Interview by Jean-Pierre Thizy, l`Agenda

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Interview by Jean-Pierre Thizy, l`Agenda
Interview by Jean-Pierre Thizy, L’Agenda, September 2011
Comment est née cette exposition à Saint-Etienne et à l’Assaut de la Menuiserie ?
C’est parti d’une invitation de Blandine il y a un an avec l’idée de réaliser une installation avec des
dessins et des murs peints. J’ai ensuite développé un projet.
Parlez-nous un peu de votre travail.
Le dessin est à la base de mon travail. Il peut m´amener à faire des installations, des vidéos, des
sculptures. J’aime travailler sur plusieurs projets, la plupart sont centrés sur l’image médiatique dans
notre société.
Vous n’avez pas encore 30 ans et vous avez déjà exposé dans différentes villes internationales.
Comment vous y êtes-vous pris ?
Je travaille non-stop dans mon atelier, j’ai le soutien de ma famille et chaque année des gens me
contactent par hasard.
Quel est le quotidien d’un jeune plasticien au Mexique ?
La plupart des artistes doivent bosser dans autre chose que dans l’art, c’est pourquoi il est très
difficile de travailler de manière continue sur des projets…
Je suis cependant parti très jeune du Mexique. La différence est que je n’ai pas besoin de grand
chose pour vivre, je n’ai pas d’appartement donc pas de loyer ni d’électricité ou de téléphone à payer
etc. je peux toujours revenir au Mexique et travailler chez mes parents. Jusqu’à présent je n’ai jamais
cessé de travailler dans l’art, je peux travailler nuit et jour.. mais il faut manger !
Actuellement le Mexique ne jouit pas d’une excellente image en France (avec les affaires
d’assassinats liés à la drogue ou l’affaire Florence Cassez). Qu’en pensez-vous ?
Il y a toujours eu des problèmes graves au Mexique, mais aujourd’hui plus que jamais, l’image de la
violence est devenue un business qui fait vendre beaucoup, c’est simple de convaincre un pays
d’accepter des lois et des gouvernements de contrôles quand vous lui faites croire qu’il vit sous le
joug des attaques terroristes, ce qui fut le cas après le 11 septembre. La guerre a toujours été le
meilleur moyen de booster l’économie… qui consomme le plus de drogues en Amérique ? Le Canada
et les Etats-Unis. Bien sûr, tout est obligé de passer par le Mexique, mais qui vend les armes à la
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mafia mexicaine ? Les Nord-Américains, mais ce sont des choses dont les media ne parlent pas, ce
qu’ils veulent vous faire croire, c’est que vous avez besoin de protection et la seule façon d’être
protégé est de mettre tout votre argent dans les impôts pour accroître le nombre de policiers,
développer l’armée et la technologie, les laisser pénétrer dans votre vie privée pour le soi-disant
« Ordre ».
Il y a toujours quelque chose derrière une image médiatique, les politiciens n’en ont absolument rien
à foutre de l’individu, ils pensent à la masse, ils ne se préoccupent pas de la culture ou de
l’éducation. C’est ce qui s’est passé avec l’Année du Mexique en France. Pour changer quelque chose
dans nos pays, nous devons d’abord changer l’ego de nos gouvernants.
Vos œuvres sont souvent « dessinées ». Pourquoi cette technique ?
Le dessin est une pratique qui permet d’utiliser toutes les techniques des Beaux-Arts (photo,
peinture, vidéo, sérigraphie…). Mais c’est avant tout une décision et une envie personnelles, c’est
mon point de départ, le dessin est comme une base, c’est une ligne qui existe depuis longtemps, ça
ne veut pas dire qu’elle se trouve uniquement sur le papier ; le dessin relie beaucoup de choses : bd,
animation video, performance, peinture, sculpture, installation…
Cette exposition aborde la thématique des « marques » et de leur emprise sur les consommateurs.
Pourquoi ?
Je m’intéresse à plein de sujets différents mais celui-ci m’importait beaucoup, puis j’ai reçu
l’invitation de la Menuiserie à venir faire un projet, donc j’ai pensé que c’était le bon moment pour le
traiter…
Vous allez travailler avec certains commerçants de la ville. Expliquez-nous ?
Le projet est né avec un artiste mexicain, Rolando Martinez, en observant ce phénomène où l’image
de la globalisation est hybridée par l’imaginaire local. Notre intérêt s’est porté sur la façon dont les
gens prennent et regardent les images pour les reproduire dans leur vie.
La marque agit comme un aimant sur les jeunes et moins jeunes. Est-ce uniquement dû à l’invasion
des images publicitaires ?
C’est beaucoup plus, c´est un système…
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De nombreux artistes collaborent avec les marques, un mal nécessaire pour vivre ?
Pour vivre, on peut être amené à tout faire, chacun prend ses propres décisions. Mais vivre et
survivre, c’est différent. Yona Friedman disait : « survivre est apprendre que tu peux construire ta
propre vie, vivre est suivre la voie que l’on t’impose »
Les marques n’ont-elles pas été récupérées, avec une rare efficacité, l’argument artistique ?
« Quand on travaille bien l’imaginaire, on pourrait presque faire de la bonne pub » disait
Jodorowsky. L’imaginaire part d’un point, et à partir de ce point on commence à tout inventer, on
peut par exemple agrandir la taille de quelqu’un ou diminuer les bras, les yeux ; pousser
l’imagination pour pousser la pub. Il y a d’un côté la mode qu’on veut suivre, de l’autre les gens qui
peuvent
imaginer
et
créer,
et
avoir
leur
propre
façon
de
voir
les
choses.
Vos œuvres font référence à la mort, à la violence, aux icônes religieuses ou fétichistes, aux
pieuvres… quelles sont vos influences ?
Je reprends une nouvelle fois une phrase de Jodorowsky : « les Belles choses et les Terribles choses
vont ensemble ». J’ai utilisé l’idée de la beauté dans le macabre. Il y a un équilibre dans la vie entre le
bien et le mal, on peut le retrouver dans le travail de Nietzsche, William Blake, Edgar Allan Poe,
Georges Bataille, Francisco de Goya, the Chapman Brothers, Harmony Korine etc… S’il n’y a pas de
macabre, il n’y a pas de vie. J’aime par exemple regarder les gens dans le métro à Mexico City, mais
ceux qui m’inspirent le plus sont :
Les êtres importants :
Daniel Clowes, Jorge Luis Borges, Carlos Monsivais, Roberto Bolano, Alejandro Jodorowsky, Druillet,
Meobius, Philippe Mayaux, Julio Ruelas, Klaus Kinski, Paul Thek, Otto Dix, Lloyd Kaufman, Terrence
Malick, Carlos Reygadas, Alejandro Garcia Contreras, Omero Leyva, Ensor…
Les choses importantes :
Les magazines pourris, la culture japonaise otaku, la « nota roja » pour l’imaginaire populaire, les
magazine de crimes, le porno vintage, Naruto, le carnaval de la fête des morts, les fêtes foraines de
bric et de broc, le black metal, le punk, cumbias, les podcasts de fréquences rarissimes, Los Crudos,
Mecanica popular, Mos Def, Archigram
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Les sons undergrounds mexicains comme « Children drugsture », « mentira mentira », « Juan
Cirerol », « Miki Guadamou », « valevergasdiscos.com », « Lost Acapulco », « Titan », « Silverio ».
En quoi le logo est-il un symbole du siècle dernier ?
Une chose devient symbole lorsque la plupart des gens savent ce qu´elle représente. De ce fait, je
pense que si on est capable de reconnaître un logo c´est parce qu´ils ont réussi á intégrer notre vie
quotidienne et cela explique le succès des moyens de communication du siècle dernier.
Les marques ont généré une industrie de la contrefaçon. La contrefaçon vaut-elle, symboliquement
la marque originale ?
J’ai grandi dans une petite ville en dehors d’Oaxaca ; quand j’étais petit, j’avais un ami qui voulait
s’acheter une paire de sneakers « Nike » que l’on prononce en espagnol « Naik », donc il est parti en
ville pour aller chercher sa paire de chaussures, mais il est revenu sans chaussure en me disant qu’il
n’y avait que des « Nike » et non des « Naik »…..
Je ne crois pas que quelque chose soit bon ou mauvais ou les deux… Quand l’original et la copie
arrivent à des millions de reproductions, elles s’annulent ; quand on utilise les marques juste pour
l’inspiration pour créer une sorte de mélange dans notre imagination, alors quelque chose de
complètement surréaliste naît…
Un jour, je me baladais dans la rue et j’ai croisé un garagiste. Pour faire de la publicité pour son
garage, il avait transformé sa propre voiture en Transformer… j´aimerais bien demander á Breton si
ce n´est pas surréaliste…
L’explosion du marché du luxe témoigne de l’injustice de nos sociétés. C’est encore plus vrai au
Mexique. Le marché de l’art est-il, quelque part, une forme de marché du luxe ?
C’est l’histoire sans fin. L’art est pour les riches, oui. Pour être libre dans l’art, on n’a pas besoin de
vivre de l’art, comme Duchamp… mais il y a encore un moyen de survivre et de faire des projets avec
beaucoup de gens qui ne sont pas à la recherche du gain financier, comme nos amis de l’Assaut par
exemple…
Votre résidence à Saint-Etienne donnera aussi lieu à la réalisation d’un film. De quoi parlera ce
film ?
C’est une collaboration avec Loren Toinon et « les dimanches matins », un échange d’images entre
elle et moi…
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Vous sentez-vous, en tant qu’artiste, Mexicain et lié à une forme d’Ecole mexicaine ?
Pas du tout. Je suis allé partout, j’ai utilisé des images non seulement du Mexique mais aussi du
Japon, des Etats-Unis, de France, du Canada, de tous les lieux où je suis allé…
A Mexico, la plupart de mes enseignants n’étaient pas des artistes contemporains mexicains, même
si j’étais dans l’une des meilleures écoles de peinture, sculpture et gravure de Mexico, « La
Esmeralda ». A ce moment-là, on avait des profs comme Daniel Guzman, Luis Felipe Ortega, Sofia
Taboas, Abraham Cruz Villegas etc. pour ne citer qu’eux, ils faisaient partie du mouvement initié par
Gabriel Orozco. Mais je n’ai jamais été accepté à un seul de leurs cours. En revanche, j’ai appris
beaucoup de techniques des enseignants plus classiques. Je ne savais pas grand chose en art
contemporain, mais j’avais connaissance des bases de la sculpture, du dessin, de la photographie, de
la gravure, de la vidéo et de la peinture. Le meilleur enseignant que j’aie eu s’appelait Ferrous, un
mec qui n’avait pas beaucoup d’étudiants - car il avait un penchant pour la bouteille - parfois, j’étais
même le seul étudiant avec lui, mais c’est avec lui que j’ai appris tout ce qu’il fallait savoir en
sérigraphie et en gravure.
J’ai passé trois ans à Mexico puis je suis entré à la Villa Arson, à Nice. Ca a été pour moi l’équilibre
parfait. La Villa Arson est très réputée car elle porte une attention toute particulière au « discours ».
La plupart des enseignants sont des artistes contemporains, tu dois leur faire face jusqu’à ne plus en
pouvoir!! Mais ça te rend plus fort pour la suite…
Votre résidence à Saint-Etienne vous a permis de découvrir cette ville. Quelles sont vos
impressions ?
Il faudrait que je passe beaucoup plus de temps ici pour donner une impression plus profonde. Les
origines de cette ville remontent au XVème siècle, ce qui fait beaucoup d´histoire et de changements.
L´histoire des mines m´intéresse ainsi que l´évolution de la ville dans l´industrie et la vie qui en
résulte après tout ça … c´est complexe, non seulement du point de vue économique mais aussi social
… en tous cas, les gens aiment le foot et moi aussi…
Un dernier mot peut-être ?
Je remercie les gens qui m’ont invité à participer à ce projet, c’est le fruit d’un travail de plusieurs
personnes, toute l’équipe de l’Assaut de la Menuiserie.
Et je propose aux gens de venir voir l’expo !
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