La France dans les années 20, une France des illusions

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La France dans les années 20, une France des illusions
Cycle préparatoire au DAEU – Cned Toulouse - Cours d’Histoire N°16 – page 1/5
La France des années vingt,
une France des illusions ?
Introduction :
En 1919, la France est victorieuse, mais épuisée. Le traumatisme vis-à-vis de la guerre touche
l’ensemble de la population comme le montrent les milliers de monuments aux morts qui sont
érigés dans tous les villages de France. Les années vingt sont des années de reconstruction et
d’espoir de retrouver « La Belle Époque » et « l’union sacrée » des Français face aux difficultés.
La prospérité est bien de retour mais profite-t-elle à tout le monde ?
1 Un pays affaibli qui retrouve un second souffle dans les
années 20
1.1 Une victoire amère
Avec 1,4 million de morts, la France est un des pays les plus touchés par la guerre. À ces morts,
s’ajoutent les 3 millions de blessés, les 700 000 veuves et les 800 000 orphelins. Le souvenir de
la guerre est omniprésent par la présence de milliers de monuments aux morts auprès desquels
plus de 6 millions d’anciens combattants rendent hommage aux disparus. En plus des pertes
démographiques, la période de la guerre se caractérise par un déficit de naissances estimé à 1,4
million qui aboutit à un phénomène de classes creuses à partir du milieu des années trente. La
guerre a donc accentué un processus de déclin démographique entamé au XIXe siècle. Le
résultat est un vieillissement de la population et un faible pourcentage de jeunes. À partir de
1935, l’accroissement naturel est constamment négatif. Il est donc nécessaire de faire appel à
l’immigration : les étrangers passent de 1 786 000 en 1921 à 2 710 000 en 1936 c’est-à-dire de 4
% à 5,7 % en 1936. Cet afflux d’étrangers nourrit des réactions xénophobes.
1.2 Un pays appauvri
Outre les énormes pertes matérielles surtout dans le Nord et l’Est du pays, les pertes
financières vont affecter durablement les finances publiques. En effet, la France qui était
créditrice pour environ 45 milliards de francs en 1914 se retrouve débitrice de 32 milliards en
1919. Il lui manque donc des moyens financiers pour reconstruire son économie qui a souffert du
conflit. Ainsi, la production industrielle ne retrouvera qu’en 1923 son niveau de 1913. Les
gouvernements successifs auront donc recours à l’emprunt auprès des épargnants déjà beaucoup
sollicités pendant la guerre, d’autant plus que la solution de faire payer l’Allemagne doit être
abandonnée progressivement. En effet, le rétablissement de relations diplomatiques avec
l’Allemagne se traduit par un allègement et un échelonnement de la dette. Ainsi, la France
accumule une dette publique intérieure 5 fois supérieure à la dette extérieure. À cela s’ajoute
la lourde charge que représentent les pensions à payer aux 2,5 millions de victimes de la guerre.
Le recours à l’émission de papier- monnaie pour financer l’effort de guerre se poursuit et conduit
à une hausse des prix et à une dépréciation de la monnaie. La question financière est donc un
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problème récurrent des années d’après- guerre. La société, transformée par la guerre, est
désormais marquée par le poids des anciens combattants qui se regroupent en associations dont
les thèmes favoris sont le pacifisme et la méfiance à l’encontre des parlementaires. Elle doit
compter avec une plus grande liberté des femmes qui sont de plus en plus nombreuses à
travailler dans les industries, le commerce et l’hôtellerie, et le secteur public en particulier la
Poste et l’Education nationale. Certaines rivalisent avec les hommes telles les aviatrices Maryse
Bastié et Hélène Deutsch de la Meurthe, les chefs d’entreprise Coco Chanel et Jeanne Lanvin, les
scientifiques comme Marie Curie qui entre au collège de France... Les femmes, bien que
n’ayant pas le droit de vote, occupent une place de plus en plus importante dans la société.
1.3 Un pays qui renoue avec la prospérité au milieu des années vingt
La France cependant profite de la croissance mondiale après la crise de reconversion des années
1920-1921. Après la phase de rattrapage, l’industrie connaît une forte croissance à partir de
1923 : 9,5 % par an. Les industries dynamiques de la deuxième révolution industrielle « tirent »
la croissance (électricité, aluminium, automobile, chimie) et assurent l’essor des Alpes du Nord
et du Rhône. Les constructeurs automobiles adoptent les méthodes américaines du travail à la
chaîne. La nécessité de gros investissements dans les secteurs de pointe entraîne une
concentration économique et financière qui permet de concentrer la production d’un secteur
comme par exemple Renault, Peugeot et Citroën dans l’automobile, Péchiney et Saint-Gobain
dans la chimie. En outre, la France a recommencé à investir à l’étranger en particulier à l’est de
l’Europe et s’est même lancé dans l’exploitation du pétrole irakien, ce qui lui permet de
développer une industrie du raffinage.
Mais certains secteurs sont à la traîne comme les industries textiles et une grande partie de
l’agriculture, à l’exception des grandes fermes modernes du Bassin Parisien. La petite
exploitation familiale prédominante, où la mécanisation est limitée, est tournée vers la
polyculture destinée à l’autoconsommation et au marché local, si bien que la France importe des
produits agricoles qui comptent pour les trois quarts de son déficit commercial. La population
rurale qui compose plus de la moitié de la population en 1930 et a l’habitude de thésauriser, a
peu de revenus disponibles pour la consommation, ce qui prive l’industrie d’un marché.
L’industrie, dominée également par les très petites entreprises à gestion familiale, souffre de la
faible habitude de consommation des produits manufacturés, les ménages populaires consacrant
encore plus de la moitié de leur budget à la nourriture, d’autant plus que la faible productivité
explique la cherté des produits. La prospérité des « années folles » a profité donc à une
minorité car l’inflation grève le pouvoir d’achat de ceux qui vivent de revenus fixes ou de leurs
salaires. Les ouvriers, qui ont obtenu la journée de 8 heures en 1919, ont un pouvoir d’achat qui
stagne à partir de 1923. La société française a des rigidités qui limite sa participation généralisée
à la prospérité des années vingt.
1.4 Paris, capitale internationale des arts et de la culture
La France jouit d’un immense prestige et attire artistes et écrivains surtout à Paris. Les peintres
espagnols Picasso et Dali, les Russes Chagall et Soutine, les écrivains américains Hemingway et
Miller font des quartiers de Montparnasse et de Montmartre des hauts lieux d’échanges culturels
et artistiques. Matisse, Dufy, Braque, Léger qui ont participé aux mouvements d’avant-garde
picturale du début du siècle continuent à travailler dans cette atmosphère cosmopolite qui
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favorise la création. Paris est aussi le lieu de rencontre des surréalistes qui derrière André Breton
veulent révolutionner l’art. Des écrivains participent à l’éclat de la vie parisienne : Marcel Proust
(mort en 1922), Paul Claudel, Paul Valéry, And ré Gide, Jean Giraudoux... Paris voit aussi se
développer des spectacles plus populaires avec l’essor du music-hall (Mistinguett, Maurice
Chevalier) et du cabaret (Joséphine Baker). Le jazz connaît un vif succès.
Le Paris des années vingt est donc caractérisé par son rayonnement culturel qui brille par sa
diversité.
2 Une vie politique marquée par l’instabilité, 1919-1929
2.1 Un événement majeur : la scission de la gauche
Elle prend place dans un contexte d’agitation sociale, marqué par les espoirs suscités que la
Révolution bolchevique de 1917, et qui correspond à la crise de reconversion des années 19191921 dont le point culminant est la grève des cheminots de 1920, mais aussi des salariés des
mines, des ports, du bâtiment... On pouvait croire à une grève générale. Le gouvernement réagit
vigoureusement en arrêtant des militants de la CGT, et les entreprises embauchent pour
remplacer les grévistes. Le mouvement, non unanime, cesse à la fin de mai. Les sanctions sont
sévères : 18 000 cheminots sont révoqués. Cet échec entraîne une baisse du nombre des
syndiqués et un désarroi quant à la meilleure voie pour faire aboutir les revendications. Le
congrès de Tours, en décembre 1920, est un rassemblement des délégués de la SFIO, qui doit
fixer la ligne du parti socialiste (SFIO). Une majorité de délégués décide d’adhérer à
l’Internationale communiste fondée par Lénine, autrement dit de prendre la révolution
bolchevique comme modèle. Cette adhésion suppose l’acceptation de 21 conditions contraires à
la tradition démocratique du socialisme français : obéissance aveugle à l’Internationale,
noyautage des syndicats, discipline de fer du parti avec épuration régulière des éléments
réformistes, agitation systématique en métropole et dans les colonies...
Léon Blum s’oppose aux 21 conditions car il est contre la suppression de la liberté d’expression
dans le parti, contre la mainmise d’un parti sur les syndicats et contre la dictature d’un parti
unique. Par 69 % des voix, les délégués votent l’adhésion à la IIIe Internationale. La majorité,
avec Marcel Cachin, Ludovic Frossard, Paul Vaillant-Couturier forme le Parti communiste et
conserve le quotidien l’Humanité. La minorité autour de Léon Blum garde « la vieille maison » et
le nom de SFIO, avec le journal Le Populaire.
Cette scission s’est répercutée dans la CGT où une minorité menée par Monatte et Semard
formèrent la CGTU (Confédération générale du travail unitaire) étroitement liée au Parti
communiste. La majorité, derrière Léon Jouhaux, garda l’appellation CGT.
En outre, le paysage politique et syndical est marqué par la création en 1919 de la CFTC
(Confédération française des travailleurs chrétiens) qui veut promouvoir la doctrine sociale de
l’Église avec refus de la lutte des classes et de la violence, volonté de négocier avec le patronat,
acceptation de la grève professionnelle et non politique. Le monde ouvrier, divisé en trois
syndicats et deux partis, voit donc ses revendications émiettées pendant de longues années.
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2.2 L’alternance politique
L’émiettement des partis politiques est tel que les alliances sont nécessaires à droite comme à
gauche pour gagner les élections et gouverner. Le Parti radical et les divers gauche qui occupent
une position centrale sur l’échiquier politique jouent un rôle fondamental car ils peuvent choisir
de s’allier avec la droite ou avec la gauche. Le Bloc national (1919-1924), qui remporte les
élections de 1919 avec les deux tiers des sièges, est composé des partis de droite et du centredroit. La chambre qui comporte beaucoup d’anciens combattants est surnommée la Chambre
bleu horizon. Le Bloc national adopte une politique conservatrice en réprimant durement les
grèves de 1920 et en facilitant le retour en force des catholiques. Ainsi, les congrégations
expulsées après 1905 (voir séquence 6, doc. 22), sont autorisées à s’installer à nouveau, les
départements d’Alsace et de Moselle gardent leur régime concordataire et l’ambassade auprès du
Vatican est rétablie. Convaincu que « l’Allemagne paiera », le Bloc national dépense
généreusement pour la reconstruction et le paiement des pensions. Il fait occuper la Ruhr en
1923 pour faire pression sur l’Allemagne. C’est une illusion car l’Allemagne dont l’économie
est complètement désorganisée ne peut pas payer et est soutenue par les Américains et les
Anglais pour un allégement de la dette. Il s’ensuit, pour la France, un déficit aggravé financé par
l’emprunt d’autant plus dangereux que le franc se déprécie. Raymond Poincaré, président du
Conseil, sauve le franc en négociant l’évacuation de la Ruhr en échange d’une aide des banques
anglaises et américaines et en augmentant fortement les impôts directs. Poincaré en tire une
solide réputation de « sauveur du franc », mais le Bloc national perd les élections. Le Cartel
des gauches (1924-1926) qui gagne les élections législatives, est soutenu par une majorité
composée de socialistes et de radicaux d’accord sur la politique de rapprochement avec
l’Allemagne conduite par Aristide Briand. Mais il est divisé sur les solutions à la crise financière
et monétaire qui s’aggrave. À la crise politique s’ajoute la crise de confiance : les capitaux fuient
à l’étranger après la déclaration du socialiste Renaudel affirmant qu’ « il faut prendre l’argent là
où il est », les Français refusent de souscrire à de nouveaux emprunts et certains demandent
même le remboursement de Bons du Trésor. Herriot, président du Conseil, dénonce le « mur
d’argent ». Dès lors, les ministères se succèdent en cascade : 7 en un an.
2.3 Poincaré assure le retour de la confiance à la fin de la décennie
En juillet 1926, le franc est complètement déprécié : la livre qui valait 404 francs en 1925 atteint
243 francs. Poincaré forme alors un gouvernement d’Union nationale qui rassemble tous les
partis de droite et les radicaux. Il pratique une politique classique d’orthodoxie financière avec
augmentation des impôts directs, diminution des dépenses et augmente le taux d’intérêt de la
Banque de France, incitant ainsi les capitaux à rentrer. Le franc remonte immédiatement et la
livre revient à son niveau de 1925. Le franc se stabilise ; il est alors rattaché à l’or après une
dévaluation des 4/5 par rapport à 1914. L’Union nationale met en œuvre des mesures sociales
importantes : loi Loucheur sur le logement social, gratuité de l’enseignement secondaire,
assurances sociales pour les salariés aux revenus les plus bas. En politique extérieure, Aristide
Briand poursuit une politique de détente internationale. Le résultat de cette politique qui rétablit
la confiance assure le succès de la droite aux élections de 1928. Quand Poincaré, malade, doit
quitter le pouvoir en juillet 1929, la France paraît stabilisée.
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Conclusion :
Les « années folles » où une partie des Français s’étourdit dans des fêtes nocturnes sur des
musiques venues d’outre- atlantique révèlent une volonté d’oublier le conflit et de renouer avec
« la Belle Epoque ». Cependant, c’est une France aux clivages sociaux et politiques bien marqués
qui voit le jour dans les années 20, et ce, malgré le retour à la prospérité. Nous sommes bien loin
de l’union sacrée de1914.
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