Ménard L`Homme aux loups et la clinique continuiste

Transcription

Ménard L`Homme aux loups et la clinique continuiste
A. MENARD
Lille le 20 Mars 2010
L’HOMME AUX LOUPS
Et la clinique continuiste
Dora est hystérique, Hans est phobique, l’homme aux rats est obsessionnel, Schreber est
psychotique, mais qu’en est-il du diagnostic pour l’homme aux loups ? Ce cas présente
une difficulté particulière qui fait tout son intérêt.
Les psychiatres qu’il a consultés, et des plus grands, ont évoqué la neurasthénie (Pr. B. de
St Pétersbourg en 1907), la maniaco-dépressive (le Pr. Kraepelin, Munich en 1907-1908).
De fait, son père est un maniaco-dépressif avéré, mais Freud réfute ce diagnostic pour
l’homme aux loups pour la simple raison qu’il n’a pas de fluctuation de l’humeur1. Plus
tard le Dr Ruth Mac Brunswick parlera de psychose paranoïde et même paranoïaque, le
Dr Solms, son dernier psychanalyste de borderline avec acting-out.
Freud ne se prive pas d’ironiser sur ces diagnostics fluctuants des psychiatres2.
Il y a chez bien des psychiatres un botaniste qui sommeille (Kraepelin était botaniste), et
qui rêve d’un herbier où chaque espèce de phénomène trouverait sa place. C’est une
défense contre le hasard, la contingence, l’unique…
Freud, lui évoque l’hystérie, les troubles du caractère, la perversion, la phobie, mais
s’arrête au diagnostic de névrose obsessionnelle guérie avec séquelles, non sans
reconnaître l’authenticité de l’épisode paranoïaque ultérieur. Il nous donne une grande
leçon de clinique en rapportant pour chaque orientation diagnostique les faits qui la
confirment et ceux qui s’y opposent.
Il insiste surtout sur la possible coexistence de symptômes hétérogènes.
1
GARDINER Muriel, L’homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même, p. 173,
Gallimard Paris 1981
2
Ibidem p. 173
1
Je retiendrais ce maître mot de « coexistence » qui parcourt l’exposé de ce cas par
Freud et anticipe, à mon sens, la clinique continuiste, non exclusive, qui sera celle du
dernier Lacan. Ce parcours se réfère sans cesse au texte de J. A. Miller3 et à celui d’Agnès
Aflalo4
1) LA RENCONTRE DE LA CASTRATION
Le facteur déclenchant chez l’homme aux loups, que je désignerais simplement par ses
initiales S.P. (Sergueï Pankejeff), n’est pas comme chez Schreber la rencontre avec « un
père » en position tierce, mais avec la castration, sous forme de crainte pour son intégrité
corporelle.
Il consulte Freud à l’âge de 18 ans pour des troubles consécutifs à une blennorragie et
Freud découvre alors la névrose infantile. C’est uniquement d’elle qu’il parlera. Elle est
scandée par la rencontre avec la castration. L’épisode paranoïaque traité par Ruth Mac
Brunswick aura la même causalité, « un trou sur le nez ».
Pour ce qui est de la névrose infantile, Freud y repère trois occurrences de cette
rencontre :
a) la séduction par sa sœur plus âgée lorsqu’il a 3 ans un quart, qui entraîne une
modification du caractère,
b) le rêve d’angoisse à l’âge de 4 ans et demi qui déclenche la phobie des loups, et
renvoie à la scène primitive antérieure,
c) l’instruction religieuse par la mère à la suite de laquelle les symptômes obsessionnels
se substituent à la phobie.
La première entraîne une régression au stade anal qui marquera son érotisme avec une
confusion entre les organes génitaux féminins et l’anus.
3
MILLER J. A., « L’homme aux loups », Revue de la Cause freudienne 72 et 73
AFLALO Agnès, Réévaluation du cas de L’homme aux loups, Revue de la Cause
freudienne N° 43
4
2
La deuxième au stade oral cannibalique « être dévoré, se faire dévorer », et renvoie à la
scène primitive vue à l’âge d’un an et demi, instant de voir la castration avec l’empreinte
du réel que cela suppose.
La troisième est celle où s’amorce l’accès au génital, et, de fait, S.P. accède à la position
virile (il en a témoigné très tôt dans l’évocation de l’épisode avec Grouscha)) mais
l’assomption de la castration n’a pu avoir lieu faute de symbolisation. Il y a eu
l’anticipation mais pas la rétroaction, l’après-coup. Notons que c’est dans ce texte que
Lacan relèvera la notion d’anticipation et d’après-coup qui structure son temps logique.
Le trauma c’est la découverte de la castration, à l’occasion de la scène primitive. Ce qui
en résulte pour Freud dans l’après-coup5 : « ce n’est pas un seul courant sexuel qui est
sorti de la scène originaire, mais toute une série de courants, un véritable éclatement de la
libido ». Il insiste sur la coexistence de ces courants qui correspondant à trois orientations
vers le père : « À partir du rêve, il était homosexuel dans l’inconscient, dans la névrose il
était au niveau cannibalique, l’attitude masochiste antérieure restait prévalente… »6.
Mais coexistaient aussi amour et hostilité, activité et passivité. C’est là que Freud introduit
la distinction que Lacan mettra en exergue entre le refoulement et la forclusion : « un
refoulement (Verdrängung) est autre chose qu’un rejet (Verwerfung) ».7
Mais, il ne considère pas, comme Lacan le laisse penser dans son commentaire sur la
Verneinung que ces termes s’excluent l’un l’autre : « il la rejeta (la castration), et s’en tint
au point de vue du rapport avec l’anus. Quand je dis qu’il la rejeta, la signification la plus
proche de cette expression est qu’il ne voulût rien savoir d’elle, au sens du refoulement.
De la sorte aucun jugement ne fût, à proprement parler, porté sur son existence, mais ce
fut comme si elle n’existait pas. Cependant cette attitude ne peut pas être resté définitive,
5
FREUD S. in Gardiner, loc. cit. p. 207
Ibid. p. 219
7
Ibid. p. 232
6
3
même pas en ce qui concerne les années de sa névrose d’enfance. Il existe de bonnes
preuves, qu’il avait reconnu par la suite la castration comme un fait… à la fin subsistaient
chez lui côte à côte deux courants opposés, dont un abhorrait la castration et l’autre était
prêt à l’accepter et à se consoler avec la féminité comme substitut. La troisième, la plus
ancienne et la plus profonde… était encore réactivable ».8 Enfin, il évoque l’épisode de
l’hallucination du doigt coupé. La paranoïa en dérive, Freud en parlera dans des textes
ultérieurs.
2) LES SYMPTÔMES
« Il faut expliquer les formations symptomatiques par le dévoilement de leur genèse ;
quant aux mécanismes psychiques et processus pulsionnels, il ne faut pas les expliquer,
mais les décrire ».9
Je me réfère pour ce chapitre à l’excellent exposé d’Agnès Aflalo, « réévaluation du cas
de l’homme aux loups », Revue de la Cause freudienne n° 43.
L’hystérie
D’après Freud, elle a été la première manifestation sous la forme d’une anorexie à l’âge
d’un an et demi10. « Elle doit être comprise, nous dit-il comme une véritable hystérie »11.
À cette hystérie s’ajouteront ensuite l’angoisse et la phobie mais aussi les phénomènes de
conversion. Les troubles intestinaux de la névrose obsessionnelle sont liés pour Freud à
une identification hystérique à un trait de la mère à partir de sa plainte entendue : « je ne
peux plus vivre ainsi ! »
Mais il y a une atypie : la coexistence avec la névrose obsessionnelle et la contradiction
entre cette identification féminine et la non-reconnaissance de la castration.
La phobie
8
Ibidem p. 237
Ibid. p. 253
10
Ibid. p. 248 et 254
11
Ibid. p. 260 et 263
9
4
Elle se déclenche à l’âge de quatre ans à partir du rêve. Le symptôme se constitue par la
substitution d’un animal au père, mais au niveau de l’angoisse, là où le petit Hans craint
d’être mordu, ce qui renvoie à la castration, S.P. a peur d’être dévoré. C’est de la mort
qu’il s’agit.
Pour le symptôme, il apparaît pour Hans quelle que soit l’attitude du cheval, car il est dans
le champ symbolisé de la réalité perceptive. Pour S.P. seul le loup debout déclenche la
peur. Ce loup est dans le récit non dans la réalité : c’est l’image qui fonctionne.
C’est une image substituée au père. Quant à l’inhibition, il faut bien reconnaître qu’ici
elle fait défaut.
La névrose obsessionnelle
À l’âge de quatre ans et demi, l’initiation à l’histoire sainte par sa mère entraîne un
remplacement subit des symptômes d’angoisse phobique par des symptômes
obsessionnels (« remplacement instantané »)12.
Ces symptômes sont des pensées obsédantes (ruminations), des doutes (en particulier
concernant le Christ), (« a-t-il eu un derrière, a-t-il chié ? »). Il y répond par la dénégation.
Mais il y a eu aussi les blasphèmes compulsifs : « Dieu crotte - Dieu cochon » et leur
expiation par un rituel non moins compulsif : baiser les icônes. (là aussi une image s’est
substituée à celle du loup), inspirer devant les mendiants.
Le conflit est entre un père jouisseur qui exige le sacrifice et le père comme objet
d’amour, père castré.
Freud fait ici une comparaison, non pas à l’homme aux rats, comme l’on pourrait s’y
attendre pour un obsessionnel ; mais à un psychotique Schreber.
L’atypie consiste dans le statut du père, qui est forclos chez Schreber, alors qu’il
fonctionne dans l’imaginaire pour S.P. Ajoutons que la symptomatologie intestinale
12
Ibidem p. 217
5
massive pour laquelle nous avons évoqué avec Freud la composante hystérique, apparaît
non moins atypique et relève plutôt d’un événement de corps. L’hypochondrie serait pour
S.P. (d’après Agnès Aflalo)13, ce que le délire est pour Schreber. Le pousse-à-la-femme de
Schreber qui correspond au rejet radical de la castration, serait pour S.P. un rejet
secondairement modalisé : être la femme du père.
La perversion
Plus que la perversion infantile (quand il coupe les chenilles en morceaux), nous
importe l’élection d’un « fétiche » dans sa vie sexuelle14. Ce qui déclenche la compulsion
érotique pour lui c’est le derrière proéminent d’une femme accroupie, renvoyant à la scène
avec Grouscha, à l’âge de deux ans et demi, lavant le pavé. Cette partie du corps est
élevée au rang de fétiche.
L’atypie ici est que ce symptôme ne s’inscrit en rien dans la logique de la structure
perverse, malgré le rôle évident du déni.
La paranoïa
Elle correspond pour Freud à la persistance du courant lié à la forclusion de la
castration, sa première occurrence étant à l’âge de cinq ans l’hallucination du doigt coupé.
Elle se révèle véritablement dans l’épisode qualifié de paranoïde, traité par Ruth Mack
Brunswick, où c’est un trou dans le nez qui joue le facteur déclenchant. Enfin, elle
apparaît sous le mode franchement paranoïaque et projectif, avec interprétation et
éléments persécutifs, dans l’épisode où il va peindre un tableau en territoire occupé par les
Russes après la Seconde guerre mondiale. L’atypie ici est non moins manifeste. Les
critères habituels sont mis en défaut. La névrose infantile exclurait la psychose, de même
que l’existence d’une implication subjective, d’un maniement dialectique, d’une
13
AFLALO A., loc. cit. p. 105
FREUD S., Le clivage du moi dans le processus de défense in Résultats, idées et problèmes
II p. 283 à 285, PUF Paris 1985
14
6
utilisation du temps logique. Sur le plan psychiatrique lui-même si la mégalomanie est
l’un des traits de la personnalité du sujet, l’évolution n’a rien du « caractère insidieux,
évolutif et constant » qu’évoque Kraepelin et dont il fait un critère majeur de la paranoïa.
C’est d’ailleurs une paranoïa curable, résolutive.
3) LA STRUCTURE
Ce cas nous impose de dissocier les symptômes de la structure.
S.P. emprunte les symptômes de toutes les structures cliniques qui sont nos repères
classiques. Mais quelle est donc sa structure ?
Selon la période de sa longue vie où nous aurions eu à nous prononcer c’est telle ou telle
qui paraît l’emporter. Ainsi, dans son travail avec Freud c’est la névrose obsessionnelle,
avec Ruth Mack Brunswick c’est la paranoïa. De fait, aucune de celles qu’il a empruntées
ne lui donne un appui suffisant. Il se soutient de cette liberté relative liée au maintien, à la
coexistence de plusieurs courants auxquels il peut recourir selon les hasards, les
contingences des rencontres avec le réel.
C’est précisément ce que désigne le terme proposé par J. A. Miller de « psychose
ordinaire »15. Ce signifiant ne désigne pas à proprement parler un diagnostic. Il désigne
une série hétérogène de cas dont le point commun est de témoigner au plus près :
-
de la forclusion généralisée, soit du non-rapport deux à deux des trois registres
R.S.I.,
-
de l’échec des structures empruntées au discours de l’Autre, pour y suppléer,
même si à l’instant « t » de l’évolution l’une l’emporte sur l’autre,
-
de bricolages divers, parmi lesquels un sinthome, même s’il a été un temps
prévalent, comme ici la névrose obsessionnelle, ne peut faire point de capiton.
15
MILLER J.A., Retour sur la psychose ordinaire p. 50, Quarto 94/95
7
C’est au contraire un bric à brac, digne des constructions du « Facteur Cheval » qui
vient assurer une certaine stabilité.
La psychose ordinaire est à la fois pauci symptomatique (il n’y a pas de symptôme majeur
durable sinon nous entrerions dans le cadre des psychoses dites extraordinaires), et multi
symptomatique, faites de liens ténus mais nombreux où la fragilité de chacun est compensée
par la coexistence de leur multitude (si ces liens ne s’étaient pas noués, nous entrerions alors
dans le cadre d’une psychose dissociative, qualifiée par les psychiatres de schizophrénie). Ce
qu’il faut affirmer c’est que la psychose ordinaire est une psychose authentique. Elle dévoile
la structure fondamentale de la psychose. Pour l’affirmer on doit donc retenir les critères
cliniques que nous avons mis en évidence pour la psychose mais également éliminer tous
signes positifs qui l’incluraient dans une névrose. Elle n’est en rien, comme le voulait
Bergeret avec son concept de « borderline », une structure propre, intermédiaire entre névrose
et psychose. Elle démontre enfin la relativité d’une clinique imposée par l’Autre, car nous
sommes ici dans la clinique de l’Un, du singulier, du cas par cas.
S.P. répond à la triple externalité que relève J. A. Miller dans l’article cité.
- Sociale : je me réfère ici à l’exposé de Laura Sokolowsky16.
Ce sujet a traversé impavide la Révolution russe, les deux guerres mondiales, le
nazisme, les bouleversements sociaux, l’effondrement d’un monde, la perte de son statut
social et de son immense fortune (son propre récit le démontre).
Il a vécu dans sa bulle, préoccupé de maintenir son propre équilibre intérieur.
-
Corporelle : elle peut être rattachée à cette nécessité des lavements et à l’éprouvé
d’une seconde naissance qu’ils entraînent dans ce bref instant où le voile se
déchire, où il se ressaisit comme corps vivant « au joint le plus intime du sentiment
16
Sokolowsky L., La désinsertion sociale de l’Homme aux loups, p. 58, La cause freudienne
n° 71
8
de la vie » qu’évoque Lacan17 et où se situe son propre désordre. Ce
rebranchement sur le monde suppose un débranchement antérieur.
-
Subjective : malgré l’historisation, le maniement de la dialectique, du temps
logique avec anticipation et après-coup et l’implication subjective, le nouage qui
viendrait redoubler le symbolique par la nomination symbolique elle-même du
Nom du Père ne se fait pas, dans ce qui aurait pu opérer comme ultime rétroaction.
Ayant accédé au génital, pour parler comme Freud, le nœud se défait (cela peut
être comparé à la dernière maille d’un tricot faute de laquelle l’ouvrage tout entier
se déconstruit) et il est condamné comme Sisyphe à refaire inlassablement de
nouvelles tentatives de nouages.
4) L’APPAREILLAGE
LA PRÉVALENCE DE L’IMAGINAIRE
C’est l’image, (et sa consistance), qui est utilisée ici dans la recherche de ce qui pourrait
fonctionner comme sinthome. Nous l’avons souligné dans les différentes formations
symptomatiques, en particulier le rôle de l’image du loup, des Icônes, la prégnance de la
partie du corps fétichisée dans le déclenchement du désir sexuel. Quant au père, il ne le rejette
pas, il n’est pas absent mais il a fonctionné comme père imaginaire et non pas comme
signifiant. La fonction paternelle imaginarisée est bien illustrée par le rôle du précepteur dont
le discours rompt brutalement sa croyance en la religion.
Pour le premier Lacan
Jacques Alain Miller a attiré notre attention sur la distinction entre la forclusion du
signifiant du Nom du Père et celle du phallus. Dans le schéma I des Écrits (page 571), Lacan
utilise la lettre grand P indice 0 pour le premier, et grand Phi indice 0 pour le second.
Topologiquement, c’est du même point trou sur le cross-cap dont il s’agit mais envisagé, soit
17
LACAN J., Écrits p. 558
9
côté imaginaire comme perte, soit côté symbolique comme manque. À ce temps, Lacan
réécrivait l’Œdipe comme métaphore paternelle. La fonction du père était donc première,
déterminant la signification phallique. La psychose révélait ce défaut. Schreber le démontre
en y suppléant par une métaphore délirante : « être la femme de Dieu ».
Mais, déjà il évoque une autre possibilité où ce serait phi 0 qui serait premier quand il
évoque le gouffre imaginaire à l’opposé du gouffre symbolique : « cet autre gouffre fut-il
formé du simple effet dans l’imaginaire de l’appel vain fait dans le symbolique à la métaphore
paternelle ? ou nous faut-il le concevoir comme produit au second degré par l’élision du
phallus que le sujet ramènerait pour le résoudre à la béance mortifère du stade du miroir ?
Assurément le lien cette fois génétique de ce stade avec la symbolisation de la mère en tant
qu’elle est primordiale, ne saurait manquer pour motiver cette solution ».
Déjà là, la primauté du père est mise en question et plus tard Lacan n’en fera plus qu’un
agent structural, avant même de le pluraliser et d’admettre que la mère peut décerner une
nomination. Si le réel est forclos pour tout un chacun, alors grand phi 0 est premier et le père
n’est plus qu’une suppléance venant y parer dans un second temps.
Dans la régression au stade du miroir le père imaginaire a la même fonction que la mère.
Référons-nous ici au texte déjà cité de J. A. Miller dans la Cause freudienne mais aussi à la
« Convention d’Antibes »18 Il y est démontré que si habituellement c’est la forclusion du Nom
du Père qui entraîne la forclusion du phallus, l’inverse peut aussi fonctionner. Se dessinent les
deux versants de la psychose, l’un où la causalité signifiante l’emporte, c’est la paranoïa ou la
psychose dissociative, et l’autre où c’est l’objet et la jouissance et c’est la psychose maniacodépressive.
Rendons hommage à Kraepelin dont l’intuition clinique a repéré la parenté avec la
maniaco-dépressive. Ici, ce n’en est manifestement pas une, mais le point commun en est la
18
La Convention d’Antibes, Agalma, Le Seuil, Paris 1999
10
primauté de la forclusion de la castration sur celle du Nom du Père et un mode imaginaire de
suppléance. C’est ainsi que, en dehors des épisodes, dans les deux cas, les critères habituels
de la psychose nous sont masqués.
Dans la clinique borroméenne
La position de départ de S.P. est liée à la séparation des trois registres, révélée dans
l’après-coup de l’instant du regard qu’a été pour lui la scène primitive. Notons la différence
avec Joyce, où réel et symbolique sont liés, avec Jean-Jacques Rousseau où c’est imaginaire
et symbolique, ou bien avec ce que l’on pourrait appeler une névrose ordinaire, où le Nom du
Père assure en quatrième position une cohérence d’emprunt.
L’absence de solution entraînerait le maintien dans une psychose dissociative que l’on
appelle improprement schizophrénie (cf. le cas de la présentation du mois de Février). Ici,
inversement, l’Autre n’est pas rejeté, mais exploré logiquement dans toutes les possibilités
offertes par la structure. Quelle que soit la suppléance, c’est toujours l’imaginaire redoublé
qui est utilisé. Dans la tentative de construire un sinthome, l’imaginaire est utilisé comme
agrafe et noue différemment les trois registres dans la phobie, la névrose obsessionnelle, ou la
paranoïa.
Ceci démontre que ce n’est pas une nomination imaginaire véritable mais son tenant lieu,
car l’inhibition est ici absente et la fonction borroméenne n’est pas introduite. Toutefois, ce
clip fait tenir ensemble les trois registres et masque la forclusion.
NOUAGES ET DÉNOUAGES NE SONT PAS DE MÉTAPHORE
S.P. explore plusieurs nouages. Face à la castration il n’y a pas eu appel au nom du père
pour nouer les trois registres. C’est ici un redoublement de l’imaginaire selon des modalités
diverses et successives. Que l’une s’effondre, se dénoue, S.P. a recours à un autre nouage
(phobie, paranoïa, névrose obsessionnelle), et quand le nouage fait défaut la forclusion
première de la castration se dénude : c’est le cas de l’hallucination du doigt coupé.
11
Ces nouages imaginaires permettent d’emprunter les symptômes des diverses structures
mais pas la structure elle-même. Les atypies que nous avons repérées pour chacune d’entre
elles en témoignent et c’est en cela qu’il s’agit d’une clinique continuiste.
Dans tous les cas, il privilégie l’imaginaire et le sens-joui. Jusqu’à la fin de sa vie il sera
en analyse, même si son partenaire n’est pas analyste, comme ce fut le cas pour la journaliste
Karin Obholzer.
Freud avait pourtant fort bien repéré sa jouissance singulière, hors sens, car elle apparaît
dans la nomination symbolique qu’il lui décerne avec « Wolfsmann ». Le W est porteur de la
lettre V redoublée, du battement des ailes du papillon, mais aussi de l’Espe (S.P. ses initiales),
qui renvoie aussi au réel de la scène primitive, l’écartement des jambes. C’est bien son nom
de jouissance, son nom authentique.
Pour S.P., il ne fonctionne pas comme cela mais est repris sur le mode imaginaire. Il
s’identifie à cette image de l’Homme aux loups. À la fin de sa vie, il vendait aux Américains
des tableaux de son rêve aux loups par l’intermédiaire de M. Gardiner.
Au demeurant, nous retiendrons cette grande leçon de clinique que ce n’est pas le
diagnostic qui compte, mais le chemin qui tente d’y conduire, car c’est là que se révèle la
multitude des « détails » qui fait le singulier, l’unique, du cas.
12