Télécharger l`article au format PDF

Transcription

Télécharger l`article au format PDF
L’Encéphale (2010) 36S, D14—D21
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
CLINIQUE
Évaluation des tempéraments affectifs dans la
symptomatologie dépressive du post-partum
Evaluation of affective temperaments in the postpartum depressive
symptomatology
J. Masmoudi a, S. Trabelsi a, F. Charfeddine a, B. Ben Ayed b,
M. Guermazi b, A. Jaoua a, E.G. Karam c, E.G. Hantouche d,∗
a
Service de psychiatrie « A », CHU Hédi-Chaker, 3029 Sfax, Tunisie
Service de gynécologie et d’obstétrique, 3029 Sfax, Tunisie
c
Department of Psychiatry and Clinical Psychology, Faculty of Medicine, Balamand University, St.-George Hospital University
Medical Center, IDRAAC, Beirut, Lebanon
d
Centre des troubles anxieux et de l’humeur (CTAH), 117, rue de Rennes, 75006 Paris, France
b
Reçu le 25 mars 2008 ; accepté le 26 janvier 2009
Disponible sur Internet le 22 avril 2009
MOTS CLÉS
Dépression ;
Post-partum ;
Facteurs de risque ;
Tempéraments
affectifs
∗
Résumé L’étude avait pour but d’estimer la prévalence de la dépression du post-partum (DPP)
et d’évaluer les tempéraments affectifs.
Méthode. — Il s’agit d’une enquête transversale et descriptive réalisée dans le service de gynécologie et d’obstétrique du CHU de Sfax, Tunisie. La population étudiée inclut 213 femmes
(âge moyen = 29 ans). L’Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) a été utilisée pour le
dépistage de la symptomatologie dépressive du post-partum (SDPP) et le Temperaments
Auto-questionnaire of Memphis, Pisa, Paris, and San Diego (TEMPS-A) pour l’évaluation des tempéraments affectifs. L’évaluation a été faite au cours de la première semaine du post-partum.
Résultats. — La prévalence de la SDPP à la première semaine a été de 19,2 % (groupe D+). La survenue de la dépression a été associée à un niveau scolaire plus bas, à un soutien sociofamilial et
une relation conjugale jugés de mauvaise qualité, à une difficulté d’accepter la grossesse et à la
présence d’antécédents psychiatriques personnels. Les scores de l’EPDS étaient corrélés avec
les scores des tempéraments anxieux, irritable, dépressif et cyclothymique, à l’exception de
l’hyperthymique. Dans le groupe D+, les scores des tempéraments dépressif, irritable, anxieux
et cyclothymique étaient significativement plus élevés. Des résultats convergents ont été obtenus dans une approche catégorielle prenant en compte les quartiles des tempéraments. Les
femmes du groupe D+ appartenant au troisième et/ou quatrième quartile des tempéraments
dépressif, cyclothymique, irritable et anxieux présentaient le plus de facteurs de risque psychosociaux. En revanche, les femmes avec un tempérament hyperthymique semblaient être
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (E.G. Hantouche).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2009.01.004
Évaluation des tempéraments affectifs dans la symptomatologie dépressive du post-partum
D15
plus protégées contre la dépression avec des facteurs psychosociaux plus favorables. Dans
l’analyse en régression logistique multivariée, les tempéraments cyclothymique et anxieux sont
des facteurs de risque significatifs, indépendamment des facteurs psychosociaux.
Conclusion. — La DPP en Tunisie est une affection fréquente qui nécessite d’être dépistée
et reconnue, notamment avec ses attributs tempéramentaux évoquant un profil de mixture
complexe de traits anxieux, dépressifs, irritables et cyclothymiques. Ce profil de tempérament
complexe instable doit être ajouté aux autres facteurs de risque plus classiques.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
KEYWORDS
Depression;
Postpartum;
Risk factors;
Affective
temperaments
Summary
Introduction. — Postpartum depression (PPD) is a frequent psychiatric condition, but little is
known about its potential bipolar nature and the implication of affective temperaments. The
goal of this study is to estimate the prevalence of PPD and assess the affective temperamental
profile of those affected.
Method. — The study was conducted in the department of gynecology and obstetrics of the
CHU of Sfax, Tunisia. The selected population included all 213 consecutive admissions (mean
age = 29 years). Postpartum depressive symptomatology (SPPD) was assessed during the first
week after delivery by using the Postnatal Edinburgh Scale Depression (EPDS) in its Arab version.
The Arabic version of the Temperaments Auto-questionnaire of Memphis, Pisa, Paris, and San
Diego (TEMPS-A) was simultaneously filled out by subjects. The subjects were divided into two
subgroups, depressed (D+) versus not depressed (D−), for comparative analyses. For affective
temperaments, dimensional (mean scores) and categorical (quartiles) approaches were used.
Results. — Forty-one women (19,2%) had a score higher than 9 on the EPDS (group D+). Lower
educational level, lower social and family support, dysfunctional marital relationship, problems
with accepting the pregnancy and prior psychiatric disorders were significantly more present
in the D+ group. The majority of the affective temperaments, excepting hyperthymic, were
correlated between them. The EPDS scores were correlated with all temperamental scores,
except for hyperthymic. Higher scores on the depressive, irritable, anxious and cyclothymic
temperaments were observed in the group D+.
Women belonging to the 3rd and 4th quartiles of the depressive, cyclothymic and irritable
temperaments and those belonging to the 4th quartile of the anxious temperament were significantly more depressed. Cyclothymic and depressive temperaments seemed to influence the
pregnancy acceptance. Other interactions were observed between SPPD, temperamental profiles and quality of marital relation, and family support. The opposite seems true for the
hyperthymic temperament, which could be protective against SPPD through better psychosocial
conditions. Multivariate regression analysis showed that cyclothymic and anxious temperaments
are significant risk factors independently from psychosocial factors, such as problems with
accepting the pregnancy, which seemed to be the most important risk factor.
Conclusion. — PPD represents a frequent disorder, which needs to be correctly screened and
recognized especially with its temperamental attributes, a mixture of anxious, irritable, depressive and cyclothymic traits. This complex unstable temperament should be considered as a
predisposing factor, which interacts also with other common risk factors.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Les troubles de l’humeur survenant en post-partum sont
essentiellement d’expression dépressive. Le « post-partum
blues » ou Syndrome du troisième jour est un syndrome fréquent, qui touche environ 50 à 80 % des accouchées. Il s’agit
d’une symptomatologie passagère se caractérisant essentiellement par des pleurs incessants accompagnés ou non de
tristesse, une labilité de l’humeur et des troubles cognitifs.
Cependant, lorsqu’il est sévère, il est étroitement associé à
la dépression du post-partum (DPP) [17,18,22,23,34].
La DPP est décrite comme le trouble de l’humeur le plus
fréquent après un accouchement. Sa prévalence varie de
10 à 20 %, avec une moyenne de 13 % [11,12,17,32,37]. La
DPP représente un problème de santé publique, non seulement du fait de sa fréquence mais surtout en raison de ses
conséquences néfastes sur le nouveau-né, sur la relation
conjugale, voire sur l’équilibre familial [25,36].
La DPP survient dans l’année qui suit l’accouchement,
dans les deux tiers des cas, dans les trois à six semaines qui
suivent l’accouchement, et associe, à un degré plus ou moins
important, les signes classiques de la dépression. S’y surajoutent des sentiments d’incapacité et des autoaccusations
en relation avec les soins apportés à l’enfant et considérés comme jamais suffisamment parfaits. Ces troubles et
le malaise interne ressenti sont souvent minimisés par la
patiente déprimée par crainte de décevoir ou d’inquiéter
son entourage. Il n’est par rare, d’ailleurs, que le médecin consulté banalise ou néglige ces symptômes, ce qui
représente une erreur importante. Quand les plaintes sont
exprimées, elles portent essentiellement sur des manifestations fonctionnelles ou somatiques, souvent rencontrées
dans la dépression masquée : asthénie, céphalées ou douleurs hypocondriaques erratiques, défaut de concentration,
D16
impression d’épuisement, insomnie, perte ou prise de poids
[17,22,34,40,41]. La DPP est également considérée comme
un facteur prédictif précoce de développement ultérieur de
troubles de l’humeur chronique ou récurrent [7,21,31,34].
Cependant, la DPP demeure, à l’heure actuelle, insuffisamment prévenue, diagnostiquée et traitée, au moins en
Tunisie [10,23,35].
Dans les concepts actuels du spectre bipolaire, la survenue de la dépression en post-partum est retenue comme
un indice de bipolarité [24]. De plus, le spectre bipolaire
est mieux précisé en explorant les tempéraments affectifs, notamment la cyclothymie et l’hyperthymie [2,3,9,16].
La faisabilité de l’exploration clinique des tempéraments,
grâce au TEMPS-A [5,8], a incité la mise en place de cette
enquête dont les objectifs ont été d’estimer la prévalence
de la DPP et tenter de dresser son profil tempéramental.
À notre connaissance, ce sujet n’a pas été abordé pour
l’instant dans la littérature psychiatrique contemporaine.
Population et méthode
Il s’agit d’une enquête transversale, descriptive et analytique qui s’est déroulée au service de gynécologie et
d’obstétrique du CHU de Sfax, Tunisie, durant la période
étalée du premier janvier au 30 avril 2006 (4 mois). Ont
été incluses dans ce travail, au hasard, les femmes ayant
accouché dans ce service et ce, quel que soit le mode
d’accouchement et après l’obtention d’un consentement
libre et éclairé. En raison du mode de l’enquête basé sur
l’autoévaluation, n’ont pas été sélectionnées les femmes
illettrées ne pouvant pas lire et remplir le questionnaire et
les femmes ayant refusé de participer à l’étude.
L’enquête a utilisé les instruments d’évaluation suivants :
• l’Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) pour le
dépistage de la symptomatologie dépressive du postpartum (SDPP). C’est une échelle développée par Cox
et al. [20] en 1987. Elle a été développée pour pallier
la « défaillance » des échelles usuelles de dépression peu
adaptées à la période postnatale [13,40,41]. Il s’agit d’un
autoquestionnaire, comprenant dix items, coté chacun
de 0 à 3 selon un ordre croissant de sévérité. Le score
total à l’EPDS varie de 0 à 30. Utilisé depuis 1987, l’EPDS
se révélait un indicateur spécifique et précis pour le
dépistage de la dépression gravidique et du post-partum
[20,35,40,41]. Malgré cette donnée, l’EPDS n’est pas un
outil diagnostique et en l’absence d’entretien structuré,
visant la recherche de la dépression, nous avons préféré
utiliser la terminologie SDPP. L’EDPS a été traduite en plusieurs langues et validée dans de nombreuses populations
[14,40,41]. Elle a été validée en Tunisie par l’équipe de
Monastir, en 2004. Le score seuil de 10 a été retenu pour
définir les cas positifs pour la DPP [38] ;
• le Temperaments Auto-questionnaire of Memphis, Pisa,
Paris, and San Diego (TEMPS-A) pour l’évaluation des
tempéraments affectifs : c’est un autoquestionnaire
développé par Akiskal et al. [5,8]. Il est composé de 110
items et permettant d’explorer les cinq types de tempéraments : tempérament dépressif (21 items), cyclothymique
(21 items), hyperthymique (21 items), irritable (21 items)
et anxieux (26 items). C’est la version arabe telle que
J. Masmoudi et al.
traduite et validée par Karam et al. [28] qui a été utilisée
dans notre enquête.
Cet autoquestionnaire permet d’aborder et d’évaluer
les profils tempéramentaux selon une approche plutôt
dimensionnelle, puisqu’il n’y pas de scores seuils, et il
peut y avoir des chevauchements entre certains traits
et des corrélations significatives entre les tempéraments
irritable, anxieux, dépressif et cyclothymique avec le
tempérament hyperthymique qui constitue apparemment
une dimension à part ;
• une fiche épidémiologique comprenant les données
sociodémographiques (âge, niveau scolaire, état civil,
résidence, niveau socioéconomique) et les données cliniques (antécédents médicochirurgicaux et obstétricaux,
désir de grossesse, soutien sociofamilial, nature de la
relation conjugale).
L’évaluation a été programmée le jour de sortie de
chaque femme et, dans tous les cas, au cours de la première
semaine du post-partum. Cette période a été techniquement la plus réaliste pour l’inclusion des femmes [40,41].
Cette période s’est située le plus souvent entre le deuxième
et le troisième jour pour les femmes ayant accouché par
voie basse et entre le quatrième et le septième jour pour
les femmes ayant accouché par césarienne. L’évaluation a
été assistée par un médecin psychiatre afin de faciliter le
remplissage des questionnaires.
Saisie et analyse des données
Le logiciel SPSS dans sa 11e version a été utilisé. La population a été répartie en deux sous-groupes :
• le groupe D+, groupe des déprimées ayant obtenu un score
EPDS ≥ 10 ;
• le groupe D−, groupe des non déprimées.
Pour l’approche dimensionnelle des tempéraments affectifs, nous avons procédé pour chaque tempérament, au
calcul des scores moyens des différents sous-groupes (D+
et D−). Dans une approche catégorielle, la population a
été divisée en fonction des scores de chaque tempérament
en quatre sous-groupes numériquement égaux (les quartiles). Une analyse multivariée par régression logistique a
été effectuée avec comme variable dépendante la DPP. Les
tests de Khi2 et de Student ont été utilisés pour les comparaisons entre les sous-groupes (D+ versus D−). Les analyses
corrélationnelles ont été effectuées moyennant le test de
Pearson. Le seuil de significativité a été fixé à 5 %.
Résultats
La population a été composée de femmes âgées en moyenne
de 29 ans, avec un maximum de 42 ans et un minimum de
19 ans, avec un écart-type de cinq ans. Les femmes étaient
majoritairement mariées (98,6 %), de niveau socioéconomique bas à moyen pour 85,4 % (182) et d’origine urbaine
pour 89,7 % (191). Le niveau scolaire a été primaire pour
38,5 % (82) des femmes, secondaire pour 46,5 % (99) et
supérieur pour 15 % (32). Huit femmes (3,8 %) ont eu des
antécédents psychiatriques personnels, 11 (5,2 %) ont eu
Évaluation des tempéraments affectifs dans la symptomatologie dépressive du post-partum
Tableau 1
D17
Relation entre la SDPP et les facteurs étudiés.
p
Khi2
9,3
90,7
0,31
1,016
59
85
28
34,3
49,4
16,3
0,03
6,684
0,3
9,7
2
170
1,2
98,8
0,53
0,388
17,1
82,9
24
148
13,9
86,1
0,611
0,259
Qualité du support sociofamilial
Mauvaise
23
Bonne
18
56,1
43,9
45
127
26,2
73,8
0,000
13,651
Relation conjugale
Bonne
Mauvaise
61
39
145
27
84,3
15,7
0,001
11,181
Difficulté d’accepter la grossesse
Oui
7
Non
34
17,1
82,9
5
167
2,9
97,1
0,000
12,498
Antécédents psychiatriques familiaux
Oui
2
Non
39
4,9
95,1
9
163
5,2
94,8
0,92
0,009
Antécédents psychiatriques personnels
Oui
6
Non
35
14,6
85,4
2
170
1,2
98,8
0,000
16,621
Antécédents médiochirurgicaux personnels
Oui
14
Non
27
34,1
65,9
36
136
20,9
79,1
0,14
3,218
D+
Nombre
%
D−
Nombre
Origine
Rurale
Urbaine
6
35
14,6
85,4
16
156
Niveau scolaire
Primaire
Secondaire
Supérieur
23
14
4
56,1
34
9,9
État civil
Célibataires
Mariées
1
40
Niveau socioéconomique
Bon
Moyen
7
34
25
16
%
D+ : présence de symptômes dépressifs du post-partum ; D− : absence de dépression.
des antécédents psychiatriques familiaux et 49 (23 %) ont
eu des antécédents médicochirurgicaux. La qualité du soutien social a été bonne dans 68,1 % (145) et faible à moyenne
dans 31,9 % (69) des cas. Parmi ces femmes, 20,2 % (43) ont
jugé leur relation conjugale moyenne ou mauvaise et 79,8 %
(170) l’ont jugé bonne. Enfin, 5,6 % (12) ont eu une difficulté
d’accepter la grossesse.
Prévalence de la dépression du post-partum
Les scores à l’EPDS ont varié de 0 à 20. Le score moyen à
l’EPDS dans la population entière a été de 6,12 (± 3,81).
Quarante et une femmes ont eu un score supérieur ou égal
à 10, soit une prévalence de la SDPP à la première semaine
de 19,2 %. La distribution des scores a été représentée dans
la Fig. 1. La survenue de dépression a été associée à un plus
bas niveau scolaire, à un soutien sociofamilial et à une relation conjugale jugés de mauvaise qualité, à une difficulté
d’accepter la grossesse et à la présence d’antécédents psychiatriques personnels (Tableau 1).
Caractéristiques tempéramentales
Le Tableau 2 montre la comparaison des scores moyens
(écart-types) et les scores minimaux et maximaux des cinq
tempéraments entre les sous-groupes D+ et D−. Des scores
plus élevés des tempéraments dépressif, irritable, anxieux
et cyclothymique ont été observés dans le groupe D+ et pas
de différence significative pour les scores du tempérament
hyperthymique. Les scores moyens de l’EPDS sont significativement corrélés aux scores des tempéraments à l’exception
du tempérament hyperthymique. Les scores des tempéraments affectifs sont corrélés entre eux à l’exception
de l’hyperthymique (Tableau 3). Dans une approche catégorielle des tempéraments affectifs, la population a été
répartie en plusieurs groupes en fonction des quartiles. Les
D18
J. Masmoudi et al.
Figure 1
Distribution des scores EPDS dans les groupes dépressif et non dépressif.
Tableau 2 Répartition des scores moyens des tempéraments affectifs.
TD
TC
TH
TI
TA
e
Population déprimée (D+)
Moyenne
10,34
12,37
D.S.
2,69
3,85
Maximum
15
19
Minimum
6
3
9,8
4,08
17
0
6,71
3,25
16
2
14,66
4,72
25
5
Population non déprimée (D−)
Moyenne
8,19
8,38
DS
2,98
4,03
Maximum
15
19
Minimum
0
0
10,12
3,93
18
0
4,11
3,41
15
0
9,57
4,54
24
0
Indice de signification
p
0,000
0,64
0,000
0,000
0,000
TD : tempérament dépressif ; TC : tempérament cyclothymique ;
TH : tempérament hyperthymique ; TI : tempérament irritable ;
TA : tempérament anxieux.
valeurs seuils limitant chaque groupe ont été fixées par
le logiciel SPSS et sont regroupés dans le Tableau 4. Les
cas des troisième et quatrième quartiles des tempéraments
dépressif, cyclothymique et irritable et ceux du quatrième
quartile du tempérament anxieux, sont les plus déprimés
(Tableau 5).
Tableau 3
Valeur du 25 percentile
Valeur du 50e percentile
Valeur du 75e percentile
TD
TC
TH
TI
TA
7
9
11
6
9
12
7
10
13
2
4
7
7
10
14
TD : tempérament dépressif ; TC : tempérament cyclothymique ;
TH : tempérament hyperthymique ; TI : tempérament irritable ;
TA : tempérament anxieux.
Caractéristiques tempéramentales et autres
paramètres liés à la SDPP
Nous n’avons pas trouvé de différences significatives au
niveau des scores moyens des différents tempéraments
affectifs selon les différents paramètres sociodémographiques (origine, niveau scolaire, état civil, niveau
socioéconomique). Le groupe des femmes avec une difficulté d’accepter leur grossesse se différenciait par un score
moyen plus élevé du tempérament dépressif (10,75 ± 3,36
versus 8,48 ± 2,98 ; p = 0,01) et du tempérament cyclothymique (11,33 ± 3,08 versus 9,01 ± 4,32 ; p = 0,05). Les
femmes avec des antécédents psychiatriques familiaux
avaient un score du tempérament dépressif significativement plus élevé par rapport à celles sans de tels antécédents
(10,91 ± 3,44 versus 8,48 ± 2,98 ; p = 0,01). Les femmes
avec des antécédents psychiatriques personnels présentent
Corrélations entre les tempéraments et le score EPDS.
EPDS
Hyperthymique
Cyclothymique
Dépressif
Irritable
a
Tableau 4 Répartition de la population selon les quartiles
tempéramentaux en T1.
Hyperthymique
Cyclothymique
Dépressif
Irritable
Anxieux
0,016
—
0,39a
0,16
—
0,32a
0,01
0,46a
—
0,32a
0,1
0,44a
0,44a
—
0,46a
0,19a
0,63a
0,48a
0,54a
Corrélation significative au niveau ≤ 0,01.
Évaluation des tempéraments affectifs dans la symptomatologie dépressive du post-partum
Tableau 5
D19
Relation entre les tempéraments affectifs et la SDPP selon une approche catégorielle.
Tempérament
dépressif
Tempérament
cyclothymique
Tempérament
irritable
Tempérament
anxieux
Tempérament
hyperthymique
D−
D+
D−
D+
D−
D+
D−
D+
D−
D+
45
48
42
37
4
5
14*
18*
53
54
38
27
4
3
12*
22*
44
42
49
37
0
5
18*
18*
47
35
53
37
1
7
9
24*
32
42
51
47
7
11
11
12
Total
172
41
172
41
172
41
172
41
172
41
p
0,002
Q1
Q2
Q3
Q4
0,000
0,000
0,000
0,96
SDPP : symptômes dépressifs du post-partum ; D+ : présence de dépression ; D− : absence de dépression ; Q1 : score compris entre 0 et
la valeur du 25e percentile ; Q2 : score compris entre la valeur du 25e percentile et la valeur du 50e percentile ; Q3 : score compris entre
la valeur du 50e percentile et la valeur du 75e percentile ; Q4 : score supérieur au 75e percentile.
Les astérisques indiquent les différences statistiquement significatives.
Tableau 6
Analyse multivariée en régression logistique.
Significativité
Relation conjugale mauvaise
Absence de soutien social
Difficulté d’accepter la grossesse
Tempérament dépressif
Tempérament cyclothymique
Tempérament irritable
Tempérament anxieux
Tempérament hyperthymique
0,009
0,071
0,009
0,629
0,041
0,510
0,015
0,064
B
1,337
0,818
1,971
0,004
0,135
0,048
0,158
−0,108
des niveaux élevés sur tous les tempéraments, sauf pour
l’hyperthymique.
Dans une approche analytique à trois variables, l’étude
des relations entre la SDPP, les profils tempéramentaux et
les autres caractéristiques a montré que les femmes du
groupe D+ appartenant au troisième et/ou quatrième quartile du tempérament dépressif, cyclothymique, irritable
et anxieux ont été différentes de celles non déprimées
concernant les éléments suivants : une relation conjugale
plus altérée, un soutien sociofamilial plus faible, une plus
grande difficulté d’accepter la grossesse. Les femmes non
déprimées et appartenant au troisième et/ou quatrième
quartile du tempérament hyperthymique ont été différentes de celles déprimées et ont eu un meilleur niveau
socioéconomique (p = 0,01), une meilleure relation conjugale (p = 0,05) et une meilleure qualité du soutien social
(p = 0,01).
Les données de l’analyse multivariée sont présentées
dans le Tableau 6. Les facteurs les plus prédictifs de la
SDPP sont par ordre décroissant : difficulté d’accepter la
grossesse, mauvaise relation conjugale et tempéraments
cyclothymique et anxieux.
Discussion
Il importe de souligner certaines limitations de l’étude :
Odd ratio
3,806
2,265
7,180
1,041
1,145
1,050
1,171
0,898
95,0 % intervalle de confiance
Odd ratio
Bas
Haut
1,404
0,934
1,648
0,884
1,006
0,909
1,031
0,801
10,316
5,494
31,283
1,226
1,304
1,213
1,330
1,006
• la sélection dans un hôpital public ;
• le niveau scolaire bas a empêché certaines femmes de
participer à l’enquête, par conséquent, les résultats ne
peuvent pas être extrapolables à l’ensemble des femmes
nouvellement accouchées ;
• le choix de l’EPDS ayant une sensibilité de 1 et une
spécificité de 0,91 [38], bien que satisfaisante, laisse la
possibilité de faux positifs et nécessite un examen psychiatrique plus approfondi (absence dans notre enquête
d’entretien structuré recherchant les épisodes dépressifs) ;
• l’absence d’évaluation systématique des troubles de
l’humeur au cours de la grossesse ;
• le TEMPS-A, quoique utilisé dans sa version arabe, n’est
pas encore validé en Tunisie.
Dans notre étude, la prévalence de la SDPP à la
première semaine du post-partum a été de 19,2 %, un
taux qui se trouve dans la limite supérieure des valeurs
rapportées dans la littérature [11,12,40,41]. En ce qui
concerne les pays arabes, peu d’études ont été réalisées sur la dépression postnatale. Une étude aux Émirats
Arabes a montré une prévalence de 18 %, une étude marocaine avec un taux de 11,8 % et une autre au Liban
avec un taux de 21 % [1,15,18]. Plusieurs facteurs en rapport principalement avec la population d’étude (taille,
type, origine), le moment de l’évaluation et le type de
D20
l’instrument utilisé peuvent expliquer ces divergences épidémiologiques.
Notre étude a montré que la survenue de la SDPP est
liée tant à des facteurs psychosociaux défavorables qu’à des
facteurs psychiatriques (antécédents psychiatriques personnels) et tempéramentaux [22]. Pour la première fois, nos
résultats ont montré un lien significatif entre la SDPP et
des niveaux élevés des tempéraments dépressif, cyclothymique, irritable et anxieux, qui, d’ailleurs, sont corrélés
entre eux et distincts du tempérament hyperthymique. Un
niveau élevé sur le tempérament hyperthymique s’avère
protecteur contre la survenue de la SDPP. Ces rapports entre
les tempéraments et la dépression en général ont été déjà
rapportés dans la littérature récente [2,4,6,19,27,29—30].
De manière plus précise, Josefsson et al. [26] ont montré une
relation entre la SDPP et deux dimensions de l’inventaire des
tempéraments de Cloninger : niveau élevé sur « l’évitement
du danger » et niveau bas sur la dimension « détermination »
qui, selon Maremanni et al. [33], sont des corrélats des tempéraments dépressif et cyclothymique.
Selon plusieurs experts [37,39], la dépression postnatale
est déterminée par l’interaction des facteurs hormonaux,
psychiatriques et socioculturels. Notre étude a montré
que les facteurs psychosociaux sont déterminants, notamment la difficulté d’accepter la grossesse et la mauvaise
relation conjugale. Des interactions entre ces facteurs et
les tempéraments dépressif et cyclothymique existent. Ce
qui suggère que la SDPP résulte d’un cumul de risque,
une association d’un profil tempéramental prédisposant
à la dépression en général et d’un contexte psychosocial défavorable. Inversement, le cas de figure d’un
tempérament hyperthymique associé à des facteurs psychosociaux favorables est protecteur contre la survenue de la
SDPP.
Nos résultats, bien que préliminaires, doivent sensibiliser les gynécologues et obstétriciens à la SDPP, en raison de
sa fréquence. Dans une approche préventive, l’exploration
des tempéraments au cours de la grossesse serait utile pour
prédire les sujets à risque de développer une SDPP et mettre
en place une surveillance et, éventuellement, un traitement préventif. En cas de survenue de SDPP, la présence
du tempérament cyclothymique doit orienter le choix thérapeutique en faveur des thymorégulateurs.
Nos données sont, pour l’instant, préliminaires. Elles sont
encourageantes pour compléter l’enquête avec une étude
prospective des tempéraments et des troubles de l’humeur
en pré- et post-partum.
Références
[1] Abou-Saleh MT, Ghubash R, Daradkeh TK. The validity of the
Arabic Edinburgh Postnatal Depression Scale. Soc Psychiatry
Psychiatr Epidemiol 1997;32:474—6.
[2] Akiskal HS. Personality as mediating variable in the pathogenesis of mood disorders: implication for theory, research
and prevention. In: Helgason T, Daly RJ, editors. Depressive
illness: prediction of course and outcome. Berlin: SpringerVerlag; 1988. p. 131—46.
[3] Akiskal HS. The Dark side of bipolarity: detecting bipolar
depression in its pleomorphic expressions. J Affect Disord
2005;84:107—15.
J. Masmoudi et al.
[4] Akiskal K, Akiskal HS. The theoretical underpinnings of affective temperaments: implications for evolutionary foundations
of bipolarity and human nature. J Affect Disord 2005;85:231—9.
[5] Akiskal HS, Akiskal K, Haykal R, et al. TEMPS-A: progress
towards validation of a self-rated clinical version of the Temperament Evaluation of the Memphis, Pisa, Paris, and San Diego
Autoquestionnaire. J Affect Disord 2005;85:3—16.
[6] Akiskal HS, Akiskal KK, Lancrenon S, et al. Validating the soft
bipolar spectrum in the French National EPIDEP Study: the prominence of BP-II1/2. J Affect Disord 2006;96:207—13.
[7] Akiskal HS, Mallya G. Criteria for the soft bipolar spectrum:
treatment implication. Psychopharmacol Bull 1987;23:68—73.
[8] Akiskal HS, Mendlowicz MV, Jean-Louis G, et al. Validation of a
short version for a self-rated instrument designed to measure
variations in temperament. J Affect Disord 2005;85:45—52.
[9] Akiskal HS, Walker P, Puzantian VR, et al. Bipolar outcome in
the course of depressive illness. J Affect Disord 1983;5:115—28.
[10] Appleby L, Warner R, Whitton A, et al. Attitudes toward motherhood in postnatal depression: development of the Maternal
Attitudes Questionnaire. J Psychosom Res 1997;43:351—8.
[11] Austin M-P, Lumley J. Antenatal screening for postnatal depression: a systematic review. Acta Psychiatr Scand 2003;107:10—7.
[12] Beck CT. Predictors of postpartum depression: an update. Nurse
Res 2001;50:275—85.
[13] Beck AT, Ward CH, Mendelson M, et al. An inventory for measuring depression. Arch Gen Psychiatry 1961;4:561—71.
[14] Benvenutti P, Ferrara M, Niccolai C, et al. The Edinburgh post
natal depression scale: validation for an Italian sample. J Affect
Disord 1999;53:137—41.
[15] Bettas O, Ayoub M, Moussaoui D. Postnatal depression: a prospective study. Acta Esp Psychiatr 2001;29:65—6.
[16] Bourgeois ML, Verdoux H. Indices et facteurs prédictifs
de bipolarité dans les états dépressifs. Ann Med Psychol
1996;154:577—88.
[17] Chabrol H, Teissedre F, Saint-Jean M, et al. Detection, prevention and treatment of postpartum depression: a controlled
study of 859 patients. Encéphale 2002;28:65—70.
[18] Chaya M, Campbell O, El Kak F, et al. Post partum depression:
prevalence and determinants in Lebanon. Arch Womens Ment
Health 2002;5:65—72.
[19] Chiaroni P, Hantouche EG, Gouvernet J, et al. Hyperthymic
and depressive temperaments study in controls, as a function of their familial loading for mood disorders. Encéphale
2004;30:509—15.
[20] Cox JL, Holden JM, Sagovsky R. Detection of postnatal
depression: development of the 10 item Edinburg postnatal
depression scale. Br J Psychiatry 1987;150:782—6.
[21] D’Haenen H. Les critères des bipolaires. Encéphale
2006;32:15—7.
[22] Dayan
J.
Clinique
et épidémiologie
des troubles
anxieux et dépressifs de la grossesse et du post-partum.
Revue et synthèse. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2007;36:
549—61.
[23] England SJ, Ballard C, George S. Chronicity in postnatal depression. Eur J Psychiatry 1994;8:93—6.
[24] Ghaemi SN, Ko JY, Goodwin FK. ‘‘Cade’s disease’’ and beyond:
misdiagnosis, antidepressant use, and a proposed definition for
bipolar spectrum disorder. Can J psychiatry 2002;47:125—34.
[25] Henderson JJ, Evans SF, Straton JA, et al. Impact of postnatal
Depression on breastfeeding duration. Birth 2003;30:75—80.
[26] Josefsson A, Larsson C, Sydsjö G, et al. Temperament and character in women with postpartum depression. Arch Womens
Ment Health 2007;10:3—7.
[27] Karam EG. Affective temperaments, axis I disorders and correlates: the Lebanon Study. In: The 6th IRBD. 2006.
[28] Karam EG, Mneimneh Z, Salamon M, et al. Psychometric
properties of the Lebanese-Arabic TEMPSA: a national epidemiologic study. J Affect Disord 2005;87:169—83.
Évaluation des tempéraments affectifs dans la symptomatologie dépressive du post-partum
[29] Kochman FJ, Hantouche EG, Ferrari P, et al. Cyclothymic
temperament as a prospective predictor of bipolarity and suicidality in children and adolescents with major depressive
disorder. J Affect Disord 2005;85:181—9.
[30] Kraepelin E. Manic-depressive insanity and paranoia. Edinburgh: ES Livingstone; 1921.
[31] Luama I, Tamminen T, Kaukonen P, et al. Longitudinal study of
maternal depressive symptoms and child well-being. J Am Acad
Child Adolesc Psychiatry 2001;40:1367—74.
[32] Mancini F, Carlson C, Albers L. Use of the Postpartum Depression Screening Scale in a collaborative obstetric practice. J
Midwifery Womens Health 2007;52:429—34.
[33] Maremmani I, Akiskal HS, Signoretta S, et al. The relationship of
Kraepelian affective temperaments (as measured by TEMPS-I)
to the tridimensional personality questionnaire (TPQ). J Affect
Disord 2005;85:17—27.
[34] Masmoudi J, Tabelsi S, Charfeddine F, et al. Étude de
la prévalence de la dépression du post-partum auprès
de 213 parturientes tunisiennes. Gynecol Obstet Fertil
2008;36:782—7.
D21
[35] Murray L, Carothers AD. The validation of the Edinburg Postnatal Depression Scale on a community sample. Br J Psychiatry
1990;157:288—90.
[36] Murray L, Sinclair D, Cooper P, et al. The socio-emotional
development of 5-year-old children of post-natal depressed
mothers. J Child Psychol Psychiatry 1999;40:1259—71.
[37] O’Hara MW, Swain AM. Rates and risk of postpartum depression
— a meta-analysis. Int Rev Psychiatry 1996;8:37—54.
[38] Raoudha S. La dépression du post partum (prévalence et facteurs associés). Tunisie: Université de Médecine de Monastir;
2004. p. 1—158. [Thèse].
[39] Stern G, Kruckman L. Multi-disciplinary perspectives on postpartum depression. Soc Sci Med 1983;17:1027—41.
[40] Teissedre F, Chabrol H. Detecting women at risk for postnatal
depression using the Edinburgh Postnatal Depression Scale at 2
to 3 days postpartum. Can J Psychiatry 2004;49:51—4.
[41] Teissedre F, Chabrol H. A study of the Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) on 859 mothers: detection of
mothers at risk for postpartum depression. Encéphale 2004;30:
376—81.

Documents pareils