Problématique de la visite médicale : les conditions d une véritable

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Problématique de la visite médicale : les conditions d une véritable
É
D I T O R I A L
Problématique de la visite médicale :
les conditions d'une véritable information thérapeutique
! P. Jaillon*
D
ans ce numéro de La Lettre du Pharmacologue,
J.Y. Léandri prend la défense des visiteurs médicaux (VM), qui constituent selon lui un “lien
unique entre les laboratoires fabricants et les médecins”. Il
défend cette profession si souvent décriée en mettant en avant
plusieurs excellents arguments : l’existence d’une formation
scientifique obligatoire sanctionnée par un diplôme national,
le rôle formateur postuniversitaire de ces “informateurs thérapeutiques” auprès des médecins et l’objectivité et la qualité
scientifique des séances d’enseignement postuniversitaire
qu’ils organisent. Il rappelle que les VM se sont vu reconnaître par le Code de la santé publique un rôle dans le recueil
des données de pharmacovigilance auprès des médecins, de
même que la nécessité d’une actualisation permanente de
leurs connaissances. Il observe que les VM pourraient “jouer
un rôle très utile dans la maîtrise des dépenses de santé”.
formation permanente et de l’actualisation des connaissances
de leurs VM, comment s’assurer que cette formation est
conforme aux données acquises de la science ? Il me semblerait tout à fait judicieux qu’une formation permanente officielle soit rendue obligatoire pour les VM, comme elle le sera
un jour pour tous les professionnels de santé, et que cette formation soit régulièrement sanctionnée par un contrôle des
connaissances (une recertification des VM). Enfin, cette
actualisation des connaissances devrait être organisée par des
collèges rassemblant non seulement des représentants des
laboratoires pharmaceutiques mais également des représentants des médecins libéraux et hospitalo-universitaires. Sinon,
je ne vois pas comment l’objectivité et la qualité de cette formation permanente pourraient être assurées.
Il en appelle enfin à l’éthique du métier de VM en énonçant le
conflit d’intérêt potentiel de ces super-VRP : “choisir la
vérité scientifique au risque de perdre des prescriptions (et
leur emploi !)”.
Je suis tout à fait d’accord pour faire jouer au VM un rôle
important dans l’information thérapeutique des médecins.
Mais à une condition : c’est que cette information repose
essentiellement sur les données scientifiques validées par
l’AMM, la Commission de la Transparence, les RMO et les
Conférences de consensus organisées directement par
l’ANAES et/ou par des sociétés savantes sous le contrôle de
l’ANAES. En un mot, le VM est là pour expliciter le bon
usage du médicament, et non pas pour raconter de “belles histoires” ou transmettre des informations non validées par ces
organismes officiels. C’est en définitive le même problème
que pour la publicité médicale, qui ne doit pas dévier de ces
référentiels de base !
Tout cela est bien, et J.Y. Léandri a raison de défendre la profession de VM qui occupe une place prédominante dans les
dépenses promotionnelles des laboratoires pharmaceutiques
aujourd’hui. Cependant, ce plaidoyer pro domo suscite
quelques remarques de ma part.
LA FORMATION DES VISITEURS MÉDICAUX
J.Y. Léandri reconnaît que seul un VM sur quatre est aujourd’hui titulaire du diplôme national. Ce diplôme n’a été rendu
définitivement obligatoire que par un arrêté de septembre 1997. Qu’en est-il des autres VM (75 %) ? Ont-ils
reçu, avec le temps, une formation équivalente ? Par ailleurs,
si les laboratoires pharmaceutiques restent responsables de la
* Président de la Commission de contrôle de la publicité et de la diffusion des
recommandations sur le bon usage du médicament ; service de pharmacologie, CHU Saint-Antoine, 75012 Paris.
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LA QUALITÉ DE LA PRESTATION DES VISITEURS MÉDICAUX
On me rétorquera que les médecins – et les pharmaciens – ont
droit à toutes les informations scientifiques, y compris les plus
récentes divulguées dans les congrès et la presse médicale. Il
s’agit là d’un droit évident, indiscutable, comme sont indiscutables la liberté de la presse et la liberté d’expression des “leaders d’opinion”. Mais il ne faut pas confondre les genres ! Le
médecin et le pharmacien sont libres de s’informer comme ils
l’entendent, mais le message du VM est, de par la loi de 1994,
un message “publicitaire” qui doit respecter scrupuleusement
les avis des référentiels de base rappelés ci-dessus et qui ne
doit pas en dévier. Sinon, il ne respecterait pas le principe du
bon usage du médicament.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 1 - janvier 2000
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LE DILEMME “VÉRITÉ-SCIENTIFIQUE-RISQUE
DE PERDRE DES PRESCRIPTIONS”
C’est évidemment le problème majeur de cette profession, qui
doit à la fois assurer le succès commercial du médicament
présenté (comment augmenter le nombre des prescriptions) et
la transmission d’une information scientifique objective,
honnête, à jour, référencée et vérifiable (la vérité scientifique).
Il est évident que si ces super-VRP de la prescription continuent d’être payés en grande partie à l’aide de primes au
rendement calculées sur le nombre de boîtes prescrites et
vendues après leur passage chez le médecin, le problème ne
sera jamais résolu.
Ne serait-ce pas, cependant, un faux problème qui serait résolu dès lors qu’un salaire fixe calculé selon les conventions collectives leur serait versé, les seules primes de mérite étant calculées éventuellement selon la qualité de la prestation fournie
ou du travail effectué et non pas en fonction du succès commercial du médicament présenté ? De même qu’il est interdit
à un laboratoire pharmaceutique d’“acheter” la prescription
d’un médecin (article 365.I du CSP), on pourrait envisager la
même interdiction pour la mission du VM, qui n’aurait alors
qu’un but : s’assurer que le médecin connaît bien le médicament et en fait un bon usage.
LA PRATIQUE DU “PRESSE-CITRON”
Reste une question soulevée par J.Y. Léandri : la pratique du
"presse-citron", qui correspond au recours à des sociétés de
service qui louent des réseaux de VM le temps d’une campagne de lancement d’un nouveau médicament afin de multiplier les passages dans les cabinets médicaux et de dédoubler
(voire tripler ou quadrupler) transitoirement les “forces de
vente” du laboratoire. J.Y. Léandri dénonce à juste titre le
risque d’une “formation à la va-vite” et d’une “exploitation”
de ces VM qui passeront rapidement d’un domaine thérapeu-
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tique à un autre, au gré des marchés passés par la direction de
leur société de service.
Je n’ai pas à me prononcer sur l’intérêt qu’il peut y avoir pour
un industriel d’externaliser ainsi sa force de vente. En
revanche, nous devons nous interroger effectivement sur la
formation scientifique et médicale de ces VM, et nous revenons ainsi sur le point capital développé plus haut : peu
importe qu’il y ait un ou plusieurs réseaux de VM chargés de
présenter tel ou tel médicament, du moment que le message
qu’ils transmettent est conforme aux référentiels de base :
résumé des caractéristiques du produit, avis de la transparence,
RMO et avis des conférences officielles de consensus.
CONCLUSION
Je pense que le métier de VM a été très injustement décrié, y
compris par des représentants du ministère de la Santé. Je
pense aussi que s’il l’a été, c’est parce qu’il prêtait le flanc à
ces critiques et qu’il n’a pas su défendre une éthique de l’information médicale. La loi française est claire. Tous les messages publicitaires, y compris ceux des VM, doivent obéir
strictement aux articles L. 551 et suivants du Code de la santé
publique. C’est par la pédagogie (formation initiale et permanente certifiée) et par une modification de l’attribution des
primes ou des salaires que l’on pourra valoriser la profession
du VM et en faire un métier de vrais informateurs thérapeutiques. À l’heure où Internet va permettre aux médecins et aux
pharmaciens d’avoir accès rapidement à toutes sortes d’informations non validées sur les médicaments (informations parfois plus abracadabrantes les unes que les autres), il est temps
de rappeler que le VM porte le “message officiel et validé” sur
le médicament, qu’il a pour principale mission de rappeler
au médecin quel est le bon usage du médicament et que,
s’il remplit cette mission, il a droit à notre respect et à notre
confiance de médecins.
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