Tony Hymas - Jazz à Porquerolles

Transcription

Tony Hymas - Jazz à Porquerolles
Air de Ballet Kallirhoe (Cécile Chaminade, 1857 - 1944)
Chaminade, nom célèbre dans les annales du piano français. Elle rencontra le succès à domicile et aux USA
comme pianiste et compositrice. Ses compositions au nombre de 170 et davantage sont aujourd’hui largement
oubliées, mais cette courte pièce démontre ses capacités humoristiques, l’élément le plus important étant sans
doute l’indication « lunga pausa ».
La plus que lente (Claude Debussy(1), 1862 - 1917)
Que signifie le titre ? « Attendez – et attendez encore » ? L’instruction « molto rubato con morbidezza » (à part le fait
de permettre au pianiste de se laisser aller) en signifie-t-elle la philosophie ? Une méthode pour vivre ?
Certainement, cette pièce, composée en 1910, entre les deux livres des Préludes, est une valse lente (genre
populaire à l’époque). Debussy écrivit à Legrand, son éditeur avec un brin d’ironie : « Ne nous limitons pas aux tavernes.
Pensons à ces innombrables salons où, pour le thé, s’assemblent les auditoires dont j’ai rêvé ». Influence ou
coïncidence ? Le thème de...
Si tu vois ma mère (Sidney Bechet, 1897 - 1959)
comporte plus d’une ressemblance avec « La plus que lente ». Comme de nombreux musiciens de jazz, Bechet
a été influencé par le maître français. Et si Debussy s’est installé depuis belle lurette dans le Panthéon des
compositeurs qui ont changé le cours de la musique, Bechet aussi fait partie de ceux dont la voix et le son (ici
un saxophone soprano) ont intégré la conscience collective. Né Américain, le saxophoniste trouva la célébrité et la
tolérance en France ainsi qu’en témoignent ces nombreux titres en français : « Petite Fleur », « Les Oignons »,
« La nuit est une sorcière » parmi d’autres.
Et si vous voyez ma mère, s’il vous plaît, dites-lui que je vis désormais avec une bande de gens du cinéma à
Hyères.
Musique du film L’Affiche Rouge de Frank Cassenti (Cuarteto Cedrón, né en 1964)
Frank Cassenti est venu l’été 2013 à Treignac pour filmer notre projet « Chroniques de résistance ». Quoi de
plus naturel que de jouer ce soir le beau thème du Cuarteto Cedron écrit pour son film L’Affiche Rouge (1976)
à propos du groupe Manouchian. Que vivent toutes les résistances et toutes les musiques contre l’infamie !
T.H.
(1)
Le père de Claude Debussy, Achille Debussy, était communard et c’est en prison qu’il rencontra Charles de Sivry,
pianiste au Chat Noir, beau-frère de Verlaine et fils d’Antoinette Mauté qui devint la professeure du jeune Claude.
Tony Hymas
« De Delphes à Hyères »
Vendredi 31 janvier 2014 à 21 heures
Théâtre Denis - Hyères
Premier hymne delphique
Sonata 1.X. 1905 (Leoš Janácek, 1854 - 1928)
(Athenaeus, 138 - 28 avant J.C.)
Arrangement : Tony Hymas, dédié à Alan Hacker
Deux mouvements illustrent ce tragique événement dans un style presque cinématographique. Dans le premier
mouvement « Pressentiment », on peut quasiment entendre sa femme le supplier « N’y va pas, reste à la maison,
c’est dimanche ! Joue avec les enfants ! » (Janácek a souvent utilisé le langage comme inspiration de ses mélodies),
mais le mari déterminé répond « Non, je dois y aller ». Alors commence le second mouvement, « La mort »,
dans lequel grandissent l’inquiétude et l’excitation. La manifestation est en marche ! La foule se fraye un
passage vers la place de la ville, et sur les marches du Dôme Besedni - maintenant Maison de la Culture - arrive
le funèbre moment où un infortuné soldat perd son sang-froid. Si la coda représente l’action de la mort, l’ensemble de
la pièce est coloré de circonstances tristes. Janácek, qui l’a écrite dans un état de colère, détruisit la partition après sa
première interprétation – « les feuilles blanches, telles des cygnes, flottaient sur la Vltava ». Heureusement, la pianiste
Ludmila Tuckova en avait fait une copie (bien lui en a pris car Janácek lui-même regretta plus tard son « acte de
vandalisme »). Il existait un troisième mouvement, une marche funèbre, qui n’a pas échappé à la destruction.
Harmoniques, sous-entendus, un mode ancien… ce morceau est la première pièce connue de musique écrite
(138 av. J.C.). Est-ce la bonne tonalité ? Le compositeur (la pièce est attribuée à Athenaeus) a-t-il réellement
utilisé une mesure à 5 temps, la crétique, qui reste exceptionnelle même de nos jours ? Toute interprétation ne
peut être, au mieux, que le résultat d’une hypothèse, fonction du goût de l’interprète, et comme à cet instant,
nous ne sommes pas équipés d’une cythare, le piano fera l’affaire. Erik Satie aurait pu connaître cette œuvre
(mais elle ne fut découverte qu’en 1893) lorsqu’il utilisa le même mode phrygien dans sa...
Première Gymnopédie (Erik Satie, 1866 - 1925)
écrite en 1888, l’une de ses premières compositions et peut-être la plus connue.
Qu’est-ce qu’une gymnopédie ? Un terme d’origine spartiate choisi par lui pour suggérer la danse, la grâce,
peut-être un athlétisme languide. Loin de celle de ses contemporains, Chaminade par exemple, la musique de
Satie est presque bidimensionnelle. Mais il nous faut quitter ce monde d’Arcadie - la lumière du soleil voilé par
une ombre satanique (référence à William Blake) - pour aborder en Caroline du Sud, à Winnsboro.
Winnsboro Cottonmill Blues (Frederic Rzewski, né en 1938)
Le blues du même nom a été interprété par nombre de chanteurs dont Leadbelly et Pete Seeger. Frederic
Rzewski, pianiste américain virtuose, a réalisé cet arrangement. En réalité, il s’agit de bien plus, c’est une fantaisie,
presque un poème symphonique : le bruit, l’incroyable bruit des machines, leur arrêt soudain, quelqu’un chantant
un blues triste, rejoint par d’autres voix, une polyphonie de cinq à six voix dans la confusion de pleurs
individuels, des fragments puis un refrain ironique :
Old man Sergeant sitting at his desk - the darned old fool won’t give us no rest
He’d take the nickels of a dead man’s eyes - to buy himself a cola and a pomo pie
I got the blues, I got the blues, I got the Winnsboro Cottonmill Blues
Lordy, Lordy spoolin’s hard
You know and I know, I don’t have to tell - work for Tom Watson gotta work like hell
I got the blues, I got the blues, I got the Winnsboro Cottonmill Blues
Il y a plus encore : l’humour d’un peuple oppressé - et les balles de coton continuent à rouler…
Une brève pause - le temps de s’intéresser au sort d’un ouvrier charpentier dont le seul « crime » fut de
revendiquer la création d’une université dans la ville de Brno en Moravie afin que ses enfants puissent avoir une vie
meilleure faite d’éducation. Frantisek Pavlik ne pouvait savoir que ce dimanche 1er octobre 1905, jour de
manifestation, serait son dernier.
Les temps nouveaux (Paris 1871)
(Tony Hymas, né en 1943)
Deux chansons et quelques rapides clins d’œil à Hector Berlioz ou même un salut, constituent la base de cette
pièce. La première « La semaine sanglante », une chanson populaire de l’époque, raconte le massacre qui a
suivi La Commune de Paris en 1871(1), une expérience d’humanité et d’égalité qui s’est terminée par un
infâme acte de répression. Les cloches de Notre-Dame ont-elles sonné ? Qui sait ? Ici, oui. La seconde
chanson ? Sur des paroles de Christian Tarting suivant la mélodie, elle fut écrite pour Marie Thollot (je dois
préciser que cette mini suite est adaptée de la musique composée pour le disque De l’origine du monde, relatif
à Gustave Courbet et La Commune, réalisé pour les disques nato en 2010). Mais ce soir, c’est une chanson
sans mots.
Essaim de Mouches (Marie Jaëll, 1846 - 1925)
Marie Jaëll, une élève de César Franck, Saint-Saëns et Liszt (le titre de cette pièce est-il un hommage à cette
étude en doubles croches, la transcendantale étude « Feux follets », une sorte d’autodérision ?). Née Marie
Trautmann, elle épouse Alfred Jaëll. En duo de pianistes, ils connaissent une carrière à succès. En tant que
professeur, elle a révélé plusieurs pianistes notoires.
Éclogue (Mel Bonis, 1858 - 1937)
Mélanie Bonis signait Mel pour cacher sa féminité. On tolérait alors une femme pianiste, mais compositrice, non !
Ses parents étaient farouchement opposés à l’idée qu’elle fasse carrière en musique, la destinant à un « bon »
mariage (dont elle devrait se contenter), avec un garçon fortuné de préférence. Mais César Franck l’entendit jouer sa
musique et fut si impressionné qu’il persuada les parents de l’inscrire au conservatoire. Elle y rencontra un jeune et
brillant étudiant, le chanteur Amédée Landely Hettich. Fin des études ! Retour au mariage avec un Monsieur Albert
Domange, homme d’affaire bien loti et plus âgé. Pendant 10 ans, elle dut mettre de côté la musique pour s’occuper
de ses trois enfants. Mais elle revit Hettich qui lui inspira de composer à nouveau et la présenta à l’éditeur
Leduc. Un enfant naquit de cette aventure, Madeleine, née en secret dans une histoire de famille compliquée.
Elle fut adoptée et ne retrouva sa mère que sur le tard. Pas de fin heureuse, la conscience de Mélanie et sa
culpabilité religieuse s’en assuraient. Mais elle écrivit beaucoup de musique (orchestre, chambre, piano, chant…)
comme testament du travail d’une vie. « Éclogue » semble en seulement trois minutes narrer l’histoire de sa vie.
Qui viendra alléger l’humeur cette fois ? Une petite ballerine ?