Convergence nominale et convergence réelle des nouveaux États
Transcription
Convergence nominale et convergence réelle des nouveaux États
DP Analyses Économiques N° 45 – Juillet 2004 Convergence nominale et convergence réelle des nouveaux États membres (NEM)1 L'entrée dans l'Union européenne le 1er mai 2004 de dix nouveaux État membres (NEM) est le résultat de plus d'une décennie de progrès et de réformes qui ont transformé de façon radicale ces économies. Pour autant, cet élargissement se distingue des précédents par des écarts de développement beaucoup plus marqués entre anciens et nouveaux membres. Pour évaluer leur processus de rattrapage, on distingue habituellement deux sortes de «convergence» : la convergence «nominale» et la convergence «réelle». La notion de convergence nominale peut être appréhendée facilement puisqu'elle fait référence aux cinq critères de Maastricht, immédiatement observables, à savoir l'inflation, les taux d'intérêt de long terme, les déficit et dette publics, et la stabilité du taux de change nominal. La notion de convergence réelle est moins rigoureusement définie, et fait référence à la convergence des niveaux de vie, des niveaux de productivité et des structures économiques. Les critères de convergence nominale ont été élaborés au début des années 90 pour des pays ayant atteint plus ou moins le même degré de développement ; ils ne sont donc pas forcément adaptés aux spécificités des économies en rattrapage. Un problème délicat d'arbitrage se pose, pour les NEM, entre les deux types de convergence, dont les objectifs peuvent parfois entrer en conflit. La convergence nominale, et en particulier la baisse de l'inflation, a été nécessaire pour permettre la stabilisation macroéconomique. Depuis quelques années, la convergence nominale a été privilégiée parce qu'elle apparaît comme une condition pour l'adoption de la monnaie unique, que les NEM envisageaient à un horizon rapproché. Même si l'horizon semble à présent s'éloigner (la Pologne, la République tchèque, et plus récemment la Hongrie ont décidé de reporter cette adoption aux alentours de 2010), l'entrée dans la zone euro reste un choix stratégique pour beaucoup des nouveaux membres de l'Union. Ainsi, les progrès réalisés ont été spectaculaires : la plupart des critères de Maastricht pourraient être respectés dans un futur assez proche, avec cependant des finances publiques qui sont et resteront sous pression dans les années à venir. A cet égard, la convergence nominale des futurs membres semble plus avancée qu'elle ne l'était pour des pays comme l'Espagne, la Grèce, l'Irlande ou le Portugal cinq ans avant qu'ils n'adoptent la monnaie unique. Dans le même temps, la convergence réelle des NEM doit encore progresser. Même si la croissance économique de ces pays est plus dynamique que celle de l'UE15, les niveaux de PIB par habitant mesurés en parité de pouvoir d'achat (ppa) ou de productivité sont très inférieurs à ceux constatés dans l'Union européenne. Les écarts avec la moyenne de l'UE15 sont pour la plupart des pays notablement plus grands que ceux constatés pour l'Espagne, la Grèce ou le Portugal au moment de leur adhésion. Contrairement à la convergence nominale, la convergence réelle est un processus de long terme puisqu'il faudra sans doute plusieurs décennies à ces pays pour se rapprocher de la moyenne de l'Union. Le conflit entre convergence nominale et réelle peut se manifester sous diverses formes sur une période aussi longue. La convergence nominale peut s'effectuer au détriment de la convergence réelle et la freiner au lieu de l'accélérer. Une politique monétaire trop restrictive destinée à contrer les effets inflationnistes liés au rattrapage nuirait à la croissance et à l'emploi. Une réduction drastique des dépenses publiques d'investissement pour réduire les déficits publics serait contradictoire avec les besoins d'infrastructures très importants qui caractérisent les économies en transition et pourrait empêcher les NEM de bénéficier pleinement des transferts européens alloués au titre de la politique régionale. 1. Ce document a été élaboré conjointement par la Direction de la Prévision et de l’analyse économique et ne reflète pas nécessairement la position du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. L'adoption de l'euro fait partie des instruments dont disposent les NEM pour rattraper les niveaux de vie observés dans l'UE15. L'entrée dans l'euro ne sera cependant possible qu'après la satisfaction d'un certain nombre de critères, dits de convergence nominale, qui portent sur l'évolution des prix, des taux d'intérêt, du taux de change, de la dette et des déficits publics. A court terme, ces critères ne favorisent pas forcément la convergence réelle des NEM vers le reste de l'UE15. La question du rythme de convergence nominale à privilégier peut donc se poser. 1. Des progrès considérables en termes de convergence nominale, même si les performances sont fragiles 1.1 La convergence nominale est très nette en ce qui concerne l'inflation Le processus de désinflation a été marqué dans les NEM. Selon les pays, la tendance a été récemment renforcée par le ralentissement économique, la stabilisation du taux de change, ou encore le maintien de politiques monétaires restrictives dans certains pays. La majorité des pays enregistrent aujourd'hui une inflation inférieure à la valeur de référence du critère de Maastricht. 23 Niveau des prix relatifs, UE15=100, 2002 UE15 100,0 Chypre 83,1 Slovénie 72,6 Pologne 57,4 Estonie 56,1 Hongrie République tchèque Lituanie Lettonie République slovaque 54,9 53,1 51,1 50,4 43,5 Source : Eurostat • Ce rattrapage des prix est lié en grande partie à l'effet «Balassa» : selon cette approche, dans les économies en transition, la productivité du secteur exposé à la concurrence internationale (ou encore des biens échangés) augmente plus vite que celle du secteur abrité, entraînant une croissance des salaires dans le secteur exposé. En raison de l'égalisation des salaires, liée à la mobilité sectorielle de la force de travail, les salaires du secteur abrité vont augmenter plus vite que la productivité dans ce secteur, provoquant une hausse des prix relatifs dans ce secteur qui va se répercuter sur le niveau général des prix. Si l'effet Balassa semble moins élevé que par le passé, il pourrait encore expliquer jusqu'à 2 points d'inflation pour les NEM. • Les hausses marquées de salaires nominaux s'expliquent donc en partie par ce mécanisme. Mais l'exemple récent de la Hongrie, où, en 2002, une grande partie des salaires du secteur public a augmenté de moitié, provoquant une hausse globale des salaires de près de 20%, montre que des effets ponctuels peuvent amplifier la dynamique potentiellement inflationniste des salaires. 18 13 8 3 –2 1996 1997 République tchèque Lettonie République slovaque 1998 1999 Estonie Lituanie Slovénie 2000 2001 2002 2003 Hongrie Pologne Valeur de référence Cependant il reste des sources potentielles de résurgence de l'inflation : – Des sources inhérentes aux économies en transition, ayant des effets de long terme : • Un rattrapage naturel des prix avec l'Union européenne, favorisé par l'adhésion et une meilleure intégration commerciale. En 2002, le niveau des prix relatifs (par rapport à une moyenne UE15 = 100) variait de 43,5 pour la Slovaquie à 83,1 pour Chypre. – Des sources ponctuelles ou ayant des effets de court terme : • La poursuite de la libéralisation des prix et l'harmonisation fiscale : les prix administrés peuvent représenter une part importante du panier de l'indice des prix ; la mise en conformité des taxes indirectes(TVA, droits d’accises) devrait également favoriser une hausse des prix après l'adhésion. La Slovaquie par exemple devrait connaître un pic transitoire d'inflation à 8,5% en 2004 (qui serait de 2,6% hors prix administrés). Le critère nominal relatif à l'inflation ne permettant pas d'isoler et d'exclure le surcroît d'inflation généré par des facteurs structurels inhérents aux économies en transition, son respect peut donc conduire à des politiques monétaires inutilement restrictives. 2 Les critères de convergence nominale 1) Stabilité des prix : sur une période d'un an avant examen, le taux d'inflation annuel ne devra pas dépasser de plus de 1,5 point la moyenne des trois états membres de l'Union les moins inflationnistes. 2) Le déficit public devra être inférieur à 3% du PIB ou alors avoir baissé de façon substantielle vers ce seuil. 3) La dette publique devra être inférieure à 60% du PIB ou alors avoir baissé de façon substantielle vers ce seuil. 4) Taux d'intérêt à long terme : les taux d'intérêt nominaux à long terme (10 ans) sur la dette publique ne devront pas dépasser de plus de 2 points la moyenne des trois États membres de l’Union les moins inflationnistes. 5) Stabilité du change : chaque État membre devra avoir passé au minimum 2 ans dans le mécanisme de change (MCE2) sans tension grave. En particulier, il ne devra pas avoir dévalué sur cette période. Les marges de fluctuations du change sont limitées à ±15% autour de la parité centrale avec l'euro. Cependant, il est important de distinguer les marges de fluctuation autorisées par le MCE2 et l'évaluation in fine de la stabilité du change : dans ce dernier cas, le Traité ne précise pas l'ampleur des marges. En 1998, la Commission a utilisé ±2,25% pour évaluer la stabilité du change dans son analyse de convergence, mais ce chiffre n'a pas valeur juridique Tableau 1 : Indicateurs relatifs aux critères de Maastricht (2003) (Les cases grisées indiquent une valeur au-dessus de la valeur de référence) Inflation 2003 (moyenne annuelle en %) Moyenne UE 15 Taux d'intérêt long termea Solde public 2003 (% du PIB) Dette publique 2003 (% du PIB) Change : fourchette des variations maximales par rapport à la valeur moyenne 01/06/01 – 31/05/03 2,0 4,2% –2,6 64,2 2,7 6,2 % –3,0 60,0 Estonie 1,4 4,9%c +2,6 5,8 Currency board / euro Chypre 4,0 4,7% –6,3 72,2 [–1,6% ; 1,6%] Hongrie 4,7 6,5% –5,9 59,0 [–6,1% ; 9,6%] Lettonie 2,9 5,0% –1,8 15,6 [–11,6% ; 11,5%] Lituanie –1,1 5,2% –1,7 21,9 Currency board / euro Malte 2,6 4,9% –9,7 72,0 [–5,7% ; 3,8%] Pologne 0,7 6,0% –4,1 45,4 [–18,9% ; 18,6%] –0,1 4,2% –12,9 37,6 [–9,4% ; 7,5%] Slovaquie 8,5 5,0% –3,6 42,8 [–4,9% ; 6,7%] Slovénie 5,7 6,1% –1,8 27,1 [–5,5% ; 4,4%] Valeur de référenceb République tchèque a. b. c. Moyenne entre mars 2003 et février 2004, BCE et Commission. Moyenne des trois pays les moins inflationnistes de l’UE15, +1,5% pour l’inflation, 2% pour les taux d’intérêt à long terme. Dans le cas de l’Estonie, dont la dette publique est très limitée, il n’est pas possible d’identifier des obligations harmonisées à 10 ans suivant le cadre statistique commun. Le meilleur indicateur permettant de l’approcher est le niveau moyen des taux d’intérêts appliqués aux nouveaux prêts banquaires accordés depuis plus de cinq ans aux entreprises et aux ménages. 3 1.2 Taux d'intérêt à long terme La convergence des taux d'intérêt à long terme a également été assez rapide, parallèlement à la désinflation enregistrée dans ces pays et en raison d'anticipations favorables liées à l'adhésion à l'Union européenne : en moyenne, sur la période mars 2003-février 2004, tous les pays avaient des taux longs inférieurs à la valeur de référence de 6,2%, à l'exception de la Hongrie qui a légèrement dépassé ce seuil (6,5%). La convergence des taux longs est plus avancée que celle de l’Espagne, la Grèce ou le Portugal quatre ans avant leur entrée dans la zone euro : le différentiel avec les taux longs allemands excédait alors 400 points de base pour l'Espagne et le Portugal et plus de 1100 points de base pour la Grèce. 1.3 Les finances publiques restent un problème majeur pour les NEM Le creusement des déficits publics reste problématique pour la plupart des NEM, même si la comparaison avec l'Espagne, la Grèce ou le Portugal cinq ans avant l'adoption de la monnaie unique montre que la situation est comparable, voire meilleure. Cette situation peut se justifier pour des pays en rattrapage en raison de leurs besoins de financement et d'investissements publics beaucoup plus importants que les anciens membres de l'UE. En outre, les niveaux de dette sont, pour la plupart, modérés. Le critère des 3% n'apparaît donc pas nécessairement compatible avec les marges de manœuvre budgétaires dont ces pays ont besoin pour accélérer leur rattrapage. Cette contrainte sera d'autant plus marquée à l'avenir que les aides européennes seront conditionnées par des co-financements au niveau des budgets nationaux. Déficits et dettes publics, en % du PIB 2003 pour les NEM, 1994 pour Espagne, Irlande, Portugal, 1996 pour Grèce 13% 130% 11% 110% 9,7% 9% 90% 6,6% 7,4% 6,3% 7% 4,1% 5% 1,8% 3% 70% 6,1% 5,9% 6,0% 50% 3,6% 1,7% 30% 2,0% 1,8% 1% Grèce Portugal Irlande Espagne Slovénie Slovaquie République tchèque * Malte déficit public (en % du PIB) Pologne Lituanie Hongrie –2,6% Lettonie – 3% Chypre – 1% Estonie 10% Cependant, le creusement des déficits publics, combiné avec des déficits courants également élevés de moins en moins couverts par les IDE, pose la question de la soutenabilité de la politique des finances publiques. La dette publique est certes encore sous le seuil des 60% dans la plupart des économies, mais sa dynamique est inquiétante dans un contexte de vieillissement des populations : de 20% du PIB en 2002, la dette publique en République tchèque pourrait atteindre 100% du PIB en 2010. 1.4 Les taux de change restent volatiles Les NEM ont des régimes de change variés, allant de la «caisse d'émission» ou «currency board»2 (Estonie et Lituanie) aux régimes de changes flottants (Pologne, République tchèque, Slovénie, Slovaquie), en passant par des systèmes de changes fixes avec marges de fluctuation (Hongrie et Chypre par rapport à l'euro, Lettonie par rapport au DTS du FMI), il est difficile d’appliquer le critère de change au sens de Maastricht. Les fluctuations maximales autour du cours moyen avec l'euro sur les deux dernières années (cf. tableau 1) peuvent toutefois nous donner une indication sur la volatilité de ces monnaies. En tout état de cause, les attaques spéculatives de 2003 en Hongrie, seul pays avec Chypre ayant un régime très proche du MCE2, et la chute consécutive de 17% du forint, ont donné un avant-goût des difficultés auxquelles pourraient être confrontées ces économies dans un environnement contraint tel que le MCE2 dans un contexte de libre circulation des capitaux. 2. La convergence réelle sera beaucoup plus longue 2.1 Plusieurs décennies seront vraisemblablement nécessaires pour combler le retard en termes de PIB par habitant ou de productivité du travail Malgré une croissance plus forte que celle de l'Union européenne durant la dernière décennie, les NEM conservent un retard marqué par rapport à l'UE15 puisque la moyenne pondérée des PIB / habitant s'élève à 25% de la moyenne de l'UE 15 en euros, et à 50% si elle est mesurée en parité de pouvoir d’achat. Les disparités sont fortes entre les pays les plus avancés comme Chypre, Malte ou la Slovénie, qui s'approchent des niveaux de la Grèce et du Portugal, et les pays les moins avancés (Pologne, pays baltes). – 10% – 30% dette publique (en % du PIB) * Pour la République tchèque, le système ESA fait apparaître en 2003 un déficit de 12,9% du PIB, en raison de la prise en compte de garanties d'État. Hors cet effet «one-off», le déficit se serait élevé à 6% du PIB. 2. Forme la plus contraignante de changes fixes puisque toute la monnaie en circulation doit être exactement couverte par les réserves de change ; la politique monétaire n'a plus aucune autonomie. 4 PIB par habitant, ppa, UE15 =100, 2002 UE15 Espagne Grèce Portugal Chypre 100,0 86,0 70,8 70,8 76,4 Productivité par personne occupée, ppa, UE15=100, 2003 100,0 95,6 91,1 64,4 83,5 Malte 68,8 p 78,8 Slovénie 69,5 p 70,2 République tchèque 61,6 p 62,6 53,4 p 56,2 47,2 41,7 p 61,0 40,1 p 44,3 39,8 p 46,8 34,8 p 38,7 Hongrie Slovaquie Pologne Estonie Lituanie Lettonie 50,3 2.2 L'analyse de la croissance dans les NEM montre une contribution importante de la productivité globale des facteurs (PGF) A moyen et long terme, la capacité de convergence réelle des NEM peut s'apprécier en décomposant leur croissance selon le modèle de Solow, c'est-à-dire entre facteurs de production (travail et capital) et productivité globale des facteurs (PGF), qui représente la partie de la croissance due au progrès technique. Les contributions à la croissance de ces trois différents facteurs ont été estimées sur la période 1991-1999 dans une étude du FMI6 et montrent une croissance fortement tirée par la productivité globale des facteurs et une contribution négative de l'emploi. Dans une première phase, les économies en transition ont connu de profondes restructurations qui ont simultanément accru la productivité et détruit des emplois. Le processus de destruction / création de la croissance a privilégié le premier terme, d'une manière assez similaire à ce qu'a connu dans un premier temps un pays comme l'Espagne après 1986. Source : Eurostat, p : prévison A titre de comparaison, au moment de leur adhésion3, le PIB par habitant (en ppa) de ces pays s'élevait à environ 65% de l'UE9 pour la Grèce, 55% pour le Portugal et 70% pour l'Espagne. Contrairement à la convergence nominale, la convergence réelle est un processus beaucoup plus long. Selon la Commission, il faudra 7 ans à la Slovénie, 19 ans à la République tchèque, 24 ans à la Hongrie et 50 ans à la Pologne pour que ces pays atteignent 75% de la moyenne de l'UE15 en termes de PIB par habitant en ppa4. L'exemple des précédents élargissements, avec d'une part l'arrêt du processus de rattrapage pour la Grèce5 et d'autre part la trajectoire exceptionnelle de l'Irlande qui enregistre aujourd'hui l'un des PIB par habitant les plus élevés de l'UE15 montre que l'adhésion à l'Union européenne ne provoque pas dans tous les cas une accélération de la croissance, qui dépend plus fondamentalement des politiques internes poursuivies. Décompostion de la croissance annuelle cumulée 1991-1999 En % Rép. Tchèque Croissance cumulée PGF Capital Emploi 9,1 4,6 9,0 – 4,3 Hongrie 16,6 20,2 9,2 –11,1 Pologne 47,9 20,9 24,3 –1,6 Slovaquie 21,8 2,0 12,0 6,2 25,6 21,0 10,7 –6,4 1,1 0,7 0,4 Slovénie UE15 (1999-2000) Moyenne annuelle 2,2 Ce type de croissance est-il susceptible de perdurer ? Pour cela, il convient d'analyser l'évolution probable de ces trois facteurs. – L'emploi reste un défi majeur des NEM Le taux d'emploi moyen est de 56% en 2002, contre 64% dans l'UE, bien inférieur à l'objectif de Lisbonne7 Le taux de chômage, à 15% en moyenne en 2002, est deux fois plus élevé que la moyenne de l'UE15. La poursuite de la croissance des NEM, et donc leur rythme de convergence réelle, dépendra donc des caractéristiques de cette croissance et de leur capacité à entreprendre des réformes destinées à en stimuler les différentes composantes. Au début de la transition, le choc initial et les ajustements brutaux ont provoqué une chute brutale de l'emploi. Entre 1989 et 1993, le nombre d'emplois a baissé de près de 20% en Hongrie, Slovaquie et Slovénie. Le découragement de nombreux travailleurs à chercher un emploi dans le secteur formel a contribué à gonfler encore un peu plus le secteur informel, qui est estimé entre 20% et 40% de l'emploi selon les 3. Grèce : 1981 ; Espagne, Portugal : 1986. 4. Key structural challenges in the acceding countries, 2003, CPE. 5. Le PIB/habitant en ppa de la Grèce est passé de 65% de la moyenne de l'UE10 en 1985 à 67% de l'UE15 en 2001. Entre ces mêmes dates, le Portugal est passé de 55% à 70%, l'Espagne de 70% à 84% et l'Irlande de 64% à 118%. 6. Peter Doyle, Louis Kuijs et Guorong Jiang (2001), Real convergence to EU income levels, Central Europe from 1990 to the long term, IMF Working paper. 7. L'objectif de Lisbonne en termes de taux d'emploi est de porter celui-ci à 70% pour le taux global (15-64 ans) d'ici 2010, 60% pour les femmes et 50% pour les 55-64 ans. 5 NEM. Depuis 1995, les trajectoires sont contrastées, entre la Pologne qui a perdu 7,7% de ses emplois et la Hongrie qui en a gagné 7,1%. La persistance des problèmes du marché du travail suggère que ceux-ci doivent désormais être imputés à d'importantes rigidités structurelles : • La contraction de la force de travail s'explique d'une part par une entrée plus tardive dans la vie active pour les jeunes qui peuvent bénéficier d'études plus longues et d'autre part par un accès facilité aux retraites anticipées et aux pensions d'invalidité qui a provoqué le retrait prématuré des plus âgés, même si l'âge de la retraite est peu à peu relevé dans la plupart des pays. • Les disparités régionales sont particulièrement marquées entre les grandes villes, qui ont un marché du travail dynamique et enregistrent des taux de chômage inférieurs à 3%, tandis que le chômage affecte plutôt les zones rurales et les zones industrielles en déclin. Or, de nombreuses distorsions empêchent la mobilité géographique et le rééquilibrage de la force de travail : les coûts élevés et la pénurie constatés dans l'immobilier dans les grandes villes, ainsi que le coût élevé des transports, n'incitent pas la population à déménager ou à chercher du travail loin de son domicile. Comme, les systèmes d'indemnisations et de salaires ne prennent pas en compte les différences des niveaux de vie géographique, il peut être plus avantageux de rester sans emploi plutôt qu'obtenir un travail qui oblige à changer de région. • Le coin fiscal et social8 élevé dans ces pays (45% en moyenne dans les trois principaux pays, contre 48% en France par exemple) n'incite pas à abandonner l'économie informelle pour l'économie formelle. – Le stock de capital devrait continuer à s'accroître Le début de la transition s'est accompagné, en plus de la forte baisse des effectifs, d'une réduction du stock de capital, la période communiste se caractérisant par une sur-accumulation de celui-ci dans certains secteurs. Une fois la période d'ajustement passée, les investissements, et notamment les investissements directs étrangers, ont constitué un vecteur important d'augmentation du stock de capital, en niveau mais aussi en qualité en raison des transferts technologiques que véhiculent les IDE. Leur stock de capital devrait continuer de s'accroître, au moins pour deux raisons principales. D'une part, 8. Part de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales dans le revenu brut. l'adhésion à l'UE et surtout, le cas échéant, à la zone euro, va provoquer une baisse du coût du capital par le biais de la diminution des primes de risque et donc des spread appliqués aux entreprises nationales. D'autre part, les NEM vont devenir d'importants bénéficiaires des fonds structurels à partir de 20079 puisqu'ils devraient recevoir environ 4% de leur PIB au seul titre de la politique régionale. Ces fonds devraient jouer un rôle non négligeable dans l'accumulation du capital, notamment par le biais du développement important des infrastructures, comme cela a été le cas pour les pays de la cohésion. – La poursuite des fortes hausses récentes de productivité globale n'est pas acquise La hausse de la productivité globale des facteurs explique l'essentiel de la croissance dans les NEM. En ce qui concerne la productivité apparente du travail, celle-ci a deux explications dans les NEM : d'une part les travailleurs sont devenus plus productifs, mais surtout, les grandes restructurations ont entraîné des fermetures d'entreprises peu productives, ce qui a augmenté mécaniquement la productivité apparente du travail. Dans le cas des NEM, ce dernier facteur a été particulièrement important, mais il ne devrait pas perdurer. Les NEM devront donc s'assurer d'augmenter la productivité de leurs travailleurs. Au-delà des gains de la transition, plusieurs facteurs pourront avoir un impact sur la hausse de la productivité globale. La poursuite des échanges commerciaux et IDE devrait continuer à être un vecteur d'innovations technologiques. La manière sont les NEM pourront tirer profit de ces innovations, et en particulier des nouvelles technologies de l'information et de la communication, sera décisive. Les NEM les plus avancés bénéficient d'un environnement économique et institutionnel favorable, mais le potentiel de progression vers les niveaux de l'UE15 est encore important. Ensuite, le niveau d'éducation et de formation de la main d'œuvre doit permettre l'assimilation et la diffusion technologique. De ce point de vue, les NEM bénéficient d'une main d'œuvre relativement bien qualifiée, même si sa formation n’est pas toujours bien adaptée à une économie de marché moderne. C'est la raison pour laquelle les NEM doivent mettre l'accent sur l'éducation et la formation, notamment sur la formation au cours de la vie pour les personnes qui sont sorties du système scolaire depuis un certain temps. 9. Sur la période 2004-2006, les NEM bénéficient d'une «enveloppe globale» qui a été définie en 1999 lors de la préparation de l'exercice budgétaire 2000-2006. Mais à partir de 2007, ils deviendront pleinement bénéficiaires des transferts européens, et notamment des aides allouées au titre de la politique régionale. 6 3. Ne pas se tromper de convergence Le succès de l'élargissement dépendra de la capacité des NEM à rattraper leur retard vis-à-vis de l'UE15. En raison du temps plus long qu'elle nécessite et du fait qu'elle concerne une ou deux générations à venir, la convergence réelle est bien, et doit rester, la priorité des NEM. Certes, la convergence nominale peut faciliter les choses en offrant un environnement économique favorable, comme la stabilisation de l'inflation par exemple, et en stimulant des facteurs de croissance : dans un contexte d'adhésion à l'UE, et surtout en cas d'adhésion à la zone euro, la réduction des primes de risque et donc des spread abaisse les coûts de financement et du capital. Mais la convergence nominale a des coûts et n'est pas toujours compatible avec les objectifs de rattrapage des économies en transition. Elle peut freiner la croissance au lieu de l'accélérer. Au niveau budgétaire tout d'abord, une réduction drastique des dépenses publiques afin de réduire les déficits publics sous le seuil des 3% serait contradictoire avec les besoins de financement et d'investissements publics importants qui caractérisent les économies en transition. En outre, les NEM auront également besoin de marges de manœuvre pour apporter les co-financements nécessaires aux fonds structurels. Or, le retard en matière d'investissements publics ou d'infrastructures est tel qu'il serait dommageable que les NEM ne puissent bénéficier pleinement des transferts européens qui joueront un rôle décisif sur ce point. Au niveau monétaire, le critère d'inflation pourrait se heurter aux spécificités des économies en transition qui peuvent avoir mécaniquement une inflation plus élevée en raison du rattrapage des niveaux de vie. Il serait donc inopportun de lutter contre ce surcroît d'inflation par des politiques monétaires excessivement restrictives qui empêcheraient l’ajustement des prix relatifs des services, sans doute plus facile dans un contexte légèrement inflationniste. Enfin, l'idée sous-jacente à la recherche rapide de la convergence nominale est l'adoption de l'euro. Or, il n'est pas sûr qu'elle soit, pour l'instant, adaptée à ces pays. En effet, la politique monétaire est encore pour ces économies un puissant instrument de stabilisation dont il pourrait être prématuré de se priver. En matière de change, une certaine flexibilité est utile d'une part pour répondre à d'éventuels chocs asymétriques, mais également pour lisser les appréciations réelles liées aux effets inflationnistes intrinsèques aux économies en rattrapage. Enfin, s'ils entraient trop tôt dans la zone euro, les NEM pourraient faire face à des taux d'intérêts réels qui leur seraient probablement inadaptés. En tout état de cause, ces pays devront peser soigneusement les avantages et les risques attachés à l'annonce rapide d'une date d'adoption de la monnaie unique. Vanessa JACQUELAIN Directeur de la Publication : Jean-Luc TAVERNIER Rédacteur en chef : Philippe GUDIN DE VALLERIN Mise en page : Maryse DOS SANTOS (01.53.18.56.69) 7