2006-Terrorisme pauvrete-analyse

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2006-Terrorisme pauvrete-analyse
ANALYSE 2006
Asbl soutenue par le Service Education permanente de la Communauté française et
la Direction Générale de la Coopération au Développement
TERRORISME
ET PAUVRETÉ
Commission Justice et Paix belge francophone asbl, rue Maurice Liétart, 31/6,
B-1150 Bruxelles, Belgique, tél. 32-(0)2-738 .08.01, fax. 32-(0)2-738.08.00,
[email protected], www.justicepaix.be
La pauvreté est-elle un bouillon de culture du terrorisme ? Les pauvres sont-ils les principales
victimes du terrorisme ? Est-ce absurde d’imaginer un lien entre la pauvreté et le terrorisme
parce que les leaders terroristes sont riches ? Quel est le lien entre terrorisme et criminalité ?
Le terrorisme libère-t-il parfois les peuples opprimés ?
Telles sont les questions de base qui furent posées à un panel académique ou de la société
civile présents à cette conférence.
Voici les traits essentiels de la contribution de notre association à la table ronde de la
conférence :
1. Nécessité de prendre de la distance par rapport à ces deux mots mais aussi
ces deux maux
Prendre distance et donc replacer dans un contexte plus global est nécessaire si l’on
veut trouver des réponses justes à ces deux préoccupations mondiales.
▪ Il est utile de situer le terrorisme comme une des formes extrêmes - et une des
formes seulement - et une forme marginale de la violence armée. En effet, plus d’une
vingtaine de conflits armés, soit intra-étatiques, soit inter-étatiques existent toujours
dans notre 21e siècle. Ils font de bien plus nombreuses victimes que le terrorisme. Le
même schéma existe si l’on parle des morts ou blessés par armes légères qui font,
selon les estimations, plus de 500.000 victimes par an.
• Le véritable enjeu mondial est la lutte contre la pauvreté. Les Objectifs du
Millénaire nous redisent volontiers combien la violence sociale, renforcée par de
réelles inégalités riches - pauvres est présente dans le monde. Cet enjeu ne doit pas
être occulté par un discours idéologique sécuritaire permettant de s’absoudre au nom
d’un certain « modèle américain de la démocratie de marché » d’un véritable combat
contre la pauvreté. Attention à ne pas légitimer certaines manières de voir le monde.
A ce propos, je voudrais citer l’étude de Justice et Paix : «Terrorismes. Entre discours,
réalités et réponses », page16. Relier le terrorisme à la pauvreté est problématique car
l’aide au développement dévient alors un instrument de la politique de défense,
reléguant les Objectifs du Millénaire à un second plan. Les institutions internationales
risquent d’être alors considérées comme l’instrument des riches et puissants en prenant
pour première menace le terrorisme jihadiste et ce par ce qu’il préoccupe plus
l’Occident que la pauvreté dans les pays en voie de développement.
• Le lien qui est fait ici entre ces deux réalités donne déjà un certain angle de vue
dominant sur le monde et sur les rapports de force qui y prédominent : c’est quelque
part déjà admettre un lien potentiel : que les pauvres sont potentiellement des violents.
Ce qui est faux évidemment.
Prendre de la distance par rapport à la légitimité de la violence comme outil d’action
dans les rapports sociaux ou internationaux.
Association de paix, nous revendiquons l’idée que le choix entre la violence et la nonviolence est de l’ordre du possible, du souhaitable et de l’efficacité. Dans son concept même,
le recours à la violence fait lui-même l’impasse sur le politique en tant que fonction centrale.
Il en est quelque part sa négation.
Voir à ce sujet le texte de Valérie Rosoux (UCL- ESPO) : « La non violence entre morale et
politique ». Notre option est celle du refus et de la condamnation du principe de la violence
comme primat des relations internationales notamment.
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2. La pauvreté n’est pas la cause du terrorisme dans nos contextes actuels
et donc en nous situant sur le thème du terrorisme international, il me semble qu’il
convient mieux de la qualifier de ressource ou de ressort.
• Ressort permettant de légitimer une forme de violence/légitimation auprès de
groupes sociaux ou peuples vivant, entre autres, dans la pauvreté. La pauvreté est le
prétexte à mobiliser. Paradoxalement, le discours terroriste est peu construit sur ce
thème se limitant à dénoncer l’Occident oppresseur. Ceci ne veut pas dire que le
rapport entre riches - pauvres et les inégalités ne sont pas à prendre en considération
mais il faut les situer dans un rapport de force plus global.
• Ressort permettant de mobiliser et d’intrumentaliser le ressentiment, le sentiment
d’injustice et de faiblesse de certains groupes ou de certains pays.
• Le terrorisme actuel vient plutôt comme une réponse protestataire et identitaire à la
non-reconnaissance de l’Occident (notamment riche) vis-à-vis d’un autre monde.
Monde musulman et notamment arabe (notamment riche) sur les terrains de :
° la politique internationale (voyez qui compose les lieux dirigeants le monde) ;
° l’économie internationale. Certains pays riches ou pauvres notamment du
monde arabe n’ont pas fait une synthèse entre tradition, modernité et
mondialisation ;
° la culture. L’identité culturelle dominante dans la mondialisation n’est pas
celle du monde musulman, ni d’ailleurs d’autres cultures africaines (voyez à ce
sujet la difficulté que nos propres sociétés ont à intégrer l’identité culturelle des
jeunes allochtones de la seconde ou troisième génération….). Je tiens à
souligner le mot culture et sa non-interchangeabilité avec le mot religion. Il est
utile de redire que la religion est aussi plus un habillage, un vecteur
mobilisateur de l’action violente qu’une réelle source en soi.
La religion (entendue comme discours extrême et pratique dogmatique) est
davantage un élément fédérateur.
Dans cette recherche légitime de pouvoir et de reconnaissance, certains ont fait le choix
d’intégrer la mondialisation, la modernité dans leur stratégie.
D’autres font plutôt le chemin du refus et de la rupture : il s’agit alors dans un premier
temps de conduire des jihads nationales (Algérie, Egypte, Afghanistan, Arabie
Saoudite…). Ces jihads étant en fait des échecs, le combat s’est alors tourné vers les
dominants et donc vers l’Occident.
3 . Qui sont les terroristes ?
Distinguer qui sont les terroristes peut aider à répondre à la question du lien.
Diverses catégories non exclusives peuvent être citées :
• des anciens militaires et extrémistes nostalgiques de l’échec des jihads nationales ;
• des leaders politico-économiques. De manière notable, certains leaders de l’action
terroriste sont des nantis et dans un certain nombre de cas des intellectuels. Le lien entre
réelle économie et réseaux de la terreur est un sujet passionnant sur lequel se penchent de
nombreux chercheurs. Il constitue une clé de réponse.
• des personnes fragiles dans leur identité, parfois jeunes, parfois pauvres et sensibles à
un discours qui permet d’habiller les frustrations personnelles ou du groupe
d’appartenance.
Le terrorisme est la manière asymétrique qu’ils auront d’être reconnus et d’exister dans un
rapport de force inégalitaire. (Voir à ce sujet l’excellent CD Rom de CNAPD et CJP dans
lequel se trouve une bonne définition de ce qu’est l’action terroriste).
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Je voudrais faire ici trois petites remarques :
- le ciblage que je viens de donner est subjectif tout comme l’est la définition même du
terme. Il s’agit, et il faut toujours se le rappeler, d’une notion politique. Le terroriste
d’hier n’est peut-être que le libérateur de demain. Les nazis ne traitaient-ils pas les
résistants des terroristes ?
- la question que l’on me pose souvent est celle du terrorisme d’Etat. Un orateur
précédent en a parlé déjà. Il est vrai que certaines méthodes utilisées par des appareils
d’Etat sont à relier à des méthodes de la terreur. Ici aussi la violence et le déni de
démocratie sont liés pour se maintenir au pouvoir ou conserver une position dominante
dans un espace local ou international donné. De toute manière, la notion est avant tout
politique et donc une question de point de vue (voir tiret précédent). Ces méthodes
sont aussi à condamner d’ailleurs ;
- sans entrer dans les détails, disons simplement que le terrorisme international
fonctionne en réseau. Ce qui lui donne aussi une certaine spécificité.
4 . Le terrorisme n’est pas une bonne manière de lutter contre la pauvreté
Pour plusieurs raisons :
- Parce que pour nous, il y a une non-légitimité (sauf rares exceptions) du recours à la
violence. La violence n’est pas liée à notre idéal de la démocratie et de la justice.
- S’il y a le combat contre les inégalités, il doit y avoir, nous en sommes convaincus , un
combat avec les armes de la démocratie et il faut le faire. «Créer une résistance qui
s’enracine dans le bien » (Ghandi), est notre leitmotiv.
- La violence faite à des civils, pris au hasard au sein de l’espace public ne me semble
pas la meilleure méthode de s’allier, à terme, une part significative d’une population
afin de créer un mouvement social fort et capable d’entrer dans des rapports de force
pour favoriser le changement. Mais est-ce véritablement le volonté des réseaux
terroristes ?
- Dans la pratique, le terrorisme exige des coûts élevés et une grande mobilité. Deux
éléments qui sont proches des stratégies des réseaux de la criminalité (blanchiment
d’argent).
- Le « bon » choix politique du terrorisme n’est pas prouvé dans les faits et sur le
terrain géopolitique. Nous ne pouvons citer des bons exemples d’un réel retour à la
démocratie politique et sociale à la suite d’une prise de pouvoir par les armes et la
terreur. Nous préférons penser que valider en permanence les processus citoyens
(participation, contrôle, transparence, règles de droits) et les actes de la diplomatie
préventive, de l’aide au développement et du multilatéralisme sont les meilleurs outils
pour prendre sa place dans la société et dans le monde.
Merci de votre attention et place aux débats qui permettront d’entrer dans la complexité du
sujet.
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Octobre 2006
Benoit ALBERT
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