deux enterrements et pas de mariages

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deux enterrements et pas de mariages
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Séverine LOUBIAT
COMME ON CONNAÎT LES
SIENS…
Comédie en 3 actes
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Distribution : (par ordre d’apparition sur scène)
-
Clémence, la benjamine de la famille.
Mélody, la cadette.
La serveuse.
Sophie, la mère.
Eve, l’aînée.
Sheila, la cousine.
Une adolescente, petite amie du fils aîné d’Eve.
Un prêtre.
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ACTE I
Scène 1 : Clémence, Mélody
Le rideau s’ouvre sur un décor représentant une cuisine : meuble à tiroirs, buffet, table avec quatre
chaises. Des magazines, des verres, une bouteille d’eau et une bouteille de vin sont posés sur la table.
La scène est vide puis Clémence et Mélody, vêtues de noir, entrent. Clémence s’assoit immédiatement et
se sert un verre d’eau, Mélody sort un ordinateur portable de sa sacoche, l’installe sur la table puis
s’assoit à son tour.
Clémence : Ne me dis pas que tu vas travailler aujourd’hui ?
Mélody (sèchement) : Je ne te le dis pas !
Clémence : Tu ne peux pas attendre d’être chez toi ?
Mélody (sèchement) : Non !
Clémence : Allez, range ton ordinateur…C’est pas un jour pour bosser !
Mélody (sarcastique) : Dieu a créé le Monde et les Hommes en six jours, il s’est reposé le septième. On
n’est pas dimanche donc je travaille !
Clémence : Je ne te connaissais pas si mystique, toi qui as toujours refusé les cours de catéchisme, ça
doit être l’effet de la messe !
Mélody : Sers-moi donc un verre d’eau au lieu de dire n’importe quoi.
Clémence (tendant un verre et refermant l’écran de l’ordinateur) : Mais arrête de travailler ! Ce que tu
fais est un véritable manque de respect !
Mélody (relevant l’écran de son ordinateur) : C’est toi qui te montres irrespectueuse…envers mon
fidèle compagnon !
Clémence (furieuse): Je te rappelle qu’on vient d’enterrer notre père ! Pense à maman : si elle te
découvre avec ton ordinateur, elle sera furieuse.
Mélody (sarcastique): Maman n’est furieuse que lorsqu’on touche à l’un de ses meubles ou bibelots…
Et je te rappelle que l’homme que tu as appelé « notre père » a quitté le foyer familial il y a quasiment
30 ans. Tu n’as aucun souvenir de lui alors arrête ton numéro de fille éplorée !
Clémence : Ce n’est pas un numéro ! On a tous beaucoup de chagrin… à part toi visiblement !
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Mélody (riant) : Tous beaucoup de chagrin…Je ne te savais pas si drôle…Qui pleurait pendant la
cérémonie ? Nous, ses filles ? Non ! Maman ? Certainement pas ! D’ailleurs, tu as vu sa tenue ?
S’habiller en rouge et jaune, ce n’est pas vraiment être assortie à un corbillard !
Clémence : Arrête tes sarcasmes, ce n’est pas le moment !
Mélody (toujours sarcastique) : As-tu observé nos amis et voisins en train de pleurer ? Même pas ! Tout
le monde avait oublié l’existence de ce type jusqu’à ce qu’il ait eu la bonne idée de mourir.
Clémence (indignée) : Je t’interdis de dire cela, personne ne l’avait oublié ! L’église était remplie et,
regarde, le salon est trop petit pour accueillir tout le monde, certains invités se restaurent sur le trottoir.
Mélody : Tous ces gens sont venus à l’enterrement parce que notre cher père s’est encore fait
remarquer !
Clémence (choquée) : Il ne s’est pas fait remarquer, il est mort ! On ne va tout de même pas l’accuser
d’avoir provoqué cet accident !
Mélody : Tu parles d’un accident ! Etre heurté par une météorite en cueillant des champignons, c’est
vraiment idiot comme accident. En plus, comme ce n’est pas banal, ça attire les médias et forcément les
curieux… Je ne connais même pas 1/10 e de ceux qui se goinfrent à nos frais !
Clémence (après un silence) : Pourquoi nous a-t-il abandonnées ?
Mélody : Je t’ai déjà dit une centaine de fois que je ne connaissais pas la réponse à cette question et je
m’en fiche royalement ! On ne peut pas vivre dans le passé et le présent en même temps, moi j’ai choisi
le présent…
Clémence : Les champignons, il aurait pu les étudier en France, il n’était pas obligé d’aller à l’autre
bout de la planète….
Mélody (arrêtant enfin de travailler) : Oh, ce que tu es agaçante ! Bon cherchons une raison…Peut-être
qu’il ne supportait pas cette atmosphère féminine : trois filles, une femme à fort caractère… Il y a des
hommes qui finissent par détester les conversations avec des expressions comme « cellulite » ou
« soutien-gorge » !
Clémence (riant) : Tu ne crois pas que tu exagères ? Quand papa est parti, Eve et toi étiez encore à
l’école primaire, moi, je portais des couches-culottes alors on n’évoquait pas vraiment nos soucis
intimes !
Mélody : Alors peut-être avait-il développé une grave allergie à nos nounours, à nos poupées et à nos
robes roses…
Clémence : Maman a toujours détesté le rose, on n’a jamais porté cette couleur !
Mélody : Tu veux une raison, j’en cherche une…
Clémence (triste) : C’est la vraie raison que je veux, pas une de tes histoires à dormir debout, je ne suis
plus une enfant…
Mélody : Ah, j’ai trouvé ! En réalité, notre géniteur détestait la façon dont Eve et moi fabriquions des
champignons en pâte à modeler, alors, lui, ce grand mycologue mondialement connu, n’a pas supporté
cet affront et… a préféré quitter la maison ! Satisfaite ?
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Clémence : Pourquoi parles-tu toujours de lui sur ce ton sarcastique ? Maman et Eve ne l’évoquent
jamais et toi tu te moques de tout ce qu’il faisait, je ne comprends pas vos attitudes ! Je n’ai même
jamais eu droit à des photos, maman a toujours refusé de me les montrer !
Mélody : Les photos ne t’auraient rien apporté : tu aurais vu un grand type toujours seul, habillé en vert
kaki, coiffé d’une casquette, dissimulé par des lunettes de soleil, un couteau à la taille…S’il n’avait pas
l’habitude de porter des paniers en osier on l’aurait confondu avec Rambo ! Comme représentation de
l’amour paternel, il y a mieux !
Clémence (stupéfaite) : Tu n’as jamais vu de photos représentant papa avec maman ou avec nous trois ?
Mélody : Jamais ! Si elles existaient, elles ont dû être détruites par maman et si elle les possède encore,
elles sont drôlement bien cachées ! Tiens, cela pourrait même faire l’objet d’une émission de télé-réalité
(Prenant une voix grave) « A la recherche des photos perdues du mycologue et sa famille, celui qui les
trouve remportera son poids en champignons vénéneux… » (Elle reprend son travail)
Clémence (énervée) : Toi tu as choisi de rire, moi j’en voudrais toujours à maman de l’avoir rayé de sa
vie…
Mélody : Hé ! C’est lui qui nous a rayées de sa vie, n’inverse pas les rôles ! Peut-être que maman a
choisi de ne plus l’évoquer pour ne pas te faire de la peine.
Clémence : Me faire de la peine ?
Mélody : Malgré ton âge, Clémence, tu es encore une gamine et, aujourd’hui encore, on se tait car on ne
veut pas briser tes rêves de petite fille qui croit encore au prince charmant.
Clémence (haussant les épaules) : Pffffff… La gamine te rappelle qu’elle se marie l’année prochaine !
Et, à ce propos, je vais retrouver mon chéri !
Mélody : Tu as raison, cours vite le rejoindre car, la dernière fois que je l’ai vu, il était en grande
conversation avec la serveuse. Je crois même qu’il lui demandait son numéro…ou ses mensurations, je
n’ai pas bien compris …
Clémence : Tu n’es pas drôle ! Replonge-toi dans tes fichiers puisque ce sont tes seuls fiancés…
Elle sort en bougonnant : Comment peut-on travailler après l’enterrement de son père ?
Scène 2 : La serveuse, Mélody
Une serveuse entre : elle est vêtue d’un uniforme noir avec tablier blanc et son chemisier est très
échancré. Elle commence à ouvrir le buffet, quelques tiroirs mais ne trouve pas ce qu’elle est venue
chercher.
La serveuse (gênée) : Veuillez m’excuser madame mais…
Mélody (la coupant sèchement) : Mademoiselle je vous prie !
La serveuse (avec solennité) : Mademoiselle, sauriez-vous, par hasard, où est rangé le papier
absorbant ? Une dame, vêtue de rouge et jaune, vient de renverser sa coupe de champagne. Je crois que
c’est la propriétaire et…
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Mélody (la coupant sèchement) : La dame vêtue de rouge et jaune et qui arbore une tenue fort adaptée
en un jour de deuil est, effectivement, la propriétaire.
La serveuse (s’asseyant et adoptant un ton et une posture plus décontractés) : Vous aussi vous avez
remarqué ses vêtements ? J’avais jamais vu une veuve habillée comme à un défilé de carnaval ! (Riant)
Oh, j’imagine deux secondes la tête du curé en la voyant suivre le cercueil, il devait être vert ! Ou
rouge ? Ou jaune ? (Elle rit bruyamment)
Mélody : Ma mère…a toujours aimé les tenues excentriques.
La serveuse (se relevant brusquement, gênée) : Votre…votre…mère ? Oh pardon ! Euh…
condoléances…euh…sincères (Reprenant un ton solennel) Pourriez-vous m’indiquer, s’il vous plaît, où
se trouve rangé le papier…
Mélody (la coupant) : Ma mère ne peut pas venir le chercher elle-même ? On vous a engagée pour
servir, pas pour faire le ménage !
La serveuse (retrouvant une tonalité décontractée) : Ah, j’suis contente que vous disiez ça, tout le
monde me regarde et me parle comme si j’étais la bonne… J’ai été engagée pour servir l’alcool, le café
et les brioches, pas pour chercher des serpillières ou…torcher les gosses !
Mélody (riant) : Vous avez fait connaissance avec mes neveux ?
La serveuse (se servant à boire) : Ouais, ben, c’est surtout un derrière crotté que j’ai vu et je sais pas si
c’était celui de votre neveu. La femme qui m’a expédiée dans les toilettes s’appelle Eve. C’est pas banal
ça d’ailleurs comme prénom… Ca me rappelle quelque chose que j’ai vu à l’école…c’est pas une fille
qui était copine avec Jésus ou un truc comme ça ?
Mélody (arrêtant de travailler) : Bon, prenons les choses dans l’ordre : tout d’abord, c’est bien le
derrière d’un de mes neveux que vous venez de rencontrer et Eve est ma sœur aînée. Vous suivez jusque
là ?
La serveuse : Je vous quitte pas d’une semelle mademoiselle !
Mélody : Quant au prénom « Eve », vous avez pu, effectivement, l’entendre à l’école car il désigne la
première Femme créée par Dieu, à partir d’une côte d’Adam, le premier Homme.
La serveuse (horrifiée) : Elle a été faite avec une côtelette ? C’est dégueu votre truc !
Mélody : Ce n’est pas « mon truc », c’est un épisode écrit dans la Bible mais, apparemment, vous étiez
absente le jour où le prof a fait cette leçon…
La serveuse : Ben pourquoi vos parents ont donné un nom de côtelette à votre sœur ?
Mélody : Ma sœur était leur premier enfant, Eve était la première Femme donc voilà…
La serveuse (perplexe) : Ah oui…j’ai compris…Euh…vous avez des frères ?
Mélody (qui a repris son travail, agacée) : Non ! Ecoutez, vous avez été engagée pour construire l’arbre
généalogique de la famille ou pour servir ?
La serveuse : Ah non, moi les arbres j’y connais rien mais j’ai un neveu qui a fait des études pour être
bûcheron ! Vous avez beaucoup de neveux vous ?
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Mélody (soupirant) : J’ai…quatre…ou…cinq neveux… Je ne sais plus…Je m’en fous…
La serveuse (choquée) : Vous savez pas combien vous avez de neveux ?
Mélody : Ma soeur passe son temps à faire des enfants et visiblement avec la même recette puisqu’elle
n’a que des garçons… J’ai arrêté de compter quand les jumeaux sont nés, ce qui faisait déjà un total de
trois.
La serveuse : Mais quand même, vos neveux, vous les voyez aux repas de famille, vous devez savoir
combien ils sont ces gosses!
Mélody (cessant de travailler) : Dès que j’ai eu 18 ans, j’ai fui les repas de famille…Je ne me déplace
que pour les mariages et les enterrements, et encore, il m’arrive de faire une sélection…En plus, toute la
famille prétend que mes neveux sont insupportables alors je n’ai pas vraiment envie de faire leur
connaissance…
La serveuse : Quand vous m’avez dit que la proprio était votre mère, j’ai tout de suite deviné que vous
n’étiez pas très famille. C’est vrai, tout le monde est dans le salon, ou dehors, et vous, vous êtes là, toute
seule, dans la cuisine…Vous, vous devez avoir de graves problèmes relationnels…
Mélody : Je n’ai jamais de problèmes avec ma famille…sauf si je suis à moins de trois mètres d’elle !
La serveuse (adoptant un ton doctoral) : Je suis une spécialiste en familles depuis que je travaille dans
les réceptions d’après cérémonie. Par exemple, ici, j’ai tout de suite deviné que le mort était très
important pour vous et vos proches, vous l’adoriez tous, on le sent !
Mélody (sarcastique) : Ah oui, il n’y a pas de doute, vous êtes une spécialiste des affaires familiales…
Mais je ne vous conseille pas de devenir psy, gardez plutôt votre travail de serveuse !
La serveuse : Pas de risque, moi j’ai trouvé ma spécialité avec les réceptions célébrant les morts !
Mélody : C’est une drôle de spécialité ! Personnellement, je trouve ce genre de…petites fêtes…
déplacé… Tout le monde évoque le défunt, la larme à l’œil, alors que tous ces pique-assiettes ne lui
rendaient pas visite de son vivant !
La serveuse (choquée) : Oh, vous croyez pas que vous exagérez ? En plus, d’après ce que j’ai entendu,
personne ne savait où habitait le défunt alors pour rendre visite à quelqu’un dont on connaît pas
l’adresse, c’est pas facile…Je trouve que vous êtes un peu vache vous !
Mélody : Oh non, je ne suis pas (Accentuant le mot) « vache », je suis même persuadée que certains de
ces goinfres ne connaissaient pas le prénom de mon père !
La serveuse : Là, vous exagérez, dans le salon les gens causent beaucoup et tout le monde dit que
(Accentuant les mots) Paul était super sympa et qu’il laisse un grand vide…
Mélody (après un bref silence) : Il s’appelait Pierre !
La serveuse : Pierre, Paul, c’est pareil …L’important c’est de bavarder tous ensemble, dans le calme.
Moi j’adore ces ambiances paisibles…et j’adore le noir !
Mélody : Ah, si vous aimez le noir et les ambiances calmes…vous auriez pu aussi travailler dans un
service de pompes funèbres !
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La serveuse : Ah non, moi je voulais voir du monde, bavarder…et… (Sur le ton de la confidence) les
morts, ils sont pas très causants !
Mélody (se levant) : Tiens, je crois qu’on m’appelle…(Serrant la main de la serveuse avec un ton
sarcastique) Merci beaucoup de m’avoir tenu compagnie et de m’avoir appris tant de choses
intéressantes sur les enterrements !
(Elle sort en soufflant avec son ordinateur portable)
La serveuse : De rien, c’était un plaisir, si je peux aider…(Seule) C’est une obsédée du boulot cellelà…Si elle continue comme ça, elle fera pas de vieux os…
Scène 3 : La serveuse, Clémence
Clémence entre, un verre à la main. La serveuse lit un magazine « people » qui traînait sur la table.
Clémence : Vous n’auriez pas vu ma grande sœur Mélody ?
La serveuse : Si c’est la dame qui ne quitte pas son ordinateur, elle vient juste de sortir. Vous ne l’avez
pas croisée ?
Clémence (étonnée) : Non…elle a dû se réfugier dans une des chambres pour travailler.
La serveuse : C’est bizarre de travailler après avoir enterré son père ! Je n’ai jamais vu ça en 5 ans de
carrière dans ma spécialité !
Clémence (s’asseyant, surprise) : Quelle spécialité ?
La serveuse : Ben, les réceptions d’après enterrement, je suis la meilleure dans la région ! J’ai même un
slogan : « Vous êtes dans le désespoir ? Appelez la belle serveuse en noir ! »
Clémence (souriant) : Oh, je suis très impressionnée…C’est un beau slogan !
La serveuse (gênée) : Merci…Vous allez me faire rougir…Mes parents sont très fiers de moi : ils
voulaient que je devienne magicienne mais finalement, ils se disent que serveuse c’est pas mal…C’est
cool d’avoir des fans dans sa famille !
Clémence (rêveuse) : Je veux bien vous croire…(Se reprenant) Mais vous ne servez jamais dans les
mariages ou dans les banquets pour retraités ?
La serveuse : Je l’ai fait quand j’étais jeune mais…les petits vieux sont des pervers qui essaient de vous
peloter dès que leurs femmes ont le dos tourné ! Et les mariages, (Faisant une grimace de dégoût) c’est
pas drôle…
Clémence : J’ai un peu de mal à croire que les enterrements sont plus festifs que les mariages mais
expliquez toujours…
La serveuse : Dans les mariages, dès le vin d’honneur, la moitié des invités est bourrée et il y a toujours
un des témoins complètement saoul qui essaie de me draguer ! Quant à l’autre moitié, elle fait la tête en
arrivant dans la salle du banquet parce que le plan de table lui convient pas ! La troisième moitié,
c’est…
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Clémence (l’interrompant) : La troisième moitié ?
La serveuse : Mais laissez-moi finir mes explications ! (Clémence lui fait signe de poursuivre) Donc, la
troisième moitié ce sont les vermisseaux…
Clémence : Les vermisseaux ?
La serveuse (agacée) : Ben les gosses quoi ! Vous comprenez rien vous ! Donc les gosses courent dans
tous les sens, ils vous bousculent et se moquent bien de renverser votre plateau. Ah oui, les
enterrements c’est beaucoup plus reposant !
Clémence (après un bref silence): Surtout pour le mort ! Mais connaissant ma mère et mes soeurs, cela
m’étonnerait que notre petite réception soit reposante… Au fait, on ne vous attend pas dans le salon ?
La serveuse : Non, tout le monde est servi et puis, en ce qui concerne le champagne renversé, avec la
chaleur qui fait, il est déjà …au ciel ! (Elle rit)
Clémence : Ah ! mais vous êtes une vraie serveuse comique vous !
La serveuse (fière) : Je vous avais dit que j’étais la meilleure mais (Sur un ton de confidence) pour en
revenir aux enterrements, ils sont intéressants pour des serveuses pas encore casées…
Clémence : Ah bon ? Expliquez-moi un peu…
La serveuse : Après la cérémonie, vous pouvez rencontrer des hommes célibataires, tristes, et qui ont
besoin d’une épaule pour être consolé, si vous voyez ce que je veux dire…
Clémence (regardant son décolleté) : Là, tout de suite, ce n’est pas la vision de votre épaule que j’ai
mais je comprends ce que vous voulez dire !
La serveuse : Il y a même des jours où ça peut être le jackpot pour la serveuse…
Clémence : Le jackpot ? C’est quoi le jackpot ? Un propriétaire de casino qui est mort ?
La serveuse : Mais non, le jackpot, c’est ce que recherche toutes les serveuses : un type qui vient
d’enterrer sa femme, qui est âgé de moins de 35 ans, qui n’a pas d’enfants et qui est très…riche ! Et s’il
est canon, on parle de « super jackpot » !
Clémence (faussement choquée) : Et vous voulez profiter de la détresse du veuf pour vous faire
épouser ? Mais vous êtes immorale !
La serveuse : D’abord, je suis pas…immo…immo…ce que vous dites là… je suis prévoyante : je me
prévois un avenir avec plein de pognon… En plus, je demande pas à être épousée, je veux juste plein de
petites cartes bancaires très colorées !
Clémence : A propos de mariage, je dois rejoindre mon fiancé, à plus tard…enfin, quand vous
reviendrez travailler…
(Elle sort)
La serveuse (se servant un verre) : J’espère qu’elle n’est pas fiancée avec le grand brun à lunettes,
celui-là il est pour moi !
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Scène 4 : Sophie, la serveuse
Sophie, une femme âgée vêtue en rouge et jaune, entre précipitamment dans la cuisine. La serveuse se
lève brusquement, son verre encore à la main.
Sophie : Dites donc mademoiselle la serveuse, vous êtes en train de le fabriquer dans ma cuisine le
papier absorbant ? (Lui retirant son verre des mains) Je ne vous paye pas pour finir les bouteilles, ça je
peux m’en charger !
La serveuse (en colère) : Vous avez renversé votre verre il y a 10 minutes, votre table est sèche depuis
longtemps ! Vous avez plus besoin de votre papier !
Sophie (se fâchant) : Dites donc vous allez me parler sur un autre ton oui ? Rappelez-moi qui vous
paie ?
La serveuse (criant plus fort) : Mon ton est correct : c’est vous qui hurlez !
Sophie (cherchant dans les placards) : Ecoutez, on va se calmer toutes les deux…J’ai encore besoin de
papier car l’un de mes petits-fils vient de vomir sur le canapé alors ce rouleau introuvable peut encore
servir ! Quel malheur… (D’une voix attendrie)… il n’a que 6 mois …il est mignon avec son joli teint
et… (Retrouvant une intonation sèche) maintenant il est presque bon pour le cimetière !
La serveuse : J’avais pas remarqué de bébé dans le salon mais au lieu de perdre votre temps à fouiller
dans les placards, vous devriez appeler le SAMU !
Sophie (se tournant vers la serveuse) : Un bébé ? Le SAMU ? Mais vous êtes complètement idiote
vous ! (Elle trouve enfin le papier absorbant) Je vous parle de mon canapé, acheté cet hiver, et à cause
de cet imbécile de Victor qui mange tout ce qu’il trouve, mon canapé en peau de vache vient de gagner
un aller simple pour la déchetterie !
(Elle s’éloigne vers le salon)
La serveuse : Au fait, je vous présente mes sincères condoléances pour votre mari…
Sophie (criant du salon) : Inutile de me les présenter, je les connais déjà !
La serveuse (seule) : C’est peut-être pour son canapé que j’aurais dû lui présenter mes condoléances…
Un canapé en peau de vache ! Ben, ça lui va bien à celle-là ! Qui se ressemble s’assemble ! Sa fille a
peut-être raison : je suis pas sûre qu’elle soit calme cette réception !
Scène 5 : La serveuse, Eve, Clémence
Eve, vêtue de couleurs sombres, entre dans la cuisine, du papier absorbant à la main.
Eve (en direction du salon) : Maman arrête de hurler, ton canapé est sauvé ! (Se tournant vers la
serveuse d’un ton énervé) On vous attend dans le salon…
La serveuse (elle réajuste tranquillement ses vêtements) : Ouais, je vais y aller !
Eve (hurlant) : Tout de suite !
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La serveuse (à part) : Elles sont pas nettes les nanas dans cette baraque !
(Elle sort)
Clémence (entrant) : Eve, Maman ne hurle pas, c’est toi qui hurles !
Eve (en colère) : C’est normal que je hurle ! Tu l’as entendu parler à Victor ? Elle a été odieuse avec
lui, ce n’est qu’un enfant et c’est son petit-fils quand même !
Clémence : Un enfant…âgé de 15 ans ! A cet âge-là, on n’est plus vraiment un gamin ! En plus, il a une
copine, non ?
Eve : Peu importe son âge, il était malade, elle n’avait pas à lui parler sur ce ton…
Clémence (la réconfortant) : Allez, ne t’angoisse pas ! Tu sais combien maman est attachée à ses
meubles…
Eve : Personnellement, je trouve ce canapé particulièrement laid…Je ne sais pas où elle l’a déniché
celui-là…Et en plus, je suis sûre qu’elle l’a payé une fortune !
Clémence (riant) : C’est vrai qu’il est horrible : à chaque fois que je m’assois dessus, j’ai l’impression
que je vais entendre « meuh »…
Eve : Mélody dit toujours que maman préfère ses meubles à ses filles, je vais finir par penser comme
elle.
Clémence : Mais non, qu’est-ce que tu vas imaginer ? Maman nous adore !
Eve (en colère) : Elle nous adore ? Elle ne répond jamais à mes messages, elle ne daigne jamais passer à
la maison, ne s’intéresse pas à mon entreprise, ne s’approche pas de mes enfants…sauf si l’un d’eux
vomit sur son canapé ! Je suis sûre qu’elle ne connaît pas le prénom de son gendre ! Alors, tu vois, je
trouve le verbe « adorer » un petit peu exagéré…Comment peut-on tolérer qu’une grand-mère appelle
son petit-fils « grosse bouffe » parce qu’il a eu une indigestion ?
Clémence : Tu as prononcé l’insulte : « grand-mère » ! Elle a changé à la naissance de ton premier
fils…Elle était mal à l’aise avec tous ces petits garçons que tu nous faisais régulièrement…
Eve (choquée) : A t’entendre, mon métier c’est d’être mère porteuse ! Je ne vais tout de même pas
m’excuser d’avoir fondé une grande famille !
Clémence : Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…Maman était maladroite avec ces bébés autour d’elle,
tu sais qu’elle n’a jamais été femme à confectionner des gâteaux au chocolat, à tricoter des pulls, à jouer
à la poupée avec ses filles…
Eve (choquée) : Tu lui trouves toujours des excuses, elle est égoïste, c’est tout !
Clémence : Pas du tout ! Maintenant que ses petits-fils ont grandi, elle est beaucoup plus à l’aise avec
eux ! Je t’assure qu’elle est très contente de profiter de tes enfants aujourd’hui !
(Voix de Sophie en coulisse) : Les enfants, attention à mon canapé !
Scène 6 : Sheila, Clémence, Eve, Mélody
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Sheila, vêtue de vêtements clairs, entre en courant sur scène.
Sheila : Eve, ta mère voudrait savoir quand tu comptes rappliquer dans le salon pour surveiller tes
gosses super remuants !
Eve (à Clémence) : Tu peux me répéter ta dernière phrase ? (A Sheila) Réponds-lui que je compte
revenir dans le salon…en 2020…quand tous mes (accentuant le mot) gosses remuants seront majeurs…
Sheila (se dirigeant vers le salon) : D’accord, je vais la prévenir…t’as dit 2020, c’est ça ?
Clémence (l’empêchant de sortir) : Sheila, c’est une plaisanterie, reste là !
Eve (sèchement à Clémence) : Et toi, tu es la reine de la plaisanterie quand tu me fais croire que maman
est devenue une grand-mère modèle…
Clémence (haussant les épaules et se tournant vers Sheila) : Comment va ma cousine préférée ? Nous
n’avons pas encore eu le temps de parler toutes les deux.
Sheila (triste) : Tu sais, moi, j’ai une vie emmerdante, j’ai rien de spécial à raconter…
Mélody (entrant) : Et c’est reparti pour la complainte « je suis un vilain petit canard complexé »…Je ne
l’avais pas entendue depuis (Faisant mine de réfléchir)…au moins une demi-heure ! (Elle reprend son
travail sur son ordinateur).
Clémence : Mais ta vie n’est pas emmerdante ! Tu as déjà vécu dans trois pays, tu viens d’épouser ton
quatrième mari et il paraît que tu es chauffeur routier, ce n’est pas une vie banale !
Sheila (toujours sur un ton triste) : Oui, mais moi j’ai pas fait pas de grandes études comme tes sœurs et
toi ! Toi, par exemple, tu es super intéressante parce que des fois, tu parles de choses que personne ne
comprend…
Eve : Arrête de faire ce complexe d’infériorité ! Clémence adore les activités intellectuelles, toi tu
adores te marier, vous avez des hobbies différents, cela ne veut pas dire que tu es moins intéressante
qu’elle ! (Mélody fait une moue dubitative)
Clémence : Allez, parle-nous de ton nouveau métier !
Sheila (ayant retrouvé le sourire) : C’est vrai, ça vous intéresse ?
Mélody (d’un ton sarcastique) : Oh oui, je brûle d’impatience de connaître le nombre de volants ou de
pédales qu’il y a dans un semi-remorque. Encore hier, en voyant passer un camion devant la maison, je
me disais « Mais comment ce routier fait-il pour accélérer ou freiner ? Quel homme ! » (Clémence lui
tape sur le bras pour la faire taire)
Sheila (riant) : T’es marrante Mélody, déjà quand t’étais petite, tu nous faisais rigoler ! Tu te souviens
du jour où t’avais enfermé le chien de…
Clémence (perdant patience) : Allez, raconte-moi tout : quels trajets dois-tu effectuer avec ton camion ?
Qu’est-ce que tu livres ? Tu dois bien connaître la France maintenant ?
Sheila (parlant à Mélody) : Et le chien, tu l’avais barbouillé de farine mouillée et il hurlait à mort,
enfermé dans le coffre à jouets d’Eve…
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Eve (étonnée à Mélody) : C’est toi qui avais enfermé Youki avec mes poupées Barbie et…
Mélody (la coupant) : Sheila, je crois que Clémence veut vraiment avoir des nouvelles de ton gros
camion !
Sheila (agacée) : Foutez-moi la paix avec ce camion ! (Après un bref silence) Je l’ai plus, j’ai
démissionné au bout d’une semaine ! C’était trop balèze…
Clémence (la réconfortant) : C’était prévisible, tu es petite, fluette, comment pouvais-tu espérer charger
et décharger des tonnes de marchandises ?
Sheila : Oh non, c’était pas ça le problème, y avait toujours des beaux gars musclés pour m’aider !
D’ailleurs, (Sur le ton de la confidence) je crois avoir repéré un cinquième mari possible si numéro 4 me
laisse tomber…
Mélody (sarcastique) : Tu as tellement eu de maris que tu oublies leurs prénoms ? Cette façon de leur
donner des numéros est très romantique…
Clémence (lui faisant signe de se taire puis se tournant vers sa cousine) : Quel était le problème alors ?
Sheila : J’ai laissé tomber parce que je me sentais seule dans mon camion, vous savez à quel point
j’aime causer…(Fière) C’est ce que les hommes aiment chez moi, d’ailleurs, ma conversation…
Mélody (à part) : Je comprends pourquoi tous ses maris ont des problèmes de surdité…
Sheila : J’avais acheté de jolis nounours pour décorer ma cabine mais un jouet c’est pas pareil qu’un
humain, ça cause moins…
Mélody (à part) : Après les morts, ce sont les nounours qui manquent de conversation…Quel monde
décevant !
Clémence : Il y a toujours un lecteur CD et la radio dans les camions, tu aurais pu écouter les
informations ou des chansons, le temps t’aurait semblé moins long !
Eve : Entendre dix fois en une heure les mêmes nouvelles, ça peut être déprimant…Il vaut mieux
encore des jouets muets ! Et en jouets, je m’y connais un peu…
Sheila : Pourtant, j’avais mis toutes les chances de mon côté, j’avais acheté des poupées et des
nounours avec des piles mais ils racontaient tout le temps la même chose (adoptant une voix mécanique
différente pour chaque phrase): « Je m’appelle Tobby, je suis ton ami », « Comme tu es belle, tu veux
jouer avec moi ? », « Il fait beau, on va pique-niquer ? »…
Clémence (riant) : On te dit toute la journée que tu es belle et cela ne te plaît pas ? Tu es difficile !
Mélody (sérieuse) : Mais non, elle est réaliste, elle a compris que l’adjectif ne lui convenait pas
exactement…(Sheila fait les gros yeux, peinée)
Eve (en colère) : Mélody, va prendre l’air !
Mélody (saluant comme un militaire) : A vos ordres, commandant !
(Elle sort)
Sheila (triste) : Là, elle était pas vraiment marrante…Pourquoi elle se casse pas chez elle ?
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Clémence : Sa voiture est chez le garagiste, c’est tante Yvette qui lui sert de chauffeur…D’ailleurs, il
faudrait peut-être veiller à ce que la tante lâche un peu la bouteille de champagne…On n’a pas besoin
d’un accident de voiture aujourd’hui !
Eve (réconfortant Sheila) : Ne t’occupe pas de ce que dit Mélody, c’est la cérémonie…elle était
bouleversée à l’enterrement…
Clémence : Ah bon ?
Eve : Alors, Sheila, comment occupes-tu tes journées maintenant ?
Sheila : Je travaille dans une crèche, c’est l’horreur ! (Se tournant vers Eve) Ces gosses sont pires que
les tiens ! Ils tiennent pas en place tes gamins : ils sont tous hyperactifs ? Tu sais, il paraît que ça se
soigne : à la crèche, il y a un gosse…
Eve (la coupant) : Mes enfants ne sont pas du tout hyperactifs, ils sont simplement très éveillés pour
leur âge !
Sheila : Surtout celui est malade…c’est dans le décolleté de la serveuse qu’il a failli gerber tellement il
la reluquait ! Elle allait lui coller une taloche quand…(Voyant les gros yeux d’Eve) il a…il a…quand le
problème est arrivé…sur le canapé…
Clémence (à Eve) : Ah, tu vois, maman n’a pas de problèmes avec ses petits-fils, ce sont eux qui ont
des problèmes avec les adultes !
Eve (vexée) : Ils n’en ont pas avec leurs parents ! (Elle quitte la scène)
Clémence (la suivant) : Eve, ne sois pas fâchée, je plaisantais ! (Elle quitte la scène)
Sheila (courant derrière Clémence) : Attendez-moi les filles, vous savez que j’aime pas rester toute
seule ! J’ai besoin de quelqu’un pour causer !
Mélody (entrant) : Qu’est-ce qu’elle a à courir celle-ci ? Elle a repéré le prochain numéro ?
Scène 7 : Mélody, Sophie
Mélody reprend son travail sur ordinateur, sa mère entre dans la cuisine et sort des bouteilles d’un
placard.
Sophie : Ta cousine est d’une vulgarité !
Mélody : Tu me fais ce genre de remarques sur Sheila à chaque enterrement ou mariage dans lequel tu
la croises. Il faudrait peut-être que tu progresses dans tes analyses psychologiques…
Sophie : Je n’ai rien dit à la dernière cérémonie, quand elle a épousé son quatrième mari ! Quel abruti
celui-là ! Lui aussi, il ferait bien de rester discret…Elle, elle est incapable de faire une phrase sans
prononcer une grossièreté et lui, il est incapable de faire une phrase…tout court !
Mélody : Qu’est-ce qu’elle a dit pour te mettre dans un état pareil ?
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Sophie : Elle s’est approchée du prêtre et lui a demandé : « Ca gaze mon père ? » Elle est complètement
folle ! Elle croit parler à son prochain mari ?
Mélody : Elle a dû boire un verre de trop. Si tu ne régalais pas tous ces pique-assiettes avec tes
meilleures cuvées, il n’y aurait pas ce genre de débordements verbaux dans le salon.
Sophie : A propos de débordements, tu as vu dans quel état cet imbécile de Victor a mis mon canapé ?
Au lieu d’avaler tout ce qui était à sa portée, il aurait dû continuer à se concentrer sur sa petite amie…Et
Eve qui le défend bec et ongles… C’est lamentable !
Mélody : Elle ne le défend pas, elle joue son rôle de maman en le protégeant de tes mots doux…
Sophie : En plus, Sheila s’en est mêlée et m’a demandé d’arrêter (accentuant le mot) « d’engueuler le
gamin »…Quel langage ! Tu sais ce que je viens d’apprendre par tante Yvette ? Le premier mot qu’elle
a prononcé a été « con » et non « papa » ou « maman », tu te rends compte ?
Mélody (arrêtant de travailler) : Je me rends compte que tante Yvette a, comme d’habitude, rempli son
rôle de pourvoyeuse de ragots ! Elle serait capable de dire du mal de Dieu en arrivant devant SaintPierre ! Quant à Sheila, elle avait jugé son père à sa juste valeur…
Sophie (s’asseyant) : Dis donc, tu n’es pas mal non plus en matière de ragots ! Pourquoi juges-tu ton
oncle aussi sévèrement ?
Mélody : Papa nous a abandonnées pour connaître des champignons, Jacques a laissé tomber sa famille
pour aller sauver les orphelins…Ils ne peuvent pas se renier les frangins ! Ils ont même poussé le
mimétisme jusqu’à mourir le même jour, à trois ans d’intervalle…C’est presque fascinant…(Elle
reprend son travail)
Sophie (Après un silence, doucement) : C’est Jacques qui était fascinant…
Mélody : Pardon ?
Sophie (désabusée, un verre à la main) : Oui, Sheila a raison, son père était un con…C’est d’ailleurs
peut-être la seule chose intelligente jamais prononcée par ta cousine…Il était con mais…qu’est-ce qu’il
était beau ! (Après un bref silence) Tu as ses yeux !
Mélody (arrêtant de travailler) : Tu parles de qui exactement ? De papa ou de Jacques ?
Sophie (doucement) : Jacques était beau comme un Dieu et il t’a donné ses yeux…Et ton caractère, pas
toujours facile !
Scène 8 : Une adolescente, Mélody, Sophie
Une adolescente entre : très maquillée, elle est vêtue en sombre, porte de nombreux bijoux.
L’adolescente : Pardon mesdames de vous déranger : je cherche Victor, vous savez où il est ?
Sophie (sérieuse) : Victor est parti avec son copain Hugo à Paris pour visiter Notre Dame !
L’adolescente (gênée) : Heu…Je crois que j’ai pas bien compris…Il est où exactement ?
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Sophie (à Mélody) : Tiens, encore une qui a raté le test de culture générale…Il faut vraiment que Victor
arrête de nous ramener des dindes à la maison !
L’adolescente : Vous avez dit qu’il s’appelait comment le copain de Victor ?
Mélody (énervée) : Victor n’est pas à Paris, il est dans la salle de bains : il avait besoin de se laver ! Tu
as compris où il faut te le redire en verlan ?
L’adolescente (s’éloignant) : Non, non, j’ai compris et…merci du renseignement ! (En aparté) Elles
sont bizarres ces femmes…
Scène 9 : Sophie, Mélody
Sophie : Tu aurais pu être un peu plus aimable avec la petite amie de ton neveu !
Mélody (furieuse) : Aimable ? Tu me balances que je suis une enfant illégitime et…
Sophie (la coupant) : Tout de suite les grands mots…Qu’est-ce que tu es excessive ! Et ne sois pas
vulgaire comme Sheila !
Mélody : Je ne suis pas aimable, je suis excessive, je suis vulgaire…Que de défauts…hérités de
(accentuant le mot) papa ?
Sophie : Calme-toi ma petite !
Mélody : Mais tu te rends compte de ce que tu viens de m’avouer ? L’homme qu’on vient d’enterrer
n’était pas mon père biologique mais je dois rester calme…
Sophie (soulagée, se levant) : Exactement, tu as tout compris ! Je ne savais pas comment et quand te
l’annoncer, c’est fait, je suis soulagée ! Allez, je te laisse, je vais rejoindre mes invités. (Elle se dirige
vers les coulisses)
Mélody (lui barrant le passage) : Tu plaisantes ? Tu m’annonces que Jacques était mon père, que cette
imbécile de Sheila est ma sœur et tu te sauves ? Je ne vais pas te laisser partir aussi facilement…
Sophie : Sheila est ta (accentuant les mots) demi-sœur. Les gènes de la bêtise viennent de sa mère…
C’est pour cela que son père a délaissé cette idiote pour moi…
Mélody (tournant en rond) : Je n’arrive pas à le croire, c’est un cauchemar, je vais me réveiller…
(S’approchant brusquement de sa mère) Et elle a duré longtemps, votre liaison ?
Sophie (d’une voix douce) : Oh non, sois rassurée, ce fut une brève aventure…Un moment
d’égarement…Nous nous sommes retrouvés seuls, un week-end, sans conjoints, en voyages
professionnels, sans enfants, tous chez leurs grands-parents…On a craqué…sur une symphonie de
Beethoven…(Parlant avec enthousiasme) C’est pour cela que tu t’appelles Mélody, tu as été conçue sur
une magnifique musique et…
Mélody (la coupant et se bouchant les oreilles) : Ah non, épargne-moi les détails ! Je déteste mon
prénom depuis que je suis gamine et après ce que tu viens de m’annoncer, je n’ai plus qu’une envie :
aller dans un bureau de l’état-civil pour changer d’identité !
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Sophie (lui ôtant les mains des oreilles) : Et qu’est-ce que tu diras à l’employée ? (Prenant une voix de
petite fille) « Bonjour madame, j’ai été conçue sur de la musique donc je m’appelle Mélody mais
comme les filles naissent dans les roses, je voudrais m’appeler…Rose ! » (Elle rit)
Mélody (furieuse) : Je ne trouve pas cette situation très drôle !
Sophie : Oh, tu ne vas pas me faire un drame pour une histoire qui n’a duré que deux ans parce que ce
con a préféré aller soigner des gosses malades à l’autre bout de la planète ! Chez nous aussi, les gosses
sont malades, le trou de la Sécu ne s’est pas creusé tout seul !
Mélody (horrifiée) : Deux ans ! Cela a duré deux ans ? Mais tu m’avais dit que ça n’avait été qu’une
brève aventure !
Sophie (se remaquillant) : Deux ans sur…60 ans et quelques poussières, c’est bref !
Mélody (criant) : Sors d’ici, je ne veux plus te voir !
Sophie : Cela va être difficile de me jeter dehors parce que je te rappelle que je suis chez moi !
(S’éloignant vers les coulisses) Allez, je vais te faire apporter de l’alcool, ça t’aidera à digérer
l’information…(En aparté) Je crois que je me suis bien débrouillée là…
(Elle sort)
ACTE II
Scène 1 : Un prêtre, Mélody
Un prêtre entre dans la cuisine, une bouteille de vin à la main. Mélody est assise, l’écran de son
ordinateur est replié, elle s’essuie les yeux.
Le prêtre (d’un ton grave) : Votre maman m’a demandé de venir vous voir et…
Mélody (lui coupant la parole et montrant la bouteille) : Un prêtre avec un bordeaux millésimé à la
main, pas mal le vin de messe !
Le prêtre : « Bonum vinum laetificat cor hominis »
Mélody : Désolée, je n’ai pas choisi le latin à l’école…j’ai toujours préféré ce qui était vivant !
Le prêtre (s’asseyant) : « Le bon vin réjouit le cœur de l’homme » mais, rassurez-vous mademoiselle,
cette bouteille ne m’est pas destinée, elle est pour vous…Et d’ailleurs, (Regardant l’étiquette) ce n’est
pas un bordeaux millésimé mais un petit Cabernet Sauvignon, de la région de Pauillac, je crois…
Mélody (émet un sifflement admiratif) : Ma mère aurait donc engagé le seul prêtre œnologue de la
région ? Elle est vraiment pleine de surprises !
Le prêtre : Votre cœur est empli de colère ma fille et…
Mélody (lui coupant la parole) : Ah non ! Je vous interdis de m’appeler « ma fille » ! Je viens de
découvrir que mon géniteur n’était pas mon père, que mon oncle est mon véritable géniteur, que mes
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deux sœurs ne le sont qu’à moitié et que mon imbécile de cousine est pratiquement ma sœur…alors un
troisième paternel en 15 minutes, c’est beaucoup !
Le prêtre : « Omne vivum ex ovo », « Tout être vivant provient d’un germe »…
Mélody : Justement, j’aurais aimé connaître plus tôt la variété de mon germe !
Le prêtre (d’une voix douce) : Vous avez raison, ma fille, de me livrer vos pensées : parler peut vous
soulager et vous permettre de retrouver toute votre sérénité.
Mélody (énervée) : Vous avez compris ce que je viens de vous expliquer ou il faut vous le répéter plus
lentement ? (Accentuant les mots) Je ne veux pas que vous m’appeliez « ma fille ». C’est le vin de
messe qui vous ramollit les neurones ?
Le prêtre : J’ai parfaitement compris votre…situation familiale.
Mélody (de plus en plus énervée) : Alors ne me demandez pas d’être sereine dans les 150 années qui
viennent ! Mon père n’est pas mon père, bon dieu ! (Après un bref silence) Pardon…
Le prêtre (toujours calme) : « Requiescat in pace », « Qu’il repose en paix ». Dieu vous met à
l’épreuve, il est normal que vous souffriez, cette souffrance vous est même nécessaire pour surmonter
cette révélation tardive et ô combien douloureuse.
Mélody : C’est pour ne pas entendre ce genre de discours que j’ai toujours fui les cours de caté quand
j’étais gamine…Soyez sympa, gardez ces bons mots pour vos ouailles du dimanche…
Le prêtre : Sachez que la parole fut également douloureuse pour votre maman.
Mélody (choquée) : Vous connaissiez la vérité ? Ma mère me cache mes origines et elle se confie à un
inconnu ?
Le prêtre (esquissant un sourire) : Je ne suis pas tout à fait ce qu’on appelle « un inconnu », votre
maman fréquente la paroisse depuis toujours et je la connais depuis mon arrivée, il y a 10 ans
maintenant.
Mélody : Et moi je la connais depuis une trentaine d’années ! Pourquoi ne m’a-t-elle pas parlé avant ?
(Avec un regard soupçonneux) Et vous, vous connaissez nos petits secrets depuis combien de temps
exactement ?
Le prêtre : Votre maman est venue se confesser lorsqu’elle a appris le décès de votre père…enfin de
l’homme qui vous a élevée…
Mélody (furieuse) : Ce n’était pas mon père et il ne m’a pas élevée… Il n’était pas là quand j’avais peur,
à la rentrée des classes ou quand j’ai été hospitalisée pour une mauvaise bronchite, il n’était pas là pour
fêter mes diplômes…Il ne m’a pas élevée ! (Après un bref silence) Il savait peut-être que je n’étais pas
sa fille !
Le prêtre : Sans trahir le secret de la confession, je peux vous certifier que votre maman n’a jamais rien
dit à personne, même votre oncle n’a jamais soupçonné le secret entourant votre naissance et…
Mélody (le coupant) : Le secret entourant ma conception, s’il vous plaît ! Ma naissance s’est déroulée le
plus normalement du monde…Enfin, peut-être que ma mère va surgir et m’annoncer que c’est une
cigogne qui m’a déposée devant sa porte !
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(Voix de Sophie en coulisse) : Attention à mon canapé !
Mélody : Ah ! Je constate que ma génitrice a retrouvé ses préoccupations quotidiennes…
Le prêtre (s’approchant de Mélody et lui posant la main sur l’épaule) : Sachez que je reste encore
quelques minutes dans votre demeure…
Mélody (le coupant) : C’est vrai que le buffet est excellent, il faut tout manger, ce serait…un pêché de
gaspiller !
Le prêtre (souriant) : Evoquer le pêché de gourmandise serait plus juste ma fi…, euh, mademoiselle. Je
reste à votre disposition si vous souhaitez ouvrir votre cœur.
Mélody : Là, tout de suite, je n’ai pas vraiment envie de me confesser au milieu d’un groupe de piqueassiettes prêts à écouter nos secrets de famille !
Le prêtre : Alors, la porte de mon presbytère vous est également ouverte. Vous pouvez venir n’importe
quel jour, à n’importe quelle heure… « Vae soli », « Malheur à l’homme seul »…
Mélody : Et tout cela est gratuit !
Le prêtre : Je vous demande pardon ?
Mélody : Vous me donnez un cours de latin et j’ai droit à une séance de psychothérapie gratuite. Vous
n’avez pas peur que les psy de la région vous accusent de leur faire de la concurrence déloyale ?
Le prêtre : Je constate que vous avez retrouvé votre humour légendaire : vous allez mieux !
Mélody (ouvrant son ordinateur portable) : Mon « humour légendaire » ? Je ne savais pas qu’on se
connaissait depuis si longtemps !
Le prêtre (baissant l’écran) : Faites un effort, ne travaillez pas aujourd’hui Mélody… « Dominus
vobiscum », « Le Seigneur soit avec vous ».
(Il sort)
Mélody : Amen ! (Après un bref silence) Il ne manque plus que l’arrivée de Dark Vador me disant :
« Je suis ton père ! »
Scène 2 : Mélody, Eve
Eve entre, son visage est grave, elle porte des plats vides.
Mélody (se servant un verre de vin) : Les goinfres ont tout mangé ?
Eve (sur la défensive) : Tu parles de qui exactement ?
Mélody : De tous ces pique-assiettes que je ne connais pas et qui tardent à repartir !
Eve (soulagée) : Ah, les invités…
Mélody (agressive) : De qui veux-tu que je parle ?
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Eve (s’asseyant) : J’ai cru que tu parlais…laisse tomber, c’est rien ! Ecoute, à propos de ce que disait
Sheila tout à l’heure, je voudrais savoir…
Mélody (sur le ton de la confidence) : Sois gentille, Eve, ne me parle pas de Sheila. Si tu pouvais la
retenir dans le salon ou, mieux, la mettre dehors, je t’en serais très reconnaissante !
Eve : Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?
Mélody (se servant un deuxième verre) : Ce n’est pas ce qu’elle fait qui me gêne, c’est ce qu’elle est :
une coureuse d’hommes qui a hérité des gènes d’intelligence de sa mère mais qui n’a pas eu les yeux et
le caractère de son (accentuant le mot) papa, alors que moi je les ai reçus !
Eve (s’énervant) : Ecoute, je ne comprends rien à ce que tu dis (Lui ôtant le verre des mains) et arrête
de boire, il faut qu’on discute et le sujet est grave !
Mélody (s’énervant) : Qu’est-ce que vous avez tous aujourd’hui ? Pourquoi voulez-vous tous discuter
avec moi, hein ? Qu’est-ce que tu veux me dire toi ?
Eve (affolée) : Mais ne sois pas agressive s’il te plaît !
Mélody : Tu veux m’annoncer que maman n’est pas ta mère, que tes gosses sont les fils du curé et que
ton mari vient de Pluton ?
Eve (affolée) : Mais tu es devenue folle !
Mélody (se radoucissant et reprenant son verre) : Ou alors, tu as parlé avec maman et son nouveau
copain, expert en latin, et tu viens me signifier, officiellement, que je n’appartiens plus à la famille ?
Eve (ôtant encore une fois le verre des mains de sa soeur) : Tu as bu combien de verres exactement ?
Mélody : Je m’apprêtais à boire le deuxième quand tu as surgi et, (Se calmant) rassure-toi, je n’ai jamais
eu autant les pieds sur terre qu’aujourd’hui…Allez, excuse-moi et oublie mes questions…Pourquoi
voulais-tu me parler de Sheila ?
Eve (gênée) : Elle a prononcé une phrase blessante et je voulais en discuter avec toi…
Mélody : C’est à propos de ce qu’elle a dit sur tes enfants ? Elle ne voulait pas te faire de la peine, elle a
juste dit qu’ils étaient un peu…remuants…
Eve (agacée) : Mais non, il ne s’agit pas des petits, j’ai l’habitude d’entendre des réflexions sur leur
prétendue hyperactivité…Je voulais te parler d’un fait plus grave…
Mélody : Vas-y, parle ! (Eve reste silencieuse, la tête baissée, Mélody s’énerve) Je t’écoute !
Eve : C’est toi qui avais enfermé Youki dans la malle contenant ma collection de poupées Barbie ?
Mélody : Pardon ?
Eve : C’est à cause de toi que j’ai retrouvé mes poupées en miettes ?
Mélody (très étonnée) : C’est de cela dont tu voulais absolument me parler ?
Eve (haussant le ton et croisant les bras d’un air menaçant) : Absolument ! Il faut régler cette histoire !
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Mélody (furieuse) : Tu prends ta tête de mama sicilienne, assoiffée de vengeance, pour une histoire
vieille de 30 ans ?
Eve (en colère) : C’était il y a 28 ans et 8 mois, je me souviens très bien de la date…Les voisins étaient
en vacances en Amérique et c’est pour cela qu’on gardait leur chien !
Mélody : Mais on s’en fiche de la date ! Tu deviens hystérique pour une histoire de poupées, il y a
prescription, tu ne crois pas ?
Eve (toujours en colère) : J’adorais ces poupées mais toi tu t’en fichais car tu as toujours été égoïste !
Mélody : Mais c’était une blague, stupide, comme toutes les blagues de gosses ! En tant que mère de
famille nombreuse, tu devrais comprendre non ?
Eve : Moi, ça ne m’a pas fait rire ! Et laisse mes enfants en dehors du problème !
Mélody : Mais il n’y a pas de problème…C’étaient des poupées, il y a des choses plus graves dans la
vie, non ?
(Voix de Sophie en coulisse) : Attention à mon canapé !
Eve : Ma collection avait une grande valeur ! Tu as voulu t’amuser en me faisant de la peine, tu n’as
pensé qu’à toi ! Tu t’es toujours montrée individualiste…comme papa !
(Elle sort)
Mélody (se levant et criant vers les coulisses) : Tu ne crois pas si bien dire ! (Après un bref silence) Et
là, la serveuse va arriver en disant « Vous aimez pas les réunions de famille, comme c’est bizarre » (Se
tournant encore vers les coulisses) Ce n’est pas une bizarrerie, ça s’appelle l’instinct de survie ! (Elle se
rassoit)
Scène 3 : L’adolescente, Mélody
L’adolescente (gênée) : Pardon de vous déranger encore une fois mais…
Mélody (la coupant) : Ne t’inquiète pas, j’ai compris qu’aujourd’hui l’humanité entière allait me
déranger ! Qu’est-ce que tu veux ? Tu n’as pas retrouvé mon neveu ?
L’adolescente (s’asseyant) : Si, justement, il était bien dans la salle de bains et il m’a demandé de
foutre le camp parce que je le dérangeais ! (Elle sanglote) Il veut que je vienne pour me présenter à sa
famille et après il m’envoie balader…
Mélody (en aparté) : Tiens, ça manquait une crise de larmes aujourd’hui ! (A l’adolescente) Ne pleure
pas, il s’est fâché parce qu’il était honteux de sa crise de foie, voilà tout…Il devait être en train de se
changer et il ne voulait pas être vu....
L’adolescente (essuyant ses larmes) : Oh, je l’ai déjà vu torse nu ou en caleçon, je suis pas une
étrangère !
Mélody : Oh…un petit conseil ma cocotte, si tu ne veux pas finir pendue en haut d’un réverbère, ne dis
surtout pas à ma sœur que tu as déjà vu son fils aîné dénudé !
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L’adolescente (reniflant) : Victor dit toujours que, dans sa famille, ce sont les femmes qui décident de
tout alors si votre sœur m’aime pas…il va me larguer !
Mélody : C’est surtout l’idée que son fils puisse grandir qu’elle n’aime pas (Lui tendant un mouchoir)
Allez, sèche tes larmes et va vite rejoindre Victor…
L’adolescente (séchant ses larmes) : Je sais pas quoi faire, il a quand même été méchant…
Mélody (agacée) : Tu sais, il est comme les femmes de cette famille, il a un caractère…qui n’est pas
facile ! Tu t’habitueras…enfin, il paraît que les autres ne se sont pas habituées…
L’adolescente (retrouvant son dynamisme) : C’est vrai que sa grand-mère n’est pas commode. Au
début, je la trouvais cool avec ses tenues colorées mais depuis qu’elle a hurlé sur Victor, je la trouve
moins sympa…C’est qu’un canapé quand même, en plus il est moche son truc ! On dirait un zèbre…
Mélody : On a tous pensé à l’image de la vache, on n’avait pas pensé au zèbre ! En même temps, un
zèbre avec des grosses taches, c’est pas courant…Ca fait longtemps que tu n’es pas allée dans un zoo ?
L’adolescente (s’approchant de l’ordinateur) : Je vais pas dans les zoos parce que c’est rempli
d’animaux malheureux…Vous faites quoi là ? Je peux regarder ?
Mélody : Non, tu ne peux pas regarder !
L’adolescente (riant) : Pourquoi ? Vous regardez des sites avec des mecs à poil ?
Mélody (sèchement) : Pas du tout, je n’ai plus 14 ans moi ! (L’adolescente hausse les épaules, vexée)
Pour répondre à ta question, je travaille, enfin j’essaye…
L’adolescente : Vous travaillez ? C’est bizarre de bosser après avoir enterré son père…
Mélody (soufflant) : Je suis au courant, merci !
L’adolescente : Ben alors, pourquoi vous travaillez ? Vous êtes glauque, vous…
Mélody (se levant et rangeant ses affaires) : Bon, comme j’ai l’air de déranger les traditions, je crois
que je vais aller travailler aux toilettes, je ne choquerai plus personne et en plus, il y aura du papier si
j’ai besoin d’écrire !
(Elle sort)
L’adolescente : Oh la famille déjantée ! La serveuse a raison…
Scène 4 : L’adolescente, la serveuse
La serveuse entre, un plateau vide à la main.
La serveuse : Il y a ton copain qui te cherche, il a pas l’air content !
L’adolescente (furieuse) : Eh ben il attendra ce bouffon ! (Se radoucissant) Vous avez raison, elles sont
cinglées les femmes de cette famille : celle qui travaille avec son ordi, elle veut aller se planquer dans
les toilettes pour pas qu’on la dérange ! Elle est grave, elle !
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La serveuse : Celle-là, c’est la pire ! Tout à l’heure, elle voulait m’envoyer travailler chez les croquemorts sous prétexte que j’aime le noir ! En plus, elle sait même pas combien elle a de neveux, j’ai
jamais vu ça, moi ! Pourtant, j’en ai déjà rencontré des familles avec des drôles de manies…
L’adolescente (inquiète) : En plus, elle m’a dit que j’allais être pendue en haut d’un réverbère…Oh , je
crois que je vais me casser d’ici ! Des fois, dans les films, on voit des familles qui ont l’air normales
comme ça, dans leurs belles maisons, avec leurs beaux vêtements, et en fait ce sont des tueurs : ils tuent
tout le monde dès que la nuit tombe !
La serveuse (riant) : Pour l’instant, j’ai pas vu de haches ou de poignards. Moi, je repars pas tout de
suite et…pas toute seule : j’ai repéré un grand brun à lunettes et (Souriant) je veux que ce soit lui qui
me ramène, si tu vois ce que je veux dire…
L’adolescente : Faites ce que vous voulez mais venez pas vous plaindre après avoir été assommée,
poignardée, étranglée et découpée !
La serveuse : Ne t’en fais pas, je me plaindrai pas…
(L’adolescente sort précipitamment et croise Sheila)
Scène 5 : La serveuse, Sheila
La serveuse (se servant un verre) : Tiens, on était en train de parler de vous, enfin de votre famille…
Vous êtes qui par rapport à celle qui a plein de gosses et sa soeur, là, qui couche avec son ordinateur
portable ?
Sheila (choquée) : Ce sont mes cousines et Mélody ne couche pas avec son ordinateur !
La serveuse : Ah oui, c’est vrai, elle va juste s’enfermer dans les toilettes avec lui !
Sheila : Ah bon ? Bizarre…Mélody est plutôt une fille normale, calme, pas du tout fofolle comme sa
mère !
(Voix de Sophie en coulisse) : Attention à mon canapé !
La serveuse : C’est vrai qu’elles sont bizarres les nanas chez vous…enfin, pas vous bien sûr ! Je
comprends pourquoi le mort n’a plus donné signe de vie !
Sheila : Mes cousines ne sont pas bizarres, elles ont chacune leur caractère, c’est tout ! J’ai passé de
supers moments avec elles quand on était gamines…On jouait, on allait se promener, c’était bien ! Moi,
j’ai jamais eu de frères et sœurs et elles, elles étaient comme mes sœurs, surtout Mélody…Elle a
toujours été ma préférée…Elle, c’était la spécialiste des blagues !
La serveuse (surprise) : Celle qui est collée à son ordi ? J’ai dû mal à l’imaginer en train de préparer
des farces…
Sheila : Oh si ! Elle était drôle…Elle kidnappait les chiens des voisins et leur accrochait des casseroles
à la queue, elle coupait en morceaux les poupées de ses sœurs, elle mettait du poil à gratter dans nos
vêtements pendant qu’on dormait…Elle était forte, elle se faisait jamais punir par sa mère, elle
l’embobinait toujours pour rejeter ses conneries sur quelqu’un d’autre !
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La serveuse (sarcastique) : Ah oui, que de bons souvenirs ! Eh, dans la série « bizarre », il paraît qu’il y
en a une dans la famille qui collectionne les maris comme on collectionne les ours en peluche…C’est
une chanceuse celle-là, moi j’aimerais bien commencer la collection !
Sheila (fière) : Ah oui, c’est moi !
La serveuse (gênée) : C’est…vous ?
Sheila : Oui, je me suis mariée pour la quatrième fois l’automne dernier. C’était une belle fête et
d’ailleurs pour mon prochain mariage, je t’engage !
La serveuse : Heu…on se tutoie ?
Sheila : Ben ouais, j’aime bien me faire des nouvelles copines pendant les enterrements parce que,
pendant mes mariages, j’ai pas le temps ! (Elle rit)
La serveuse : Vous pensez…euh tu penses déjà à ton prochain mariage ?
Sheila : Oh oui…Comme dit ma mère : « Tant que Sheila n’a pas son Ringo, elle n’est pas complète » !
La serveuse : Ringo ? C’est qui Ringo ?
Sheila (très surprise) : Tu connais pas Sheila et Ringo ? (Commençant à chanter ) « Laisse les gondoles
à Venise, le Printemps sur la Tamise, on n’ouvre pas les valises, on est si bien… »
La serveuse (gênée) : Désolée, je connais pas…C’est un rap remixé ?
Sheila (haussant les épaules) : Mais non, Sheila et Ringo étaient des chanteurs du siècle dernier : ils se
sont mariés le 13 février 1973, à 13H13 dans le 13° arrondissement de Paris, c’est trop romantique…
(Elle chantonne en dansant devant la serveuse médusée) : « Comme les rois mages, en Galilée,
suivaient des yeux l’étoile du berger… » T’as jamais entendu ce tube ?
La serveuse : Désolée, je suis pas très forte en histoire mais je crois qu’à l’école on m’a parlé du roi
mage Louis XIV…
Sheila (continuant à chanter) : « Je te suivrai, où tu iras j’irai, jusqu’à destination…. » (Arrêtant de
chanter) Ma mère adore Sheila et Ringo, c’est pour cela que je m’appelle Sheila. Donc, tant que j’ai pas
trouvé mon Ringo, je continue à chercher ! (Elle rit)
La serveuse : Ben heureusement que ta mère écoutait pas les Beatles parce que porter le prénom
«Beatles », ça doit pas être commode tous les jours ! Au fait, elle a eu des gosses ta chanteuse ?
Sheila : Le petit Ludovic est né en avril 1975…mais, malheureusement, en 1977, une terrible tragédie
est arrivée…
La serveuse (choquée) : Le gamin est mort ?
Sheila : Mais non, Sheila et Ringo se sont séparés !
La serveuse (rassurée) : Ah ! Ben, c’est ce que font plein de gens…comme toi, non ? Et toi au fait, t’as
des gosses ?
Sheila (horrifiée) : Des marmots ? Oh non, quelle horreur ! C’est pas parce que je m’appelle « Sheila »
que je dois tout faire comme elle…
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La serveuse : Je te parle des enfants parce que, ta cousine qui a plein de gosses, elle est un peu
dépassée, elle…Elle est toujours en train de leur courir après et elle les rattrape jamais…Elle les
entraîne pour un marathon ?
Sheila : La pauvre Eve a dû mal avec ses gamins… (Elle chantonne) « Eve, lève-toi tes enfants ont
grandi… ». C’est pour ça que, moi, j’achète des chiens ! Après chaque mariage, je me paye un nouvel
animal…
La serveuse : Et t’en as beaucoup ?
Sheila : Ben quatre, comme les mariages ! J’ai (comptant sur ses doigts) un doberman, un épagneul, un
saint-bernard et un yorkshire !
La serveuse : Mais il est tout petit ce chien…Il a pas peur des trois autres ?
Sheila : Non, t’en fais pas pour lui et il est petit parce que j’achète toujours des chiens qui ressemblent à
mes maris : le dernier mesure 1,65 mètre alors j’ai choisi un yorkshire…Je l’ai acheté aux enchères sur
internet mais j’ai été arnaquée…
La serveuse (choquée) : T’as acheté ton mec sur internet ?
Sheila (riant) : Mais non, t’es bête…je parle du chien !
La serveuse (rassurée) : Ah bon…et c’est pas un chien de race ton york ?
Sheila : Oh si, c’est un vrai yorshire depuis 6 générations…mais…il a que trois pattes…Alors que sur
la photo, on en voyait quatre, j’en suis sûre !
La serveuse : N’empêche qu’un chien, quel que soit son nombre de pattes, ça remplace pas un gamin !
Sheila : Oh non, moi je veux pas de gosses : ils râlent tout le temps, ils mangent rien, il faut leur acheter
des jouets, des vêtements…c’est chiant les gosses ! En plus, le matin, il faut se lever tôt pour les
emmener à l’école ! …(Elle chantonne à nouveau en prenant les mains de la serveuse dans les siennes)
« Donne-moi la main et prends la mienne, la cloche a sonné…. »
La serveuse (ôtant ses mains et l’interrompant) : Tes chiens, il faut bien les nourrir, il faut les
sortir...C’est aussi contraignant que des gamins !
Sheila : Oui, mais c’est pas pareil : un chien ça bouffe les restes, ça pisse tout seul et ça te traite pas de
« vieille » quand il atteint l’âge de 15 ans ! En plus, le soir, mes chiens viennent m’accueillir en me
faisant des léchouilles, ils sont toujours affectueux avec moi mes amours…
La serveuse : C’est sûr que l’ado, lui, il fera des léchouilles que pour avoir le code de la carte bancaire.
(Se levant) Bon, il faut que j’y retourne avant que ta tante n’arrive en hurlant…Elle aussi, elle aurait dû
acheter des chiens, elle a pas l’air d’aimer beaucoup les gamins.
(Elle sort)
Scène 6 : Sheila, Sophie, le prêtre
Sophie entre, accompagnée du prêtre.
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Sophie : Sheila, ton mari te demande, il ne trouve plus sa montre.
Sheila (d’un ton sec) : Et alors ? En quoi ça me regarde ? Je l’ai pas à mon poignet sa montre !
Sophie : Alors, ma grande, on est déjà en train de se lasser de son dernier mari ? Tu veux battre le
record du mariage le plus bref ?
Sheila : Pas du tout, mais j’aime pas quand Julien me demande de trouver les objets à sa place, le
numéro 2 faisait déjà ça et il est pas resté longtemps à la maison…Il a vite regretté de m’avoir demandé
de retrouver sa brosse à dents. Franchement, une brosse à dents, à part le frigo, je vois pas où ça peut
être, il était nunuche celui-là !
Le prêtre : Ah oui…le frigo…c’est logique…A propos de frigo, je boirais bien un petit coup moi…
Sophie : Et le dernier numéro, le complémentaire, il est plus intelligent lui ?
Sheila : C’est pas le même genre : lui il est gentil avec les chiens, il les frappe pas dès que j’ai le dos
tourné, comme le faisait le numéro 3 !
Le prêtre : Quand vous parlez de vos différents époux, on a l’impression d’entendre un extrait d’un film
avec James Bond. Tous ces numéros rappellent les méchants qui se succèdent et que l’espion doit
éliminer…
Sheila (fière) : Oh non, mes maris ce ne sont pas les méchants, ce sont les beaux espions comme James
Bond, l’agent 700 !
Sophie (au prêtre) : Les espions, ils ne passent pas des tests d’intelligence avant d’être recrutés ?
Sheila : Allez, je vous laisse, il faut que j’aille vérifier si Roxy est toujours bien attaché dans le jardin…
Sophie : Tu as raison de vérifier car, la dernière fois que j’ai vu ton mari, il salissait mon nouveau
canapé avec son postérieur…
( Sheila sort)
Scène 7 : Sophie, le prêtre
Le prêtre : Madame Sophie, ce n’est pas très gentil ce que vous venez de dire à votre nièce…Les tests
d’intelligence, la comparaison avec le chien…Vous n’êtes pas tendre avec la famille vous !
Sophie : Ne vous inquiétez pas, elle n’a pas compris ; d’ailleurs cette fille ne comprend jamais rien et
surtout pas les blagues qu’on fait à ses dépens. C’est ça qui est drôle avec elle : on peut faire travailler
son sens de l’humour sans la blesser, on continue à faire fonctionner son cerveau en trouvant des bons
mots pendant que le sien s’assèche…enfin si elle a un cerveau ! Sa mère n’en avait pas, c’est peut-être
génétique !
Le prêtre : Oh ! Non seulement vous n’êtes pas tendre mais vous êtes même une vraie carnassière
vous ! Et puis, si vous voulez occuper votre cerveau, vous n’avez qu’à faire des mots croisés, c’est bien,
ça, les mots croisés, ça détend !
Sophie : Je déteste les mots croisés, c’est pour les vieilles ça !
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Le prêtre : Sans vouloir vous offenser, Madame Sophie, je crois que ça fait un bail que vous avez fêté
vos 20 ans ! (Il se sert à boire et s’installe confortablement) Ils ne vous attendent pas vos invités ?
Sophie : Ne vous inquiétez pas, je peux finir les fonds des bouteilles, tous les voisins et amis sont
repartis : il ne reste plus que les filles et leur cousine. Je suis certaine qu’elles ont plein de bons
souvenirs à se raconter…Enfants, elles étaient inséparables !
Le prêtre : Ben, c’est bizarre parce que là, on a plutôt l’impression qu’elles se font la tête…même vos
petits-enfants ont l’air triste, ils ne jouent même pas avec leur mamie !
Sophie (s’énervant) : Arrêtez de m’appeler « mamie » ! Le hasard a voulu que je devienne grand-mère
mais je ne suis pas une (accentuant le mot) « mamie » ! Je fais parti du troisième âge, pas du
cinquième ! Et je n’ai pas envie de jouer avec ces gosses mal élevés !
Le prêtre : Si j’ai un conseil à vous donner…
Sophie : Je n’ai pas besoin de conseils !
Le prêtre (haussant la voix) : Je vais vous le donner quand même : ayant choisi la voie de Dieu, je
n’aurai pas d’enfants, enfin…pas officiellement, je mourrai donc tout seul…Vous avez une famille,
Madame Sophie, soyez plus aimable avec elle, notamment avec votre petit-fils malade…
Sophie : Oh, ce goinfre sur pattes a eu ce qu’il méritait, je ne comprends pas que sa mère le laisse autant
manger ! Il va avoir un taux de cholestérol inversement proportionnel à son Q.I…Je ne vais quand
même pas expliquer à Eve comment elle doit élever ses fils !
Le prêtre: En effet, ce ne serait pas une bonne idée…D’après ce que je vois depuis mon arrivée, ce
serait même un risque de déclenchement de troisième guerre mondiale…
Sophie (outrée) : Vous exagérez un peu…
Le prêtre : Parlez avec vos filles, intéressez-vous à leurs vies, à leurs métiers…
Sophie : Je n’ai pas envie !
Le prêtre : Mélody est effondrée depuis votre révélation, je n’ai pas réussi à la calmer…Il paraît qu’elle
s’est enfermée dans les toilettes, allez la voir !
Sophie : Je n’ai pas envie !
Le prêtre : Je vous en prie, Madame Sophie, faites-la sortir des toilettes…j’ai une envie pressante !
Sophie : Comment on fait pour être proche de ses enfants ?
Le prêtre : C’est à moi que vous posez la question ? Ben…je suppose que vous devez trouver des
passions communes, vous avez déjà une vie en commun, ça ne devrait pas être difficile non ?
Sophie (soufflant) : Si c’est difficile ! (Réfléchissant) Ah, j’ai trouvé ce que nous avons en commun !
Le prêtre : C’est bien ! Vous voyez que vous pouvez être une bonne maman quand vous vous donnez
un peu de peine. Alors, qu’avez-vous en commun avec vos filles ?
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Sophie (avec un air triomphant) : Nos gènes ! Elles sont belles, intelligentes, elles ont fait de grandes
études : elles ont hérité de mes meilleurs gènes !
Le prêtre (embarrassé) : Je pensais pas exactement à cela mais si ça peut vous donner confiance…
Sophie : Merci de m’avoir ouvert les yeux ! Je vais aller voir mes filles tout de suite ! (Elle sort
rapidement)
Le prêtre (A Sophie) : Et demandez à Mélody de sortir des toilettes ! (Au public) Il est diurétique le jus
de pommes maison, j’aurais dû rester au Bordeaux, faut pas faire de mélange !
Pour obtenir le dernier acte, contactez-moi :
[email protected]
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