Le sport : un facteur d`intégration ou d`exclusion sociale

Transcription

Le sport : un facteur d`intégration ou d`exclusion sociale
Le sport : un facteur d’intégration
ou d’exclusion sociale ?
____________________
Mabillard Vincent
Septembre-octobre 2012
Table des matières
Introduction............................................................................................................................. 3
Intégration sociale des groupes discriminés : les vertus du sport......................................... 3
Les politiques d’inclusion sociale par le sport....................................................................... 4
L’importance du sport dans les sociétés contemporaines...................................................... 6
Les défis de l’intégration par le sport..................................................................................... 7
Le sport comme facteur potentiel d’exclusion sociale......................................................... 10
Conclusion............................................................................................................................. 11
Bibliographie......................................................................................................................... 12
Crédits photo : © http://www.arsenal.com/community/social-inclusion
2
Le sport : un facteur d’intégration ou d’exclusion sociale ?
Introduction
Cet article se concentre avant tout sur la capacité du sport à mobiliser et à intégrer
certains groupes, notamment les populations immigrées et les individus subissant une
exclusion sociale (genre, niveau socio-culturel, revenu, handicap) à l’intérieur d’une même
société. Les valeurs diffusées par le sport, comme le fair-play, l’esprit d’équipe, la réussite
individuelle et collective, sont très largement répandues au sein des cercles dirigeants et
fortement prônées par les politiciens de tous bords. Elles contribuent souvent au
développement de communautés diverses dans le monde. Cette image positive du sport se
reflète dans la définition retenue par le Conseil de l’Europe (2001) : « On entend par "sport"
toutes formes d’activités physiques qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour
objectif l’expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le
développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétition de tous
niveaux »1. Dans son Livre blanc sur le sport, l’Union Européenne (UE) rappelle que le sport
génère des valeurs essentielles, telles que la solidarité et la tolérance. De plus, il encourage le
développement ainsi que l’épanouissement personnels et stimule l’activité citoyenne.
Toutefois, de nombreux bémols subsistent et mettent à mal l’image idéale décrite cidessus. Dans la deuxième partie de cet article, nous reviendrons sur les obstacles qui entravent
les mécanismes d’intégration par le sport. Dans sa pratique quotidienne, il fait en effet face à
de nombreux actes de racisme et d’homophobie, ainsi qu’à une violence endémique à
l’intérieur et autour des stades. Mais la menace la plus sérieuse se trouve dans l’essence même
du sport, dans son pouvoir d’exclure les individus de la pratique. Ainsi, il creuse les
différences entre les groupes sociaux. En outre, de nombreuses barrières d’ordre plus
structurel (moyens financiers, infrastructures, temps, etc.) nuisent au rayonnement du sport au
sein de toutes les couches de la société. C’est cette balance inclusion/exclusion sociale que
nous nous proposons d’analyser dans ce texte.
Intégration sociale des groupes discriminés : les vertus du sport
De manière générale, la pratique du sport est actuellement encouragée, voire quasivénérée. Les valeurs qu’elle véhicule et les supposés bienfaits qui en découlent expliquent un
tel engouement. Au-delà de l’apport au plan individuel, nous pouvons ici affirmer que le sport
joue un rôle sociétal important, notamment en ce qui concerne les questions de santé
publique, mais aussi en raison de sa dimension éducative et de son aspect récréatif (le
« défouloir »). Si des réserves peuvent être émises sur le rapport forcément bénéfique entre
sport et santé, les cas de blessures liées au sport étant fréquentes, la relation sport-intégration
se doit d’être encore plus nuancée. Cependant, il existe de réelles opportunités d’inclusion
sociale par le biais du sport. De nombreuses études ont en effet révélé l’impact positif du
sport sur les mécanismes d’intégration2. Nous pouvons notamment relever les apports
suivants :
- Une amélioration de la qualité de vie
- Une amélioration de la productivité au travail
1
2
COMMISSION EUROPEENNE, Livre blanc sur le sport, 11.07.2007
COLLINS Michael F., KAY Tess, Sport and Social Exclusion, London, Routledge, 2003, pp. 27-29
3
-
Un accroissement de la cohésion nationale, communautaire et familiale
Une plus grande estime de soi et une plus grande confiance en soi
Une réduction des comportements anti-sociaux
Un élargissement des réseaux sociaux par l’augmentation des interactions
La création d’emplois dans le domaine du sport
Une possibilité de mobilité sociale
Tout d’abord, qu’est-ce que l’intégration ? Selon Patrick Mignon, c’est ce « processus
continu par lequel une société transcende les différences entre les populations vivant sur son
territoire. Elle désigne les formes de participation à la société globale par l’activité
professionnelle, l’apprentissage des normes de consommation matérielle, l’adoption des
comportements familiaux et culturels »3. Si l’on y ajoute la dimension sportive, il devient
possible d’affirmer que le sport peut gommer certaines différences intra-sociétales.
L’intégration se ferait alors par la participation globale des athlètes en tous genres à leur(s)
discipline(s) sportive(s) de prédilection, contribuant ainsi à lever des barrières propres à leur
communauté d’appartenance. Cette conviction semble assez répandue et ce sentiment prévaut
parmi les responsables politiques, au sein des organisations non-gouvernementales (ONG) et
de la population même. En effet, la relation naturelle entre sport et intégration se banalise, elle
devient un constat rendu presque « nécessaire » pour ses défenseurs dans le cadre de sociétés
métissées ou multiculturelles. Pour ne donner qu’un exemple, la stratégie nationale pour le
sport écossais pour la période 2003-2007 prétend que « la participation sportive peut
améliorer la qualité de vie des individus et des communautés, promouvoir l’inclusion sociale,
améliorer la santé, lutter contre les comportements anti-sociaux, accroître la confiance et
l’estime de soi, et élargir les horizons »4.
Nous ajouterons ici que la pratique du sport, qu’elle soit individuelle ou collective,
favorise la découverte de soi de par le contact avec les coéquipiers ou les adversaires. Il s’agit
aussi d’un apprentissage de la vie collective dans un cadre normé, d’une véritable instance de
socialisation dans laquelle chacun jouit, subit et découvre en même temps la distribution des
rôles sociaux. Le sport initie également aux valeurs de justice et d’égalité, conjuguées à
l’esprit du fair-play. Ce dernier rend possible l’acception de la défaite, le respect de
l’adversaire. Il pousse à la maîtrise de soi. Dans cette optique, le sport joue un rôle sociétal
majeur. Ses vertus permettent une intégration plus facile des populations vivant en retrait de
la société.
Les politiques d’inclusion sociale par le sport
Les gouvernements et les instances supranationales du système politique européen ont
décidé de faire du sport une priorité dans le domaine de l’intégration. Selon eux, il est
nécessaire de préserver les racines culturelles des peuples tout en développant un sentiment
citoyen européen. De ce fait, les questions d’inclusion et de cohésion sociale sont devenues
des priorités à l’agenda des politiques publiques à l’intérieur de l’UE. Elles se basent sur les
concepts de « citoyenneté active » et de « capital social ». La citoyenneté active se définit
comme toute forme de contribution active à la société. Dans ce contexte, la participation d’un
athlète dans un club, une association, une ONG voire une fédération peut être considérée
comme de la citoyenneté active. Il en va de même pour les actions bénévoles ainsi que
l’investissement dans une structure de formation ou de relève sportive. Quant au capital
3
4
MIGNON Patrick, « Sport, Insertion, Intégration », in Hommes et Migrations, n°1226, Juillet-août 2000, p. 15
SPORT 21, The National Strategy for Sport (2003-2007), Mars 2003. Traduction libre
4
social, il se rapporte aux relations sociales afférentes à un acteur. Il s’agit des ressources
potentielles ou réelles liées à la possession d’un réseau social par un individu. Pour le
politologue américain Robert D. Putnam, une communauté riche en capital social doit
répondre aux critères suivants : réseaux communautaires solides, appuyés par l’infrastructure
nécessaire ainsi qu’un engagement étendu dans l’organisation de la vie communautaire ; un
sens aigü de l’identité, de la solidarité et de l’égalité au plan local ; de hauts niveaux de
confiance interpersonnelle et un soutien réciproque dans la majorité des situations5.
Plusieurs programmes gouvernementaux ont donc choisi d’accorder une priorité toute
particulière au pouvoir intégrateur du sport. Nous passons ici en revue les exemples
finlandais, allemand et suisse. Dans le cas de la Finlande, les autorités ont opté pour un
programme conjoint avec les secteurs de l’éducation et de la culture, qui a pour but d’intégrer
plus facilement les personnes immigrées. L’objectif ultime est de permettre à ces populations
de jouir des mêmes possibilités que les autres résidents en termes d’accès aux activités
sportives6. Le gouvernement finlandais espère ainsi renforcer l’inclusion des immigrants en
élargissant leur réseau de relations sociales. De nombreuses dispositions ont été prises à cet
égard. Il s’agit notamment d’améliorer les structures et d’insister sur leur accessibilité auprès
des immigrants ; d’attribuer une part du budget aux adultes et enfants d’origine étrangère ; de
développer des indicateurs qui rendent compte de l’impact du sport sur leur intégration ; et de
discuter de la question de l’immigration dans la réforme structurelle du Conseil national du
sport. Avec un budget annuel de 5 millions d’euros, l’Office fédéral allemand pour la
migration et les réfugiés soutient fortement les programmes d’intégration des immigrants par
le biais du sport, du théâtre, de la musique et de la danse. Aux yeux des responsables
allemands, il paraît nécessaire pour les jeunes immigrés de s’initier à la pratique sportive dans
le cadre d’un club local. Cela leur permet de tisser des liens entre les différentes cultures, de
construire une confiance mutuelle et de renforcer leur sentiment d’appartenance. Le
programme « Intégration par le sport » vise donc à rassembler les individus dans un esprit de
fair-play, à réduire les actes de violence et à favoriser les interactions sociales. Ce programme
a fait l’objet d’une expertise par l’Université de Potsdam et semble donner entière
satisfaction7. Dans le cas suisse, on mise avant tout sur la promotion de la tolérance et du
respect mutuel par le sport. De plus, avec un taux de population étrangère atteignant les 20%,
la question de l’intégration des immigrants s’impose tout naturellement. Le programme suisse
en la matière préconise une pratique sportive régulière et l’inscription dans des clubs, car des
incidences positives sur la vie sociale, l’apprentissage de la langue, la réussite scolaire ou la
formation, et même l’intégration professionnelle en découlent. Il fait également part de deux
constats qui rendent l’encouragement du sport et de l’intégration incontournables : d’une part,
il existe une sous-représentation des migrants au sein des fédérations sportives ; d’autre part,
un nombre très faible d’étrangers occupent des positions bénévoles dans les clubs et
associations8.
Plus généralement de nombreux gouvernements, entourés par leurs partenaires sociaux et
par les membres de la société civile, ont insisté sur la nécessité de rendre le sport accessible à
tous. Après tout, le baron Pierre de Coubertin lui-même n’avait-il pas affirmé que « le sport
5
PUTNAM Robert. D., Bowling Alone: The Collapse and Revival of American Community. New York: Simon
& Schuster, 2000
6
OPETUS- JA KULTTUURRIMINISTERIÖ, Programme for integrating immigrants through sports,
28.04.2010
7
BUNDESAMT FÜR MIGRATION UND FLÜCHTLINGE, Integration durch Sport, 18.01.2011
8
OFFICE FEDERAL DU SPORT, Le potentiel intégrateur du sport, 31.08.2010
5
fait partie du patrimoine de tout homme et de toute femme et [que] rien ne pourra jamais
compenser son absence » ? Cette orientation politique du « sport pour tous » marque donc
bien l’envie de la part des acteurs concernés par cette problématique de renforcer le capital
social des individus au sein de leur communauté. L’approche bottom-up (faite avant tout de
projets à l’échelle régionale et locale) est privilégiée, car elle contribue à l’accroissement de la
responsabilité individuelle et de l’engagement personnel. Dans cette perspective, le sport
aboutit à une meilleure intégration de tous à la société à laquelle ils appartiennent et
s’identifient. Par l’intermédiaire de la pratique individuelle ou de l’engagement dans un
club/association, ils étendent leur réseau de relations et de connaissances. Selon la
Commission européenne, il est également possible de dynamiser le dialogue interculturel par
ce biais. Elle insiste aussi sur la mobilisation du sport afin de créer de l’emploi et de
revitaliser la croissance économique dans des zones défavorisées. Au-delà des seules
populations immigrées, la Commission soutient les Etats membres dans la mise en place
d’installations accessibles aux sportifs handicapés, ainsi que la représentation de ces sportifs
au sein des plus hautes instances décisionnelles. Elle se penche enfin sur les questions de
genre, s’engageant à rendre les activités sportives plus accessibles aux femmes provenant de
minorités ethniques, à favoriser la présence des femmes dans les corps dirigeants du sport et
la médiatisation des compétitions féminines. Cette démarche s’inscrit dans la Feuille de route
pour l’égalité entre femmes et hommes 2006-20109.
L’importance du sport dans les sociétés contemporaines
La professionalisation récente du sport, liée aux innovations dans le domaine de la
communication et de l’information, a engendré une médiatisation sans précédent. Le cocktail
qui mêle performance, ferveur populaire et publicité pénètre chaque jour un peu plus les
sociétés contemporaines. La télévision fait la part belle aux événements sportifs, tandis que
des milliards d’internautes débattent du dernier match de leur équipe fétiche sur la toile. Ce
phénomène de masse se développe continuellement et ne semble pas près de s’éteindre. Par
ailleurs, le sport permet aux jeunes défavorisés de trouver une reconnaissance pour leur
réussite. Il peut en effet agir comme un ascenseur social fabuleux, au même titre que la
musique. Dans le cas d’une carrière professionnelle, le sociologue William Gasparini parle de
« promotion sociale de substitution »10. En réalité, une telle ascension contrecarre le capital
symbolique a priori « négatif » des populations immigrées, étant considérées comme moins
riches économiquement et culturellement. Le sport de haut niveau, fortement valorisé au sein
de l’ensemble de la population, devient ainsi un espace de reconnaissance et constitue un
extraordinaire tremplin.
La médiatisation dont jouit le sport professionnel contribue à mettre en avant les
performances d’athlètes provenant de milieux défavorisés. Nous assistons donc à la naissance
de véritables stars, parfois hissées au rang de héros/héroïnes. Ces vedettes sont autant de
modèles pour les jeunes en mal d’espoirs et confrontés à un quotidien difficile. Elles leur
permettent de s’évader mais également de susciter des vocations. Ce cheminement n’est pas
sans danger, y compris par rapport à l’intégration, mais nous y reviendrons plus loin. Il
contribue néanmoins aux mécanismes d’inclusion et renforce parfois la cohésion sociale. Le
meilleur exemple demeure l’enthousiasme populaire qui a suivi la victoire de la France lors de
la Coupe du Monde de football 1998 à Paris. A ce moment-là, tout le monde louait les
9
COMMISSION EUROPEENNE, op. cit.
ROBERT Richard, Mythes et réalités de l’intégration par le sport. Entretien avec William Gasparini,
13.06.2012
10
6
exploits de leur équipe « black-blanc-beur », en référence aux nombreux joueurs d’origine
maghrébine ou subsaharienne présents dans la sélection d’Aimé Jacquet. Traditionnellement,
le sport a toujours joué un rôle crucial dans le développement des identités. De nombreuses
études ont démontré qu’il agissait en tant que facteur essentiel dans les mécanismes
d’inclusion sociale des immigrés de deuxième génération11.
La médiatisation croissante d’événements sportifs en tous genres promeut clairement leur
développement. Nous ne parlons pas uniquement de disciplines moins connues, mais surtout
du handisport et des compétitions féminines, qui peinent à se faire une place dans le champ
télévisuel. Le processus semble sur la bonne voie, mais il reste encore beaucoup à faire dans
ce domaine. L’intégration des personnes en situation de handicap dans le monde du sport
demeure bloqué par de nombreuses contraintes, tandis que le sport féminin souffre de la
structure patriarcale du monde sportif et social en général. Ainsi, de nombreux sports sont
encore considérés comme strictement masculins et réservés majoritairement aux hommes.
Toutefois, les évolutions sociales, l’organisation ainsi que la médiatisation progressive des
compétitions féminines tend à gommer les différences, à tel point que certaines disciplines
accordent les mêmes revenus aux hommes et aux femmes (par exemple le tennis). Même si
cela reste une exception, un développement certain est perceptible. En ce qui concerne le
sport handicap, il connaît également un développement. Pour reprendre l’exemple du tennis,
certains pays, à l’image des Pays-Bas, misent sur le professionalisme et accordent une aide
financière conséquente aux meilleurs joueurs. Mais il souffre toujours de barrières
structurelles et individuelles importantes. Nous aborderons justement ces contraintes dans la
section suivante, qui s’appliquent au monde du handisport, mais ne lui sont pas propres par
ailleurs.
Les défis de l’intégration par le sport
Il s’agit à présent de nuancer quelque peu le bilan finalement assez positif décrit plus
haut. La relation entre sport et intégration, si elle se révèle fort intéressante dans un contexte
multiculturel, doit faire face à de nombreux défis. Dans cette partie, nous éclaircirons les
problèmes d’ordre purement pratique, « de terrain ». Les difficultés sur le plan conceptuel
feront l’objet d’une analyse plus poussée dans le chapitre suivant, consacré aux risques
d’exclusion sociale.
Tout d’abord, le sport se heurte à un obstacle individuel : sa pratique dépend de chacun.
En effet, il n’est pas homogène et ne représente pas un produit standardisé. Au contraire,
chaque expérience connaît de nombreuses variations et le sport produit des effets différenciés
selon la personnalité des pratiquants. Ainsi, le vécu ou l’entourage, parmi d’autres facteurs,
expliquent les réactions diverses des athlètes, qu’ils soient mis en compétition ou jouent
simplement pour le plaisir. Il semble nécessaire de réduire cette marge d’incertitude en
insistant sur un bon encadrement, composé idéalement de superviseurs possédant de vraies
qualités de leadership. Ceci aidera en effet à réduire les réactions négatives et l’abandon de la
pratique sportive chez les jeunes en situation difficile. L’adhésion à un projet de club sur la
durée se révèle primordial, car l’intensité de la participation influence positivement le
développement des capacités sportives et sociales de chaque individu. Elle forge également
une attitude et des valeurs propres à l’esprit du sport. Cependant, la relation entre sport et
intégration ne va pas de soi. Il faut absolument tenir compte de ce facteur individuel et des
11
HENRY Ian, Transnational and Comparative Research in Sport: Globalisation, Governance and Sport
Policy, Oxon: Taylor & Francis, 2007
7
difficultés qu’il peut engendrer, si un projet n’est ni durable ni organisé de façon optimale. Il
doit donc s’inscrire dans le temps et viser à l’épanouissement de ses membres.
Ensuite, des barrières plus structurelles empêchent l’ensemble de la population de jouir
des mêmes privilèges en termes d’accès aux activités sportives. Nous retenons ici trois
principaux groupes : les personnes d’origine étrangère, les femmes et les gens en situation de
handicap. Concernant cette dernière catégorie, le Conseiller spécial du Secrétaire Général de
l’ONU pour le sport au service du développement et de la paix, Mr. Wilfried Lemke, a
rappelé à la veille de l’ouverture des Jeux paralympiques de Londres 2012 que « le sport est
un formidable niveleur et un outil très efficace pour assurer l'inclusion. Il peut certainement
placer tout un chacun sur un pied d'égalité ». Il a ajouté que « [ces] athlètes sont de véritables
acteurs du changement et des modèles à suivre dans la mesure où ils contribuent largement à
faire reculer les stéréotypes et à faire évoluer le regard que nous portons sur les personnes
souffrant d'un handicap, ainsi que le regard qu'ils portent sur eux-mêmes »12. Ces affirmations
très optimistes reflètent une évolution positive du handisport au cours des dernières
décennies. Toutefois, ce constat reste confiné aux pays riches en ressources. En effet, la
plupart des Etats n’ont pas les moyens financiers nécessaires à l’adaptation des
infrastructures, qui garantiraient l’accès des personnes handicapées aux activités sportives. De
manière plus générale, le monde du sport handicap souffre d’une sous-représentation dans les
cercles décisionnels et d’une couverture médiatique insuffisante. Il existe certes un
développement dans les mentalités, mais l’expérience de terrain démontre que beaucoup reste
à faire afin de banaliser l’acception et la pratique du sport par les personnes handicapées,
d’autant plus lorsqu’il s’agit d’individus touchés par un handicap mental.
Les femmes, quant à elles, subissent dans le domaine du sport la structure patriarcale qui
prévaut depuis des siècles dans de nombreux secteurs de la société. Certaines disciplines
sportives demeurent dans les esprits une affaire d’hommes, notamment dans les sports dits
plus « virils » où les contacts sont plus fréquents. Cette conception se répercute lourdement
sur le nombre de pratiquantes et de responsables au sein des fédérations sportives. Ainsi, en
France, les femmes ne représentent que 34% des athlètes de haut niveau et 10% seulement des
entraîneurs nationaux (chiffres de 2007)13. La proportion de sportives au niveau amateur reste
également minoritaire dans la plupart des sports, surtout ceux traditionnellement réservés aux
garçons. Au-delà du blocage des mentalités, le sport féminin souffre également d’un déficit
médiatique important. Une autre dimension du facteur genre se rapporte aux freins d’ordre
communautaire. En effet, dans le cas de certaines minorités, le repli communautaire tend à
diminuer la visibilité des femmes dans l’espace public, avec pour conséquence l’impossibilité
pour ces femmes de s’adonner à leur sport favori.
Les populations immigrées, souvent la cible des programmes d’intégration par le sport,
n’ont pas non plus toujours aisément accès au sport. S’il est certes plus simple de viser
l’inclusion des personnes d’origine étrangère par l’intermédiaire du sport que par d’autres
biais, ou les résistances sont plus tenaces (ex. droits politiques), de nombreux obstacles se
dressent sur le chemin de l’intégration. Le problème se pose d’autant plus fortement lorsque
des groupes minoritaires jouissent de ressources financières très limitées. Nous pensons ici
surtout aux jeunes de banlieue ou d’ailleurs, dépourvus des moyens nécessaires à la pratique
de certaines disciplines ou tout simplement au déplacement vers les terrains ou salles de jeu.
12
CENTRE D’ACTUALITES DE L’ONU, L’ONU voit dans les Jeux paralympiques un formidable vecteur
d’intégration et de changement, 29.08.2012
13
« Le sport comme facteur d’intégration », Epoch Times, 22.10.2007
8
Or cette insertion sociale par le sport est primordiale au sein de toutes les communautés, car
elle garantit la possibilité de partager un loisir commun. Elle contribue de plus à la diffusion
des valeurs de la collectivité et possède la faculté de rassembler. Dans le cas d’un repli
communautaire, la situation inverse risque de se produire et d’accentuer les mécanismes
d’exclusion sociale, problématique sur laquelle nous reviendrons ci-dessous.
Enfin, divers facteurs entravent l’accès de tous à la pratique sportive. Michael F. Collins
et Tess Kay14 relèvent à ce sujet trois contraintes principales, à savoir le manque d’argent, le
chômage et la structuration du temps. En effet, si le football ou d’autres sports populaires –
par exemple le baseball à Cuba – demeurent facilement accessibles à tous, l’engagement
intensif dans un club nécessite des moyens financiers non négligeables, bien que variables
selon les disciplines (coût d’entrée, matériel, cotisation, déplacements, caisse d’équipe,
activités extra-sportives, etc.). Les personnes sans emploi se retrouvent majoritairement sans
grandes ressources financières et souffrent donc du même problème. Ils peuvent également
connaître une situation difficile du point de vue psychologique, ce qui ne les met pas en
condition pour une pratique sportive optimale. Ce dernier point est à nuancer, car certains se
réfugient aussi dans le sport pour évacuer les difficultés du quotidien. Cependant, dans la
majorité des cas, le fait d’être sans emploi ne favorise pas l’accès aux activités sportives, du
double point de vue financier et psychologique. Enfin, la structuration du temps entrave de
manière significative la possibilité de s’entraîner régulièrement. Nous pensons ici aux
individus qui luttent pour leur survie et consacrent leurs journées à leur gagne-pain et à leurs
enfants. Le phénomène prend encore plus d’ampleur lorsqu’il s’agit de familles
monoparentales, dans lesquelles les tâches ménagères et la garde des enfants sont confiées à
une seule personne. Ces trois contraintes se combinent fréquemment et le problème est
évidemment à aborder au sens large. Les auteurs affirment d’ailleurs que l’accès au sport
dépend avant tout des inégalités sociales, preuve que l’analyse doit prendre en compte
l’ensemble des composantes mentionnées ci-dessus.
Les auteurs insistent aussi sur trois groupes principaux de contraintes15. Premièrement,
les populations qui vivent en périphérie ont généralement moins accès aux infrastructures
sportives, plutôt concentrées dans les villes. Il peut également s’agir d’un problème financier
dûs aux coûts d’entrée, par exemple dans le cas du golf. Ce sont des facteurs d’ordre
structurel/environnemental. En deuxième lieu, certains individus peuvent développer un
sentiment réfractaire à la pratique sportive, résultant la plupart du temps des stéréotypes liés à
une discipline spécifique. Un tel sentiment débouche souvent sur un raisonnement du type
« ce n’est pas fait pour moi ». Cette contrainte est plus due à des facteurs de nature
psychologique/personnelle. Enfin, les personnes en charge des installations et des clubs
peuvent décider qui a le droit de participer à une activité sportive ou d’adhérer à un club. Ce
phénomène prend parfois une tournure négative, lorsque des individus labellisés comme
« différents » ne sont pas les bienvenus à l’intérieur des structures sportives. Il s’agit dans ce
cas précis de facteurs de médiation, qui inhibent le passage à la pratique pour des raisons
purement individuelles, et qui résultent souvent d’un manque d’ouverture d’esprit. Ainsi, des
personnes handicapées peuvent se voir refuser l’entrée dans un club pour des questions
d’image ou de réputation. Ces contraintes se chevauchent fréquemment, raison pour laquelle
il faut là aussi traiter du problème dans sa globalité.
14
15
COLLINS Michael F., KAY Tess, op. cit.
Ibid. p. 24
9
Le sport comme facteur potentiel d’exclusion sociale
Dans ce dernier chapitre, nous mettons le doigt sur l’aspect le plus délicat du rapport
entre sport et intégration. En effet, si le sport ne provoque que rarement une situation
d’exclusion, qui relève plutôt de la structure sociale elle-même, il peut parfois y contribuer.
Ainsi, le message de « sport pour les immigrés » promu en Europe par la philosophie
politique actuelle construit paradoxalement un concept qui perpétue la classification et la
discrimination. La situation des minorités ethniques, fortement exclues dans certains Etats, ne
résulte pas directement du sport. Celui-ci peut en revanche marquer, voire accentuer les
différences. De même, l’écart qui existe entre hommes et femmes dans le monde du sport est
avant tout une reproduction du système social de type patriarcal, c’est-à-dire basé sur la
domination masculine.
Dans son ouvrage Key Concepts in Sociology, Kenneth Roberts définit l’exclusion sociale
comme « la manière dont les gens sont typiquement exclus en fonction de plusieurs facteurs,
combinant niveau de richesse, revenu, emploi, niveau d’éducation et de représentation
politique, et soutien social et émotionnel »16. Selon lui, les principaux groupes à risque sont
les suivants :
-
Les jeunes et les personnes âgées
Les familles à faible revenu
Les minorités ethniques
Les personnes en situation de handicap
Les chômeurs de longue durée
Les personnes sans domicile fixe
Le sport peut aggraver la fracture qui existe entre ces groupes dits « à risque » et le reste de la
population. Par exemple, le golf ou l’équitation vont normalement de pair avec l’appartenance
à des milieux dotés de capitaux économique et culturel supérieurs à la moyenne. Un autre
risque existe en ce qui concerne les mécanismes d’exclusion sociale, très influent et pourtant
rarement mis en lumière : celui d’une spécialisation culturelle dans certaines disciplines, qui
accroît les différences intergroupes. Nous pensons ici plus particulièrement aux divers
championnats américains de basketball. Il est donc nécessaire de ne jamais sous-estimer les
logiques de ségrégation et de ghettoïsation présentes dans le monde du sport17.
Lorsque des entités sportives se créent hors des structures existantes, elles peuvent
également produire de l’exclusion. Il s’agit notamment d’équipes composées uniquement
d’individus d’origine étrangère, qui vivent parfois en marge de la société et reproduisent cet
écart sur le plan sportif. Il semble alors impératif de maintenir ces équipes au sein des ligues
nationales et de les intégrer dans les clubs. Dans le cas contraire, des divisions peuvent
s’accentuer sur les lignes de fracture, qu’elles soient nationales, communautaires, ethniques
ou culturelles. Cette situation s’envenime parfois et contribue à animer la haine ordinaire et le
racisme autour du sport. Lorsqu’il s’exprime sur le terrain et dans les stades (surtout de
football), le racisme renvoie les joueurs d’origine étrangère à leur différence. Il existe certes
une reconnaissance de la performance, mais elle se révèle souvent insuffisante au vu des
remarques discriminatoires subies par les athlètes.
16
17
ROBERTS Kenneth, Key Concepts in Sociology, Basingstoke, Palgrave, 2009, p. 263. Traduction libre
ROBERT Richard, op. cit.
10
Enfin, le dernier risque d’exclusion sociale relevé dans cet article se rapporte au sport
professionnel. Si celui-ci ouvre des portes, il peut aussi paradoxalement contribuer à
l’exclusion de jeunes défavorisés. En leur faisant miroiter monts et merveilles, notamment en
raison de son intense médiatisation, le sport de haut niveau fabrique des idoles et crée un
mythe du « salut social »18. Ce phénomène met par ailleurs en exergue les difficultés
d’insertion socio-professionnelle vécues par certains jeunes issus de l’immigration et qui se
réfugient dans le sport. Il semble néanmoins risqué de miser sur une ascension sociale par le
sport uniquement, tant les places au sommet sont rares et les échelons durs à gravir. Si l’école
ne paraît pas garantir une telle évolution à l’heure actuelle, l’éducation reste dans les faits le
meilleur moyen de s’en sortir pour un jeune en situation précaire.
Conclusion
En définitive, le sport n’enclenche pas les mécanismes d’inclusion ou d’exclusion
sociale, mais joue sur les rouages, permettant à ces différents processus de s’accélérer ou, au
contraire, de ralentir. Les sociétés connaissent une stratification qui leur est propre et toujours
multifactorielle. Si le sport contribue parfois à modifier la situation, en luttant contre la
pauvreté, le racisme, la ségrégation ou la discrimination, il ne peut répondre à lui seul à ces
puissantes logiques sociales. Ainsi que nous l’avons souligné, une pratique sportive régulière
renforce les réseaux sociaux. Ceci implique une meilleure connaissance de l’Autre, étape
indispensable sur la voie de l’intégration. En revanche, l’esprit élitiste qui prévaut dans
certaines disciplines empêche l’accès du plus grand nombre, dont les minorités, aux activités
sportives. De même, la fermeture d’un groupe minoritaire sur lui-même, qui s’impose en
s’opposant, en brandissant uniquement une identité distincte, va à l’encontre du processus
d’inclusion, que ce soit dans le sport ou dans d’autres domaines. Cependant, s’il existe bien
une forme de repli, notamment dans certains quartiers urbains européens, il faut absolument
distinguer droit à la différence et communautarisme.
De manière générale, un grand écart subsiste entre ce qui est proposé au sein de l’UE
(recommandations du Conseil de l'Europe) et ce qui est effectivement réalisé dans le cadre de
programmes locaux. Le processus est en marche, il s’agit maintenant de mieux coordonner les
projets et les objectifs entre gouvernements nationaux et régionaux, ONG, associations, clubs,
etc. Hors de l’UE, les pays doivent également travailler sur la coopération entre les différents
niveaux étatiques. Cet article renvoie une fois encore à la nécessité de traiter le problème de
l’intégration par le sport de façon globale, en incluant des thèmes essentiels comme la
jeunesse, la politique de la ville/de la campagne, la cohésion sociale, la famille, la
discrimination, parmi tant d’autres. Les moyens et l’envie de bien faire ne manquent pas, mais
ils nécessitent une distribution intelligente et une coopération efficace entre les partenaires
associatifs, publics et privés. Divers projets prometteurs sont en cours, mais ils ont encore
besoin de temps pour arriver à pleine maturité19.
18
19
ROBERT Richard, op. cit.
Plusieurs exemples sont disponibles sur ce blog. Cf. Rapport : Le sport au service de la diplomatie culturelle
11
Bibliographie
Ouvrages et articles
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