Vilnius - Lituanie - Dominique Perrin

Transcription

Vilnius - Lituanie - Dominique Perrin
Vilnius - Lituanie
Le bus
Les bus sont à antennes, ils se sont fait sauterelles électriques, mantes religieuses sur
secteur. Moi, je suis sur la plate-forme et sans ticket.
La femme au volant m'a simplement expliqué que cela s'achetait ailleurs.
Devant chaque porte on trouve un poinçonneur à tickets. C'est un appareil manuel
qui ressemble vaguement à un casse-noix ou à un presse ail. C'est un appareil à
mâchoires, l'une est fixée sur la parois du bus, l'autre, on la pousse gentiment une
fois le ticket déposé dans l'appareil. C'est simple, silencieux, comme tout ici.
C'est en douceur que commence ma promenade sur le pavé de Vilnius. J'ai choisi la
station debout. Le pavé est dur, le goudron est parsemé de nids de poules.
Le bus tire sa carcasse dans la douleur. Il démarre dans un sifflement profond et
ralentit dans le silence. Nous suivons le cours du fleuve, paresseux lui aussi, tant il a
fait sec.
La pièce
La pièce n'a plus cours. On la collectionne, c'est tout. La cabine téléphonique sœur de
sa voisine occidentale fonctionne avec des pièces de 15 kopecks vendues 1 rouble. A
la poste, un écriteau vous signale même cette bizarrerie, "La pièce de 15 kopeck
s'achète un rouble". Un des premiers cours d'économie libérale.
Le gendarme allongé
Dans les esprits, on trouve un corps. Le corps allongé d'un gendarme. Ce même
corps que l'on voit ailleurs sur les routes. Cette chape de béton posée au travers de la
route, et qui fait office de gendarme.
Mais ici contrairement à l'ailleurs, le gendarme allongé a élu domicile dans les
esprits.
La politique est-elle un mauvais sujet, ou tous les sujets sont-ils mauvais ?
Silence.
Monsieur, vous êtes-vous interrogé sur le domicile que vous êtes ? Censeur de votre
propre parole.
1
La bouée
Il nous est arrivé de boire et chanter sur un bateau. Nous n'étions pas à une
dégustation, ce n'était pas un plongeon non plus. C'était plutôt une plongée, une
descente systématique dans l’ivresse avec ses lois, ses exercices respiratoires avec la
cigarette, par paliers successifs. C'était quelque chose comme une tournée en bateau
arrosée mais paisible.
Nous étions aux chansons et comme je déposais les dernières bouteilles de bières et
de vodka sur la table, j'en vis certains empocher une bouteille et s'y accrocher.
S'imaginaient-ils trouver là une bouée ? Ne savaient-ils pas nager ? N'étions-nous pas
à quai ?
De l'activité Caméléon
En Lituanie, on trouve une nouvelle espèce de Caméléons, pratiquant cette activité
qu'on appelle ici le business - prononcez bizness.
C'est par définition une activité verte, de la couleur du billet qui s'utilise dans les
transactions. Est-elle écologique ? Personne n'en sait rien.
On vous assure que cela n'a rien à voir avec le trafic, le marché noir. Le billet vert a
trouvé ses adeptes et l'espèce s'est fait transporteuse de fonds.
La Caméléon de l'Est européen a une poche ventrale, il affectionne les moustaches,
les sandales et les survêtements. Peut-être est-ce pour courir plus vite ?
Je suis parti chercher du beurre
Reviendras-tu ?
Vilnius -- La plaque commémorative -Ici, on entre au restaurant, au magasin ou au bar comme dans un ordre. En aveugle,
par foi, en quête. Et c'est la plaque à l'entrée qui fait ça.
Elle ne dit rien, ou si mal. Les murs sont aveugles, sans transparence, la plaque est
muette. On est au pied d'un bâtiment sourd-muet.
La plaque est en cuivre, quelquefois en bois.
Mais que nous dit-elle : qu'un homme est mort, qu'un autre est né, qu'il a dormi ?
On imagine alors : Mickiewicz pissa sur ce mur. Ici le petit Levinas perdit sa mère.
Chagall vit pour la première fois un cheval vert ou peut-être ailé. O. V. Milosz
imagina la trame de "Son amoureuse initiation". Le père Soutine sacrifiait ses
poulets...
On imagine...
2
D'un truc pratique pour indiquer les heures et les jours d'ouverture
9.00-12.00 - 14.00-18.00
9.00-18.00
Moi, je suis tout acquis à ce système.
D'un concours d'urbanisme imaginaire
L'artère principale de la ville de Vilnius, droite comme un "i" et triste comme un jour
sans soleil, a dit-on, changé onze fois de nom, et ceci en moins de deux cents ans.
L'avant dernier fut Lénine. Le dernier Guédémino. Il y eut des noms polonais, russes,
lituaniens, allemands.
La rue est toujours triste et droite.
Ne pourrions-nous pas réunir tous ces hommes en une galerie de portraits, et faire
concourir leurs sourires ?
Aux urbanistes alors de redessiner l'artère en s'inspirant du plus souriant.
La Lituanienne est bleue
Elle est comme l'eau des lacs qui font le paysage, quelquefois profonde et limpide,
souvent saumâtre et trouble.
Elle est comme ça, la Lituanienne, c'est son regard.
A mon avis le Lituanien n'est pas. Il n'est pas blé, il n'est pas rouge, il est fuyant.
Ses moustaches sont comme les faux des champs, elles lui rappellent la terre, elles le
rappellent à la terre. Et quand on le voit, on pense quelquefois à la charrue et aux
mottes de terre, on est étonné qu'il n'ait pas un brin de paille dans les cheveux.
3
De l'état animal en Lituanie
La vache polonaise : elle est gracieuse, plutôt petite, a le poil brun ou roux. Elle
broute tranquille, la belle, dans le rayon de sa corde. Parce qu'elle est toujours
attachée, dans ces prés sans barrières. On la voit quelquefois accompagnée d'un
homme ou d'une femme qui marche le long des routes, à travers champs. Ils sont en
promenade pense-t-on. Ici la vache a l'air heureuse, pas de barbelés, peu de barrières
et des balades.
Le chat : il existe dans les rues de Vilnius des chats errants. De ces chats on n'a sans
doute rien dit. C'est qu'il n'y a rien à dire ?
Le cheval : c'est encore un animal de service et non d'agrément. Cela en dit long.
Le choucas : c'est la corneille locale ; il est aussi avide, un peu plus gros. Comme il
a froid, il porte une écharpe grise.
De la chaussure comme concept pour différencier l'espèce est-occidentale de sa
contre partie de l'ouest
Une galanterie énigmatique
On vous piétine, on vous bouscule, on vous pousse, on vous balance une porte en
pleine figure, et puis un jour on vous offre des fleurs.
Vous !
Vous n'y êtes pour rien. Cette élection, vous n'y comprenez rien. Vous, vous êtes de
ceux qui piétinaient face aux chars. Vous êtes de ceux qui avaient dit non. Vous
m'avez dit : si c'était à refaire, j'irais.
Au pied d'un parlement allumer des bougies ? Des bougies ?
Mais où étiez-vous avant ? Oui, avant ? N'aviez-vous pas votre carte ?
On me dit Sayudis, c'est un parti d'Etat. Comme au temps de l'occupation, comme
vous dîtes. Et comment m'expliquez-vous qu'il ait son siège face à la cathédrale ? Un
hasard ? Pensez-vous !
Ecartez-vous me dites-vous, laissez-moi, laissez-nous !
Nous ! Mais vous parlez en leur nom. Surtout pensez à vous raser la moustache.
Moi et les pêcheurs de rivière, nous n'avons aucun point commun
Pas d'atomes crochus, pas d'hameçon, pas de canne, pas de fil, pas de plomb, pas de
nasse, pas de bouchon, pas de tabouret, et surtout pas la patience.
4
Ils fument !
1
En soirée, c'est tout un exercice. Sans ostentation sortir son paquet de cigarettes, en
porter une à sa bouche, et faire craquer une allumette.
Par penchant, ce sont des solitaires de la cigarette, les circonstances les obligent à les
chauffer à blanc.
2
Comme des Fabriquant de rêves
oUvrageux
et Méticuleux
Emêchés
Et solitaires
Je n'aime pas ma dernière promenade en taxi
D'abord, je n'aimais pas sa tête, sa moustache, ni son taxi. Alors quand il a consulté
les derniers cours de la bourse du New-York Times et qu'il m'a demandé de payer en
devise, j'ai simplement refusé de monter dans son véhicule.
Nous nous sommes ensuite malentendus sur le rouble. Il a articulé un chiffre, où je le
sentais, s'étaient glissées des roubles par centaines et j'ai baissé les bras. Le tarif de
nuit, et nous n'étions qu'au crépuscule.
De bonne guerre, je montais à l'arrière.
Sa tête m'était si sympathique que je me collais à la portière prêt à sauter. Voyant
qu'il conduisait comme ceux d'ici, mettant son véhicule au point mort dès qu'il avait
pris quelque vitesse, je me rassis sur mes deux fesses, rassuré, et contemplais son
visage et ses yeux interrogateurs dans le rétroviseur.
Je fis les derniers trois cents mètres à pied.
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