La plus belle plage du monde

Transcription

La plus belle plage du monde
appel du large
À l’aveuglette dans la vie suivante (suite)
La plus belle plage du monde
« La plus belle plage du monde se trouve dans l’Archipelago de Cies. »
Contrôle douanier
Les îles Cies
Dans l’un de ses numéros, un magazine a cité la grande
plage de Houat au sud de la Bretagne, parmi les plus
beaux mouillages du monde. C’est peut-être vrai. Mais il
Thoè au mouillage
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a fait une incroyable erreur en ne parlant pas de celui-ci.
D’un côté de la plage, l’entrée des rias, de l’autre l’Atlantique. Entre les deux, un étroit cordon de sable blanc
propre, une bande de dune, et une lagune alimentée par
l’océan au travers d’une digue de protection de tous ces
éléments fragiles. À l’est, la côte tranquille (pas toujours).
À l’ouest, la côte inhospitalière attaquée 365 jours par an
par la houle. Au-dessus, des forêts d’eucalyptus et de résineux. Encore plus haut, le phare dominant tout, du haut
de son piton rocheux. Sa lanterne culmine à 187 mètres
au-dessus de la plage. De là-haut, le panorama est aussi
saisissant que la plage est douce à regarder sans jamais
s’en lasser.
Cette plage se trouve sur la Isla del Norte de l’Archipelago de Cies, juste en face de la Ria de Vigo. L’archipel
fait partie des îles galiciennes de l’Atlantique, transformées
en parcs naturels. Interdiction de débarquer en certains
Photos © Pierre Lang
Vers 20 heures, au mouillage de l’Isla Ons, nous avons
été contrôlés par les douanes. C’était la troisième fois
depuis notre arrivée à La Corogne. Les deux premiers
contrôles se sont passés dans une réelle bonne humeur.
Cette fois, les hommes en uniformes nous disent que la
plus belle plage du monde se trouve dans l’Archipelago
de Cies. Nous irons…
Quittant Ons, nous assistons à une invasion spectaculaire de barques et de pêcheurs, entre les cailloux, sans
pouvoir déterminer ce qu’ils pêchent et comment. Travaillent-ils en équipe ou chacun pour soi ?
À l’est, la côte tranquille (pas toujours). À l’ouest, la côte inhospitalière attaquée 365 jours par an par la houle
endroits. Pas de voitures, quasiment pas
d’habitants, pas de magasins de souvenirs, pas d’affiches, pas de pub, pas de
poubelles de tri sélectif (il faut emporter
ses déchets avec soi, car rien ne peut
rester dans une réserve naturelle), pas de détritus traînant
sur le sol (les gens les emportent avec eux). Magnifique,
préservé et protégé.
J’espère, sans conviction, que le nombre de touristes n’est
pas trop important en haute saison. En ce long weekend de détente, le ferry est arrivé à 13h30 et reparti en
fin d’après-midi. La plupart des gens sont venus avec leur
pique-nique. Il y a des tables et des sièges en granit un peu
partout le long des chemins, à l’ombre, sous les arbres. La
promenade ne souffre pas de la chaleur du soleil.
Nouveau contrôle des douanes
Cette fois-ci, la vedette des douanes jette l’ancre à quelques encablures de Thoè. Nous allons vers eux avec l’annexe. Ils préfèrent venir à bord. Ils mettent un canot à l’eau
à l’aide d’une grue et nous rejoignent. Ils portent le gilet de
sauvetage réglementaire. Il est indiqué dessus : « pour des
personnes de plus de 32 kg ». Le douanier qui remplit la
fiche se débrouille en anglais avec 50% d’accent galicien et
50% d’accent espagnol. Je lui réponds avec 90% d’accent
belge et 10% d’accent indéfinissable car cela fait dix jours
que je parle Anglais avec Lennart, un Suédois.
Son collège demande à Lennart de bien vouloir parler
Allemand (avec l’accent suédois) pour qu’il puisse s’entraîner dans la langue de Goethe (avec l’accent hispanique).
J’ignore si un « Allemand made in Germany » aurait pu
comprendre ce qu’ils se sont dit. Pourtant ils n’avaient pas
l’air de faire semblant de se comprendre.
–W
elcome on Thoè ! Nous avons déjà été contrôlés deux
fois par vos collègues, voilà les copies des rapports.
– Oui. Les douanes espagnoles travaillent beaucoup, vous
savez ! C’est pourquoi, nous allons compléter un autre
formulaire. Je dois de nouveau regarder les papiers du
bateau et de l’équipage. Ensuite, vous recevrez une copie
de formulaire pour agrandir votre collection. Hi, hi, hi…
Moteur ?
– Volvo, 40 chevaux.
– Bateau ? En plastique ? Non ! En bois.
Cela suscite toujours de l’étonnement quand je dis que
Thoè est en bois. Vu l’ambiance détendue, nous leur montrons l’échantillon de coque que j’ai toujours à bord, pour
alimenter nos conversations polyglottes.
La plus belle plage du monde
Douanes, encore et toujours
Nos visiteurs de la veille passent à proximité, au hasard
de leurs patrouilles. Ils nous aperçoivent. Ils traversent le
passage entre les deux îles en faisant de grands signes
debout sur pont de leur bolide bleu administratif, comme
si nous jouions aux cartes ensemble deux fois
par semaine, depuis dix
ans, au café du coin.
Ils arrêtent leur impressionnante vedette à
quelques mètres de
Thoè avec une précision
chirurgicale. Pourtant
leur bateau, gros modèle, peut se déplacer à
50 noeuds. Le petit modèle de leurs collègues atteint
65 noeuds. Impossible de leur fausser compagnie !
–A
ttention à vous ! On annonce un coup de vent du
nord pour cette nuit et demain. Bonnes vacances…
–M
uchias gracias. Wielen dank. Thank you. Merci. Buenas tardes. Au revoir. Guten Abend. Bye bye.
Ils s’éloignent déjà dans leur tourbillon bouillonnant
d’écume, en faisant encore quelques signes amicaux.
Vous l’avez compris. On ne peut plus « cool ». C’est à
se demander comment on arrive à trouver des commentaires diamétralement opposés dans certains magazines français.
Il est 22 heures. Le coup de vent est supportable. Le
mince croissant de Lune semble ne vouloir faire qu’une
bouchée de l’étoile du berger, sa voisine toute proche.
À l’horizon opposé, on voit, telle une constellation, les
milliers de points lumineux de la ville de Vigo, éclairée
comme toutes les grandes villes. Au-dessus de nous, le
phare envoie son coup de projecteur à chaque tour. Si
la nébulosité atmosphérique le permettait, on pourrait
le voir à 22 milles. Je vais me coucher…
• Pierre Lang
Mon journal de bord sur Internet : www.thoe.be