Société - Nando Parrado
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Société - Nando Parrado
Société Dimanche 7 Octobre 2012 TTE 5 La vie et rien d’autre Le 13 octobre 1972, l’avion d’une équipe de rugby d’Uruguay, en route vers le Chili, se crashait sur un glacier des Andes. Quarante ans plus tard, Nando Parrado se souvient de ces soixante-douze jours en enfer. par Philippe CREUX À MONTEVIDEO, les amateurs de ballon d’avaler des protéines que seuls les corps ovale sont plutôt rares. Le 12 octobre inertes peuvent fournir. L’idée, rejetée par 1972, une équipe de rugby décolle à certains, en effraie d’autres. « Je suppose qu’il bord d’un bimoteur de l’armée de l’air uru- y a certaines limites que l’esprit met du temps guayenne. Quarante-cinq joueurs, parents à franchir, mais quand le mien les eut franproches et supporters se rendent au Chili, à chies, il l’a fait dans une pulsion si primitive Santiago, pour un match amical. La météo, ce que j’en ai été choqué », écrit Parrado. Il jour-là, ne permet guère d’aller au-delà de revient alors à chacun de trouver la force de Mendoza en Argentine, et le Fairchild mâcher. Peu après, la radio chilienne, captée s’élance le lendemain peu après 14 h. Vêtus non sans mal, annonce la fin des recherches. légèrement, les joueurs sont détendus, ce L’idée insensée d’aller chercher du secours court voyage ressemble à des vacances. Voler fait alors son chemin. un vendredi 13 est même sujet à plaisanteUn premier essai avorte. Dès lors, cette ries. Surviennent quelques turbulences, tentative d’évasion doit se faire avec les plus d’épais nuages, puis une violente secousse. solides. Dans cet indicible chaos, au soir du L’appareil heurte un som29 octobre, comme un met à 370 km/h, les ailes « Je ne voulais pas mourir, et souffle implacable, une se décrochent et la queue si j’ai fait tout ça, c’est pour avalanche de neige se brise. Le ventre de la les restes du me battre jusqu’au bout. » emplit machine dévale un glafuselage. Huit personcier, seul un mur de neige nes sont tuées. Ils sont stoppe sa course folle. Cinq passagers ne désormais dix-neuf dans un abri dérisoire où survivent pas au crash, et huit ont disparu. bras et jambes s’entremêlent. Huit jours sont Trente-trois personnes, certaines bien mal en nécessaires pour nettoyer l’appareil. Un point ou prisonnières de la ferraille, se retrou- temps utile à la réflexion : un traîneau est vent isolées de l’immensité glacée. créé en attachant des bandes de nylon à un Aux premiers espoirs de voir arriver les reste de valise en plastique, des sacs à dos secours, succèdent les doutes et la peur. À imaginés à partir de chutes de pantalons, une 3 600 m d’altitude, le corps humain se déshy- bouteille pour faire fondre l’eau… Repartis à drate cinq fois plus vite qu’en plaine, les trois au matin du 17 novembre, ils trouvent la besoins caloriques sont phénoménaux. Des queue de l’épave, quelques vivres et des blessés agonisent sous les yeux impuissants vêtements chauds. des plus vaillants, et dans la carlingue, le L’équipée de la dernière chance ne partira confort n’existe pas. L’attente dure. Se rassa- que le 12 décembre, le trio défiant la gravité, sier devient vite une obsession. « À moins de de volumineuses congères, des crêtes instavouloir manger les vêtements que nous por- bles et des rochers glacés. Sans combinaison, tions, il n’y avait autour de nous que de ni piolet, ni crampons, avec pour seule arme l’aluminium, du plastique, de la glace et de la un courage teinté de terreur. « L’angle de la pierre », relate Nando Parrado, survivant qui pente était aussi raide qu’une échelle posée a livré en 2006 un récit millimétré avec contre un mur ». Ils dépassent les 4 500 m, Miracle dans les Andes. atteignent le sommet à bout de force et Après dix jours, les maigres réserves sont poursuivent à deux. La descente à flanc de épuisées, et le moral est en berne. Roberto roc s’opère mètre après mètre. Au fil des Canessa, étudiant en médecine, suggère jours, la neige profonde, le sol argileux et la Après le crash de leur avion dans la Cordillère des Andes, seize passagers ont survécu à soixante-douze jours passés à 3 600 m d’altitude. Photo tirée du film Les Survivants. © Ethan Productions roche laissent place à une glace grisâtre et à une large vallée. Au glacier, succède un ruisseau qui va grandissant, et surtout, des premiers signes de vie : ici une boîte de conserve, là une bouse de vache. Le 20 décembre, la confluence de deux rivières torrentielles les stoppe. Là, Sergio Catalan, un paysan, les aperçoit. Pour la première fois, Parrado et Canessa osent croire à la fin de leur calvaire et au sauvetage de leurs quatorze camarades. Le lendemain, hébergés dans de modestes masures, ils savourent du fromage, du lait et des haricots… C’est dans un hélicoptère militaire que Nando, terrorisé, guide le pilote à 110 km de là, dans les Andes argentines. Un vol épique où l’aéronef est ballotté par les courants ascendants. Malgré tout, le Fairchild est atteint. Les autres sont toujours là, même si leur vie ne tient qu’à un fil. « J’ai pris tout mon temps pour écrire ce livre, que je voulais comme un cadeau à mon père pour ses 90 ans, je ne savais pas que ce serait un best-seller », confie Parrado, quarante ans après le drame. « Je n’avais pas le choix, tu acceptes d’être vivant dès la première minute dans la montagne, et tu te bats, ou bien tu meurs très vite, les mauvaises choses arrivent parfois dans la vie. » Affronter le froid, la douleur, la peur était intenable, mais « escalader les montagnes et réaliser que nous étions au milieu des Andes, c’était ça le pire ! », observe-t-il, soulignant le rôle joué par l’esprit d’équipe. « Je ne pouvais pas combattre la peur, elle était sans cesse en moi, je n’avais pas d’autre option que de vivre avec. ». Quant au fait d’avoir pu survivre grâce à la chair humaine : « Le débat est extérieur avec des gens qui n’y étaient pas. Dans les Andes, c’était la seule option, n’importe qui aurait fait la même chose ». Et d’ajouter, simplement, « Je ne voulais pas mourir, et si j’ai fait tout ça, c’est pour me battre jusqu’au bout ». Nando Parrado. Photo Maxppp