Beckerich : un modèle de transition à notre frontière Très proche d
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Beckerich : un modèle de transition à notre frontière Très proche d
Beckerich : un modèle de transition à notre frontière Très proche d'Arlon, Beckerich est une jolie bourgade du Grand-Duché de Luxembourg deux mille trois cents habitants - qui démontre que le développement durable n'est pas une abstraction... Déjà lauréate du Prix européen du Développement rural, en 1996, elle reçut, en 2010 à Berlin, le Prix européen Eurosolar qui promeut la politique climatique et la politique des énergies renouvelables. Nous avons rencontré Camille Gira, député écologiste luxembourgeois et bourgmestre de Beckerich… Propos recueillis par Dominique Parizel et Hamadou Kandé "Ce qui a été possible à Beckerich est possible partout, clame d'emblée Camille Gira ! Que ce soit à l'échelle de villes, de villages ou de quartiers… Rien n'a prédestiné ce petit village rural à devenir ce qu'il est. Ce fut le travail de toute une génération : je suis bourgmestre depuis vingt-deux ans et, avant cela, j'étais échevin. Cela fait donc trente ans que je suis actif dans la commune. Au début, nous n'avions aucun plan. Beckerich avait connu son pic de population deux mille quatre cents habitants - à la fin du XIXe siècle, suite à la construction d'une ligne de chemin de fer qui nous relayait à la ville de Luxembourg, mais surtout au grand bassin sidérurgique du sud. Cela permettait à des gens simples de trouver un emploi tout en habitant notre village. La ligne a été supprimée en 1967. A l'époque, le conseil communal était composé uniquement d'agriculteurs très conservateurs, dont l'âge variait entre soixante et septante ans, qui fonctionnaient en vase clos et n'avaient aucun échange avec les citoyens et les citoyennes ; ils achetaient les maisons délabrées, songeant à les détruire en vue d'un éventuel élargissement des rues. C'était l'époque du pseudo-modernisme qui venait au monde rural : plastiques, aluminium, voitures rapides, etc." Une démarche participative "Nous avons pris le relais en 1982, mais parler d'écologie, en 1982 à Beckerich, n'avait rien d'évident, se souvient Camille Gira. La clé de notre action, ce fut la démarche participative. Dès le début, nous avons ouvert à la population des commissions consultatives qui jusque là étaient toujours réservées aux élus et il a fallu beaucoup de temps pour que les gens arrêtent de venir y parler de leurs petites histoires personnelles, pour qu'une certaine confiance s'installe entre les élus et les citoyens et les citoyennes. Aujourd'hui, ce sont entre huit et dix commisions consultatives différentes qui fonctionnent en permanence à Beckerich, avec environ soixante à quatre-vingt personnes qui réfléchissent, à côté des neuf conseillers élus. C'est cela qui a fait toute la différence. La population de Beckerich est forte de gens très bien formés : les deux tiers de notre population travaillent à Luxembourg-ville. La répartition sociologique n'est plus très différente aujourd'hui entre les communes rurales et les communes urbaines ; trop de bourgmestres ignorent le potentiel humain qu'ils peuvent mobiliser. Premier avantage de la démarche : plus il y a de gens bien formés qui réfléchissent, plus il y aura d'idées nouvelles qui surgissent. Deuxième avantage : ces gens qui travaillent dans les commissions sont les meilleurs ambassadeurs pour préparer l'acceptation de projets innovants par le reste de la population, car la première réaction des gens par rapport à la nouveauté est souvent la peur et la méfiance. Or si les cartes sont sur la table dès le début, l'utilité d'un projet va immédiatement sauter aux yeux. Et ce n'est pas le bourgmestre seul qui doit convaincre l'ensemble de ses concitoyens ; au contraire, ce sont des habitants déjà convaincus qui vont alimenter le débat et créer une atmosphère positive par rapport au changement. Je peux donc dire à tous ceux qui nous rendent visite que ce qu'ils voient ici n'est pas le projet d'un bourgmestre mais bien celui de tout un village. Le développement durable appelle des changements de comportement, mais de tels bouleversements ne peuvent pas être décrétés. Ce qui importe, c'est de rendre aux gens une fierté positive, de les revaloriser eux-mêmes à travers des projets écologiques collectifs." Mais, monsieur le bourgmestre, si le développement durable ne peut pas fonctionner sans la participation, la participation entraîne-t-elle ipso facto le développement durable ? "Si chacun reste dans sa forteresse à regarder son intérêt personnel, répond Camille Gira, personne ne pensera jamais aux générations futures. Mais si on se regroupe pour discuter, l'intérêt commun va forcément émerger. Réfléchir de manière moins individuelle, cela s'apprend, voir les choses à plus long terme et de manière plus intégrée aussi. Et si la société va mal, c'est parce que le cout-termisme et l'hyper-spécialisation règnent en maîtres. Nous l'avons vécu à Beckerich : si l'architecte oublie de faire rentrer la lumière naturelle dans le hall sportif, les meilleurs ingénieurs du monde ne pourront jamais en faire un bâtiment à basse consommation d'énergie ; si le toit de la caserne des pompiers est orienté au nord, personne ne pourra jamais y placer d'installation photovoltaïque. Si les meilleurs spécialistes travaillent chacun dans leur coin, il sera toujours impossible d'aboutir à un projet durable car il y a immanquablement des effets directs ou indirects sur le domaine de l'autre. Mais si vingt personnes réfléchissent à la cohérence globale du hall sportif, le travail de l'architecte sera forcément différent. Les chances d'aboutir au développement durable sont donc beaucoup plus élevées si la participation est au cœur de la démarche..." Quatre grandes époques "Attention ! Un processus de changement, dans la société, ne se fait jamais de manière linéaire, insiste Camille Gira ; il démarre forcément très lentement puis s'accélère au fil du temps. Passé un seuil critique, plus rien ne peut plus l'arrêter. Il ne faut donc pas que ceux qui le vivent se découragent pendant la phase lente… - Première phase : dans les années quatre-vingt, en réaction à la crise, nous avons d'abord sensibilisé la population par rapport à la rénovation rurale, par rapport à un patrimoine architectural en cours de détériorioration. Ceci contribua à stabiliser la population. Puis, un investisseur français s'intéressant à notre eau minérale et installant une usine d'embouteillage à Beckerich, nous entamons une réflexion importante sur les questions économiques. Nous concluons que la plus grosse partie de la plus-value faite à partir d'une potentialité locale doit absolument rester acquise à la population, à la communauté. Nous appliquons très vite ce principe au domaine des énergies renouvelables. Aujourd'hui, nous travaillons au développement éolien avec un bureau belge mais voulons en rester les acteurs principaux, via une coopérative ou une société qui gère déjà localement de l'éolien. Nous ne tolérons pas qu'une multinationale ou des responsables politiques viennent nous dire : "c'est trop difficile pour vous, laissez-nous faire et vous aurez une petite rétribution pour cela…" Une filière de biogaz, appartenant à une coopérative agricole, et une filière bois fournissent réseau de chaleur qui est géré par la commune elle-même. Nous avons nos propres ouvriers, nos propres techniciens que cela rend très fiers… Pourquoi des ouvriers communaux ne pourraient-ils pas gérer un réseau de chaleur aussi bien qu'un chauffagiste privé ? L'avantage c'est que la plus-value reste acquise à la commune et que l'emploi est créé par elle… - Deuxième phase : je deviens bourgmestre dans les années nonante ; nous mettons alors en place un véritable programme écologique. La notion de développement durable apparaît en 1992 et nous nous efforçons de l'intégrer. En 1995, nous rejoignons l'Alliance internationale Climat, un réseau de villes et de communes qui s'engage à réduire de 50% les émissions de CO2 en 2010, par rapport à 1990. Nous élaborons un concept énergétique global avec, d'une part, l'analyse de la situation présente et, de l'autre, celle des économies potentielles et celle du potentiel renouvelable local. La politique climatique et la politique énergétique sont, depuis lors, les grandes priorités de la commune. La première installation de biogaz s'étend via une coopérative agricole aidée par la commune afin de distribuer la chaleur produite en cogénération. D'une part, l'électricité est revendue via le réseau, d'autre part la commune reprend un maximum de chaleur qu'elle distribue via son propre réseau de chaleur. Cela marche tellement bien marché que installons une filière bois, à côté la filière biogaz, car une deuxième phase est nécessaire entre octobre et avril. La chaleur est fournie à qui veut : le complexe des eaux minérales, par exemple, fonctionne sans une seule goutte de mazout. L'année passée, nous avons fourni un peu plus de quatre millions de kWh, ce qui est l'équivalent de quatre cent mille litres de mazout qui n'ont pas dû être amenés à Beckerich ! Aujourd'hui, avec le solaire, nous atteignons pratiquement l'équilibre en ce qui concerne l'énergie basse tension. Les éoliennes que nous avons projet serviront à produire l'équivalent de l'électricité pour l'industrie et l'artisanat… - Troisième phase : avec l'avènement du développement durable, nous intégrons volet économique, volet écologique et volet social. a. D'un point de vue économique, le durable est relatif à ce qui est exploitable ici : l'eau minérale est à Beckerich, les sources d'énergies renouvelables aussi. La plus-value de ces activités doit profiter directement à la communauté locale. Si nous investissons dans l'éolien, il faudra imaginer que la production d'eau minérale prenne, dans la société qui le gère, une part équivalente à l'électricité qu'elle consomme. De même pour le supermarché d'Oberpallen - la plus grande installation photovoltaïque de la commune : 160 kW - qui se trouve à la frontière belge ; il faut motiver les acteurs économiques à s'engager dans cette production locale. Dans la même logique, nous voulons limiter le tourisme économique : nous avons dit non à la démultiplication des pompes à essence qui, certes, engendrent des rentrées fiscales mais compromettent notre qualité de vie. b. D'un point de vue écologique, nous voulons être totalement autonomes, d'ici dix à quinze ans, en ce qui concerne la production d'électricité et de chaleur. Nous sommes également actifs avec les agriculteurs, en ce qui concerne la biodiversité. A l'aide de bonnes campagnes et de prix relativement élevés, nous avons fait diminuer la consommation d'eau potable qui est maintenant de 20 à 25% inférieure à la moyenne luxembourgeoise ! Nous en sommes très fiers ; les gens ne ressentent pas cela comme une perte de qualité de vie. Tout le monde est gagnant car la commune ne doit pas investir dans de nouvelles infrastructures même si la population augmente. La commune elle-même donne le bon exemple avec une panoplie de mesures qui font que les choses vont dans le bon sens : des subsides pour la valorisation de l'eau de pluie, par exemple. Le comportement des gens change doucement. Nous leur rendons la chose facile : avec leur facture d'eau, ils reçoivent une fiche qui leur précise l'évolution de leur consommation et comment ils se situent par rapport à la moyenne de la commune… c. D'un point de vue social, nous nous efforçons d'anticiper les changements dans la société. Beckerich fut, par exemple, une des premières communes à offrir aux familles une structure d'accueil à côté de l'école, ce qui a contribué à augmenter le taux d'activité des femmes. Nous développons une excellente collaboration avec neuf autres communes du canton de Redange avec lesquelles nous organisons une crèche régionale pour les tout petits, deux zones d'activités économiques communes pour ne pas gaspiller du paysage, un projet pour contrer le chômage des jeunes, etc. Nous avons également d'excellentes relations avec les communes belges, comme celle d'Attert… - Quatrième phase : nous entrons résolument dans le mouvement des Villes en transition ! Nous nous reconnaissons totalement dans la démarche de Rob Hopkins : rendre notre communauté résiliente en vue des grands chambardements liés au pic pétrolier et à la crise climatique. Evidemment, produire nous-mêmes l'électricité et la chaleur que nous consommons est déjà de nature à nous mettre sur la bonne voie. Mais si regagner de la souveraineté énergétique est une bonne chose, nous voulons maintenant regagner aussi de la souveraineté alimentaire. Une maraîchère bio vient de s'installer à Beckerich - je ne pense pas que cela soit vraiment un hasard - et nous voulons maintenant travailler sur les savoir-faire manuels et les compétences qui sont principalement relayées, d'une génération à l'autre, par voie orale. Nous avons, par exemple, un projet de vannerie qui est une activité locale typique due à la présence de nombreux saules têtards. Même si c'est plutôt anecdotique et symbolique, la vannerie est tout de même une excellente alternative au plastique… Le point noir reste la mauvaise politique agricole du Luxembourg, depuis trente ans, conjuguée à la mauvaise politique agricole commune (PAC) européenne : nous n'avons pas d'agriculteurs biologiques locaux car la restructuration de notre agriculture n'a laissé subsister que de grands agriculteurs - même si ce sont toujours des entreprises familiales - qui gèrent cent vingt hectares en moyenne et sont limités à la production de lait et de viande. Les jeunes agriculteurs sont coincés par des investissements faramineux et des frais fixes énormes. Nous réfléchissons cependant, avec eux, à la mise en place de structures de vente directe qui soient de nature à leur fournir un commencement de capacité de résilience… Nous montons également un projet de monnaie régionale, après la visite de projets qui fonctionnent très bien dans le sud de l'Allemagne, près de la frontière autrichienne. Une personne engagée à mi-temps réalise une étude de faisabilité car nous voudrions la lancer au début de l'année prochaine. L'attente est énorme : nous n'avons pas encore donné de conférence de presse et nous sommes déjà présents dans tous les médias. Et ce qui me rend très optimiste, c'est que ce projet attire beaucoup de jeunes..." Beckerich et l'énergie ! Les quatre cents ménages de Beckerich consomment cinq millions de kWh environ ; la commune en produit actuellement 4,8 ou 4,9 millions. Cent soixante bâtiments sont raccordés au réseau de chaleur : prioritairement les grands bâtiments tels que les bâtiments communaux et le complexe des eaux minérales, mais également cent quarante ménages. Soit un tiers de toute la chaleur utilisée sur la commune. La commune a dû investir des sommes importantes mais, le tout s'amortissant sur trente-cinq ans, plus le pétrole augmente, plus le projet est rentable : en 2003-04, les prix pratiqués étaient légèrement plus élevés que le mazout qui coûtait alors trente centimes du litre. "En 2008, ce prix a triplé, fulmine Camille Gira, alors que nous n'avions augmenté les nôtres que de 20% ! Ce qui prouve bien que nous ne menons pas seulement un projet écologique car nous économisons du CO2 et car nous valorisons le bois et le lisier local, pas seulement un projet économique car nous créons de l'emploi et que nous conservons les plus-values chez nous, mais que nous sommes surtout promoteurs d'un projet social ! Un ménage économise à peu près cinq cents euros par an par rapport aux frais de mazout auxquels il devrait faire face s'il n'était pas raccordé à notre réseau. A Beckerich, les ménages à faible revenu ont donc l'assurance de pouvoir encore se chauffer demain ; je doute malheureusement que ce soit le cas partout ailleurs. Il est grand temps, dans l'intérêt même des populations, que toutes les communes cherchent à valoriser leurs ressources propres…" Bien sûr, Beckerich ne se contente pas de produire de l'énergie, elle pense aussi à l'économiser, à bien isoler. Le nouveau hall sportif consomme l'équivalent de trois maisons individuelles seulement alors qu'il s'étend sur dix mille mètres carrés. "J'en connais un autre, à cinq kilomètres d'ici, dit Camille Gira, il est très mal isolé et consomme près de cinq fois plus que le nôtre ! La différence s'élève à plusieurs dizaines de milliers d'euros par an pour un seul bâtiment ! De quoi payer un concierge… Diminuer la consommation et encourager l'auto-production énergétiques doivent être aujourd'hui les grandes priorités des communes à petit budget. Sinon, dans quinze ou vingt ans, ces postes évaporeront la plus grande partie de leur argent…" Camille Gira participera à la table ronde intitulée "Éco-quartier ou éco- hameau, une forme optimale d'urbanisation durable ?", au Salon Valériane (Namur Expo), le vendredi 31 août 2012, à 13 h.