Tu es plus belle que le ciel et la mer

Transcription

Tu es plus belle que le ciel et la mer
BACCALAUREAT PROFESSIONNEL
Epreuve de français - session de juin 2003
TEXTE
Tu es plus belle que le ciel et la mer
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses*
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
II y a l'air il y a le vent
Les montagnes l'eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t'en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l'œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t'aime
Biaise Cendrars, Feuilles de route, 1924
* nègres, négresses : Biaise Cendrars utilise le mot alors en usage ; ces termes n'ont rien de
péjoratif ou de méprisant.
QUESTIONS
l - COMPÉTENCES DE LECTURE (10 points)
1 - "Quand tu aimes il faut partir". Le poète manifeste dans le texte deux aspirations en
apparence contradictoires. Lesquelles ? A qui s'adresse-t-il dans les vingt-quatre premiers
vers ?
(4 points)
2 - En quoi ce poème est-il un chant d'amour à la vie? Vous appuierez votre réponse sur un
relevé des thèmes abordés et sur une étude précise des procédés d'écriture.
(6 points)
II - COMPÉTENCES D'ECRITURE (10 points)
Lors d'un débat télévisé sur le thème "Les jeunes, la vie, le monde, l'aventure", un
intervenant adulte a déclaré : "Aujourd'hui les jeunes sont blasés, désabusés, enfermés dans la
routine, sans désirs".
Comme ce point de vue est contesté par l'ensemble de votre classe, vous écrivez à
l'auteur de l'émission pour lui demander d'organiser un nouveau débat sur le même thème.
Dans cette lettre, vous exprimez le désir de participer à ce débat ; vous développez les
arguments que vous comptez y présenter (une quarantaine de lignes).
N.B : Afin de respecter les règles de confidentialité, votre lettre ne révélera ni votre identité,
ni le lieu où elle est écrite.
Eléments de corrigé
Texte : Tu es plus belle que le ciel et la mer (Feuilles de route). Blaise Cendrars
l- Compétences de lecture (10 points)
l- « Quand tu aimes il faut partir ». Le poète manifeste dans le texte deux aspirations en
apparence contradictoires. Lesquelles ? A qui s'adresse-t-il dans les vingt-quatre premiers
vers ?
(4 points)
Le poème délivre un message paradoxal. Il apparaît dans un premier temps comme une déclaration d'amour
qui ouvre (titre) et clôt (dernier vers) le texte. Il apparaît aussi comme une exhortation à se mettre en
mouvement, à aller vers le monde, à vivre toutes les aventures, à prendre tous les risques, à fuir tous les
cocons, fût-ce celui de l'amour : « Ne te niche pas entre deux seins/Respire marche pars va-t'en » (vers 23,
24). Ces deux aspirations opposées sont donc celles de l'amour conçu comme une contemplation, comme une
attitude immobile dans le temps et dans l'espace, aspiration confrontée à celle de l'action, du mouvement,
dynamique vitale qui permet de s'accomplir dans la découverte du monde autour de soi.
Les vingt-quatre premiers vers s'adressent, sur un mode complice et familier, à un destinataire désigné par
«tu». Ce « tu» pourrait être la femme aimée, interpellée dès le titre (« Tu es plus belle que... »). Les premiers
vers pourraient être une sorte d'adresse du poète à lui-même, comme un soliloque. En fait, le poète s'adresse à
chacun des lecteurs, à chacun des hommes, à chacune des femmes, ainsi que le précise le vers 3 : « Quitte ton
ami quitte ton amie ». Les tournures impersonnelles (« II faut partir » vers l, vers 5 et vers 21 ; «II faut savoir
» (vers 17), les injonctions sur le mode impératif (« Quitte... Regarde... Apprends... Respire... »), les
anaphores, l'expression des interdits (« Ne larmoie pas. Ne te niche pas ») font de ce propos répétitif, insistant,
un message fort pour tout être humain, une règle de vie. L'emploi du présent confère au texte une valeur
générale, une vérité universelle, comme une sorte de savoir-vivre.
2-En quoi ce poème est-il un chant d'amour à la vie ? Vous appuierez votre réponse sur un
relevé des thèmes abordés et sur une étude précise des procédés d'écriture. (6 points)
Le texte semble imposer le thème de la rupture opposé au sentiment amoureux, ce qui ne renvoie pas à l'idée
communément admise du bonheur. Cependant, on peut dire que ce poème est un chant d'amour à la vie. La vie
y est en effet évoquée dans ses différentes facettes : la nature dans ses composants les plus simples («l'air... le
vent... les montagnes l'eau le ciel la terre») et les plus humbles (« le charbon de terre ») ; les êtres vivants, des
« plantes » aux « animaux » ; / 'humanité dans sa multiplicité et dans sa singularité, dans sa diversité ethnique
et sexuelle ( «nègres... négresses... des femmes des hommes... cet homme... cette femme»). D'autres thèmes
sont plus surprenants : l'activité économique, mercantile, dans son aspect besogneux est célébrée (« magasins...
fiacres... marchandises... acheter... revendre,... donne prends... Travailler»). Cette évocation de la vie sociale
recoupe le thème du mouvement souligné par de nombreux verbes d'action (quitter, partir, apprendre, donner,
prendre, courir, manger, travailler, respirer, marcher, s'en aller...). Ce dynamisme, cette agitation, cette
conquête du monde passe par le corps, exalté, comme placé au centre du monde, « outil » pour appréhender le
monde : le regard (« Regarde... Je vois l'œil... »), le plaisir physique éprouvé (« manger. -boire... je prends mon
bain»), l'activité physique (« courir... marcher»), l'expression par le corps (« chanter... siffler »). Ce thème du
corps est particulièrement développé dans la dernière partie du poème, plus personnelle («je»), dans
l'évocation prosaïque du corps jusqu'à la déclaration saisissante « Je pèse mes 80 kilos » qui, dans sa
matérialité, affirme pleinement la présence au monde et le sentiment charnel, physique, de l'existence.
Les procédés d'écriture contribuent en outre à faire de ce poème un véritable « chant » : la versification
irrégulière, l'absence de ponctuation, de liens grammaticaux, l'emploi de mots isolés, les répétitions, les
anaphores donnent une impression de foisonnement, de fébrilité, qui évoque le grouillement de la vie dans
une confusion de simultanéités et de coïncidences. La succession rapide des thèmes, des références, la
juxtaposition des mots et des expressions font penser à des images de cinéma, comme un film où le défilement
rapide des plans et des séquences mime la vie trépidante du monde moderne. Ainsi, par exemple, les vers 7,8
et 9 évoquent la rue commerçante et animée, comme vue par un observateur ou une caméra : « Des femmes
des hommes des hommes des femmes... les beaux magasins... ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre... les
belles marchandises »). Le lexique frappe par sa simplicité qui confine à la pauvreté : « les magasins sont «
beaux », les marchandises sont « belles ». Le poète note, sans y rien changer ou expliquer, ce qu'il voit ou
éprouve, comme un enregistrement « impressionniste ». L'emploi des impératifs, les valeurs du présent font du
poème un « discours » vivant, comme immédiat et instantané.
Ainsi, par l'enthousiasme, la hâte fiévreuse, l'émerveillement renouvelé devant le monde, par sa volonté
d'ouvrir la poésie au monde et à l'aventure, par son ambition de traduire par l'écriture les sensations et le
mouvement, mais aussi par ses affirmations, ce poème au ton lyrique est un chant d'amour à la vie, la vie «
pleine de choses surprenantes ».
II - Compétences d'écriture (10 points)
Lors d'un débat télévisé sur le thème « Les jeunes, la vie, le monde, l'aventure », un
intervenant adulte a déclaré : « Aujourd'hui les jeunes sont blasés, désabusés,
enfermés dans la routine, sans désirs ».
Comme ce point de vue est contesté par l'ensemble de votre classe, vous écrivez à
l'animateur de l'émission pour lui demander d'organiser un nouveau débat sur le même
thème.
Dans cette lettre vous exprimez le désir de participer à ce débat ; vous développez les
arguments que vous comptez y présenter (une quarantaine de lignes).
Quelques critères d'évaluation :
• respect de la longueur («une quarantaine de lignes »)
• qualité de l'expression (syntaxe, orthographe, richesse du vocabulaire)
• graphie et présentation
• prise en compte de la situation de communication : l'écrit attendu a la forme normalisée
d'une lettre : disposition, lieu, date, formule d'appel, formule de politesse, destinataire
identifié...
• prise en charge explicite du point de vue opposé, reprise et contestation du point de vue
initial.
• visée argumentative claire : organisation et cohérence de l'argumentation, développement
d'arguments pertinents, exemples, articulations...
• respect des marques du discours : emploi de la première personne, temps des verbes...
• on valorisera les productions qui traduisent un souci d'efficacité du message, qui utilisent
un ton convaincant.

Documents pareils