double vie Me Mignard

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double vie Me Mignard
La double vie de maître Mignard
M le magazine du Monde | 28.06.2013 à 08h03 • Mis à jour le 28.06.2013 à 08h06 | Par JeanMichel Normand
Gentil, simple, indépendant, doté d'un flair redoutable. Et modeste, avec ça. On ne croise pas
si souvent un ténor du barreau capable de recueillir un jugement aussi unanimement
empathique. Pensez, un avocat de premier plan, très proche du pouvoir - grand ordonnateur de
la primaire socialiste de 2011 et parrain de deux des enfants de François Hollande -, qui ne se
serait pas fait d'ennemi. Des écoutes de l'Elysée, sous le premier septennat de François
Mitterrand, au psychodrame Cahuzac en passant par le procès Clearstream, Me Mignard, 61
ans, a lié son nom à la plupart des affaires qui, depuis vingt ans, interpellent la société
française. Sans tapage ni pompeux effet de manche.
Mais ce printemps,son parcours politique et ses engagements professionnels sont
dangereusement entrés en résonance. Situation délicate, pour un avocat encarté au PS, que de
défendre les accusations portées par Mediapart à l'encontre de Jérôme Cahuzac, ministre du
budget, alors qu'il est par ailleurs l'avocat du premier ministre. Sans parler de son amitié avec
François Hollande. Fin 2012, dès que les premières informations diffusées par Mediapart ont
commencé à faire du bruit, Jean-Pierre Mignard admet sans fard avoir eu des discussions avec
le chef de l'Etat. ""Je veux des preuves", me disait François Hollande. Et il a laissé faire la
justice, car c'est un vrai démocrate", le défend-il. "Vous vous rendez compte, si cette affaire
était sortie dans un an ? C'eût été bien pire", ajoute-t-il, non sans préciser que "cet épisode
n'a aucunement altéré [ses] relations avec François". Les deux vieux amis continuent de
s'échanger des textos, de se voir de temps à autre. L'affaire Cahuzac n'a pas non plus troublé
ses relations avec Edwy Plenel, qu'il a connu au début des années 1970 au milieu des effluves
de patchouli gauchiste du Front de solidarité Indochine. En 1979, Me Mignard avait tenté en
vain de le faire sortir du "gnouf" lorsqu'il purgeait soixante jours d'arrêt de rigueur sur la base
aérienne de Colmar pour avoir tenté de créer un comité de soldats. "Il n'a jamais mélangé les
genres, affirme le fondateur de Mediapart. Parmi les grands avocats de gauche de sa
génération, il est le seul à être resté fidèle à ses convictions, à ne pas s'être mis au service des
puissants. Mignard, c'est l'anti-Kiejman."
Pas d'ennemis, donc... Jean-Pierre Mignard pourrait être une sorte de Michel Drucker de la
gauche. D'ailleurs, il défend les intérêts de l'animateur et lui a permis, fin 2012, de sauver de
la démolition sa maison construite au coeur du parc régional naturel des Alpilles, dans les
Bouches-du-Rhône. Ce fut l'un des procès les moins médiatiques de Me Mignard, avenant
rondouillard à la mèche éternellement en bataille, dont la mise tranche avec celle des avocats
ripolinés aux lunettes d'écaille et au verbe haut qu'il croise si souvent. Car l'avocat peut se
targuer d'avoir collectionné les grandes affaires. Il a plaidé pour la région Bretagne lors de
procès de l'Erika et pour la Ville de Paris dans celui des emplois fictifs de l'Hôtel de Ville,
défendu la cause d'EDF lorsque des militants écologistes se mettaient à survoler en parapente
une centrale nucléaire, bataillé en faveur d'anciens brigadistes italiens et de dissidents chinois
en quête d'asile politique. Il a même défendu la cause de Jeannie Longo, soupçonnée de
dopage. Au début du mois, Me Mignard, qui a fondé le cabinet Lysias Partners, a dans la
même semaine dû voler de la cour d'appel de Rennes au tribunal de Pontoise, où étaient
examinées deux procédures dans lesquelles il ferraille depuis des années. Celle engagée après
l'accident mortel de Villiers-le-Bel qui, en 2007, coûta la vie à deux jeunes garçons et fut à
l'origine de l'embrasement de cette cité de la région parisienne. Et celle de Clichy-sous-Bois,
consécutive à la mort en 2005 de deux adolescents dans un transformateur EDF qui déchaîna
des violences urbaines plus graves encore. Dans les deux cas, il poursuit les policiers pour
non-assistance à personne en danger ou homicide involontaire. Le marathon se poursuit le 4
juillet, à la cour d'appel de Versailles. Ce jour-là, Me Mignard, avocat du site Mediapart,
saura si les enregistrements pirates réalisés par le majordome de la milliardaire, mis en
exergue par le site d'Edwy Plenel dans l'affaire Bettencourt, peuvent être considérés comme
une preuve juridiquement valide.
Toutes ces affaires l'ont parfois amené à jouer les équilibristes entre son métier d'avocat et son
autre passion : la politique. Elevé dans la Nièvre, rien ne disposait vraiment ce fils unique d'un
ouvrier du Livre et d'une fonctionnaire à s'y intéresser. A 14 ans, il réclamait pourtant qu'on
l'emmène le 14 Juillet sur les Champs-Elysées pour voir défiler de Gaulle. "Je le regardais
comme Bernadette Soubirous regarde la Vierge", se souvient ce fervent catholique. Outré que
le général ait été, en 1968, "trahi par le mur de l'argent", il adhère, encore mineur, au PSU de
Michel Rocard. Longtemps collaborateur d'Henri Leclerc, avocat historique des droits de
l'homme, il rencontre en 1978 François Hollande qui, au sein de l'équipe de François
Mitterrand, s'intéressait à la défense des manifestants frappés de lourdes condamnations.
S'ensuit un long compagnonnage à travers plusieurs clubs de réflexion, dont le groupe
Témoins (celui des pro-Delors), avant d'adhérer au PS.
Les législatives de 1993 marquent sa première grande confrontation avec le suffrage
universel. Il lui manque 400 voix pour être élu député, chez lui dans la Nièvre. Juste avant le
second tour, l'un des adjoints écologistes de Pierre Bérégovoy, homme fort du département et
viscéralement anti-rocardien, avait appelé à voter contre « Mignard, la gauche caviar". Ce
baptême du feu manqué n'est pas une simple blessure narcissique. Le souvenir de cet échec le
tiendra éloigné pendant deux décennies des enjeux de pouvoir et de la course aux
responsabilités. Il se consacre à son métier d'avocat et se laisse guider par ses amitiés
électives. Il réapparaît en 2006 comme lieutenant de Ségolène Royal, désignée candidate à la
présidentielle malgré l'hostilité de l'appareil du PS, ce qui n'est pas pour lui déplaire. L'ami de
la famille ne ménage pas sa peine. Il préside Désirs d'avenir, le bras armé de la candidate et,
une fois la présidentielle terminée, l'aide à tenter de conquérir le PS alors que François
Hollande soutient - certes mollement - Bertrand Delanoë, puis Martine Aubry. Son statut de
parrain de Thomas Hollande (né en 1984, aujourd'hui avocat) puis de Julien (né en 1987,
cinéaste), deux des quatre enfants du couple Hollande-Royal, l'incite à se maintenir "à
équidistance" du couple défait. Tout en agissant, sur le plan politique, au côté de l'excandidate, il s'efforce de préserver un minimum de rapports entre "François" et ses enfants.
Mission ô combien délicate. "En bon chrétien, il est toujours là pour réconcilier ceux qui se
disputent mais, là, il a payé cher le prix de l'amitié. Il s'est pris des baffes, et des deux côtés",
témoigne Julien Dray, lui aussi ami de longue date du couple.
En 2008, Mignard sera aux premières loges de la cataclysmique élection controversée de
Martine Aubry au poste de première secrétaire du PS. Devant le blocage manifeste et, dit-il,
"la volonté d'exclure Ségolène du jeu", il est l'un de ceux, avec Manuel Valls, qui préfèrent
reconnaître sans tarder la défaite plutôt que d'engager un recours en justice - qui, rappelle-t-il,
aurait mis le parti sous la tutelle d'un administrateur. On le lui reprochera. Pressenti pour
intégrer le bureau national du PS, il est prié de se sacrifier pour laisser la place à un autre. Ses
tentatives pour réconcilier Vincent Peillon et Ségolène Royal se retournent contre lui. Du jour
au lendemain, il se retrouve sèchement débarqué de la présidence de Désirs d'avenir.
"Mignard au PS, c'est un Bisounours au pays des Longs Couteaux", s'amuse une habituée des
cénacles du parti. Ce jugement mi-affectueux, mi-caustique, il l'a souvent entendu mais il
revendique sa part de naïveté. "Sur la balance de la politique, le plateau du réalisme est assez
chargé comme cela pour que je n'en rajoute pas», soupire-t-il. C'est finalement dans un rôle
d'arbitre que Jean-Pierre Mignard réussit à exister par lui-même dans l'espace politique et non
plus seulement comme "l'ami de" ou "l'avocat de". Ses talents de juriste et sa rondeur le
désignent pour orchestrer, au sein d'une haute autorité dont il est le principal animateur, le
grand saut dans l'inconnu que constitue la primaire socialiste de 2011. Un sans-faute qui
permettra de mobiliser 2,5 millions de sympathisants et donnera une impulsion décisive à la
candidature Hollande. En retour, il ne recevra qu'un minimum syndical de remerciements,
mais ce succès incitera la Rue de Solferino à faire de nouveau appel à lui pour veiller aux
primaires, complexes, qui auront lieu en octobre dans le cadre des municipales de Marseille.
Monsieur Loyal du PS, l'habit lui convient parfaitement. Mais le rôle ne le satisfait qu'à
moitié. A 60 ans passés, Jean-Pierre Mignard a vu le pouvoir trop longtemps, et de trop près,
pour ne pas avoir envie de sauter dans le grand bain. Aux législatives de 2012, il se décide
donc à renouer avec le suffrage universel et monte au front dans une circonscription perdue
d'avance des Bouches-du-Rhône. Il y réalise un très bon score, prenant date dans une ville,
Marseille, qui l'attire et où Lysias Partners, son cabinet, a ouvert une antenne. Pour les
primaires municipales, il refuse d'indiquer vers quel candidat va sa préférence. Mais confirme
sans se faire prier qu'il guigne des responsabilités dans la future équipe municipale. Les
socialistes locaux sont quelque peu intrigués par l'arrivée de l'avocat parisien. "Rester le juge
de paix du PS ou faire de la politique ; il va falloir qu'il fasse des choix", souligne Jean-David
Ciot, patron d'une fédération PS des Bouches-du-Rhône, passablement secouée par l'affaire
Guérini. Mais les socialistes du cru savent aussi que, dans leur campagne, la présence d'une
figure morale telle que Me Mignard ne serait pas de trop. Un point qui n'a pas échappé au
"Bisounours", parfaitement conscient de sa nouvelle stature et qui, se définissant comme "un
membre de la société civile égaré en politique", évoque aussi une candidature aux
européennes de 2014. Pari incertain tant il s'agit d'un scrutin sur lequel l'appareil du parti a la
haute main. Et pourquoi pas un poste ministériel ? "Oui, répond-il sans hésiter, mais dans un
gouvernement ouvert aux centristes." Le "naïf", partisan de longue date d'un rapprochement
avec François Bayrou, sait aussi qu'une telle option pourrait devenir réalité.
Ce brusque appétit, dévoilé avec une spontanéité presque désarmante, ne surprend pas Julien
Dray, qui, pourtant, reste convaincu que "son truc, c'est son cabinet, ses combats au prétoire".
Jean-Pierre Mignard admet, avec une légère moue, qu'un mandat politique d'envergure serait
difficilement conciliable avec une activité inchangée au sein de son cabinet. Sans compter que
ses récentes fonctions de codirecteur de l'hebdomadaire Témoignage Chrétien lui prennent
aussi du temps. "Cet homme est plein de contradictions, assure Julien Dray. Mais, comme il
ne cherche pas à les dissimuler, cela en fait quelqu'un de très agréable."
Jean-Michel Normand