World of Warcraft comme espace de sociabilité - Celat

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World of Warcraft comme espace de sociabilité - Celat
World of Warcraft comme espace de sociabilité
Patrick COUTURE
Maîtrise en sociologie
Université Laval, CÉLAT
[email protected]
Résumé
À chaque jour, des millions d’usagers se connectent à des jeux de rôle en ligne
massivement multijoueurs (communément appelés MMORPGs1) pour incarner et faire
évoluer un personnage appelé avatar. Dans cet article, j’exposerai certains résultats de ma
recherche de maîtrise qui illustrent comment les liens sociaux se créent et s’articulent dans
les jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs, ainsi que la manière dont ceux-ci peuvent
déborder du cadre du jeu. Je présenterai ensuite de quelles façons les MMORPGs peuvent
être des espaces de sociabilité pour les joueurs, et ce, au même titre que d’autres lieux de
sociabilité comme le salon de quilles ou le bar de quartier.
Introduction
Au début des années 2000, les usagers de jeux vidéo sur consoles ont eu la possibilité
de commencer à jouer en ligne sur celles-ci, car les concepteurs ont implanté l’ajout d’une
connexion à Internet à la Xbox, la Xbox 360, la PlayStation 3, ainsi qu’aux autres consoles.
Plusieurs observateurs ont alors prédit la mort des jeux vidéo sur ordinateur. Or, quelques
années plus tard, on remarque que ces derniers sont toujours très populaires et que leurs
ventes se portent plutôt bien. En effet, l’industrie du jeu vidéo sur ordinateur a réalisé des
profits de 18,6 milliards de dollars en 2011, soit une hausse de 15% par rapport à 2010
(GAMASUTRA, 2012). Il y a fort à parier que les jeux de rôle en ligne massivement
multijoueurs2 comme Star Wars: The Old Republic et World of Warcraft ont fortement
contribué à ce succès. Malgré leur popularité, les jeux de rôle en ligne n’ont pas toujours
bonne presse, alors qu’on aborde souvent ceux-ci sous l’angle de la dépendance ou de
l’isolement social. Plusieurs observateurs et chercheurs qui s’intéressent au phénomène voient
les joueurs comme étant isolés socialement et déterminés technologiquement, absorbés par
leur machine, comme à l’époque des consoles de jeux traditionnelles où le joueur était rivé
devant sa télévision (par exemple, en jouant à Mario Bros au Nintendo). Ceci m’a amené à me
questionner sur le sujet dans le cadre de ma recherche de maîtrise et à aborder le phénomène
sous un autre angle. Plutôt que de voir les jeux vidéo en ligne comme potentiellement
1
2
MMORPGs est l’acronyme de Massive Multiplayer Online Role Playing Games.
Ceux-ci sont mieux connus sous le nom de Massive Multiplayer Online Role Playing Games ou MMORPGs.
1
dommageables au lien social, pourquoi ne pas voir ceux-ci comme des « espaces » de
sociabilité où il est possible de créer certains liens? J’ai donc envisagé les MMORPGs à partir
du concept de « troisième lieu » développé par le sociologue états-unien Ray Oldenburg. Pour
Oldenburg, un troisième lieu est un endroit public et neutre, autre que le lieu de résidence ou
de travail où les gens peuvent se réunir, interagir et socialiser. (OLDENBURG, 1989) Mon
intérêt sur le sujet se situait également dans un contexte où la société est de plus en plus
individualiste et où les liens sont de plus en plus choisis, affranchis, fragmentés et spécialisés
entre les individus. Mon mémoire de maîtrise visait ainsi à mieux comprendre les nouvelles
formes de sociabilité par le biais d’Internet et des jeux vidéo en ligne. Il s’agissait donc d’une
réflexion sur les transformations du lien social à l’ère des nouvelles technologies.
Avant de poursuivre sur le sujet des jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs,
j’exposerai tout d’abord en quoi ceux-ci se distinguent des autres jeux vidéo. J’expliquerai par
la suite la première étape qu’un joueur voulant s’initier à un jeu de rôle en ligne massivement
multijoueur doit accomplir, soit la création d’un avatar : un personnage qu’il incarne tout au
long du jeu. Je présenterai ensuite ma question de recherche et la pertinence de faire enquête
plus spécialement auprès de joueurs de World of Warcraft. Je vais finalement développer
l’analyse des facteurs, dans le jeu et dans la vie des joueurs, qui ont influencé la création et le
développement de certains liens entre joueurs.
Il y a trois caractéristiques qui distinguent les jeux de rôle en ligne massivement
multijoueurs des autres jeux vidéo. En premier lieu, ils requièrent une connexion Internet, car
on ne peut y jouer qu’en ligne sur des serveurs bien spécifiques qui sont, pour la plupart du
temps, payants3. En second lieu, comme leur nom l’indique, ils sont massivement
multijoueurs, ce qui signifie qu’il y a des milliers, voire des dizaines de milliers de joueurs qui
peuvent évoluer simultanément sur un même serveur4. Dans le cadre de ma maîtrise, j’ai
comparé la fréquentation des serveurs et j’ai pu constater que certains d’entre eux
regroupaient deux mille joueurs, alors que d’autres en comptaient plus de trente mille. Fait
intéressant : au Québec, si un joueur achète la version française de World of Warcraft, celui-ci
évoluera sur des serveurs situés en France, alors que s’il achète la version anglaise du jeu, il
évoluera sur des serveurs états-uniens. En troisième lieu, l’univers des MMORPGs est
persistant et sans fin, ce qui signifie que le jeu évolue et continue toujours en temps réel. Un
3
Selon les modalités de paiement, il en coûte entre dix et quinze dollars par mois pour jouer à World of
Warcraft.
4
Les serveurs sont situés un peu partout à travers le monde, sur chaque continent.
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joueur qui se déconnecte de World of Warcraft pour se reconnecter deux jours plus tard
trouvera donc un monde qui aura évolué en son absence.
Dans les jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs, le joueur fait évoluer son
avatar. En réalisant différentes quêtes (il peut s’agir de tuer certains monstres, trouver certains
objets, etc.) et donjons5, il gagne de l’expérience et fait progresser son avatar d’un niveau à
l’autre. La version originale du jeu, lancée en novembre 2004 en Amérique du Nord, comptait
soixante niveaux. Depuis, trois extensions du jeu ont vu le jour, soit The Burning Crusade
(janvier 2007), Wrath of the Lich King (novembre 2008) et Cataclysm (décembre 2010)6.
Celles-ci permettent maintenant aux joueurs de faire évoluer leur avatar dans de nouvelles
zones et d’atteindre le niveau maximum qui a été repoussé à quatre-vingt-cinq. Lorsque le
joueur est rendu au niveau maximum, plusieurs pourraient croire que le jeu est complété et
que tout a été accompli, mais il n’en est rien. Si l’on se fie aux dires des joueurs, c’est plutôt à
ce moment que l’action commence vraiment, car c’est lorsque les joueurs ont atteint le niveau
maximum qu’ils peuvent effectuer les donjons les plus difficiles. C’est également à ce niveau
que les combats entre joueurs sont les plus compétitifs.
Un autre aspect qui s’avère structurant de l’expérience des jeux de rôle en ligne
massivement multijoueurs est qu’ils sont conçus en fonction du fait que les joueurs doivent
collaborer. Qu’un joueur préfère évoluer seul ou en groupe avec son avatar, tôt ou tard, il aura
à interagir avec ses pairs dans le jeu, que ce soit pour fabriquer des pièces d’équipement ou en
vendre, pour acheter ou échanger des matériaux, ou pour compléter certaines quêtes qui sont
trop difficiles pour un joueur seul. C’est ce qui justifie la présence des guildes dans World of
Warcraft. Les guildes sont des groupes de joueurs unis sous un même nom, par exemple, Les
Seigneurs de la Nuit, qui consolident leurs forces afin de progresser dans le jeu.
L’intérêt pour World of Warcraft
J’ai choisi World of Warcraft comme terrain pour mon mémoire, car il était et est
toujours, en 2012, le MMORPG le plus populaire. Le jeu a déjà compté plus de 12 millions de
joueurs payants, sans compter ceux qui évoluent sur des serveurs privés. Bien que le nombre
5
Un donjon est une zone de combat réservée à un groupe de joueurs qui le parcoure, pour un moment donné. Il
est impossible pour un joueur d’accomplir les combats dans un donjon seul. Il faut donc former un groupe de
cinq personnes pour effectuer un donjon et plus de cinq pour un raid. À l’intérieur de ceux-ci, les joueurs
retrouvent également des monstres et des quêtes. La difficulté des donjons est plus grande que les quêtes qui
s’effectuent en solo. Les récompenses qui y sont attachées sont elles aussi plus importantes et de plus grande
valeur. Il est possible pour un groupe d’effectuer plusieurs fois le même donjon sans y affronter les mêmes
monstres et y récolter les mêmes trésors, car ceux-ci sont uniques à chaque fois.
6
La prochaine extension, Mists of Pandaria, est prévue pour 2012.
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de joueurs ait diminué depuis les deux dernières années, en raison des nouveaux jeux qui ont
vu le jour, c’était, au moment où j’ai entrepris la recherche, le jeu pour lequel il était le plus
facile de trouver des participants à interviewer.
En tenant compte de ce que j’ai présenté précédemment, ma question de recherche
était donc la suivante : De quelles façons les liens entre les joueurs de World of Warcraft se
créent-ils et de quelles façons ceux-ci se développent-ils ou évoluent-ils dans le temps ? Dans
le contexte de quel genre de pratiques de jeu les joueurs développent-ils ou non des liens avec
d’autres joueurs ? Quelle place ces liens occupent-ils dans le quotidien des joueurs ? Pour
répondre à ces questions, j’ai effectué quinze entrevues semi-dirigées avec des joueurs de
World of Warcraft ayant des profils socioéconomiques variés (provenant de différents
milieux, étant âgé de 20 à 31 ans et ayant complété différents niveaux de scolarité). Mon
échantillon était constitué de douze hommes et de trois femmes.
Avant d’entrer dans le vif du sujet et d’aborder les facteurs qui influencent la création
et le développement des liens entre les joueurs, j’aimerais mentionner que le fait que j’ai moimême été un joueur de World of Warcraft a quelque peu influencé et façonné ma grille
d’entrevue. De plus, la manière dont les participants à l’enquête ont répondu aux questions
d’entrevue a également été influencée par le fait qu’ils ont rapidement pu comprendre que
j’étais un joueur ou un ancien joueur de World of Warcraft. Ils pouvaient ainsi utiliser un
vocabulaire émique et des éléments du jeu sans les expliquer. Enfin, il va sans dire que mon
analyse est également marquée par mon point de vue de joueur : certains sujets ou thèmes me
paraissant plus intéressants ou pertinents que d’autres.
Les interactions et les liens dans World of Warcraft
1) L’avatar et les choix reliés à celui-ci
Avant d’aborder les interactions entre joueurs, j’aimerais d’abord faire un bref retour
sur l’avatar des joueurs afin d’en préciser les modalités de sélection. L’analyse des entrevues
permet de constater que la création et le développement des liens sont directement liés aux
choix que fait le joueur concernant le personnage qu’il incarne, son avatar, et cela, que ces
choix soient réfléchis ou non. Précisons que, peu importe la classe (mage, guerrier, paladin,
voleur, etc.), quand un joueur atteint le niveau dix, il doit spécialiser son personnage en
choisissant normalement parmi trois domaines de spécialisation, chacun amenant le joueur à
jouer un rôle particulier avec son avatar. Si l’on prend l’exemple d’un druide, qui est une des
4
classes les plus versatiles, il peut se spécialiser et devenir un joueur de type tank, c’est-à-dire,
être le personnage qui attaque les monstres en premier et qui s’assure que ceux-ci continuent
de les attaquer, eux, et seulement eux, afin d’encaisser la majorité (ou la totalité) des
dommages que les monstres infligent, et ce, afin d’éviter que les avatars des coéquipiers (qui
n’ont pas autant d’armures que les tanks) soient tués dans le combat7. Ils peuvent également
devenir guérisseurs, c’est-à-dire avoir la responsabilité de guérir les autres membres de leur
groupe. Enfin, ils peuvent se spécialiser en vue d’infliger des dommages aux monstres. On
peut souligner que ce fonctionnement du jeu, qui repose sur la répartition des joueurs en
fonction de trois rôles que sont le tank, le guérisseur ou les spécialistes des dommages, se
retrouve dans la plupart des jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs. En choisissant un
rôle (qu’ils peuvent cependant décider de changer à tout moment), les joueurs, qu’ils en soient
conscients ou non, prennent une décision déterminante dans les interactions qu’ils auront
ensuite avec les autres joueurs. Dans un groupe ayant une composition optimale, il n’y a
généralement qu’un seul guérisseur et un seul joueur de type tank. Les joueurs spécialisés à
infliger des dommages sont quant à eux interchangeables, peu importe la classe. C’est
pourquoi, selon les dires des répondants de mon enquête, les joueurs de type tank et les
guérisseurs semblent généralement plus en demande que les autres joueurs8. Les répondants
qui jouaient ces classes ont eux-mêmes mentionné qu’il était facile pour eux de trouver des
groupes et qu’ils étaient très en demande. L’intégration à des groupes de joueurs semble donc
beaucoup plus facile pour ceux qui choisissent ces rôles.
Les professions choisies par les joueurs influencent également leurs interactions avec
les autres joueurs. Certaines professions consistent à recueillir des matériaux, alors que
d’autres fabriquent certains objets à partir de matériaux recueillis par les joueurs. Les
professions sont ainsi complémentaires entre elles puisqu’elles favorisent certaines
collaborations (par exemple les mineurs collaborent avec les forgerons et les chimistes avec
les herboristes). La popularité et l’importance des professions varient également d’un serveur
à l’autre. Par exemple, être forgeron peut être la profession la plus rentable, alors qu’elle peut
être la pire profession sur un autre serveur. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que les
7
Ces catégories de joueurs ont certains pouvoirs qui leur permettent d’inciter les monstres à les attaquer et à
détourner leur attention des autres personnages.
8
Les serveurs sont différents les uns des autres : le nombre de joueurs qui y évoluent, le ratio de joueurs
évoluant pour la horde ou l’alliance, le nombre de joueurs de types tanks et guérisseurs qui s’y trouvent, etc. Un
serveur peut avoir trop de joueurs de type tanks et manquer de guérisseurs alors qu’un autre serveur peut avoir
trop de guérisseurs et manquer de joueurs de type tank. Toutefois, il semble que la plupart des répondants ont
mentionné que sur leurs serveurs respectifs, les joueurs de types tanks et guérisseurs étaient les plus recherchés
et que ceux qui jouaient ces rôles étaient choyés, car ils ne restaient jamais bien longtemps à la recherche d’un
groupe pour effectuer des quêtes ou des donjons.
5
choix de professions vont influencer les interactions entre les joueurs, en ce sens qu’il est bien
rare que deux chimistes ou deux forgerons interagissent ensemble dans l’exercice de leur
profession, car ils fabriquent plus ou moins les mêmes objets.
2) Les modes de jeu
Les interactions dans le jeu sont également influencées par le rapport au jeu que les
joueurs choisissent ou le mode de jeu que ceux-ci privilégient. Certains joueurs préfèrent
davantage jouer contre des monstres contrôlés par l’ordinateur, dans des combats scriptés,
dans un mode de jeu appelé joueur contre environnement (en anglais, le terme PvE est utilisé,
pour Player vs Environment), car ce mode de jeu se rapproche plus étroitement de l’esprit des
anciens jeux de rôle, comme Donjons & Dragons ou aux autres jeux de Warcraft qui
précèdent celui-ci9. Les répondants qui favorisent ce mode de jeu aiment l’entraide et la
coopération que favorise ce mode de jeu et ils ont majoritairement des expériences de jeux
antérieures avec d’autres jeux de rôle, comme Donjons & Dragons, Final Fantasy, Everquest,
etc. D’autres répondants préfèrent quant à eux affronter d’autres joueurs en mode joueur
contre joueur (dans ce cas-ci, on parle de PvP ou de Player vs Player). Pour eux, ce qui est
important, c’est d’anéantir l’autre équipe ou les joueurs adverses. Bien que la coopération soit
également nécessaire dans ce mode de jeu, l’accent est mis plutôt sur la compétition contre les
rivaux. Les joueurs qui privilégient ce mode de jeu ont des expériences antérieures davantage
axées sur les jeux de tir10, communément appelés shooters, comme Call of Duty,
Counterstrike, etc. Les deux modes de World of Warcraft donnent lieu à des dynamiques
complètement différentes dans les rapports entre joueurs, ce qui fait que les joueurs qui
favorisent un mode plutôt qu’un autre ne développent pas nécessairement les mêmes aptitudes
de jeux et par le fait même, les mêmes liens.
3) Les guildes
Les guildes peuvent également influencer le développement et la création des liens
dans World of Warcraft, et ce, qu’il s’agisse d’une guilde axée sur le mode joueur contre
environnement ou joueur contre joueur. En effet, la synchronie du jeu fait en sorte que les
joueurs doivent se connecter au même moment que leurs partenaires de jeu pour jouer
ensemble. C’est ce qui amène certains répondants à se connecter à Internet à des moments
9
World of Warcraft est la suite narrative de Warcraft I, II et III.
Jeu dans lequel le joueur possède différentes armes (pistolets, mitraillettes, lance-roquettes, fusils laser, etc.) et
doit tirer sur ses ennemis.
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précis pour jouer, par exemple, lorsqu’un raid est planifié par leurs partenaires de jeu.
D’autres événements peuvent également être suggérés par la guilde, comme une rencontre
dans un bar ou au cinéma, ce qui peut amener certains répondants à organiser leur horaire de
travail et leurs activités hors du jeu en fonction de l’horaire de la guilde afin de pouvoir
prendre part à ces événements, en ligne ou hors ligne.
Jouer avec les pairs de son réseau hors ligne
Il y a également un facteur hors du jeu qui a fortement influencé la création et le
développement des liens des joueurs de World of Warcraft. En effet, mon enquête m’a permis
de montrer que les rapports avec le jeu et avec les autres joueurs sont fort différents, pour ne
pas dire complètement différents, si le joueur a des amis qu’il connaissait préalablement qui
jouent avec lui ou non. Les répondants qui connaissaient des joueurs avant de s’initier à
World of Warcraft et qui jouent au jeu avec eux ont bénéficié de ceux-ci de multiples façons.
Jouer avec un ou des amis signifie que son personnage va évoluer plus rapidement grâce à
l’aide de ceux-ci. Il est également possible que le joueur se fasse donner ou prêter de l’argent
en jeu, ainsi que des pièces d’équipement. Dans ce cas-ci, l’avatar du joueur progresse d’une
façon beaucoup plus rapide que celui d’un joueur qui ne connait personne et qui évolue seul,
car celui-ci n’a pas la même connaissance du jeu et de son personnage, n’a pas d’aide, et il
doit composer lui-même ses groupes pour effectuer certains donjons ou certaines quêtes. Les
deux tiers des répondants qui connaissaient d’autres joueurs avant de s’initier à World of
Warcraft ont donc joué ou jouent toujours avec leurs amis au jeu.
Un espace de sociabilité bien réel
Un des éléments les plus révélateurs de l’analyse est le fait que près des deux tiers des
participants à l’enquête ont mentionné qu’ils préféraient jouer en groupe, ce qui donne à
comprendre que World of Warcraft n’est pas un jeu auquel les répondants joueraient seuls et
qu’il constitue bien un espace dans lequel on socialise. La plupart des répondants ont
également mentionné qu’ils jouaient à World of Warcraft pour le contact social avec les
autres, et que lorsque leurs amis n’étaient pas en ligne ou se désabonnaient du jeu, ils se
déconnectaient ou ils se désabonnaient du jeu eux-mêmes.
Plusieurs répondants considèrent également s’être fait des amis par le biais de World
of Warcraft et les liens créés par ceux-ci ont également débordés hors du cadre du jeu. Douze
répondants sur quinze ont mentionné qu’ils entretiennent avec d’autres joueurs qu’ils ont
7
connus via le jeu des rapports hors du jeu par le biais des messageries comme MSN
Messenger, Facebook, Aim, Vent, Teamspeak, Skype, etc. De plus, près de la moitié des
répondants ont rencontré des joueurs hors ligne en face à face, que ce soit dans un restaurant,
un bar ou lors d’une fête, etc. Deux des trois répondantes à l’enquête ont rencontré leurs
anciennes relations amoureuses dans le jeu, ainsi que leurs nouvelles relations amoureuses.
Une des répondantes a d’ailleurs eu un enfant avec son conjoint qu’elle a rencontré dans le
cadre du jeu. Pour peu, et on pourrait presque parler d’un bébé World of Warcraft!
Un jeu vidéo ou un espace de sociabilité ?
En conclusion, il semble que World of Warcraft soit bel et bien un espace de
sociabilité pour la plupart des répondants. Par contre, ceux-ci ne voient pas tous le jeu de la
même façon. L’enquête m’a permis de découvrir que les joueurs avaient parfois des
perceptions bien différentes de World of Warcraft. Ceux-ci peuvent, pour l’essentiel, être
divisés en trois différents types.
Pour un premier type de joueurs, World of Warcraft est d’abord un simple jeu vidéo
plutôt qu’un univers social. Pour eux, World of Warcraft n’est pas un contexte pour faire des
contacts avec de nouvelles personnes ou entretenir des liens. En effet, ces joueurs ont
clairement mentionné qu’ils ne jouaient pas pour se faire des amis. Les quelques répondants
de ce type, qui sont une minorité, ne développent que rarement des liens avec les autres
joueurs.
Pour un deuxième type de joueurs, World of Warcraft est un espace dans lequel ils
retrouvent leurs amis qu’ils connaissaient préalablement hors ligne pour jouer avec eux.
Parfois, des amis se trouvent géographiquement éloignés, en raison de diverses circonstances
sociales et professionnelles. Pour certains répondants, ce qui est intéressant de World of
Warcraft est le fait qu’il réunit des amis qui sont séparés géographiquement, mais qui peuvent
tout de même se retrouver en ligne et jouer ensemble. Les répondants qui ont ce profil ne sont
pas du tout contre le fait de créer de nouveaux liens. Toutefois, les contacts qui existaient déjà
avec leurs amis sont privilégiés.
Pour un troisième type de répondants, World of Warcraft est beaucoup plus qu’un
simple jeu : c’est un univers social. Un répondant m’a mentionné que pour lui, World of
Warcraft est un peu comme une espèce de Réseau Contact ou un Facebook. Pour lui, les jeux
8
en ligne sont un endroit où il est possible de se faire de nouveaux amis, de se découvrir des
affinités avec des joueurs ou même de rencontrer l’âme sœur.
Je peux donc affirmer que différents facteurs dans le jeu et hors du jeu influencent la
création et le développement des liens par le biais de World of Warcraft ainsi que la place que
ceux-ci occupent à l’extérieur du jeu. Le but de cet article était toutefois de familiariser et
d’expliquer aux non-initiés ce que sont les jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs et
de montrer que ceux-ci peuvent être envisagés comme des espaces de sociabilité, au même
titre que le bar du coin, le salon de quilles, l’arcade ou n’importe quel autre endroit.
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Bibliographie
Sites Internet

GAMASUTRA : PCGA: Global PC gaming market saw record $18.6B revenue in 2011,
[http://www.gamasutra.com/view/news/164767/PCGA_Global_PC_gaming_market_saw_
record_186B_revenue_in_2011.php?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_c
ampaign=Feed%3A+GamasutraNews+%28Gamasutra+News%29] [consulté le 2 avril
2012]

PROJECT FOR PUBLIC PLACES: Ray Oldenburg, pour le concept de third place,
traduit en français par celui de « troisième lieu », concept développé en 1989
[http://www.pps.org/articles/roldenburg/] [consulté le 23 janvier 2012]
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