’Aménagement du territoire et de l’urbanisme.
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Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
nature »5, le marchand de biens est en principe soumis aux règles de
droit commercial applicables aux commerçants6. Procédant à des
opérations de ventes d’immeubles ou de fonds de commerce, le
marchand de biens est également soumis aux règles de droit civil
régissant la vente immobilière7 ainsi qu’aux règles de droit
commercial régissant la vente du fonds de commerce8.
3- Néanmoins, en dépit de l’absence d’un cadre juridique
spécifique aux marchands de biens, le droit fiscal a réservé un statut
fiscal particulier à cette catégorie d’activité. Il est vrai que le
législateur fiscal n’a pas employé le vocable « marchand de biens ».
Mais, la doctrine administrative enseigne, dans le cadre de sa mission
pédagogique, que « les personnes qui habituellement achètent des
immeubles ou des fonds de commerce en vue de les revendre »9, ne
sont rien d’autres que des « marchands de biens »10.
4- Le droit fiscal, discipline caractérisée par son réalisme,
constitue même la première discipline juridique à avoir reconnu aux
marchands de biens la qualité de « professionnels ». La formule de
« profession d’achat en vue de la revente d’immeubles ou de fonds de
5
6
7
8
9
10
Voir sur la question, Nabila MEZGHANI, Droit commercial. Actes de
commerce. Commerçants. Fonds de commerce, CPU, Tunis, 1999, p. 75.
Conformément à l’article 2 du Code de Commerce « …est commerçant,
quiconque, à titre professionnel procède :
- à l’achat et à la vente …des biens quels qu’ils soient ».
Voir les dispositions du Code des Obligations et des Contrats régissant le
contrat de vente et notamment l’article 581 relatif aux ventes immobilières.
Voir les articles 189 et suivants du Code de Commerce.
Article premier II- 7) du Code de la TVA.
Précis de la taxe sur la valeur ajoutée, Direction Générale des Impôts, 1989,
p.27. Dans la note commune n° 40/99 (Texte n° DGI 99/78), l’administration
fiscale a affirmé concernant son précis de TVA que « …ledit document n’a plus
cours en attendant sa mise à jour ». Voir sur la question Oualid
GADHOUM, La doctrine administrative fiscale en Tunisie, Thèse de doctorat
en droit, FDS, 2003, p. 109.
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commerce » est l’œuvre de la législation fiscale et plus précisément de
l’article 2 du Code des Droits d’Enregistrement et de Timbre11.
5- Tout en reconnaissant l’existence, sur le plan juridique, de la
profession de marchand de biens, la législation fiscale n’a pas pour but
de mettre en place un statut juridique organisant l’activité de
marchand de biens. Motivé par des considérations financières, séduit
par l’importance des gains réalisés par les marchands de biens qui
spéculent dans un domaine où la hausse des prix est quasiment
constante, le législateur a regardé le marchand de biens comme « un
gisement fiscal ». L’absence d’un cadre juridique particulier à
l’exercice de l’activité de marchand de biens a néanmoins conduit le
législateur fiscal à cerner la notion de marchand de biens en qualifiant
comme telle la personne qui habituellement achète des immeubles ou
des fonds de commerce en vue de les revendre. Dans cette définition,
le pragmatisme préside seul pour qualifier une personne de marchand
de biens. Bien qu’elle soit incertaine, la qualification d’une personne
de « marchand de biens » (première partie) constitue un préalable à la
mise en œuvre du régime fiscal de cette activité, lequel régime paraît,
sur de nombreux points, discutable (deuxième partie).
I- L’INCERTITUDE DE LA QUALIFICATION FISCALE DU
MARCHAND DE BIENS
6- Conformément à l’article premier II n° 7 du Code de la Taxe
sur la Valeur Ajoutée12, la qualification de marchand de biens est
attribuée à toute personne physique ou morale qui habituellement
achète des immeubles ou des fonds de commerce en vue de les
revendre. Ainsi, pour qu’une personne ait la qualité de marchand de
biens, il est nécessaire que les opérations réalisées soient :
11
12
des opérations d’achat et de revente ;
exercées de manière habituelle ;
comportant l’intention spéculative de revendre ;
Code des Droits d’Enregistrement et de Timbre : CDET.
Code de la Taxe sur la Valeur Ajoutée : CTVA.
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-
portant sur des immeubles ou des fonds de commerce.
7- La vérification de ces quatre conditions cumulatives
apportera plus d’obscurité que de clarté à la qualification de marchand
de biens en raison de l’imprécision de la notion d’achat revente (A),
des difficultés pratiques d’appréciation des caractères habituel (B) et
spéculatif (C) des opérations d’achat revente et de l’imprécision de la
nature des biens objet des opérations susvisées (D).
A- Imprécision de la notion d’achat revente
8- Faisant profession d’acheter en vue de revendre, le
marchand de biens doit se porter propriétaire des biens dont il assure
la négociation. Puisqu’il achète « en son nom »13, le marchand de
biens se distingue de « l’intermédiaire » qui n’acquiert pas les biens
sur lesquels il exerce son activité, mais qui agit « en qualité de
mandataire d’un propriétaire vendeur ou d’un propriétaire
acquéreur »14.
9- Apparemment simple, la notion d’achat revente qui
caractérise l’activité de marchand de biens est susceptible de recevoir
plus qu’une interprétation, ce qui rend la qualification de marchand de
biens quelque peu incertaine.
10- La première difficulté consiste à dégager la signification
des termes achat et vente. Faut-il interpréter ces deux termes dans leur
sens strictement juridique en entendant par achat ou vente « le contrat
par lequel l’une des parties transmet la propriété d’une chose ou d’un
droit à l’autre contractant, contre un prix que ce dernier s’oblige à lui
13
14
Habib AYADI, Droit fiscal. Taxe sur la valeur ajoutée, droits de consommation
et contentieux fiscal, CERP, Tunis, 1996, n° 56, p. 35.
LAMY Droit immobilier, éd. LAMY S.A., Paris, 1998, n° 4002, p. 1637. Sur la
distinction entre marchand de biens et intermédiaire, voir également Stéphane
GAILLARD et Herbert M. TUBIANA, Les marchands de biens. Aspects
juridique, financier, comptable, fiscal et audit, 3ème éd. Litec, Paris, 1997, n° 6,
p.9.
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Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
payer »15 ? Ou bien faut-il, au contraire, accorder aux vocables achat
et vente un sens beaucoup plus large qui englobe toutes les
transmissions à titre onéreux ?
A notre connaissance, ni la doctrine administrative, ni la
jurisprudence n’ont apporté, en Tunisie, une réponse à ces
interrogations. En droit fiscal français, la jurisprudence du Conseil
d’Etat a, de manière constante, interprété très largement les termes
achat et vente qui intègrent pratiquement toutes les transmissions à
titre onéreux. Sont ainsi analysées comme des opérations d’achat,
toutes les acquisitions onéreuses effectuées par un marchand de biens
telle que l’acquisition par voie d’échange16 ou d’apport en société17.
Sont également analysées comme des opérations de revente, toutes les
cessions onéreuses effectuées par le marchand de biens telle que la
cession par voie d’échange18, d’apport en société19 ou même
d’expropriation20.
Interprétée largement comme étant toute acquisition ou cession
onéreuse, la notion d’achat revente conduit à exclure de la
qualification fiscale de marchand de biens toutes les acquisitions et
cessions gratuites. Ainsi, ne saurait être regardée comme un marchand
de biens, la personne qui procède à une cession gratuite d’un bien
acquis à titre onéreux ou à une cession onéreuse d’un bien acquis
gratuitement21.
15
16
17
18
19
20
21
Article 564 du COC.
Voir CE français, 8ème sous-section, 13 janvier 1965, req. n° 58064, DF, 1970,
n° 3bis, p. 18.
Voir CE français, 7ème sous-section, 14 juin 1965, req. n° 61023, DF, 1965, n°
32-37, Comm.957.
Voir CE français, 21 octobre 1970, Rec. CE, p. 603, cité par Paul FREMONT,
Marchands de biens. Définition, Jurisclasseur fiscalité immobilière, fascicule
730-10, Mai 1998, n° 94, p. 16.
Voir CE français, 4 octobre 1972, DF, 1972, n° 45-46, Comm. 1602.
Voir CE français, 16 mars 1934, rep. n° 34907, Rev. Enr. 10216, cité par Paul
FREMONT, Marchands de biens. Définition, op.cit., n° 191, p. 30.
Voir, Droit immobilier, éd. LAMY S.A., paris, 1998, n° 4025, p. 1642.
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Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
11- La deuxième difficulté consiste à savoir si le marchand de
biens qui a procédé dans le cadre de son activité à l’acquisition d’un
immeuble doit revendre cet immeuble en l’état ou s’il peut, avant de
revendre, apporter à l’immeuble certaines transformations
(lotissement, construction, rénovation etc…). Si l’on autorise au
marchand de biens d’effectuer des opérations de construction ou de
rénovation sur l’immeuble avant sa revente, le marchand de biens ne
se transforme-t-il pas en un « promoteur immobilier » ? Si l’on
autorise au marchand de biens d’effectuer des opérations de
lotissement sur l’immeuble avant sa revente, le marchand de biens ne
se transforme-t-il pas en un « lotisseur immobilier » ? Peut-on tracer
de manière étanche, les lignes de démarcation entre les professions de
« marchand de biens » de « promoteur immobilier » et de « lotisseur
immobilier »22 ?
A ces différentes interrogations, les réponses présentées par
l’administration fiscale tunisienne ne sont ni constantes ni précises. En
effet, dans un premier temps, l’administration fiscale n’avait pas exigé
que la revente effectuée par le marchand de biens doive être en l’état.
A l’occasion d’un commentaire des dispositions de l’article premier II
n° 5 du CTVA qui soumet à la TVA « la vente des lots effectuée par
les lotisseurs immobiliers », la direction générale des impôts avait
précisé dans son ancien « précis de TVA » que « cette catégorie de
personnes (lotisseurs immobiliers) fasse partie des marchands de
biens ». Ainsi, la qualification fiscale de marchand de biens n’est pas
attribuée uniquement aux personnes qui revendent en l’état, mais aussi
aux personnes qui avant de revendre, procèdent, afin de valoriser aux
mieux le bien acquis, à des opérations de lotissement ou encore plus
22
En réalité, la distinction entre ces diverses professions n’est pas sans intérêt. En
effet, contrairement à la profession de marchand de biens qui n’est soumise à
aucun agrément préalable, l’exercice de la profession de promoteur immobilier
est subordonnée à l’obtention d’un agrément préalable délivré par le ministre
chargé de l’habitat. Voir sur la question les articles 6 à 8 de la loi n° 90-17 du
26 février 1990 portant refonte de la législation relative à la promotion
immobilière.
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Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
généralement à des opérations d’amélioration. Mais, est-ce que la
personne qui procède avant la revente à l’édification de constructions
sur le terrain acquis, peut être qualifiée de marchand de biens ? Ne
s’agit-il pas dans ce cas d’un promoteur immobilier au sens de
l’article premier de la loi n° 90-17 du 26 février 1990 portant refonte
de la législation relative à la promotion immobilière23 ?
12- En réalité, même si l’administration fiscale a qualifié de
marchand de biens la personne qui, avant la revente, procède au
lotissement de l’immeuble acquis, elle a refusé de qualifier comme
marchand de biens la personne qui, avant la revente, procède à des
opérations de construction sur l’immeuble acquis. Dans son « précis
de TVA », l’administration fiscale a affirmé que la qualification de
marchand de biens attribuée aux personnes qui achètent en vue de
revendre, « ne s’applique pas à ceux qui construisent pour
revendre »24.
13- En conséquence, tout en refusant de qualifier comme
marchand de biens la personne qui avant la revente procède à des
opérations de construction sur l’immeuble acquis, l’administration
fiscale ne réduit pas la qualité de marchand de biens à un simple
revendeur en l’état. Même si le marchand de biens a pour vocation
première d’accomplir un acte simple de commerce, celui de l’achat
revente, « les exigences de la demande et la sélection de l’offre ont
conduit le marchand de biens à proposer un produit plus élaboré, à
23
24
Conformément à l’article premier de la loi n° 90-17 du 26 février 1990 portant
refonte de la législation relative à la promotion immobilière « est promoteur
immobilier, toute personne physique ou morale qui, en vue de la vente ou de la
location, réalise à titre habituel ou professionnel et conformément à la
réglementation en vigueur des opérations :
-…de construction ou de rénovation d’immeubles individuels semi collectifs ou
collectifs à usage d’habitation, commercial, professionnel ou administratif ».
Précis de la taxe sur la valeur ajoutée, Direction Générale des Impôts, 1989,
p.27.
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Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
se diriger vers des actions plus complexes de rénovation,
réhabilitation avant la revente »25.
14- Cependant, contrairement à sa position découlant du
« précis de TVA » qui ne limite pas l’activité de marchand de biens à
de simples opérations de revente en l’état des biens achetés,
l’administration fiscale semble avoir récemment changé de position.
Dans certaines prises de position datant des années 200026 et 200127 et
venant à interpréter de nouveau les dispositions de l’article premier II
n° 7 du CTVA qui servent de base à la qualification fiscale de
marchand de biens, l’administration fiscale a affirmé que le législateur
a entendu soumettre à la TVA « les personnes qui habituellement
achètent des immeubles en vue de les revendre en l’état ». Par cette
interprétation, l’administration fiscale semble avoir limité la
qualification fiscale de marchand de biens aux seules personnes qui
revendent en l’état. Même si cette interprétation est juridiquement
discutable dans la mesure où le législateur n’a pas employé
l’expression « revente en l’état », mais plus simplement l’expression
« revente », l’administration a, par ses prises de positions récentes,
entretenu des incertitudes quant à la qualification fiscale de marchand
de biens qui s’ajoutent aux incertitudes de l’appréciation du caractère
habituel des opérations d’achat revente.
B- Difficultés d’appréciation du caractère habituel des
opérations d’achat revente
15- Conformément à l’article premier II n° 7 du CTVA, la
qualification fiscale de marchand de biens est attribuée aux personnes
qui « habituellement » achètent en vue de revendre. En réalité, la
notion d’habitude qui caractérise l’activité de marchand de biens et
25
26
27
Stéphane GAILLARD et Hubert M. TUBIANA, Les marchands de biens.
Aspects juridique, financier, comptable, fiscal et audit, op.cit., p. 3 et 4.
Voir prise de position n° 2031 du 12 septembre 2000 ; prise de position n° 2257
du 6 octobre 2000.
Voir prise de position n° 305 du 1er mars 2001.
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Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
qui n’a été définie par aucun texte législatif, « n’est pas aisée à
délimiter »28.
16- La première difficulté que soulève la notion d’habitude
consiste à savoir si l’habitude de l’activité de marchand de biens doit
être appréciée concernant les opérations d’achat ou de vente. Peut-on
qualifier comme marchand de biens, la personne qui procède à un
grand nombre d’opérations de revente alors même que ces reventes
proviennent d’un achat unique ? Peut-on qualifier comme marchand
de biens, la personne qui procède à un grand nombre d’opérations
d’achat alors même que ladite personne n’ait effectué qu’une seule
opération de revente ?
Si l’on s’attache littéralement au texte de l’article premier (II
n° 7) du CTVA, qui considère comme marchand de biens la personne
qui habituellement achète en vue de revendre, on constate que le
caractère habituel doit être apprécié concernant les opérations d’achat
et non concernant les opérations de vente. Le législateur n’a pas
qualifié de marchand de biens la personne qui habituellement achète et
revend, mais plutôt la personne qui habituellement achète en vue de
revendre.
Telle n’est cependant pas la position de l’administration fiscale
qui a affirmé dans son ancien « précis de TVA » que le caractère
habituel de l’activité de marchand de biens doit être décelé non
seulement concernant les opérations d’achat, mais aussi concernant les
opérations de revente29.
En droit fiscal français, bien qu’une partie de la doctrine ait
soutenu que « le caractère habituel doit être démontré au moment
des achats et non au moment des ventes quel que soit le nombre de ces
ventes »30, l’administration fiscale française31 ainsi que la
28
29
30
Maurice COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, 27ème éd., LITEC, Paris,
2003-2004, n° 44, p. 27.
Précis de la taxe sur la valeur ajoutée, Direction Générale des Impôts, 1989,
p.27.
Bernard VALEYRE et Jean-Louis MONNOT, Le marchand de biens, statut
juridique et pratiques professionnelles, op. cit., p. 198.
80
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
jurisprudence du Conseil d’Etat français32 ont apprécié le caractère
habituel de l’activité de marchand de biens non seulement à partir de
la pluralité des opérations d’achat, mais aussi à partir de la pluralité
des opérations de revente.
17- La deuxième difficulté que soulève la notion d’habitude
consiste à rechercher un critère précis pour distinguer entre ce qui doit
être considéré comme « habituel » et ce qui doit être considéré comme
« occasionnel ». Il est vrai que l’habitude suppose la répétition
d’actes. Mais, existe-t-il un nombre déterminé à partir duquel la
répétition d’actes est constitutive d’une activité habituelle ? Un
contribuable qui gère son patrimoine en bon père de famille en
procédant à deux ou trois opérations d’achat revente d’immeubles
peut-il être qualifié de marchand de biens ?
En réalité, le point de savoir quel est le nombre des achats
reventes qui aboutit à conférer à celui qui les réalise la qualité de
marchand de biens est une « question de fait » qui ne peut pas être
tranchée avec une rigueur mathématique. Il est vrai que l’appréciation
du caractère habituel des opérations d’achat revente ne pose pas de
problèmes particuliers pour les entreprises qui exercent l’activité
d’achat revente d’immeubles ou de fonds de commerce à titre
professionnel. Il en est ainsi d’une société immobilière qui a pour
objet statutaire d’acheter en vue de revendre des immeubles. Il en va
de même pour toute personne physique qui, de par son
immatriculation au registre de commerce ou sa déclaration fiscale
d’existence, exerce à titre professionnel l’activité d’achat revente
d’immeubles ou de fonds de commerce. Dans ces hypothèses, la
profession suppose l’habitude des actes d’achat revente. D’ailleurs,
l’administration fiscale soutient à juste titre qu’« … en ce qui
concerne les entreprises qui ont pour objet l’achat et la revente
31
32
Le Ministre des finances français déclarait que « Le caractère habituel découle
de la pluralité des ventes », cité par Bernard VALEYRE et Jean-Louis
MONNOT, Le marchand de biens, statut juridique et pratiques
professionnelles, op. cit., p. 199.
Voir CE français, 12 juin 1992, RJF, n° 8-9, 1992, p. 687.
81
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
d’immeubles ou de fonds de commerce, tout acte réalisé dans le cadre
de leurs statuts revêt un caractère professionnel et est considéré,
comme étant accompli à titre habituel »33.
18- Le caractère habituel des opérations d’achat revente est
néanmoins difficile à repérer lorsque la personne qui se livre à ces
opérations n’exerce pas l’activité d’achat revente à titre professionnel.
Dans ce cas, l’appréciation du caractère habituel dépendra des
circonstances de fait et notamment du nombre des opérations d’achat
revente ainsi que de leur fréquence dans le temps. Ce pouvoir
d’appréciation appartient au juge fiscal qui doit chercher si la
répétition d’actes d’achat revente d’immeubles ou de fonds de
commerce est constitutive d’une activité de marchand de biens ou
rentre simplement dans le cadre de la gestion d’un patrimoine privé.
Cette appréciation, on le verra, est lourde de conséquence de point de
vue fiscal dans la mesure où les opérations d’achats reventes
constitutives d’une activité de marchand de biens sont plus
lourdement imposées que celles rentrant dans le cadre de la gestion
d’un patrimoine privé.
19- En droit fiscal français, l’appréciation du caractère habituel
des opérations d’achat revente a fait l’objet d’une « jurisprudence
abondante, parfois déroutante » selon l’expression de M. COZIAN34.
Il est vrai que le Conseil d’Etat n’a pas hésité à qualifier comme
marchand de biens la personne qui procède à des acquisitions et
cessions multiples35. Mais, la jurisprudence du Conseil d’Etat était
parfois flottante notamment dans les deux hypothèses suivantes. La
première hypothèse concerne les cas où il y a acquisition unique
33
34
35
Précis de la taxe sur la valeur ajoutée, Direction Générale des Impôts, 1989,
p.28.
Maurice COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, op. cit., n° 44, p. 27.
Voir à titre d’exemples, CE français, 18 juin 1955, req. n° 20497, DF, 1955, n°
17, comm. 687 ; 15 novembre 1963, req. n° 40935, DF, 1963, n° 51, comm.
1142. ; 25 février 1966, req. n° 66959, DF, 1966, n° 13, comm. 343 ; 25 juillet
1975, req. n° 89522, DF, 1975, n° 45, comm. 1442 ; 17 avril 1991, req. n°
69613, DF, 1991, n° 32-38, comm. 1624.
82
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
suivie de plusieurs reventes. Dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat a
tantôt reconnu tantôt méconnu la qualité de marchand de biens. Ainsi,
le Conseil d’Etat a qualifié de marchand de biens, la personne qui a
acquis un immeuble comportant 36 appartements par un seul acte
d’acquisition et a revendu l’année suivante, par plusieurs actes de
cession 25 de ces appartements36. En revanche, le Conseil d’Etat avait
dans une espèce semblable refusé de qualifier comme marchand de
biens la personne qui a procédé à des opérations de reventes
d’appartements issus d’un seul acte d’acquisition37. La deuxième
hypothèse dans laquelle la jurisprudence du Conseil d’Etat était
indécise concerne les cas où il y a acquisition unique suivie d’une
cession unique. Il est vrai que dans la majorité des espèces où il y a
acquisition et vente uniques, le Conseil d’Etat n’a pas retenu la qualité
de marchand de biens. Il n’en reste pas moins vrai que le caractère
habituel de l’opération achat revente a été reconnu par le Conseil
d’Etat pour une personne, en l’espèce, un exploitant forestier qui a
procédé à un achat unique d’un ensemble immobilier le 31 janvier
1975 suivie d’une vente unique de cet ensemble le 21 mai de la même
année. La courte durée qui sépare l’achat de la vente a conduit le
Conseil d’Etat à retenir la qualité de marchand de biens à cet
exploitant forestier alors même que ce dernier n’a procédé qu’à un
achat unique suivi d’une vente unique38.
C- Difficultés d’appréciation du caractère spéculatif des
opérations d’achat revente
20- Qualifié comme étant toute personne qui achète en vue de
revendre, le marchand de biens doit avoir une intention spéculative.
Le droit fiscal fait ainsi appel au mobile ou encore à la psychologie du
36
37
38
CE français, 21 mai 1969, req. n° 70321, cité par Paul FREMONT, Marchands
de biens. Définition, Jurisclasseur fiscalité immobilière, fascicule 730-10, Mai
1998, n° 73, p. 13.
CE français, 18 juin 1941, req. n° 65805, cité par Paul FREMONT, Marchands
de biens. Définition, Jurisclasseur fiscalité immobilière, fascicule 730-10, Mai
1998, n° 75, p. 13.
CE français, 3 octobre 1990, req. n° 68830, JCP, 1992, éd. N, II, p. 288.
83
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
contribuable pour définir la notion de marchand de biens. Fouiller
dans la psychologie du contribuable pour savoir s’il a ou non une
intention spéculative, s’il est ou non marchand de biens, constitue une
question de fait et non de droit qui est fonction des circonstances
entourant l’opération d’achat revente. D’ailleurs l’administration
fiscale a affirmé que « … l’intention de revendre ne peut être établie
qu’au moyen de présomptions tirées des circonstances de chaque
affaire »39. L’appréciation de l’intention spéculative soulève tant pour
l’administration fiscale que pour le juge quelques difficultés.
21- La première difficulté tient au moment de l’appréciation de
l’intention spéculative de revendre. L’intention de revendre doit être
appréciée non pas au moment de la revente, mais plutôt lors de
l’achat. « Pour apprécier l’intention de revendre, affirme
l’administration fiscale, il y a lieu de se placer au moment de
l’achat »40. Difficile, parce qu’elle nécessite de scruter la psychologie
du contribuable, la preuve de l’intention spéculative est rendue
beaucoup plus difficile parce qu’il faudrait fouiller dans une
psychologie passée, c'est-à-dire, lors de l’achat. Les circonstances
entourant l’opération de revente restent sans influence sur
l’appréciation de l’intention spéculative qui doit être décelée au
moment de l’achat. Même si la revente effectuée par le contribuable
est réalisée à perte ou est motivée par une expropriation, par des
difficultés financières ou par des ennuies de santé, il peut être qualifié
de marchand de biens dès lors qu’au moment de l’achat, il a acquis le
bien dans l’intention de le revendre abstraction faite des circonstances
de la revente.
22- La deuxième difficulté tient à l’absence d’un critère précis
pour distinguer entre « spéculateur » et « non spéculateur ». Il est vrai
que le caractère habituel des opérations d’achat revente présume
l’existence de l’intention spéculative. Mais l’habitude des opérations
39
40
Précis de la taxe sur la valeur ajoutée, Direction Générale des Impôts, 1989, p.28.
Précis de la taxe sur la valeur ajoutée, Direction Générale des Impôts, 1989, p.28.
84
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
d’achat revente peut être dans certains cas insuffisante pour
caractériser l’existence d’une intention spéculative.
Ainsi, tout en écartant l’existence d’une intention spéculative,
le Conseil d’Etat français a refusé de qualifier comme marchand de
biens :
- Le contribuable qui avait acquis sur une période de 20 ans divers
immeubles dont il a gardé un certain nombre et revendu les autres
après les avoir conservées pendant 10 ans environ. La longueur du
délai qui sépare les opérations d’achat des opérations de revente
présume ainsi l’absence d’une intention spéculative41.
- Le contribuable qui avait exploité le fonds de commerce acquis
avant de le revendre. L’exploitation du fonds de commerce prouve
qu’au moment de son acquisition, le contribuable n’avait pas
l’intention de le revendre42.
L’absence d’un critère précis pour débusquer l’existence de
l’intention spéculative de revendre a amené le Conseil d’Etat français
à recourir à « la méthode du faisceau d’indices »43. Les indices les
plus fréquemment retenus par le juge de l’impôt français sont les
suivants : la fréquence des opérations d’achat revente44, la brièveté des
délais séparant les acquisitions des cessions45, la situation
41
42
43
44
45
CE français, 28 juin 1978, req. n° 1945 et 1956, DF, 1978, n° 44, comm. 1678.
CE français, 4 novembre 1935, cité par Paul FREMONT, Marchands de biens.
Définition, Jurisclasseur fiscalité immobilière, fascicule 730-10, Mai 1998, n°
148, p. 23.
Lucienne Victoire FERNANDEZ, Les éléments subjectifs en droit fiscal, Thèse
de doctorat d’Etat en droit, Université de Bordeaux I, Faculté de Droit des
Sciences Sociales et Politiques, 1985, p. 261.
Voir CE français, 22 juillet 1977, req. n° 2610, DF, 1978, n° 9, comm.329 ; 23
juillet 1976, req. n° 98957, DF, 1977, n° 6, comm.196 ; 22 janvier 1982, req. n°
17856, DF, 1982, n° 26, comm.1354.
Voir CE français, 16 juin 1971, req. n° 78247, DF, 1971, n° 38, comm.1215 ; 29
janvier 1982, req. n° 17180, DF, 1982, n° 15, comm.811.
85
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
géographique des immeubles ou fonds de commerce acquis46,
l’importance du profit issu des opérations d’achat revente47…
23- La troisième difficulté d’appréciation de l’existence de
l’intention spéculative découle du fait que pour une même personne,
certaines de ses opérations d’achat revente sont spéculatives alors que
d’autres ne le sont pas. Il arrive en effet qu’un contribuable qui exerce
la profession de marchand de biens procède entre autres opérations, à
l’achat d’un immeuble qu’il occupe en tant qu’habitation principale ou
secondaire. S’il procède à la vente de son habitation principale ou
secondaire, est-ce que l’opération d’achat revente de ladite habitation
rentre dans le cadre de son activité de marchand de biens ?
L’occupation personnelle de l’immeuble après son acquisition ne
présume-t-elle pas l’absence d’une intention spéculative de revente ?
24- « Vous reconnaissez au marchand de biens, déclarait un
Commissaire de Gouvernement, la possibilité d’apporter la preuve
que certaines des opérations réalisées par lui n’avaient pas un
caractère spéculatif, notamment parce qu’elles entraient dans le
cadre de la gestion de son patrimoine personnel »48. Il est en effet
nécessaire de distinguer, pour un contribuable qui exerce la profession
de marchand de biens, entre son patrimoine professionnel composé
par les immeubles et fonds de commerce achetés en vue de la revente,
et son patrimoine privé composé par les biens acquis pour être utilisés
à des fins personnelles. Cette distinction entre patrimoine
professionnel et patrimoine privé de l’entrepreneur marchand de biens
conduit à exclure les biens relevant de son patrimoine privé du régime
réservé aux biens relevant de son patrimoine professionnel.
D- Imprécision de la nature des biens objet des opérations
d’achat revente
46
47
48
Voir CE français, 16 juin 1971, req. n° 78247, DF, 1971, n° 38, comm.1215 ; 22
janvier 1982, req. n° 17856, DF, 1982, n° 26, comm.1354.
Voir CE français, 8 octobre 1969, req. n° 72254, DF, 1969, n° 49, comm.1448.
Conclusions Martin LAPRADE sous CE français, 10 juin 1977, req. n° 96384,
DF, 1977, n° 50, comm. 1755.
86
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
25- Le marchand de biens n’est pas un marchand de tous les
biens. Contrairement à ce que laisse penser sa dénomination, le
marchand de biens est un intervenant dans la négociation de certains
biens composés, aux termes de l’article premier II n° 7 du CTVA par
les immeubles et les fonds de commerce. L’énumération faite par le
CTVA des biens objet de l’activité du marchand de biens semble
toutefois imprécise et ce pour trois raisons.
26- D’abord, s’agissant des immeubles, rentrent en principe
dans le domaine de l’activité des marchands de biens les achats
reventes de tous les immeubles, quelle que soit leur nature, bâtis ou
non bâtis et quelle que soit leur destination, habitation, commerce,
industrie, agriculture etc… La question demeure de savoir s’il
convient d’appliquer le régime des marchands de biens à une personne
qui, au lieu de céder l’immeuble en toute propriété, procède à un
démembrement de son droit de propriété sur l’immeuble en cédant
l’usufruit, la nue-propriété ou les servitudes. Autrement dit, est ce que
l’achat revente des droits réels immobiliers rentre dans le champ
d’application du régime des marchands de biens ?
Sur cette question, l’administration fiscale a eu l’occasion de
préciser que les opérations portant sur les immeubles « englobent les
opérations d’usufruit, de nue-propriété et les servitudes »49.
27- Ensuite, relèvent également de l’activité de marchand de
biens les opérations d’achat revente de fonds de commerce. Mais
peut-on qualifier comme marchand de biens, la personne qui procède
à l’achat en vue de la revente d’exploitations agricoles ou encore
d’exploitations libérales qui ne constituent pas des fonds de commerce
au sens de l’article 189 du Code de Commerce ? Peut-on qualifier
comme marchand de biens la personne qui procède à l’achat en vue de
la revente de quelques éléments du fonds de commerce, tels que le
droit au bail ou la clientèle ?
A ces différentes interrogations, et à notre connaissance,
aucune réponse n’a été donnée en droit tunisien ni par l’administration
49
Précis de la taxe sur la valeur ajoutée, Direction Générale des Impôts, 1989, p.28.
87
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
fiscale ni par la jurisprudence. Notons au demeurant qu’en droit fiscal
français, le Conseil d’Etat a interprété largement la notion de fonds de
commerce objet du négoce des marchands de biens qui couvre :
- les fonds de commerce au sens du code de commerce
français50 ;
- Les éléments de fonds de commerce tels que le droit au
bail51 ;
- les cabinets d’affaires52.
28- Enfin, même si l’article premier II n° 7 du CTVA limite
l’activité des marchands de biens au négoce des immeubles et fonds
de commerce, cette activité couvre également les achats ou
souscriptions en vue de la revente de parts des sociétés civiles
immobilières. C’est d’ailleurs ce qu’a affirmé le professeur AYADI
qui entend par marchand de biens « toute personne qui
habituellement achète en son nom en vue de les revendre, des
immeubles, des fonds de commerce, des actions ou parts de sociétés
immobilières ou qui habituellement souscrit en vue de les revendre,
des actions ou parts créées ou émises par les mêmes sociétés »53.
D’ailleurs, antérieurement à la promulgation du CTVA, les marchands
de biens, qui étaient à l’époque soumis à la TPS54, étaient entendus en
vertu de l’article 23 du décret du 29 décembre 1955 tel que modifié
par l’article 34 de la loi de finances pour la gestion 1977 comme étant
les personnes qui habituellement achètent en vue de la revente des
immeubles, des fonds de commerce ou des actions ou parts de sociétés
50
51
52
53
54
Voir CE français, 3 mai 1972, cité par Paul FREMONT, Marchands de biens.
Définition, Jurisclasseur fiscalité immobilière, fascicule 730-10, Mai 1998, n°
203, p. 31.
Voir CE français, 25 février 1966, req. n° 66959, cité par Bernard VALEYRE et
Jean-Louis MONNOT, Le marchand de biens, statut juridique et pratiques
professionnelles, op. cit., p. 214.
Voir CE français, 6 décembre 1952, req. n° 92945, JCP, 1953, éd. CI, 50366.
Habib AYADI, Droit fiscal. Taxe sur la valeur ajoutée, droits de consommation
et contentieux fiscal, op. cit., n° 56, p. 35.
Taxe sur les prestations de services.
88
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
immobilières ou qui habituellement souscrivent ou achètent en vue de
la revente des actions ou parts créées ou émises par les mêmes
sociétés.
29- Même si la négociation des parts émises par les sociétés
immobilières ne figure pas parmi les biens relevant de l’activité des
marchands de biens telle que présentée par l’article premier II n° 7 du
CTVA, il ne faudrait pas conclure que ces biens ne relèvent plus de
l’activité de marchands de biens. L’apport du CTVA n’est pas de
réduire l’activité de marchand de biens aux immeubles et fonds de
commerce uniquement, mais d’exclure du champ d’application de la
TVA, les opérations de négociation des titres sus indiquées par les
marchands de biens. D’ailleurs, l’administration fiscale a eu
l’occasion de préciser qu’ « il s’agit de ce qu’on appelait sous le
régime de la TPS des marchands de biens, sauf que les mêmes
opérations portant sur des parts sociales de sociétés civiles
immobilières auparavant soumises, ne le sont plus »55. L’exclusion de
la négociation des titres de sociétés immobilières du champ
d’application de la TVA offre aux marchands de biens une
échappatoire fiscale en procédant, au lieu de revendre les immeubles
acquis, à la constitution d’une société civile immobilière en revendant
ultérieurement les parts de cette société en franchise de TVA. Cette
échappatoire fiscale ne doit toutefois pas voiler la lourdeur du régime
fiscal réservé aux marchands de biens.
II- L’INADEQUATION DU REGIME FISCAL DU
MARCHAND DE BIENS
30- Le législateur fiscal a repéré chez le marchand de biens les
trois dimensions de la faculté contributive : capital, dépense et revenu.
D’abord, achetant des immeubles ou des fonds de commerce, le
marchand de biens dispose d’un « capital » soumis à l’occasion de son
55
Précis de la taxe sur la valeur ajoutée, Direction Générale des Impôts, 1989,
p.27.
89
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
entrée dans son patrimoine aux droits d’enregistrement. Ensuite,
procédant à l’achat en vue de la revente d’immeubles ou de fonds de
commerce, le marchand de biens agit comme un opérateur
économique qui réalise « un chiffre d’affaires » soumis à l’impôt sur
la dépense actuellement en vigueur, à savoir la TVA. Enfin, réalisant
un profit provenant des opérations de reventes, le marchand de biens
dispose d’« un revenu » soumis à l’impôt sur le revenu.
31- La trilogie de l’imposition du marchand de biens due à la
trilogie de ses facultés contributives a débouché sur un régime fiscal
« absurde ». Le cumul des droits d’enregistrement et de la TVA sur les
opérations d’achat revente (A) ainsi que l’ambiguïté du sort fiscal des
revenus réalisés par le marchand de biens (B) témoignent de cette
absurdité.
A- Le cumul des droits d’enregistrement et de la TVA
frappant respectivement les opérations d’achat et de
revente
32- Redevable des droits d’enregistrement lors de l’acquisition
des immeubles et fonds de commerce, le marchand de biens est aussi
redevable de la TVA lors de la revente desdits biens. L’imposition des
opérations d’achat revente effectuées par les marchands de biens
paraît ainsi assez lourde surtout lorsqu’on procède à une comparaison
entre la situation fiscale du marchand de biens avec celle d’un simple
particulier qui tout en étant redevable des droits d’enregistrement lors
d’une acquisition isolée d’un immeuble, se trouve affranchi de la
TVA, s’il procède par la suite à sa revente.
33- La lourdeur de l’imposition des opérations d’achat revente
effectuées par le marchand de biens, dû au cumul des droits
d’enregistrement et de la TVA, semble avoir une double explication :
juridique et socio-économique.
34- D’une part, et d’un point de vue juridique, l’activité de
marchand de biens a une double nature juridique. En se portant
propriétaire d’immeubles, le marchand de biens fait « un acte de
90
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
propriété » régi fondamentalement par les règles de droit civil. En se
portant spéculateur d’immeubles ou fonds de commerce, le marchand
de biens fait « un acte de commerce » régi fondamentalement par les
règles de droit commercial. Ce double aspect juridique de l’activité de
marchand de biens se répercute sur son statut fiscal. Celui-ci tient
compte tantôt de la nature civile de l’activité de marchand de biens,
qui faisant « un acte de propriété » se trouve soumis aux droits
d’enregistrement, impôt conçu pour frapper les actes de propriété,
tantôt de la nature commerciale de l’activité de marchand de biens qui,
faisant « un acte de commerce de spéculation » se trouve soumis à la
TVA, un impôt conçu pour frapper les transactions commerciales.
35- D’autre part, et d’un point de vue socio-économique, il est
souvent reproché à l’activité de marchand de biens de contribuer à la
flambée spéculative sur l’immobilier, à l’augmentation du coût des
logements et à l’éviction des classes moyennes. Ces conséquences
économiques et sociales fâcheuses de l’acte spéculatif du marchand de
biens explique la méfiance du législateur à leur égard et justifie
quelque part, la lourdeur du régime fiscal qui leur a été réservé.
36- Cette double explication juridique et socio-économique de
la lourdeur de l’imposition des opérations d’achat revente effectuées
par les marchands de biens nous paraît toutefois peu convaincante. En
effet, et d’un point de vue juridique, l’acte d’acquisition opéré par le
marchand de biens ne peut juridiquement être analysé comme « acte
de propriété ». Le marchand de biens n’achète pas l’immeuble ou le
fonds de commerce pour le conserver, mais pour le revendre. Il en
découle que l’immeuble ou le fonds de commerce acquis constitue
pour le marchand de biens « une marchandise ». Or, peut-on admettre
qu’une mutation de marchandise soit soumise aux droits
d’enregistrement ? N’est-il pas dit que « le système des droits
d’enregistrement établit un impôt qui frappe un transfert entre
patrimoines, de propriété ou de jouissance, d’éléments stables »56 et
non de marchandises ? Ne faut-il pas soumettre les mutations de
56
Jean SCHMIDT, Fiscalité immobilière, 3ème éd., LITEC, Paris, p. 48.
91
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
marchandises, quand bien même qu’il s’agisse d’immeubles ou de
fonds de commerce, uniquement à la TVA conçue pour frapper ce
type de mutations ?
37- En droit fiscal français, étant donné que l’immeuble ou le
fonds de commerce acquis constitue pour le marchand de biens « une
marchandise », le législateur a, tout en soumettant les reventes
effectuées par les marchands de biens à la TVA57, dispensé les
opérations d’acquisitions d’immeubles ou de fonds de commerce
effectuées par les personnes susvisées des droits d’enregistrement58.
La perception des droits d’enregistrement est en quelque sorte « mise
en sommeil » jusqu’à ce que le marchand de biens procède à la
revente, auquel cas, les droits d’enregistrement seront dus par le
nouvel acquéreur. Tout se passe comme si l’immeuble n’était pas
entré dans le patrimoine du marchand de biens qui constitue au regard
des droits d’enregistrement une entité transparente.
38- En droit fiscal tunisien, le marchand de biens doit payer
non seulement les droits d’enregistrement lors de l’acquisition
d’immeubles ou de fonds de commerce, mais aussi la TVA sur les
opérations de revente desdits biens.
1-
Régime des droits d’enregistrement frappant
acquisitions effectuées par le marchand de biens
les
39- Bien qu’il existe une disposition générale permettant de
soumettre à la formalité de l’enregistrement les actes portant
transmission de propriété d’immeubles ou de fonds de commerce dans
un délai de 60 jours de leurs dates59, le législateur a réservé aux
marchands de biens une disposition particulière en soumettant
obligatoirement à la formalité de l’enregistrement dans un délai de 30
jours de leurs dates « … les actes établis dans le cadre de la
57
58
59
Voir l’article 257 n°6 du CGI français.
Voir l’article 1115 du CGI français.
Voir l’article 3 n° 3 du CDET.
92
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
profession d’achat en vue de la revente des mêmes biens (immeuble
ou fonds de commerce) »60.
40- Pour la liquidation des droits d’enregistrement, il n’existe
aucune disposition particulière aux marchands de biens, de sorte que
les opérations d’acquisition d’immeubles ou de fonds de commerce
seront soumises aux règles d’assiette et de taux de droit commun.
S’agissant des acquisitions d’immeubles, les droits d’enregistrement
sont calculés sur la base du prix d’acquisition61 multiplié par un taux
proportionnel de 5 %62. Quant aux acquisitions de fonds de commerce,
les droits d’enregistrement sont calculés sur la base du « prix de vente
de la clientèle, de l’achalandage, de la cession du droit au bail et des
objets mobiliers ou autres servant à l’exploitation du fonds de
commerce »63. Cette assiette sera multipliée par un taux proportionnel
de 2,5%64.
2- Le régime de la TVA frappant les reventes effectuées par
le marchand de biens
41- Tout en soumettant les ventes d’immeubles et fonds de
commerces effectués par les marchands de biens à la TVA, le
législateur a été conduit à mettre en place des règles particulières
concernant le régime de la TVA applicable aux marchands de biens.
Ces règles particulières qui concernent essentiellement le fait
générateur et l’assiette de la TVA s’expliquent par l’originalité des
biens objet de l’activité du marchand de biens constitués
fondamentalement par des immeubles. Etant donné que la TVA est
conçue pour frapper essentiellement les transactions commerciales de
marchandises, l’immeuble, qui fait traditionnellement l’objet d’acte
civile, mais qui est pour le marchand de biens l’objet d’acte de
commerce, constitue pour la TVA « une marchandise étrange », de
60
61
62
63
64
Article 2 n° 2 du CDET.
Voir l’article 26 du CDET.
Voir l’article 20 n° 1 du CDET.
Voir l’article 28 du CDET.
Voir l’article 20 n°13 du CDET.
93
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
nature particulière qui mérite que des règles particulières lui soient
réservées.
42- D’une part, même si l’article 5 du CTVA pose le principe
suivant lequel la livraison de la marchandise constitue pour les ventes,
le fait générateur de la TVA, ce principe supporte une exception qui
concerne les ventes d’immeubles effectuées par les marchands de
biens. En effet, conformément à l’article 5 du CTVA « Le fait
générateur de la taxe sur la valeur ajoutée est constitué :
…2) Pour les ventes par la livraison de la marchandise. Toutefois,
pour les ventes des biens immobiliers visés à l’article premier II – 7
ci-dessus… le fait générateur est constitué par l’acte qui constate
l’opération ou à défaut par le transfert de propriété ».
43- D’autre part, même si l’article 6 du CTVA pose le principe
selon lequel l’assiette de la TVA est constituée par le prix des
marchandises tous frais, droits et taxes inclus, ce principe supporte
une exception concernant la vente d’immeubles ou de fonds de
commerce effectuée par les marchands de biens. En effet,
conformément à l’article 6-I- 2) du CTVA « Pour la vente
d’immeubles ou de fonds de commerce visée à l’article premier II- 7
ci-dessus, la taxe est liquidée sur la base de la différence entre le prix
de vente et le prix d’achat, tous frais et taxes inclus à l’exclusion de
la taxe sur la valeur ajoutée ».
44- La TVA n’est donc pas assise sur le prix de vente de
l’immeuble ou du fonds de commerce, mais plutôt sur la base du
« profit brut » découlant de la différence entre d’une part le prix de
vente et d’autre part le prix de revient. La soustraction du prix
d’acquisition de l’assiette de la TVA s’explique par le fait que les
marchands de biens n’ont pas supporté lors de l’acquisition des
immeubles ou de fonds de commerce une TVA susceptible d’être
déduite de la TVA collectée à l’issue de l’opération de revente.
45- Le régime de la TVA frappant les marchands de biens et
qui est assise sur le profit brut découlant de la différence entre le prix
94
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
de vente et le prix d’acquisition est très proche des techniques
d’imposition des revenus et notamment des plus-values calculées
également sur la base de la même différence. Seulement, alors qu’en
matière d’imposition des plus-values, le contribuable dispose de la
possibilité de majorer le prix d’acquisition par les frais
d’améliorations apportées à l’immeuble avant sa revente, en matière
de TVA, « les frais d’amélioration, d’entretien ou de réparation du
bien, n’étant pas occasionnés par l’achat, ne doivent pas être pris en
compte pour la détermination de la base imposable »65.
46- Assise sur la base du profit brut, la TVA frappant les
marchands de biens peut, lors de sa mise en œuvre, rencontrer
certaines difficultés. D’abord, que faut-il faire lorsque le marchand de
biens vend l’immeuble ou le fonds de commerce à perte ? L’assiette
de la TVA ne sera-t-elle pas dans ce cas nulle ? Ensuite, que faut-il
faire lorsque le marchand de biens vend à tempérament ? Est-ce que la
TVA sera totalement exigible pendant le mois de la vente ?
Sur cette question, l’administration fiscale française a admis en
cas de vente à tempérament par un marchand de biens que « la TVA
est exigible lors de chaque encaissement sur une fraction de la base
d’imposition proportionnelle à l’importance de l’acompte par rapport
au prix total stipulé »66.
47- En tout état de cause, la TVA applicable aux marchands de
biens sera liquidée en multipliant le profit brut par le taux de droit
commun de 18 %. La TVA collectée par le marchand de biens à
l’issue de la vente sera en principe entièrement reversée au trésor. Le
marchand de biens garde toutefois la possibilité de déduire de la TVA
collectée, la TVA qu’il a supportée s’il a procédé à des opérations de
lotissement ou plus généralement à des travaux immobiliers
antérieurement à la revente.
65
66
Mohamed Salah AMAMOU, Le Manuel Permanent du Droit Fiscal et du Droit
de Douane Tunisien, Taxe sur la valeur ajoutée, n°230.
Réponse ministérielle MASSERET, JO, Sénat, 9 mai 1985, p. 855, DF, 1985,
comm. 1352.
95
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
B- L’ambiguïté du sort fiscal des revenus réalisés par le
marchand de biens
48- Contrairement au CDET et au CTVA qui ont réservé
quelques dispositions particulières aux marchands de biens, le CIR ne
comporte aucune disposition fiscale explicite traitant du régime fiscal
des revenus provenant des opérations d’achat revente d’immeubles ou
de fonds de commerce effectuées de manière habituelle. Pour dégager
le sort fiscal des revenus réalisés par les marchands de biens qui
semble être ambiguë, il est nécessaire de prime abord de loger les
revenus réalisés par les marchands de biens dans l’une des sept
catégories de revenus prévues par l’article 8 du CIR. La qualification
fiscale des revenus réalisés par les marchands de biens, permettra de
dégager leur régime fiscal.
1-
La qualification fiscale des revenus réalisés par
le marchand de biens
49- Exerçant un acte de commerce de spéculation consistant en
l’achat en vue de la revente d’immeubles ou de fonds de commerce, le
marchand de biens réalise un revenu sous forme de plus-value qui
devrait en principe être logé dans la catégorie des BIC. La
qualification fiscale d’un revenu en tant que BIC est fonction des
dispositions de l’article 9 du CIR, qui tout en définissant la catégorie
des BIC, dispose que «sont considérés comme bénéfices industriels et
commerciaux, les bénéfices réalisés dans des entreprises exerçant une
activité commerciale au sens du code de commerce ». Conformément
à ces dispositions, la qualification d’un gain en tant que BIC semble
être subordonnée à deux conditions cumulatives. La première
condition est institutionnelle. Elle tient à ce que le gain soit réalisé
dans le cadre d’une entreprise, c’est-à-dire, dans le cadre d’ « un
organisme autonome ayant pour but la production de certains biens
ou services pour le marché »67. La deuxième condition est matérielle.
67
JAMES, Les formes de l’entreprise, Sirey, Paris, 1935, p. 10.
96
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
Elle tient à la nature du gain réalisé qui doit découler de l’exercice
d’une activité commerciale au sens du code de commerce.
50- Est-ce que le revenu réalisé par le marchand de biens
remplit ces deux conditions ?
La réponse n’est pas forcément positive. En effet, si le
marchand de biens exerce son activité en gérant un établissement
patenté, la plus-value découlant des opérations d’achat revente
d’immeubles ou de fonds de commerce sera logée dans la catégorie
des BIC. En revanche, si le marchand de biens exerce son activité sans
disposer d’un établissement patenté, la plus-value réalisée peut ne pas
être qualifiée de BIC dans la mesure où la condition institutionnelle de
l’existence d’une entreprise fait défaut.
51- Ce problème de qualification n’aurait pas dû être posé si
l’article 9 du CIR n’avait pas posé la condition de la réalisation du
revenu dans le cadre d’une entreprise pour être qualifié de BIC.
D’ailleurs, en droit fiscal français, même si l’article 34 du CGI définit
les BIC comme étant les revenus provenant de l’exercice d’une
profession commerciale, et que par conséquent, seuls les marchands
de biens professionnels sont en principe logés dans cette catégorie, le
législateur français a assimilé dans l’article 35 du CGI les plus-values
réalisées par les marchands de biens non professionnels à des BIC. La
distinction entre les « bons commerçants » de l’article 34 du CGI et
les « mauvais commerçants » de l’article 35 du CGI68 ou encore entre
les « BIC professionnels » et les « BIC non professionnels »69 n’a
malheureusement pas de fondement juridique en droit fiscal tunisien.
52- Il n’en reste pas moins vrai qu’en pratique, l’administration
fiscale range dans la catégorie des BIC non seulement les plus-values
réalisées par les marchands de biens professionnels, mais aussi celles
réalisées par les marchands de biens non professionnels.
68
69
Maurice COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, op. cit., n° 40, p. 24.
Maurice COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, op. cit., n° 42, p. 26.
97
Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
2- Le régime fiscal des revenus réalisés par le marchand de
biens
53- Qualifiés en tant que BIC, les profits réalisés par les
marchands de biens sont en principe soumis aux règles d’assiette, de
liquidation et de paiement applicables à la catégorie des BIC.
54- S’agissant des règles d’assiette, le marchand de biens doit
établir son bénéfice imposable conformément aux règles prévues par
les articles 10 à 15 du CIR, c’est-à-dire suivant le régime du bénéfice
réel tout en étant obligé de tenir une compatibilité conforme à la
législation comptable des entreprises. Si son chiffre d’affaires annuel
est inférieur à 100.000 dinars, le marchand de biens peut bénéficier du
régime réel simplifié qui lui permet un allègement considérable de ses
obligations comptables. Signalons enfin, que le marchand de biens ne
peut pratiquement pas être en mesure de bénéficier du régime de
l’impôt forfaitaire de la catégorie des BIC dans la mesure où son
chiffre d’affaires ne peut en principe être inférieur à 30.000d70.
55- S’agissant des règles de liquidation, l’impôt sur le revenu
frappant le profit réalisé par le marchand de biens est liquidé selon le
barème progressif prévu par l’article 44 I du CIR.
56- S’agissant enfin des règles de paiement, le marchand de
biens doit procéder au paiement de l’IR par voie de déclaration
annuelle qui doit être déposée comme tout commerçant au plus tard le
25 Avril de l’année suivant celle de l’imposition71. Le marchand de
biens est néanmoins soumis à l’obligation de procéder au paiement
anticipé de l’IR en versant trois acomptes provisionnels avant
l’expiration du 25ème jour du 6ème, 9ème et 12ème mois de chaque
exercice. Le montant de chaque acompte est fixé à 30% de l’impôt
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71
L’article 44 IV du CIR a subordonné le bénéfice du régime forfaitaire
d’imposition à la condition de réaliser un chiffre d’affaires annuel n’excédant
pas 30000d.
Voir l’article 60 I – 1 – b du CIR.
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Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
acquitté au titre de l’année précédente72. Les acomptes régulièrement
versés sont imputables sur l’impôt sur le revenu à payer pendant
l’exercice qui suit celui de l’imposition73.
Conclusion
57- En définitive, le marchand de biens exerce l’une des
activités les plus lourdement imposées en droit fiscal tunisien :
- Il est soumis aux droits d’enregistrement selon le tarif
proportionnel de 5%.
- Il est soumis à la TVA selon le taux de droit commun de 18%.
- Il est soumis à l’impôt sur le revenu selon le barème progressif qui
peut atteindre 35% du revenu réalisé.
- Il est soumis à la TCL.
- Il est obligé en vertu l’article 94 du CDET, de tenir deux
répertoires, l’un est affecté aux opérations d’intermédiaire, l’autre
aux opérations d’achat revente.
- Il doit tenir une comptabilité conforme au système comptable des
entreprises. Il n’est pas pratiquement en mesure de bénéficier du
forfait d’impôt en matière d’IR et ce compte tenu de l’importance
du chiffre d’affaires au titre de cette activité.
58- La lourdeur ainsi que la rigueur du régime fiscal des
marchands de biens explique, selon M. YAICH, le nombre très infime
des marchands de biens patentés74. S’il exerce son activité dans
l’ombre, c’est-à-dire sans déclaration d’existence, le marchand peut
bénéficier des avantages suivants :
- Ses ventes ne sont pas soumises à la TVA.
- Ses profits immobiliers ne sont pas soumis à l’IR suivant le
barème progressif, mais plutôt selon le taux proportionnel appliqué
aux plus-values réalisées par les particuliers qui est de 5% ou 10%
suivant la durée de détention de l’immeuble.
72
73
74
Voir l’article 51 du CIR.
Voir l’article 54 du CIR.
Abderraouf YAICH, Les impôts en Tunisie, les éd. Raouf YAICH, 2003, p.214.
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Le marchand de biens en droit fiscal tunisien
-
Ses profits ne sont pas qualifiés de BIC et il sera dès lors affranchi
de l’obligation de tenir une comptabilité ainsi que de l’obligation
de paiement des acomptes provisionnels et de la TCL.
59- Le marchand de biens préfèrera peut être, ne pas exercer la
profession de « marchand de biens ». Il s’estimera plus heureux en
exerçant l’activité d’achat revente d’immeubles ou de fonds de
commerce à titre non professionnel sans déclaration d’existence ni
immatriculation au registre de commerce. Il préfèrera frauder plutôt
que d’adhérer à un régime fiscal « suicidaire ». L’assainissement du
régime fiscal des marchands de biens est une exigence si les pouvoirs
publics souhaitent vraiment que ces contribuables, aussi nombreux et
aussi importants, adhèrent à la transparence.
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