FICHE PÉDAGOGIQUE
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FICHE PÉDAGOGIQUE
FICHE PÉDAGOGIQUE Étude de ciel sur le bassin du Commerce du Havre – Eugène Boudin Auteurs : François Labrune, Lucien Félicianne, Emmanuel Caron Contexte Titre : Étude de ciel sur le bassin du Commerce du Havre Artiste : Eugène Boudin (1824-1898) Date : 1888-1895 Dimensions : H. 27 cm ; L. 41 cm Technique : Huile sur panneau Lieu de conservation : Musée Malraux, Le Havre © Ville du Havre, musée Malraux/Florian Kleinefenn Lieu de création : Le Havre L’Étude de ciel sur le bassin du Commerce du Havre (1888-1895) nous rappelle d’abord qu’Eugène Boudin est un familier des rivages et des ports. Il est, en effet, né à Honfleur et très tôt sa famille s’est installée au Havre. Elle est d’ailleurs étroitement liée à la mer puisque son père Léonard-Sébastien Boudin travaillera comme matelot sur Le Français, vapeur de la compagnie des bateaux d’Honfleur assurant la liaison Le Havre-Honfleur. Quant à sa mère, elle sera employée sur Le Normandie, puis sur Le Seine, qui assurent la liaison Le Havre-Rouen. Elle entrera ensuite à la compagnie des bateaux de Honfleur, berceau de la famille Boudin. La formation du peintre est singulière, car il vient tardivement à la peinture. Il participe d’abord à la vie commerçante de la ville du Havre qui est, grâce au port, en plein développement. Boudin est ainsi commis dans une imprimerie avant d’ouvrir un atelier d’encadrement. C’est là qu’il rencontre des artistes qui vont l’encourager à peindre, notamment Isabey et Troyon, des peintres sur les conseils desquels il étudie les Flamands. Cette formation explique sans doute la personnalité d’un peintre aimant surtout travailler d’après nature. Autour d’Eugène Boudin, dès 1865, à l’auberge SaintSiméon, chez Pierre-Louis Toutain, vont se réunir des peintres les plus divers, amoureux de la côte et de la campagne. La ferme devient vite le lieu de prédilection des artistes comme Monet, Jongking, Dubourg, Bazille et bien d’autres. Ces séjours que Boudin a immortalisés au pastel et à l’aquarelle ont sans doute permis des échanges décisifs et, surtout, une immersion dans un paysage qui réunit les motifs devenus chers aux impressionnistes : le ciel, l’estuaire et l’arrière-pays normand. C’est ainsi qu’Eugène Boudin est regardé comme un précurseur des impressionnistes, celui qui a invité Monet, rencontré au Havre en 1858, à peindre des paysages et à aller sur le motif. En 1874, Boudin participe d’ailleurs à la première exposition impressionniste organisée par Degas chez le photographe Nadar à Paris. Il suivra le groupe de ses amis peintres mais il demeurera fidèle à son tempérament et à sa manière. À côté des plages, plus mondaines, les études de ciel forment un thème important et secret du répertoire du peintre. Si Boudin représente le ciel sur le bassin du Commerce du Havre au crépuscule, c’est peut-être parce qu’il aime les espaces dégagés, où il peut s’exprimer librement : « Pour mon compte j’aime peu les quais, il y a là un tohu-bohu de voitures, de colis, de barriques tout à fait comme au Havre, ou plutôt comme à Anvers ; tourbillon agréable pour ceux qui compulsent leurs bénéfices par le nombre de ballots ou de barriques qui sont affalés par les grues, mais cela n’amuse pas le rêveur qui préfère un peu de silence et de solitude. » Ainsi ses études de ciel, qui sont sans doute la part la plus novatrice de son œuvre, montrent le plus souvent un événement météorologique, indiquent une heure en dehors de tout paysage. Boudin a réalisé ces études tout au long de sa carrière ; il les a peu montrées, conscient sans doute de leur caractère original. Le bassin du Commerce du Havre qui sert de cadre à cette étude de ciel a été représenté à de nombreuses reprises par le peintre. On devine ici plus qu’on ne voit sur l’étude la forme des grands bateaux à quai. Le bassin, voué à l’origine à l’accueil des voiliers long-courriers transportant les marchandises qui représentaient une part importante du trafic, est devenu le centre de la vie maritime havraise. Au cœur des quartiers neufs, il a reçu par la suite de grands yachts dès la fin du xixe siècle. CRDP de Haute-Normandie 1 Analyse de l’œuvre ’Étude de ciel sur le bassin du Commerce du Havre surprend L d’abord par son format (27 x 41 cm). Comme d’autres panneaux de dimensions modestes représentant des effets de soleil sur la mer ou un crépuscule sur le bassin, cette étude est plutôt une notation des effets lumineux du ciel qu’une préparation à un tableau précis. Le peintre donne au mot « étude » un sens personnel qui renvoie à un exercice quotidien de recherche sur le rendu de la lumière par la couleur dans un cadre qu’il connaît bien. L’étude fait immédiatement songer à Impression soleil levant peint par Claude Monet, en 1872. On sait que cette toile, actuellement exposée au musée Marmottan à Paris, a donné son nom au mouvement impressionniste comme le rappelle Claude Monet luimême dans La Revue illustrée, le 15 mars 1898 : « J’avais envoyé une chose faite au Havre, de ma fenêtre, du soleil dans la buée et au premier plan quelques mâts de navire pointant… On me demande le titre pour le catalogue. Ça ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du Havre ; je répondis : “Mettez Impression”. On en fit impressionnisme et les plaisanteries s’épanouirent. » Cette correspondance entre les deux œuvres est d’ailleurs intéressante à plus d’un titre. Elle souligne la parenté de Boudin et de Monet au-delà de la seule anecdote biographique que l’on a rappelée plus haut. Elle fait de la ville du Havre et, notamment du bassin du Commerce, un des hauts lieux de recherche des peintres appliqués à saisir les variations atmosphériques des ciels de l’estuaire. Elle montre enfin avec brio que Boudin, si l’on en doutait, n’est pas moins que Monet, un très grand peintre. Dans cette Étude de ciel, le bassin du Commerce est méconnaissable. On devine seulement les signes de bâtiments et surtout de mâtures s’inscrivant verticalement dans le ciel. Dressés comme des idéogrammes au-dessus de leur reflet, les bateaux esquissent la ligne de démarcation entre l’eau et le ciel. L’architecture portuaire du bassin apparaît réduite à l’essentiel : digue, parallélépipède d’une construction à droite. Elle n’intéresse pas directement le peintre pourtant familier des ports et de ces nouveaux paysages industriels que recherchent aussi les impressionnistes. L’étude, comme d’autres vues du port de Boudin, marque cependant le développement de la vapeur qui concurrence désormais la marine à voile. Les effets de fumée rendus çà et là par des blancs quasi transparents élèvent le regard des reflets de l’eau jusqu’au ciel. Car c’est surtout le ciel, comme l’indique le titre, qui passionne le peintre. Il lui consacre depuis toujours ces petites études qu’il garde à l’atelier. Baudelaire les verra lors d’un séjour chez sa mère à Honfleur et saluera leur modernité : « S’ils avaient vu comme j’ai vu récemment, chez M. Boudin qui, soit dit en passant, a exposé un fort bon et fort sage tableau Le Pardon de Sainte-Anne-la-Palud, plusieurs centaines d’études au pastel improvisées en face de la mer et du ciel, ils comprendraient ce qu’ils n’ont pas l’air de comprendre, c’est-à-dire la différence qui sépare une étude d’un tableau. Mais M. Boudin, qui pourrait s’enorgueillir de son dévouement à son art, montre très modestement sa curieuse collection. Il sait bien qu’il faut que tout cela devienne tableau par le moyen de l’impression poétique rappelée à volonté ; et il n’a pas la prétention de donner ses notes pour des tableaux. Plus tard, sans aucun doute, il nous étalera, dans des peintures achevées, les prodigieuses magies de l’air et de l’eau. Ces études, si rapidement et si fidèlement croquées d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa forme et dans sa couleur, d’après des vagues et des nuages, portent toujours, écrits en marge, la date, l’heure et le vent ; ainsi, par exemple : 8 octobre, midi, vent de nord-ouest. Si vous avez eu quelquefois le loisir de faire connaissance avec ces beautés météorologiques, vous pouvez vérifier par mémoire l’exactitude des observations de M. Boudin. La légende cachée avec la main, vous devineriez la saison, l’heure et le vent. Je n’exagère rien. J’ai vu. À la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium. Chose assez curieuse, il ne m’arriva pas une seule fois, devant ces magies liquides ou aériennes, de me plaindre de l’absence de l’homme. » Le ciel est donc le seul sujet de cette étude havraise. Même si le peintre n’a pas ici indiqué la date, l’heure et le vent, il s’agit sans doute d’un soleil couchant, que l’on devine dans le foisonnement des couleurs chaudes, au centre de la toile. Boudin utilise une touche large, rapide, discontinue qui rend bien la complexité lumineuse d’un ciel changeant. Nous sommes à la fin du xixe siècle, l’impressionnisme est déjà un mouvement internationalement reconnu qui s’expose à New York. De son côté, au Havre, Eugène Boudin semble annoncer la peinture gestuelle. Il y a, en effet, dans cette petite Étude un tel effacement des formes dans la lumière que le spectateur peut se croire devant un tableau abstrait. C’est peut-être cela que Baudelaire voulait souligner, la prodigieuse modernité de cette féerie lumineuse. CRDP de Haute-Normandie 2 Pistes pédagogiques Niveau : lycée Disciplines : Lettres – Histoire-géographie – Arts plastiques Thématiques : L’art et la représentation ou l’enregistrement du réel – L’art et les innovations scientifiques et techniques Lettres Baudelaire dans Le Spleen de Paris, dont certaines pièces furent écrites lors du séjour honfleurais de 1859, célèbre des motifs qui ne sont pas sans rappeler les toiles d’Eugène Boudin. Le poème en prose intitulé Le Port évoque peutêtre Honfleur où les deux artistes se sont rencontrés : XLI- Le port Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses servent à entretenir dans l’âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s’enrichir. Le port est associé au motif des nuages dont l’aspect changeant répond au mouvement de l’eau. Ici, c’est plutôt l’élégance de la marine à voile qui est évoquée. Baudelaire goûte davantage le plaisir de rêver, l’invitation au voyage que le voyage lui-même, toujours regretté, comme celui qu’il fit, très jeune, à l’île Bourbon et dont les images paradisiaques nourrissent souvent les poèmes des Fleurs du mal. Les nuages des études de Boudin sont si variés qu’il faut que le critique d’art déploie les métaphores les plus insolites pour parvenir à révéler leur beauté et leur diversité. Baudelaire, on l’a vu, parle dès 1859 de « ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu ». C’est que, comme Boudin, Baudelaire est un amateur de nuages. Ils évoquent chez lui, comme d’ailleurs chez le peintre, la possibilité d’une liberté esthétique totale, même si tous deux, bien sûr, en usent différemment : I- L’étranger – Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ? – Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère. – Tes amis ? – Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu. – Ta patrie ? – J’ignore sous quelle latitude elle est située. – La beauté ? – Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle. – L’or ? – Je le hais comme vous haïssez Dieu. – Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? – J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! Le Spleen de Paris Histoire Géographie Ce tableau peut être utilisé lors de l’étude des courants artistiques en première ES et L (« Religion et culture »). On pourrait par exemple l’intégrer à une étude plus large des ports par les peintres impressionnistes, en particulier en Normandie. On peut penser bien évidemment à une comparaison avec Impression soleil levant de Monet, mais aussi avec les tableaux de Pissarro sur le port du Havre ; il pourrait être intéressant de montrer aux élèves que les impressionnistes ne traitent pas de la même façon un sujet identique, voire que Boudin lui-même a traité de manière très différente le même sujet. On peut faire, entre autres, référence à deux autres tableaux : le premier, intitulé Crépuscule sur le bassin du Commerce au Havre (1892), peut être considéré comme un travail préparatoire du tableau étudié. CRDP de Haute-Normandie 3 Il est consultable à cette adresse : http://collections.musees-haute-normandie.fr/collections/artitem/07200000355 Le second, intitulé Le Bassin du Commerce (1892 également) est consultable à cette adresse : http://www.artnet.fr/artwork/425967962/896/eugene-louis-boudin-le-havre-le-bassin-du-commerce.html Plus largement, ce tableau pourrait être intégré à un travail sur le port du Havre depuis la fin du xixe siècle qui permettrait de lier la géographie, l’histoire et l’histoire des arts. Une approche pluridisciplinaire est également envisageable sur ce thème. Arts plastiques L’Étude de ciel sur le bassin de Commerce au Havre est une toute petite peinture où prédominent les touches et les empâtements. De près, la composition fait penser à une palette d’artiste à la recherche de ses coloris. Les mâts des bateaux ne sont rendus que par quelques coups de brosse ou de pinceau, tandis que le ciel et la mer se confondent, séparés seulement d’une toute petite zone non peinte. Le peintre joue du fini et du non-fini pour laisser à l’impression sa volatilité optique. « C’est que […] vous vous habituez à croire que le travail excessif fait la bonne peinture… loin d’y apporter une perfection quelconque, le travail […] ne fait que le rendre insipide […] moi je fais tout mon possible pour laisser à ma peinture […] l’aspect d’esquisse. » L’œuvre se place à la frontière entre la transparence et l’opacité : à quelques centimètres de l’étude, la matière est opaque dans sa lisibilité, l’œil ne distingue que des touches inintelligibles, tels des phonèmes morcelés dans l’espace pictural ; à quelque distance, la peinture acquiert une transparence dans ses signes, le ciel rougeoie, la figure advient. Boudin représente souvent « de beaux et grands ciels tout tourmentés de nuages, chiffonnés de couleurs, profonds, entraînants. Rien dessous s’il n’y a rien ». La séquence proposée s’adresse à des élèves de première et questionne « l’œuvre et le lieu ». 1. En extérieur, les élèves réalisent à plusieurs reprises des études de ciel. Ils utilisent des techniques graphiques ou picturales (gouache, aquarelle, pastel, etc.). Ils disposent de papier kraft brun ou de feuilles format raisin de tout coloris disponible sauf le blanc, afin de travailler les luminosités par des rehauts. L’enseignant joue de la durée de la séance de croquis comme d’un curseur pour faire varier le fini et le non-fini. 2. L’incitation suivante est proposée aux élèves : « Fabriquez un piège à nuages ». Il s’agit pour eux d’inventer un dispositif qui capturera le ciel sous une forme indicielle. Ils peuvent convoquer des techniques optiques (jeu savant de miroirs ou de reflets, lentilles, camera obscura…), intégrer de la vidéo ou de la photographie (indices du réel), réaliser des installations in situ. Ressources complémentaires • Haudiquet, Annette, Le Bihan, Olivier (dir.), Sur les quais. Ports, docks et dockers, de Boudin à Marquet, Paris, Somogy/musée Malraux du Havre/musée des Beaux-Arts de Bordeaux, 2008. • Manœuvre, Laurent, Boudin, le ciel et la mer, Paris, Herscher, 2008. • Eugène Boudin, catalogue de l’exposition, musée des Beaux-Arts André-Malraux, Le Havre, 1977. CRDP de Haute-Normandie 4