Raymond aubrac - Industrie et Technologies

Transcription

Raymond aubrac - Industrie et Technologies
www.industrie-technologies.com
Parcours
3DIMENSIONSDE
LES
Raymond Aubrac
On connaît Raymond Aubrac pour son engagement dans la Résistance, pour les spectaculaires interventions de son épouse Lucie
qui l’a délivré à trois reprises des mains de l’armée allemande, de
la police française et de la Gestapo, voire pour les responsabilités
politiques qui lui ont été confiées après-guerre. On sait moins que
ce diplômé de l’Ecole des ponts a longtemps exercé son métier
d’ingénieur, a toujours gardé le contact avec les sciences et les
techniques et a créé un bureau d’études qui existe toujours.
a scène se déroule dans un
amphithéâtre bondé, rempli
d’étudiants des Ponts et
Chaussées. Entre Raymond
Aubrac. Pendant plus d’une
heure, le vieux monsieur, ancien résistant, fonctionnaire et ingénieur, va tenir
à 95 ans son jeune auditoire en haleine et
l’exhorter à faire preuve de vitalité, d’enthousiasme, d’optimisme. Bref, donner
une leçon de jeunesse à ces jeunes gens.
Dans sa bouche, une expression revient
sans arrêt : élan vital. « Il y a une chose
qu’on n’entend pas assez souvent sur les
résistants : c’est que tous étaient de grands
optimistes, qui pensaient que ce qu’ils faisaient pouvait changer quelque chose »,
insiste-t-il. Et de regretter le manque d’allant de la société du xxie siècle et de sa
jeunesse pour qui l’avenir semble n’être
qu’un vaste point d’interrogation.
Propos empreint de nostalgie au soir
d’une vie bien remplie ? Pas vraiment :
Raymond Aubrac sait de quoi il parle. Car
malgré le poids des ans, il consacre toute
son énergie à honorer un agenda de
ministre, donnant des conférences non
seulement à Paris mais partout en France
ou même à l’étranger. C’est au contact des
jeunes, dans les salles de classe, qu’il passe
le plus clair de son temps pour y témoigner de son expérience exceptionnelle.
En essayant de faire passer un message :
L
74
N°919ccFÉVRIER 2010
« Devant les difficultés de la vie, il
est important d’avoir confiance en soi
et d’être persuadé que les combats
que l’on va mener, même s’ils sont durs,
seront utiles. »
L’homme
cc
Engagé mais discret
Devant les classes qui l’invitaient à témoigner, comme elle l’a fait quasiment jusqu’à son décès en 2007, son épouse Lucie
Aubrac délivrait, elle, le message suivant :
« Le verbe résister se conjugue au présent. » C’est peut-être cette exhortation,
qu’il a toujours pris soin de mettre en pratique, qui permet le mieux de cerner
Raymond Aubrac. Tapez son nom sur un
moteur de recherche et, outre les références à l’Histoire, vous trouverez facilement
trace de son soutien aux instituteurs
engagés contre les réformes de l’édu­
cation nationale ou aux vétérans des
essais nucléaires français, ainsi que celle
de sa signature apposée sur des pétitions
contre la tenue du débat sur l’identité
nationale ou encore pour « une paix juste
et durable au Proche-Orient ». Mais de
ces engagements personnels récents,
cet homme discret ne parle pas volontiers, même en privé, préférant témoigner
sur la Seconde Guerre mondiale. Tout au
plus glisse-t-il avec un demi-sourire : « Si,
à mon âge, on ne dit pas ce qu’on pense,
quel âge faut-il attendre ? »
À vrai dire, Raymond Samuel (son nom
de naissance) n’a guère attendu. Il raconte
par exemple dans ses mémoires comment, lycéen de sensibilité antimilitariste, il fut convoqué à la caserne de Dijon
pour avoir crié « à bas l’armée » au passage d’un bataillon de fantassins. Quelques années plus tard, il fait partie d’un
cercle informel d’étudiants intéressés par
les thèses communistes. Engagé dans la
Résistance à partir d’octobre 1940 au sein
du groupe Libération, il participe activement aux réflexions sur les orientations
du mouvement. Invité par le général de
Gaulle à endosser des responsabilités
politiques et administratives, il deviendra
effectivement serviteur de l’État… non
sans décliner un certain nombre de nominations, à des postes qu’il considère
comme des placards dorés. Ayant lié amitié avec Hô Chi Minh, il refuse à deux
reprises, pendant la guerre d’Indochine,
de jouer le rôle d’émissaire pour la France,
considérant que le message qu’on lui
demande de porter n’est pas sincère.
Accusé dans un document posthume de
Klaus Barbie d’avoir trahi Jean Moulin,
il ne s’enfonce pas dans le silence, mais
choisit au contraire de réfuter point par
point ces allégations, soutenu par de
nombreux résistants.
L’ingénieur
cc Bâtisseur
dans l’âme
Au moment de choisir une profession,
Raymond Samuel songe à la médecine.
Mais « l’idée de passer ma vie à fréquenter
des corps malades m’a fait
reculer », avoue-t-il. Le jeune
T. gogny pour industrie et technologies
Résistant et ingénieur
Parcours
cc SES
3 DATES clés
1934 Il entre à l’école
nationale des ponts
et chaussées
14 décembre 1939 Il épouse Lucie Bernard
Janvier 1942 Il rencontre Jean
Moulin, avec qui il sera
arrêté un an et demi
plus tard. Lucie
organise son évasion
en octobre 1943.
C’est la troisième fois
qu’elle le délivre
en trois ans !
audio c Écoutez Raymond Aubrac évoquer son parcours de résistant et d’ingénieur.
FÉVRIER 2010ccN°919
75
www.industrie-technologies.com
Parcours
La loupe. Elle lui permet de lire :
des policiers, que sa fille lui conseille,
des romans et des livres d’histoire.
Il est important d’avoir confiance en soi
et d’être persuadé que les combats que l’on va mener,
même s’ils sont durs, seront utiles.
La règle à calcul. Pour celui qui a toujours
gardé le contact avec l’ingénierie, cet ancêtre
des calculatrices de poche, qu’il utilisait à
l’École des ponts, représente sa profession.
La pipe. Grand fumeur de pipe,
il en possède des dizaines et des dizaines,
synonymes d’amitié car la plupart
lui ont été offertes.
homme opte finalement pour une carrière amis le Bureau d’études et de recherches
qu’il juge plus réjouissante : celle d’ingé- pour l’industrie moderne, Bérim, qu’il dirige
nieur. « C’est un métier optimiste : on pendant dix ans. Ce qui l’amène à se déplaconstruit des choses, on est dans la vie et cer non seulement en France mais aussi au
Tchad, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en
on travaille en équipe. »
Après des études à l’École nationale des Roumanie, en Bulgarie ou en Chine, pour
ponts et chaussées, au MIT et à Harvard, il des affaires allant de la construction de
logements à la participation
effectue son service mili- Les qualités
à des chantiers de travaux
taire dans le génie, à Stras- professionnelles
publics en passant par l’exbourg. C’est là qu’il ren- de l’ingénieur,
capacité
pertise technique lors de
contre son épouse Lucie, la
d’organisation
transactions commerciales.
qui l’aide une première et le contact
Les objets rapportés de ses
fois à s’évader quelques humain, m’ont été
nombreux voyages ornent
mois après leur mariage, très utiles dans
la Résistance.
aujourd’hui une vitrine
alors qu’il a été fait prisonnier de guerre. Passé en
bien remplie dans son
appartement parisien.
zone libre, il exerce
En 1958, il décide de s’engager dans la coocomme représentant d’un cabinet d’ingénieurs conseil en propriété industrielle, pération Nord Sud. Sans faire l’impasse, là
avant de coordonner deux chantiers de tra- non plus, sur son bagage d’ingénieur, puisque c’est à la valorisation des équipements
vaux publics.
Devenu un personnage important de la hydro­électriques marocains qu’il travaille
IVe République, il aurait pu opter pour une alors. Un peu plus tard, au sein de l’Organicarrière d’homme politique ou de haut sation des Nations unies pour l’alimentafonctionnaire. Mais malgré des incursions tion et l’agriculture, la Fao, c’est de docudans l’administration, il décide avec mentation scientifique et technique qu’il
constance de continuer à exercer le métier choisit de s’occuper, mettant là encore à
qu’il a choisi, en privilégiant les postes où profit sa formation d’ingénieur.
ses compétences techniques s’avèrent utiles. Ainsi, en 1945, il se voit chargé d’organiser le déminage de la France. « Peu de Le meneur
gens savent qu’on a retiré 13 millions de cc Il aime travailler en équipe
mines et que sur nos chantiers, 2 500 per- Raymond Aubrac le confesse volontiers :
sonnes ont été tuées et des milliers, bles- il supporte difficilement la solitude et
apprécie notamment, dans sa profession,
sées », insiste-t-il aujourd’hui.
Quelques années plus tard, il crée avec des le travail en équipe dont elle est presque
76
N°919ccFÉVRIER 2010
toujours synonyme. Son apprentissage de
la « gestion de crise » remonte à son service militaire, lorsqu’il a su réagir avec
sang-froid et autorité face à ses hommes,
qui s’étaient enivrés en son absence. Mais
c’est dans la Résistance puis, après la
guerre, lorsqu’il est nommé commissaire
de la République à Marseille, qu’il fait ses
véritables « classes » de dirigeant et d’administrateur. « À l’époque, je ne savais
pas déléguer, avoue-t-il. Voilà une chose
que j’ai apprise dans la vie. »
Pour autant, celui qui a dirigé un groupe
de trente hommes tous plus âgés que lui
dès son service militaire, coordonné la
création du groupe armé du mouvement
de résistance Libération, administré la
région de Marseille et dirigé un bureau
d’études parle plus volontiers de coordination ou d’organisation que d’autorité
ou de direction. « La capacité d’organisation et le contact humain, qualités professionnelles de l’ingénieur, m’ont été très
utiles dans la Résistance, remarque-t-il à
ce propos. À l’inverse, avoir été résistant
m’a servi, en tant qu’ingénieur, notamment parce que j’ai appris à me faire assez
vite une idée sur mes inter­locuteurs. »
Une autre qualité essentielle du dirigeant,
qu’il essaie aujourd’hui d’utiliser face
aux jeunes qu’il rencontre, pour mieux
comprendre leurs préoc­cupations et
adapter son message. cm
cc Muriel de Véricourt
[email protected]
T. gogny pour industrie et technologies
cc SES 3 OBJETS
FÉTICHES

Documents pareils