Question-réponse un chercheur

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Question-réponse un chercheur
Question-réponse
avec
un chercheur
GENEVIEVE ALMOUZNI,
Directrice du Centre de Recherche de l’Institut Curie
Par Catherine Tastemain
L’épigénétique, une nouvelle approche pour comprendre
le cancer
Sur quels axes de recherche avez-vous travaillé depuis le début de votre carrière ?
Depuis
le
début,
dans
mon
équipe,
puis
dans
mon
unité,
nous
étudions
la
manière
dont
l’ADN
est
organisé
dans
le
noyau
des
cellules.
C’est
un
chantier
qui
semble
à
ce
jour
sans
fin
:
il
ne
cesse
de
dévoiler
de
nouvelles
facettes
de
sorte
que
le
sujet
ne
perd
ni
en
intérêt
ni
en
potentialités.
Dès
le
départ,
j’ai
été
fascinée
par
la
façon
dont
l’ADN,
support
de
notre
information
génétique,
d’une
longueur
d’environ
2
mètres
de
long
pour
une
cellule
humaine,
pouvait
se
replier
dans
un
espace
de
quelques
microns,
le
noyau.
Sous
cette
forme
compactée,
il
va
remplir
des
fonctions
cellulaires
extrêmement
importantes
telles
que
la
réplication,
la
transcription,
la
recombinaison,
la
réparation
etc.
Par
conséquent,
il
va
falloir
combiner
compaction
et
réactivité
donc
dynamique.
Il
n’est
donc
pas
surprenant
que
des
perturbations
dans
la
dynamique
de
cette
architecture
tridimensionnelle
de
la
molécule
d’ADN
affectent
le
fonctionnement
du
génome
et
l’expression
des
gènes
entraînant
à
terme
des
dysfonctionnements
au
niveau
de
la
cellule.
Essayer
de
comprendre
la
nature
et
la
dynamique
de
cette
organisation
nous
a
amené
à
caractériser
des
facteurs
essentiels
à
sa
formation
et
à
son
maintien.
Les
premières
«
briques
»
de
cette
architecture
particulière
sont
des
petites
protéines
compactrices,
les
histones.
Elles
forment
un
cœur
protéique
autour
duquel
la
molécule
d’ADN
s’enroule.
Ce
motif
se
répète
pour
former
une
structure
qui
ressemble
à
un
collier
de
perles,
la
chromatine.
La
Crédit
photo
:
Pedro
Lombardi/Institut
Curie
composition
de
ce
cœur
d’histones
varie,
en
particulier
grâce
aux
différents
variants
d’histones
et
ceci
confère
des
propriétés
particulières
importantes
pour
le
fonctionnement
du
génome.
Comment
ces
variants
d’histones
sont
choisis
et
pris
en
charge
après
leur
production
pour
être
escortés
et
délivrés
au
bon
endroit,
au
bon
moment
pour
construire
une
architecture
spécifique
et
la
reproduire
?
Des
molécules
chaperons,
qui
protègent,
surveillent
et
accompagnent
les
histones
tout
au
long
de
leur
vie
cellulaire,
tout
comme
les
grand‐mères
autrefois
surveillaient
les
rencontres
entre
jeunes
gens…sont
là
!.
Mais
le
collier
de
perles
ne
représente
qu’un
premier
niveau.
En
se
repliant
encore
plusieurs
fois
sur
lui‐même,
un
peu
comme
un
ressort,
différents
niveaux
de
compaction
peuvent
être
atteints,
jusqu’à
la
compaction
ultime
observée
pendant
la
division
cellulaire.
Et
bien
sûr,
d’autres
éléments
interviennent
pour
moduler
localement
cette
organisation.
Nous
découvrons
ainsi
chaque
jour
de
nouveaux
éléments,
ARN,
protéines…
qui
enrichissent
cet
échafaudage
en
lui
conférant
des
propriétés
spécifiques
uniques.
Quels sont les résultats les plus remarquables de vos recherches dans ce domaine ?
Nous
avons
mis
en
lumière
l’importance
de
plusieurs
chaperons
d’histones
dans
l’assemblage
dynamique
de
la
chromatine
dans
la
mise
en
place
de
variants
d’histones.
Par
exemple
pour
le
premier
qui
nous
a
intéressé,
appelé
CAF‐1
(pour
Chromatin
Assembly
factor‐1)
nous
avons
montré
pour
la
première
fois
comment
il
intervenait
lors
de
la
réparation
de
lésions
dans
l’ADN
et
comment
il
constituait
un
marqueur
de
prolifération
cellulaire.
Cette
dernière
observation
s’est
avérée
d’un
intérêt
médical
car
la
prolifération
aberrante
que
l’on
observe
dans
le
cancer
est
bien
identifiée
par
l’accumulation
de
CAF‐1.
Nous
avons
étudié
d’autres
chaperons
et
leur
importance
pour
le
maintien
de
l’intégrité
de
la
chromatine.
Le
rôle
très
récent
du
chaperon
HIRA,
qui
fonctionne
pour
marquer
les
régions
lésées
de
la
chromatine
afin
d’autoriser
le
redémarrage
de
la
transcription,
fournit
un
exemple
original.
C’est
comme
un
marque‐page
qui
signale
un
passage
intéressant
à
lire.
Certains
chaperon
se
révèlent
avoir
une
valeur
pronostique
intéressante,
permettant
de
discriminer
les
sous‐classes
de
cellules
tumorales
qui
présentent
un
danger
conduisant
au
développement
de
métastases.
Le
collier
de
perles
s’enrichit
de
quelques
diamants
(à
nos
yeux)
dans
la
mise
en
place
de
l’architecture
d’ordre
supérieur.
Ainsi
l’accumulation
des
protéines
HP1
(Heterochromatin
Protein
1)
dans
une
région
clef
pour
la
division
cellulaire
nous
a
interpellé.
Nos
travaux
les
plus
récents
montrent
comment
cette
protéine
grâce
à
un
étiquetage
spécifique
est
guidée
vers
sa
destination
en
exploitant
des
molécules
dont
l’importance
commence
à
être
appréciée,
des
ARNs
non
codants.
Dans quelle mesure intervenez-vous dans l’étude des applications de ces recherches
fondamentales ?
J’ai
des
collaborations
avec
de
nombreux
collègues
de
l’hôpital
de
l’Institut
Curie.
La
banque
d’échantillons
de
prélèvement
mise
en
place
depuis
des
années
à
l’Institut
Curie
annotés
de
façon
très
précise,
notamment
dans
le
cancer
du
sein
est
une
ressource
formidable.
Ces
échantillons
uniques
et
les
compétences
de
nos
collaborateurs,
anatomo‐pathologistes
de
l’hôpital
et
biostatisticiens
ont
permis
d’analyser
et
de
préciser
le
statut,
dans
ces
tumeurs,
des
facteurs
qui
nous
intéressent
pour
répondre
aux
questions
:
ces
facteurs
sont‐ils
surexprimés
ou
pas
?
Ont
ils
une
valeur
comme
outils
diagnostiques
?
Pronostiques
?
Pour
moi,
le
fait
d’être
à
l’Institut
Curie
a
été
déterminant,
il
s’agit
d’un
environnement
d’une
grande
richesse
scientifique
dans
de
nombreuses
disciplines,
qui
de
plus
comprend
un
hôpital.
Etre
proche
des
médecins
représente
une
opportunité
unique
pour
connaître
leurs
préoccupations.
Disposer
d’outils
performants
et
diagnostiquer
finement,
pour
classer
de
manière
fiable
le
type
de
tumeurs
en
intégrant
le
risque
du
devenir
et
pouvoir
ensuite
mieux
orienter
la
prise
de
décision
en
faveur
de
tel
ou
tel
traitement
sont
des
enjeux
majeurs
pour
adapter
les
soins
à
chaque
patient.
Nos
collègues
médecins,
hélas
débordés
au
quotidien,
n’ont
guère
le
temps
ni
la
formation
leur
permettant
d’intégrer
les
informations
du
domaine
fondamental
à
la
vitesse
où
elles
évoluent.
Si
nous
pouvons
apporter
notre
petite
pierre
et
nos
connaissances
fondamentales
pourquoi
ne
pas
le
faire
?
Bien
entendu,
interférer
avec
les
mécanismes
dans
lesquels
ces
facteurs
sont
impliqués
est
un
enjeu
majeur
qui
permettrait
à
terme
d’explorer
de
nouvelles
approches
thérapeutiques.
Ce
domaine
est
clairement
en
pleine
explosion
actuellement,
et
là
aussi
l’Institut
Curie
peut
grâce
à
ses
acteurs
et
sa
multidisciplinarité
joue
un
rôle
moteur.
Vos recherches s’insèrent dans un domaine assez nouveau, l’épigénétique. Qu’est-ce que cela
signifie exactement ?
Ce
terme
inventé
en
1940
par
le
biologiste
Conrad
Waddington
a
gagné
une
popularité
énorme
plus
de
60
ans
après.
Ses
sources
d’inspiration
remontent
à
l’Antiquité
avec
la
théorie
de
l’épigenèse
proposée
par
Aristote
qui
rejetait
l’idée
de
préformation
selon
laquelle
l’embryon
est
un
individu
miniature,
l’homonculus,
possédant
déjà
tous
ses
organes,
pour
lui
la
complexité
des
organismes
émerge
progressivement
au
cours
du
développement
embryonnaire
à
partir
d’une
cellule
oeuf.
Selon
Waddington,
la
théorie
génétique
de
la
programmation
du
développement
n’explique
pas
les
différences
entre
types
cellulaires.
Il
voit
l’épigénétique
comme
une
possibilité
de
comprendre
comment
un
même
jeu
de
gènes
en
interagissant
avec
l’environnement
conduit
à
des
phénotypes
différents
dans
chaque
cellule.
Ce
terme
astucieux
«
épigénétique
»
qui
répondait
aux
limitations
de
la
génétique
formelle
revient
sur
le
devant
de
la
scène
scientifique
en
1994
avec
un
sens
plus
restreint
pour
rendre
compte
«
des
mécanismes
de
régulation
de
l’expression
des
gènes,
héritables
mais
non
codés
par
la
séquence
d’ADN
».
Les
visions
des
uns
et
des
autres
concernant
ce
qui
est
héritable
et
ce
qui
ne
l’est
pas
animent
le
débat.
Il
n’en
demeure
pas
moins
qu’après
des
annonces
provocantes
dans
la
presse
comme
celle
du
Time
magazine
(«
Pourquoi
votre
ADN
ne
dicte
pas
votre
destin
»),
les
chercheurs
doivent
se
pencher
sur
les
paramètres,
autres
que
notre
ADN,
à
considérer.
A
mes
yeux,
l’épigénétique
s’applique
à
un
ensemble
de
mécanismes
qui
peuvent
contrôler
et
moduler
les
fonctions
de
l’ADN
tout
en
étant
potentiellement
héritables.
Imaginons
un
disque
gravé,
différentes
plages
de
lecture
peuvent
être
lues.
Deux
grandes
questions
se
posent
alors
:
comment
sélectionner
des
lectures
distinctes
?
Comment
s’assurer
de
la
reproduction,
pour
des
générations
suivantes,
d’une
lecture
donnée,
autrement
dit
d’un
«
formatage
»
?
L’épigénétique
serait
donc
la
mémoire
de
ce
formatage.
Pour
nous,
la
question
est
de
savoir
comment
l’organisation
en
trois
dimensions
de
la
chromatine,
avec
toute
sa
complexité
et
son
architecture,
peut
contribuer
au
«
formatage
»
du
disque
et
à
sa
reproduction,
influençant
ainsi
le
fonctionnement
du
génome.
L’étude
de
cette
architecture
supérieure
de
l’ADN
et
de
sa
reproduction
constitue
aujourd’hui
un
champ
de
recherche
intense
dont
les
implications
concernent
des
domaines
aussi
divers
que
la
cancérologie,
les
neurosciences,
l’étude
du
métabolisme...
Beaucoup
de
questions
se
posent.
Comment
cette
organisation
évolue‐t‐elle
au
cours
du
développement,
au
cours
des
divisions
cellulaire,
au
travers
des
lignages
?
Comment
cette
architecture
réagit‐elle
dans
différents
environnements,
lors
d’un
stress,
après
des
dommages,
après
irradiation
etc.
?
Que
se
passe‐t‐il
au
cours
du
vieillissement
?
Pour
y
répondre,
les
technologies
de
pointe,
telles
que
l’imagerie,
combinées
à
des
méthodes
de
marquage
permettant
de
distinguer
l’origine
du
matériel,
parental
ou
bien
neuf
pour
suivre
les
échanges
entre
molécules
seront
déterminantes.
Nous
fondons
également
beaucoup
d’espoir
sur
les
nouvelles
possibilités
d’analyses
de
données.
Mais
au
fond
le
plus
important
ce
sont
les
acteurs,
les
jeunes
chercheurs,
leur
capacité
à
intégrer
les
nouveaux
concepts
et
approches
et
leur
volonté
de
progrès.
J’espère
pouvoir
continuer
à
partager
avec
eux
de
grands
moments
!

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