habitats, flore et végétation : diversité et originalité
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet ÉLÉMENTS POUR LE DOSSIER UNESCO : HABITATS, VÉGÉTATION ET FLORE HABITATS, FLORE ET VÉGÉTATION : DIVERSITÉ ET ORIGINALITÉ La diversité des habitats1 et de la végétation d'une île océanique tient à la rencontre entre un "patron d'habitats" étroitement associé au relief et au climat insulaires et une immigration végétale en provenance de sources continentales ± proches. Le patron d'habitats est hérité de processus géologiques, morphodynamiques et climatiques qui se sont échelonnés sur de longs pas de temps. À l'échelle temporelle humaine, le patron apparaît relativement stable à l'exception des zones de perturbations permanentes associées aux fleuves, à la mer ou encore aux très hautes altitudes. Mais à la Réunion, l'évolution du patron écologique insulaire est en permanence avivée par la persistance d'un volcanisme actif et d'une puissante érosion souvent renforcée par le régime cyclonique. Ces deux facteurs entretiennent à eux seuls une chronologie dense d'évènements catastrophiques. Une partie de l'île est ainsi inscrite dans des processus récurrents et concomitants de construction et de destruction propices à la fois à la régénération de séries écologiques primaires et à la vulnérabilité intrinsèque de la biodiversité. LE PATRON D'HABITATS L'OSSATURE PRIMITIVE DU PATRON La partie émergée (aujourd'hui 2 512 km²) du cône volcanique de la Réunion a surgi des profondeurs océanes, il y a un peu plus de 2 millions d'années. Elle est actuellement formée de deux massifs volcaniques : un massif ancien profondément entaillé par l'érosion, actuellement inactif (mais pas éteint), le Piton des Neiges (haut de 3 069 mètres) qui occupe les deux tiers nord-ouest de l'île, et le Piton de la Fournaise, en activité régulière, culminant à 2 631 mètres. Le relief de ces massifs présente une alternance de planèzes et de ravines plus ou moins profondes, où circulent des cours d'eau irréguliers à régime torrentiel. Cette séquence répétitive a été profondément bouleversée par l'érosion et l'effondrement de l'édifice volcanique du Piton des Neiges qui ont abouti à la formation des trois cirques de l'île (Cilaos, Mafate, Salazie), paysages spectaculaires et uniques au monde. Le modelé actuel est loin d'être une infrastructure figée. L'érosion permanente des cirques, l'activité volcanique intense (coulées de lave, effondrements, édification de nouveaux cônes…) installent ou mettent à jour de nouveaux substrats. Ces terres neuves constituent un laboratoire biologique et écologique sans pareil pour observer les successions primaires de végétation. Le climat général est de type tropical océanique, mais compte tenu du relief élevé de la Réunion, il présente une forte variation altitudinale aboutissant aux conditions climatiques froides, fortement gélives et parfois enneigées des sommets de l'île (Piton des Neiges, Grand Bénare, Piton de la Fournaise). Élevé et central, le relief fait obstacle aux vents d'alizés dominants de direction sud-est et détermine une forte dissymétrie climatique de l'île : une côte au vent humide et fortement pluvieuse, une côte sous le vent subissant un effet de foehn et beaucoup plus sèche. 1 Le terme "habitat", pris ici dans un sens de "cadre spatial et écologique global, sans application à une échelle quelconque du vivant" correspond à la notion d'habitat naturel, retenue par l'Union Européenne dans le cadre de la Directive Habitats, qui en donne la définition suivante "zones terrestres ou aquatiques se distinguant par leurs caractéristiques géographiques, abiotiques et biotiques, qu'elles soient entièrement naturelles ou semi-naturelles". 10 mai 2007 1 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet LA SCÈNE DE BIOCLIMATS Dissymétrie climatique, relief élevé et tourmenté induisent une grande diversité de climats et de potentialités biologiques (on parle alors de bioclimats). Une première échelle de ces variations climatiques (pluviométrie, nébulosité, température) ordonne un étagement naturel des habitats et de la végétation en fonction de l'altitude. Cette zonation altitudinale (étudiée et bien décrite par RIVALS 1952 et CADET 1977) diffère dans chacun des domaines au vent et sous le vent. À chaque étage, défini par ses caractères climatiques généraux (secteur climatique), correspondent des potentialités différentes de d'habitats et de végétation centrées sur une végétation climacique à caractère zonal (c'est-à-dire associée au secteur climatique). Ces climax zonaux sont forestiers, à l'exception des plus hautes altitudes où les contraintes climatiques empêchent la présence de forêts. ► Figure : étagement de la végétation (source Cadet 1977). LE VERSANT AU VENT Sur la côte au vent, humide et pluvieuse, l'étagement présente la succession suivante de végétations climaciques : - forêt tropicale humide de basse altitude (ou forêt de bois de couleurs des bas) associée au secteur chaud (mégatherme) et humide (hygrophile) des basses terres jusqu'à 800 m d'altitude, encore appelé "étage mégatherme hygrophile" ; - forêt tropicale humide de montagne (ou forêt de bois de couleurs des hauts, ou encore "forêt néphéléphile", "forêt de nuages") correspondant au secteur frais et très humide de la zone des nuages. Cette zone constamment saturée d'humidité atmosphérique, s'étendant jusqu'à 1900 m d'altitude est encore appelé "étage mésotherme hygrophile", ou "étage mésotherme néphéléphile". La forêt de montagne à Tamarin des hauts s'inscrit dans cette potentialité climacique mais représente un stade de substitution plus ou moins rémanent après incendie. - complexe altimontain de fourrés, matorrals et landes riches en éricacées ; ce complexe est associé, au-dessus de 1900 m, au secteur froid et humide des hautes altitudes de la Réunion ou "étage oligotherme hygrophile". Dans ce secteur aux forts contrastes climatiques (variations thermiques journalières et saisonnières importantes, périodes hivernales froides, fort ensoleillement), existe en fait une succession fine de climax étroitement liée au gradient altitudinal, et marquée par un abaissement progressif et conjoint de la végétation et des températures depuis les fourrés altimontains hauts de quelques mètres aux landes basses et prostrées des sommet de l'île. LE VERSANT SOUS LE VENT Dans l'ouest et le nord de l'île, sur la côte sous le vent, la végétation présente un étagement similaire modulé par l'effet de foehn qui relève les limites altitudinales des étages. Les parties basses de la côte sous le vent voient en conséquence apparaître un type de secteur climatique particulier, chaud (mégatherme), ensoleillé, plutôt sec (semi-xérophile), à caractère général subhumide et qui représente l'étage mégatherme semi-xérophile. Cet étage, en fait complexe, est le domaine de la forêt mégatherme semi-xérophile, souvent qualifiée de "forêt semi-sèche"2, qu'il faut comprendre comme un complexe mettant en scène des habitats de planèzes, de hauts de pente, de vires et parois rocheuses, de falaises 2 Les termes "semi-sec" et "semi-xérophile" sont généralement utilisés de manière indifférenciée à la Réunion. On fera néanmoins remarquer que le qualificatif "semi-sec" s'il s'applique bien à un milieu ou un habitat, reste abusif lorsqu'il s'agit de végétations pour lesquelles le terme de "semi-xérophile" (étymologiquement : qui aime les conditions semi-sèches) devrait être employé. 10 mai 2007 2 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet et de pieds de falaises, d'éboulis rocheux, alliant des aspects herbacés, arbustifs et forestiers. Au-dessus, on retrouve la forêt tropicale humide de montagne et le complexe altimontain du versant sous le vent, assez semblables à ceux du versant au vent, avec cependant quelques caractères propres. LA FRANGE LITTORALE Sur toute la façade maritime de l'île, existe une frange littorale aux interfaces marins et terrestres. La partie supérieure de cette frange baignée et influencée par les embruns marins représente l'étage supralittoral. Les végétations et habitats y sont aussi influencés par les nuances climatiques générales de l'île, notamment par la dichotomie "au vent / sous le vent". Un effet "maritime" peut se faire sentir au-delà de l'étage supralittoral dans toute la zone côtière, mais il ne semble nettement marqué par une végétation particulière (dite "adlittorale") que dans les régions sous le vent. Ce faciès maritime se traduit alors par une accentuation de l'ensoleillement et de la sécheresse ; il détermine une zone particulière de l'ouest de l'île, à caractère subaride limitant le développement de la forêt semi-sèche climacique. En raison de la destruction quasi totale des habitats naturels de ce secteur, il est difficile d'être certain de la végétation initialement présente, même si l'hypothèse d'une savane arborée à lataniers et ébéniers a souvent été évoquée. LE PATRON SECONDAIRE À une seconde échelle d'analyse, un nuancement de l'étagement et des végétations climaciques répond aux variations climatiques générées par le relief tourmenté de l'île dans chaque zone bioclimatique (on parle alors de mésoclimats particuliers, pour chacune de ces variations). Les ravines, les remparts des cirques et des caldeiras jouent un rôle central dans la modulation secondaire du patron d'habitats. Enfin, aux côtés des végétations inscrites dans les potentialités climaciques zonales précédentes, existent des végétations et des habitats qui ne s'inscrivent plus dans la potentialité climacique de la zone. Ce type de situation apparaît lorsque l'influence d'un facteur écologique particulier (eau, sol, géomorphologie) devient fortement prépondérante. En dehors de la frange salée littorale soumise aux embruns marins, il s'agit surtout à la Réunion du facteur eau qui génère de tels milieux particuliers : étangs, cours d'eau permanents et temporaires, forêts marécageuses, ensemble de milieux que l'on peut rassembler sous le terme générique de "zones humides". Les parois rocheuses permanentes, les sols d'avoune sont également des facteurs susceptibles de porter des habitats et des végétations originales. UNE GRANDE DIVERSITÉ D'HABITATS Il ressort de cette extrême diversité de situations écologiques, l'existence à la Réunion d'un très grand nombre d'habitats naturels. Actuellement près de 200 types d'habitats naturels ont été inventoriés dans l'île dans le cadre de l'élaboration de la Typologie des milieux naturels et des habitats de la Réunion (DUPONT & al. 2000). Ils peuvent être répartis en 19 grands types de milieux (STRASBERG & al. 2005). L'affinement des connaissances actuelles sur les habitats de l'île, laisse entrevoir un nombre encore beaucoup plus élevé d'habitats, notamment sur le littoral et les hautes montagnes de l'île. 10 mai 2007 3 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet L'ORIGINALITÉ DU PATRON D'HABITATS L'insularité induit une accentuation des gradients climatiques (chaleur, précipitations, vapeur d'eau) en altitude et donc à un abaissement des limites des étages de végétation par rapport aux situations continentales. Si l'on compare3 l'étagement de la végétation de la Réunion à celui des hautes montagnes intertropicales de l'est de l'Afrique (secteur de référence et point de comparaison étayé d'ailleurs par de nombreux liens floristiques et structuraux avec la végétation de la Réunion), on peut reconnaître à la Réunion, six étages principaux : - un étage supralittoral ; - un étage adlittoral (à climat sous influence maritime) ; - un étage tropical inférieur (de basse altitude), soit humide (côte au vent), soit semisec (côte sous le vent) [= étage mégatherme de Cadet] ; - un étage tropicomontagnard (ou tropical de montagne, ou afromontagnard) [étage mésotherme de Cadet] ; - un étage tropicosubaltimontain (ou afrosubalpin) [étage oligotherme de Cadet] ; - un étage tropicoaltimontain (ou afroalpin), à peine esquissé à la Réunion et représenté uniquement par sa base. Certains de ces étages peuvent encore être subdivisés, traduisant une réponse plus fine de la végétation au gradient climatique altitudinal, mais la complexité du patron d'habitats de la Réunion tient surtout à la forte dissymétrie climatique de l'île qui permet d'observer deux séquences différentes de l'étagement de végétation selon l'exposition au vent ou sous le vent, différence surtout marquée dans les horizons inférieurs de la zonation. Aucune île tropicale océanique de l'océan Indien ne propose un tel étagement. La plus proche de ce point de vue est la Grande Comore (2 355 m au sommet conique du Karthala), mais l'étage subaltimontain y est réduit, n'atteignant pas l'étage altimontain. Les situations continentales est-africaines, notamment d'origine volcanique [volcans des Virunga (4507 m), mont Elgon (4315 m), mont Meru (4566 m), Kilimandjaro (5890 m)], ou subcontinentales (Madagascar), ne sont certes pas totalement comparables en terme de patron écologique, notamment en raison de l'éloignement des façades maritimes. Mais c'est justement une des grandes originalités la situation insulaire de la Réunion que de proposer un étagement complet du supralittoral à la base de l'afroalpin s'établissant sur un rayon très court, d'une vingtaine de kilomètres. Un tel étagement s'étale sur environ 200 km à Madagascar, plusieurs centaines de km en Afrique de l'est. La Réunion apparaît ainsi, en quelque sorte, comme un condensé et un résumé des patrons d'habitats tropicaux des zones montagneuses de l'Afrique tropicale et de Madagascar. Un tel patron écologique explique à lui seul la grande diversité4 d'habitats présents dans l'île et la concentration de cette diversité sur une petite surface. Du seul point de vue de son patron écologique insulaire, la Réunion apparaît donc unique dans l'océan Indien. Les équivalences manquent dans la zone atlantique et n'existent que dans le Pacifique, notamment dans les plus hautes îles du groupe d'Hawaï (Hawaii, Maui). 3 Une difficulté majeure dans la comparaison de la zonation altitudinale entre régions tropicales, mais plus globalement à l'échelle mondiale, réside en la pluralité des approches, des nomenclatures et des opinions conceptuelles sur les notions d'étages (voir notamment TROCHAIN 1980). 4 Il est malheureusement délicat et peu convaincant d'établir des comparaisons quantitatives de cette diversité d'habitats par rapport aux territoire voisins, compte tenu du déficit et de la variabilité des connaissances sur les habitats dans l'océan Indien et de la pluralité des approches descriptives et typologiques. 10 mai 2007 4 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet LE PEUPLEMENT VÉGÉTAL Comme d'autres îles océaniques intertropicales, la flore de la Réunion résulte d'une immigration, lente et sélective, et de processus de spéciation qui, bien que récents à l'échelle des temps géologiques, sont à l'origine d'un endémisme important. On aimerait pouvoir dérouler l'histoire végétale de la Réunion tel un film chronologique présentant les étapes successives de la végétalisation d'une île océanique nouvellement émergée. Mais les bases de connaissances diachroniques manquent et, à la suite de RIVALS (1952) puis de CADET (1977), il faudra se contenter de reconstituer les étapes et les faits de la colonisation sur la base des peuplements actuels, des comparaisons inter-îles, des mécanismes biologiques de dissémination des végétaux, des données phylogéniques, des documents historiques sur l'état originel de l'île avant l'arrivée de l'homme, des introductions volontaires ou involontaires connues… LE PEUPLEMENT VÉGÉTAL AVANT L'ARRIVÉE DE L'HOMME Comme toute nouvelle île océanique et à l'instar des autres îles des Mascareignes (Maurice, Rodrigues), le peuplement végétal de la Réunion s'est appuyé sur les zones continentales les plus proches (Madagascar, Afrique de l'est, Asie du sud-est, Indonésie, Australie) qui constituent aujourd'hui encore des réservoirs permanents et fonctionnels de diaspores. La dissémination naturelle des végétaux, faute de moyens propres de locomotion, est obligatoirement passive. L'implantation de végétaux sur une île doit donc s'en remettre aux courants marins (voie maritime), aux vents et cyclones (voie éolienne), aux oiseaux (voie animale). Mais, isolée en plein océan Indien, la Réunion, comme Maurice et Rodrigues, reste une destination difficile à atteindre. La voie de mer Les premières implantations de végétaux vasculaires à la Réunion ont certainement été littorales. Régulièrement les marées amènent un lot de semences adaptées au transport par les courants marins qui, dans le sud-ouest de l'océan Indien, circulent d'est en ouest depuis les rivages de l'Indonésie et de l'Australie. Ces semences, capables de voyager sur de très longues distances, ont en commun les mêmes facultés de flottaison, de tolérance au sel et de longévité germinative. Elles appartiennent le plus souvent à des plantes côtières à large répartition indopacifique voire pantropicale : Ipomoea pes-caprae subsp. brasiliensis (Patate à Durand), Canavalia rosea (Patate cochon), Dendrolobium umbellatum (Bois malgache), Premna serratifolia (Lingue blanc), Fimbristylis cymosa, Zoysia matrella (Gazon bord de mer), Scaevola taccada (Manioc bord de mer), Tournefortia argentea (Veloutier), Pemphis acidula (Bois matelot), etc. Au total, la voie de mer représente approximativement 5-10 % des origines de la flore indigène. Elle n'intéresse pratiquement que la flore littorale actuellement soumise aux embruns, même si l'on soupçonne une origine littorale aux espèces endémiques intérieures des genres Calophyllum, Ochrosia, Hernandia, Sophora et Terminalia. La voie des airs De nombreuses plantes se sont adaptées à la dispersion par les vents, les tempêtes tropicales, les cyclones. Elles ont développées un arsenal de diaspores légères aptes à voler ou être emportées par le moindre souffle de vent : semences à parachute (Astéracées, Asclepiadacées), spores ultra-légères (Ptéridophytes), graines sans albumen (Orchidées)… Cette stratégie de dissémination à longue distance caractérise de nombreuses plantes pionnières et souligne l'adaptation à la colonisation aléatoire de milieux neufs par l'émission en masse et fréquente d'un nombre élevé de diaspores (type de stratégie de régénération "W", GRIME 2001). Les alizés, en provenance du SE, balayent une zone océane vide de terre émergée. Ils n'ont que peu de chance d'amener avec eux des semences légères et leur rôle dans l'alimentation en diaspores de la Réunion est certainement anecdotique. À l'inverse, les cyclones progressant fréquemment du NE au SO transportent probablement de nombreuses diaspores dans le sens Rodrigues / Maurice / Réunion / Madagascar, assurant une alimentation régulière inter-île. Mais c'est dans le retour en sens inverse de certains cyclones de Madagascar vers les 10 mai 2007 5 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Mascareignes (comme par exemple les cyclones Charlotte et Hortense en 1973, Inès en 1975, Hyacinthe en 1980…) qu'il faut rechercher une cause majeure d'apport de végétaux par les airs à la Réunion. La puissance de ces météores aura certainement permis également l'apport de semences beaucoup plus lourdes, adaptées à la dissémination à courte distance par le vent (comme les fruits ailés des Dodonaea, Terminalia et Homalium), ou bien simplement emportées avec tiges ou branchages arrachés par la violence des vents. Il est probable que cette arrivée par les airs ait assuré les premières végétalisations intérieures de l'île. Bon nombre de genres d'Astéracées endémiques de la Réunion ou des Mascareignes (Eriotrix, Faujasia, Parafaujasia, Monarrhenus), répondent à cette stratégie de dissémination par le vent à longue distance et correspondent peut-être à des implantations très anciennes dans l'île. Au total, la voie des airs représenterait près de 30 % des origines de la flore indigène. Les oiseaux De nombreux oiseaux marins sillonnent les rivages de l'océan Indien. Divers oiseaux migrateurs visitent régulièrement les terres de la Réunion. Ils peuvent amener avec eux diverses semences. Le transport est tantôt externe (épizoochorie), collé ou accroché au plumage, ou encore coincé avec un peu de vase ou de boue sur les pattes, tantôt interne dans les voies digestives des oiseaux (endozoochorie). Certaines espèces semblent bien adaptées à la dissémination par les oiseaux comme celles produisant des semences gluantes (Plumbago zeylanica, Rhipsalis baccifera, Boerhavia spp., Pisonia grandis…), mais, d'une manière générale, beaucoup de plantes croissant dans les lieux fréquentés par l'avifaune peuvent être concernées. C'est notamment le cas de plantes pionnières des vases exondées des mares et des étangs fréquentées par les échassiers migrateurs comme Lindernia rotundifolia, Bacopa monnieri, ou encore Bryodes micrantha, cette dernière espèce uniquement connue de quelques mares de Madagascar, d'Aldabra, de Maurice et de la Réunion. Les oiseaux frugivores sont certainement à l'origine de l'introduction à la Réunion de plusieurs familles à fruits charnus (Asparagacées, Bégoniacées, Clusiacées, Myrsinacées, Myrtacées, Oléacées, Rubiacées, Sapotacées…). Des oiseaux errants, détournés de leur trajectoire ou même des oiseaux terrestres emportés par les cyclones sont probablement fortement impliqués dans ce processus très aléatoire qui suppose aussi un transit par les voies digestives des semences sans perte de leur capacité germinative. Les terres continentales proches (notamment Madagascar) et les îles de l'ouest de l'océan Indien sont effectivement les plus impliquées dans le transport par les oiseaux qui concernent probablement plus de 50 % des origines de la flore indigène de la Réunion. Mais des contrées plus lointaines ne peuvent être exclues, comme le rappelle R. LAVERGNE (2001) en citant le cas d'un Pétrel géant, bagué aux Falkland (Atlantique sud) et capturé sept mois plus tard à la Réunion. On estime le taux naturel d'arrivée de la flore à la Réunion à un genre tous les 30 000 ans. En tenant compte des modes de dispersion et des affinités de la flore indigène, CADET (1977) a dressé un premier bilan des origines géographiques du peuplement végétal indigène de l'île. ► Figure : Origine de la flore vasculaire de la Réunion (source Cadet 1977). La quasi-totalité des ptéridophytes et 72 % des genres de plantes à fleurs indigènes existants à la Réunion, sont présents à Madagascar, distant de 700 km, ce qui souligne au passage le rôle majeur des phénomènes cycloniques. Logiquement, compte tenu de l'éloignement de ces territoires, la part des influences asiatiques (8 %) et indopacifiques (12 %) dans l'origine probable de la flore réunionnaise indigène reste minoritaire. Dans cette explication globale d'immigration de la flore des Mascareignes depuis les sources continentales, il faut également mentionner le rôle relais de Maurice, apparu 5 millions d'années plus tôt que la Réunion. Le peuplement végétal déjà bien avancé de cette île relativement proche (200 km) a dû constitué une source très active de diaspores pour la Réunion comme en témoigne le nombre élevé d'espèces communes à Maurice et la Réunion. Cette immigration d'île à île au sein de l'Archipel des Mascareignes a sûrement été favorisée par le sens des courants marins, des vents et des cyclones. 10 mai 2007 6 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Installation et évolution insulaires Arriver est une chose, germer et survivre une autre, se reproduire et s’installer (c’est-à-dire établir une population viable) encore une autre… La probabilité d'implantation durable d'une espèce immigrante (on parle également d'indigénation) est a priori extrêmement faible et les échecs sont de règle. Plusieurs paramètres concourent à augmenter les chances de réussite : présence de nombreuses niches écologiques vides ou peu saturées, ce qui limite les phénomènes de compétition interspécifiques ; absence ou rareté des parasites et des prédateurs ; capacités de reproduction adaptées avec avantage aux plantes autofertiles ou à forte multiplication végétative, alors qu'inversement les plantes dioïques sont désavantagées. Mais de nombreux handicaps président aussi à la destinée de ces installations : absence d'habitat favorable, compétition avec les espèces déjà présentes, taille critique des populations… L'ancienneté des terres émergées semble également jouer un rôle positif dans le processus d'indigénation, sans qu'il soit clairement explicite (BLANCHARD 2000). En tout cas, la réalité de la colonisation végétale de la Réunion démontre à elle seule, le caractère fonctionnel du processus. Pour les populations installées, leur isolement géographique est favorable à l’évolution des espèces, ce qui fait des Îles océaniques un laboratoire naturel de l’évolution à la base des théories élaborées par DARWIN à partir de l'exemple des îles Galapagos. À la Réunion, l'isolement des nouveaux arrivants a permis l'individualisation de pools génétiques distincts par isolement reproductif forcé. Cette évolution insulaire, lorsqu'elle a été suffisamment rapide, a conduit à la formation d'espèces insulaires endémiques. De telles spéciations ont été fréquentes chez les plantes à diaspores lourdes dont l’arrivée est exceptionnelle. À l'inverse, ces phénomènes de spéciation sont ralentis par l'arrivée régulière de nouveaux immigrants (cas des plantes à diaspores légères comme les "Ptéridophytes" ou des plantes littorales transportées par les courants marins. L'ANTHROPISATION DU PEUPLEMENT VÉGÉTAL L'installation durable de l'homme à partir du milieu du XVIIe introduit un volet exotique dans la flore de l'île qui prendra progressivement une part de plus en plus importante avec le développement de la société réunionnaise. La large palette des usages (agricoles, forestiers, économiques, médicinaux, ornementaux…), l'accroissement des échanges de biens et de personnes ont permis l'introduction volontaire ou involontaire de plusieurs milliers d'espèces originaires des régions tropicales à tempérées du monde entier. Le climat très varié de la Réunion a facilité l'acclimatation et la naturalisation d'un grand nombre de ces plantes introduites. Avec l'arrivée de l'homme au milieu du XVIIe siècle, le taux d'immigration des végétaux à la Réunion va connaître une modification rapide et croissante. Au premier rang de ce bouleversement est associée l'introduction volontaire de nombreux végétaux. Aux plantes utilitaires de première nécessité, suivra rapidement un lot de plus en plus diversifié de plantes alimentaires, fourragères, économiques, médicinales et ornementales dont le rythme d'arrivée épousera le développement démographique, agricole, économique et social de l'île. Transports, déplacements des hommes et de biens amèneront aussi, de manière involontaire, de nombreux végétaux habituellement associés aux établissements humains. Même si plusieurs travaux apportent des témoignages historiques importants (BRÉON 1825, RICHARD 1856, TROUETTE 1898, RIVALS 1960) sur les introductions de végétaux à la Réunion, il est actuellement impossible de chiffrer le nombre d'espèces de plantes vasculaires introduites à la Réunion. Il se situe probablement au-delà des 5 000 espèces et pose, notamment pour les plantes citées anciennement, de nombreux problèmes taxonomiques et nomenclaturaux. L'inventaire des jardins et collections végétales de la Réunion reste donc à faire… Enfin, si l'on rapporte le nombre non négligeable de plantes adventices jamais récoltées qu'une seule fois au nombre de botanistes ayant herborisé dans l'île, il est clair que beaucoup d'introductions sont passées inaperçues et que la flore adventice introduite fortuitement ne sera jamais connue totalement ! 10 mai 2007 7 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet L'introduction volontaire de végétaux e Dès la fin du XVIII , la société réunionnaise encourage les introductions et les essais d'acclimatation de végétaux. Mais c'est au cours du XIXe, avec la création du Jardin d'acclimatation de Saint-Denis, futur Jardin de l'État, que cette période d'introduction expérimentale s'organise et prend son essor en relation avec l'industrialisation et l'aménagement. Certaines de ces premières introductions utilitaires et de ces premiers essais marquent encore profondément les paysages de la Réunion : Canne à sucre (Saccharum officinarum), Ananas (Ananas comosus), Cryptoméria (Cryptomeria japonica), Goyavier (Psidium cattleyanum), Choca vert (Furcraea foetida). D'autres aujourd'hui sur le déclin ont connu des heures de gloire comme le Géranium rosat (Pelargonium x-asperum, le Vétiver (Chrysopogon zizanioides)… D'autres, enfin, ont presque entièrement disparu, ou ne subsistent qu'en pieds ou cultures isolés comme le Coton (Gossypium sp.), le Café (Coffea arabica) ou le Thé (Camellia sinensis). Du "battant des lames au sommet des montagnes", la grande diversité des climats de la Réunion autorise une large gamme d'introduction de plantes tropicales, subtropicales et tempérées qui, par exemple, permet aux pêches, à la rhubarbe, aux mangues, aux litchis, aux ananas, etc. de se côtoyer au fil des saisons sur les marchés de l'île. Aux premières fonctions agronomiques, industrielles et médicinales, les introductions des végétaux s'inscriront dans une préoccupation ornementale et d'agrément, de plus en plus forte, qui va d'abord concourir à la diversité de la flore des jardins créoles, puis, plus tard, au foisonnement des collections spécialisées de palmiers, de plantes succulentes, d'orchidées… De ce point de vue, la Réunion offre un étonnant métissage végétal… Tout comme pour la végétalisation naturelle de l'île, difficultés, échecs et réussites auront été le lot de l'histoire des introductions de végétaux à la Réunion. Beaucoup d'entre eux ne se sont pas maintenus ou subsistent péniblement sur leurs lieux d'implantation. D'autres sont aujourd'hui communément cultivés, certains se sont répandus dans les cultures, les friches, les milieux naturels parfois au point de devenir gênants par leur caractère invasif. La flore adventice Parallèlement aux introductions culturales, les activités humaines se sont aussi accompagnées d'introductions involontaires avec les marchandises, avec les animaux, avec les voyageurs… Elles concernent surtout des plantes rudérales associées aux milieux anthropiques tels que cultures, friches, savanes, lieux piétinés, décombres… Il y a là de très nombreux végétaux à large répartition dans les régions tropicales et subtropicales du monde, parfois même de véritables cosmopolites comme, par exemple, le Pâturin annuel (Poa annua), probablement la plante la plus répandue dans le monde. On peut facilement observer aujourd'hui la permanence de ce flux d'arrivée involontaire de plantes nouvelles pour la Réunion autour des fermes (plantes introduites avec les semences et les fourrages : Rumex obtusifolius, Amaranthus giganteus, Senecio vulgaris…), le long des routes (introduction avec les marchandises : Boerhavia erecta) et des sentiers (introduction par les randonneurs : Veronica officinalis)… Indigène, endémique ou exotique ? Dans une île plus qu'ailleurs, le fait d'être indigène (ou natif) ou introduit pour une espèce végétale constitue une propriété biologique, patrimoniale voire politique importante. Il suffit pour se convaincre du caractère probatoire de la dichotomie indigène/exotique, d'observer les réflexions menées autour des problèmes d'invasions végétales, de végétalisation, ou encore de lire les articles émaillant la presse et les revues locales. Mais, les faits scientifiques ne sont pas aussi clairs et aussi simples que cela : il suffit d'observer les nombreuses hésitations et contradictions sur le caractère indigène ou introduit des espèces qui jalonnent la publication de la Flore des Mascareignes, notamment à propos de la flore herbacée. Il faut voir dans cette problématique deux groupes majeurs de difficultés. Le premier est manifestement lié à une connaissance encore insuffisante de la flore de l'île et de son contexte biogéographique, écologique et dynamique. Citons le cas de Carex balfourii, cypéracée endémique stricte de la Réunion, et qui figure sur certaines listes de plantes introduites invasives. Le second a trait à la grande difficulté voire l'impossibilité de juger du caractère indigène ou introduit de certaines espèces, lorsqu'elles ne sont pas endémiques. Il s'agit surtout de plantes faisant l'objet d'une utilisation ancienne par l'homme, ou de plantes de milieux herbacés plus ou moins secondarisés qui se trouvent à la Réunion dans leur aire globale d'indigénat mais pour lesquelles on n'a pas de preuves certaines de leur présence antérieurement à l'arrivée de l'homme. Plus d'une centaine d'espèces sont concernées. Pour une soixantaine de ces plantes à statut incertain, une convergence de faits plaide pour leur indigénat, mais le doute ne peut être totalement levé sur la base des connaissances actuelles. C'est, par exemple, le cas du Pimpin (Pandanus utilis), largement planté dans les régions tropicales et longtemps considéré 10 mai 2007 8 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet comme introduit à la Réunion, mais qu'un ensemble de considérations morphologiques, phylogéniques et biologiques amène à considérer comme originaire de la Réunion (BOSSER & GUÉHO 2003). Pour d'autres, des arguments contradictoires ne permettent pas statuer dans un sens ou dans l'autre. Il s'agit de plantes dites "cryptogènes", c'est-à-dire de plantes dans le caractère indigène ou introduit semble impossible à trancher. Un exemple typique est la Prune malgache (Flacourtia indica), jadis cultivée pour ses fruits et naturalisée ici et là, mais dont certaines populations littorales pourraient être indigènes… Enfin, le statut d'indigénat ou d'introduction comporte une forte part de subjectivité. L'immigration naturelle des végétaux par les airs, les eaux marines et les oiseaux continue à fonctionner et toute observation d'une nouvelle espèce n'est pas forcément le résultat d'une introduction. Faute de preuves tangibles des faits d'immigration, les avis divergent parfois. Le cas de Lepechina chamaedryoides, arbrisseau de la famille des Lamiacées, connu de quelques populations isolées sur des remparts altimontains, est très révélateur. Les populations réunionnaises de cette espèce ont longtemps été considérées comme une endémique de la Réunion depuis J. de CORDEMOY (1895) qui crée pour elle un genre nouveau, endémique également de la Réunion, le genre Mahya. Elles seront ensuite rapprochées (EPLING, 1948) puis rattachées à Lepechina chamaedryoides (Balb.) Epling (A.J. SCOTT, 1994), espèce des montagnes du Chili et finalement considérées comme introduites et naturalisées à la Réunion. Ce statut ne paraît cependant pas certain car par bien des aspects (distribution, écologie, rareté...), la plante semble être indigène. L'amélioration des connaissances taxonomiques et chorologiques (distribution des végétaux) amène aussi régulièrement à réviser nos jugements. Une petite légumineuse, l'Indigo à feuillage variable (Indigofera diversifolia), a longtemps été considéré comme une endémique stricte du littoral de la Réunion (POLHILL 1990), avant d'être indiquée comme assez fréquente dans le SW de Madagascar (DU PUY & al. 2002). Voici une plante endémique, devenant indigène, voire exotique introduite si on la compare à d'autres plantes littorales de la Réunion, comme Zaleya pentandra, ayant des écologies et des distributions similaires et qui sont habituellement considérées comme exotiques… On voit que les frontières entre ces différents statuts sont ténues. Une révision des statuts de la flore de la Réunion menée sur une large assiette de faits écologiques, chorologiques et biologiques semble plus que jamais nécessaire pour éclairer de manière plus fiable le contexte patrimonial de l'île. Enfin, le statut d'une d'espèce peut être multiple et des populations indigènes peuvent coexister dans l'île avec des populations introduites. C'est bien entendu le cas de toutes les plantes indigènes, et notamment des endémiques, qui sont aussi de plus en plus souvent cultivées dans les jardins, et parfois introduites dans la nature. BILAN DE BIODIVERSITÉ DU PEUPLEMENT VÉGÉTAL Le bilan qui suit, s'attache à présenter la diversité de la flore vasculaire spontanée de la Réunion sur des bases floristiques générales incluant taxonomie, chorologie et statuts d'indigénat. Il est issu de l'exploitation de la dernière version de l'Index de la flore vasculaire de la Réunion, version 2006.2, mise à jour du 24 septembre 2006 (CONSERVATOIRE BOTANIQUE NATIONAL DE MASCARIN (BOULLET V. coord.). Ce bilan a été établi au rang d'espèce. Il ne tient donc pas compte de la diversité infrataxonomique (sous-espèces, variétés, formes), peu étudiée jusque là et dont les arguments taxonomiques ont parfois été contestés. Il s'adresse uniquement à la flore spontanée, c'est-à-dire aux plantes apparues spontanément sans avoir été directement et volontairement plantées ou semées. En outre, leur identité taxonomique et leur présence effective à la Réunion doivent avoir été prouvées. Sont ainsi exclus : les espèces connues uniquement à l'état cultivé ; les espèces au statut indéterminé en raison d'une documentation insuffisante (9 cas non résolus) ; les taxons cités sans ambiguïté dans le territoire mais dont l'existence ou la présence effective y reste douteuse (taxons douteux, soit 116 espèces). Les taxons douteux appartiennent généralement à des aggrégats complexes, dont le contenu taxonomique a considérablement varié au cours de l'histoire botanique, ou dont la délimitation et la détermination posent d'importants problèmes. Entrent aussi dans cette catégorie, les citations taxonomiques apparemment douteuses ou incertaines en attente d'une confirmation. les taxons dont la présence reste hypothétique dans le territoire (taxons hypothétiques, soit 23 espèces). 10 mai 2007 9 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Le cadre des connaissances floristiques Historique L'inventaire scientifique de la flore de la Réunion débute avec Philibert COMMERSON, premier collecteur de plantes de la Réunion (1771). Il inaugure une longue période de passage de botanistes voyageurs à la Réunion (SONNERAT, AUBERT DU PETIT-THOUARS, BORY DE SAINT-VINCENT, BOIVIN, GAUDICHAUD…) rapportant, dans leurs bagages, le matériel d'herbier qui permettra aux botanistes des grandes institutions d'histoire naturelle de l'époque (J.-B. LAMARCK, A.P. de CANDOLLE, C. von WILLDENOW, A. CAVANILLES…) de décrire de nombreuses espèces nouvelle. Avec la publication en 1895 de sa Flore de la Réunion, synthétisant 30 années de prospections et d'études de la flore réunionnaise, Eugène Jacob de CORDEMOY, médecin natif de l'île, établit véritablement les fondements des connaissances botaniques générales de la flore de l'île. Une faible activité botanique lui succèdera jusqu'au séjour dans l'île de Pierre RIVALS qui, d'avril 1939 à mai1946, parcourt en tous sens ses montagnes. L'essentiel de ses observations est présenté dans son "Étude sur la végétation naturelle de l'île de la Réunion" publié en 1952 et qui est aussi le premier ouvrage sur la végétation de l'île. À partir des années "1970", l'activité et l'œuvre de Thérésien CADET (floristique, phytosociologie, herbier) vont poser les fondements d'une nouvelle ère botanique à la Réunion dont nous allons détailler les aspects taxonomiques, chorologiques et floristiques. Cadre taxonomique Le socle taxonomique moderne de la flore réunionnaise s'appuie sur la publication progressive depuis 1976 de la Flore des Mascareignes, sous l'égide l'O.R.S.T.O.M. (ultérieurement I.R.D.), du Royal Botanic Gardens de Kew et du Sugar Industry Research Institute de Maurice et qui reste encore inachevée à ce jour (les familles des Poacées, des Cypéracées et des Orchidacées manquent encore). L'amélioration rapide des connaissances systématiques de la flore tropicale, le vieillissement des premiers volumes de la Flore des Mascareignes parus il y a plus de 20 ans, la découverte de nombreuses espèces nouvelles dans l'île nécessitaient une mise à jour régulière des connaissances taxonomiques de la flore de la Réunion. Ce travail a été entrepris en 2002 dans le cadre de l'Index de la flore vasculaire de la Réunion, déjà cité. Cadre floristique et chorologique e Après une longue période historique de prospections botaniques au cours de XIX siècle dont le point d'orgue fut la publication de la Flore de l'île de la Réunion (CORDEMOY 1895), il faudra attendre la charnière des années "1970" et "1980", dans le sillage de la parution de la Flore des Mascareignes, pour que renaisse une période d'activité botanique dans l'île. Son développement ne fera que croître depuis. Dans des cadres divers (scientifique, amateur, institutionnel, associatif, privé) et des domaines de plus en plus variés (ethnobotanique, conservation, Orchidées, Ptéridophytes, invasions biologiques…), une masse importante de données floristiques va être collectée, mais rarement publiée. Il n'existe par contre aucune véritable étude de la distribution des plantes à la Réunion. Des données diverses ont parfois été utilisées pour étayer la répartition de quelques espèces dans des contextes variés d'études biologiques, écologiques ou conservatoires. Mais la connaissance globale de la répartition des végétaux nécessitait un outil d'inventaire adapté. L'Atlas de la flore vasculaire de la Réunion (AFLORUN), piloté par le Conservatoire Botanique National de Mascarin, lancé en 2004, vise à publier en 2011 un atlas de la répartition des plantes vasculaires sur la base d'une prospection systématique de l'île par maille de 1 km². LA FLORE SPONTANÉE GLOBALE La flore vasculaire spontanée de la Réunion s'élève à 1703 espèces de plantes vasculaires, dont 1451 Spermatophytes (85,2%) et 252 "Ptéridophytes" (14,8 %). Les Spermatophytes spontanés sont presque uniquement composés (99,8 %) des "plantes à fleurs" (phylum des Magnoliophyta). On ne connaît que 0,2 % (3 espèces) de "Conifères" (phylum des Pinophyta). Les Cycadophytes ne sont pas représentés dans la flore spontanée de l'île. Les "Ptéridophytes" dans le sens usuel de ce terme comprennent à la Réunion six phylums avec la répartition suivante en espèces : Lycopodiophyta (les "lycopodes et sélaginelles") : 20 espèces ; Equisetophyta (les "prêles") : 1 espèce ; Psilotophyta (les "psilotes") : 1 espèce ; Ophioglossophyta (les "ophioglosses et botryches") : 6 espèces ; Marattiophyta (les "marattia, angioptéris, etc." : 2 espèces ; Ptéridophyta (= Filicophyta) (les "vraies fougères") : 222 espèces. 10 mai 2007 10 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet FLORES INDIGÈNE ET EXOTIQUE Statuts d'indigénat global de la flore vasculaire de la Réunion Nombre d'espèces Taux spécifique (%) Si l'on tient compte du statut d'indigénat ou d'introduction des espèces, la flore vasculaire spontanée peut être analysée en terme de flore indigène et de flore exotique. En fonction des remarques qui ont été faites précédemment et pour éviter une présentation par trop complexe des résultats, plusieurs regroupements ont été faits : les indigènes incluent les "probablement indigènes", les exotiques incluent les cryptogènes et les probablement exotiques. Indigènes Cryptogènes Exotiques Flore spontanée totale 836 44 823 1703 49,1 2,6 48,3 100,0 Spermatophy tes Taux spécifique Ptéridophytes (%) Taux Indigènes Cryptogènes Exotiques Flore spontanée totale 243 0 9 252 593 44 814 1451 96,4 0,0 3,6 100,0 10 mai 2007 spécifique Spermatophy tes (%) Statuts d'indigénat et systématique Ptéridophytes Ainsi, la flore vasculaire spontanée de la Réunion se répartit en : 836 espèces indigènes, dont 83 seulement d'indigénat probable. Au total, la flore indigène représente environ la moitié (49,1 %) de la flore spontanée. 44 espèces cryptogènes, de statut indigène possible mais encore obscur, soit 2,6 % ; 823 espèces exotiques, soit approximativement l'autre moitié (48,3 %) de la flore spontanée. Il est donc intéressant de constater que la diversité globale de la flore vasculaire s'équilibre entre flore indigène et flore exotique. Si l'on s'intéresse à la composition en groupes systématiques des flores "indigène" et "exotique" de l'île, on obtient la ventilation suivante : pour la flore "indigène", 593 "spermatophytes" (soit 70,9 %) et 243 "ptéridophytes" (soit 29,1 %). Toutes les spermatophytes indigènes sont des "plantes à fleurs" (Magniolophyta). Plus de 95 % des ptéridophytes (96,4 % exactement) sont indigènes. pour la flore "cryptogène", 44 "spermatophytes" (soit 100 %) et aucun "ptéridophyte". Toutes les spermatophytes cryptogènes sont des "plantes à fleurs" (Magniolophyta). pour la flore "exotique", 814 "spermatophytes" (soit 98,9 %) et 9 "ptéridophytes" (soit 1,1 %). 40,9 3,0 56,1 100,0 11 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet FLORE ENDÉMIQUE Parmi la flore indigène, certaines espèces ont une aire naturelle restreinte à l'échelle mondiale. On les désigne couramment alors sous le terme d'endémique. La notion d'endémisme est bien évidemment relative et fonction des échelles de territoires restreints auxquels on s'intéresse. Pour une plante uniquement présente dans l'île de la Réunion, on parlera d'endémisme strict (ou local). L'endémisme régional est à l'échelle des Mascareignes et l'endémisme macro-régional à l'échelle de la région floristique malgache (incluant Comores, Seychelles et Mascareignes). Cette dernière échelle, habituellement peu utilisée, n'a pas été retenue ici. Endémicité de la flore indigène de la Réunion Nombre d'espèces Taux spécifique (%) La flore vasculaire indigène de la Réunion comprend 232 endémiques strictes (27,8 %), 156 endémiques régionales (18,7 %), soit au total 388 espèces endémiques (46,4 %). L'endémisme peut également être détaillé par groupes systématiques. Les "Spermatophytes" indigènes possèdent 213 endémiques strictes (35,3 %), 129 endémiques régionales (21,5 %), soit au total 342 espèces endémiques (56,7 %). Les "Ptéridophytes" indigènes possèdent 19 endémiques strictes (7,8 %), 27 endémiques régionales (11,1 %), soit au total 46 espèces endémiques (18,9 %). Endémiques strictes Endémiques régionales Autres indigènes Endémiques totales Indigènes totales 232 156 448 388 836 27,8 18,7 53,6 46,4 100,0 Limites et perspectives du bilan actuel Il ne faut pas perdre de vue qu'un bilan chiffré de biodiversité, aussi précis soit-il, n'est que le reflet à un temps donné, de l'état des connaissances et des limites méthodologiques de l'inventaire lui-même. Plusieurs remarques s'imposent : - - - 10 mai 2007 le bilan actuel ne tient pas compte de quelques taxons en cours de description, ou bien insuffisamment étayés au rang d'espèce, ou encore dont l'identité taxonomique est en cours d'établissement ; les données historiques et contemporaines n'ont pas été séparées. Le nombre réduit d'espèces apparemment disparues, tout comme les redécouvertes récentes de Nesogenes orerensis et de Senecio ptarmicifolius, endémiques strictes considérées comme disparues depuis un siècle et demi, incitent effectivement à la prudence quant à l'opportunité de dégager un bilan fidéle de la biodiversité contemporaine ; les notions de spontanéité, d'indigénat et d'introduction des espèces ont impliqué des choix qui pourront évoluer dans le futur avec de nouvelles données ; 116 "taxons douteux" n'ont pas été pris en compte dans le bilan ; cette précaution introduit un déficit de diversité non négligeable dont les bases sont parfois assez subjectives. C'est précisément le cas des espèces connues uniquement par des parts d'herbier dont l'origine réunionnaise du matériel collecté est suspecte ; ou encore le cas de plusieurs espèces orchidées endémiques décrites succinctement par E.J. de CORDEMOY (notamment celles du genre Cynorkis). 12 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet En terme de perspectives, l'intensification en cours des prospections, l'affinement des études systématiques des groupes difficiles (genres Psiadia, Cynorkis, Benthamia, Habenaria…) permettent d'envisager une évolution quantitative du bilan de diversité aussi bien en terme d'espèces indigènes que d'espèces exotiques. Celle-ci ne devrait toutefois pas dépasser au final 10 % du bilan actuel. PLACE ET ORIGINALITÉ DU PEUPLEMENT VÉGÉTAL Les traits généraux de diversité spécifique et d'endémicité de la flore indigène sont typiques des îles océaniques isolées. La diversité spécifique de la Réunion (844 espèces pour 2512 km², soit une densité spécifique de 0,3 espèce au km²) est faible par rapport à celle des îles continents comme Madagascar (± 10 000 espèces) ou la Nouvelle-Calédonie (3261 espèces). Elle est néanmoins relativement élevée si on la compare à d'autres territoires océaniques intertropicaux isolés : la Polynésie française qui regroupe près de 120 îles, compte 893 espèces vasculaires pour 3521 km² (soit 0,25 espèce au km²), les Seychelles avec 350 espèces pour 410 km² (soit 0,85 espèce au km²). Les îles océaniques proches des continents ont une richesse spécifique nettement plus élevée, ce qui tend à prouver que l'immigration de la flore dans les îles océaniques diminue avec l'éloignement des continents. Mayotte (377 km²) totalise 616 espèces vasculaires, soit une densité spécifique remarquablement élevée (1,63 espèces au km²) ; la Guadeloupe et la Martinique, ensemble, compte 1863 espèces (plus du double de la Réunion) pour une surface presque équivalente (2813 km², soit 0,66 espèces au km²). Dans les Mascareignes, Maurice, plus petite que la Réunion, est aussi un peu plus riche (884 espèces pour 1865 km², soit 0,47 espèces au km²), ce qui est somme toute logique au vu de son ancienneté (7,8 MA). Rodrigues, île basse (393 m d'altitude), petite (151 km², soit 16 fois moins grande que la Réunion), jeune (1,8 MA) et très isolée compte néanmoins 109 espèces de plantes vasculaires (environ 8 fois moins que la Réunion, soit 0,75 espèce au km²). L'endémisme de la flore vasculaire est élevé à la Réunion avec des taux de 27,3 % pour l'endémisme strict et de 45,7 % pour l'endémisme total. Ces taux semblent plus élevés que dans les deux autres îles des Mascareignes, mais les données disponibles ne sont pas comparables. Les îles continentales et les territoires insulaires très isolés ont un endémisme végétal beaucoup plus élevé : Madagascar (> 80 %), Nouvelle-Zélande (> 80 %), NouvelleCalédonie (74 %), Hawaï (90 %), Polynésie française (62 %). A contrario, les îles océaniques proches des continents et les territoires continentaux révèlent des taux bien plus faibles : Mayotte (5 %), Guadeloupe + Martinique (4 %), Guyane (3 %). Remarque – Les statistiques précédentes sur la diversité et l'endémisme des territoires autres que la Réunion sont repris de BLANCHARD (2000) et GARGOMINY (2003). Elles doivent être considérées avec circonspection car les éléments comptabilisés en terme de rang systématique, de type d'endémisme, de statut d'indigénat ne sont pas toujours clairement exprimés dans ces articles de synthèse. Conservation de la flore vasculaire indigène Insularité et micro-endémicité sont des facteurs de fragilité et de vulnérabilité de la flore indigène qui contribuent à accroître les risques d'extinction et la crise de la biodiversité dans les îles océaniques. Même si la situation réunionnaise n'est pas aussi critique que celles des deux autres îles des Mascareignes (Maurice et Rodrigues), les menaces qui pèsent sur la flore indigène restent aujourd'hui encore très fortes. L'altération et la destruction des habitats ont été les processus les plus destructeurs de la biodiversité de l'île. Leurs effets ont heureusement été modulés par le relief, le climat et, plus récemment, les politiques publiques de maîtrise foncière et de gestion des espaces naturels. Les zones basses où se sont concentrées l'urbanisation et les activités agricoles n'ont conservé qu'environ 1 % de leur couverture forestière initiale, tandis 10 mai 2007 13 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet que les forêts humides d'altitude et les végétations altimontaines ont été relativement épargnées. Même si le processus s'est considérablement ralenti sous l'action conjuguée d'une politique volontariste de préservation des habitats indigènes et de gestion conservatoire de la biodiversité indigène, la végétation indigène constitue une peau de chagrin qui continue ici et là à se rétrécir. Depuis CADET (1977), un chiffre de 30 % de végétations indigènes subsistantes est souvent avancé en préambule des présentations des problématiques de conservation (GARGOMINY 2003). Ce chiffre ne tient cependant pas compte de l'état de perturbation et de dégradation d'un grand nombre de ces milieux. Le maintien et l'extension de pratiques telles que le feu, le pâturage sauvage et l'ensemencement fourrager dans les espaces altimontains, la multiplication des perturbations anthropiques diverses (plantations en sous-bois, campements sauvages, ouverture de sentiers, surfréquentation…) sont les principaux facteurs qui aujourd'hui encore amenuisent l'état de conservation des végétations indigènes subsistantes. Citons deux exemples illustrant l'impact actuel de ce type de pratiques : les incendies ont transformé les espaces altimontains en un véritable écosystème du feu caractérisé par l'appauvrissement de la flore, la sélection d'espèces pyrophiles (Erica reunionensis, Stoebe passerinoides, Hubertia tomentosa…), l'invasion de pyrophytes exotiques (Ulex europaeus notamment) ; seuls les grands remparts et les grandes ravines qui ont plus ou moins échappés au passage du feu ont conservé une flore altimontaine diversifiée. le pâturage sauvage des bovins, fréquemment accompagné par un ensemencement des pelouses naturelles altimontaines, est en train de compromettre la pérennité de ces pelouses endémiques en raison d'un envahissement compétitif d'espèces prairiales introduites comme Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante), Holcus lanatus (Houlque laineuse), Prunella vulgaris (Brunelle vulgaire), Taraxacum sect. Ruderalia (Pissenlit), Hypochaeris radicata (Porcelle radicante)… Tous ces noyaux de pelouses envahies servent de foyers d'invasion diffusant des diaspores dans les milieux voisins encore intacts. L'invasion actuelle des pelouses pionnières à Cynoglossum borbonicum sur lapillis mobiles, milieu d'une très grande originalité et endémique de la Plaine des Sables, par Anthoxanthum odoratum, Prunella vulgaris, Taraxacum sect. Ruderalia, Carex ovalis, Hypochaeris radicata… est devenue particulièrement préoccupante. Les deux exemples précédents mettent en exergue la problématique des invasions biologiques par des espèces introduites qui sont considérées au niveau mondial par l'UICN, comme le troisième facteur de perte de biodiversité après la destruction des habitats et la surexploitation des espèces. Les systèmes insulaires tropicaux apparaissent particulièrement vulnérables aux invasions biologiques comme l'ont montré de très nombreux travaux dans les îles tropicales. L'impact des processus invasifs sur les milieux et la flore indigène ne se limite pas aux faits végétaux, mais concernent les espèces animales introduites. Les rats, largement répandus dans toute l'île jusqu'au sommet du Piton des Neiges, consomment une quantité importante de fruits et de semences qui peuvent limiter de manière significative la régénération de plantes aux populations réduites. Il est en de même avec les Achatines, mollusques ravageurs de plantules et de jeunes pousses. Des études récentes ont ainsi montré que les prélèvements par les rats et les achatines étaient les principaux facteurs de régression actuelle du Mazambron marron (Aloe macra) (MEYER J.-Y. & PICOT F. 2001, JANSSEN P. 2003, PICOT F. 2005). La flore exotique introduite constitue le réservoir potentiel des phénomènes d'invasions végétales. Ces problématiques sont connues de longue date ; CORDEMOY (1895) écrit à propos du Raisin marron (Rubus alceifolius) : "Espèce originaire de l'Asie méridionale, importée il y a environ un demi-siècle. Aujourd'hui elle envahit presque toute l'île, étouffe la végétation indigène, détruit les forêts et devient un véritable fléau". Durant de longues décennies, l'ampleur des impacts des invasions biologiques sur les milieux naturels ne suscitera que peu de réactions, si ce n'est celle de R. LAVERGNE qui publie en 1978 en un premier mémoire sur "les pestes végétales de l'île de la Réunion". Mais ce n'est depuis une dizaine d'années à la suite des travaux de D. STRASBERG, C. LAVERGNE, S. BARET… que les invasions biologiques vont devenir une véritable problématique régionale de conservation de la biodiversité et susciter différentes initiatives de lutte et de prévention dont la coordination et la stratégie globale n'ont malheureusement pas encore trouvé de cadre à l'échelle de l'île. Les principaux végétaux dont le comportement invasif interfère avec le fonctionnement des végétations indigènes pouvant aller jusqu'à une secondarisation complète des habitats, sont bien connus. Il s'agit surtout de plantes anciennement introduites dans l'île comme Psidium cattleyanum (Goyavier), Rubus alceifolius (Raisin marron), Hedychium gardnerianum (Longose de Gardner), Hiptage benghalensis (Liane papillon), Lantana camara (Galabert), Boehmeria penduliflora (Bois chapelet), Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante)… Mais il existe aussi des invasions rapides d'espèces introduites plus récemment comme Ligustrum robustum subsp. walkeri, Clidemia hirta. Sur la base d'une échelle d'invasibilité proposée par C. LAVERGNE, l'Index de la flore vasculaire de la Réunion propose dans sa version 2006.1, la première analyse complète de l'invasibilité de la flore exotique spontanée (846 espèces) dont on trouvera ici pour la première fois le bilan global. 10 mai 2007 14 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Invasibilité de la flore exotique spontanée à la Réunion – Source : Index de la flore vasculaire de la Réunion, version 2006.1 [CBNM- V. Boullet, coord.] Niveau Taxon Nombre Taux d'invasibilité d'espèces d'invasibilité (%) 5 très envahissant en milieu 46 5,4 naturel 4 envahissant en milieu naturel 60 7,1 3 envahissant en milieu 197 23,3 anthropique 2 naturalisé et potentiellement 244 28,9 envahissant 1 non envahissant 274 32,4 0 non coté 97 3,0 46 espèces (soit 5,4 % de la flore exotique spontanée) sont considérées comme très envahissantes, pouvant dominer ou co-dominer dans les milieux naturels ou semi-naturels, et ayant un impact direct fort sur la composition, la structure et le fonctionnement des écosystèmes (niveau 5 de l'échelle). 60 (7,1 %) sont envahissantes en se propageant dans les milieux naturels ou semi-naturels avec une densité plus ou moins importante sans toutefois dominer ou co-dominer la végétation (niveau 4 de l'échelle). 197 (23,3 %) sont envahissantes en se propageant uniquement dans les milieux régulièrement perturbés par les activités humaines (bords de route, cultures, pâturages...) avec une densité plus ou moins forte (niveau 3 de l'échelle). 244 (28,9 %) sont potentiellement envahissantes, pouvant régénérer localement (naturalisé) mais dont l’ampleur de la propagation n’est pas connue ou reste encore limitée (niveau 2 de l'échelle). 274 (32,4 %) sont non envahissantes (niveau 1 de l'échelle) et 25 (soit 3,0 %) sont insuffisamment documentées et non encore cotées (niveau 0 de l'échelle). Destruction et altération des habitats, invasions biologiques, exploitation des végétaux (braconnage notamment) font peser des menaces d'extinction sur les plantes indigènes de l'île. J. DUPONT, J.-C. GIRARD et M. GUINET (1989) ont les premiers attirés l'attention sur l'ampleur de la problématique à la Réunion. Depuis, plusieurs listes d'espèces menacées ont été proposées ces dix dernières années sur la base des critères de menaces de l'UICN. La Liste Rouge à l'échelle mondiale publiée par l’IUCN en 1998 (WALTER & GILLETT) concernait à la Réunion 106 taxons de rang divers, dont six considérés comme éteints. Une liste rouge de 246 plantes menacées à la Réunion a été également proposée officieusement dans le cadre de la préparation de la Convention de Nairobi en 1999. Ces listes étaient basées sur les anciens critères de menaces de l'UICN qui ont fait l'objet, depuis, de plusieurs révisions en 1994 et 2001. La dernière mise à jour de la Liste Rouge mondiale de l'UICN pour la Réunion date du 25 septembre 2005. Elle concerne 14 plantes vasculaires ; elle est très incomplète et parfois mal informée. Depuis 2002, le Conservatoire Botanique National de Mascarin a entrepris une nouvelle évaluation des menaces d'extinction d'un taxon à la Réunion suivant la dernière échelle de catégories de l'UICN (version 3.1, 2001) et leur adaptation au niveau régional (UICN, version 3.0, 2003). Nous livrons ici les premiers résultats synthétiques de cette évaluation. Menaces d'extinction de la flore indigène de la Réunion selon les critères UICN (2001 et 2003) – Source : Index de la flore vasculaire de la Réunion, version 2006.2 [CBNM- V. Boullet, coord.] Catégorie de Taxon Nombre Taux de menace IUCN d'espèces menace (%) EX éteint 5 0,6 RE éteint au niveau régional 26 3,0 CR en danger critique d'extinction 124 14,1 EN en danger 58 6,6 VU vulnérable 72 8,2 NT quasi menacé 97 11,0 LC de préoccupation mineure 326 38,2 DD insuffisamment documenté 162 18,4 Ce nouveau bilan conforte globalement celui réalisé en 1999 à l'occasion de la convention de Nairobi. 254 espèces sont considérées comme menacées (catégories CR + EN + VU) à la Réunion suivant les critères de l'UICN, soit 30,0 % de la flore indigène sensu stricto. 124 de ces espèces menacées sont aujourd'hui en danger critique d'extinction (au moins dans la nature). Trois endémiques de la Réunion, Badula ovalifolia, Fernelia pedunculata et Mucuna pallida, deux endémiques des Mascareignes, Angraecum palmiforme et Claoxylon grandifolium sont considérées comme éteintes dans le monde. 26 autres espèces sont éteintes localement à la Réunion, dont 4 endémiques des Mascareignes. 10 mai 2007 15 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Bien qu'il s'agisse encore de chiffres provisoires, puisque le risque d'extinction de 162 espèces, insuffisamment documentées, n'a pu être évalué, ce bilan rappelle, une fois de plus, les menaces qui continuent à peser sur la flore de la Réunion. Diversité réduite mais forte endémicité du peuplement végétal naturel constituent donc les traits dominants de la flore indigène de l'île dont l'importance patrimoniale à l'échelle mondiale a été soulignée à l'occasion d'inventaires des zones prioritaires pour la préservation de la biodiversité planétaire. Ainsi, la Réunion appartient à l'un des 25 points chauds (hotspots) de la diversité biologique mondiale (MITTERMAIER & al. 1999 ; MYERS & al. 2000) et à l'un des 234 Centres de Diversité pour les Plantes (WWF & IUCN 1994). Plusieurs initiatives récentes ont également souligné, dans un contexte national, l'importance de ces patrimoines naturels d'outre-mer et la responsabilité internationale de la France dans leur conservation (GARGOMINY 2003). L'une d'entre elles, la Stratégie Nationale pour la Biodiversité a permis dans sa déclinaison spécifique à la Réunion, dite Stratégie Réunionnaise pour la Biodiversité (DIREN Réunion 2005), de définir un ensemble d'actions stratégiques nécessaires pour assurer le maintien à court et long termes de la flore indigène de l'île. La coexistence d'une flore indigène et d'une flore exotique peut être perçue comme un pool diversifié de ressources génétiques, par exemple sur le plan médicinal ou économique. Mais il ne faut pas perdre de vue que la flore exotique s'est généralement substituée aux plantes indigènes à la suite de l'altération et la destruction des habitats naturels qui ont été les processus les plus destructeurs de la biodiversité de l'île. Si une très grande majorité des plantes exotiques n'a pas quitté le domaine cultural ou a constitué la toile végétale des milieux anthropiques, d'autres se sont implantées dans les milieux naturels, généralement à la suite de perturbations anthropiques. Plusieurs de ces plantes introduites au comportement invasif, constituent aujourd'hui de graves menaces pour la conservation des habitats naturels et de la flore indigène de l'île. LES PRINCIPAUX HABITATS DE LA RÉUNION LE LITTORAL La végétation littorale de la Réunion a subi de plein fouet et très tôt, le développement démographique et économique de la Réunion. Ces dernières décennies, la demande touristique croissante attisée par les plages de sable, les loisirs de la mer et le climat tropical côtier ensoleillé a accentué la pression d'aménagement sur les rivages de l'île. L'action de l'homme, conjuguée à la réputation peu originale et peu diversifiée des littoraux tropicaux, lui a longtemps donné une place mineure dans l'éventail de biodiversité naturelle de l'île : dégradation extrême du milieu littoral par l'activité humaine, forte emprise des espèces exotiques introduites, transformation des paysages (plages à filaos), banalité des milieux littoraux tropicaux. Si ces remarques s'appliquent à juste titre à la végétation arrière-littorale (ou "adlittorale") en limite d'influence maritime et qui a été presque totalement détruite, il convient de les nuancer pour la frange strictement littorale soumise aux contraintes fortes du climat marin. Malgré d'évidentes perturbations anthropiques, l'action du 5 sel marin combinée aux vents a permis d'y maintenir une flore halophile caractéristique et structurer, par endroits, des séquences de végétation maritime primaire entières et bien organisées. On peut observer chez cette flore maritime, un lot varié d'adaptations biologiques et morphologiques au sel et aux vents marins : port des arbres et arbustes en drapeau ou en biseau, stratégies diverses d'évitement du sel (succulence, taille des feuilles réduites, cuticule épaissie, pilosité accrue…). 5 halophile : qui aime le sel, qui est lié au sel 10 mai 2007 16 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Replacée dans le contexte des côtes occidentales de l'océan Indien, la végétation littorale de la Réunion montre, contrairement à une opinion courante, une grande diversité de systèmes littoraux et, pour certains d'entre eux, une forte originalité. Celle-ci se traduit, outre le développement de communautés végétales propres à l'île, par la présence de plantes littorales strictement endémiques de la Réunion : Lavangère [Delosperma napiforme, Aizoaceae], Chamésyce du Gol [Chamaesyce goliana, Euphorbiaceae], Chamésyce verdâtre [C. viridula, Euphorbiaceae], La saliette [Psiadia retusa, Asteraceae]. On peut y ajouter quelques littorales préférantes, endémiques des Mascareignes comme le Bois de paille-en-queue [Monarrhenus salicifolius, Asteraceae], Lobélie rampante [Lobelia serpens var. serpens, Campanulaceae], une fougère, Ctenitis maritima [Dryopteridaceae], une sélaginelle [Selaginella salaziana, Selaginellaceae]. La géomorphologie du trait littoral, la nature physique du substrat, la pluviométrie et, dans une certaine mesure, le vent organisent directement, ou indirectement pour certains de ces facteurs, la répartition des plantes halophiles et halo-tolérantes6 et la végétation qu'elles composent. Sur les 120 km de côtes de l'île, on peut reconnaître, du point de vue des habitats, en fonction de la nature du substrat et du climat, sept systèmes littoraux majeurs : littoral sur sables de la côte "Sous-le-Vent", littoral sur galets alluvionnaires de la côte "Au Vent", littoral des trottoirs alluvionnaires des cônes torrentiels, littoral des trottoirs rocheux de la côte "Sous-le-Vent", littoral des trottoirs rocheux de la côte "Au Vent" avec deux sousensembles, une partie Sud, moins arrosée, de Saint-Philippe à Saint-Pierre et une partie Sud-Est, fortement arrosée de Saint-Philippe à Sainte-Rose, littoral des falaises smi-sèches "Sous-le-Vent", littoral des falaises humides "Au Vent". On peut y ajoutera en pointillé un huitième type de littoral à caractère estuarien et saumâtre, qui rassemble les végétations souvent fragmentaires des embouchures des ravines et petits estuaires, développées sur sédiments fins de sables, de limons et de graviers. Les plages de sable Les côtes sableuses sont pour l'essentiel limitées aux régions occidentales de l'île depuis la rivière des Galets jusqu'au Gol. Elle y occupent une trentaine de kilomètres et sont désormais fortement marquées par les aménagements touristiques et urbains. Par endroits, les sables littoraux se sont étendus vers l'intérieur des terres en nappes dunaires déposées sur des alluvions fluviomarines (Saint-Paul), sur une ancienne plateforme littorale (la Saline-les-Bains), ou encore soufflées sur les premières pentes du relief (dunes de l'Étang-Salé). Les sables de toutes ces dunes ont fait l'objet de fixation massive (filaos, bois exotiques divers) et les effets de la dynamique éolienne naturelle sont aujourd'hui limités. Plus au sud, on trouve encore quelques plages de sables dans de petites anses abritées comme à Grande-Anse, Grand-Bois…, parfois il ne s'agit que de minuscules lentilles sableuses (Pierrefonds, SaintPhilippe…). Lorsqu'ils se forment au niveau des récifs coralliens, les sables sont calcaires et souvent plus ou moins enrichis en graviers coralliens, ils prennent une teinte ardoise et deviennent basaltiques au voisinage du débouché des grands torrents drainant les cirques (littoral du Port, de Saint-Paul, de l'Étang Salé). Du point de vue des habitats et de leur végétation, on peut distinguer deux types principaux de plages de sables suivant qu'elles sont associées ou non à un lagon. Avec la protection du lagon, la mobilité des arènes sur la plage est réduite et l’accumulation de sables en haut d'estran ne concerne qu’un bourrelet de faible amplitude. L'étage supralittoral se limite alors à une bande sableuse étroite pouvant, par endroits, connaître une certaine extension et formés de petits cordons dunaires aplanis, sans cependant que l’on puisse réellement parler de systèmes dunaires différenciés. Hors lagon, l'accumulation de sables associée aux effets conjugués du vent et de la mer est propice au développement de véritables systèmes dunaires au relief caractéristique de crêtes et de dépressions (dunes de l'Étang Salé au Gol, microdunes du cimetière de Saint-Leu et de la Ravine des Sables). Toutes ces plages de sable portent en haut d'estran une végétation pionnière, adaptée à la mobilité des sables et façonnée par la Patate à Durand [Ipomoea pes-caprae subsp. brasiliensis, Convolvulaceae], parfois accompagnée de la Liane cochon [Canavalia rosea, Fabaceae]. Derrière ce premier rideau végétal, l'extinction 6 halo-tolérant : se dit d'une plante non spécifique aux milieux salés, mais qui présente une nette capacité de tolérance au sel 10 mai 2007 17 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet des mouvements de sable permet l'installation de pelouses dunaires sur sables fixés, avec deux types principaux : la pelouse d'estran sableux lagonaire à Cyperus stoloniferus et Cynodon dactylon, sur les arrièresplages des lagons (de Saint-Gilles à la Pointe des Trois-Bassins) ; la pelouse dunaire à Cassytha filiformis et Cynodon dactylon. Les plages de galets Les matériaux rocheux charriés par les grandes rivières et remaniés par le flux et le reflux sont déposés et dressés le long des côtes par les courants marins, où ils peuvent former de longues plages à galets. Ce type de rivage est présent sur une soixantaine de kilomètres dans tout l'est et le nord-est de l'île, mais aussi, plus localement, en quelques points du littoral Sud et Ouest. Il ne s'agit par endroits que d'un étroit estran de galets frangeant le trait littoral, mais pouvant s'élever en véritable cordons de plusieurs mètres de haut, isolant parfois au débouché de ravines ou de dépressions, de petites zones marécageuses (environs de Sainte-Suzanne et de Bois Rouge). La plage et les cordons de galets sont des milieux hostiles à l'implantation des végétaux. L'absence de sol, l'action du sel marin, mais surtout la trituration mécanique des galets empêchent le développement des végétaux. Il est nécessaire, le plus souvent, qu'un peu de sables ou de terre vienne colmater les galets, au moins à faible profondeur, pour favoriser l'installation de végétaux littoraux. Comme pour les estrans sableux, c'est encore la Patate à Durand qui est la première à coloniser les hauts de plage où elle est souvent le seul végétal présent. Juste derrière, en liaison avec une mobilité réduite des galets et un engorgement matriciel de sables et de limons, une pelouse supralittorale de Petit-chiendent [Cynodon dactylon, Poaceae] mêlée de Patate à Durand et de Liane cochon peut s'installer en arrière-plage. Les trottoirs rocheux Un trait original du littoral rocheux de la Réunion est l'existence d'une portion importante de côtes rocheuses basses. Ces côtes basses, hautes de quelques mètres et que l'on désigne couramment sous la formule évocatrice de "trottoirs rocheux", entretiennent des projections régulières d'eau marine sur une plateforme basaltique ± aplanie. Sur ces substrats vite brûlés par le soleil, les apports salins, l'alternance de phases arrosées et de phases de sécheresse représentent des conditions de vie extrêmes et particulièrement sélectives qui sont favorables à l'installation d'une végétation littorale spécialisée. Elle constitue un ensemble original d'habitats rocheux que l'on peut scinder, selon les conditions climatiques, en deux groupes : un système de trottoirs rocheux de la côte "Sous-le-Vent", développé sur les côtes rocheuses basaltiques sèches de la côte Ouest où il n'occupe que de faibles surfaces réparties en trois zones principales : sud de la Souris Blanche, Pointe au Sel, frange côtière entre la Pointe au Sel et Bois Blanc (au nord de la Ravine des Avirons). On en trouve encore quelques lambeaux entre la Grande Ravine et la Petite Ravine, ainsi qu'à la Pointe des Châteaux. un système de trottoirs rocheux de la côte "Au Vent", qui peut encore être subdivisé en deux sousensembles, l'un Sud, moins arrosé, de Saint-Philippe à Saint-Pierre, l'autre Sud-Est, fortement arrosé de Saint-Philippe à Sainte-Rose. L'existence et le développement de ces trottoirs rocheux littoraux sont directement dépendants de la hauteur et de la morphologie de la falaise battue par la mer qui conditionnent et déterminent le jet d'embruns. Comme l'écrivait très justement T. CADET (1980), "la largeur du trottoir varie donc en raison inverse de la hauteur de la falaise, de l'ordre du mètre à plusieurs dizaines de mètres...". Le caractère déchiqueté du trait de côte module aussi considérablement le jet d'embruns avec une alternance de secteurs protégés et de secteurs exposés où des phénomènes de soufflage étendent en "croc" la végétation littorale du trottoir. Ce soufflage d'embruns, associé fréquemment à de véritables incursions marines lors des tempêtes, installe un gradient de salinité décroissant depuis la falaise et auquel la végétation apporte une réponse fidèle sur le terrain, avec des variantes propres à chaque secteur. On peut regrouper les habitats de ces séquences littorales en trois bandes parallèles au trait littoral : - - - 10 mai 2007 une bande salés (halophile) fortement arrosée d'embruns colonisée par des pelouses pionnières et très ouvertes à Fimbristylis cymosa. Dans le secteur sud, la Lavangère y est fréquente, tandis que sur la côte ouest, elle manque et est remplacée par un Chamaesyce du groupe reconciliationis. une bande moyennement salée (mésohalophile) occupée par des pelouses littorales ± denses à Herbe pique-fesse [Zoysia matrella, Poaceae] sur la côte sud et Petit-chiendent [Cynodon dactylon, Poaceae]. Dans les ouvertures et les stades pionniers de ces pelouses, on trouve un petit lot de plantes littorales endémiques de la Réunion ou des Mascareignes comme Chamaesyce viridula, Lobelia serpens var. serpens au sud et Chamaesyce gr. reconciliationis à l'ouest. une bande faiblement salée (subhalophile) en limite d'étage supralittoral, marquant l'extinction de l'influence des embruns et occupée par des pelouses généralement denses et hautes cédant 18 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet facilement leur place à des fourrés littoraux à base de Manioc marron bord de mer [Scaevola taccada, Goodeniaceae] Les falaises littorales semi-sèches Les principales falaises littorales "Sous-le-Vent" se dressent entre Saint-Denis et la Possession. Jadis baignées par la mer, ces falaises imposantes en sont maintenant protégées par les aménagements de la route littorale. Le caractère maritime de ces falaises en est bien entendu atténué, ce qui profite aux plantes exotiques invasives. Avant tout inquiétantes et menaçantes, ces hautes falaises basaltiques aux parois noires et menaçantes, étaient jadis rongées en permanence par les vagues dont les assauts répétés, sapant régulièrement la base, ont entretenu de longue date la verticalité. Réservées aux as de la voltige, Paille-en-queue, oiseau emblème de la Réunion qui y a établi ses quartiers et Bois de paille-en-queue [Monarrhenus salicifolius, Asteraceae], accroché aux parois de la falaise? Cet arbrisseau, endémique de la Réunion et de Maurice, avec ses semences surmontées d'un parachute de soies et facilement emportées et disséminées par le vent, peut coloniser les milieux les plus inaccessibles. Un bon exemple d'adaptation aux falaises instables et à la colonisation des parois "neuves". Malgré tout, le couple "paille-en-queue" oiseau et plante, si symbolique qu'il soit, ne peut résumer à lui seul, la très grande diversité de la falaise maritime qui entre la Possession et Saint-Denis, constitue un des sites de falaises maritimes les plus remarquables de l'océan Indien occidental. Alternance de parois et de corniches rocheuses le long d'un gradient vertical faisant passer des ambiances maritimes baignées d'embruns de la partie inférieure de la falaise aux conditions chaudes et semisèches intérieures de la côte sous-le-vent, présence de nombreux suintements et cascades, variation de climats entre la Possession et Saint-Denis : plus arrosé au nord, plus sec au sud…, autant de facteurs qui expliquent la richesse en habitats de ces falaises littorales… Parmi eux, les parois verticales à Bois de paille en queue, par leur couleur vert grisâtre, et les corniches herbeuses à graminées (Heteropogon contortus et Cymbopogon caesius), qui forment de petites savanes primaires perchées sur la falaise, retiennent le plus l'attention du voyageur qui parcourt la route littorale de La Possession à Saint-Denis. Tandis, qu'à l'abri des regards, installées sur les vires inaccessibles des hauteurs de la falaise au sein de fourrés semi-xérophiles pionniers, les derniers pieds sauvages de Ruizia cordata, de Foetidia mauritiana, etc. échappent encore au sabre et à la tronçonneuse… Dommage que la végétation de ces falaises n'ait jamais été vraiment étudiée, alors qu'en installant une grande voie routière au pied de ces falaises, l'homme a non seulement inauguré le cauchemar routier de l'océan Indien, mais provoqué la fin du règne maritime de ces falaises et l'envahissement progressif par les plantes exotiques. Les falaises littorales humides Les falaises élevées et exposées aux embruns de la côte "Au Vent" occupent une bonne part du littoral de Saint-Pierre à Sainte-Rose en alternance avec les trottoirs rocheux des falaises basses. Les conditions optimales de développement des habitats de ces falaises sont obtenues avec des profils presque verticaux et irréguliers, alternant ressauts, parois, éboulis et colluvionnements divers. De tels profils résultent d'une constitution hétérogène des falaises quand alternent des bancs de lave compacts, des lits scoriacés ou encore des poches de matériaux pyroclastiques. L'habitat le plus représentatif et le plus spectaculaire de ces falaises est le fourré supralittoral des falaises au vent à Saliette [Psiadia retusa, Asteraceae] et Manioc marron bord de mer [Scaevola taccada, Goodeniaceae]. Les populations de Saliette présentes sur ces falaises montrent un feuillage variable : feuilles tantôt planes, glabres et peu charnues, tantôt velues, fortement charnues et creusés en cuillères, et qui suggèrent l'existence possible d'écotypes différents. Cette variation ne paraît guère affecter les propriétés de tolérance au sel des tissus foliaires de l'arbrisseau auquel les noms populaires de "La saliette", "La salière" ou encore de "Bien salée", rappellent un usage ancien, quand on la consommait en guise de salaison, à l'époque où le sel se faisait rare dans les boutiques ! Un usage qui a tiré sa révérence, car dame Saliette est désormais protégée ! Sur le front de ces falaises maritimes, associé aux ressauts, corniches et vires basaltiques, on retrouve également différentes végétations halophiles pionnières plus discrètes, également présentes sur les trottoirs rocheux, comme la végétation pionniére à Chamaesyce verdâtre [Chamaesyce viridula, Euphorbiaceae] et Lavangère [Delosperma napiforme, Aizoaceae] et l'ourlet littoral halo-nitrophile sur falaises et trottoirs rocheux hygrophiles à Lysimaque de Maurice [Lysimachia mauritiana, Myrsinaceae] et Souveraine de mer [Lycium 10 mai 2007 19 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet mascarenense, Solanaceae]. Quelques exemples qui montrent, une fois de plus et contrairement à une opinion courante, la richesse et la diversité des habitats et de la végétation de ces falaises maritimes. Lorsque les falaises sont suffisamment hautes, on peut observer juste au-dessus de l'étage supralittoral aspergé régulièrement d'embruns, quelques lambeaux de forêts hygrophiles adlittorales (c'est-à-dire accolées au littoral proprement dit). On y voit souvent de petites populations isolées de vacois [Pandanus utilis, Pandanaceae], qui semblent bien y être naturelles et parfois le rare Bois d'ortie [Obetia ficifolia, Urticaceae]. Il s'agit peut-être de l'habitat originel du Vacoi, aujourd'hui largement cultivé sous les tropiques, que l'on a longtemps crû introduit à la Réunion, mais qui semble, à la lumière de plusieurs travaux récents, originaire de cette île. FORÊTS, FOURRÉS ET LANDES, DU LITTORAL AU SOMMET DES VOLCANS La forêt est potentiellement la végétation climacique d'une grande partie de la Réunion à l'exception des régions de haute altitude où des contraintes écologiques extrêmes empêchent l'installation d'arbres et la formation de forêts. La limite supérieure de la forêt est approximativement de 1900 m sur la côte au vent, un peu plus, 2000 m, sur la côte sous le vent. Plus haut, une succession de végétations de plus en plus basses (fourrés, matorrals puis landes) marque l'influence croissante de l'altitude parallèlement à des conditions écologiques de plus en plus sévères. Les sols squelettiques et constamment érodés ne constituent jamais de réserve d'eau importante et limitent le développement d'une biomasse végétale importante. Ailleurs, le domaine forestier s'estompe ponctuellement : sur la façade littorale la plus salée, là où les embruns marins brûlent le feuillage des quelques arbres qui s'aventurent à proximité de la mer et s'opposent à la présence d'une végétation arbustive et arborée sur une distance généralement courte [de l'ordre de quelques dizaines de mètres du haut de l'estran, parfois moins quand le trait littoral s'élève (trottoirs élevés, falaises maritimes] ; au niveau des cours d'eau et ravines actives, où les crues violentes des épisodes pluvieux (cycloniques ou non) éradiquent régulièrement l'installation téméraire de quelques essence pionnières sur les terrasses alluviales ; sur les parois plus ou moins verticales des falaises et des remparts des cirques et des grandes ravines. Les trois grands types de forêts tropicales de la Réunion (semi-sèches, humides de basse altitude, humides de montagne) possèdent des traits structuraux, biologiques, écologiques et floristiques suffisamment différents pour constituer des domaines forestiers bien individualisés et caractéristiques. Les forêts chaudes et semi-sèches de l'ouest et du nord de l'île subissent une période de sécheresse marquée et longue de plusieurs mois ; de fortes variations de l'humidité atmosphérique du sous-bois (30 à 80 %) rythment les saisons, les alternances de périodes pluvieuses et sèches. La canopée discontinue, haute de 10-15 m, entretient une ambiance forestière globalement claire. Le nombre d'essences ligneuses est de l'ordre d'une quarantaine et l'hétérophyllie juvénile est fréquente. Dans le sous-bois, les lianes sont bien représentées, tandis que les épiphytes sont plutôt rares et surtout installées à la base des troncs. Les fougères sont assez peu nombreuses (10-15 % de la flore vasculaire) et les fougères arborescentes manquent. Les forêts chaudes et humides de basse altitude de l'est et du sud de l'île ne connaissent pas véritablement de périodes de sécheresse et l'humidité atmosphérique du sous-bois est élevée et relativement constante (80 à 100 %). La forêt est dense et la canopée continue, haute de 10-20 m. La diversité des essences ligneuses est maximale pour la Réunion avec une cinquantaine d'espèces. L'hétérophyllie juvénile est limitée aux stades pionniers de la forêt. Dans le sous-bois, les lianes sont peu représentées, par contre 10 mai 2007 20 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet les épiphytes abondent sur les fûts rectilignes et élevés des arbres et autres supports disponibles. Les fougères sont nombreuses (25 % de la flore vasculaire) et recouvrantes ; les fougères arborescentes sont fréquentes sous la canopée. Les forêts fraîches et humides de la zone des nuages baignent dans une humidité atmosphérique constante et très élevée (90 à 100 %). La forêt présente un aspect luxuriant, voire exubérant. La canopée est moyennement élevée (8-10 mètres), quelque peu discontinue et typiquement dépassée par la couronne de frondes des fougères arborescentes. La diversité des essences ligneuses est plus faible que pour les forêts précédentes et ne dépasse guère la trentaine d'espèces. L'hétérophyllie juvénile est limitée à une essence pionnière, le Tamarin des hauts. Le sous-bois où les lianes sont toujours rares, est le royaume de l'épiphytisme qui profite au maximum du port ramifié et fortement sinueux de la majorité des arbres et arbustes. Les fougères épiphytes et humicoles sont diversifiées (30-40 % de la flore vasculaire) et occupent toutes les niches écologiques favorables. LES ZONES BASSES ET SÈCHES DE LA CÔTE SOUS LE VENT ET LES RELIQUES DE FORÊTS SEMI-SÈCHES Les zones basses et chaudes de la côte sous le vent, des cirques de Mafate et de Cilaos étaient certainement couvertes à l'origine de forêts semi-sèches. Cette enveloppe forestière qui devait s'étendre de manière plus ou moins continue depuis le massif de la Montagne jusqu'aux terres occupées aujourd'hui par l'agglomération du Tampon, a été détruite rapidement dès les premiers temps de la colonisation. La proximité des premiers établissements humains sur la côte, réclamant bois de construction et de chauffe, les plantations agricoles qui suivirent de caféiers puis de canne à sucre l'ont réduit progressivement à une peau de chagrin. Les rares vestiges de ces boisements primaires subsistant encore de nos jours sont principalement réfugiés sur les flancs des grandes ravines et des remparts inaccessibles. Il s'agit surtout de lambeaux fortement déstructurés et envahis de plantes exotiques et de fourrés pionniers installés sur pentes fortes au substrat instable et, finalement, peu représentatifs de l'état originel des forêts semi-sèches. Si ces vestiges ne donnent donc qu'une idée sommaire de la végétation forestière potentielle de la zone, on a, grâce à eux, un témoignage inestimable de la flore forestière inféodée au secteur chaud et sec de la Réunion. Cette flore est surtout composée de petits arbres et d'arbustes héliophiles, généralement endémiques de l'île ou des Mascareignes et qui représentent, aujourd'hui, la part la plus menacée de la flore de la Réunion. Parmi les essences significatives de cette zone semi-sèche, on citera le Bois dur [Securinega durissima, Euphorbiaceae], le Bois puant [Foetidia mauritiana, Lecythidaceae], le Bois d'huile [Erythroxylum hypericifolium, Erythroxylaceae], le Bois de Judas [Cossinia pinnata, Sapindaceae], le Tanguin pays [Stillingia lineata, Euphorbiaceae], le Bois de lait [Tabernaemontana persicariifolia, Apocynaceae], le Bois d'olive noir [Olea europaea subsp. africana, Oleaceae], la Liane d'olive [Secamone volubilis, Apocynaceae]… D'autres essences comme le Bois blanc rouge [Poupartia borbonica, Anacardiaceae], le Bois d'éponge [Gastonia cutispongia, Araliaceae], etc. croissent également dans les régions "Au vent" plus humides du sud de l'île, mais dans ce cas sur des escarpements rocheux ou des coulées de laves récentes, la sécheresse édaphique venant compenser une plus grande humidité atmosphérique. Dans ces vestiges de forêts semi-sèches océaniques de la Réunion, l'adaptation à la saison sèche est peu marquée, contrairement au caractère décidu dominant des formations équivalentes de Madagascar, de Mayotte et d'Afrique de l'est. Les arbres conservent ici leur feuillage sempervirent et se contentent de réduire les surfaces foliaires et d'acquérir un limbe plus coriace. Le Bois d'huile, le Bois d'olive grosse peau [Pleurostylia pachyphloea, Celastraceae], le Bois d'olive noir en sont de bons exemples. 10 mai 2007 21 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Pourtant quelques arbres perdent leur feuillage à la saison sèche comme le Bois blanc rouge, le Bois de senteur bleu [Dombeya populnea, Malvaceae], le Bois de poivre [Zanthoxylum heterophyllum, Rutaceae]. Mais ces essences sont trop disséminées dans le couvert arboré pour donner une impression de forêt caducifoliée… Les escarpements rocheux semi-secs Dans la zone semi-sèche, les parois rocheuses verticales des versants les plus abrupts des grandes ravines, les crêtes rocheuses saillantes fortement exposées à l'érosion, sont occupées par des végétations herbacées et arbustives pionnières s'accrochant aux parois, corniches et vires de ces falaises. Ces différentes situations topographiques influencent considérablement l'installation du tapis végétal. S'ancrant dans les fentes, fissures et anfractuosités de la paroi, la Perle [Rhipsalis baccifera, Cactaceae], la seule cactée indigène de l'île, la Liane sans feuille [Sarcostemma viminalis, Apocynaceae] donnent à ces parois sèches un air de succulence et offrent un bel exemple de convergence morphologique et biologique. Même allure de baguettes charnues articulées et pendantes, même choix d'adaptation à la sécheresse du milieu, même mode de dissémination par les oiseaux de leurs baies blanchâtres… En cas de doute, le latex blanc, signature de la famille des Apocynacées et qui s'écoule en abondance à la moindre blessure des tiges, lèvera l'incertitude. Sur les ressauts et les petites corniches des parois de la falaise, Cymbopogon caesius [Poaceae] figurent de petites savanes pionnières et primaires qui hébergent quelques rares pieds de Mazambron marron [Aloe macra, Asphodelaceae], aloès endémique de la Réunion. Dans d'autres régions occidentales de l'océan Indien comme Madagascar et les Comores, on trouve également associées aux corniches des falaises littorales et intérieures, différentes savanes pionnières et d'autres espèces du genre Aloe endémiques locales. Elles représentent souvent de véritables petits inselbergs que l'on pourrait comparer aux paysages des falaises semi-sèches les plus saillantes et les plus exposées de la Réunion. Les ravines sèches L’ensemble des ravines qui découpent les zones basses des planèzes de la côte "Sous-le-vent" apporte un lot original d’habitats, à caractère essentiellement saxicole (végétation des vires et corniches rocheuses), rupicole (végétation des parois rocheuses), cavernicole (végétation des anfractuosités) et torrentiel (végétation du lit de la ravine encombré de rochers et galets alluvionnaires). La diversité écologique combinant toute la gamme des influences hydriques, lumineuses, édaphiques et thermiques tranche fortement avec les planèzes voisines entièrement occupées par les cultures et les friches enrichis d'exotiques. Les ravines constituent alors un réservoir floristique et un refuge pour la flore et les habitats primaires disparus des planèzes avoisinantes ; on peut y trouver les dernières populations de la flore semi-sèche de l'île. Les ravines n'apportent pas uniquement un complément inestimable de diversité de flore et d'habitats aux planèzes avoisinantes, mais interfèrent aussi fortement avec leur distribution altitudinale. Comme tout corridor bien pentu, les ravines favorisent la migration à la fois ascendante et descendante des plantes et de leurs communautés, tout en créant par le jeu des expositions et de la géomorphologie (protection des vents, des froids, ombrage...), une forte diversité interne d'habitats propices à la cohabitation de végétations d'étages différents. Plus qu'une simple fonction de corridor, les ravines sèches modulent la séquence de végétation altitudinale observable sur la planèze offrant alors un réservoir sans égal de diversité métissée. Les parois qui bordent le lit des grandes ravines sèches constituent un ensemble d'habitats rocheux variés. Les parois verticales ensoleillées et sèches sont souvent spectaculaires lorsqu'elles portent leur draperies de Perle [Rhipsalis baccifera, Cactaceae] associées au Bois de chenilles [Monarrhenus pinifolius, Asteraceae], arbrisseau aux allures curieuses de bonzaï de pin des Landes. Dans la "famille" Monarrhenus, genre endémique 7 des Mascareignes, le Bois de chenilles est le "frère" du Bois de paille-en-queue [Monarrhenus salicifolius, Asteraceae], mais ils ne se fréquentent guère… Ce dernier est inféodé aux falaises maritimes de la Possession à Saint-Denis, le Bois de chenilles aux falaises intérieures. Querelle de famille ou, plus justement, un bel exemple de spéciation sympatrique liée à des écologies différentes ; on parlera ainsi de vicariance écologique pour ces deux espèces voisines. Les petites anfractuosités et les fissures de la paroi, parfois en conditions légèrement ombragées, sont le domaine des Actinioptérides [Actiniopteris sp., Pteridaceae], littéralement "fougères rayonnées", que l'on reconnaît d'emblée à la silhouette en éventail de leurs frondes. On peut trouver dans ces petites niches rocheuses, trois espèces de fougères rayonnées, un bel échantillon d'éventails donc : entier chez A. dimorpha, en 7 Bois de chenilles est aussi le nom du Clerodendron heterophyllum, une lamiacée (anciennement verbénacée) endémique de la Réunion et de Maurice. 10 mai 2007 22 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet demi-éventail chez A. semiflabellata, réduit chez A. australis. Les deux premiers sont présents dans l'est de l'Afrique et la région malgache, le dernier est endémique de Maurice et de la Réunion. Les savanes herbeuses Quand vient la saison sèche, les savanes herbeuses de l'ouest de l'île prennent une couleur orangée, presque de feu. Une teinte chaude qui tranche avec le vert dominant de la végétation réunionnaise et que l'on doit à une graminée sociale, l'Herbe polisson [Heteropogon contortus, Poaceae] qui bâtit la trame végétale de ces savanes. Subtil équilibre entre le passage plus ou moins régulier du feu et un pâturage extensif, la savane à Herbe polisson est un espace pastoral associé traditionnellement au parcours des troupeaux de bœufs moka. Une tradition agricole qui a façonné une bonne partie des zones les plus arides de l'Ouest, mais dont il ne subsiste pour héritage que les vastes savanes du Cap La Houssaye et quelques fragments disséminés aux environs des agglomérations du Port, de la Saline les Bains, de Saint-Leu et de Pierrefonds. L'impression de savane homogène, pour ne pas dire monotone, qui s'offre de loin au voyageur longeant la côte "Sous le vent", est trompeuse. Dans son organisation optimale, la savane est une mosaïque de végétations étroitement imbriquées, combinant : des pelouses herbacées vivaces basses (pelouses savanicoles) généralement dominées par une graminée sociale à forte multiplication végétative, Bothriochloa pertusa, que l'on peut identifier en toute saison par l'odeur camphrée de ses rhizomes ; des végétations de hautes herbes à Herbe polisson, constituant la savane au sens strict ; des végétations pionnières riches en petites légumineuses et graminées annuelles, installées dans les ouvertures des pelouses et de la savane, comme Zornia gibbosa [Fabaceae], Alysicarpus bupleurifolius [Fabaceae], Hibiscus sidiformis [Malvaceae], Aristida depressa [Poaceae]. Ce triptyque optimal en terme de biodiversité varie rapidement avec les fluctuations de la gestion pastorale associée au feu. Si le pâturage régresse ou s'arrête, les tonsures et les pelouses finissent par disparaître au profit de la savane à Herbe polisson qui se pique alors progressivement d'arbustes : Tamarin d'Inde (Pithecellobium dulce), Galabert (Lantana camara), Cassi (Leucaena leucocephala), Acacia farnesiana… Les incendies, non suivis de pâturage, banalisent également peu à peu le complexe savanicole, favorisant largement l'Herbe polisson et la repousse rapide des arbrisseaux déjà installés qui bénéficient du stock de matières minéralisées produites par les incendies. Les savanes herbeuses à Herbe Polisson occupent une zone proche du littoral, la plus chaude et la plus ensoleillée de l'île, où les précipitations moyennes n'atteignent pas les 1000 mm par an et probablement beaucoup moins dans quelques secteurs (Pierrefonds, Le Port, Saint-Leu, Cap La Houssaye). On retrouve là les traits climatiques généraux et les conditions de sécheresse atmosphérique des zones adlittorales de l'ouest de l'océan Indien, comme à Madagascar, Mayotte, Mohéli, etc. L'impact de la sécheresse de l'air est renforcé ici par les affleurements rocheux et les sols squelettiques qui les recouvrent. Au-delà des seules savanes à Herbe polisson dont la structure composite a été évoquée précédemment, les paysages de savanes sont émaillés d'affleurements rocheux de basaltes noirs, brûlés par le soleil, où 8 s'installent des colonies de fougères héliophiles et saxicoles à base d'Actiniopteris semiflabellata et de Pellaea viridis (sous une forme particulière adaptée à la sécheresse et la chaleur du milieu). Savane et végétation potentielle Quelle pouvait être la végétation originelle de ces savanes maigres avant l'arrivée de l'homme ? À la recherche de tels paysages perdus, à l'affût des moindres témoignages historiques, s'est forgée l'idée d'une savane primaire naturelle au couvert arboré peu dense, piquetée de bosquets ou d'arbres isolés, notamment de Latanier rouge [Latania lontaroides, Arecaceae]… la savane à Benjoin et Latanier. Mythe, image d'un milieu intact ou déjà perturbé par l'homme, déduite de textes vagues et souvent déjà trop tardifs ? À titre de comparaison, sur les îles sèches du nord-ouest de Madagascar (Mitsiu et îles voisines), les forêts semi-sèches adlittorales offrent dès le premier incendie, un aspect de savane herbeuse piquetée d'arbres et de bosquets qui ont échappé au feu, et, quelques incendies plus tard, de grandes savanes herbeuses à "Latanier", en fait le Satra [Bismarckia nobilis, Arecaceae], palmier local à silhouette identique à celle des lataniers des Mascareignes et cultivé à la Réunion, particulièrement bien adapté au feux courants (palmes perchées au sommet du tronc à l'abri du feu, tronc succulent et lisse…). Un sujet en tout cas passionnant et de belles perspectives de recherches historiques qui pourront guider et étayer les aménagements futurs. 8 saxicole : qui vit sur les rochers 10 mai 2007 23 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet LA COLONISATION DES COULÉES DE LAVE L'émergence de nouveaux substrats constitue un laboratoire biologique et écologique sans pareil pour observer les successions primaires de végétation. À l'instar des études faites à Hawaii, l'observation de la végétalisation des coulées de laves du Piton de la Fournaise permet de reconstituer les étapes qui conduisent en quelques centaines d'années des laves nues aux forêts climaciques de la Côte au Vent. Jusque là, c'est surtout l'implantation de la forêt tropicale humide de basse altitude ("forêt à Sapotacées") qui a été étudiée. La colonisation végétale des coulées de laves est avant tout liée aux capacités de dissémination des espèces. Le vent amène aisément les spores des lichens, des bryophytes, des ptéridophytes et de quelques phanérogames à semences légères (Orchidées) ou adaptées au vol (nombreuses Astéracées). Les oiseaux de petite taille apportent de nombreuses graines et fruits charnus. Seuls les fruits lourds ne possèdent plus aujourd'hui les disséminateurs naturels frugivores qu'étaient autrefois les perroquets et les roussettes, maintenant disparus. Tous ces mécanismes dynamiques aboutissant à l'établissement d'une forêt primaire sur ces coulées de lave ne sont donc plus aujourd'hui totalement fonctionnels. Entre certaines coulées de laves, subsistent quelques îlots forestiers miraculeusement épargnés de la forêt tropicale humide, appelés "kipukas" (terme hawaien). Ces enclaves ont une fonction essentielle de réservoir dans les processus d'alimentation et de dissémination des végétaux. La dynamique naturelle est malheureusement de plus en plus perturbée par diverses plantes exotiques envahissantes qui utilisent les mêmes voies de dissémination que la flore indigène pour coloniser les coulées de laves. Les plus actives sont le Filao [Casuarina equisetifolia, Casuarinaceae], le Goyavier [Psidium cattleyanum, Myrtaceae] et le Bois chapelet [Boehmeria penduliflora, Urticaceae]. Dans la série primaire de colonisation végétale des coulées de laves du Piton de la Fournaise, il est possible de distinguer schématiquement six étapes successives : - stade pionnier à Lichens ; après le refroidissement des laves, des lichens commencent rapidement à s'installer. La Fleur de roche [Stereocaulon vulcani] recouvre assez vite les surfaces ensoleillées des laves, tandis que dans les anfractuosités abritées et plus humides, s'installent les premières mousses. - stade pionnier à Fougères héliophiles ; des matières organiques se sont accumulées dans les concavités des laves et les premières plantes vasculaires peuvent s'implanter. Les plus constantes sont Nephrolepis abrupta [Davalliaceae], une fougère à forte capacité d'expansion végétative, et le Bois de rempart [Agauria salicifolia, Ericaceae]. - stade arbustif clairsemé à Bois de rempart et Bois de fer bâtard ; la strate herbacée s'est densifiée et les fougères héliophiles à souche traçante occupent fortement le terrain : Nephrolepis abrupta, mais aussi Nephrolepis biserrata et Phymatosorus scolopendria [Polypodiaceae]. Une strate arbustive clairsemée commence à s'établir. Le Bois de rempart, de plus en plus présent, est maintenant accompagné du Bois de fer bâtard [Sideroxylon borbonicum var. capuronii]. - fourré dense à Bois de fer bâtard ; un fourré dense s'est formé que les oiseaux fréquentent de plus en plus. Ils introduisent de nouvelles espèces et les fourrés se diversifient de plus en plus. - stade de la jeune forêt à Petit natte ; les premières essences sciaphiles se sont implantées et commencent à émerger. Une strate arborée se met en place avec comme espèce dominante, le Petit natte [Labourdonnaisia callophylloides, Sapotaceae]. - stade de la forêt mature à Petit natte ; la forêt tropicale humide s'est progressivement mise en place avec le développement de l'épiphytisme, l'apparition des espèces humicoles dans la strate herbacée, le vieillissement et la disparition des essences pionnières comme le Bois de rempart. 10 mai 2007 24 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet LES FORÊTS TROPICALES HUMIDES DE BASSE ALTITUDE La forêt tropicale humide de basse altitude, appelée localement "forêt de bois de couleurs des bas" ou "forêt à sapotacées" en raison de la prédominance des essences de cette famille, représente la végétation climacique de l'étage mégatherme hygrophile. Le climat est globalement chaud et humide, les pluies abondantes (2000 à 5000 mm) bien réparties sur toute l'année, il n'y a pas de saison sèche. La forêt de bois de couleurs des bas occupait jadis toutes les basses terres de la Côte au Vent, depuis le littoral jusqu'aux limites de l'étage mésotherme (800 à 1000 m). On la retrouvait également sur le versant opposé de l'île sous la forme d'une étroite bande altitudinale de 300-400 m, située entre la forêt semi-sèche et la forêt de nuages. Elles ont été détruites massivement, notamment au 19ème siècle pour la culture de la Canne à sucre. Dans l'Est, il n'en subsiste aujourd'hui que quelques centaines d'hectares, plus ou moins bien conservés, installées sur des coulées volcaniques relativement récentes de la région de Saint-Philippe. Les vestiges les mieux préservés constituent la Réserve Naturelle de Mare Longue. Dans l'Ouest, la forêt de bois de couleurs des bas a quasiment disparu. Le peuplement forestier présente une grande diversité d'arbres et d'arbustes dont près d'un tiers sont particuliers à cette forêt. Les plus représentatifs sont le Petit natte [Labourdonnaisia callophylloides, Sapotaceae], le Grand natte [Mimusops maxima, Sapotaceae], le Bois de perroquet [Cordemoya integrifolia], le Bois de pomme rouge [Syzygium cymosum], le Bois de cabri [Casearia coriacea, Salicaceae], Bois de gouyave marron [Psiloxylon mauritianum, Psiloxylaceae] … Les palmistes, Palmiste rouge [Acanthophoenix rubra, Arecaceae] et Palmiste blanc [Dictyosperma album, Arecaceae], étaient autrefois abondants dans ces forêts, mais il n'existe généralement plus qu'à l'état de jeunes individus à la suite de leur exploitation abusive. Traits structuraux et biologiques des forêts tropicales humides de basse altitude L'humidité constante et élevée (80 à 100 % pratiquement en permanence) qui règne dans le sous-bois de la forêt tropicale humide de basse altitude favorise le développement des épiphytes : fougères, lycopodes, Orchidées, Pipéracées. Beaucoup de ces plantes profitent de l'hygrométrie ambiante pour coloniser tous les supports disponibles : tronc et branches, souches et arbres morts, rochers, dalles. Elles ont généralement un comportement plus humicole que corticole. Parmi les épiphytes stricts adaptés à la vie aérienne, le Nid d'oiseau [Asplenium nidus, Aspleniaceae] attire l'attention à de nombreux égards. Il s'agit au premier coup d'oeil d'une fougère spectaculaire de grande taille, aux frondes largement rubanées pouvant atteindre 2 m de long. Son adaptation à la vie épiphytique est également remarquable. Les frondes, disposées en rosette, interceptent pluie, poussières et débris végétaux divers qui finissent par s'accumuler au coeur de la rosette. La matière humique ainsi piégée constitue un substrat perché exploitable par d'autres épiphytes. L'ophioglosse pendante [Ophioglossum pendulum, Ophioglossaceae], facilement reconnaissable avec ses longues frondes rubanées pendantes et entortillées, semble apprécier tout particulièrement ce micro-habitat. Bien que le Nid d'oiseau soit une plante protégée et menacée d'extinction à la Réunion, elle continue malheureusement à attirer la convoitise des collectionneurs et être récoltée dans la nature. Dans la forêt humide de basse altitude, les troncs des arbres sont droits et élevés (7-15 m en moyenne). Contrairement aux autres forêts de la Réunion, on peut y circuler sans trop de difficultés. La stratification du couvert forestier est relativement complexe en raison de la grande diversité d'essences. La canopée dense, presque sans discontinuité, est dépassée ça et là de quelques grands arbres émergents pouvant dépasser les 20 m de haut, sans que l'on puisse réellement parler d'une strate arborée supérieure. La canopée ne laisse filtrer que peu de lumière et l'ambiance lumineuse du sous-bois est assez sombre. Les lianes, peu favorisées par la densité du couvert et la hauteur de la canopée sont rares. La plus répandue est le Lingue à poivre [Piper borbonense, Piperaceae], endémique de Maurice et de la Réunion. Ces forêts se sont installées sur des coulées de lave relativement récentes pour la plupart, et les rochers basaltiques affleurent souvent, recouverts d'un tapis de fougères, de sélaginelles et de quelques Peperomia [Piperaceae]. On voit également au sol, diverses plantes humicoles dont de grandes Orchidées comme Calanthe candida, Phaius tetragonus… La strate herbacée comprend encore de nombreux jeunes plants des essences ligneuses de la canopée. La présence d'une telle banque de juvéniles est un trait caractéristique des forêts tropicales humides. 10 mai 2007 25 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet LES FORÊTS TROPICALES HUMIDES DE MONTAGNE À partir de 800-900 m sur le versant au vent, de 1000-1100 m sur le versant sous le vent, commence la ceinture presque continue de forêts tropicales humides de montagne qui marque l'étage mésotherme de la Réunion. C'est la zone fraîche et pluvieuse des brouillards et des nuages qui s'accrochent au relief, un monde où règne une humidité constante propice à l'exubérance des mousses, des fougères et des épiphytes. C'est le domaine de la forêt de nuages ou "forêt néphéléphile" (du grec néphélê : le nuage), encore appelée "forêt de brouillards" ; à la Réunion, on lui donne le nom de "forêt de bois de couleurs des Hauts", parfois de "forêt à Sterculiacées" ou de "forêt à mahots", en raison de la présence de nombreuses espèces de Mahots [Dombeya pl. sp., Malvaceae – N.B. - Le genre Dombeya appartenait auparavant à la famille des Sterculiacées]. Comme si aucun de ces noms ne pouvait à lui seul représenter l'importance, l'originalité et la diversité écologiques et biologiques de ces forêts. Quoi qu'il en soit, la terminologie scientifique leur préfère aujourd'hui l'appellation internationale de "forêt tropicale humide (ou hygrophile) de montagne". Au-delà de 1600-1900 m (parfois 2000 m), selon les secteurs de l'île, la forêt de nuages cède la place aux formations altimontaines de fourrés, éricoïdes et landes qui caractérisent les hautes altitudes de la Réunion. Le passage est généralement progressif et se fait souvent par l'intermédiaire de forêts de transition à Tamarin des Hauts [Acacia heterophylla, Fabaceae], la limite altitudinale supérieure de la forêt de nuages devenant alors difficile à établir précisément. Dans la forêt de nuages, la diversité des essences ligneuses, bien que moins importante que celle des forêts humides de basse altitude, reste élevée : une trentaine d'espèces se partagent couramment les strates arborées et arbustives. Les plus représentatives de l'étage mésotherme et des forêts de nuages sont d'abord les Fanjans [fougères arborescentes du genre Cyathea, Cyatheaceae, avec trois espèces dont une Cyathea glauca, particulière aux forêts de nuages] et les Mahots, avec huit espèces dont six caractéristiques de ces forêts : Dombeya reclinata, le plus facile à reconnaître avec la pubescence roussâtre dense de son feuillage, D. punctata, D. pilosa, D. ferruginea subsp. borbonica, D. ficulnea, D. blattiolens. Viennent ensuite les Mapous [Monimia rotundifolia, M. amplexicaulis, Monimiaceae], les Bois de tambour [Tambourissa crassa, T. elliptica subsp. elliptica, Monimiaceae], le Bois de lousteau [Chassalia gaertneroides], divers Bois de catafaille [genre Melicope, Rutaceae (les espèces étaient auparavant placées dans le genre Euodia)] telles que Melicope coodeana, M. irifica, M. obscura, M. obtusifolia, M. simplex, le Gros patte poule [Melicope obtusifolia, Rutaceae], etc. D'autres essences ligneuses fréquentes dans ces forêts ont une plage altitudinale beaucoup plus large et se retrouve à plus basse altitude dans la forêt de bois de couleurs des bas, comme, par exemple, le Losto café [Gaernera vaginata, Rubiaceae], le Bois d'osto [Antirhea borbonica], le Bois de corail [Chassalia corallioides]… Relief élevé et tourmenté, conditions climatiques assez sévères (pluies, brouillards, forte nébulosité, températures assez basses) ont certainement contribué à la préservation de ces forêts d'altitude qui forment encore aujourd'hui un vaste ensemble de plus de 30 000 ha, soit près de la moitié de l'étage mésotherme. Des défrichements importants ont certes été réalisés, dans les Hauts de l'Ouest au début du 20ème siècle pour la culture du géranium, plus récemment dans les plaines (Plaine des Cafres, Plaine des Palmistes) pour l'établissement de pâturages, ou encore, plus ponctuellement, pour établir une sylviculture de production (plantations monospécifiques de Cryptoméria). Par ailleurs, l'ensemble des perturbations humaines qui au cours de ces trois derniers siècles ont affecté les forêts de nuages, y a largement favorisé l'extension de plantes envahissantes telles que le Longose de Gaertner [Hedychium gardnerianum, Zingiberaceae], le Raisin marron [Rubus alceifolius, Rosaceae], le Fuchsia de Bolivie [Fuchsia boliviana, Onagraceae], etc. 10 mai 2007 26 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Malgré tout, la forêt tropicale humide de montagne de la Réunion constitue par sa superficie, sa continuité, son état global de conservation, un ensemble exceptionnel et unique dans le monde des îles océaniques. Traits structuraux La canopée de la forêt humide de montagne est haute de 5-10 m, parfois plus dans des conditions abritées (vallonnements, petites ravines). Son caractère sempervirent et globalement luisant varie peu au cours de l'année. Les floraisons sont plutôt ternes ou peu visibles, à l'exception de celles des mahots qui, par l'abondance de leurs inflorescences, avivent de blanc, de rose et de rouge la nappe verte et luisante du feuillage de la forêt. Les fanjans émergent ici et là de la canopée profitant de l'humidité permanente de l'air. À l'intérieur de la forêt, règne une exubérance et un fouillis végétal sans ordre apparent. Dans une atmosphère constamment saturée d'humidité, mousses, lichens, plantes épiphytes ont envahi tous les supports disponibles : troncs, branches, souches, chablis. Les arbres ramifiés dès leur base, les arbustes aux branches sinueuses contribuent également au foisonnement de ces supports. Dans cet univers enchevêtré, la stratification de la forêt est souvent peu lisible. Les lianes, par contre, sont peu nombreuses et peu présentes ; elles ne jouent d'ailleurs qu'un rôle mineur dans la structure et la composition floristique des forêts de nuages de la Réunion. Le sol est encombré de troncs couchés, de bois pourrissants. La végétation qui s'y développe, quand elle n'est pas envahie par le Longose de Gardner, est essentiellement composée de fougères. Dans certains secteurs (comme les Hauts du Tévelave, les Makes), cette zingibéracée tapisse totalement le sol de la forêt, sans pour cela, empêcher totalement la régénération et le fonctionnement dynamique de la forêt. Quand le Longose manque ou reste peu recouvrant, la diversité de la strate herbacée s'exprime plus librement. Les fougères omniprésentes côtoient alors des orchidées humicoles, à grandes feuilles, tiges allongées et inflorescences colorées comme la Calanthe des bois [Calanthe sylvatica, Orchidaceae], et plus rarement Phaius pulchellus, ou, au contraire, discrètes et peu visibles comme divers Liparis. Quelques autres familles sont également représentées, surtout les Urticacées (Pilea pl. sp., Elatostema fagifolium) et les Cypéracées (divers Carex, notamment Carex boryana, C. gr. wahlenbergiana). Épiphytisme L'épiphytisme atteint dans la forêt tropicale humide de montagne un développement optimal : il s'agit là certainement de son trait écologique et biologique le plus saillant. En fait, le terme d'épiphytes rassemble des situations bien différentes au plan écologique : épiphylles, lorsque les végétaux (généralement des hépatiques et des lichens) colonisent des feuilles (épiphytisme foliaire), corticoles, lorsque les végétaux s'installent directement sur les écorces des troncs et des branches, humo-corticoles, quand ils profitent à la fois d'une faible accumulation d'humus et de la présence directe du substrat végétal, humicoles, lorsque l'épaisseur d'humus est suffisante pour devenir le substrat lui-même, exploité par les racines des végétaux épiphytes. Dans ce dernier cas, la plante support porte plus le milieu que les végétaux épiphytes eux-mêmes. Dans cet univers complexe de l'épiphytisme, les bryophytes (mousses et hépatiques) sont omniprésents, occupant toutes les niches disponibles. Les espèces et les communautés végétales qu'ils composent réagissent finement aux caractéristiques écologiques du support (type, texture et pH, position verticale, éclairement, accumulation ± importante de matière humique, hygrométrie, suintements d'eau…). Les bryophytes sont d'ailleurs fortement impliqués dans l'évolution des conditions écologiques du support, participant activement à la production et l'accumulation d'humus. Les différentes plantes vasculaires épiphytes que l'on rencontre dans les forêts de nuages ont généralement, selon les conditions évoquées précédemment, un comportement écologique préférentiel, parfois strict, parfois plus large. Les manchons de mousses et d'humus qui se développent autour des troncs verticaux ou horizontaux constituent, par exemple, un substrat particulièrement favorable à de nombreuses espèces qui trouvent dans ces situations humo-corticoles, des conditions idéales d'implantation et de développement. Les orchidées sont ici nombreuses : divers Cynorkis, Angraecum, Jumellea, Liparis, Polystachya, de nombreux Bulbophyllum, Benthamia nigrescens, Arnottia mauritiana, etc. ; les fougères sont également bien représentées : diverses Hymenophyllacées (genres Hymenophyllum et Trichomanes), nombreux Elaphoglossum [Lomariopsidaceae], Fougère pieuvre [Lepisorus excavatus, Polypodiaceae], etc. Les placages épais d'humus qui s'accumulent dans les creux des ramifications, sur les troncs et grosses branches horizontales sont favorables à des végétaux de biomasse souvent importante qui se retrouvent aussi en position terrestre. Les plus spectaculaires sont sans aucun doute l'Ananas marron [Astelia hemichrysa, Asteliaceae] au nom commun évocateur et la Canne marron [Cordyline mauritiana, Asparagaceae] au feuillage en éventail, un peu à la manière de l'Arbre du voyageur [Ravenala madagascariensis, Strelitziaceae]. Par leur taille et leur silhouette familière, ces deux épiphytes marquent fortement l'ambiance des sous-bois des forêts de nuages de la Réunion. 10 mai 2007 27 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Fougères arborescentes Lorsqu'ils émergent de la canopée comme autant de petits parasols perchés au-dessus de la forêt hygrophile de montagne, les fanjans traduisent la fréquence des brouillards et les fortes condensations matinales. Symbole majestueux des forêts tropicales humides, clin d'œil à l'exubérance des formes aériennes qu'autorise l'humidité constante de l'atmosphère, les fanjans sont des fougères arborescentes atteignant, lorsque les conditions sont favorables, 10 à 15 mètres de haut. Les stipes (ou "troncs", mais le terme n'est pas approprié pour des fougères), parfois ramifiés, portent au sommet une couronne de grandes frondes (l'équivalent des feuilles pour les fougères), plus ou moins découpées. Trois espèces indigènes de fanjans existent à la Réunion. Parmi elles, le Fanjan roux [Cyathea glauca, Cyatheaceae], endémique de la Réunion, est inféodé aux forêts de nuage. On le reconnaîtra à ses frondes divisées trois fois et à la pubescence rousse des axes des frondes, ce dernier caractère bien visible sur les jeunes frondes, notamment lorsqu'elles sont encore enroulées en crosse au-dessus de la couronne de frondes déployées. Malheureusement, comme chez le Fanjan femelle [Cyathea excelsa, Cyatheaceae], le stipe du Fanjan roux est garni dans sa partie inférieure d'un manchon de racines adventives, utilisé pour confectionner des pots et des supports horticoles pour la culture des épiphytes ; il reste pour cette raison une cible recherchée des braconnniers et fait l'objet d'un commerce parallèle encore répandu. LES FOURRÉS SUR AVOUNE Sur les crêtes du relief, dans certains secteurs fortement arrosés et soumis à un lessivage important des sols, les potentialités forestières de l'étage mésotherme semblent bloquées à un stade arbustif riche en Branle vert [Erica reunionensis, Ericaceae]. Cette formation d'éricacées constitue habituellement une étape dynamique préparatoire de la forêt tropicale humide de montagne. Le sol, constamment engorgé, s'acidifie fortement (ph moyen de 4,5 à 5), s'appauvrit en éléments nutritifs assimilables, tandis que l'humus brut provenant des feuilles d'Éricacées, des frondes de fougères, des Sphaignes et des mousses entrave probablement l'activité biologique de décomposition des micro-organismes. Dans ces conditions, des débris végétaux s'accumulent lentement et finissent par former une couche de matériaux végétaux peu décomposés, épaisse d'un à deux mètres, appelée "avoune" (il faudrait entre 5 000 et 15 000 ans pour obtenir 1 m d'avoune). Par extension, et de manière impropre, on a aussi donné le nom d'avoune aux fourrés portés par de tels sols. Le Branle vert, dans ces biotopes très particuliers, possède une croissance extrêmement lente. Avec le temps, il finit néanmoins par constituer des massifs arbustifs hauts de quelques mètres (généralement 4-5 m) aux troncs énormes (jusqu'à 1 m de diamètre !). Ces formations sont apparemment très stables et leur physionomie est totalement dépendante du Branle vert, les autres essences ligneuses rencontrées étant discrètes et souvent chétives. Bien qu'elles aient généralement un comportement d'essences pionnières, elles ne paraissent jouer qu'un rôle mineur dans l'organisation et la diversité des fourrés sur avoune. Le sol des fourrés sur avoune est un entrelacs de troncs et de branches dont les interstices sont comblés par l'avoune, un sol qui peut d'ailleurs devenir dangereux lorsque l'avoune s'épaissit. Dans ces conditions, il n'existe pas au sol de véritable strate herbacée, mais plutôt un ensemble de plantes épiphytes au comportement humo-corticole qui profite de l'omniprésence des manchons de mousses sur les troncs et les branches surmontant l'avoune. On y voit surtout de petites orchidées du genre Cynorkis, notamment Cynorkis coccinelloides, ou encore Arnottia mauritiana… La véritable strate épiphytique est par contre peu présente, l'ambiance relativement lumineuse et l'écorce du Branle vert se desquamant régulièrement étant des facteurs peu favorables à son développement. LES TAMARINAIES Les forêts de Tamarin des hauts [Acacia heterophylla, Fabaceae], ou tamarinaies, sont présentes dans la partie supérieure de l'étage mésotherme entre 1300 et 1800 m sur la côte au vent, 1500 et 1900 m sur la côte sous le vent. Les tamarinaies ont en commun la dominance d'une même essence, le Tamarin des hauts qui, par son port incliné et tortueux, 10 mai 2007 28 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet par son feuillage clair, imprime au sous-bois un aspect et une ambiance lumineuse caractéristiques. Bien qu'elles s'inscrivent zonalement dans les potentialités de la forêt tropicale humide de montagne, les tamarinaies ont suivi un trait évolutif différent, mis en place après incendie. Espèce pionnière héliophile, le Tamarin des hauts à besoin d'une pleine lumière pour germer, ce qui explique qu'on ne trouve aucune régénération du Tamarin des hauts dans la tamarinaie lorsqu'il existe un sous-étage développé. Incapable de germer en sousbois, le Tamarin des hauts ne régénère sur place qu'après incendie ou dégagement du sousbois ou après coupe à blanc. La mise en place d'une forêt entièrement dominée par le Tamarin des hauts n'a donc pu se réaliser qu'à l'occasion d'une ouverture brutale et vaste du tapis végétal, telle qu'un incendie ou un cyclone peut le faire. Si l'on tient compte que les tamarinaies les plus pures se situent dans les secteurs nord et ouest de l'île où la fréquence et le caractère dévastateur des incendies sont les plus élevés, il est probable que les incendies aient été le moyen le plus efficace pour installer et maintenir ces tamarinaies. En l'absence de nouvelles perturbations, les tamarinaies s'enrichissent progressivement en espèces ligneuses caractéristiques des forêts de l'étage mésotherme, laissant penser que le terme évolutif final est bien la forêt tropicale humide de montagne. La génèse de la tamarinaie et les processus dynamiques de reconstitution de la forêt de nuages potentielle peuvent expliquer l'hétérogénéité structurale et floristique des tamarinaies et les principales variantes rencontrées : - tamarinaie monodominante à Fougère bleue [Histiopteris incisa, Hypolepidaceae], généralement sur des sols présentant un horizon superficiel à mascareignites [cet horizon est constitué de 80 % de silice (d'origine végétale) et n'est pas issu d'un processus pédogénétique ; il pourrait avoir pour origine l'incendie d'un fourré à éricacées sur avoune épaisse] ; - tamarinaie à Calumet [Nastus borbonicus, Poaceae], répandue sur la Planèze des Bénares. Le Calumet est le seul bambou indigène de la Réunion ; il a pour particularité de résister aux feux et d'être favorisé par les incendies. La tamarinaie à Calumet est d'ailleurs bien représentée dans les Hauts de l'Ouest et sur la Roche Écrite, justement les secteurs les plus fréquemment incendiés. - tamarinaie à bois de couleurs des hauts, représentant une forme d'évolution vers la forêt tropicale humide de montagne. Traits structuraux La canopée des tamarinaies est composée quasi exclusivement du Tamarin des hauts [Acacia heterophylla, Fabaceae], sauf dans la variante de transition vers la forêt de bois de couleurs des hauts dont elle emprunte les essences pionnières. Cette strate arborée est clairsemée, peu recouvrante et entretient en sousbois un climat relativement lumineux. Sa hauteur varie de 7 à 20 m, rarement plus, en fonction des stades de maturité de la forêt. L'enracinement superficiel du Tamarin des hauts rend la tamarinaie particulièrement vulnérable aux cyclones qui la déracinement aisément. La strate arbustive est généralement peu diversifiée et peu recouvrante, sauf dans la variante à Calumet [Nastus borbonicus, Poaceae] où ce bambou endémique forme des taches denses pouvant dépasser les 75 % de recouvrement. Au sol, le développement d'une strate herbacée est fréquemment limité par les conditions édaphiques contraignantes des sols de la tamarinaie, notamment en présence d'un horizon superficiel de mascareignite ou de litière de Calumet. La Fougère bleue [Histiopteris incisa, Hypolepidaceae] est la seule plante herbacée capable de prospérer dans ces conditions. Le Tamarin des hauts Le Tamarin des hauts [Acacia heterophylla, Fabaceae] est une légumineuse endémique de la Réunion du genre Acacia, vaste groupe de 1200 espèces répandu dans la plupart des régions tropicales et subtropicales du globe. Il est très proche d'un acacia d'Hawaï, Acacia koa, qui en diffère principalement par son caractère drageonnant. Une telle disjonction d'aire entre ces deux espèces affines reste difficile à expliquer et soulève un problème intéressant de biogéographie. 10 mai 2007 29 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Autre sujet de curiosité, l'hétérophyllie du Tamarin des hauts, inhabituel à haute altitude. Les feuilles des plantules et des rejets sont bipennées (divisées deux fois) tandis que les feuilles adultes sont réduites au pétiole élargi (phyllodes), toutes les transitions tant possibles entre ces deux formes. Le Tamarin des hauts fournit un bois d'œuvre jaune clair à brun rouge, très apprécié en ébénisterie. Il fait l'objet d'une commercialisation réglementée et d'une sylviculture de production concentrée dans les Hauts de l'Ouest et en forêt de Bébour. LA VÉGÉTATION ALTIMONTAINE Émergeant de la "mer de nuages" qui ceinture l'île au-dessus de 2000 m, la végétation des sommets de la Réunion est le domaine des formations éricoïdes [éricoïde : qui ressemble aux bruyères] d'altitude, marqué par l'absence d'arbres et le développement d'arbrisseaux à petites feuilles. Cette végétation caractérise à partir de 1800-1900 m, l'étage oligotherme (ou microtherme) aux conditions climatiques sévères et froides : température moyenne annuelle inférieure à 12°C, gel hivernal fr équent avec des minima atteignant –5°C sous abri, ensoleillement important (> 2000 h annuellement), écart journalier de températures très important. De nombreux traits communs climatiques et végétaux existent entre cet étage oligotherme de la Réunion et les hautes montagnes de l'Est de l'Afrique (étage éricoïde des Monts Kenya, Ruwenzori, Kilimanjaro, Elgon...) et de Madagascar (étage altimontain malgache). Des affinités existent aussi avec les îles de la Macaronésie (étages orocanarien et supracanarien des Canaries, sommets de Madère, étage éricoïde des Açores...). En ce qui concerne la flore, les traits floristiques communs de la zone afrosubalpine (Africe de l'est, Madagascar, Réunion) sont une faible diversité mais une très grande originalité, avec un taux élevé d'endémisme, des familles dominantes communes (Ericaceae, Asteraceae, Poaceae, Cyperaceae), de nombreux genres communs (Erica, Helichrysum, Stoebe, Carpha, Festuca, Poa, Panicum, Helictotrichon)... À la Réunion, la flore des hautes montagnes comprend environ 60 espèces avec un taux d'endémicité dépassant les 90 %. Trois genres sont endémiques : Eriotrix [Asteraceae], Faujasia [Asteraceae], Heterochaenia [Campanulaceae]. D'aspect assez homogène au premier abord, les végétations altimontaines présentent pourtant une organisation altitudinale, dynamique et géomorphologique bien tranchée. Ainsi, depuis les sommets de l'île (Piton des Neiges 3069 m, Grand Bénare 2890 m, Piton de la Fournaise 2631 m), il est possible de suivre le passage progressif des végétations éricoïdes prostrées à Branle blanc [Stoebe passerinoides, Asteraceae, endémique Réunion] aux forêts mésothermes à Tamarin des hauts [Acacia heterophylla, Fabaceae, endémique Réunion]. Cette séquence altitudinale est particulièrement bien visible sur la planèze des Bénares (Massif du Piton des Neiges) en raison de son inclinaison régulière. Dans le Massif de la Fournaise, la zonation altitudinale est plus délicate à visualiser, mais la succession théorique de la végétation éricoïde depuis les sommets de l'île est la même : - landes prostrées à Branle blanc, Hubertia tomentosa var. conyzoides [Asteraceae, endémique Réunion], Psiadia argentea [Asteraceae, endémique Réunion], Psiadia sericea [Asteraceae, endémique Réunion], Faujasia pinifolia [Asteraceae, endémique Réunion], Disa borbonica [Orchidaceae, endémique Réunion] ; - mattorals bas à Phylica nitida [Rhamnaceae, endémique Réunion], Branle blanc, Branle vert [Erica reunionensis, Ericaceae, endémique Réunion] ; - mattorals hauts (brousse éricoïde) à Branle vert, Fleur jaune des hauts [Hypericum lanceolatum subsp. angustifolium, Hypericaceae, endémique Réunion], Ambaville blanche [Hubertia tomentosa var. tomentosa, Asteraceae, endémique Réunion], Tamarin des hauts... ; - taillis altimontains à Petit tamarin des hauts [Sophora denudata, Fabaceae, endémique Réunion] et Tamarin des hauts. 10 mai 2007 30 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Les pelouses altimontaines La séquence de végétation éricoïde, typique des affleurements rocheux des planèzes altimontaines, est fréquemment associée dans les dépressions et couloirs d'érosion à des pelouses et tomillars (ou garrigues) altimontains. Selon la granulométrie de ces accumulations sédimentaires, deux types de végétation peuvent être distingués : tomillars altimontains à Thym marron [Erica galioides, Ericaceae, endémique Réunion], Satyrium amoemum [Orchidaceae, Ouest océan Indien] sur graviers et cailloux, généralement au niveau de terrasses latérales dans les couloirs d'érosion ; pelouses altimontaines à Poaceae et Cyperaceae endémiques (Festuca borbonica, Panicum lycopodioides, Pennisetum caffrum, Agrostis salaziensis, Ischaemum koleostachys, Costularia sp., Carex borbonica...) sur sédiments plus fins, souvent en position centrale du couloir. Avec ses fleurs à deux éperons faisant penser à la dentition d'un vampire ou d'un satyre, le genre Satyrium est facile à identifier. Le botaniste Olof Swartz ne pouvait faire plus évocateur en nommant ainsi ce genre. Pourtant ces orchidées aux jolies fleurs roses égayant à la saison des pluies le tapis terne des pelouses d'altitude, ne sont-elles pas charmantes ? C'est probablement ce que pensait Louis Marie Aubert du Petit Thouars en lui attribuant l'épithète d'amoenum, qui signifie "charmant" en latin. Ainsi quand vous vous promènerez à la fin de l'été austral dans les hauteurs de l'île, ne vous étonnez plus d'y rencontrer de charmants satyres… Localement, les parties planes où s’accumulent les matières humiques, les cuvettes où l’eau peut stagner quelques temps, entretiennent une hydromorphie temporaire favorable à l’installation d’espèces des milieux frais à humides. Dans de bonnes conditions de drainage, l'hydromorphie des sols est à peine marquée par la végétation. Isolepis fluitans [Cyperaceae], Pseudognaphalium luteoalbum [Asteraceae] peuvent signaler ces très faibles conditions d’humidité édaphique et participent à des variantes subhumides des pelouses altimontaines. Dans les cas où l'hydromorphie persiste plus longuement, la composition floristique des pelouses est modifiée. Helichrysum arnicoides, Centella asiatica apparaissent d'abord et différencient des pelouses fraîches. Avec une plus forte hydromorphie, une pelouse humide à Ericaulon striatum [Eriocaulaceae, probablement endémique Réunion], Laurembergia veronicifolia [Haloragaceae, probablement endémique Réunion], Helichrysum arnicoides, Isolepis fluitans... remplace la pelouse fraîche précédente. Sur les lappilis mobiles (ce substrat est bien développé dans la Plaine des Sables), existe un type particulier et original de pelouse pionnière, très ouverte et avec une très faible diversité. Cynoglossum borbonicum [Borraginaceae, endémique Réunion] en est l'espèce caractéristique et souvent unique. Dans les stades de fixation de ces lappilis, on peut observer une autre pelouse associée à des conditions de stabilisation des lapillis à Poa borbonica [Poaceae, endémique Réunion, du groupe de Poa pratensis]. Les remparts d'altitude Au niveau des falaises des caldeiras et des ravines qui dissèquent les planèzes de l'étage altimontain, existent des landes, mattorals et fourrés d'aspect similaire aux végétations éricoïdes des planèzes. Ils sont typiquement établis sur les corniches, les vires et les pieds de ces falaises. De plus, il existe sur ces falaises des habitats rocheux portant des végétations rupicoles ("vivant sur les parois") installées dans des conditions écologiques variées (ensoleillées, ombragées, sèches ou fraîches). Une flore endémique de la Réunion très particulière et très rare est associée à ces falaises : Eriotrix commersonii [Asteraceae], E. lycopodioides [Asteraceae], Faujasia cadetiana [Asteraceae], Heterochaenia rivalsii [Campanulaceae], Elaphoglossum stipitatum [Elaphoglossaceae], Psiadia salaziana [Asteraceae], Senecio ptarmicifolius [Asteraceae], espèce longtemps considérée comme éteinte et qui vient récemment d'être retrouvée. Des fougères et des lycopodes altimontains remarquables sont également présents : Lellingeria myosuroides, Elaphoglossum rufidulum, E. hybridum var. vulcani, Asplenium kassneri, Polystichum wilsonii, Huperzia saururus... Longtemps préservés, les systèmes de végétation altimontaine des planèzes et des falaises sont maintenant fortement perturbés directement ou indirectement par l'homme. Trois groupes de perturbations majeures et plus ou moins liées sont impliqués ici : feu, plantes invasives et pastoralisme. Les incendies naturels étaient probablement rares par le passé et peut-être associés à des périodes d'activité volcanique. Aujourd'hui les feux répétés affectent la totalité de l'étage éricoïde. Ces feux sont volontaires ou involontaires, mais fréquemment associés à des activités de pâturage. Leur impact est désormais très fort et transforme peu à peu les systèmes primaires et naturels de végétation altimontaine en systèmes pyrophytiques et appauvris. Les principales modifications sont les suivantes : réduction de la diversité spécifique, sélection d'un petit nombre d'espèces indigènes au comportement pyrophytique (banque de semences du sol importante et germination favorisée par le feu), expansion d'espèces invasives tempérées au comportement pyrophytique 10 mai 2007 31 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet identique (Anthoxanthum odoratum, Holcus lanatus, Prunella vulgaris), accélération des processus dynamiques avec une représentation excessive et incomplète des stades pionniers. Le pastoralisme se manifeste le plus visiblement par l'implantation de pâtures. Les activités théoriquement contrôlées ont surtout affectées les limites inférieures de l'étage altimontain, mais la divagation incontrôlée des troupeaux est ici beaucoup plus problématique. Elle participe fortement à la diffusion de plantes pastorales exotiques et envahissantes (Anthoxanthum odoratum, Holcus lanatus, Prunella vulgaris, Taraxacum sect. Ruderalia...) et à la dégradation (eutrophisation, piétinement, broutage) de la végétation altimontaine primaire. Protégées du feu et du pâturage, les falaises et remparts d'altitude apparaissent désormais comme l'ultime refuge et le réservoir de toute la flore altimontaine. Ils doivent à ce titre être préservés de tout aménagement et perturbations anthropiques. LES ZONES HUMIDES Les zones humides de la Réunion comprennent : le réseau hydrographique avec près de 800 ravines dont 155 principales représentant un linéaire d'environ 1500 km. L'ensemble du réseau est caractérisé par un régime discontinu et torrentiel. Seul une douzaine de cours d'eau ont un caractère véritablement permanent. les étangs et petites collections d'eau, aux eaux calmes à faiblement courantes. Ils sont peu nombreux et offrent des caractéristiques différentes en fonction de l'altitude. les prairies humides, les marais et les forêts marécageuses, associés à des sols hydromorphes, gorgés d'eau, au moins pendant une bonne partie de l'année. La nature et le régime des cours d'eau sont étroitement dépendants des conditions pluviométriques des bassins versants, mais aussi de la nature géologique du sous-sol qui diffère dans chacun des deux massifs volcaniques de l'île. Trois régions hydrologiques principales peuvent être distinguées en tenant compte de ces différences : dans le massif de la Fournaise, régulièrement et fortement arrosé, les substrats relativement récents favorisent l'infiltration plutôt que les écoulements de surface. Le réseau hydrographique est peu dense et possède un caractère temporaire prédominant. Les cours d'eau permanents se limitent pour l'essentiel aux entailles profondes de la Rivière de l'Est, de la Rivière des Remparts et de la Rivière Langevin. le massif du Piton des Neiges consiste, quant à lui, en matériaux peu perméables à l'origine d'un réseau hydrographique très dense et fractionné en une multitude de petits bassins versants. Le versant au vent, copieusement arrosé, présente de nombreux cours d'eau permanents. inversement, les ravines du versant sous le vent du Piton des Neiges, abrité des pluies, ne possèdent qu'un caractère toujours temporaire. Ces ravines de l'Ouest ne sont fonctionnelles qu'à l'occasion d'épisodes pluvieux importants. Les trois rivières qui traversent les régions de l'ouest (Rivière des Galets, Bras de Cilaos, Bras de la Plaine) sont en fait des cas particuliers d'exutoires de bassins versants situés en partie dans les régions pluvieuses du centre de l'île. Les collections d'eau (étangs, mares et vasques) sont assez peu nombreuses à la Réunion. En fonction de leurs caractéristiques morphologiques, physico-chimiques, climatiques et de leur origine, trois catégories peuvent être distinguées. Les étangs de haute altitude sont de petites pièces d'eau formées naturellement dans les cuvettes et dépressions des ravines et des plaines de haute altitude. Souvent, il ne s'agit que de petites mares, à caractère plus ou moins temporaire, s'asséchant facilement pendant l'hiver austral. Certaines de ces mares paraissent avoir été creusées ou recreusées pour abreuver les troupeaux (mares du Plateau de Thym, de la Savane Cimetière…). Les eaux 10 mai 2007 32 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet recueillies par un impluvium de haute altitude aux sols maigres et squelettiques sont de nature oligotrophe et généralement acides. Elles sont alors fréquemment baignées de sphaignes. Plus bas, à l'étage mésotherme, les étangs sont très rares, le seul vraiment conséquent étant le Grand Étang. Dans un écrin de forêts humides de montagne bien pourvues en matières humiques, les eaux de cet étage sont mésotrophes et plus productives. À Grand Étang, elles présentent sur leurs bordures une superbe succession de ceintures végétales amphibies. Dans les régions chaudes des basses terres de l'île, les étangs sont surtout situés à proximité du littoral. Ils se sont formés en arrière de cordons dunaires qui, en empêchant l'écoulement naturel des eaux de ruissellement, ont permis la création de grandes pièces d'eau. Les étangs actuels de Saint-Paul et du Gol en sont deux bons exemples. D'autres étangs arrière-littoraux ont disparu : Étang Salé, qui a donné son nom à la commune, Étang Saint-Leu, Lagune de L'Hermitage. L'étang de Saint-Paul L'étang de Saint-Paul est la zone humide la plus vaste de l'île. Son nom d'étang évoque surtout un temps révolu lorsque les eaux libres occupaient encore de vastes superficies. Depuis, les processus de sédimentation et d'envasement, accélérés par l'érosion des terres déboisées, ont conduit aux paysages de vastes roselières à Papyrus qui dominent aujourd'hui. Comme les deux autres grands étangs proches du littoral (Gol, Bois Rouge), l'étang de Saint-Paul est apparu dans l'angle mort d'un cône de déjection (ici la Rivière des Galets, exutoire du cirque de Mafate), à la suite de la formation d'un cordon de galets et de sables dans la baie de Saint-Paul. Les déboisements, l'extension des cultures dans le bassin versant de l'étang ont accrû les effets de l'érosion. L'étang piège les sédiments et ce décanteur naturel s'envase peu à peu permettant l'extension des roselières au détriment des eaux libres. Au cours de ce processus d'envasement, les roselières contribuent elles-mêmes à la sédimentation qui s'accélère donc de manière concomitante au développement de la végétation. Les eaux de l'étang de Saint-Paul, riches en bases (alcalines avec un pH entre 7 et 8) sont toujours sous influence de la nappe salée marine. Elles sont donc bien pourvues en chlorures (± 400-500 mg/l), avec un caractère saumâtre qui devient sensible pour la végétation vers l'exutoire de l'étang. L'effet de marée s'y fait, chaque jour, légèrement sentir, mais ce marnage maritime n'est rien aux côtés des variations importantes et brutales du niveau des eaux, rythmées par le fonctionnement de l'exutoire à la mer où alternent des phases d'ouverture et de fermeture. Cette alternance de remplissage et de vidage de l'étang fait suite au colmatage de l'exutoire par un cordon de galets, installé par la houle et les courants marins, puis à la rupture brusque de ce cordon. L'étang de Saint-Paul devait présenter jadis une succession régulière de ceintures de végétations depuis les eaux libres jusqu'aux rives probablement boisées. La réduction des espaces aquatiques et l'atterrissement général de l'étang ne facilitent guère aujourd'hui l'observation de cette organisation de la végétation. On peut cependant, en quelques points, reconnaître le long d'un gradient d'envasement, la succession suivante : un complexe de végétations aquatiques plus ou moins intriquées, associant un herbier aquatique enraciné et immergé à Hydrille verticillée [Hydrilla verticillata, Hydrocharitaceae], un herbier aquatique enraciné à feuilles flottantes, à base de nénuphars [Nymphaea sp., Nymphaeaceae] ou, plus rarement, de Potamot de Thunberg [Potamogeton thunbergii, Potamogetonaceae], un voile flottant et mobile de pleustophytes ; des parvo-roselières subaquatiques à Renouée du Sénégal [Polygonum senegalense, Polygonaceae] et Songe [Colocasia esculenta, Araceae], installées sur vases molles et frangeant la bordure des eaux libres et précédant souvent les véritables roselières ; moins aquatiques que les précédentes et préférant les vases plus consolidées, des roselières diverses, notamment à Papyrus [Cyperus papyrus, Cyperaceae]. La végétation aquatique La rareté des collections d'eau à la Réunion ne permet qu'un développement limité des végétations aquatiques. Malgré tout, on retrouve dans l'île les trois grands types fondamentaux de végétations aquatiques : végétations flottantes libres et mobiles, herbiers aquatiques enracinés à feuillage flottant, herbiers aquatiques enracinés et immergés. La végétation aquatique mobile est de loin la plus répandue et la plus voyante. Elle constitue, par opposition au plancton, le "pleuston" et rassemble des végétaux macroscopiques libres et mobiles, appelés "pleustophytes". De taille variée, la plupart de ces pleustophytes flottent à la surface des eaux calmes et dérivent au gré des courants et des vents. Ce pleuston s'échoue souvent dans le feuillage flottant ou entre les tiges des végétaux enracinés. Il peut aussi s'ancrer provisoirement dans la vase lors des périodes d'exondation. Les pleustophytes possèdent tous de grandes facultés de multiplication végétative et forment des voiles flottants plus 10 mai 2007 33 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet ou moins denses à la surface des eaux. Ils peuvent connaître des phases d'extension rapide lorsque des conditions favorables de développement sont réunies (abondance de nutriments, température élevée). La plus petite espèce du pleuston réunionnais est la Lentille d'eau tropicale [Lemna aequinoctialis, Araceae], compagne fidèle de toutes les eaux tropicales, la seule qui soit indigène à la Réunion. Les autres espèces du pleuston réunionnais ont été introduites : Laitue d'eau [Pistia stratiotes, Araceae], à large répartition pantropicale, Salvinie [Salvinia molesta, Salviniaceae], fougère aquatique stérile aux feuilles insubmersibles originaire d'Amérique du sud, Jacinthe d'eau [Eichhornia crassipes, Pontederiaceae]. Ces trois dernières espèces peuvent devenir envahissantes dans des conditions d'eutrophisation importante des eaux douces, au point de modifier fortement les conditions de lumière et d'oxygénation et de gêner la vie aquatique, voire parfois la pêche et la navigation. Sur les vases atterries des étangs, se développent des roselières aux aspects variants avec le type de roseau dominant. Toutes ces végétations ont en commun un substrat gorgé d'eau et baigné par une lame d'eau d'épaisseur variable et fluctuant selon les saisons. Elles sont constituées de grandes plantes aux bourgeons enfouies dans la vase (hélophytes) et aux allures générales de roseau, d'où le nom de roselières données à ces formations. La multiplication végétative est souvent le principal mode de constitution de ces roselières. La roselière à Papyrus [Cyperus papyrus, Cyperaceae] qui couvre aujourd'hui l'étang de Saint-Paul, est l'exemple même de la roselière clonale formée par l'extension de rhizomes traçants. Leur mode d'accroissement centrifuge construit souvent en surface des figures circulaires presque parfaites, tandis que dans la vase, un lacis inextricable ne laisse guère de place aux autres plantes. Un autre roseau, le Jonc ou Voune [Typha domingensis, Typhaceae] aux longues feuilles rubanées et aux inflorescences en "quenouille brune et compacte", abonde dans les roselières aux vases plus minérales ou à caractère faiblement saumâtre. Cette grande hélophyte, semblable aux massettes des régions tempérées, est répandue dans tous les tropiques, notamment dans les régions maritimes. Le Via (ou Typhonodore) [Typhonodorum lindleyanum, Typhaceae], endémique de la région malgache, possède toutes les caractéristiques écologiques d'un roseau, mais cette gigantesque aracée amphibie, avec ses grandes feuilles de songe, est loin d'en posséder l'allure. Dans les marécages de la région malgache, le Via préfère des conditions aquatiques à fort marnage et écoulement plus marqué des eaux où il constitue d'impressionnantes roselières pouvant atteindre 3 mètres de haut. À la Réunion, le Via est plus discret et son statut d'indigénat reste douteux. Les bosquets marécageux Au débouché de l'étang de Saint-Paul, des végétations arbustives à arborées se sont installées en conditions légèrement saumâtres sur les rives de l'étang. Ces ripisylves maritimes sont caractérisées par trois essences littorales répandues dans l'océan Indien : le Porcher à feuilles cuivrées [Thespesia populneoides, Malvaceae], l'Héritière littorale [Heritiera littoralis, Malvaceae] (voir ci-après) et le Mova [Hibiscus tiliaceus, Malvaceae]. Cette végétation arborée peut être assimilée aux forêts d'arrière-mangroves répandues sur le littoral de l'océan Indien. Même s'il ne s'agit là que d'un infime lambeau comparé aux forêts littorales marécageuses encore présentes à Madagascar, aux Comores et, à un degré moindre, aux Seychelles et à Maurice, la valeur patrimoniale des bosquets marécageux de Saint-Paul est hautement symbolique. Et ce, d'autant qu'ils dévoilent une potentialité des plus originales pour la Réunion, dont la morphologie générale du littoral est totalement défavorable à l'installation de mangroves. Le Porcher à feuilles cuivrées, longtemps confondu à la Réunion avec le véritable Porcher [Thespesia populnea], est une essence typique de ces forêts d'arrière-mangrove. On le distinguera à son feuillage cuivré à l'état jeune, aux fruits pendants sur de longs pédoncules et qui finissent par s'entrouvrir à maturité. Les prairies humides Bien qu'elles n'occupent que des superficies réduites, les prairies humides de la Réunion présentent une grande diversité d'habitats, en fonction de l'altitude, de l'hydromorphie des sols, des caractères physicochimiques des milieux, des pressions anthropiques diverses (fauche, pâturage, piétinement…). Elles sont malheureusement encore très mal connues. À basse altitude, les prairies humides sont installées sur des sols riches, bien pourvus en nutriments et produisant une biomasse fourragère appréciable. De beaux exemples sont visibles en périphérie de l'étang de Saint-Paul dans le secteur de Savannah. Les prairies humides des basses terres furent largement exploitées par le passé à des fins agricoles, et une organisation classique de prairies sillonnées de drains d'irrigation aux végétations restées plus aquatiques est encore perceptible dans les paysages. À Saint-Paul, on y cultivait même le riz au début du XVIIIème siècle. Comme dans toutes les régions tropicales et subtropicales, les cypéracées et les graminées tissent la trame végétale de ces prairies humides. Quelques plantes à fleurs les accompagnent, généralement discrètement, comme la Nésée à trois fleurs [Nesaea triflora, Lythraceae]. Il est difficile dans ces milieux plus ou moins entretenus par l'homme, de séparer la part des plantes indigènes de celle des exotiques. Les prairies humides sont fréquentées par de nombreux oiseaux (échassiers, limicoles, hérons…) qui disséminent facilement, d'une île à l'autre, les semences des plantes des lieux humides (par exemple en se collant aux pattes avec de la boue). 10 mai 2007 34 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Plus haut, à l'étage mésotherme, les prairies humides sont moins fréquentes. Au sein du complexe de pandanaies de la Plaine des Palmistes, il subsiste quelques taches de marais mouilleux mésotrophes à petites cypéracées (Rhynchospora rugosa, Eleocharis caduca), avec parfois de petits tapis de sphaignes ou, encore plus rarement, quelques rosettes d'une petite orchidée terrestre, Cynorkis rosellata [Orchidaceae]. Ces prairies marécageuses évoluent rapidement si l'hydromorphie diminue en mégaphorbiaies à Osmonde royale [Osmunda regalis, Osmondaceae] et Cyclosurus interruptus [Thelypteridaceae], deux fougères typiques des zones humides africaines et malgaches. Dans les marais piétinés, sur les sentiers suintants, on observe également de petites prairies mouilleuses à Cypéracées, égayée à la saison des pluies de la floraison violacée de la Lindernie à feuilles rondes [Lindernia rotundifolia, Scrophulariaceae]. Aux hautes altitudes, les prairies humides sont marquées par le caractère oligotrophe des sols et une nette tendance à l'acidification des horizons supérieurs. Un bel exemple de ces conditions édaphiques d'altitude est la "prairie" tourbeuse à Sphaignes [Sphagnum pl. sp.] et Rhynchospore [Rhynchospora pl. sp.] qui s'installe dans les cuvettes et les replats mal drainés. Les sols asphyxiques présentent alors un caractère tourbeux marqué (accumulation de matière organique peu dégradée, teinte noirâtre). Dans les phases pionnières d'installation de ces gazons tourbeux, le substrat exondé est souvent colonisé par la Lycopodielle de Caroline [Lycopodiella caroliniana, Lycopodiaceae], une lycopodiacée terrestre aux tiges prostrées sur le sol et de large répartition tropicale. Rivières et ravines humides Les ravines humides sillonnent l'ensemble des régions hygrophiles de l'île, au vent et sous-le-vent. Dans cette dernière partie de l'île, elles prolongent en altitude les ravines sèches des zones basses, cahudes et sèches de l'île. Tout comme pour les ravines sèches, les écoulement des ravines humides sont intermittents et associés aux épisodes pluvieux intenses. Malgré tout, la fréquence des brouillards à l'étage mésotherme, la pluviosité élevée et régulière de la côte au vent entretiennent une forte humidité atmosphérique qu'accentuent encore l'ombrage, la profondeur et l'étroitesse des ravines. Les nombreuses flaques qui subsistent entre les pluies, les suintements fréquents, les cascadelles contribuent à déterminer une ambiance générale d'humidité des airs et des sols que ne démentent pas les rochers souvent glissants de ces ravines qui les rendent difficilement accessibles. Les ravines humides sont le royaume des fougères hygrophiles épilithes (qui croissent sur les roches) et humo-épilithiques (qui croissent sur les rochers couverts d'humus). Ces fougères occupent une gamme variée d'habitats : épilithes sur parois demi-ombragées, épilithes ombragées des grottes et anfractuosités comme Ctenitis borbonica, divers Trichomanes, parois suintantes avec divers Amauropelta et parfois la rare Osmonde royale (Osmunda regalis, Osmundaceae), cailloutis et graviers du lit mineur à Amauropelta heteroptera, etc. Quelques plantes à fleurs sont également inféodées à ces milieux comme Hydrocotyme mannii (récemment découvert à la Réunion), Hydrocotyle grossularioides (sur les parois aspergées d'embruns à proximité de cascades), Cynorchis purpurascens (sur parois suintantes)... Les fourrés humides à Pandanus Sur les sols gorgés d'eau de l'étage mésotherme, la forêt tropicale humide de montagne laisse la place à des fourrés marécageux d'allure étrange… Ces formations arbustives, appelées pandanaies du nom latin "Pandanus" des vacoas (on écrit aussi vacoi, vacois ou vaquois), sont étroitement associées au Pimpin, encore appelé Vacoa des hauts [Pandanus montanus, Pandanaceae]. Le Pimpin développe une canopée basse aux reflets bleutés, haute de 3-5 m, formée par l'enchevêtrement de ses branches tortueuses. Ici et là émergent quelques fougères arborescentes [surtout le Fanjan roux, Cyathea glauca, Cyatheaceae] et, plus rarement, lorsque le sabre lui a laissé la vie sauve, le Palmiste des hauts [Acanthophoenix rubra, Arecaceae]. Autrefois, ce palmier abondait dans ces pandanaies, au point de constituer une strate arborée suffisamment voyante pour laisser son nom à la Plaine des Palmistes. Les fourrés à Pimpin sont encore bien représentés dans les secteurs très arrosés de l'île, comme les pentes orientales du massif de la Fournaise. Les vastes pandanaies qui occupaient jadis la Plaine des Palmistes ont été presque entièrement défrichées. Mais les sols gorgés d'eau se sont souvent révélés impropres à l'agriculture et une partie de ces espaces défrichés, après abandon, se sont transformés en vastes marécages piquetés de Pimpin et de fragments de pandanaies. Dans ces conditions particulières de lumière et d'humidité, les Pimpins portent une flore épiphyte exceptionnellement riche et diversifiée d'orchidées et de fougères, alors que dans les formations denses à Pimpin, la strate épiphyte est habituellement peu développée. La silhouette du Pimpin est la signature même du genre Pandanus : présence de racines aériennes adventives se développant surtout à la base des troncs et faisant office de racines échasses, ramifications tortueuses portant aux extrémités des feuilles groupées en bouquet. Les feuilles sont insérées en hélice sur trois rangs, leur limbe est linéaire avec des marges et une carène dorsale épineuses. Les racines échasses permettent un ancrage solide de l'arbuste et lui confèrent résistance au vent et aux inondations. Il faut cependant noter que chez le Pimpin, ces racines échasses sont peu nombreuses et restent grêles. Près de 700 espèces de Pandanus existent dans les régions tropicales et subtropicales du Vieux Monde ; 23 sont particulières aux Mascareignes, dont trois endémiques de la Réunion. L'une des plus connues, le Vacoi [Pandanus utilis], largement cultivé dans les régions tropicales pour ses fruits comestibles et ses feuille juvéniles 10 mai 2007 35 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet utilisées en vannerie, est en fait originaire des Mascareignes et, selon toute vraisemblance, des forêts adlittorales du sud de la Réunion. VULNÉRABILITÉ ET CONSERVATION DES HABITATS L'altération et la destruction des habitats ont été les processus les plus destructeurs de la biodiversité de l'île. Leurs effets ont heureusement été modulés par le relief, le climat et, plus récemment, les politiques publiques de maîtrise foncière et de gestion des espaces naturels. Les zones basses où se sont concentrées l'urbanisation et les activités agricoles n'ont conservé qu'environ 1 % de leur couverture forestière initiale, tandis que les forêts humides d'altitude et les végétations altimontaines ont été relativement épargnées. Même si le processus s'est considérablement ralenti sous l'action conjuguée d'une politique volontariste de préservation des habitats indigènes et de gestion conservatoire de la biodiversité indigène, la végétation indigène constitue toujours une peau de chagrin qui continue ici et là à se rétrécir. On estime généralement à 30 %, la part de végétations indigènes subsistantes, mais ce chiffre ne tient cependant pas compte de l'état de perturbation et de dégradation d'un grand nombre de ces milieux. Le maintien et l'extension de pratiques telles que le feu, le pâturage sauvage et l'ensemencement fourrager dans les espaces altimontains, la multiplication des perturbations anthropiques diverses (plantations en sous-bois, campements sauvages, ouverture de sentiers, surfréquentation…) sont les principaux facteurs qui aujourd'hui encore amenuisent l'état de conservation des végétations indigènes subsistantes. Citons deux exemples illustrant l'impact actuel de ce type de pratiques : les incendies ont transformé les espaces altimontains en un véritable écosystème du feu caractérisé par l'appauvrissement de la flore, la sélection d'espèces pyrophiles (Erica reunionensis, Stoebe passerinoides, Hubertia tomentosa…), l'invasion de pyrophytes exotiques (Ulex europaeus notamment) ; seuls les grands remparts et les grandes ravines qui ont plus ou moins échappés au passage du feu ont conservé une flore altimontaine diversifiée. le pâturage sauvage des bovins, fréquemment accompagné par un ensemencement des pelouses naturelles altimontaines, est en train de compromettre la pérennité de ces pelouses endémiques en raison d'un envahissement compétitif d'espèces prairiales introduites comme Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante), Holcus lanatus (Houlque laineuse), Prunella vulgaris (Brunelle vulgaire), Taraxacum sect. Ruderalia (Pissenlit), Hypochaeris radicata (Porcelle radicante)… Tous ces noyaux de pelouses envahies servent de foyers d'invasion diffusant des diaspores dans les milieux voisins encore intacts. L'invasion actuelle des pelouses pionnières à Cynoglossum borbonicum sur lapillis mobiles, milieu d'une très grande originalité et endémique de la Plaine des Sables, par Anthoxanthum odoratum, Prunella vulgaris, Taraxacum sect. Ruderalia, Carex ovalis, Hypochaeris radicata… est devenue particulièrement préoccupante. Les deux exemples précédents mettent en exergue la problématique des invasions biologiques par des espèces introduites qui sont considérées au niveau mondial par l'UICN, comme le troisième facteur de perte de biodiversité après la destruction des habitats et la surexploitation des espèces. Les systèmes insulaires tropicaux apparaissent particulièrement vulnérables aux invasions biologiques comme l'ont montré de très nombreux travaux dans les îles tropicales. L'impact des processus invasifs sur les milieux et la flore indigène ne se limite pas aux faits végétaux, mais concernent les espèces animales introduites. Les rats, largement répandus dans toute l'île jusqu'au sommet du Piton des Neiges, consomment une quantité importante de fruits et de semences qui peuvent limiter de 10 mai 2007 36 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet manière significative la régénération de plantes aux populations réduites. Il est en de même avec les Achatines, mollusques ravageurs de plantules et de jeunes pousses. La flore exotique introduite constitue le réservoir potentiel des phénomènes d'invasions végétales. Ces problématiques sont connues de longue date ; Eugène Jacob de CORDEMOY, auteur de la Flore de la Réunion, publiée en 1895, écrit à propos du Raisin marron (Rubus alceifolius) : "Espèce originaire de l'Asie méridionale, importée il y a environ un demi-siècle. Aujourd'hui elle envahit presque toute l'île, étouffe la végétation indigène, détruit les forêts et devient un véritable fléau". Durant de longues décennies, l'ampleur des impacts des invasions biologiques sur les milieux naturels ne suscitera que peu de réactions, ce n'est depuis une dizaine d'années que les invasions biologiques vont devenir une véritable problématique régionale de conservation de la biodiversité et susciter différentes initiatives de lutte et de prévention dont la coordination et la stratégie globale n'ont malheureusement pas encore trouvé de cadre à l'échelle de l'île. Les principaux végétaux dont le comportement invasif interfère avec le fonctionnement des végétations indigènes pouvant aller jusqu'à une secondarisation complète des habitats, sont bien connus. Il s'agit surtout de plantes anciennement introduites dans l'île comme Psidium cattleyanum (Goyavier), Rubus alceifolius (Raisin marron), Hedychium gardnerianum (Longose de Gardner), Hiptage benghalensis (Liane papillon), Lantana camara (Galabert), Boehmeria penduliflora (Bois chapelet), Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante)… Mais il existe aussi des invasions rapides d'espèces introduites plus récemment comme Ligustrum robustum subsp. walkeri, Clidemia hirta. Ainsi, l'installation durable de l'homme à partir du milieu du XVIIe a considérablement modifié le tapis végétal et les habitats originellement présents. Les activités humaines prendront une part de plus en plus importante avec le développement de la société réunionnaise. La large palette des usages (agricoles, forestiers, économiques, médicinaux, ornementaux…), l'accroissement des échanges de biens et de personnes ont provoqué la destruction, la dégradation de nombreux milieux et permis l'introduction volontaire ou involontaire de plusieurs milliers d'espèces originaires des régions tropicales à tempérées du monde entier, dont certaines devenues des pestes végétales ont envahi les milieux naturels de l'île. Le climat très varié de la Réunion a d'ailleurs facilité l'acclimatation et la naturalisation d'un grand nombre de ces plantes introduites. Par ses activités, l'homme a ainsi façonné de nouveaux paysages agricoles, forestiers et urbains qui se sont substitués progressivement aux végétations primaires et naturelles de l'île. Si quelques d'entre eux ont conservé un certain degré de parenté avec la végétation originelle des lieux (comme les savanes semi-sèches de l'ouest, certaines forêts artificielles de cryptomérias) et présentent des traits écologiques et végétaux que l'on peut globalement qualifier de semi-naturels, d'autres en sont désormais fortement éloignés (cultures de canne à sucre, vergers…). PLACE ET ORIGINALITÉ DES HABITATS DE LA RÉUNION D'une manière générale, la grande originalité de la Réunion en matière d'habitats est la corollaire de son patron d'habitats, c'est-à-dire l'existence d'une grande diversité d'habitats (et de grands types d'habitats) concentré sur une petite surface (2512 km²). Avec un tel "concentré de diversité", on peut à la Réunion, en peu de temps et de déplacement, passer de l'univers exubérant de la forêt tropicale humide de montagne au décor minéral des pelouses et landes des sommets de l'île, ou encore aux trottoirs littoraux balayés par les embruns marins. La Réunion est une ballade structurale, typologique, floristique et biologique permettant d'aborder la plupart des grands types de végétation tropicales (à l'exception des zones les plus sèches). 10 mai 2007 37 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Deux axes, un pour chaque massif, permettent encore une observation quasi continue du gradient altitudinal d'habitats naturels : La Chaloupe-Roche Écrite et Mare Longue-Piton de la Fournaise. Il n'existe pas de grands types structuraux de végétation, propres à la Réunion, même si certaines adaptations de la végétation à caractères insulaires et cycloniques traduisent une certaine originalité. Un bon exemple est celui des forêts tropicales humides de montagne, à la canopée basse et enchevêtrée, bien adaptée aux conditions cycloniques de l'île. Sur le plan typologique, les habitats naturels et la végétation qu'ils portent apparaissent généralement comme des types endémiques, vicariants d'habitats ou de végétations équivalentes dans les archipels voisins, à Madagascar ou encore dans certaines régions tropicales continentales. D'autres habitats et végétations, bien que ne présentant pas d'originalité marquée et possédant une aire de répartition plus vaste (région malgache, océan Indien, Afrique tropicale…), participent également à la diversité générale: cas des habitats littoraux de plages (sables et galets), des zones humides… En définitive et au-delà de la spécificité insulaire et endémique, la plus grande originalité de la Réunion réside en la concentration d'une grande diversité sur un tout petit territoire. 10 mai 2007 38 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet ÉLÉMENTS POUR LE DOSSIER RÉUNION // UNESCO : HABITATS, VÉGÉTATION ET FLORE VASCULAIRES ___________________________ II. ARGUMENTAIRE COMPLÉMENTAIRE Vincent BOULLET (CBN Mascarin) De l'originalité à l'unicité L'originalité majeure de la flore, de la végétation et des habitats de l'île de la Réunion réside dans son patron écologique altitudinal qui structure six étages principaux de végétation (sept si l'on individualise les végétations submontagnardes de moyenne altitude) : littoral, adlittoral, tropical inférieur, montagnard, subalpin, alpin. La forte dissymétrie climatique de l'île, conséquence de son relief élevé (3 069 m au Piton des Neiges), permet d'observer deux séquences différentes de l'étagement de végétation selon l'exposition au vent ou sous le vent et ajoute à la complexité du patron d'habitats. Gradients d'altitude et de pluviosité sont ainsi les deux moteurs de la diversité d'habitats et de végétation zonales de la Réunion. On pourrait encore y ajouter divers habitats azonaux associés aux zones humides et réseaux hydrographiques, dont le rôle apparaît plutôt secondaire et complémentaire à l'échelle des surfaces en jeu et des problématiques évoquées. Le moteur altitudinal associé au contexte insulaire tropical est, à lui seul, suffisant pour affirmer l'originalité de l'île de la Réunion, par la seule présence de végétations et d'habitats tropicaux altimontains (étage subalpin complet et base de l'étage alpin). Ce seul thème permet d'abord d'isoler la Réunion au sein des îles de l'océan Indien, Madagascar, "île-continent", ne pouvant entrer dans cette catégorie. Aucune autre île tropicale de l'océan Indien ne propose en effet un tel étagement. La plus proche de ce point de vue est la Grande Comore (2 355 m au sommet du Karthala), mais l'étage subalpin y est réduit, peu diversifié en terme d'habitats et n'atteignant pas l'étage alpin. Hors de l'océan Indien, le nombre d'îles intertropicales offrant un gradient altitudinal semblable est réduit et se limite à deux îles de l'archipel d'Hawaï (Hawai'i et Maui), trois îles des Grandes Antilles (Hispaniola, Jamaïque et, à un moindre degré, Cuba) et les grandes îles de la Sonde (Borneo, Java, Sulawesi, Sumatra, Nouvelle Guinée). L'empilement successif d'autre paramètres écologiques tels que océanité et volcanisme (éliminant les îles d'origine continentale des Grandes Antilles et de la Sonde), contexte biogéographique (afrotropical) et géographique (océan Indien), isolant les îles d'Hawaï, renforcent l'originalité de l'île et précise son unicité insulaire. Cette unicité de la Réunion en terme de végétation et d'habitats naturels peut ainsi être traduite par la formule : île tropicale océanique altimontaine afro-indienne (ou encore île océanique altimontaine afrotropicale). Aucun autre territoire au monde ne correspond pleinement à cette définition, si ce n'est partiellement la Grande Comore, en raison du faible développement de son étage altimontain. Avec l'argument "afro-indien" en moins, seules trois îles répondent pleinement à la définition d'île tropicale océanique altimontaine : Réunion, Hawai'i et Maui, ces deux dernières îles appartenant à l'archipel d'Hawaï. Un troisième volet d'arguments portant sur l'état de conservation du patron d'habitats vient renforcer l'importance de l'île de la Réunion. Toutes les îles non coralliennes de l'océan Indien sont habitées (ou l'ont été) et une grande partie des milieux naturels ont 10 mai 2007 39 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet été détruits ou fortement anthropisés. Comparé aux autres îles de l'océan Indien, le profil de conservation spatiale du gradient altitudinal à la Réunion est de loin le mieux préservé, malgré les sévères réductions et destructions dans les zones basses de l'île des étages adlittoral à submontagnard (STRASBERG et al. 2005). PROFIL ALTITUDINAL COMPARÉ DE VÉGÉTATIONS DES ÎLES DE L'OUEST DE L'OCÉAN INDIEN Superficie (km²) Altitude (m) Type insulaire RÉUNION MAURICE RODRIGUES SEYCHELLES GRAN. SEYCHELLES CORAL. (gr. ALDABRA) MAYOTTE ANJOUAN MOHÉLI GRANDE COMORE 2512 1865 109 230 116 377 424 211 1024 3069 826 395 905 30 660 1561 790 2361 Volcanique Volcanique Volcanique Précambrien Corallien Volcanique Volcanique Volcanique Volcanique alpin subalpin montagnard submontagnard subhumide adlittoral littoral Chaque étage (sauf littoral) est subdivisé, de bas en haut, en trois parties : inférieure, moyenne et supérieure. Pour chaque étage, la longueur de la bande de couleur est proportionnelle aux classes de maintien actuel des habitats naturels : 0-5 %, 5-25 %, 25-50 %, 50-100 %. [V. Boullet, inédit] Les attributs et particularismes biologiques insulaires, tels que spéciation, endémisme, radiation évolutive y sont remarquablement développés pour la flore vasculaire. L'héritage floristique majeur des sources continentales afro-malgaches s'est progressivement adapté et son évolution, après seulement 2 MA, apporte une forte originalité à la flore de la Réunion : 22 genres endémiques9, dont 8 strictement endémiques de la Réunion, 390 espèces endémiques dont 235 endémiques strictes, représentant respectivement des taux d'endémisme de 46,7 et 28,1 %10. Sur le seul plan des Spermatophytes (Plantes à fleurs), l'endémicité atteint des niveaux très élevés, 58,5 au total et 36,6 % pour l'endémicité stricte. Si l'on ajoute, la composante d'endémisme macro-régional malgache [endémiques communs à la 11 Réunion et d'autres îles de la région malgache (hors Mascareignes)], l'endémisme dépasserait les 60 % pour l'ensemble des Trachéophytes et 70 % pour les Spermatophytes. Plusieurs exemples de radiation explosive sont connus dans l'île, pour les genres : Cynorkis (Orchidaceae), Dombeya (Malvaceae), Psiadia (Asteraceae). Sur le plan biologique, la Réunion mérite autant que d'autres îles célébrées pour cela (comme les Galapagos), le titre de laboratoire insulaire de l'évolution. L'importante conservation de ses espaces naturels, le maintien des processus volcaniques actifs de construction et de destruction de diversité, en font certainement un modèle dynamique exemplaire. La Réunion apparaît ainsi, encore aujourd'hui, comme un condensé et un résumé des patrons d'habitats tropicaux des zones montagneuses de l'Afrique tropicale et de Madagascar, développés dans un contexte insulaire océanique récent. Un tel patron écologique explique à lui seul la grande diversité d'habitats présents dans l'île et la concentration de cette diversité sur une petite surface. 9 Il faut cependant relativiser ce type de bilan au niveau générique, car plusieurs genres endémiques paraissent faiblement étayés sur le plan taxonomique. Les taux d'endémicité sont calculés pour la flore indigène sensu stricto (cryptogènes exclus). 11 Données incomplètes et valeurs probablement sous-estimées. 10 10 mai 2007 40 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Unicité, solidarité, exemplarité, démonstration et avenir Sur la base de la simple évocation du patron altitudinal d'habitats, ce qui en renforce son évidence, cinq cercles de considérations permettent d'affirmer, les caractères unique, solidaire, exemplaire, démonstratif et durable de l'île de la Réunion. 1.) L'unicité "brute" tient au gradient élevé d'altitude dans un contexte insulaire océanique afrotropical. 2.) La solidarité tient au couple Réunion / Hawaï, ensemble unique et complémentaire d'îles tropicales océaniques à gradient altitudinal développé, qui somment les mondes océaniques afro-indiens et pacifiques. 3.) L'exemplarité est d'abord écosystémique et a trait au maintien d'importantes surfaces de végétations naturelles, non à faiblement perturbées (activités anthropiques et conséquences directes ou indirectes), représentant au total environ 30 % de l'île, chiffre exceptionnel dans une île aussi peuplée. L'exemplarité est également végétale, par la grande diversité de végétation et d'habitats, par la richesse floristique indigène de la flore12. L'exemplarité est aussi biologique, par le niveau d'endémisme de la flore, par l'illustration variée des phénomènes d'immigration, de spéciation et, plus globalement, des modèles insulaires d'évolution. 4.) La démonstration tient, dans un contexte de forte population, à proposer un étagement condensé et complet d'habitats et de végétation du supralittoral à la base de l'alpin, s'établissant sur un rayon très court, d'une vingtaine de kilomètres. À titre de comparaison, un tel étagement s'étale, en situations continentales, sur environ 200 km à Madagascar, plusieurs centaines de km en Afrique de l'est. La densité de population et ses perspectives d'évolution future font aussi de la Réunion un territoire de forts enjeux de développement durable et d'aménagement du territoire et d'évaluation des politiques de conservation des habitats. 5.) La permanence est plurielle : catastrophique, lorsqu'elle liée au volcanisme actif du massif de la Fournaise et aux processus érosifs du massif du Piton des Neiges, climacique sur les pentes stables du Piton des Neiges et de la Fournaise et soumise sur de longs pas de temps aux évolutions bioclimatiques. Elle mêle des dynamiques linéaires et cycliques de végétation et d'habitats. Les épanchements de laves et les éboulements des Cirques sont des évènements édificateurs et destructeurs de biodiversité, générant de nouveaux substrats et départs de nouvelles séries primaires de végétation. Sur les pentes anciennes et stables, les végétations arbustives et arborées s'inscrivent dans des processus climaciques oscillant avec des cycles de sylvogénèse, souvent perturbés par des catastrophes naturelles (cyclones) ou anthropiques (feu, invasions végétales). Pour compléter et illustrer les caractères "unique, solidaire et exemplaire" des habitats et de la végétation de la Réunion, deux développements comparatifs sont proposés à la suite pour le domaine d'habitats altimontains et pour la flore insulaire de l'océan Indien. 12 Voir le chapitre "Comparatif flore ouest océan Indien". 10 mai 2007 41 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet COMPARATIF VÉGÉTATION ET HABITATS ALTIMONTAINS Rappel Au-dessus des forêts tropicales humides de montagne, le domaine des hautes montagnes de la Réunion voit l'effacement progressif du couvert végétal pour faire place à un environnement de plus en plus minéral vers les sommets de l'île. Ce domaine est caractérisé par un complexe altimontain de fourrés, matorrals et landes riches en éricacées ; ce complexe ("végétation éricoïde d'altitude", RIVALS 1952 ; "végétation microtherme des hautes altitudes", "série oligotherme" ou "série à Festuca borbonica et Senecio hubertia", CADET 1977) est associé, au-dessus de 1900 m, au secteur froid et humide des hautes altitudes de la Réunion (caractérisant un "étage oligotherme" ou encore une zone "subalpine", STRASBERG & al. 2005). Dans ce secteur aux forts contrastes climatiques (variations thermiques journalières et saisonnières importantes, périodes hivernales froides, fort ensoleillement), existe en fait une succession fine de climax étroitement liée au gradient altitudinal, et marquée par un abaissement progressif et conjoint de la végétation et des températures depuis les fourrés altimontains hauts de quelques mètres aux landes basses et prostrées des sommet de l'île. La variation de ce complexe altimontain qui dépasse les 3000 m au Piton des Neiges le long d'un gradient altitudinal a amené CARIÉ (1927), puis RIVALS (1952) et CADET (1974) à distinguer : - une zone inférieure, depuis la limite supérieure des forêts (1600 à 1900 m selon les orientations des versants) jusqu'aux environs de 2500 m, associée aux peuplements éricoïdes denses d'Erica reunionensis ; - une zone supérieure (au-dessus de 2500 m) où prédomine les touffes basses de Stoebe passerinoides. N.-B. Cette distinction n'a cependant pas été reprise par CADET (1977) qui considére les végétations éricoïdes basses à Stoebe passerinoides comme insuffisamment distinctes sur le plan floristique pour constituer une unité à part. Des investigations phytosociologiques récentes dans la partie altimontaine de la Réunion (BOULLET, inédit) associées à une prise en compte structurale (structure verticale, types architecturaux et formes biologiques) plus forte de la végétation, permettent d'établir une zonation altitudinale affinée de la végétation, bien que considérablement perturbée par les incendies et le pastoralisme non contrôlé. La répétition des feux impose des conditions fortes de pyrophytisme végétal marquées par un appauvrissement de la flore et des cycles dynamiques raccourcis. La divagation des troupeaux est un facteur avéré d'invasions biologiques qui menace singulièrement les pelouses naturelles de haute altitude. Les exotiques envahissantes sont en majorité des prairiales tempérées (Anthoxanthum odoratum, Holcus lanatus, Prunella vulgaris, Rumex acetosella, Taraxacum sect. Ruderalia, etc.) qui trouvent à ces hautes altitudes un climat favorable. Malgré tout, il est possible de distinguer 4 secteurs, depuis la base de l'altimontain : - - - 10 mai 2007 secteur 1, à tonalité arbustive (microphanérophytique) et potentialité de fourrés hauts ("taillis") à Sophora denudata (sophoraies), étudiés récemment par PAUSÉ (2006) ; il occupe la base de la zone altimontaine, et marque la transition avec la partie supérieure de l'étage montagnard ("mésotherme") et les végétations forestières néphéléphiles. secteur 2, à tonalité sous-arbustive et potentialité de mattorals hauts ("fruticées" ou "fourrés éricoïdes") à Erica reunionensis, ± riches en nanophanérophytes altimontains ; une possible subdivision altitudinale basée sur la distinction de "mattorals hauts" et de "matorrals bas" reste encore une hypothèse de travail. secteur 3, à tonalité chaméphytique haute à nanophanérophytique, et potentialité de mattorals bas à Phylica nitida et Stoebe passerinoides. secteur 4, à tonalité chaméphytique basse et hémicryptophytique, marquée par des landes prostrées à Stoebe passerinoides et Hubertia tomentosa var. conyzoides et des pelouses en "tussocks" à Festuca abyssinica, ces dernières apparemment limitées au sommet du Piton des Neiges (au-delà de 2800 m). 42 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Les tonalités structurales dominantes évoquées pour chacun des secteurs précédents sont émaillées de nombreux habitats occupant des niches linéaires (dépôts alluvionnaires, nappes de lapilli, de scories, parois, vires, corniches et anfractuosités des remparts, etc.). Bien qu'occupant des surfaces restreintes, ces habitats participent très largement à la diversité de la flore et fournissent le contingent le plus important de plantes endémiques rares. Des comparaisons floristiques, structurales et écologiques de la végétation altimontaine de la Réunion avec l'étagement de la végétation des hautes montagnes d'Afrique orientale, particulièrement bien documenté (HAUMANN 1933, HEDBERG 1951, 1956, 1964, LEBRUN 1960, KNAPP 1973, TROCHAIN 1980, etc.) laissent à penser que le secteur 4 serait équivalent à (ou approcherait) la base de l'étage afro-alpin des hautes montagnes d'Afrique orientale (Virunga, Ruwenzori, Mt. Elgon, Mt Meru, Kilimandjaro, Aberdare et Mt. Kenya). Un trait commun, parmi les plus significatifs, au secteur 4 de la Réunion et à l'étage afro-alpin d'Afrique de l'est est la présence de pelouses en tussocks à Festuca abyssinica, qui marquent notamment la base de l'étage afro-alpin des volcans Virunga et du Kilimandjaro. Sur le plan altitudinal, cette comparaison n'a rien d'étonnant si l'on tient compte de l'abaissement classique des étages en contexte insulaire, tandis que les limites inférieures de l'afroalpin continental sont à 3600 m dans l'Est africain, 4000 m en Éthiopie, mais seulement 3100 m dans le massif isolé de l'Imatong dans le sud du Soudan (KNAPP 1973). Les trois autres secteurs (1, 2 et 3) représentent sans ambiguïté un étage de végétation "subalpine", que l'on peut qualifier plus précisément dans un contexte macrorégional d'étage "afroalpin" (selon LEBRUN 1960), ou plus globalement d'étage tropicosubaltimontain (TROCHAIN 1980). Le secteurs 1 et 2, au moins, montrent également des variations au vent et sous le vent qui contribuent à augmenter la diversité globale d'habitats et de végétations altimontaine. En ce qui concerne la flore, les traits floristiques communs de la zone afrosubalpine (Africe de l'est, Madagascar, Réunion) sont une diversité réduite mais une très grande originalité, avec un taux élevé d'endémisme, des familles dominantes communes (Ericaceae, Asteraceae, Poaceae, Cyperaceae), de nombreux genres communs (Erica, Helichrysum, Stoebe, Carpha, Festuca, Poa, Panicum, Helictotrichon)... À la Réunion, la flore des hautes montagnes comprend environ 60 espèces avec un taux d'endémicité dépassant les 90 %. Trois genres sont endémiques : Eriotrix [Asteraceae], Faujasia [Asteraceae], Heterochaenia [Campanulaceae]. Comparatif macro-régional (océan Indien, Afrique tropicale de l'est) Insulaire Dans les îles de l'océan Indien, l'absence (îles coralliennes) ou la faiblesse du relief ne permet pas la présence d'habitats et de végétation altimontaines. Les étages altimontains manquent ainsi à Maurice, Rodrigues, aux Seychelles granitiques, à Anjouan, Mohéli, Mayotte, aux Andaman. Seule la Grande Comore (Ngazidja) qui atteint 2361 m au sommet du Kartala présente un étage de végétation altimontain, développé comme à la Réunion sur des substrats volcaniques. Cet étage, limité au massif du Kartala, apparaît, de manière similaire à la Réunion, entre 1700 et 1900 m. Ses habitats et sa végétation, décrites jusqu'alors très sommairement (LEGRIS 1969, BATTISTINI & VÉRIN 1984), n'ont malheureusement jamais été étudiées. L'étage altimontain est bien en place au-dessus de 1900 m avec le développement de "fourrés éricoïdes" denses à Erica comorensis qui recouvrent toutes les crêtes et dont la hauteur s'abaisse avec l'altitude de 6-8 à 3-4 m (LEGRIS 1969). Ce fourré, probablement complexe, paraît correspondre aux secteurs 1 et 2 de l'altimontain de la Réunion et, au moins partiellement, vicariant du mattoral haut à Erica reunionensis. Les cendres du cratère, au sommet du Kartala, sont colonisées par une végétation graminéenne, petite et fine, broutée par les cervidés sauvages (LEGRIS 1969). L'absence d'informations précises sur la végétation et la flore altimontaine de la Grande Comore ne permet pas de déterminer leur réel niveau d'endémisme et d'originalité. 10 mai 2007 43 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Continental et subcontinental La végétation altimontaine de Madagascar est bien représentée sur les hauts sommets de l'île, à partir de 1850-2300 m, selon les massifs (Tsaratanana, Ankaratra, Andringitra, Marojejy), mais elle reste peu documentée dans le détail. À partir des travaux de PERRIER DE LA BATHIE (1921), HUMBERT (1928, 1965), KNAPP (1973), KOECHLIN et al. (1974, 1997), on peut y reconnaître, de façon synthétique, les principaux habitats suivants : - fourrés (brousses) éricoïdes à Éricacées (Erica , Vaccinium) et Composées (Psiadia, Helichrysum, Stoebe) ; - bas-marais tropico-altimontain à Restiaceae, Xyridaceae et Eriocaulaceae ; - pelouse altimontaine à Pentaschistis perrieri, Agrostis elliottii, Andropogon trichozygus, Anthoxanthum madagascariense… - marais tourbeux acidiphile à Drosera pl. sp., Eriocaulon pl. sp., Restio madagascariensis, Swertia luhbaniana, Sphagnum pl. sp., etc. L'endémicité y est extrêmement élevée, un des plus forts de Madagascar, selon HUMBERT (1928). KOECHLIN et al. (1997) cite, d'après les listes de PERRIER DE LA BÂTHIE (1921), des chiffres approximatifs (probablement sous-estimés mais qui donnent une idée des enjeux de biodiversité), de 130 espèces endémiques pour le Tsaratanana, 150 pour l'Andringitra, 38 pour l'Ankaratra. La forte parenté avec la flore orophile d'Afrique de l'est et australe est également soulignée. Plusieurs comparaisons entre les végétations de montagne de Madagascar et d'Afrique intertropicale ont été proposées (HUMBERT 1928, BLASCO 1971, GUILLAUMET & KOECHLIN 1971, KOECHLIN 1972, KOECHLIN et al. 1974 et 1997), relativement concordantes si l'on excepte les problèmes de terminologie et de concepts. Elle permettent d'établir de multiples analogies (floristiques, structurales, écologiques) entre le domaine des hautes montagnes de Madagascar et l'étage subalpin d'Afrique tropicale et australe. La réalisation d'un véritable étage alpin sur les sommets de Madagascar reste hypothétique et paraît plus liée à des conditions stationnelles rocheuses, sauf peut-être sur le sommet de l'Andringintra qui présente une flore orophile originale (KOECHLIN et al. 1997). Les hautes montagnes africaines ont attiré l'attention des botanistes et des écologistes, en raison de l'originalité et de la richesse de leur flore et de leur végétation (HEDBERG 1964, HEDBERG & HEDBERG 1968). Elles ont servi de support à de nombreuses réflexions concernant l'étagement de la végétation en Afrique et, plus largement, dans les régions intertropicales. Plusieurs synthèses sur la végétation et les habitats des hautes montagnes africaines ont été publiées (HEDBERG 1964, KNAPP 1973, SCHNELL 1977, TROCHAIN 1980, WHITE 1986). La végétation altimontaine d'Afrique est essentiellement présente : - en Afrique tropicale occidentale : massif du Mont Cameroun, 4 070 m, sommets de Fernando Póo et de Sao Tomé ; - en Afrique tropicale orientale : massifs volcaniques des Virunga (Karisimbi, 4 507 m ; Mikeno, 4 437 m ; Muhavura, 4 127 m, Nyiragongo, 3 470 m), Ruwenzori (5 119 m), Mont Elgon (4 315 m), Mont Kenya (5 195 m), Kilimandjaro (6 010 m), les Aberdare, Mont Meru (4 566 m), Éthiopie, Mont Imatong (Soudan). - en Afrique australe (Drakensberg, région du Cap, Manica). Avec l'étage montagnard, la végétation altimontaine représente, selon WHITE (1986), un centre d'endémisme particulier ("centre régional d'endémisme morcelé afromontagnard et région morcelée afroalpine à appauvrissement floristique extrême") avec plus de 4000 espèces, dont environ 3000 endémiques. L'étage subalpin des montagnes orientales, centrales et australes (de la région du Cap à l'Ethiopie au nord et au Cameroun à l'ouest) présente de fortes similarités 10 mai 2007 44 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet physionomiques, structurales et floristiques avec l'étage subalpin de la Réunion. Ceci est avant tout dû à la dominance de formations frutescentes éricoïdes [très justement appelées "Heide-Gebüsche" par les auteurs germanophones, terme que l'on peut traduire par "fourrés-landes" et que nous préférons remplacer par le terme d'origine espagnole de "matorral", par exclusion des termes "fourrés", "landes" et "éricoïdes" qui, soit structuralement, soit morphologiquement ne sont pas appropriés] à base de bruyères sous-arbustives à arbustives du genre Erica (inclus Philippia13). Citons par exemple : les matorrals altimontains centre-est-africains (Virunga, Ruwenzori, Elgon, Meru, Kilimandjaro, Kenya) à Erica arborea, E. excelsa, E. trimera s.l., E. johnstonii, Stoebe kilimandscharica, Hypericum pl. sp., Senecio pl. sp., etc., du sud-Soudan à Erica arborea, du sud-ouest de la Tanzanie (Monts Rungwe et Kinga) à Erica kingaensis, E. uhehensis, Phylica tropica, Senecio pl. sp., Helichrysum pl. sp., du Cameroun et régions voisines à Erica mannii, E. thomensis, Hypericum gr. lanceolatum, etc., d'Éthiopie à Erica arborea, Hypericum gr. lanceolatum,Senecio confertus, etc., du sud de l'Afrique centrale (montagnes de Manica) à E. benguellensis, E. johnstonii, E. cylesii (etc.), Phylica ericoides, Stoebe vulgaris, etc. Dans la flore caractéristique de ces matorrals subalpins africains, on remarque l'omniprésence (et souvent la dominance physionomique) du genre Erica, ainsi que la présence des genres Phylica, Stoebe, trois genres qui constituent la trame basale de l'étage altimontain de la Réunion. Les autres composants des matorrrals réunionnais, Hypericum, Helichrysum, Hubertia (genre endémique des Mascareignes, mais très proche du genre Senecio) sont aussi largement représentés ou au moins apparentés dans les éricoïdes africains. Outre une plus grande diversité d'espèces pour les genres communs, les matorrals africains recèlent divers autres genres d'Ericaceae (Blaeria, Vaccinium), d'Asteraceae (Nidorella), de Thymeleaceae (Gnidia, Passerina), de Polygalaceae (Muraltia), de Rosaceae (Cliffortia), de Fabaceae (Adenocarpus), etc. Le même type de comparaisons structurales, floristiques et écologiques pourrait être développé à propos des pelouses altimontaines sèches à fraîches, des bas-marais altimontains qui possèdent, entre Réunion et Afrique, de nombreux genres en commun. Comparatif intertropical L'absence généralisée de hauts reliefs dans les îles du Pacifique, limite la comparaison avec d'autres situations insulaires du Pacifique au seul cas de l'archipel d'Hawaï, avec les deux plus hautes îles de cet archipel : Hawai'i (4 205 m) et Maui (3 055 m). Les formations végétales de ces hautes montagnes sont assez bien connues (FOSBERG 1972, KNAPP 1973, MUELLER-DOMBOIS & FOSBERG 1998), mais la description et la typologie détaillée des communautés végétales paraissent manquer. Entre 1600 et 2500 m, les hautes montagnes d'Hawai'i et Maui sont couvertes de végétations arbustives à sous-arbustives à caractère sclérophylle et microphylle, non sans analogie structurale avec celles des régions tropicales africaines et malgaches. Elles représentent un étage subalpin, au-dessus de la limite des forêts. La partie inférieure de cet étage est occupée par un fourré arbustif préforestier à Sophora chrysophylla et Myoporum sandwicensis, parsemé d'îlots d'Acacia koa ("Sophora-Myoporum Parkland"), fortement analogue aux fourrés arbustifs altimontains à Sophora denudata de la Réunion, ± pénêtré d'Acacia heterophylla, endémique réunionnaise proche d'A. koa d'Hawaï. Les nombreuses perturbations anthropiques (pâturage, feu) ont conduit à des paysages mosaïqués de fourrés et de stades régressifs offrant des paysages variés de fourrés ouverts, de savanes arbustives interrompus par place par des pelouses altimontaines, de matorrals ("Heath Scrub") à Styphelia tameiameiae [Epacridaceae], 13 Le genre Philippia est encore utilisé dans quelques travaux récents, bien que sans réelle valeur taxonomique (OLIVER 1987, 1988, 1989, 1993). 10 mai 2007 45 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet paysages également identiques aux espaces altimontains inférieurs de la Réunion, largement soumis aux feux et au pastoralisme. Les matorrals à Styphelia tameiameiae, mêlés aux paysages de pré-bois altimontain ("mountain parkland") précédents, deviennent à des altitudes plus élevées (jusqu'à 2 500-3 000 m, selon les versants et les îles) la formation dominante, accompagnée de divers nanophanérophytes : Rubiaceae (Coprosma montana, C. ernodeoides), Ericaceae (Vaccinium reticulatum), Asteraceae (Dubautia pl. sp.), Sapindaceae (Dodonaea viscosa), Myrtaceae (Metrosideros polymorpha), Thymeleaceae (Wikstroemia sandwicensis), Lamiaceae (Lepechina hastata), etc. Plus haut, on retrouve le même gradient structural et architectural de végétation qu'à la Réunion, avec le passage des matorrals à des landes basses éparses à Styphelia tameiameiae et Vaccinium reticulatum, associées à des pelouses graminéennes en tussocks ("tussock grassland) à Agrostis sandwicensis, Trisetum glomeratum, Poa sandwicensis, Deschampsia nubigena… Ce complexe landes/pelouses marque, comme à la Réunion, les limites des étages subalpin et alpin. Les affinités de la flore altimontaine d'Hawaï sont essentiellement australiennes et sud-pacifiques (Coprosma, Styphelia, Metrosideros, Dodonaea, Wikstroemia, Tetramolopium, Myoporum). Il existe également un lot important de genres tempérés (Poa, Trisetum, Deschampsia, Agrostis, Vaccinium) bien représentés dans toutes les hautes montagnes tropicales. Les genres Dubautia et Argyroxiphium sont endémiques d'Hawaï. Dans les Caraïbes, trois des Grandes Antilles possèdent un relief suffisamment élevé pour une développer un domaine altimontain : Hispaniola (3 175 m), Jamaïque (2 256 m) et Cuba (1 974 m). La végétation de ce domaine est, grâce aux travaux phytosociologiques de BORHIDI (1996), fort bien documentée à Cuba, malheureusement la plus basse des trois îles. L'étage subalpin y est représenté par une végétation arbustive sempervirente, microphylle riches en Ericaceae (Lyonia et Vaccinium), Baccharis, Ilex, Myrica et Lobelia. Les types chorologiques à vaste distribution (subcosmopolite, holarctique, pantropicale) prédominent (Ilex, Myrica, Vaccinium, Vernonia, Viburnum), les affinités néotropicales étant plus discrètes (Baccharis,Lobelia) ou endémiques (Peratanthe, Torralbasia). Les liens floristiques avec l'étage subalpin de la Réunion sont nuls. On retrouve sur les hautes montagnes insulaires de la Sonde et continentales intertropicales d'Amérique centrale (notamment du Costa-Rica), d'Amérique du sud, d'Indonésie, des végétations subalpines et alpines présentant divers caractères écologiques, structuraux et architecturaux communs à l'ensemble du domaine altimontain intertropical. Les liens floristiques avec la Réunion sont cependant beaucoup trop faibles et éloignés pour en faire une présentation ici, même si on peut souligner, une nouvelle fois, le rôle majeur des Ericacées (Arctostaphylos, Cavendishia, Gaultheria, Rhododendron, Vaccinium) dans les formations subalpines, la présence de quelques genres communs aux régions tempérées et aux montagnes tropicales (y compris Réunion) comme Hypericum, Carex ou encore à large distribution tropicale (Eriocaulon). Conclusion La Réunion est, avec la Grande Comore (secteur du Karthala), l'une des deux îles de l'océan Indien à présenter un domaine altimontain. Au Karthala, ce domaine est cependant réduit en surface et ne représente que la partie inférieure de l'étage subalpin ; il paraît également peu diversifié en terme d'habitats. À la Réunion, les habitats altimontains représentent plus de 16 000 ha (STRASBERG et al. 2005) et offrent un développement complet de l'étage subalpin jusqu'à la limite de l'étage alpin. Dans le monde insulaire tropical, on ne trouve guère d'équivalent altimontain que sur les deux plus hautes îles d'Hawaï (Hawai'i et Maui); les plus hautes îles des Caraïbes (Cuba, 10 mai 2007 46 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet Jamaïque, Hispaniola) et les grandes îles de la Sonde. La végétation altimontaine est absente des autres îles du Pacifique et de l'Atlantique. L'étagement, les caractères structuraux et écologiques de la végétation altimontaine d'Hawaï, des Grandes Antilles et des îles de la Sonde présentent des analogies avec la Réunion, analogies communes d'ailleurs à l'ensemble du domaine altimontain intertropical. Néanmoins l'origine australienne et sud-pacifique de la flore hawaienne, l'origine américaine de la flore antillaise, l'origine himalayenne et sud-asiatique de la flore de la Sonde limitent fortement sur le plan de la flore leur rapprochement de la végétation altimontaine de la Réunion. C'est plus en terme de complémentarités qu'il convient d'établir un parallèle entre les trois domaines altimontains tropicaux insulaires. Il y a là quatre exemples uniques au monde et fondamentalement complémentaires les uns des autres : un premier (Hawaï) associé aux régions pacifiques, un second (Hispaniola) aux régions américaines, un troisième (Sonde) aux régions himalayennes et sud-asiatiques, un dernier (Réunion) aux régions paléotropicales africaines et malgaches, avec cependant pour celui-ci un faible héritage pacifique. 10 mai 2007 47 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet COMPARATIF FLORE OUEST OCÉAN INDIEN Limites d'exercice La comparaison qualitative et quantitative de flores de territoires différents pose le problème de la nature, de la qualité, de la rigueur et de l'information des données disponibles, d'autant plus que ces données sont souvent de sources et d'âges différents. Les conceptions taxonomiques à la fois variables selon les référentiels retenus et évolutives dans le temps, l'inégalité des niveaux d'investigation et de connaissance floristique des territoires comparés entraînent nécessairement des approximations, voire des incohérences dans l'établissement de comparatifs de flore. Pour illustrer ces difficultés, on peut citer le cas des plantes vasculaires de la Réunion. BLANCHARD (2000) indique environ 850 "taxons indigènes" (mais parle "d'espèces" dans le texte), dont 250 Ptéridophytes et environ 550 Plantes à fleurs (Spermatophytes). Il indique un taux d'endémicité stricte (Réunion) de 32 % (176 taxons) pour les Plantes à fleurs et 20 % (50 taxons) pour les Ptéridophytes, ainsi qu'un taux d'endémicité régionale (Mascareignes) de 53 % pour les Plantes à fleurs et 9 % pour les Ptéridophytes. On peut constater déjà une incohérence dans les chiffres d'endémisme régional, puisque dans le cas des Plantes à fleurs ce taux correspond manifestement à la somme des endémiques strictes et des autres endémiques régionales, tandis que pour les Ptéridophytes, il s'agit apparemment des seules endémiques régionales (endémiques strictes exclues). GARGOMINY (2003) mentionne 750 espèces de plantes vasculaires (soit 100 de moins que BLANCHARD) et 188 endémiques (soit 25 %, sans précision sur le niveau d'endémicité pris en compte) contre 226 endémiques strictes et 324 endémiques régionales pour BLANCHARD. Dans sa dernière version 2007.1, l'Index de la flore vasculaire de la Réunion (CBNM-V. Boullet, coord.) donne 835 espèces indigènes s.l. (cryptogènes incluses au nombre de 81) dont 593 plantes à fleurs et 242 ptéridophytes, dont 234 endémiques strictes, 155 endémiques régionales, soit 389 endémiques au total. L'exemple précédent montre que c'est plus en terme de tendances et d'échelles de valeur que l'on est amené, dans l'état actuel des connaissances, à commenter les résultats de comparaisons interflores. Car l'absence de bases de données opérationnelles et homogènes sur l'ensemble des territoires étudiés, et souvent même l'absence de telles bases de données pour chaque territoire comparé, la nécessité de recourir à des informations synthétiques disponibles variées, sans information sur les données sources, voire même sur leur constitution, obligent à un regard critique sur de telles comparaisons. Compte tenu des difficultés à établir de telles comparaisons de flore déjà entre les différentes îles de l'océan Indien, il n'est pas apparu raisonnable, ni même crédible d'étendre de telles comparaisons à des territoires plus éloignés. Dans un certain nombre de cas, des régions mieux documentées pourront éventuellement servir de repères. Les territoires pris en compte dans cette comparaison des flores insulaires de l'océan Indien sont les Mascareignes (Réunion, Maurice, Rodrigues), les Seychelles granitiques, les Seychelles coralliennes du groupe d'Aldabra, les Comores (Mayotte, Anjouan, Mohéli, Grande Comore). Source des données Réunion – Index de la flore vasculaire de la Réunion. Version 2007.1 (CBNM-V. Boullet, coord.). Maurice – BLANCHARD (2000), CADET (1980). Rodrigues - BLANCHARD (2000), CADET (1980). Seychelles granitiques – FRIEDMANN (1994). Seychelles coralliennes – FOSBERG & RENVOIZE (1980). Mayotte – BARTHELAT & BOULLET in ROLAND & BOULLET (2005). Anjouan – KEITH et al. (2006). Mohéli - KEITH et al. (2006). Grande Comore - KEITH et al. (2006). Remarques- Pour Anjouan, Mohéli et Grande Comore, il s'agit de données provisoires ne concernant que le nombre total d'espèces connues et considérées comme très en deçà de la réalité. Des extrapolations ont d'ailleurs été proposées par les auteurs (KEITH et al. 2006). Pour les Seychelles granitiques, il s'agit 10 mai 2007 48 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet d'approximations. Pour Maurice et Rodrigues, il s'agit de données approximatives et non actualisées. Les données concernant l'endémicité des genres ont cependant pu être révisées en cohérence avec l'Index de la flore vasculaire de la Réunion. Seules les données de la Réunion et de Mayotte sont en cohérence taxonomique. Pour les autres territoires, les données brutes n'ont pu être vérifiées (sauf les genres endémiques des Mascareignes) ou ne sont pas accessibles. Diversité globale de la flore vasculaire La diversité de la flore d'une île dépend de son âge, de son étendue, de sa diversité d'habitats (notamment associée au gradient altitudinal et la pluviosité), de sa distance par rapport aux sources d'approvisionnement en diaspores (BALGOOY 1969, CADET 1980). La diversité spécifique de la Réunion (835 espèces pour 2512 km², soit une densité spécifique de 0,33 espèce au km²) apparaît relativement faible par rapport à celle d'une île continent comme Madagascar (± 10 000 espèces pour 594 000 km², soit 0,02 espèce au km²). Mais, il est vrai que rapportée à sa surface (densité spécifique), la flore vasculaire de la Réunion offre un remarquable condensé de biodiversité. Sur ces aspects, Réunion et Maurice apparaissent assez proches. Maurice, plus petite que la Réunion, est aussi un peu plus riche (884 espèces pour 1865 km², soit 0,47 espèces au km²), ce qui est somme toute logique au vu de son ancienneté (7,8 MA). Plusieurs mécanismes moteurs de la diversité floristique d'une île, entrent ici en ligne de compte pour expliquer le faible écart entre les deux îles soeurs. La jeunesse de la Réunion (± 2 MA) paraît ainsi nettement compensée, d'une part, par son offre plus élevée d'habitats lié au développement important du gradient altitudinal (étage montagnard complet, à peine esquissé à Maurice, étage altimontain absent à Maurice) et par sa plus grande proximité des sources afro-malgaches d'approvisionnement des diaspores. Le nombre comparé de Ptéridophytes (242 espèces à la Réunion, 199 à Maurice) et d'Orchidées (± 145 à la Réunion, ± 70 à Maurice), plantes typiquement anémochores et présentant à la Réunion une importante diversité à l'étage montagnard et altimontain, fournit une bonne démonstration de ces deux processus. Rodrigues, île basse (393 m d'altitude), petite (151 km², soit 16 fois moins grande que la Réunion), jeune (1,8 MA) et très isolée compte néanmoins 151 espèces de plantes vasculaires (soit 1,39 espèce au km²), ce qui est tout à fait remarquable en raison de la faible diversité d'habitats de l'île. Ces chiffres ne tiennent cependant pas compte de la disparition des espèces, ni de l'extrême appauvrissement et fragmentation des populations de nombreuses espèces indigènes à Maurice et Rodrigues, compte tenu des faibles surfaces de milieux naturels subsistants. L'absence de données actualisées et comparables à l'échelle des Mascareignes ne permet donc pas d'actualiser les statistiques théoriques de diversité présentées précédemment. Seule la Réunion possède un bilan actualisé permanent de sa flore indigène. La version 2007.1 de l'Index de la flore vasculaire de la Réunion recense 32 espèces indigènes ou cryptogènes présumées disparues : 15 Ptéridophytes, 17 Spermatophytes dont 3 endémiques de la Réunion et 5 endémiques des Mascareignes. Dans le reste de l'océan Indien occidental, les Seychelles granitiques avec 280 espèces pour 230 km² (soit 1,22 espèce au km²), les Seychelles coralliennes (187 espèces pour 116 km², soit 1,61 espèce au km²) présentent une faible diversité mais une forte densité spécifique, compte tenu de la taille de leurs territoires. Sans oublier les limites de pertinence précédemment évoquées des données disponibles pour les îles de l'archipel des Comores, la Réunion se situe approximativement au même niveau qu'Anjouan (fourchette 608-930 espèces), cinq fois plus petite et paraît moins diversifiée que la Grande Comore (fourchette 805-1231 espèces), deux fois et demi plus petite. Les fortes diversités de Mayotte (616 espèces pour 377 km², soit 1,63 espèce au 10 mai 2007 49 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet km²) et de Mohéli (318-487 espèces pour 211 km², soit au moins 1,51 espèce au km²) pour de petits territoires, tout comme celles d'Anjouan et de la Grande Comore, soulignent la proximité de Madagascar et les fortes affinités des flores malgache et comorienne. Pour conclure, la diversité de la flore indigène réunionnaise (835 espèces), compte tenu de l'éloignement des continents sources et de la jeunesse de l'île, peut être considérée comme élevée pour une île océanique volcanique, notamment si on la compare à d'autres territoires océaniques intertropicaux isolés comme la Polynésie française qui, avec près de 120 îles, compte 893 espèces vasculaires pour 3521 km² (soit 0,25 espèce au km²). En valeur absolue et sans Madagascar, cette diversité floristique fait partie des plus élevées de l'océan Indien, au même titre que Maurice et la Grande Comore. Endémicité La Réunion ne possède pas de famille endémique de plantes vasculaires. Seuls dans l'océan Indien, Madagascar (6 familles) et les Seychelles (1 famille, les Medusagynaceae avec une unique espèce aux affinités peu claires) en possèdent. Au niveau générique, les Mascareignes comptent 32 genres endémiques (uniquement de plantes à fleurs), 4 communs aux 3 îles, 10 communs à Maurice et la Réunion, 3 uniques à Rodrigues, 7 à Maurice, 8 à la Réunion. Au total 22 genres endémiques sont présents à la Réunion, soit 5,6 % du nombre total de genres. Il faut cependant relativiser ce type de bilan au niveau générique, comme a pu le faire CADET (1980), car plusieurs genres endémiques paraissent faiblement étayés sur le plan taxonomique, notamment les genres Bonniera, Ruizia, Astyria, Trochetia, Parafaujasia, Eriotrix. Une récente mise au point phylogénique et taxonomique de la tribu des Ixoreae (A. MOULIS, à paraître) inclut d'ores et déjà Myonima dans Ixora. Dans les autres îles de l'océan Indien, les Seychelles comptent 12 genres endémiques, dont 6 de palmiers (Arecaceae). Les Seychelles coralliennes ne possèdent aucun genre endémique. Les flores de Mayotte, Mohéli, Anjouan et la Grande Comore ne paraissent également pas avoir de genres endémiques stricts ou régionaux (Comores), mais elles disposent d'un nombre assez élevé de genres endémiques macro-régionaux (Madagascar et Comores). À Madagascar, le nombre de genres endémiques dépasserait les 250 pour l'ensemble des plantes vasculaires (soit environ 20 % du total des genres). Au niveau spécifique, la flore vasculaire indigène de la Réunion comprend 235 endémiques strictes (28,1 %), 155 endémiques régionales (18,6 %), soit au total 390 espèces endémiques (46,7 %). L'endémisme peut également être détaillé par groupes systématiques. Les "Spermatophytes" indigènes possèdent 217 endémiques strictes (36,6 %), 130 endémiques régionales (21,9 %), soit au total 347 espèces endémiques (58,5 %). Les "Ptéridophytes" indigènes possèdent 18 endémiques strictes (7,4 %), 25 endémiques régionales (10,3 %), soit au total 43 espèces endémiques (17,8 %). La comparaison avec Maurice et Rodrigues est rendue délicate en raison du manque de fiabilité et de cohérence des chiffres disponibles. CADET (1980) positionnait l'endémisme strict de chacune des trois îles à environ 30 % de la flore indigène, et l'endémisme total à 6065 % pour la Réunion et pour Maurice, à 55 % pour Rodrigues. Il est probable que le taux d'endémisme de Maurice et Rodrigues, sur la base des connaissances actuelles, ait peu changé et soit, au moins, de même ordre que celui de la Réunion. Les trois îles des Mascareignes ne présentent guère de différence nette d'endémisme, et ce malgré les différences d'âge, de superficie et de diversité bioclimatique. Le taux d'endémisme est un peu plus faible aux Seychelles granitiques (29,3 %) et coralliennes (22,5 %), beaucoup plus à Mayotte (14,8) et probablement dans le reste de l'archipel des Comores. 10 mai 2007 50 Habitats, flore et végétation : diversité et originalité CBNM – V. Boullet L'endémisme de la flore vasculaire réunionnaise, au niveau des espèces, avoisine globalement les 50 % (46,7 %) et les 60 % (58,5 %) pour les Spermatophytes. C'est, sans atteindre les valeurs records des flores vasculaires de Madagascar (± 80 %) ou de la Nouvelle-Calédonie (74,3 %), un niveau d'endémisme élevé. DIVERSITÉ ET ENDÉMICITÉ DES FLORES VASCULAIRES DES ÎLES DE L'OUEST DE L'OCÉAN INDIEN RÉUNION MAURICE RODRIGUES SEYCHELLES GRAN. SEYCHELLES CORAL. (gr. ALDABRA) MAYOTTE ANJOUAN MOHÉLI GRANDE COMORE 835 884 151 280 187 616 ? 608-930 ? 318-487 ? 805-1231 Espèces 235 28,1 82 42 34 Endémicité stricte 29,3 22,5 5,5 390 46,7 91 Endémicité totale 14,8 593 685 125 200 185 542 Spermatophytes 217 36,6 70 42 34 Endémicité stricte 22 38 35 22,7 6,3 347 58,5 88 Endémicité totale 50 16,2 242 199 26 80 2 74 Ptéridophytes 18 12 0 0 Endémicité stricte 7,4 19 11 15 0 0 43 3 Endémicité totale 17,8 24 22 4 390 ± 170 Genres 22 12 0 0 21 7 Genres endémiques 5,6 7,1 0 0 8 7 3 Endémicité stricte 2,1 14 14 4 12 Endémicité régionale 3,6 7,1 Pour chaque île, nombre d'espèces dans la colonne de gauche, taux d'endémisme dans la colonne de droite. Sources et commentaires : voir texte. BIBLIOGRAPHIE BLANCHARD F. 2000. – Guide des milieux naturels. La Réunion-Maurice-Rodrigues.384 p. Ulmer, Paris. BLASCO F. 1971. – Montagnes du sud de l'Inde : forêts, savanes , écologie. 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