joseph, le charpentier

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joseph, le charpentier
JOSEPH, LE CHARPENTIER
Dans l’église de ma paroisse, il y a une statue de saint Joseph de la fin du
19 siècle. Le saint y est représenté avec un grand ciseau à bois. L’artiste qui a
réalisé cette statue a voulu ainsi donner à Joseph une marque de charpentier ;
c’est une manière de rendre hommage à un travailleur, de le distinguer des
autres.
En consacrant ce numéro de Sklerijenn à Marie, nous ne pouvions faire
silence sur Joseph, son époux. Et pour le découvrir, allons donc vers la source :
les Evangiles.
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Pour nos quatre évangélistes, il y a accord sur un point : lorsque Jésus
commence sa prédication sur les routes de Galilée, les gens s’étonnent : « N’est-il
pas le fils du charpentier ? » (Luc 4,22 ; Jean 6,42). Joseph a donné un nom, une
patrie, un métier au Fils de Dieu. Nous dirions avec nos mots d’aujourd’hui : c’est
sa carte d’identité nationale !
Mais allons un peu plus loin dans cette découverte.
Saint Marc, qui commence son évangile par la prédication de Jean dans le désert
suivie du baptême de Jésus dans le Jourdain, ne parle pas de Joseph ni de
l ‘enfance de Jésus.
Saint Luc parle discrètement de Joseph (nous allons y revenir). C’est chez saint
Matthieu que nous découvrons le rôle-clé de Joseph dans l’évangile de l’enfance.
Chez saint Luc, Joseph apparaît à trois reprises :
L’ange Gabriel annonce à Marie la venue de Jésus. Marie est « une jeune
fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de
David » (Luc 1,27)
A cause du recensement lancé par Quirinius, « Joseph monta de la ville de
Nazareth en Galilée à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée,
parce qu’il était de la famille et de la descendance de David (Luc 2,4)
Enfin, il est présent lors de la visite des bergers au nouveau-né : « ils
trouvèrent Marie, Joseph et l’enfant couché dans l’étable. » (Luc 2,16)
Pour Luc, Joseph est celui qui rattache Jésus au roi David et quand
l’évangéliste déroule la généalogie du Christ, il commence ainsi : « Jésus était le
fils, ainsi le pensait-on, de Joseph, d’Elie, … ». et il remonte pour terminer ainsi :
« …de Seth, d’Adam, de Dieu. » (Luc 3, 23-28)
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Chez saint Jean, c’est l’identité de Jésus qui apparaît dès le début de son
évangile. Philippe qui a suivi Jésus rencontre Nathanaël et lui dit : «Celui dont
Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé : c’est
Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth ». Et Nathanaël lui dit : « Qu’est-ce qui
peut sortir de bon de Nazareth ? » (Jean 1, 45-46) Le ton est donné : Jésus, une
identité des plus banales pour un destin d’une tout autre nature ! Reprenons le
début de l’évangile de saint Jean pour nous en convaincre : « Et le Verbe s’est
fait chair et il a habité parmi nous… »
Chez saint Matthieu, le rôle de Joseph est de premier plan. Il est déterminé
par trois annonces de la part de Dieu.
Joseph permet d’abord au Messie d’avoir un nom (Mt 1, 21-25) ; il le protège
en le soustrayant ensuite à la colère d’Hérode (c’est la fuite en Egypte en Mt
2,14) ; il l’emmène enfin à Nazareth où Jésus va grandir (Mt 2, 23).
Comment est désigné Joseph par l’évangéliste ? C’est l’ « époux de Marie », « un
homme juste », le « fils de David ».
Il est d’abord désigné comme l’époux de Marie. Fiancé à celle-ci, ne menant pas
encore de vie commune avec elle, (à l’époque, les époux ne commençaient à
cohabiter qu’entre six mois et un an après la signature du mariage. C’est dans cet
entre-deux que Marie devient enceinte) il n’intervient donc pas dans la
conception de Jésus. Lorsque Marie est enceinte, il ne la répudie pas comme la
Loi le demande : il adopte une attitude « d’homme juste ». Homme juste, fait
de douceur, juste à cause de sa foi : il croit l’impossible –Marie enceinte sous
l’action de l’Esprit saint – et, obéissant, il se laisse guider en toutes choses,
permettant à Dieu de réaliser son destin. Joseph, fils de David : il reçoit
mission d’inscrire le Messie dans l’histoire du monde et du peuple d’Israël. Par lui,
l’autorité de David, berger devenu roi, passe à Jésus qui est annoncé comme le
prince de la paix, à l’opposé d’Hérode, le roi violent.
En définitive, de ce parcours évangélique, nous détachons l’image d’un Joseph,
qui, avec Marie, a tenu l’avenir de Dieu entre ses mains : il joue un rôle décisif
pour le destin du fils de Dieu dans le monde. Et il s’est fait discret. Cette prise
en charge de l’enfant Jésus à qui il donne une identité, à qui il apprend le sens du
travail dans son atelier de charpentier où « l’enfant grandissait, se fortifiait et
se remplissait de sagesse » (Luc 2, 40), fut pour Joseph une affaire de foi et de
responsabilité d’homme.
Et pour compléter ces quelques repères sur Joseph, je vous confie ce texte du
cardinal Etchegaray, ancien archevêque de Marseille, extrait de son livre
« J’avance comme un âne… » (Ed. Fayard)
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« Pauvre saint Joseph, la dévotion en a fait un personnage assis entre deux
chaises, difficile à classer, voué à jouer un rôle curieux de « comme si » il était
le père de Jésus ! Rien d’étonnant qu’il nous apparaisse alors décoloré, sous les
traits d’un vieux barbu, par crainte de laisser entrevoir le jeune amour qui
l’unissait à la Vierge Marie. Non, Joseph n’est pas une plante ornementale placée
à côté de Marie et Jésus pour la commodité d’un scénario prévu par Dieu : il est
en vérité l ‘époux de la Vierge Marie et le père de Jésus.
Il faut avouer qu’il n’est pas facile de caractériser cette paternité, qui
recouvre tout sauf la génération charnelle d’un enfant. Ce n’est pas seulement
devant la loi que Joseph était le père de Jésus, ni aux yeux de son village. Ce
n’est pas seulement à un rôle de « père nourricier » qu’il est cantonné.
La réalité est bien plus profonde. Dans l’intimité même de la « Sainte
Famille » à Nazareth, Joseph n’a jamais été considéré autrement que comme le
père de Jésus, ainsi qu’en témoigne le cri spontané de Marie retrouvant son
enfant au Temple : « Vois, ton père et moi… » (Luc 2,48). Et Jésus l’a regardé
comme son père tout au long des « années obscures » qui le préparent à sa vie
publique. Certes, Jésus, dans son ministère, se réfère avant tout à son « Père qui
est dans les cieux », à Celui dont il est le Fils de toute éternité. Mais le fait qu’il
est voulu appeler un homme du même qualificatif « abba, père », montre à quel
point le Verbe fait chair a été un enfant semblable aux autres.
Ici se révèle le mystère caché dans cette paternité humaine. L’artisan de
Nazareth n’a pu devenir le père de Jésus qu’en étant lui-même une image du Père
céleste : il laisse ainsi soupçonner son degré de sainteté. Nous devinons aussi
l’amour filial de Jésus qui pouvait si facilement contempler dans son père humain
l’expression la plus parfaite de la paternité divine.
Vraiment, qui parmi nous, dans l’imitation la plus authentique de Jésus,
pourrait oublier saint Joseph ? »
Pour aller plus loin, je vous conseille une lecture, celle d’un admirable
petit ouvrage intitulé « Célébration de la Paternité » (Ed. Albin Michel) sous
une double plume, celle de Sylvie Germain qui nous offre une méditation inspirée
sur le beau risque de la paternité, pleinement assumé par Joseph, et celle
d’Eliane Gondinet-Wallstein, historien d’art, qui nous offre dix peintures sur
saint Joseph avec un déchiffrage des gestes, des regards, de la symbolique.
Yvon Garel
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