Télecharger - Terre de Bray

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Télecharger - Terre de Bray
HISTOIRE DE LA POTERIE TRADITIONNELLE
EN PAYS DE BRAY
Entre Normandie et Picardie, le Pays de Bray est le pays des arts de la terre. De
l’époque gallo-romaine à nos jours, les céramistes et potiers du Pays de Bray ont
toujours su valoriser les argiles de leur région par la qualité de leurs réalisations.
Ils contribuent ainsi au dynamisme du patrimoine régional.
De tous les arts, la céramique est celui qui utilise le plus directement la terre,
l’eau, l’air et le feu, ces éléments considérés par les Anciens comme l’essence
même de notre monde. (D. Rhodes)
La boutonnière du Pays de Bray a toujours intéressé les géologues ; au fond de ce
long fuseau de 80 km, affleurent notamment des sables ferrugineux, des argiles
fines, grises, bleues, etc. Aussi dès l’occupation romaine, l’industrie de la poterie
y a pris naissance : traces d’une tuilerie romaine à Forges les Eaux (chemin de la
Hêtraie), tessons de poteries gallo-romaines retrouvés lors des fouilles
préventives à Mauquenchy, sur le site de l’hippodrome. Pendant des siècles on
fabriqua en maints endroits des poteries utilitaires (lieux dits la Poterie). Forges
possédait en particulier des fabriques de pipes. On a utilisé la terre réfractaire
de Forges dès le milieu du XVIIIe siècle pour la construction des creusets
utilisés pour la fabrication du verre. On appelait ces creusets des pots… d’où la
rue des Potiers.
De plus, il existait déjà une production locale axée autour du pavage qu’on
trouvait au Fossé depuis 1725 chez Philippe Perier, plus tard avec l’entreprise
Decaux-Dubosc, fabrique de pavés au Beau-Lieu chez M. Lherminier, et à
Saumont la Poterie.
L’extraction de la terre de Forges –surtout
dans le quartier du calvaire, sur la route de
Paris, à la hauteur de la rue des Potiers- n’était
pas nouvelle. De nombreux ateliers étrangers
(Douai,
Boulogne,
anglais)
avaient
des
concessions autour du village et exportaient
particulièrement
en
Angleterre,
une
argile
d’excellente qualité permettant la production
d’une faïence fine qui en cuisant prenait un
Assiette en faïence de Forges-les-Eaux
Musée de la faïence de Forges – photo E. Dallier
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aspect très proche de la porcelaine. Il est tout
à fait possible que Wood ait eu l’occasion de la
travailler en Angleterre, avant de le faire dans
d’importants centres de production comme
Chantilly et Montereau.
Plat à barbe de Forges
Musée de la faïence de Forges
Photo : E. Dallier
L’arrivée de cette industrie va donner un formidable coup d’accélérateur à
l’économie locale puisque quatre grands ateliers vont s’installer et l’on trouvera
très vite sur les registres d’état-civil de nouvelles professions comme tourneur
en faïences, monteur, peintre, tireur de glaise…
Quand il arrive à Forges, Georges Wood s’installe au n° 27 de la rue des
Fontaines (avenue des Sources) dans des bâtiments appartenant à un marchand
de bois, Wood aménage les lieux et rachète l’ensemble en 1806, en même temps
qu’il crée un atelier à Gournay (pour y produire de la porcelaine ?). Wood se
consacre à 2 types de fabrication : la faïence fine, haut de gamme destinée à une
clientèle rurale aisée, la faïence stannifère ou cul noir (émail au manganèse moins
cher que l’email blanc à l’étain..) dont le coût de production est moins élevé et qui
en s’adressant aux couches populaires deviendra un produit de consommation
courante.
Soupière de Forges-les-Eaux
Musée de la faïence de Forges – photo E. Dallier
Parallèlement aux ateliers de faïence, une
fabrique de pavés créée en 1785 par Louis
Dubosc va se développer sous l’impulsion de
Pierre Decaux. Elle produira des pavés de
qualité, très appréciés pour leur solidité.
L’usine Decaux fabriquait également des matériaux de construction qui seront
utilisés pour les premiers travaux de drainage. Elle était installée au Fossé (en
face de la gare de Forges) et fonctionnera jusque 1912. Une autre devait se
situer sur la route d’Argueil aux alentours du Château de la Minière, qu’avait fait
construire la famille Decaux-Dubosc. Ne pas oublier, la briqueterie qui
fonctionnera jusque après la seconde guerre mondiale, sa grande cheminée sera
abattue en 1981.
Vers 1825, les quatre faïenciers de Forges totalisent deux cents ouvriers. En
1861, on comptera onze fabriques locales, seulement 150 ouvriers, 1870, la
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totalité des emplois se résume à 73 personnes, en 1890, la seule usine encore en
fonctionnement appartenant aux Wood-Herbel ne compte plus que 15 ouvriers.
En moins d’un siècle la faïence de Forges se sera imposée… et disparaîtra.
Donc, en 1797, Georges Wood, sa femme Isabelle et leur fille s’installent à
Forges. Ils sont les premiers éléments d’une filière insulaire extrêmement
soudée. La femme de Wood était la fille de Samson Bagnall, peintre sur faïence
qui travaillait à Chantilly où Georges Wood était contremaître chez Potter, lequel
financera son installation à Forges.
Georges Wood n’arrive pas seul à Forges, il est accompagné d’André Damman, qui
a épousé Marie Bagnall, la sœur d’Isabelle Wood ; plus tard, d’autres Wood, en
1812, les frères Leigh qui travaillaient à Douai, rejoignent Mme Wood, Georges
Wood étant décédé en 1811. La manufacture compte une quarantaine d’ouvriers
et produit de la faïence fine qui a un grand succès. L’inventaire du stock en 1812
fait état de 1 100 douzaines d’assiettes, 5 000 bols, 8 000 tasses et des milliers
de pièces diverses : sucriers, saladiers, soupières, plats….
En 1812, Mme Veuve Wood, confie la direction de la manufacture à l’un de ses
employés Nicolas Marin Ledoux. Ledoux est sérieux, les affaires marchent bien.
Il rachète les parts des associés, épouse Isabelle Wood et la fabrique s’appelle
désormais « Faïencerie Ledoux-Wood »
Le succès de Ledoux suscite des vocations,
M.
Mutel-Cavelan
construit
une
seconde
manufacture plus moderne qui concurrence celle de
Ledoux-Wood, Ledoux la rachète en 1825, pour
60 000 francs. Il rachète aussi la fabrique de
pipes de son frère, Jean Baptiste, la supprime et la
remplace
en
construisant
2
fours,
par
une
manufacture de faïence fine, il consacre la sienne à
la fabrication de la faïence dite blanc-
Assiette de la Charte de 1830
brun. Les faïenceries Ledoux-Wood
atteignent leur apogée vers 1830 et
emploient une centaine d’ouvriers. La
Les journées des 28, 29 et 30 juillet 1830 ont porté LouisPhilippe au pouvoir. On produisit à Forges des assiettes
commémorant cet événement et la charte qui en fut son
terre argileuse est extraite d’une
symbole.
carrière
Collection MTAN
dans
une
ferme
de
5
hectares que Ledoux-Wood possède à
Roncherolles (route de Rouvray). Les fours sont chauffés au bois (les
nombreuses forêts du Pays de Bray ont facilité l’installation de poteries). Ledoux
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possède également un moulin à cailloux qu’il a installé sur l’Andelle, où se trouve
également une usine à couperose.
Pierre Nicolas Ledoux, à côté des formes traditionnelles de la faïence anglaise,
développe des formes nouvelles : vasques de jardin, vases tulipières, pots à
tabac, corbeilles, aiguières, salières… L’un des plus brillants peintres de faïences
a pour nom Mercier qui signe quelques plats éblouissants dès 1825 et ce jusque
1845, mais qui serait aussi l’auteur de décors plus simples sur les assiettes.
Originaire d’Arras, il mourra à Forges en 1850. C’est lui qui donne véritablement
ses lettes de noblesse au « Forges »et ce sont les pièces qu’il a peintes et
signées qui font toujours les plus hautes cotes dans les ventes. Chez Ledoux, on
y rencontre aussi Demoulin qui vient de Douai, Vautrin lui, travaillait auparavant à
St Paul (Oise) et L. A. Flandre. On connaît aussi Melle Lelong qui est allée
travailler à Aumale, revenue à Forges sous le nom de Mme Bonnevaye (serait
l’auteur des décors où les troncs d’arbre se croisent).
En 1836, Ledoux cède son usine de faïence blanche à son fils André et il installe
dans la seconde usine Jean et Richard Wood, deux des enfants du premier
mariage de Mme Ledoux-Wood. Par convention, ils ne doivent produire que de la
faïence stannifère, les pièces datées et signées sont beaucoup moins nombreuses
que pour la faïence fine, cela tient certainement aux acheteurs, cette faïence
est destinée à une clientèle plus populaire, ce qui va faire son succès car d’un
prix plus abordable (décors plus simples, et plus rapides à exécuter, y compris
pour les pièces de commande, personnalisées.
En 1856, les deux usines
fusionnent, Ledoux cesse la production de faïence fine.
D’autres manufactures de faïence naissent. Celle dirigée successivement par
Constant, Dupuis et Bigot, vers le N° 48 de l’avenue des Sources. Les Bigot
renouvellent le style de la faïencerie, ils introduisent, à côté des fabrications
traditionnelles en faïence noire, des productions utilitaires en faïence jaune
mouchetée ou brun foncé ayant souvent l’appellation de terres à feu : gîtes à
pâtés, pichets, pots à lait, à café, rôtissoires, écuelles, jouets, dinettes.
Les Courtois père et fils, fabricants de pipes (1817-1866) s’installent au 44 et 45
avenue des Sources.
A Richard Wood succède M. Herbel, gendre de Georges Wood (n° 53 avenue des
Sources) puis son gendre M. Rohaut qui fut le dernier fabricant de faïence à
Forges.(1890).
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Ce qui caractérise les Forges : filets
enserrant un décor, ou décor à l’éponge,
panier bleu avec sur l’aile un serpentin
entre
deux
liserés,
coqs
sur
une
barrière, arbres à l’éponge, paniers
fleuris
et
corbeilles,
les
couleurs
principales sont le bleu (cobalt), le
jaune (antimoine), le brun manganèse et
Plat ovale, faïence stannifère, dite « à cul noir »
le vert de cuivre.
- décor de fleurs au centre et liseré ondulé bleu
entre deux filets noirs sur l’aile. Coll. PFLE
Extraits de « Terre de pipe et cul noir… »
L’industrie de la faïence s’éteint à Forges vers 1890, faute sans doute d’une
main d’œuvre qualifiée, et victime des grandes manufactures, de la porcelaine.
La tradition de la faïence se perpétue à Forges grâce à l’installation de Grigore
Fusle, céramiste et maître faïencier roumain, qui relance le Forges, tournant et
décorant des pièces dans l’esprit de Forges, mais s’éloignant de celui de Rouen et
dont le décès prématuré nous prive de créations…
Alexandre Audel reprend l’idée d’une faïencerie forgionne et ce, des années
1990 à 2007. Il s’attache davantage à la tradition de Forges dont le panier bleu
et les culs noirs sont l’emblème. L’atelier Terre de Bray, créé par le Calac du
Pays de Bray (Centre d’Art, de Loisirs et d’Activités Culturelles) dont le moteur
est la transmission des savoirs faire brayons, travaille dans le respect du travail
exécuté à la main en revisitant les décors qui ont assuré la renommée des
productions locales.
Merci à François Vicaire et à Elise Dallier
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