Traitement me´ dical et nouvelles avance´ es dans les tumeurs

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Traitement me´ dical et nouvelles avance´ es dans les tumeurs
Mini-revue
Traitement médical et nouvelles avancées
dans les tumeurs endocrines digestives bien
différenciées (hors duodénopancréatiques)
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Medical treatment and new treatment options for well-differentiated endocrine tumors
of the gastrointestinal tract (out of duodenal and pancreatic tumors)
2
Thomas Walter ,
Catherine Lombard-Bohas1
1
Unité d’oncologie digestive, pavillon H,
hôpital Édouard-Herriot,
69437 Lyon cedex 03, France
2
Inserm U865,
hôpital Édouard-Herriot,
69437 Lyon cedex 03, France
<[email protected]>
Résumé. La prise en charge d’une tumeur endocrine bien différenciée du tube digestif doit
être double : contrôler le syndrome sécrétoire s’il est présent et proposer un traitement antitumoral. L’existence d’un syndrome carcinoïde associant flushs et diarrhée, secondaire à une
sécrétion tumorale non régulée de sérotonine traduit la présence de lésions secondaires le
plus souvent hépatiques. Le contrôle de ce syndrome sécrétoire, prioritaire dans la hiérarchie
thérapeutique, exige la prescription d’analogues de la somatostatine. L’exérèse de la tumeur
primitive est le seul traitement curatif des formes localisées et devra être discutée même en présence de métastases à distance afin de traiter ou d’éviter une complication locale aiguë
notamment lors de la prescription initiale d’analogues de la somatostatine. Dans un second
temps, seront évoquées, dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire, les différentes
possibilités thérapeutiques antitumorales des formes métastatiques. La résection chirurgicale
complète des lésions intrahépatiques peut être proposée après une phase initiale d’observation d’autant plus longue que le geste chirurgical implique une résection hépatique majeure.
En cas de métastases non chirurgicales, la chimioembolisation des lésions intrahépatiques
reste l’option thérapeutique de choix. En présence de lésions diffuses non évolutives, la simple
surveillance doit rester la règle. Un traitement par chimiothérapie, interféron ou radiothérapie
métabolique ne sera proposé que devant des lésions documentées progressives. Il convient à
chaque étape de la maladie de réévaluer la possibilité d’une résection chirurgicale, pouvant
aller dans des cas exceptionnels après plusieurs années d’évolution uniquement intrahépatique jusqu’à la proposition d’une transplantation hépatique. Enfin, il faut souligner l’intérêt
majeur d’inclure ces patients porteurs de pathologie rare dans des essais thérapeutiques prospectifs testant de nouvelles stratégies ou modalités de traitement (thérapies ciblées, nouveaux
radio-isotopes, etc.).
Mots clés : tumeur neuroendocrine digestive, tumeur carcinoïde, syndrome carcinoïde,
analogue de la somatostatine, chimioembolisation, chirurgie
doi: 10.1684/hpg.2009.0332
Abstract. Management of a well-differentiated endocrine tumor of the gastrointestinal tract
aims at controlling the secretory syndrome and treating the tumor. Carcinoid syndrome is
usually due to metastatic spread to the liver. Control of this syndrome with somatostatin analogs is a priority. Even if there is metastatic spread, surgical treatment of the primitive tumor
should be discussed in order to avoid any acute local complication. Surgical treatment of intrahepatic lesions is an option only if a complete resection of all lesions seems possible, and, if
liver resection is to be large, an observation period is advisable. Chemoembolisation is the
best option if liver metastases are not resectable, with no extrahepatic lesions. Diffuse and
non-evolving lesions should simply be monitored. Interferon, somatostatin analogs, chemotherapy, radionuclides, ablation therapies should be proposed only in cases of demonstrated
progressing lesions. Surgical options should be reassessed at each stage of the disease, and
include hepatic transplant in some exceptional cases of slowly evolving lesions that are strictly
intrahepatic. Finally, it has to be emphasized that it is of the utmost importance to enrol those
patients with very rare disease in prospective clinical trials assessing new therapeutic strategies or therapies (targeted therapies, new radio-isotopes, etc.).
Key words : neuroendocrine tumors, carcinoid tumors, somatostatin analogs,
chemoembolisation, surgery
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Mini-revue
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L
es tumeurs ou les carcinomes endocrines (TE)
digestifs bien différenciés (TED) du tube digestif
sont actuellement reclassés au sein des groupes
1 et 2 de la classification histopronostique OMS 2000.
Le terme « carcinoïde » doit être normalement réservé à
l’existence d’un syndrome sécrétoire clinique. Cette mise
au point est consacrée aux traitements des TE du tube
digestif (estomac, intestin, appendice, côlon et rectum)
à l’exception de celles de la région duodénopancréatique. Le mode de découverte est variable : souvent fortuit
(petite tumeur gastrique ou rectale découverte en endoscopie, nodule hypervasculaire du grêle ou masse
mésentérique ou métastases hépatiques) ; plus rarement
par des signes de souffrance du grêle (épisodes subocclusifs, ischémie mésentérique), une hépatomégalie ; un
syndrome carcinoïde. La stratégie thérapeutique dépend
de l’existence d’un syndrome fonctionnel, de l’extension
métastatique et de l’évolutivité tumorale. Elle repose sur
quelques règles simples rarement validées dans des
essais thérapeutiques prospectifs étant donné la rareté
de ces tumeurs, mais qui font l’objet d’un consensus
d’experts [1-5]. Le contrôle des manifestations cliniques
secondaires à l’hypersécrétion de sérotonine (et des
médiateurs associés) est la première étape de la prise
en charge thérapeutique. Secondairement, le bilan
d’extension et la notion d’évolutivité permettront de définir l’intérêt de l’exérèse chirurgicale des lésions et de proposer une stratégie thérapeutique antitumorale optimale,
dans le cadre d’une concertation multidisciplinaire associant médecins gastroentérologues, oncologues, médecins nucléaires, anatomopathologistes, chirurgiens et
radiologues interventionnels. Les TED peu différenciées,
qui représentent environ 5 % des TED, ne seront pas traitées ; leur pronostic est sombre avec une survie médiane
de sept à dix mois [6] ; le traitement est basé sur une
chimiothérapie de type cisplatine-étoposide [1, 6].
sévère, les formes immédiates (octréotide sous-cutané
100 ou 500 μg) seront préférées afin de contrôler rapidement le patient. L’adaptation posologique repose uniquement sur l’évaluation clinique, toutes les 24 à 48 heures, et le relais par les formes retard (prescription
d’emblée dans les syndromes carcinoïdes plus modérés)
alors possible. Deux molécules sont disponibles : l’octréotide (forme immédiate 50, 100 ou 500 µg, une injection
sous-cutanée trois fois par jour - forme retard 10, 20,
30 mg, une injection intramusculaire toutes les quatre
semaines) et le lanréotide, sous forme intramusculaire
(LP 30 mg tous les 14 jours), ou sous forme souscutanée profonde (Autogel® 60, 90, ou 120 mg, tous
les 28 jours) utilisable notamment pour les patients nécessitant une décoagulation efficace. De nouveaux analogues de la somatostatine sont en cours de développement : le SOM230 avec une affinité 30 à 40 fois
supérieure sur les récepteurs sst1, sst3 et sst5, une affinité
similaire pour le récepteur sst2, a permis de contrôler
27 % de syndromes carcinoïdes réfractaires dans une
phase II portant sur 45 patients [8]. Une tachyphylaxie
est observée avec les analogues dans un délai médian
de neuf mois, nécessitant alors le recours aux traitements
antitumoraux au premier rang desquels se place la chimioembolisation. Enfin, généralement après une longue
évolution de la maladie, l’atteinte cardiaque valvulaire
tricuspidienne peut en elle-même engager le pronostic
vital des patients. Une prise en charge spécialisée cardiologique s’impose alors avec à terme l’indication
potentielle de remplacement valvulaire tricuspidien qui
permettra d’impacter positivement l’espérance de vie
des patients et d’accroître considérablement la qualité.
Traitement du syndrome carcinoı̈de
TE gastriques
La prescription d’analogues de la somatostatine permet
une réponse symptomatique rapide, en particulier de la
diarrhée et des flushs dans 60-90 % des cas et une diminution des marqueurs tumoraux biologiques dans 70 %
des cas [7]. La seule restriction à l’initiation de ces analogues est l’existence d’une tumeur subocclusive ou une
souffrance ischémique du grêle secondaire à une mésentérite rétractile souvent sévère. Une attitude chirurgicale
immédiate doit alors être privilégiée sur la tumeur primitive et les adénopathies satellites. Les analogues sont
alors prescrits en préopératoire immédiat afin de prévenir une crise carcinoïdienne aiguë à l’induction anesthésique. Dans tous les autres cas, la prescription d’analogues de la somatostatine est la première étape de prise
en charge des patients. En cas de syndrome carcinoïde
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Particularité thérapeutique
en fonction du site primitif
de la tumeur endocrine
Les TE gastriques représentent environ 5-8 % des TED et
moins de 1 % des tumeurs malignes gastriques. Elles
sont soit associées à une hypergastrinémie d’origine
antrale (gastrite fundique atrophique auto-immune)
[type 1] ou tumorale (syndrome de Zollinger-EllisonSZE [type 2]) et constitueraient alors la conséquence
ultime de l’hyperplasie des cellules ECL fundiques, soit
sporadiques sans hyperplasie des cellules ECL ni hypergastrinémie (type 3). Le diagnostic des TE gastriques
repose sur l’endoscopie avec la réalisation de biopsies
multiples, aussi bien sur la lésion, que sur la muqueuse
fundique (six à huit biopsies) pour rechercher une gastrite atrophique chronique associée et sur le dosage de
la gastrinémie ; il est associé au bilan d’extension en
profondeur (échoendoscopie) et métastatique ganglionnaire et hépatique (échoendoscopie, scanner
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abdominopelvien, ± octréoscan) [1]. Le pronostic et la
stratégie thérapeutique diffèrent fondamentalement
entre les types 1, 2 et les types 3 (tableau 1), une surveillance simple ou résection endoscopique étant la
règle dans les types 1 et 2 non infiltrants, la chirurgie
carcinologique par gastrectomie devant être généralement proposée dans les types 3.
moins de 10 % et sont localisées dans 60-75 % des
cas dans le tiers distal de l’appendice. L’appendicectomie est insuffisante en cas de tumeurs de plus de 2 cm,
ou situées à la base de l’appendice, ou envahissant le
mésoappendice, ou en cas d’histologie de type adénocarcinoïdes ou de résection R1 [1, 12]. Une hémicolectomie droite avec curage doit alors être proposée.
TE jéjunales et iléales
TE du côlon et du rectum
Les TE de l’intestin grêle à sérotonine, le plus souvent
localisées dans l’iléon terminal, représentent 23-28 %
des TED [2]. Alors que les métastases ganglionnaires
(40 %) ou hépatiques sont fréquentes (12,9 % de
métastases synchrones) [9], le syndrome carcinoïde
est présent dans moins de 10 % de cas au diagnostic
[10]. La survie à cinq ans est de l’ordre de 70 % en
l’absence de métastases hépatiques contre 50 % en
présence de métastases hépatiques [11]. Le bilan de
la maladie est biologique (chromogranine A, sérotonine, 5HIAA urinaire) et morphologique (entéroscanner, octréoscan ± vidéocapsule du grêle). Une échographie cardiaque cherchera devant tout syndrome
carcinoïde une atteinte tricuspidienne. Le traitement
des formes non métastatiques repose sur une chirurgie
d’exérèse. Même en cas de maladie métastatique,
l’exérèse de la tumeur primitive reste préconisée, afin
d’éviter des complications locorégionales [1]. Cette
chirurgie comportera un curage ganglionnaire jusqu’à
la racine du mésentère, associé à une cholécystectomie
prophylactique dans la perspective d’embolisations
artérielles futures des métastases hépatiques.
Les TE du côlon représentent moins de 1 % des tumeurs
coliques et moins de 10 % des TED. Le syndrome carcinoïde est rare (< 5%) ; la survie à cinq ans est de 70 %
pour les tumeurs sans métastases, 44 et 20 % respectivement en cas de métastases locorégionnales et hépatiques. Le traitement consiste en une chirurgie carcinologique similaire aux adénocarcinomes coliques [1, 13].
Les TE du rectum sont plus fréquentes (actuellement
27 % des TED et 2 % des tumeurs rectales). Elles sont
peptidergiques dans 80 % des cas et de découverte
fortuite. Il existe une corrélation étroite entre la taille
de la tumeur et le risque de diffusion métastatique
(tableau 2). Le bilan d’extension comporte une coloscopie, échoendoscopie, ± scanner thoracoabdominopelvien, IRM pelvienne et octréoscan. Le traitement des
formes localisées est résumé dans le tableau 2 [1, 13].
TE de l’appendice
Elles concernent 0,6 % des pièces d’appendicectomie
et 25-35 % des TED. Elles sont symptomatiques dans
Traitement antitumoral des formes
localement avancées ou métastatiques
Traitement chirurgical
La chirurgie des métastases hépatiques peut être proposée à visée carcinologique ou plus rarement de cytoréduction tumorale (en cas de syndrome sécrétoire réfractaire), chez des malades en bon état général, sans
Tableau 1. Caractéristiques générales des tumeurs endocrines (TE) gastriques.
Tumeurs endocrines gastriques bien différenciées (EC-Lome)
Type 1
Type 2
Type 3
5-6 %
Gastrinome/NEM1
14-20 %
Sporadique
Syndrome carcinoïde
Histologie/classification OMS
70-80 %
Maladie de Biermer,
Helicobacter pylori
↑
Petite taille, unique/multiple,
polypoïde ou intramuqueuse
0%
Bien différenciée, I > II
↑
Petite taille, souvent multiple,
polypoïde
0%
Bien différenciée, I > II
Muqueuse fundique
Hyperplasie des ECL fundiques
pH gastrique
Risque de métastases
Décès dû à la TE
Principe du traitement
Atrophique
Non atrophique
Oui
Oui
↑↓
↓
2-5 %
10-30 %
0%
< 10 %
Résection endoscopique le plus souvent
Normale
Grande taille (> 2 cm), unique,
polypoïde ulcérée
6-10 %
Bien différenciée,
mixte endo/exocrine, II > I
Non atrophique
Non
Normal
38-55 %
25-30 %
Chirurgie carcinologique
Pourcentage des TE gastriques
Affection associée
Gastrinémie
Caractéristiques tumorales
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Mini-revue
Tableau 2. Risque d’évolution métastatique et traitement des petites TE rectales en fonction du stade TNM.
Stade TNM (diamètre)
Risque de diffusion
métastatique (%)
Traitement
T1aN0 (< 1cm)
T1bN0 (1-2 cm)
2-5 %
10-30 %
T2 (envahit muscularis
propria ou taille > 2 cm)
60-80 %
Mucosectomie avec capuchon, résection transanale
Exérèse endoscopique uniquement si TE bien différenciée, limitée à la
muqueuse ou sous-muqueuse, N0, inférieure à 2 mitoses sur 10 champs, non
ulcère, non déprimée, sans embols. Sinon chirurgie radicale [1]
Exérèse radicale chirurgicale avec exérèse totale du mésorectum et curage
ganglionnaire
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métastases extrahépatiques, après résection complète
de la tumeur primitive, et sans insuffisance valvulaire
non corrigée. Cette partie est détaillée dans le volume
15 de cette même revue [14].
Embolisation et chimioembolisation
(TACE : transarterial chemoembolization)
Les métastases hépatiques des TED sont hypervasculaires
avec une vascularisation artérielle élective et donc
d’excellentes indications d’embolisation artérielle hépatique. La transarterial chemoembolization (TACE), en
combinant l’injection locale de doxorubicine ou de streptozocine puis d’agents emboligènes, est efficace dans le
contrôle des symptômes carcinoïdes (60 à 80 %) et
donne un taux de réponse objectif (RO) de l’ordre de
50 %, d’une durée de plus de 12 mois [15]. Les TACE
sont contre-indiquées en cas de thrombose porte, d’insuffisance hépatocellulaire, d’ictère cholestatique majeur,
d’anastomose biliodigestive ou de prothèse biliaire en
raison d’un risque d’abcédation hépatique. L’administration d’analogues de la somatostatine est nécessaire
juste avant le geste et durant les premiers jours pour
éviter une crise carcinoïdienne lors de la nécrose des
nodules tumoraux. L’adjonction d’un composé cytotoxique lors du geste d’embolisation sur le modèle des
TACE pour hépatocarcinomes n’a pas encore démontré
son intérêt par rapport à une embolisation simple dans
ce type tumoral. Par ailleurs, l’arrivée des particules
chargées (avec de l’irinotécan ou de la doxorubicine)
pourrait accroître la nécrose tumorale en comparaison
avec les TACE conventionnelles utilisant une émulsion
avec le lipiodol [16]. L’indication préférentielle de la
TACE reste la persistance d’un syndrome sécrétoire ou
une progression tumorale hépatique malgré un traitement par analogue de la somatostatine.
Analogues de la somatostatine
à visée antitumorale
En dehors du traitement antisécrétoire, les analogues
de la somatostatine ont un pouvoir antitumoral modéré
mais réel. Ils n’ont pas encore d’autorisation de mise
sur le marché dans cette indication en France. Les taux
de réponse objective sont faibles, de l’ordre de 5 %, en
revanche, ils permettent d’obtenir une stabilisation de
40
la maladie dans 35 à 70 % pendant une période
médiane de 10-25 mois [17]. L’étude PROMID menée
avec Ocréotide 30 mg, récemment rapportée, est la
première étude de phase III randomisée, prospective,
en double insu, démontrant un allongement du temps
à progression (15,6 mois versus 5,9 mois) notamment
parmi les patients ayant un volume métastatique hépatique inférieur à 10 % [18].
Interféron
L’interféron alpha (administré à des doses allant de 1,5
à 9 MU trois fois par semaine) a un effet antisécrétoire
indiscutable avec 60 % de réponse sur le syndrome
carcinoïde. Alors que les réponses tumorales objectives
sont rares (8-11 %), une stabilisation tumorale est
observée dans 60-75 % des cas, pour une durée
médiane de 13-25 mois [19]. Une étude de phase III
randomisée n’a pas trouvé de supériorité de l’association interféron et analogues de la somatostatine comparé à chaque traitement en monothérapie [20], en
revanche elle présente une toxicité accrue. Les associations interféron-chimiothérapie n’apportent aucun
bénéfice et ont une toxicité souvent rédhibitoire. Au
total, l’interféron alpha a tout son intérêt chez les
patients progressifs sur le plan sécrétoire ou tumoral,
sous analogues ou après embolisation. La meilleure
tolérance de l’interféron pégylé permettrait d’accroître
la compliance au traitement et possiblement d’augmenter son efficacité antisécrétoire et antiproliférative dans
les TED [21].
Chimiothérapie
L’indication d’une chimiothérapie systémique ne se discute que chez les patients ayant une maladie métastatique non résécable et progressive après échec des
analogues et embolisations. L’association flurouracile-streptozocine a longtemps été proposée
comme un standard [22]. Les taux de RO publiés
(22 %) ne se sont pas confirmés dans les études ultérieures objectivant des taux réels de RO autour de
10 % avec des durées médianes de réponse de six
mois (22-24). La toxicité potentielle tardive, notamment
rénale de la streptozocine au vu de la médiocrité des
résultats obtenus, doit définitivement faire abandonner
Hépato-Gastro, vol. 16, n° spécial, octobre 2009
cette association dans les tumeurs du grêle. Contrairement aux TE pancréatiques beaucoup plus chimiosensibles, la chimiothérapie n’est donc pas un traitement
standard des TE du tube digestif, et sa prescription
doit passer par une concertation au cas par cas [1,
2, 22-24]. De nouvelles substances comme l’oxaliplatine, le témozolomide ont une certaine activité avec un
meilleur profil de tolérance [25-27].
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Thérapies moléculaires ciblées
Les TE du tube digestif n’échappent pas à l’essor actuel
des thérapies ciblées. L’hypervascularisation constitutionnelle de ces tumeurs a d’emblée fait porter les
espoirs des cliniciens sur les anti-angiogéniques purs,
de type bévacizumab. Une première phase II, présentée par Yao et al., en 2005, a comparé chez 44
patients atteints de tumeurs carcinoïdes métastatiques
ou non résécables un traitement par bévacizumab en
monothérapie (15 mg/kg par trois semaines) à de
l’interféron pégylé (0,5 μg/kg par semaine) [28].
Le taux de survie sans progression après 18 semaines
de traitements est de 95 % dans le groupe de patients
recevant le bévacizumab contre 67 % dans le bras
interféron pégylé avec diminution significative des
constantes de perfusion tumorale dans le bras bévacizumab. Une phase II ouverte étudiant l’association
capécitabine-bévacizumab est actuellement en cours
(essai BETTER [31]. Les inhibiteurs multikinases sont
aussi testés dans cette indication. Kulke et al. présentent, en 2005, une phase II sur 39 patients atteints
d’une tumeur carcinoïde, traités par sunitinib (inhibiteur VEGFR-1, -2, -3, PDGFR, c-KIT et Flt-3) ; très peu
de réponses partielles sont rapportées (2 %), mais
comme souvent dans le domaine des thérapies ciblées,
le taux de stabilisation est important (93 %) [29]. Enfin,
les inhibiteurs oraux de mTOR, notamment le RAD-001
(évérolimus), sont en cours d’évaluation dans les TED ;
dans une phase II, Yao et al. ont rapporté, chez 30
patients atteints de tumeurs carcinoïdes, un taux de
réponse objective de 13 % avec des stabilisations obtenues chez 59 % des patients, avec des effets secondaires très modérés [30]. Une phase III randomisant l’évérolimus au placebo, associé à de la Sandostatine®
LP 30, est en cours d’analyse chez des patients atteints
de tumeurs carcinoïdes avancées et documentées progressives à l’inclusion [31].
Radiothérapie métabolique*
En conclusion, la prise en charge des formes localisées
est spécifique au site primitif, reposant sur l’exérèse
tumorale endoscopique ou plus souvent chirurgicale.
L’indication d’un traitement adjuvant ne se conçoit
que dans le cadre d’un essai clinique, la surveillance
*
(voir la mini-revue dans ce numéro, faite par E. Baudin)
restant la règle. Le traitement des formes métastatiques
comporte deux volets : la prise en charge du syndrome
sécrétoire qui reste prioritaire et le traitement antitumoral : devant des maladies métastatiques non résécables, non évolutives et non symptomatiques avec un
envahissement hépatique inférieur à 50 %, une simple
surveillance avec réévaluation multidisciplinaire régulière reste justifiée [1] ; devant une maladie évolutive
non chirurgicale, le choix du traitement antitumoral se
fera entre les analogues de la somatostatine s’ils ne
sont pas encore prescrits en tant qu’antisécrétoires, la
chimioembolisation en cas de maladie exclusivement
ou préférentiellement intrahépatique, l’interféron, la
radiothérapie métabolique, en fonction des sites métastatiques atteints, de la pente évolutive de la maladie,
etc. À chaque étape de la maladie, l’inclusion dans
les essais thérapeutiques doit être privilégiée (analogues de la somatostatine à titre antitumoraux, radiothérapies métaboliques, thérapies ciblées, etc.). Enfin, il
ne faut pas omettre de réévaluer régulièrement les possibilités de résections chirurgicales.
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Hépato-Gastro, vol. 16, n° spécial, octobre 2009