Envisageant avec poésie la relation entre la santé et

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Envisageant avec poésie la relation entre la santé et
Envisageant avec poésie la relation entre la santé et l’aliment, Magali Babin change l’eau en vin, transforme le vin en remède et la pierre en sucre.
Observatrice bienveillante des interactions entre l’homme et l’environnement, ce sont les changements d’états, les transformations de la matière
qui l’intéressent.
Médoc se présente comme une armoire à pharmacie hybride. Son enveloppe extérieure est celle du mobilier pharmaceutique contemporain, son habillage
intérieur est en bois et colonnes tournées à la manière des apothicaireries anciennes. Des verres contiennent des comprimés industriels et artisanaux de vin
de Médoc (domaine Pontet-Canet à Pauillac, l’un des rares domaines en France à travailler une grande surface de vigne en biodynamie, 80 ha).
Le chimiste le sait bien, « c'est la dose qui fait le poison ». Justement, le vin porte en lui le poison et le remède : source de plaisir, substance addictive,
il est élément culturel majeur. Dans cet extrait de paysage qu’est le vin nous aimons sols, saisons, temporalité, qui lui donnent forme, couleur et goût.
Il est le résultat de choix qui correspondent à une vision du monde : agriculture conventionnelle ou raisonnée, biologie ou biodynamie. Ces choix impactent
l’environnement autant que les personnes.
Avec Médoc, Magali Babin fait basculer le vin du côté de la pharmacie, des substances soignantes et confronte différentes manières de se soigner.
La pharmacie industrielle a notre confiance quotidienne et pourtant nous cherchons du côté des « autres » médecines un « retour au naturel ».
Rapprochant l’une et l’autre dans un même objet, elle montre les approximations de nos systèmes de valeurs. Dans la conjugaison harmonieuse du passé et
du présent, de l’artisanat et de l’industrie, Médoc montre leur nécessaire cohabitation.
Déplaçant les frontières des questions de santé de l’homme à la ville, elle intervient en médecin, recalcifiant un mur, soignant les blessures citadines avec des
Pastillages sucrés.
Observant la décalcification des murs de Fontenay-le-Comte, Magali Babin transforme la recette antique du badigeon et remplace l’eau par du fromage blanc
pour venir « nourrir » un mur. Lait-chaux : réconfort pour pierre convalescente, badigeon abstrait, se répend en couches et coulures. Geste poétique,
au croisement de la restauration et de la cuisine. Nourrir c’est déjà soigner.
Présentée au musée, Rosée est une invitation à boire un verre de rosée, récoltée « à la main » dans la campagne nantaise. Boire un verre de vin, c’est boire
un extrait de sol. Risquerai-je, avec un verre de Rosée, de boire l’impalpable, le résiduel, le condensé des accidents et des bonheurs des lieux ?
Avec Crème de Loire, véritable crème cosmétique réalisée avec des prélèvements de l’eau de la Loire, nous sommes placés devant cette autre suggestion :
appliquer, ou pas, cette crème sur son visage.
Raccourcis du questionnement sous forme de défis : avons-nous un environnement à la hauteur de nos exigences sanitaires ?
Ce travail s'inscrit dans la tradition conceptuelle : changer les matières de leur destinations usuelles, déplacer, détourner les objets... non pas pour opposer
mais pour rapprocher, non pas pour pour dénoncer des faiblesses, mais pour révéler des forces. Magali Babin a choisi l'intelligence de la douceur pour
comprendre le monde.
Juliette Cortes, juillet 2013, Fontenay-le-Comte.
Mes recherches artistiques abordent la relation de l’homme au paysage et à l’environnement. La notion de soin est également présente : le soin
que l’on porte à soi-même par une attention aiguisée et le soin que l’on peut apporter au paysage, à ce qui nous entoure, comme un corps extérieur.
Cette relation entre l’homme et la nature est emprunte d’ambivalences, d’interactions entre bienfaits et méfaits. L’environnement naturel peut être source
de bien-être mais également porteur de dangerosité à l’image du « pharmakon », remède et poison à la fois. Le paysage est le résultat de la rencontre
homme/nature, des actions de l’homme sur la nature (artisanales, puis industrielles).
Dans mon travail le paysage change de forme, d’état. Il peut se condenser dans des capsules de rosée, de miel ou de vin. Il peut se densifier en prenant
la forme galénique d’un médicament comme des capsules, des comprimés, ou bien encore une crème cosmétique. Par exemple, dans Haute dilution de sculpture
pour la Loire (2008) le paysage est vu comme un corps dont on doit prendre soin. Dans le cadre de cette démarche, j’ai collaboré avec deux géographes et
une homéopathe. Ces entretiens aboutissent à un acte de soin, ordonnance à l’appui. Trois substances mondes à incorporer. Rosée, miel, vin (2009) relève de
ce même questionnement : je réalise des capsules contenant une dilution homéopathique de rosée, de miel ou de vin. Ces capsules, de toute petite taille,
contiennent des essences du paysage que le spectateur est invité à absorber.
Les collaborations sont parties prenantes de mon travail (géographes, homéopathe, étudiants, apiculteurs, viticulteurs, jardiniers, laboratoires
pharmaceutiques, entreprises...). Le travail est le résultat de croisements de compétences, c’est bien la combinaison des savoir-faire qui permet
la concrétisation des projets. Le questionnement sur le paysage est aussi un moyen d’interroger l’homme. Tous les paysages renvoient d’une façon ou
d’une autre à l’homme. Par le croisement de regards et de rapports au monde différents, il s’agit de faire apparaître des spécificités, ce qui fait l’essence
d’un lieu, sa valeur poétique.
Magali Babin.