habitats, flore et végétation : diversité et originalité

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habitats, flore et végétation : diversité et originalité
Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
ÉLÉMENTS POUR LE DOSSIER UNESCO : HABITATS, VÉGÉTATION ET FLORE
HABITATS, FLORE ET VÉGÉTATION :
DIVERSITÉ ET ORIGINALITÉ
La diversité des habitats1 et de la végétation d'une île océanique tient à la
rencontre entre un "patron d'habitats" étroitement associé au relief et au climat insulaires et
une immigration végétale en provenance de sources continentales ± proches.
Le patron d'habitats est hérité de processus géologiques, morphodynamiques et
climatiques qui se sont échelonnés sur de longs pas de temps. À l'échelle temporelle
humaine, le patron apparaît relativement stable à l'exception des zones de perturbations
permanentes associées aux fleuves, à la mer ou encore aux très hautes altitudes.
Mais à la Réunion, l'évolution du patron écologique insulaire est en permanence
avivée par la persistance d'un volcanisme actif et d'une puissante érosion souvent renforcée
par le régime cyclonique. Ces deux facteurs entretiennent à eux seuls une chronologie
dense d'évènements catastrophiques. Une partie de l'île est ainsi inscrite dans des
processus récurrents et concomitants de construction et de destruction propices à la fois à la
régénération de séries écologiques primaires et à la vulnérabilité intrinsèque de la
biodiversité.
LE PATRON D'HABITATS
L'OSSATURE PRIMITIVE DU PATRON
La partie émergée (aujourd'hui 2 512 km²) du cône volcanique de la Réunion a surgi
des profondeurs océanes, il y a un peu plus de 2 millions d'années. Elle est actuellement
formée de deux massifs volcaniques : un massif ancien profondément entaillé par l'érosion,
actuellement inactif (mais pas éteint), le Piton des Neiges (haut de 3 069 mètres) qui occupe
les deux tiers nord-ouest de l'île, et le Piton de la Fournaise, en activité régulière, culminant à
2 631 mètres.
Le relief de ces massifs présente une alternance de planèzes et de ravines plus ou
moins profondes, où circulent des cours d'eau irréguliers à régime torrentiel. Cette séquence
répétitive a été profondément bouleversée par l'érosion et l'effondrement de l'édifice
volcanique du Piton des Neiges qui ont abouti à la formation des trois cirques de l'île (Cilaos,
Mafate, Salazie), paysages spectaculaires et uniques au monde.
Le modelé actuel est loin d'être une infrastructure figée. L'érosion permanente des
cirques, l'activité volcanique intense (coulées de lave, effondrements, édification de
nouveaux cônes…) installent ou mettent à jour de nouveaux substrats. Ces terres neuves
constituent un laboratoire biologique et écologique sans pareil pour observer les successions
primaires de végétation.
Le climat général est de type tropical océanique, mais compte tenu du relief élevé
de la Réunion, il présente une forte variation altitudinale aboutissant aux conditions
climatiques froides, fortement gélives et parfois enneigées des sommets de l'île (Piton des
Neiges, Grand Bénare, Piton de la Fournaise). Élevé et central, le relief fait obstacle aux
vents d'alizés dominants de direction sud-est et détermine une forte dissymétrie climatique
de l'île : une côte au vent humide et fortement pluvieuse, une côte sous le vent subissant
un effet de foehn et beaucoup plus sèche.
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Le terme "habitat", pris ici dans un sens de "cadre spatial et écologique global, sans application à une échelle
quelconque du vivant" correspond à la notion d'habitat naturel, retenue par l'Union Européenne dans le cadre de
la Directive Habitats, qui en donne la définition suivante "zones terrestres ou aquatiques se distinguant par leurs
caractéristiques géographiques, abiotiques et biotiques, qu'elles soient entièrement naturelles ou semi-naturelles".
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LA SCÈNE DE BIOCLIMATS
Dissymétrie climatique, relief élevé et tourmenté induisent une grande diversité de
climats et de potentialités biologiques (on parle alors de bioclimats). Une première
échelle de ces variations climatiques (pluviométrie, nébulosité, température) ordonne un
étagement naturel des habitats et de la végétation en fonction de l'altitude. Cette zonation
altitudinale (étudiée et bien décrite par RIVALS 1952 et CADET 1977) diffère dans chacun
des domaines au vent et sous le vent. À chaque étage, défini par ses caractères climatiques
généraux (secteur climatique), correspondent des potentialités différentes de d'habitats et
de végétation centrées sur une végétation climacique à caractère zonal (c'est-à-dire
associée au secteur climatique). Ces climax zonaux sont forestiers, à l'exception des plus
hautes altitudes où les contraintes climatiques empêchent la présence de forêts.
► Figure : étagement de la végétation (source Cadet 1977).
LE VERSANT AU VENT
Sur la côte au vent, humide et pluvieuse, l'étagement présente la succession suivante
de végétations climaciques :
- forêt tropicale humide de basse altitude (ou forêt de bois de couleurs des bas)
associée au secteur chaud (mégatherme) et humide (hygrophile) des basses terres
jusqu'à 800 m d'altitude, encore appelé "étage mégatherme hygrophile" ;
- forêt tropicale humide de montagne (ou forêt de bois de couleurs des hauts, ou
encore "forêt néphéléphile", "forêt de nuages") correspondant au secteur frais et
très humide de la zone des nuages. Cette zone constamment saturée d'humidité
atmosphérique, s'étendant jusqu'à 1900 m d'altitude est encore appelé "étage
mésotherme hygrophile", ou "étage mésotherme néphéléphile". La forêt de
montagne à Tamarin des hauts s'inscrit dans cette potentialité climacique mais
représente un stade de substitution plus ou moins rémanent après incendie.
- complexe altimontain de fourrés, matorrals et landes riches en éricacées ; ce
complexe est associé, au-dessus de 1900 m, au secteur froid et humide des hautes
altitudes de la Réunion ou "étage oligotherme hygrophile". Dans ce secteur aux
forts contrastes climatiques (variations thermiques journalières et saisonnières
importantes, périodes hivernales froides, fort ensoleillement), existe en fait une
succession fine de climax étroitement liée au gradient altitudinal, et marquée par un
abaissement progressif et conjoint de la végétation et des températures depuis les
fourrés altimontains hauts de quelques mètres aux landes basses et prostrées des
sommet de l'île.
LE VERSANT SOUS LE VENT
Dans l'ouest et le nord de l'île, sur la côte sous le vent, la végétation présente un
étagement similaire modulé par l'effet de foehn qui relève les limites altitudinales des
étages. Les parties basses de la côte sous le vent voient en conséquence apparaître un type
de secteur climatique particulier, chaud (mégatherme), ensoleillé, plutôt sec (semi-xérophile),
à caractère général subhumide et qui représente l'étage mégatherme semi-xérophile. Cet
étage, en fait complexe, est le domaine de la forêt mégatherme semi-xérophile, souvent
qualifiée de "forêt semi-sèche"2, qu'il faut comprendre comme un complexe mettant en
scène des habitats de planèzes, de hauts de pente, de vires et parois rocheuses, de falaises
2
Les termes "semi-sec" et "semi-xérophile" sont généralement utilisés de manière indifférenciée à la Réunion.
On fera néanmoins remarquer que le qualificatif "semi-sec" s'il s'applique bien à un milieu ou un habitat, reste
abusif lorsqu'il s'agit de végétations pour lesquelles le terme de "semi-xérophile" (étymologiquement : qui aime
les conditions semi-sèches) devrait être employé.
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et de pieds de falaises, d'éboulis rocheux, alliant des aspects herbacés, arbustifs et
forestiers.
Au-dessus, on retrouve la forêt tropicale humide de montagne et le complexe
altimontain du versant sous le vent, assez semblables à ceux du versant au vent, avec
cependant quelques caractères propres.
LA FRANGE LITTORALE
Sur toute la façade maritime de l'île, existe une frange littorale aux interfaces marins
et terrestres. La partie supérieure de cette frange baignée et influencée par les embruns
marins représente l'étage supralittoral. Les végétations et habitats y sont aussi influencés
par les nuances climatiques générales de l'île, notamment par la dichotomie "au vent / sous
le vent".
Un effet "maritime" peut se faire sentir au-delà de l'étage supralittoral dans toute la
zone côtière, mais il ne semble nettement marqué par une végétation particulière (dite
"adlittorale") que dans les régions sous le vent. Ce faciès maritime se traduit alors par une
accentuation de l'ensoleillement et de la sécheresse ; il détermine une zone particulière de
l'ouest de l'île, à caractère subaride limitant le développement de la forêt semi-sèche
climacique. En raison de la destruction quasi totale des habitats naturels de ce secteur, il est
difficile d'être certain de la végétation initialement présente, même si l'hypothèse d'une
savane arborée à lataniers et ébéniers a souvent été évoquée.
LE PATRON SECONDAIRE
À une seconde échelle d'analyse, un nuancement de l'étagement et des végétations
climaciques répond aux variations climatiques générées par le relief tourmenté de l'île dans
chaque zone bioclimatique (on parle alors de mésoclimats particuliers, pour chacune de ces
variations). Les ravines, les remparts des cirques et des caldeiras jouent un rôle central dans
la modulation secondaire du patron d'habitats.
Enfin, aux côtés des végétations inscrites dans les potentialités climaciques zonales
précédentes, existent des végétations et des habitats qui ne s'inscrivent plus dans la
potentialité climacique de la zone. Ce type de situation apparaît lorsque l'influence d'un
facteur écologique particulier (eau, sol, géomorphologie) devient fortement prépondérante.
En dehors de la frange salée littorale soumise aux embruns marins, il s'agit surtout à la
Réunion du facteur eau qui génère de tels milieux particuliers : étangs, cours d'eau
permanents et temporaires, forêts marécageuses, ensemble de milieux que l'on peut
rassembler sous le terme générique de "zones humides". Les parois rocheuses
permanentes, les sols d'avoune sont également des facteurs susceptibles de porter des
habitats et des végétations originales.
UNE GRANDE DIVERSITÉ D'HABITATS
Il ressort de cette extrême diversité de situations écologiques, l'existence à la
Réunion d'un très grand nombre d'habitats naturels. Actuellement près de 200 types
d'habitats naturels ont été inventoriés dans l'île dans le cadre de l'élaboration de la Typologie
des milieux naturels et des habitats de la Réunion (DUPONT & al. 2000). Ils peuvent être
répartis en 19 grands types de milieux (STRASBERG & al. 2005).
L'affinement des connaissances actuelles sur les habitats de l'île, laisse entrevoir un
nombre encore beaucoup plus élevé d'habitats, notamment sur le littoral et les hautes
montagnes de l'île.
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L'ORIGINALITÉ DU PATRON D'HABITATS
L'insularité induit une accentuation des gradients climatiques (chaleur, précipitations,
vapeur d'eau) en altitude et donc à un abaissement des limites des étages de végétation par
rapport aux situations continentales.
Si l'on compare3 l'étagement de la végétation de la Réunion à celui des hautes
montagnes intertropicales de l'est de l'Afrique (secteur de référence et point de comparaison
étayé d'ailleurs par de nombreux liens floristiques et structuraux avec la végétation de la
Réunion), on peut reconnaître à la Réunion, six étages principaux :
- un étage supralittoral ;
- un étage adlittoral (à climat sous influence maritime) ;
- un étage tropical inférieur (de basse altitude), soit humide (côte au vent), soit semisec (côte sous le vent) [= étage mégatherme de Cadet] ;
- un étage tropicomontagnard (ou tropical de montagne, ou afromontagnard) [étage
mésotherme de Cadet] ;
- un étage tropicosubaltimontain (ou afrosubalpin) [étage oligotherme de Cadet] ;
- un étage tropicoaltimontain (ou afroalpin), à peine esquissé à la Réunion et
représenté uniquement par sa base.
Certains de ces étages peuvent encore être subdivisés, traduisant une réponse plus
fine de la végétation au gradient climatique altitudinal, mais la complexité du patron
d'habitats de la Réunion tient surtout à la forte dissymétrie climatique de l'île qui permet
d'observer deux séquences différentes de l'étagement de végétation selon l'exposition
au vent ou sous le vent, différence surtout marquée dans les horizons inférieurs de la
zonation.
Aucune île tropicale océanique de l'océan Indien ne propose un tel étagement. La
plus proche de ce point de vue est la Grande Comore (2 355 m au sommet conique du
Karthala), mais l'étage subaltimontain y est réduit, n'atteignant pas l'étage altimontain.
Les situations continentales est-africaines, notamment d'origine volcanique [volcans des
Virunga (4507 m), mont Elgon (4315 m), mont Meru (4566 m), Kilimandjaro (5890 m)], ou subcontinentales
(Madagascar), ne sont certes pas totalement comparables en terme de patron écologique,
notamment en raison de l'éloignement des façades maritimes. Mais c'est justement une des
grandes originalités la situation insulaire de la Réunion que de proposer un étagement
complet du supralittoral à la base de l'afroalpin s'établissant sur un rayon très court, d'une
vingtaine de kilomètres. Un tel étagement s'étale sur environ 200 km à Madagascar,
plusieurs centaines de km en Afrique de l'est.
La Réunion apparaît ainsi, en quelque sorte, comme un condensé et un résumé
des patrons d'habitats tropicaux des zones montagneuses de l'Afrique tropicale et de
Madagascar. Un tel patron écologique explique à lui seul la grande diversité4 d'habitats
présents dans l'île et la concentration de cette diversité sur une petite surface.
Du seul point de vue de son patron écologique insulaire, la Réunion apparaît donc
unique dans l'océan Indien. Les équivalences manquent dans la zone atlantique et n'existent
que dans le Pacifique, notamment dans les plus hautes îles du groupe d'Hawaï (Hawaii,
Maui).
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Une difficulté majeure dans la comparaison de la zonation altitudinale entre régions tropicales, mais plus
globalement à l'échelle mondiale, réside en la pluralité des approches, des nomenclatures et des opinions
conceptuelles sur les notions d'étages (voir notamment TROCHAIN 1980).
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Il est malheureusement délicat et peu convaincant d'établir des comparaisons quantitatives de cette diversité
d'habitats par rapport aux territoire voisins, compte tenu du déficit et de la variabilité des connaissances sur les
habitats dans l'océan Indien et de la pluralité des approches descriptives et typologiques.
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LE PEUPLEMENT VÉGÉTAL
Comme d'autres îles océaniques intertropicales, la flore de la Réunion résulte d'une
immigration, lente et sélective, et de processus de spéciation qui, bien que récents à l'échelle
des temps géologiques, sont à l'origine d'un endémisme important.
On aimerait pouvoir dérouler l'histoire végétale de la Réunion tel un film chronologique présentant les
étapes successives de la végétalisation d'une île océanique nouvellement émergée. Mais les bases de
connaissances diachroniques manquent et, à la suite de RIVALS (1952) puis de CADET (1977), il faudra se
contenter de reconstituer les étapes et les faits de la colonisation sur la base des peuplements actuels, des
comparaisons inter-îles, des mécanismes biologiques de dissémination des
végétaux, des données
phylogéniques, des documents historiques sur l'état originel de l'île avant l'arrivée de l'homme, des introductions
volontaires ou involontaires connues…
LE PEUPLEMENT VÉGÉTAL AVANT L'ARRIVÉE DE L'HOMME
Comme toute nouvelle île océanique et à l'instar des autres îles des Mascareignes
(Maurice, Rodrigues), le peuplement végétal de la Réunion s'est appuyé sur les zones
continentales les plus proches (Madagascar, Afrique de l'est, Asie du sud-est, Indonésie,
Australie) qui constituent aujourd'hui encore des réservoirs permanents et fonctionnels de
diaspores.
La dissémination naturelle des végétaux, faute de moyens propres de locomotion,
est obligatoirement passive. L'implantation de végétaux sur une île doit donc s'en remettre
aux courants marins (voie maritime), aux vents et cyclones (voie éolienne), aux oiseaux
(voie animale).
Mais, isolée en plein océan Indien, la Réunion, comme Maurice et Rodrigues, reste
une destination difficile à atteindre.
La voie de mer
Les premières implantations de végétaux vasculaires à la Réunion ont certainement été littorales.
Régulièrement les marées amènent un lot de semences adaptées au transport par les courants marins
qui, dans le sud-ouest de l'océan Indien, circulent d'est en ouest depuis les rivages de l'Indonésie et de
l'Australie. Ces semences, capables de voyager sur de très longues distances, ont en commun les mêmes
facultés de flottaison, de tolérance au sel et de longévité germinative. Elles appartiennent le plus souvent à des
plantes côtières à large répartition indopacifique voire pantropicale : Ipomoea pes-caprae subsp. brasiliensis
(Patate à Durand), Canavalia rosea (Patate cochon), Dendrolobium umbellatum (Bois malgache), Premna
serratifolia (Lingue blanc), Fimbristylis cymosa, Zoysia matrella (Gazon bord de mer), Scaevola taccada (Manioc
bord de mer), Tournefortia argentea (Veloutier), Pemphis acidula (Bois matelot), etc.
Au total, la voie de mer représente approximativement 5-10 % des origines de la flore indigène. Elle
n'intéresse pratiquement que la flore littorale actuellement soumise aux embruns, même si l'on soupçonne une
origine littorale aux espèces endémiques intérieures des genres Calophyllum, Ochrosia, Hernandia, Sophora et
Terminalia.
La voie des airs
De nombreuses plantes se sont adaptées à la dispersion par les vents, les tempêtes tropicales, les
cyclones. Elles ont développées un arsenal de diaspores légères aptes à voler ou être emportées par le moindre
souffle de vent : semences à parachute (Astéracées, Asclepiadacées), spores ultra-légères (Ptéridophytes),
graines sans albumen (Orchidées)…
Cette stratégie de dissémination à longue distance caractérise de nombreuses plantes pionnières et
souligne l'adaptation à la colonisation aléatoire de milieux neufs par l'émission en masse et fréquente d'un
nombre élevé de diaspores (type de stratégie de régénération "W", GRIME 2001).
Les alizés, en provenance du SE, balayent une zone océane vide de terre émergée. Ils n'ont que peu de
chance d'amener avec eux des semences légères et leur rôle dans l'alimentation en diaspores de la Réunion est
certainement anecdotique.
À l'inverse, les cyclones progressant fréquemment du NE au SO transportent probablement de
nombreuses diaspores dans le sens Rodrigues / Maurice / Réunion / Madagascar, assurant une alimentation
régulière inter-île. Mais c'est dans le retour en sens inverse de certains cyclones de Madagascar vers les
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Mascareignes (comme par exemple les cyclones Charlotte et Hortense en 1973, Inès en 1975, Hyacinthe en
1980…) qu'il faut rechercher une cause majeure d'apport de végétaux par les airs à la Réunion.
La puissance de ces météores aura certainement permis également l'apport de semences beaucoup
plus lourdes, adaptées à la dissémination à courte distance par le vent (comme les fruits ailés des Dodonaea,
Terminalia et Homalium), ou bien simplement emportées avec tiges ou branchages arrachés par la violence des
vents.
Il est probable que cette arrivée par les airs ait assuré les premières végétalisations intérieures de l'île.
Bon nombre de genres d'Astéracées endémiques de la Réunion ou des Mascareignes (Eriotrix, Faujasia,
Parafaujasia, Monarrhenus), répondent à cette stratégie de dissémination par le vent à longue distance et
correspondent peut-être à des implantations très anciennes dans l'île.
Au total, la voie des airs représenterait près de 30 % des origines de la flore indigène.
Les oiseaux
De nombreux oiseaux marins sillonnent les rivages de l'océan Indien. Divers oiseaux migrateurs visitent
régulièrement les terres de la Réunion. Ils peuvent amener avec eux diverses semences.
Le transport est tantôt externe (épizoochorie), collé ou accroché au plumage, ou encore coincé avec un
peu de vase ou de boue sur les pattes, tantôt interne dans les voies digestives des oiseaux (endozoochorie).
Certaines espèces semblent bien adaptées à la dissémination par les oiseaux comme celles produisant
des semences gluantes (Plumbago zeylanica, Rhipsalis baccifera, Boerhavia spp., Pisonia grandis…), mais,
d'une manière générale, beaucoup de plantes croissant dans les lieux fréquentés par l'avifaune peuvent être
concernées. C'est notamment le cas de plantes pionnières des vases exondées des mares et des étangs
fréquentées par les échassiers migrateurs comme Lindernia rotundifolia, Bacopa monnieri, ou encore Bryodes
micrantha, cette dernière espèce uniquement connue de quelques mares de Madagascar, d'Aldabra, de Maurice
et de la Réunion.
Les oiseaux frugivores sont certainement à l'origine de l'introduction à la Réunion de plusieurs familles à
fruits charnus (Asparagacées, Bégoniacées, Clusiacées, Myrsinacées, Myrtacées, Oléacées, Rubiacées,
Sapotacées…). Des oiseaux errants, détournés de leur trajectoire ou même des oiseaux terrestres emportés par
les cyclones sont probablement fortement impliqués dans ce processus très aléatoire qui suppose aussi un transit
par les voies digestives des semences sans perte de leur capacité germinative.
Les terres continentales proches (notamment Madagascar) et les îles de l'ouest de l'océan Indien sont
effectivement les plus impliquées dans le transport par les oiseaux qui concernent probablement plus de 50 %
des origines de la flore indigène de la Réunion. Mais des contrées plus lointaines ne peuvent être exclues,
comme le rappelle R. LAVERGNE (2001) en citant le cas d'un Pétrel géant, bagué aux Falkland (Atlantique sud)
et capturé sept mois plus tard à la Réunion.
On estime le taux naturel d'arrivée de la flore à la Réunion à un genre tous les 30 000
ans. En tenant compte des modes de dispersion et des affinités de la flore indigène, CADET
(1977) a dressé un premier bilan des origines géographiques du peuplement végétal
indigène de l'île.
► Figure : Origine de la flore vasculaire de la Réunion (source Cadet 1977).
La quasi-totalité des ptéridophytes et 72 % des genres de plantes à fleurs indigènes
existants à la Réunion, sont présents à Madagascar, distant de 700 km, ce qui souligne au
passage le rôle majeur des phénomènes cycloniques. Logiquement, compte tenu de
l'éloignement de ces territoires, la part des influences asiatiques (8 %) et indopacifiques (12
%) dans l'origine probable de la flore réunionnaise indigène reste minoritaire.
Dans cette explication globale d'immigration de la flore des Mascareignes depuis les
sources continentales, il faut également mentionner le rôle relais de Maurice, apparu 5
millions d'années plus tôt que la Réunion. Le peuplement végétal déjà bien avancé de cette
île relativement proche (200 km) a dû constitué une source très active de diaspores pour la
Réunion comme en témoigne le nombre élevé d'espèces communes à Maurice et la
Réunion. Cette immigration d'île à île au sein de l'Archipel des Mascareignes a sûrement été
favorisée par le sens des courants marins, des vents et des cyclones.
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Installation et évolution insulaires
Arriver est une chose, germer et survivre une autre, se reproduire et s’installer (c’est-à-dire établir une
population viable) encore une autre… La probabilité d'implantation durable d'une espèce immigrante (on parle
également d'indigénation) est a priori extrêmement faible et les échecs sont de règle. Plusieurs paramètres
concourent à augmenter les chances de réussite :
présence de nombreuses niches écologiques vides ou peu saturées, ce qui limite les phénomènes
de compétition interspécifiques ;
absence ou rareté des parasites et des prédateurs ;
capacités de reproduction adaptées avec avantage aux plantes autofertiles ou à forte multiplication
végétative, alors qu'inversement les plantes dioïques sont désavantagées.
Mais de nombreux handicaps président aussi à la destinée de ces installations : absence d'habitat
favorable, compétition avec les espèces déjà présentes, taille critique des populations…
L'ancienneté des terres émergées semble également jouer un rôle positif dans le processus
d'indigénation, sans qu'il soit clairement explicite (BLANCHARD 2000). En tout cas, la réalité de la colonisation
végétale de la Réunion démontre à elle seule, le caractère fonctionnel du processus.
Pour les populations installées, leur isolement géographique est favorable à l’évolution des espèces, ce
qui fait des Îles océaniques un laboratoire naturel de l’évolution à la base des théories élaborées par DARWIN à
partir de l'exemple des îles Galapagos. À la Réunion, l'isolement des nouveaux arrivants a permis
l'individualisation de pools génétiques distincts par isolement reproductif forcé. Cette évolution insulaire,
lorsqu'elle a été suffisamment rapide, a conduit à la formation d'espèces insulaires endémiques. De telles
spéciations ont été fréquentes chez les plantes à diaspores lourdes dont l’arrivée est exceptionnelle. À l'inverse,
ces phénomènes de spéciation sont ralentis par l'arrivée régulière de nouveaux immigrants (cas des plantes à
diaspores légères comme les "Ptéridophytes" ou des plantes littorales transportées par les courants marins.
L'ANTHROPISATION DU PEUPLEMENT VÉGÉTAL
L'installation durable de l'homme à partir du milieu du XVIIe introduit un volet exotique
dans la flore de l'île qui prendra progressivement une part de plus en plus importante avec le
développement de la société réunionnaise. La large palette des usages (agricoles, forestiers,
économiques, médicinaux, ornementaux…), l'accroissement des échanges de biens et de
personnes ont permis l'introduction volontaire ou involontaire de plusieurs milliers d'espèces
originaires des régions tropicales à tempérées du monde entier. Le climat très varié de la
Réunion a facilité l'acclimatation et la naturalisation d'un grand nombre de ces plantes
introduites.
Avec l'arrivée de l'homme au milieu du XVIIe siècle, le taux d'immigration des
végétaux à la Réunion va connaître une modification rapide et croissante.
Au premier rang de ce bouleversement est associée l'introduction volontaire de
nombreux végétaux. Aux plantes utilitaires de première nécessité, suivra rapidement un lot
de plus en plus diversifié de plantes alimentaires, fourragères, économiques, médicinales et
ornementales dont le rythme d'arrivée épousera le développement démographique, agricole,
économique et social de l'île.
Transports, déplacements des hommes et de biens amèneront aussi, de manière
involontaire, de nombreux végétaux habituellement associés aux établissements humains.
Même si plusieurs travaux apportent des témoignages historiques importants
(BRÉON 1825, RICHARD 1856, TROUETTE 1898, RIVALS 1960) sur les introductions de
végétaux à la Réunion, il est actuellement impossible de chiffrer le nombre d'espèces de
plantes vasculaires introduites à la Réunion. Il se situe probablement au-delà des 5 000
espèces et pose, notamment pour les plantes citées anciennement, de nombreux problèmes
taxonomiques et nomenclaturaux.
L'inventaire des jardins et collections végétales de la Réunion reste donc à faire…
Enfin, si l'on rapporte le nombre non négligeable de plantes adventices jamais récoltées
qu'une seule fois au nombre de botanistes ayant herborisé dans l'île, il est clair que
beaucoup d'introductions sont passées inaperçues et que la flore adventice introduite
fortuitement ne sera jamais connue totalement !
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L'introduction volontaire de végétaux
e
Dès la fin du XVIII , la société réunionnaise encourage les introductions et les essais d'acclimatation de
végétaux. Mais c'est au cours du XIXe, avec la création du Jardin d'acclimatation de Saint-Denis, futur Jardin de
l'État, que cette période d'introduction expérimentale s'organise et prend son essor en relation avec
l'industrialisation et l'aménagement.
Certaines de ces premières introductions utilitaires et de ces premiers essais marquent encore
profondément les paysages de la Réunion : Canne à sucre (Saccharum officinarum), Ananas (Ananas comosus),
Cryptoméria (Cryptomeria japonica), Goyavier (Psidium cattleyanum), Choca vert (Furcraea foetida). D'autres
aujourd'hui sur le déclin ont connu des heures de gloire comme le Géranium rosat (Pelargonium x-asperum, le
Vétiver (Chrysopogon zizanioides)… D'autres, enfin, ont presque entièrement disparu, ou ne subsistent qu'en
pieds ou cultures isolés comme le Coton (Gossypium sp.), le Café (Coffea arabica) ou le Thé (Camellia sinensis).
Du "battant des lames au sommet des montagnes", la grande diversité des climats de la Réunion
autorise une large gamme d'introduction de plantes tropicales, subtropicales et tempérées qui, par exemple,
permet aux pêches, à la rhubarbe, aux mangues, aux litchis, aux ananas, etc. de se côtoyer au fil des saisons sur
les marchés de l'île.
Aux premières fonctions agronomiques, industrielles et médicinales, les introductions des végétaux
s'inscriront dans une préoccupation ornementale et d'agrément, de plus en plus forte, qui va d'abord concourir à
la diversité de la flore des jardins créoles, puis, plus tard, au foisonnement des collections spécialisées de
palmiers, de plantes succulentes, d'orchidées… De ce point de vue, la Réunion offre un étonnant métissage
végétal…
Tout comme pour la végétalisation naturelle de l'île, difficultés, échecs et réussites auront été le lot de
l'histoire des introductions de végétaux à la Réunion. Beaucoup d'entre eux ne se sont pas maintenus ou
subsistent péniblement sur leurs lieux d'implantation. D'autres sont aujourd'hui communément cultivés, certains
se sont répandus dans les cultures, les friches, les milieux naturels parfois au point de devenir gênants par leur
caractère invasif.
La flore adventice
Parallèlement aux introductions culturales, les activités humaines se sont aussi accompagnées
d'introductions involontaires avec les marchandises, avec les animaux, avec les voyageurs… Elles concernent
surtout des plantes rudérales associées aux milieux anthropiques tels que cultures, friches, savanes, lieux
piétinés, décombres… Il y a là de très nombreux végétaux à large répartition dans les régions tropicales et
subtropicales du monde, parfois même de véritables cosmopolites comme, par exemple, le Pâturin annuel (Poa
annua), probablement la plante la plus répandue dans le monde.
On peut facilement observer aujourd'hui la permanence de ce flux d'arrivée involontaire de plantes
nouvelles pour la Réunion autour des fermes (plantes introduites avec les semences et les fourrages : Rumex
obtusifolius, Amaranthus giganteus, Senecio vulgaris…), le long des routes (introduction avec les marchandises :
Boerhavia erecta) et des sentiers (introduction par les randonneurs : Veronica officinalis)…
Indigène, endémique ou exotique ?
Dans une île plus qu'ailleurs, le fait d'être indigène (ou natif) ou introduit pour une espèce végétale
constitue une propriété biologique, patrimoniale voire politique importante. Il suffit pour se convaincre du
caractère probatoire de la dichotomie indigène/exotique, d'observer les réflexions menées autour des problèmes
d'invasions végétales, de végétalisation, ou encore de lire les articles émaillant la presse et les revues locales.
Mais, les faits scientifiques ne sont pas aussi clairs et aussi simples que cela : il suffit d'observer les
nombreuses hésitations et contradictions sur le caractère indigène ou introduit des espèces qui jalonnent la
publication de la Flore des Mascareignes, notamment à propos de la flore herbacée.
Il faut voir dans cette problématique deux groupes majeurs de difficultés.
Le premier est manifestement lié à une connaissance encore insuffisante de la flore de l'île et de son
contexte biogéographique, écologique et dynamique. Citons le cas de Carex balfourii, cypéracée endémique
stricte de la Réunion, et qui figure sur certaines listes de plantes introduites invasives.
Le second a trait à la grande difficulté voire l'impossibilité de juger du caractère indigène ou introduit de
certaines espèces, lorsqu'elles ne sont pas endémiques. Il s'agit surtout de plantes faisant l'objet d'une utilisation
ancienne par l'homme, ou de plantes de milieux herbacés plus ou moins secondarisés qui se trouvent à la
Réunion dans leur aire globale d'indigénat mais pour lesquelles on n'a pas de preuves certaines de leur présence
antérieurement à l'arrivée de l'homme. Plus d'une centaine d'espèces sont concernées.
Pour une soixantaine de ces plantes à statut incertain, une convergence de faits plaide pour leur
indigénat, mais le doute ne peut être totalement levé sur la base des connaissances actuelles. C'est, par
exemple, le cas du Pimpin (Pandanus utilis), largement planté dans les régions tropicales et longtemps considéré
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
comme introduit à la Réunion, mais qu'un ensemble de considérations morphologiques, phylogéniques et
biologiques amène à considérer comme originaire de la Réunion (BOSSER & GUÉHO 2003).
Pour d'autres, des arguments contradictoires ne permettent pas statuer dans un sens ou dans l'autre. Il
s'agit de plantes dites "cryptogènes", c'est-à-dire de plantes dans le caractère indigène ou introduit semble
impossible à trancher. Un exemple typique est la Prune malgache (Flacourtia indica), jadis cultivée pour ses fruits
et naturalisée ici et là, mais dont certaines populations littorales pourraient être indigènes…
Enfin, le statut d'indigénat ou d'introduction comporte une forte part de subjectivité. L'immigration
naturelle des végétaux par les airs, les eaux marines et les oiseaux continue à fonctionner et toute observation
d'une nouvelle espèce n'est pas forcément le résultat d'une introduction. Faute de preuves tangibles des faits
d'immigration, les avis divergent parfois. Le cas de Lepechina chamaedryoides, arbrisseau de la famille des
Lamiacées, connu de quelques populations isolées sur des remparts altimontains, est très révélateur. Les
populations réunionnaises de cette espèce ont longtemps été considérées comme une endémique de la Réunion
depuis J. de CORDEMOY (1895) qui crée pour elle un genre nouveau, endémique également de la Réunion, le
genre Mahya. Elles seront ensuite rapprochées (EPLING, 1948) puis rattachées à Lepechina chamaedryoides
(Balb.) Epling (A.J. SCOTT, 1994), espèce des montagnes du Chili et finalement considérées comme introduites
et naturalisées à la Réunion. Ce statut ne paraît cependant pas certain car par bien des aspects (distribution,
écologie, rareté...), la plante semble être indigène.
L'amélioration des connaissances taxonomiques et chorologiques (distribution des végétaux) amène
aussi régulièrement à réviser nos jugements. Une petite légumineuse, l'Indigo à feuillage variable (Indigofera
diversifolia), a longtemps été considéré comme une endémique stricte du littoral de la Réunion (POLHILL 1990),
avant d'être indiquée comme assez fréquente dans le SW de Madagascar (DU PUY & al. 2002). Voici une plante
endémique, devenant indigène, voire exotique introduite si on la compare à d'autres plantes littorales de la
Réunion, comme Zaleya pentandra, ayant des écologies et des distributions similaires et qui sont habituellement
considérées comme exotiques… On voit que les frontières entre ces différents statuts sont ténues.
Une révision des statuts de la flore de la Réunion menée sur une large assiette de faits écologiques,
chorologiques et biologiques semble plus que jamais nécessaire pour éclairer de manière plus fiable le contexte
patrimonial de l'île.
Enfin, le statut d'une d'espèce peut être multiple et des populations indigènes peuvent coexister dans
l'île avec des populations introduites. C'est bien entendu le cas de toutes les plantes indigènes, et notamment des
endémiques, qui sont aussi de plus en plus souvent cultivées dans les jardins, et parfois introduites dans la
nature.
BILAN DE BIODIVERSITÉ DU PEUPLEMENT VÉGÉTAL
Le bilan qui suit, s'attache à présenter la diversité de la flore vasculaire spontanée de
la Réunion sur des bases floristiques générales incluant taxonomie, chorologie et statuts
d'indigénat. Il est issu de l'exploitation de la dernière version de l'Index de la flore vasculaire
de la Réunion, version 2006.2, mise à jour du 24 septembre 2006 (CONSERVATOIRE
BOTANIQUE NATIONAL DE MASCARIN (BOULLET V. coord.).
Ce bilan a été établi au rang d'espèce. Il ne tient donc pas compte de la diversité infrataxonomique
(sous-espèces, variétés, formes), peu étudiée jusque là et dont les arguments taxonomiques ont parfois été
contestés. Il s'adresse uniquement à la flore spontanée, c'est-à-dire aux plantes apparues spontanément sans
avoir été directement et volontairement plantées ou semées. En outre, leur identité taxonomique et leur présence
effective à la Réunion doivent avoir été prouvées. Sont ainsi exclus :
les espèces connues uniquement à l'état cultivé ;
les espèces au statut indéterminé en raison d'une documentation insuffisante (9 cas non
résolus) ;
les taxons cités sans ambiguïté dans le territoire mais dont l'existence ou la présence
effective y reste douteuse (taxons douteux, soit 116 espèces). Les taxons douteux
appartiennent généralement à des aggrégats complexes, dont le contenu taxonomique a
considérablement varié au cours de l'histoire botanique, ou dont la délimitation et la
détermination posent d'importants problèmes. Entrent aussi dans cette catégorie, les citations
taxonomiques apparemment douteuses ou incertaines en attente d'une confirmation.
les taxons dont la présence reste hypothétique dans le territoire (taxons hypothétiques, soit
23 espèces).
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Le cadre des connaissances floristiques
Historique
L'inventaire scientifique de la flore de la Réunion débute avec Philibert COMMERSON, premier
collecteur de plantes de la Réunion (1771). Il inaugure une longue période de passage de botanistes voyageurs à
la Réunion (SONNERAT, AUBERT DU PETIT-THOUARS, BORY DE SAINT-VINCENT, BOIVIN,
GAUDICHAUD…) rapportant, dans leurs bagages, le matériel d'herbier qui permettra aux botanistes des grandes
institutions d'histoire naturelle de l'époque (J.-B. LAMARCK, A.P. de CANDOLLE, C. von WILLDENOW, A.
CAVANILLES…) de décrire de nombreuses espèces nouvelle.
Avec la publication en 1895 de sa Flore de la Réunion, synthétisant 30 années de prospections et
d'études de la flore réunionnaise, Eugène Jacob de CORDEMOY, médecin natif de l'île, établit véritablement les
fondements des connaissances botaniques générales de la flore de l'île. Une faible activité botanique lui
succèdera jusqu'au séjour dans l'île de Pierre RIVALS qui, d'avril 1939 à mai1946, parcourt en tous sens ses
montagnes. L'essentiel de ses observations est présenté dans son "Étude sur la végétation naturelle de l'île de la
Réunion" publié en 1952 et qui est aussi le premier ouvrage sur la végétation de l'île.
À partir des années "1970", l'activité et l'œuvre de Thérésien CADET (floristique, phytosociologie,
herbier) vont poser les fondements d'une nouvelle ère botanique à la Réunion dont nous allons détailler les
aspects taxonomiques, chorologiques et floristiques.
Cadre taxonomique
Le socle taxonomique moderne de la flore réunionnaise s'appuie sur la publication progressive depuis
1976 de la Flore des Mascareignes, sous l'égide l'O.R.S.T.O.M. (ultérieurement I.R.D.), du Royal Botanic
Gardens de Kew et du Sugar Industry Research Institute de Maurice et qui reste encore inachevée à ce jour (les
familles des Poacées, des Cypéracées et des Orchidacées manquent encore). L'amélioration rapide des
connaissances systématiques de la flore tropicale, le vieillissement des premiers volumes de la Flore des
Mascareignes parus il y a plus de 20 ans, la découverte de nombreuses espèces nouvelles dans l'île
nécessitaient une mise à jour régulière des connaissances taxonomiques de la flore de la Réunion. Ce travail a
été entrepris en 2002 dans le cadre de l'Index de la flore vasculaire de la Réunion, déjà cité.
Cadre floristique et chorologique
e
Après une longue période historique de prospections botaniques au cours de XIX siècle dont le point
d'orgue fut la publication de la Flore de l'île de la Réunion (CORDEMOY 1895), il faudra attendre la charnière
des années "1970" et "1980", dans le sillage de la parution de la Flore des Mascareignes, pour que renaisse une
période d'activité botanique dans l'île. Son développement ne fera que croître depuis. Dans des cadres divers
(scientifique, amateur, institutionnel, associatif, privé) et des domaines de plus en plus variés (ethnobotanique,
conservation, Orchidées, Ptéridophytes, invasions biologiques…), une masse importante de données floristiques
va être collectée, mais rarement publiée.
Il n'existe par contre aucune véritable étude de la distribution des plantes à la Réunion. Des données
diverses ont parfois été utilisées pour étayer la répartition de quelques espèces dans des contextes variés
d'études biologiques, écologiques ou conservatoires. Mais la connaissance globale de la répartition des végétaux
nécessitait un outil d'inventaire adapté. L'Atlas de la flore vasculaire de la Réunion (AFLORUN), piloté par le
Conservatoire Botanique National de Mascarin, lancé en 2004, vise à publier en 2011 un atlas de la répartition
des plantes vasculaires sur la base d'une prospection systématique de l'île par maille de 1 km².
LA FLORE SPONTANÉE GLOBALE
La flore vasculaire spontanée de la Réunion s'élève à 1703 espèces de plantes
vasculaires, dont 1451 Spermatophytes (85,2%) et 252 "Ptéridophytes" (14,8 %).
Les Spermatophytes spontanés sont presque uniquement composés (99,8 %) des
"plantes à fleurs" (phylum des Magnoliophyta). On ne connaît que 0,2 % (3 espèces) de
"Conifères" (phylum des Pinophyta). Les Cycadophytes ne sont pas représentés dans la
flore spontanée de l'île.
Les "Ptéridophytes" dans le sens usuel de ce terme comprennent à la Réunion six
phylums avec la répartition suivante en espèces :
Lycopodiophyta (les "lycopodes et sélaginelles") : 20 espèces ;
Equisetophyta (les "prêles") : 1 espèce ;
Psilotophyta (les "psilotes") : 1 espèce ;
Ophioglossophyta (les "ophioglosses et botryches") : 6 espèces ;
Marattiophyta (les "marattia, angioptéris, etc." : 2 espèces ;
Ptéridophyta (= Filicophyta) (les "vraies fougères") : 222 espèces.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
FLORES INDIGÈNE ET EXOTIQUE
Statuts d'indigénat global de la flore
vasculaire de la Réunion
Nombre
d'espèces
Taux
spécifique
(%)
Si l'on tient compte du statut d'indigénat ou d'introduction des espèces, la flore
vasculaire spontanée peut être analysée en terme de flore indigène et de flore exotique. En
fonction des remarques qui ont été faites précédemment et pour éviter une présentation par
trop complexe des résultats, plusieurs regroupements ont été faits : les indigènes incluent les
"probablement indigènes", les exotiques incluent les cryptogènes et les probablement
exotiques.
Indigènes
Cryptogènes
Exotiques
Flore spontanée totale
836
44
823
1703
49,1
2,6
48,3
100,0
Spermatophy
tes
Taux
spécifique
Ptéridophytes
(%)
Taux
Indigènes
Cryptogènes
Exotiques
Flore spontanée totale
243
0
9
252
593
44
814
1451
96,4
0,0
3,6
100,0
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spécifique
Spermatophy
tes (%)
Statuts d'indigénat et systématique
Ptéridophytes
Ainsi, la flore vasculaire spontanée de la Réunion se répartit en :
836 espèces indigènes, dont 83 seulement d'indigénat probable. Au total,
la flore indigène représente environ la moitié (49,1 %) de la flore spontanée.
44 espèces cryptogènes, de statut indigène possible mais encore obscur,
soit 2,6 % ;
823 espèces exotiques, soit approximativement l'autre moitié (48,3 %) de
la flore spontanée.
Il est donc intéressant de constater que la diversité globale de la flore vasculaire
s'équilibre entre flore indigène et flore exotique.
Si l'on s'intéresse à la composition en groupes systématiques des flores "indigène" et
"exotique" de l'île, on obtient la ventilation suivante :
pour la flore "indigène", 593 "spermatophytes" (soit 70,9 %) et 243
"ptéridophytes" (soit 29,1 %). Toutes les spermatophytes indigènes sont des
"plantes à fleurs" (Magniolophyta). Plus de 95 % des ptéridophytes (96,4 %
exactement) sont indigènes.
pour la flore "cryptogène", 44 "spermatophytes" (soit 100 %) et aucun
"ptéridophyte". Toutes les spermatophytes cryptogènes sont des "plantes à
fleurs" (Magniolophyta).
pour la flore "exotique", 814 "spermatophytes" (soit 98,9 %) et 9
"ptéridophytes" (soit 1,1 %).
40,9
3,0
56,1
100,0
11
Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
FLORE ENDÉMIQUE
Parmi la flore indigène, certaines espèces ont une aire naturelle restreinte à l'échelle
mondiale. On les désigne couramment alors sous le terme d'endémique. La notion
d'endémisme est bien évidemment relative et fonction des échelles de territoires restreints
auxquels on s'intéresse. Pour une plante uniquement présente dans l'île de la Réunion, on
parlera d'endémisme strict (ou local). L'endémisme régional est à l'échelle des Mascareignes
et l'endémisme macro-régional à l'échelle de la région floristique malgache (incluant
Comores, Seychelles et Mascareignes). Cette dernière échelle, habituellement peu utilisée,
n'a pas été retenue ici.
Endémicité de la flore indigène de la
Réunion
Nombre
d'espèces
Taux
spécifique
(%)
La flore vasculaire indigène de la Réunion comprend 232 endémiques strictes
(27,8 %), 156 endémiques régionales (18,7 %), soit au total 388 espèces endémiques
(46,4 %).
L'endémisme peut également être détaillé par groupes systématiques.
Les "Spermatophytes" indigènes possèdent 213 endémiques strictes (35,3 %), 129
endémiques régionales (21,5 %), soit au total 342 espèces endémiques (56,7 %).
Les "Ptéridophytes" indigènes possèdent 19 endémiques strictes (7,8 %), 27 endémiques
régionales (11,1 %), soit au total 46 espèces endémiques (18,9 %).
Endémiques strictes
Endémiques régionales
Autres indigènes
Endémiques totales
Indigènes totales
232
156
448
388
836
27,8
18,7
53,6
46,4
100,0
Limites et perspectives du bilan actuel
Il ne faut pas perdre de vue qu'un bilan chiffré de biodiversité, aussi précis soit-il, n'est que le
reflet à un temps donné, de l'état des connaissances et des limites méthodologiques de l'inventaire lui-même.
Plusieurs remarques s'imposent :
-
-
-
10 mai 2007
le bilan actuel ne tient pas compte de quelques taxons en cours de description, ou bien
insuffisamment étayés au rang d'espèce, ou encore dont l'identité taxonomique est en cours
d'établissement ;
les données historiques et contemporaines n'ont pas été séparées. Le nombre réduit
d'espèces apparemment disparues, tout comme les redécouvertes récentes de Nesogenes
orerensis et de Senecio ptarmicifolius, endémiques strictes considérées comme disparues
depuis un siècle et demi, incitent effectivement à la prudence quant à l'opportunité de
dégager un bilan fidéle de la biodiversité contemporaine ;
les notions de spontanéité, d'indigénat et d'introduction des espèces ont impliqué des choix
qui pourront évoluer dans le futur avec de nouvelles données ;
116 "taxons douteux" n'ont pas été pris en compte dans le bilan ; cette précaution introduit un
déficit de diversité non négligeable dont les bases sont parfois assez subjectives. C'est
précisément le cas des espèces connues uniquement par des parts d'herbier dont l'origine
réunionnaise du matériel collecté est suspecte ; ou encore le cas de plusieurs espèces
orchidées endémiques décrites succinctement par E.J. de CORDEMOY (notamment celles
du genre Cynorkis).
12
Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
En terme de perspectives, l'intensification en cours des prospections, l'affinement des études
systématiques des groupes difficiles (genres Psiadia, Cynorkis, Benthamia, Habenaria…) permettent d'envisager
une évolution quantitative du bilan de diversité aussi bien en terme d'espèces indigènes que d'espèces exotiques.
Celle-ci ne devrait toutefois pas dépasser au final 10 % du bilan actuel.
PLACE ET ORIGINALITÉ DU PEUPLEMENT VÉGÉTAL
Les traits généraux de diversité spécifique et d'endémicité de la flore indigène sont
typiques des îles océaniques isolées.
La diversité spécifique de la Réunion (844 espèces pour 2512 km², soit une densité
spécifique de 0,3 espèce au km²) est faible par rapport à celle des îles continents comme
Madagascar (± 10 000 espèces) ou la Nouvelle-Calédonie (3261 espèces). Elle est
néanmoins relativement élevée si on la compare à d'autres territoires océaniques
intertropicaux isolés : la Polynésie française qui regroupe près de 120 îles, compte 893
espèces vasculaires pour 3521 km² (soit 0,25 espèce au km²), les Seychelles avec 350
espèces pour 410 km² (soit 0,85 espèce au km²).
Les îles océaniques proches des continents ont une richesse spécifique nettement
plus élevée, ce qui tend à prouver que l'immigration de la flore dans les îles océaniques
diminue avec l'éloignement des continents. Mayotte (377 km²) totalise 616 espèces
vasculaires, soit une densité spécifique remarquablement élevée (1,63 espèces au km²) ; la
Guadeloupe et la Martinique, ensemble, compte 1863 espèces (plus du double de la
Réunion) pour une surface presque équivalente (2813 km², soit 0,66 espèces au km²).
Dans les Mascareignes, Maurice, plus petite que la Réunion, est aussi un peu plus
riche (884 espèces pour 1865 km², soit 0,47 espèces au km²), ce qui est somme toute
logique au vu de son ancienneté (7,8 MA). Rodrigues, île basse (393 m d'altitude), petite
(151 km², soit 16 fois moins grande que la Réunion), jeune (1,8 MA) et très isolée compte
néanmoins 109 espèces de plantes vasculaires (environ 8 fois moins que la Réunion, soit
0,75 espèce au km²).
L'endémisme de la flore vasculaire est élevé à la Réunion avec des taux de 27,3 %
pour l'endémisme strict et de 45,7 % pour l'endémisme total. Ces taux semblent plus élevés
que dans les deux autres îles des Mascareignes, mais les données disponibles ne sont pas
comparables.
Les îles continentales et les territoires insulaires très isolés ont un endémisme
végétal beaucoup plus élevé : Madagascar (> 80 %), Nouvelle-Zélande (> 80 %), NouvelleCalédonie (74 %), Hawaï (90 %), Polynésie française (62 %). A contrario, les îles
océaniques proches des continents et les territoires continentaux révèlent des taux bien plus
faibles : Mayotte (5 %), Guadeloupe + Martinique (4 %), Guyane (3 %).
Remarque – Les statistiques précédentes sur la diversité et l'endémisme des territoires
autres que la Réunion sont repris de BLANCHARD (2000) et GARGOMINY (2003). Elles
doivent être considérées avec circonspection car les éléments comptabilisés en terme de
rang systématique, de type d'endémisme, de statut d'indigénat ne sont pas toujours
clairement exprimés dans ces articles de synthèse.
Conservation de la flore vasculaire indigène
Insularité et micro-endémicité sont des facteurs de fragilité et de vulnérabilité de la flore indigène qui
contribuent à accroître les risques d'extinction et la crise de la biodiversité dans les îles océaniques. Même si la
situation réunionnaise n'est pas aussi critique que celles des deux autres îles des Mascareignes (Maurice et
Rodrigues), les menaces qui pèsent sur la flore indigène restent aujourd'hui encore très fortes.
L'altération et la destruction des habitats ont été les processus les plus destructeurs de la biodiversité de
l'île. Leurs effets ont heureusement été modulés par le relief, le climat et, plus récemment, les politiques
publiques de maîtrise foncière et de gestion des espaces naturels. Les zones basses où se sont concentrées
l'urbanisation et les activités agricoles n'ont conservé qu'environ 1 % de leur couverture forestière initiale, tandis
10 mai 2007
13
Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
que les forêts humides d'altitude et les végétations altimontaines ont été relativement épargnées. Même si le
processus s'est considérablement ralenti sous l'action conjuguée d'une politique volontariste de préservation des
habitats indigènes et de gestion conservatoire de la biodiversité indigène, la végétation indigène constitue une
peau de chagrin qui continue ici et là à se rétrécir.
Depuis CADET (1977), un chiffre de 30 % de végétations indigènes subsistantes est souvent avancé en
préambule des présentations des problématiques de conservation (GARGOMINY 2003). Ce chiffre ne tient
cependant pas compte de l'état de perturbation et de dégradation d'un grand nombre de ces milieux.
Le maintien et l'extension de pratiques telles que le feu, le pâturage sauvage et l'ensemencement
fourrager dans les espaces altimontains, la multiplication des perturbations anthropiques diverses (plantations en
sous-bois, campements sauvages, ouverture de sentiers, surfréquentation…) sont les principaux facteurs qui
aujourd'hui encore amenuisent l'état de conservation des végétations indigènes subsistantes. Citons deux
exemples illustrant l'impact actuel de ce type de pratiques :
les incendies ont transformé les espaces altimontains en un véritable écosystème du feu
caractérisé par l'appauvrissement de la flore, la sélection d'espèces pyrophiles (Erica
reunionensis, Stoebe passerinoides, Hubertia tomentosa…), l'invasion de pyrophytes
exotiques (Ulex europaeus notamment) ; seuls les grands remparts et les grandes ravines qui
ont plus ou moins échappés au passage du feu ont conservé une flore altimontaine
diversifiée.
le pâturage sauvage des bovins, fréquemment accompagné par un ensemencement des
pelouses naturelles altimontaines, est en train de compromettre la pérennité de ces pelouses
endémiques en raison d'un envahissement compétitif d'espèces prairiales introduites comme
Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante), Holcus lanatus (Houlque laineuse), Prunella
vulgaris (Brunelle vulgaire), Taraxacum sect. Ruderalia (Pissenlit), Hypochaeris radicata
(Porcelle radicante)… Tous ces noyaux de pelouses envahies servent de foyers d'invasion
diffusant des diaspores dans les milieux voisins encore intacts. L'invasion actuelle des
pelouses pionnières à Cynoglossum borbonicum sur lapillis mobiles, milieu d'une très grande
originalité et endémique de la Plaine des Sables, par Anthoxanthum odoratum, Prunella
vulgaris, Taraxacum sect. Ruderalia, Carex ovalis, Hypochaeris radicata… est devenue
particulièrement préoccupante.
Les deux exemples précédents mettent en exergue la problématique des invasions biologiques par des
espèces introduites qui sont considérées au niveau mondial par l'UICN, comme le troisième facteur de perte de
biodiversité après la destruction des habitats et la surexploitation des espèces. Les systèmes insulaires tropicaux
apparaissent particulièrement vulnérables aux invasions biologiques comme l'ont montré de très nombreux
travaux dans les îles tropicales. L'impact des processus invasifs sur les milieux et la flore indigène ne se limite
pas aux faits végétaux, mais concernent les espèces animales introduites. Les rats, largement répandus dans
toute l'île jusqu'au sommet du Piton des Neiges, consomment une quantité importante de fruits et de semences
qui peuvent limiter de manière significative la régénération de plantes aux populations réduites. Il est en de même
avec les Achatines, mollusques ravageurs de plantules et de jeunes pousses. Des études récentes ont ainsi
montré que les prélèvements par les rats et les achatines étaient les principaux facteurs de régression actuelle du
Mazambron marron (Aloe macra) (MEYER J.-Y. & PICOT F. 2001, JANSSEN P. 2003, PICOT F. 2005).
La flore exotique introduite constitue le réservoir potentiel des phénomènes d'invasions végétales. Ces
problématiques sont connues de longue date ; CORDEMOY (1895) écrit à propos du Raisin marron (Rubus
alceifolius) : "Espèce originaire de l'Asie méridionale, importée il y a environ un demi-siècle. Aujourd'hui elle
envahit presque toute l'île, étouffe la végétation indigène, détruit les forêts et devient un véritable fléau". Durant
de longues décennies, l'ampleur des impacts des invasions biologiques sur les milieux naturels ne suscitera que
peu de réactions, si ce n'est celle de R. LAVERGNE qui publie en 1978 en un premier mémoire sur "les pestes
végétales de l'île de la Réunion". Mais ce n'est depuis une dizaine d'années à la suite des travaux de D.
STRASBERG, C. LAVERGNE, S. BARET… que les invasions biologiques vont devenir une véritable
problématique régionale de conservation de la biodiversité et susciter différentes initiatives de lutte et de
prévention dont la coordination et la stratégie globale n'ont malheureusement pas encore trouvé de cadre à
l'échelle de l'île.
Les principaux végétaux dont le comportement invasif interfère avec le fonctionnement des végétations
indigènes pouvant aller jusqu'à une secondarisation complète des habitats, sont bien connus. Il s'agit surtout de
plantes anciennement introduites dans l'île comme Psidium cattleyanum (Goyavier), Rubus alceifolius (Raisin
marron), Hedychium gardnerianum (Longose de Gardner), Hiptage benghalensis (Liane papillon), Lantana
camara (Galabert), Boehmeria penduliflora (Bois chapelet), Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante)… Mais il
existe aussi des invasions rapides d'espèces introduites plus récemment comme Ligustrum robustum subsp.
walkeri, Clidemia hirta.
Sur la base d'une échelle d'invasibilité proposée par C. LAVERGNE, l'Index de la flore vasculaire de la
Réunion propose dans sa version 2006.1, la première analyse complète de l'invasibilité de la flore exotique
spontanée (846 espèces) dont on trouvera ici pour la première fois le bilan global.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Invasibilité de la flore exotique spontanée à la Réunion – Source : Index de la flore
vasculaire de la Réunion, version 2006.1 [CBNM- V. Boullet, coord.]
Niveau
Taxon
Nombre
Taux
d'invasibilité
d'espèces
d'invasibilité
(%)
5
très envahissant en milieu 46
5,4
naturel
4
envahissant en milieu naturel
60
7,1
3
envahissant
en
milieu 197
23,3
anthropique
2
naturalisé et potentiellement 244
28,9
envahissant
1
non envahissant
274
32,4
0
non coté
97
3,0
46 espèces (soit 5,4 % de la flore exotique spontanée) sont considérées comme très envahissantes,
pouvant dominer ou co-dominer dans les milieux naturels ou semi-naturels, et ayant un impact direct fort sur la
composition, la structure et le fonctionnement des écosystèmes (niveau 5 de l'échelle).
60 (7,1 %) sont envahissantes en se propageant dans les milieux naturels ou semi-naturels avec une
densité plus ou moins importante sans toutefois dominer ou co-dominer la végétation (niveau 4 de l'échelle).
197 (23,3 %) sont envahissantes en se propageant uniquement dans les milieux régulièrement perturbés
par les activités humaines (bords de route, cultures, pâturages...) avec une densité plus ou moins forte (niveau 3
de l'échelle).
244 (28,9 %) sont potentiellement envahissantes, pouvant régénérer localement (naturalisé) mais dont
l’ampleur de la propagation n’est pas connue ou reste encore limitée (niveau 2 de l'échelle).
274 (32,4 %) sont non envahissantes (niveau 1 de l'échelle) et 25 (soit 3,0 %) sont insuffisamment
documentées et non encore cotées (niveau 0 de l'échelle).
Destruction et altération des habitats, invasions biologiques, exploitation des végétaux (braconnage
notamment) font peser des menaces d'extinction sur les plantes indigènes de l'île. J. DUPONT, J.-C. GIRARD et
M. GUINET (1989) ont les premiers attirés l'attention sur l'ampleur de la problématique à la Réunion. Depuis,
plusieurs listes d'espèces menacées ont été proposées ces dix dernières années sur la base des critères de
menaces de l'UICN. La Liste Rouge à l'échelle mondiale publiée par l’IUCN en 1998 (WALTER & GILLETT)
concernait à la Réunion 106 taxons de rang divers, dont six considérés comme éteints. Une liste rouge de 246
plantes menacées à la Réunion a été également proposée officieusement dans le cadre de la préparation de la
Convention de Nairobi en 1999. Ces listes étaient basées sur les anciens critères de menaces de l'UICN qui ont
fait l'objet, depuis, de plusieurs révisions en 1994 et 2001.
La dernière mise à jour de la Liste Rouge mondiale de l'UICN pour la Réunion date du 25 septembre
2005. Elle concerne 14 plantes vasculaires ; elle est très incomplète et parfois mal informée. Depuis 2002, le
Conservatoire Botanique National de Mascarin a entrepris une nouvelle évaluation des menaces d'extinction d'un
taxon à la Réunion suivant la dernière échelle de catégories de l'UICN (version 3.1, 2001) et leur adaptation au
niveau régional (UICN, version 3.0, 2003). Nous livrons ici les premiers résultats synthétiques de cette évaluation.
Menaces d'extinction de la flore indigène de la Réunion selon les critères UICN (2001 et
2003) – Source : Index de la flore vasculaire de la Réunion, version 2006.2 [CBNM- V.
Boullet, coord.]
Catégorie
de Taxon
Nombre
Taux
de
menace IUCN
d'espèces
menace (%)
EX
éteint
5
0,6
RE
éteint au niveau régional
26
3,0
CR
en danger critique d'extinction
124
14,1
EN
en danger
58
6,6
VU
vulnérable
72
8,2
NT
quasi menacé
97
11,0
LC
de préoccupation mineure
326
38,2
DD
insuffisamment documenté
162
18,4
Ce nouveau bilan conforte globalement celui réalisé en 1999 à l'occasion de la convention de Nairobi.
254 espèces sont considérées comme menacées (catégories CR + EN + VU) à la Réunion suivant les critères de
l'UICN, soit 30,0 % de la flore indigène sensu stricto. 124 de ces espèces menacées sont aujourd'hui en danger
critique d'extinction (au moins dans la nature).
Trois endémiques de la Réunion, Badula ovalifolia, Fernelia pedunculata et Mucuna pallida, deux
endémiques des Mascareignes, Angraecum palmiforme et Claoxylon grandifolium sont considérées comme
éteintes dans le monde.
26 autres espèces sont éteintes localement à la Réunion, dont 4 endémiques des Mascareignes.
10 mai 2007
15
Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Bien qu'il s'agisse encore de chiffres provisoires, puisque le risque d'extinction de 162 espèces,
insuffisamment documentées, n'a pu être évalué, ce bilan rappelle, une fois de plus, les menaces qui continuent à
peser sur la flore de la Réunion.
Diversité réduite mais forte endémicité du peuplement végétal naturel constituent
donc les traits dominants de la flore indigène de l'île dont l'importance patrimoniale à l'échelle
mondiale a été soulignée à l'occasion d'inventaires des zones prioritaires pour la
préservation de la biodiversité planétaire. Ainsi, la Réunion appartient à l'un des 25 points
chauds (hotspots) de la diversité biologique mondiale (MITTERMAIER & al. 1999 ; MYERS &
al. 2000) et à l'un des 234 Centres de Diversité pour les Plantes (WWF & IUCN 1994).
Plusieurs initiatives récentes ont également souligné, dans un contexte national, l'importance
de ces patrimoines naturels d'outre-mer et la responsabilité internationale de la France dans
leur conservation (GARGOMINY 2003). L'une d'entre elles, la Stratégie Nationale pour la
Biodiversité a permis dans sa déclinaison spécifique à la Réunion, dite Stratégie
Réunionnaise pour la Biodiversité (DIREN Réunion 2005), de définir un ensemble d'actions
stratégiques nécessaires pour assurer le maintien à court et long termes de la flore indigène
de l'île.
La coexistence d'une flore indigène et d'une flore exotique peut être perçue comme
un pool diversifié de ressources génétiques, par exemple sur le plan médicinal ou
économique. Mais il ne faut pas perdre de vue que la flore exotique s'est généralement
substituée aux plantes indigènes à la suite de l'altération et la destruction des habitats
naturels qui ont été les processus les plus destructeurs de la biodiversité de l'île. Si une très
grande majorité des plantes exotiques n'a pas quitté le domaine cultural ou a constitué la
toile végétale des milieux anthropiques, d'autres se sont implantées dans les milieux
naturels, généralement à la suite de perturbations anthropiques. Plusieurs de ces plantes
introduites au comportement invasif, constituent aujourd'hui de graves menaces pour la
conservation des habitats naturels et de la flore indigène de l'île.
LES PRINCIPAUX HABITATS DE LA RÉUNION
LE LITTORAL
La végétation littorale de la Réunion a subi de plein fouet et très tôt, le
développement démographique et économique de la Réunion. Ces dernières décennies, la
demande touristique croissante attisée par les plages de sable, les loisirs de la mer et le
climat tropical côtier ensoleillé a accentué la pression d'aménagement sur les rivages de l'île.
L'action de l'homme, conjuguée à la réputation peu originale et peu diversifiée des littoraux
tropicaux, lui a longtemps donné une place mineure dans l'éventail de biodiversité naturelle
de l'île : dégradation extrême du milieu littoral par l'activité humaine, forte emprise des
espèces exotiques introduites, transformation des paysages (plages à filaos), banalité des
milieux littoraux tropicaux.
Si ces remarques s'appliquent à juste titre à la végétation arrière-littorale (ou "adlittorale") en limite
d'influence maritime et qui a été presque totalement détruite, il convient de les nuancer pour la frange strictement
littorale soumise aux contraintes fortes du climat marin. Malgré d'évidentes perturbations anthropiques, l'action du
5
sel marin combinée aux vents a permis d'y maintenir une flore halophile caractéristique et structurer, par
endroits, des séquences de végétation maritime primaire entières et bien organisées.
On peut observer chez cette flore maritime, un lot varié d'adaptations biologiques et
morphologiques au sel et aux vents marins : port des arbres et arbustes en drapeau ou en
biseau, stratégies diverses d'évitement du sel (succulence, taille des feuilles réduites,
cuticule épaissie, pilosité accrue…).
5
halophile : qui aime le sel, qui est lié au sel
10 mai 2007
16
Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Replacée dans le contexte des côtes occidentales de l'océan Indien, la végétation
littorale de la Réunion montre, contrairement à une opinion courante, une grande diversité de
systèmes littoraux et, pour certains d'entre eux, une forte originalité. Celle-ci se traduit, outre
le développement de communautés végétales propres à l'île, par la présence de plantes
littorales strictement endémiques de la Réunion : Lavangère [Delosperma napiforme,
Aizoaceae], Chamésyce du Gol [Chamaesyce goliana, Euphorbiaceae], Chamésyce
verdâtre [C. viridula, Euphorbiaceae], La saliette [Psiadia retusa, Asteraceae]. On peut y
ajouter quelques littorales préférantes, endémiques des Mascareignes comme le Bois de
paille-en-queue [Monarrhenus salicifolius, Asteraceae], Lobélie rampante [Lobelia serpens
var. serpens, Campanulaceae], une fougère, Ctenitis maritima [Dryopteridaceae], une
sélaginelle [Selaginella salaziana, Selaginellaceae].
La géomorphologie du trait littoral, la nature physique du substrat, la pluviométrie et,
dans une certaine mesure, le vent organisent directement, ou indirectement pour certains de
ces facteurs, la répartition des plantes halophiles et halo-tolérantes6 et la végétation qu'elles
composent. Sur les 120 km de côtes de l'île, on peut reconnaître, du point de vue des
habitats, en fonction de la nature du substrat et du climat, sept systèmes littoraux majeurs :
littoral sur sables de la côte "Sous-le-Vent", littoral sur galets alluvionnaires de la côte "Au
Vent", littoral des trottoirs alluvionnaires des cônes torrentiels, littoral des trottoirs rocheux de
la côte "Sous-le-Vent", littoral des trottoirs rocheux de la côte "Au Vent" avec deux sousensembles, une partie Sud, moins arrosée, de Saint-Philippe à Saint-Pierre et une partie
Sud-Est, fortement arrosée de Saint-Philippe à Sainte-Rose, littoral des falaises smi-sèches
"Sous-le-Vent", littoral des falaises humides "Au Vent". On peut y ajoutera en pointillé un
huitième type de littoral à caractère estuarien et saumâtre, qui rassemble les végétations
souvent fragmentaires des embouchures des ravines et petits estuaires, développées sur
sédiments fins de sables, de limons et de graviers.
Les plages de sable
Les côtes sableuses sont pour l'essentiel limitées aux régions occidentales de l'île depuis la rivière des
Galets jusqu'au Gol. Elle y occupent une trentaine de kilomètres et sont désormais fortement marquées par les
aménagements touristiques et urbains.
Par endroits, les sables littoraux se sont étendus vers l'intérieur des terres en nappes dunaires déposées
sur des alluvions fluviomarines (Saint-Paul), sur une ancienne plateforme littorale (la Saline-les-Bains), ou encore
soufflées sur les premières pentes du relief (dunes de l'Étang-Salé). Les sables de toutes ces dunes ont fait
l'objet de fixation massive (filaos, bois exotiques divers) et les effets de la dynamique éolienne naturelle sont
aujourd'hui limités.
Plus au sud, on trouve encore quelques plages de sables dans de petites anses abritées comme à
Grande-Anse, Grand-Bois…, parfois il ne s'agit que de minuscules lentilles sableuses (Pierrefonds, SaintPhilippe…).
Lorsqu'ils se forment au niveau des récifs coralliens, les sables sont calcaires et souvent plus ou moins
enrichis en graviers coralliens, ils prennent une teinte ardoise et deviennent basaltiques au voisinage du
débouché des grands torrents drainant les cirques (littoral du Port, de Saint-Paul, de l'Étang Salé).
Du point de vue des habitats et de leur végétation, on peut distinguer deux types principaux de plages
de sables suivant qu'elles sont associées ou non à un lagon.
Avec la protection du lagon, la mobilité des arènes sur la plage est réduite et l’accumulation de sables en
haut d'estran ne concerne qu’un bourrelet de faible amplitude. L'étage supralittoral se limite alors à une bande
sableuse étroite pouvant, par endroits, connaître une certaine extension et formés de petits cordons dunaires
aplanis, sans cependant que l’on puisse réellement parler de systèmes dunaires différenciés.
Hors lagon, l'accumulation de sables associée aux effets conjugués du vent et de la mer est propice au
développement de véritables systèmes dunaires au relief caractéristique de crêtes et de dépressions (dunes de
l'Étang Salé au Gol, microdunes du cimetière de Saint-Leu et de la Ravine des Sables).
Toutes ces plages de sable portent en haut d'estran une végétation pionnière, adaptée à la mobilité des
sables et façonnée par la Patate à Durand [Ipomoea pes-caprae subsp. brasiliensis, Convolvulaceae], parfois
accompagnée de la Liane cochon [Canavalia rosea, Fabaceae]. Derrière ce premier rideau végétal, l'extinction
6
halo-tolérant : se dit d'une plante non spécifique aux milieux salés, mais qui présente une nette
capacité de tolérance au sel
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17
Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
des mouvements de sable permet l'installation de pelouses dunaires sur sables fixés, avec deux types principaux
:
la pelouse d'estran sableux lagonaire à Cyperus stoloniferus et Cynodon dactylon, sur les arrièresplages des lagons (de Saint-Gilles à la Pointe des Trois-Bassins) ;
la pelouse dunaire à Cassytha filiformis et Cynodon dactylon.
Les plages de galets
Les matériaux rocheux charriés par les grandes rivières et remaniés par le flux et le reflux sont déposés
et dressés le long des côtes par les courants marins, où ils peuvent former de longues plages à galets. Ce type
de rivage est présent sur une soixantaine de kilomètres dans tout l'est et le nord-est de l'île, mais aussi, plus
localement, en quelques points du littoral Sud et Ouest.
Il ne s'agit par endroits que d'un étroit estran de galets frangeant le trait littoral, mais pouvant s'élever en
véritable cordons de plusieurs mètres de haut, isolant parfois au débouché de ravines ou de dépressions, de
petites zones marécageuses (environs de Sainte-Suzanne et de Bois Rouge).
La plage et les cordons de galets sont des milieux hostiles à l'implantation des végétaux. L'absence de
sol, l'action du sel marin, mais surtout la trituration mécanique des galets empêchent le développement des
végétaux. Il est nécessaire, le plus souvent, qu'un peu de sables ou de terre vienne colmater les galets, au moins
à faible profondeur, pour favoriser l'installation de végétaux littoraux. Comme pour les estrans sableux, c'est
encore la Patate à Durand qui est la première à coloniser les hauts de plage où elle est souvent le seul végétal
présent.
Juste derrière, en liaison avec une mobilité réduite des galets et un engorgement matriciel de sables et
de limons, une pelouse supralittorale de Petit-chiendent [Cynodon dactylon, Poaceae] mêlée de Patate à Durand
et de Liane cochon peut s'installer en arrière-plage.
Les trottoirs rocheux
Un trait original du littoral rocheux de la Réunion est l'existence d'une portion importante de côtes
rocheuses basses. Ces côtes basses, hautes de quelques mètres et que l'on désigne couramment sous la
formule évocatrice de "trottoirs rocheux", entretiennent des projections régulières d'eau marine sur une
plateforme basaltique ± aplanie.
Sur ces substrats vite brûlés par le soleil, les apports salins, l'alternance de phases arrosées et de
phases de sécheresse représentent des conditions de vie extrêmes et particulièrement sélectives qui sont
favorables à l'installation d'une végétation littorale spécialisée. Elle constitue un ensemble original d'habitats
rocheux que l'on peut scinder, selon les conditions climatiques, en deux groupes :
un système de trottoirs rocheux de la côte "Sous-le-Vent", développé sur les côtes rocheuses
basaltiques sèches de la côte Ouest où il n'occupe que de faibles surfaces réparties en trois zones
principales : sud de la Souris Blanche, Pointe au Sel, frange côtière entre la Pointe au Sel et Bois
Blanc (au nord de la Ravine des Avirons). On en trouve encore quelques lambeaux entre la Grande
Ravine et la Petite Ravine, ainsi qu'à la Pointe des Châteaux.
un système de trottoirs rocheux de la côte "Au Vent", qui peut encore être subdivisé en deux sousensembles, l'un Sud, moins arrosé, de Saint-Philippe à Saint-Pierre, l'autre Sud-Est, fortement
arrosé de Saint-Philippe à Sainte-Rose.
L'existence et le développement de ces trottoirs rocheux littoraux sont directement dépendants de la
hauteur et de la morphologie de la falaise battue par la mer qui conditionnent et déterminent le jet d'embruns.
Comme l'écrivait très justement T. CADET (1980), "la largeur du trottoir varie donc en raison inverse de la
hauteur de la falaise, de l'ordre du mètre à plusieurs dizaines de mètres...". Le caractère déchiqueté du trait de
côte module aussi considérablement le jet d'embruns avec une alternance de secteurs protégés et de secteurs
exposés où des phénomènes de soufflage étendent en "croc" la végétation littorale du trottoir.
Ce soufflage d'embruns, associé fréquemment à de véritables incursions marines lors des tempêtes,
installe un gradient de salinité décroissant depuis la falaise et auquel la végétation apporte une réponse fidèle sur
le terrain, avec des variantes propres à chaque secteur. On peut regrouper les habitats de ces séquences
littorales en trois bandes parallèles au trait littoral :
-
-
-
10 mai 2007
une bande salés (halophile) fortement arrosée d'embruns colonisée par des pelouses pionnières et
très ouvertes à Fimbristylis cymosa. Dans le secteur sud, la Lavangère y est fréquente, tandis que
sur la côte ouest, elle manque et est remplacée par un Chamaesyce du groupe reconciliationis.
une bande moyennement salée (mésohalophile) occupée par des pelouses littorales ± denses à
Herbe pique-fesse [Zoysia matrella, Poaceae] sur la côte sud et Petit-chiendent [Cynodon dactylon,
Poaceae]. Dans les ouvertures et les stades pionniers de ces pelouses, on trouve un petit lot de
plantes littorales endémiques de la Réunion ou des Mascareignes comme Chamaesyce viridula,
Lobelia serpens var. serpens au sud et Chamaesyce gr. reconciliationis à l'ouest.
une bande faiblement salée (subhalophile) en limite d'étage supralittoral, marquant l'extinction de
l'influence des embruns et occupée par des pelouses généralement denses et hautes cédant
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
facilement leur place à des fourrés littoraux à base de Manioc marron bord de mer [Scaevola
taccada, Goodeniaceae]
Les falaises littorales semi-sèches
Les principales falaises littorales "Sous-le-Vent" se dressent entre Saint-Denis et la Possession. Jadis
baignées par la mer, ces falaises imposantes en sont maintenant protégées par les aménagements de la route
littorale. Le caractère maritime de ces falaises en est bien entendu atténué, ce qui profite aux plantes exotiques
invasives.
Avant tout inquiétantes et menaçantes, ces hautes falaises basaltiques aux parois noires et menaçantes,
étaient jadis rongées en permanence par les vagues dont les assauts répétés, sapant régulièrement la base, ont
entretenu de longue date la verticalité.
Réservées aux as de la voltige, Paille-en-queue, oiseau emblème de la Réunion qui y a établi ses
quartiers et Bois de paille-en-queue [Monarrhenus salicifolius, Asteraceae], accroché aux parois de la falaise?
Cet arbrisseau, endémique de la Réunion et de Maurice, avec ses semences surmontées d'un parachute de
soies et facilement emportées et disséminées par le vent, peut coloniser les milieux les plus inaccessibles. Un
bon exemple d'adaptation aux falaises instables et à la colonisation des parois "neuves".
Malgré tout, le couple "paille-en-queue" oiseau et plante, si symbolique qu'il soit, ne peut résumer à lui
seul, la très grande diversité de la falaise maritime qui entre la Possession et Saint-Denis, constitue un des sites
de falaises maritimes les plus remarquables de l'océan Indien occidental.
Alternance de parois et de corniches rocheuses le long d'un gradient vertical faisant passer des
ambiances maritimes baignées d'embruns de la partie inférieure de la falaise aux conditions chaudes et semisèches intérieures de la côte sous-le-vent, présence de nombreux suintements et cascades, variation de climats
entre la Possession et Saint-Denis : plus arrosé au nord, plus sec au sud…, autant de facteurs qui expliquent la
richesse en habitats de ces falaises littorales…
Parmi eux, les parois verticales à Bois de paille en queue, par leur couleur vert grisâtre, et les corniches
herbeuses à graminées (Heteropogon contortus et Cymbopogon caesius), qui forment de petites savanes
primaires perchées sur la falaise, retiennent le plus l'attention du voyageur qui parcourt la route littorale de La
Possession à Saint-Denis. Tandis, qu'à l'abri des regards, installées sur les vires inaccessibles des hauteurs de la
falaise au sein de fourrés semi-xérophiles pionniers, les derniers pieds sauvages de Ruizia cordata, de Foetidia
mauritiana, etc. échappent encore au sabre et à la tronçonneuse…
Dommage que la végétation de ces falaises n'ait jamais été vraiment étudiée, alors qu'en installant une
grande voie routière au pied de ces falaises, l'homme a non seulement inauguré le cauchemar routier de l'océan
Indien, mais provoqué la fin du règne maritime de ces falaises et l'envahissement progressif par les plantes
exotiques.
Les falaises littorales humides
Les falaises élevées et exposées aux embruns de la côte "Au Vent" occupent une bonne part du littoral
de Saint-Pierre à Sainte-Rose en alternance avec les trottoirs rocheux des falaises basses. Les conditions
optimales de développement des habitats de ces falaises sont obtenues avec des profils presque verticaux et
irréguliers, alternant ressauts, parois, éboulis et colluvionnements divers. De tels profils résultent d'une
constitution hétérogène des falaises quand alternent des bancs de lave compacts, des lits scoriacés ou encore
des poches de matériaux pyroclastiques.
L'habitat le plus représentatif et le plus spectaculaire de ces falaises est le fourré supralittoral des
falaises au vent à Saliette [Psiadia retusa, Asteraceae] et Manioc marron bord de mer [Scaevola taccada,
Goodeniaceae]. Les populations de Saliette présentes sur ces falaises montrent un feuillage variable : feuilles
tantôt planes, glabres et peu charnues, tantôt velues, fortement charnues et creusés en cuillères, et qui suggèrent
l'existence possible d'écotypes différents.
Cette variation ne paraît guère affecter les propriétés de tolérance au sel des tissus foliaires de
l'arbrisseau auquel les noms populaires de "La saliette", "La salière" ou encore de "Bien salée", rappellent un
usage ancien, quand on la consommait en guise de salaison, à l'époque où le sel se faisait rare dans les
boutiques ! Un usage qui a tiré sa révérence, car dame Saliette est désormais protégée !
Sur le front de ces falaises maritimes, associé aux ressauts, corniches et vires basaltiques, on retrouve
également différentes végétations halophiles pionnières plus discrètes, également présentes sur les trottoirs
rocheux, comme la végétation pionniére à Chamaesyce verdâtre [Chamaesyce viridula, Euphorbiaceae] et
Lavangère [Delosperma napiforme, Aizoaceae] et l'ourlet littoral halo-nitrophile sur falaises et trottoirs rocheux
hygrophiles à Lysimaque de Maurice [Lysimachia mauritiana, Myrsinaceae] et Souveraine de mer [Lycium
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
mascarenense, Solanaceae]. Quelques exemples qui montrent, une fois de plus et contrairement à une opinion
courante, la richesse et la diversité des habitats et de la végétation de ces falaises maritimes.
Lorsque les falaises sont suffisamment hautes, on peut observer juste au-dessus de l'étage supralittoral
aspergé régulièrement d'embruns, quelques lambeaux de forêts hygrophiles adlittorales (c'est-à-dire accolées au
littoral proprement dit). On y voit souvent de petites populations isolées de vacois [Pandanus utilis,
Pandanaceae], qui semblent bien y être naturelles et parfois le rare Bois d'ortie [Obetia ficifolia, Urticaceae]. Il
s'agit peut-être de l'habitat originel du Vacoi, aujourd'hui largement cultivé sous les tropiques, que l'on a
longtemps crû introduit à la Réunion, mais qui semble, à la lumière de plusieurs travaux récents, originaire de
cette île.
FORÊTS, FOURRÉS ET LANDES, DU LITTORAL AU SOMMET DES VOLCANS
La forêt est potentiellement la végétation climacique d'une grande partie de la
Réunion à l'exception des régions de haute altitude où des contraintes écologiques extrêmes
empêchent l'installation d'arbres et la formation de forêts. La limite supérieure de la forêt est
approximativement de 1900 m sur la côte au vent, un peu plus, 2000 m, sur la côte sous le
vent. Plus haut, une succession de végétations de plus en plus basses (fourrés, matorrals
puis landes) marque l'influence croissante de l'altitude parallèlement à des conditions
écologiques de plus en plus sévères. Les sols squelettiques et constamment érodés ne
constituent jamais de réserve d'eau importante et limitent le développement d'une biomasse
végétale importante.
Ailleurs, le domaine forestier s'estompe ponctuellement :
sur la façade littorale la plus salée, là où les embruns marins brûlent le
feuillage des quelques arbres qui s'aventurent à proximité de la mer et
s'opposent à la présence d'une végétation arbustive et arborée sur une
distance généralement courte [de l'ordre de quelques dizaines de mètres du
haut de l'estran, parfois moins quand le trait littoral s'élève (trottoirs élevés,
falaises maritimes] ;
au niveau des cours d'eau et ravines actives, où les crues violentes des
épisodes pluvieux (cycloniques ou non) éradiquent régulièrement
l'installation téméraire de quelques essence pionnières sur les terrasses
alluviales ;
sur les parois plus ou moins verticales des falaises et des remparts des
cirques et des grandes ravines.
Les trois grands types de forêts tropicales de la Réunion (semi-sèches, humides de
basse altitude, humides de montagne) possèdent des traits structuraux, biologiques,
écologiques et floristiques suffisamment différents pour constituer des domaines forestiers
bien individualisés et caractéristiques.
Les forêts chaudes et semi-sèches de l'ouest et du nord de l'île subissent une période
de sécheresse marquée et longue de plusieurs mois ; de fortes variations de l'humidité
atmosphérique du sous-bois (30 à 80 %) rythment les saisons, les alternances de périodes
pluvieuses et sèches. La canopée discontinue, haute de 10-15 m, entretient une ambiance
forestière globalement claire. Le nombre d'essences ligneuses est de l'ordre d'une
quarantaine et l'hétérophyllie juvénile est fréquente. Dans le sous-bois, les lianes sont bien
représentées, tandis que les épiphytes sont plutôt rares et surtout installées à la base des
troncs. Les fougères sont assez peu nombreuses (10-15 % de la flore vasculaire) et les
fougères arborescentes manquent.
Les forêts chaudes et humides de basse altitude de l'est et du sud de l'île ne
connaissent pas véritablement de périodes de sécheresse et l'humidité atmosphérique du
sous-bois est élevée et relativement constante (80 à 100 %). La forêt est dense et la
canopée continue, haute de 10-20 m. La diversité des essences ligneuses est maximale
pour la Réunion avec une cinquantaine d'espèces. L'hétérophyllie juvénile est limitée aux
stades pionniers de la forêt. Dans le sous-bois, les lianes sont peu représentées, par contre
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
les épiphytes abondent sur les fûts rectilignes et élevés des arbres et autres supports
disponibles. Les fougères sont nombreuses (25 % de la flore vasculaire) et recouvrantes ;
les fougères arborescentes sont fréquentes sous la canopée.
Les forêts fraîches et humides de la zone des nuages baignent dans une humidité
atmosphérique constante et très élevée (90 à 100 %). La forêt présente un aspect luxuriant,
voire exubérant. La canopée est moyennement élevée (8-10 mètres), quelque peu
discontinue et typiquement dépassée par la couronne de frondes des fougères
arborescentes. La diversité des essences ligneuses est plus faible que pour les forêts
précédentes et ne dépasse guère la trentaine d'espèces. L'hétérophyllie juvénile est limitée à
une essence pionnière, le Tamarin des hauts. Le sous-bois où les lianes sont toujours rares,
est le royaume de l'épiphytisme qui profite au maximum du port ramifié et fortement sinueux
de la majorité des arbres et arbustes. Les fougères épiphytes et humicoles sont diversifiées
(30-40 % de la flore vasculaire) et occupent toutes les niches écologiques favorables.
LES ZONES BASSES ET SÈCHES DE LA CÔTE SOUS LE VENT ET LES RELIQUES DE
FORÊTS SEMI-SÈCHES
Les zones basses et chaudes de la côte sous le vent, des cirques de Mafate et de
Cilaos étaient certainement couvertes à l'origine de forêts semi-sèches. Cette enveloppe
forestière qui devait s'étendre de manière plus ou moins continue depuis le massif de la
Montagne jusqu'aux terres occupées aujourd'hui par l'agglomération du Tampon, a été
détruite rapidement dès les premiers temps de la colonisation. La proximité des premiers
établissements humains sur la côte, réclamant bois de construction et de chauffe, les
plantations agricoles qui suivirent de caféiers puis de canne à sucre l'ont réduit
progressivement à une peau de chagrin.
Les rares vestiges de ces boisements primaires subsistant encore de nos jours sont
principalement réfugiés sur les flancs des grandes ravines et des remparts inaccessibles. Il
s'agit surtout de lambeaux fortement déstructurés et envahis de plantes exotiques et de
fourrés pionniers installés sur pentes fortes au substrat instable et, finalement, peu
représentatifs de l'état originel des forêts semi-sèches. Si ces vestiges ne donnent donc
qu'une idée sommaire de la végétation forestière potentielle de la zone, on a, grâce à eux,
un témoignage inestimable de la flore forestière inféodée au secteur chaud et sec de la
Réunion. Cette flore est surtout composée de petits arbres et d'arbustes héliophiles,
généralement endémiques de l'île ou des Mascareignes et qui représentent, aujourd'hui, la
part la plus menacée de la flore de la Réunion.
Parmi les essences significatives de cette zone semi-sèche, on citera le Bois dur
[Securinega durissima, Euphorbiaceae], le Bois puant [Foetidia mauritiana, Lecythidaceae],
le Bois d'huile [Erythroxylum hypericifolium, Erythroxylaceae], le Bois de Judas [Cossinia
pinnata, Sapindaceae], le Tanguin pays [Stillingia lineata, Euphorbiaceae], le Bois de lait
[Tabernaemontana persicariifolia, Apocynaceae], le Bois d'olive noir [Olea europaea subsp.
africana, Oleaceae], la Liane d'olive [Secamone volubilis, Apocynaceae]…
D'autres essences comme le Bois blanc rouge [Poupartia borbonica, Anacardiaceae],
le Bois d'éponge [Gastonia cutispongia, Araliaceae], etc. croissent également dans les
régions "Au vent" plus humides du sud de l'île, mais dans ce cas sur des escarpements
rocheux ou des coulées de laves récentes, la sécheresse édaphique venant compenser une
plus grande humidité atmosphérique.
Dans ces vestiges de forêts semi-sèches océaniques de la Réunion, l'adaptation à la
saison sèche est peu marquée, contrairement au caractère décidu dominant des formations
équivalentes de Madagascar, de Mayotte et d'Afrique de l'est. Les arbres conservent ici leur
feuillage sempervirent et se contentent de réduire les surfaces foliaires et d'acquérir un limbe
plus coriace. Le Bois d'huile, le Bois d'olive grosse peau [Pleurostylia pachyphloea,
Celastraceae], le Bois d'olive noir en sont de bons exemples.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
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Pourtant quelques arbres perdent leur feuillage à la saison sèche comme le Bois
blanc rouge, le Bois de senteur bleu [Dombeya populnea, Malvaceae], le Bois de poivre
[Zanthoxylum heterophyllum, Rutaceae]. Mais ces essences sont trop disséminées dans le
couvert arboré pour donner une impression de forêt caducifoliée…
Les escarpements rocheux semi-secs
Dans la zone semi-sèche, les parois rocheuses verticales des versants les plus abrupts des grandes
ravines, les crêtes rocheuses saillantes fortement exposées à l'érosion, sont occupées par des végétations
herbacées et arbustives pionnières s'accrochant aux parois, corniches et vires de ces falaises. Ces différentes
situations topographiques influencent considérablement l'installation du tapis végétal.
S'ancrant dans les fentes, fissures et anfractuosités de la paroi, la Perle [Rhipsalis baccifera,
Cactaceae], la seule cactée indigène de l'île, la Liane sans feuille [Sarcostemma viminalis, Apocynaceae]
donnent à ces parois sèches un air de succulence et offrent un bel exemple de convergence morphologique et
biologique. Même allure de baguettes charnues articulées et pendantes, même choix d'adaptation à la
sécheresse du milieu, même mode de dissémination par les oiseaux de leurs baies blanchâtres… En cas de
doute, le latex blanc, signature de la famille des Apocynacées et qui s'écoule en abondance à la moindre
blessure des tiges, lèvera l'incertitude.
Sur les ressauts et les petites corniches des parois de la falaise, Cymbopogon caesius [Poaceae]
figurent de petites savanes pionnières et primaires qui hébergent quelques rares pieds de Mazambron marron
[Aloe macra, Asphodelaceae], aloès endémique de la Réunion.
Dans d'autres régions occidentales de l'océan Indien comme Madagascar et les Comores, on trouve
également associées aux corniches des falaises littorales et intérieures, différentes savanes pionnières et
d'autres espèces du genre Aloe endémiques locales. Elles représentent souvent de véritables petits inselbergs
que l'on pourrait comparer aux paysages des falaises semi-sèches les plus saillantes et les plus exposées de la
Réunion.
Les ravines sèches
L’ensemble des ravines qui découpent les zones basses des planèzes de la côte "Sous-le-vent" apporte
un lot original d’habitats, à caractère essentiellement saxicole (végétation des vires et corniches rocheuses),
rupicole (végétation des parois rocheuses), cavernicole (végétation des anfractuosités) et torrentiel (végétation du
lit de la ravine encombré de rochers et galets alluvionnaires). La diversité écologique combinant toute la gamme
des influences hydriques, lumineuses, édaphiques et thermiques tranche fortement avec les planèzes voisines
entièrement occupées par les cultures et les friches enrichis d'exotiques.
Les ravines constituent alors un réservoir floristique et un refuge pour la flore et les habitats primaires
disparus des planèzes avoisinantes ; on peut y trouver les dernières populations de la flore semi-sèche de l'île.
Les ravines n'apportent pas uniquement un complément inestimable de diversité de flore et d'habitats
aux planèzes avoisinantes, mais interfèrent aussi fortement avec leur distribution altitudinale.
Comme tout corridor bien pentu, les ravines favorisent la migration à la fois ascendante et descendante
des plantes et de leurs communautés, tout en créant par le jeu des expositions et de la géomorphologie
(protection des vents, des froids, ombrage...), une forte diversité interne d'habitats propices à la cohabitation de
végétations d'étages différents. Plus qu'une simple fonction de corridor, les ravines sèches modulent la séquence
de végétation altitudinale observable sur la planèze offrant alors un réservoir sans égal de diversité métissée.
Les parois qui bordent le lit des grandes ravines sèches constituent un ensemble d'habitats rocheux
variés. Les parois verticales ensoleillées et sèches sont souvent spectaculaires lorsqu'elles portent leur draperies
de Perle [Rhipsalis baccifera, Cactaceae] associées au Bois de chenilles [Monarrhenus pinifolius, Asteraceae],
arbrisseau aux allures curieuses de bonzaï de pin des Landes. Dans la "famille" Monarrhenus, genre endémique
7
des Mascareignes, le Bois de chenilles est le "frère" du Bois de paille-en-queue [Monarrhenus salicifolius,
Asteraceae], mais ils ne se fréquentent guère… Ce dernier est inféodé aux falaises maritimes de la Possession à
Saint-Denis, le Bois de chenilles aux falaises intérieures. Querelle de famille ou, plus justement, un bel exemple
de spéciation sympatrique liée à des écologies différentes ; on parlera ainsi de vicariance écologique pour ces
deux espèces voisines.
Les petites anfractuosités et les fissures de la paroi, parfois en conditions légèrement ombragées, sont
le domaine des Actinioptérides [Actiniopteris sp., Pteridaceae], littéralement "fougères rayonnées", que l'on
reconnaît d'emblée à la silhouette en éventail de leurs frondes. On peut trouver dans ces petites niches
rocheuses, trois espèces de fougères rayonnées, un bel échantillon d'éventails donc : entier chez A. dimorpha, en
7
Bois de chenilles est aussi le nom du Clerodendron heterophyllum, une lamiacée (anciennement
verbénacée) endémique de la Réunion et de Maurice.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
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demi-éventail chez A. semiflabellata, réduit chez A. australis. Les deux premiers sont présents dans l'est de
l'Afrique et la région malgache, le dernier est endémique de Maurice et de la Réunion.
Les savanes herbeuses
Quand vient la saison sèche, les savanes herbeuses de l'ouest de l'île prennent une couleur orangée,
presque de feu. Une teinte chaude qui tranche avec le vert dominant de la végétation réunionnaise et que l'on
doit à une graminée sociale, l'Herbe polisson [Heteropogon contortus, Poaceae] qui bâtit la trame végétale de ces
savanes.
Subtil équilibre entre le passage plus ou moins régulier du feu et un pâturage extensif, la savane à
Herbe polisson est un espace pastoral associé traditionnellement au parcours des troupeaux de bœufs moka.
Une tradition agricole qui a façonné une bonne partie des zones les plus arides de l'Ouest, mais dont il ne
subsiste pour héritage que les vastes savanes du Cap La Houssaye et quelques fragments disséminés aux
environs des agglomérations du Port, de la Saline les Bains, de Saint-Leu et de Pierrefonds.
L'impression de savane homogène, pour ne pas dire monotone, qui s'offre de loin au voyageur longeant
la côte "Sous le vent", est trompeuse. Dans son organisation optimale, la savane est une mosaïque de
végétations étroitement imbriquées, combinant :
des pelouses herbacées vivaces basses (pelouses savanicoles) généralement dominées par une
graminée sociale à forte multiplication végétative, Bothriochloa pertusa, que l'on peut identifier en
toute saison par l'odeur camphrée de ses rhizomes ;
des végétations de hautes herbes à Herbe polisson, constituant la savane au sens strict ;
des végétations pionnières riches en petites légumineuses et graminées annuelles, installées dans
les ouvertures des pelouses et de la savane, comme Zornia gibbosa [Fabaceae], Alysicarpus
bupleurifolius [Fabaceae], Hibiscus sidiformis [Malvaceae], Aristida depressa [Poaceae].
Ce triptyque optimal en terme de biodiversité varie rapidement avec les fluctuations de la gestion pastorale
associée au feu. Si le pâturage régresse ou s'arrête, les tonsures et les pelouses finissent par disparaître au profit
de la savane à Herbe polisson qui se pique alors progressivement d'arbustes : Tamarin d'Inde (Pithecellobium
dulce), Galabert (Lantana camara), Cassi (Leucaena leucocephala), Acacia farnesiana… Les incendies, non
suivis de pâturage, banalisent également peu à peu le complexe savanicole, favorisant largement l'Herbe
polisson et la repousse rapide des arbrisseaux déjà installés qui bénéficient du stock de matières minéralisées
produites par les incendies.
Les savanes herbeuses à Herbe Polisson occupent une zone proche du littoral, la plus chaude et la plus
ensoleillée de l'île, où les précipitations moyennes n'atteignent pas les
1000 mm par an et probablement beaucoup moins dans quelques secteurs (Pierrefonds, Le Port, Saint-Leu, Cap
La Houssaye).
On retrouve là les traits climatiques généraux et les conditions de sécheresse atmosphérique des zones
adlittorales de l'ouest de l'océan Indien, comme à Madagascar, Mayotte, Mohéli, etc. L'impact de la sécheresse
de l'air est renforcé ici par les affleurements rocheux et les sols squelettiques qui les recouvrent.
Au-delà des seules savanes à Herbe polisson dont la structure composite a été évoquée précédemment,
les paysages de savanes sont émaillés d'affleurements rocheux de basaltes noirs, brûlés par le soleil, où
8
s'installent des colonies de fougères héliophiles et saxicoles à base d'Actiniopteris semiflabellata et de Pellaea
viridis (sous une forme particulière adaptée à la sécheresse et la chaleur du milieu).
Savane et végétation potentielle
Quelle pouvait être la végétation originelle de ces savanes maigres avant l'arrivée de l'homme ?
À la recherche de tels paysages perdus, à l'affût des moindres témoignages historiques, s'est forgée
l'idée d'une savane primaire naturelle au couvert arboré peu dense, piquetée de bosquets ou d'arbres isolés,
notamment de Latanier rouge [Latania lontaroides, Arecaceae]… la savane à Benjoin et Latanier.
Mythe, image d'un milieu intact ou déjà perturbé par l'homme, déduite de textes vagues et souvent déjà
trop tardifs ? À titre de comparaison, sur les îles sèches du nord-ouest de Madagascar (Mitsiu et îles voisines),
les forêts semi-sèches adlittorales offrent dès le premier incendie, un aspect de savane herbeuse piquetée
d'arbres et de bosquets qui ont échappé au feu, et, quelques incendies plus tard, de grandes savanes herbeuses
à "Latanier", en fait le Satra [Bismarckia nobilis, Arecaceae], palmier local à silhouette identique à celle des
lataniers des Mascareignes et cultivé à la Réunion, particulièrement bien adapté au feux courants (palmes
perchées au sommet du tronc à l'abri du feu, tronc succulent et lisse…).
Un sujet en tout cas passionnant et de belles perspectives de recherches historiques qui pourront guider
et étayer les aménagements futurs.
8
saxicole : qui vit sur les rochers
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
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LA COLONISATION DES COULÉES DE LAVE
L'émergence de nouveaux substrats constitue un laboratoire biologique et écologique
sans pareil pour observer les successions primaires de végétation. À l'instar des études
faites à Hawaii, l'observation de la végétalisation des coulées de laves du Piton de la
Fournaise permet de reconstituer les étapes qui conduisent en quelques centaines d'années
des laves nues aux forêts climaciques de la Côte au Vent. Jusque là, c'est surtout
l'implantation de la forêt tropicale humide de basse altitude ("forêt à Sapotacées") qui a été
étudiée.
La colonisation végétale des coulées de laves est avant tout liée aux capacités de
dissémination des espèces. Le vent amène aisément les spores des lichens, des
bryophytes, des ptéridophytes et de quelques phanérogames à semences légères
(Orchidées) ou adaptées au vol (nombreuses Astéracées). Les oiseaux de petite taille
apportent de nombreuses graines et fruits charnus. Seuls les fruits lourds ne possèdent plus
aujourd'hui les disséminateurs naturels frugivores qu'étaient autrefois les perroquets et les
roussettes, maintenant disparus. Tous ces mécanismes dynamiques aboutissant à
l'établissement d'une forêt primaire sur ces coulées de lave ne sont donc plus aujourd'hui
totalement fonctionnels.
Entre certaines coulées de laves, subsistent quelques îlots forestiers
miraculeusement épargnés de la forêt tropicale humide, appelés "kipukas" (terme hawaien).
Ces enclaves ont une fonction essentielle de réservoir dans les processus d'alimentation et
de dissémination des végétaux. La dynamique naturelle est malheureusement de plus en
plus perturbée par diverses plantes exotiques envahissantes qui utilisent les mêmes voies
de dissémination que la flore indigène pour coloniser les coulées de laves. Les plus actives
sont le Filao [Casuarina equisetifolia, Casuarinaceae], le Goyavier [Psidium cattleyanum,
Myrtaceae] et le Bois chapelet [Boehmeria penduliflora, Urticaceae].
Dans la série primaire de colonisation végétale des coulées de laves du Piton de la
Fournaise, il est possible de distinguer schématiquement six étapes successives :
- stade pionnier à Lichens ; après le refroidissement des laves, des lichens
commencent rapidement à s'installer. La Fleur de roche [Stereocaulon vulcani]
recouvre assez vite les surfaces ensoleillées des laves, tandis que dans les
anfractuosités abritées et plus humides, s'installent les premières mousses.
- stade pionnier à Fougères héliophiles ; des matières organiques se sont
accumulées dans les concavités des laves et les premières plantes vasculaires
peuvent s'implanter. Les plus constantes sont Nephrolepis abrupta [Davalliaceae],
une fougère à forte capacité d'expansion végétative, et le Bois de rempart [Agauria
salicifolia, Ericaceae].
- stade arbustif clairsemé à Bois de rempart et Bois de fer bâtard ; la strate herbacée
s'est densifiée et les fougères héliophiles à souche traçante occupent fortement le
terrain : Nephrolepis abrupta, mais aussi Nephrolepis biserrata et Phymatosorus
scolopendria [Polypodiaceae]. Une strate arbustive clairsemée commence à
s'établir. Le Bois de rempart, de plus en plus présent, est maintenant accompagné
du Bois de fer bâtard [Sideroxylon borbonicum var. capuronii].
- fourré dense à Bois de fer bâtard ; un fourré dense s'est formé que les oiseaux
fréquentent de plus en plus. Ils introduisent de nouvelles espèces et les fourrés se
diversifient de plus en plus.
- stade de la jeune forêt à Petit natte ; les premières essences sciaphiles se sont
implantées et commencent à émerger. Une strate arborée se met en place avec
comme espèce dominante, le Petit natte [Labourdonnaisia callophylloides,
Sapotaceae].
- stade de la forêt mature à Petit natte ; la forêt tropicale humide s'est
progressivement mise en place avec le développement de l'épiphytisme,
l'apparition des espèces humicoles dans la strate herbacée, le vieillissement et la
disparition des essences pionnières comme le Bois de rempart.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
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LES FORÊTS TROPICALES HUMIDES DE BASSE ALTITUDE
La forêt tropicale humide de basse altitude, appelée localement "forêt de bois de
couleurs des bas" ou "forêt à sapotacées" en raison de la prédominance des essences de
cette famille, représente la végétation climacique de l'étage mégatherme hygrophile. Le
climat est globalement chaud et humide, les pluies abondantes (2000 à 5000 mm) bien
réparties sur toute l'année, il n'y a pas de saison sèche.
La forêt de bois de couleurs des bas occupait jadis toutes les basses terres de la
Côte au Vent, depuis le littoral jusqu'aux limites de l'étage mésotherme (800 à 1000 m). On
la retrouvait également sur le versant opposé de l'île sous la forme d'une étroite bande
altitudinale de 300-400 m, située entre la forêt semi-sèche et la forêt de nuages. Elles ont été
détruites massivement, notamment au 19ème siècle pour la culture de la Canne à sucre.
Dans l'Est, il n'en subsiste aujourd'hui que quelques centaines d'hectares, plus ou
moins bien conservés, installées sur des coulées volcaniques relativement récentes de la
région de Saint-Philippe. Les vestiges les mieux préservés constituent la Réserve Naturelle
de Mare Longue. Dans l'Ouest, la forêt de bois de couleurs des bas a quasiment disparu.
Le peuplement forestier présente une grande diversité d'arbres et d'arbustes dont
près d'un tiers sont particuliers à cette forêt. Les plus représentatifs sont le Petit natte
[Labourdonnaisia callophylloides, Sapotaceae], le Grand natte [Mimusops maxima,
Sapotaceae], le Bois de perroquet [Cordemoya integrifolia], le Bois de pomme rouge
[Syzygium cymosum], le Bois de cabri [Casearia coriacea, Salicaceae], Bois de gouyave
marron [Psiloxylon mauritianum, Psiloxylaceae] … Les palmistes, Palmiste rouge
[Acanthophoenix rubra, Arecaceae] et Palmiste blanc [Dictyosperma album, Arecaceae],
étaient autrefois abondants dans ces forêts, mais il n'existe généralement plus qu'à l'état de
jeunes individus à la suite de leur exploitation abusive.
Traits structuraux et biologiques des forêts tropicales humides de basse altitude
L'humidité constante et élevée (80 à 100 % pratiquement en permanence) qui règne dans le sous-bois
de la forêt tropicale humide de basse altitude favorise le développement des épiphytes : fougères, lycopodes,
Orchidées, Pipéracées. Beaucoup de ces plantes profitent de l'hygrométrie ambiante pour coloniser tous les
supports disponibles : tronc et branches, souches et arbres morts, rochers, dalles. Elles ont généralement un
comportement plus humicole que corticole.
Parmi les épiphytes stricts adaptés à la vie aérienne, le Nid d'oiseau [Asplenium nidus, Aspleniaceae]
attire l'attention à de nombreux égards. Il s'agit au premier coup d'oeil d'une fougère spectaculaire de grande
taille, aux frondes largement rubanées pouvant atteindre 2 m de long. Son adaptation à la vie épiphytique est
également remarquable. Les frondes, disposées en rosette, interceptent pluie, poussières et débris végétaux
divers qui finissent par s'accumuler au coeur de la rosette. La matière humique ainsi piégée constitue un substrat
perché exploitable par d'autres épiphytes. L'ophioglosse pendante [Ophioglossum pendulum, Ophioglossaceae],
facilement reconnaissable avec ses longues frondes rubanées pendantes et entortillées, semble apprécier tout
particulièrement ce micro-habitat.
Bien que le Nid d'oiseau soit une plante protégée et menacée d'extinction à la Réunion, elle continue
malheureusement à attirer la convoitise des collectionneurs et être récoltée dans la nature.
Dans la forêt humide de basse altitude, les troncs des arbres sont droits et élevés (7-15 m en
moyenne). Contrairement aux autres forêts de la Réunion, on peut y circuler sans trop de difficultés.
La stratification du couvert forestier est relativement complexe en raison de la grande diversité
d'essences. La canopée dense, presque sans discontinuité, est dépassée ça et là de quelques grands arbres
émergents pouvant dépasser les 20 m de haut, sans que l'on puisse réellement parler d'une strate arborée
supérieure. La canopée ne laisse filtrer que peu de lumière et l'ambiance lumineuse du sous-bois est assez
sombre. Les lianes, peu favorisées par la densité du couvert et la hauteur de la canopée sont rares. La plus
répandue est le Lingue à poivre [Piper borbonense, Piperaceae], endémique de Maurice et de la Réunion.
Ces forêts se sont installées sur des coulées de lave relativement récentes pour la plupart, et les rochers
basaltiques affleurent souvent, recouverts d'un tapis de fougères, de sélaginelles et de quelques Peperomia
[Piperaceae]. On voit également au sol, diverses plantes humicoles dont de grandes Orchidées comme Calanthe
candida, Phaius tetragonus… La strate herbacée comprend encore de nombreux jeunes plants des essences
ligneuses de la canopée. La présence d'une telle banque de juvéniles est un trait caractéristique des forêts
tropicales humides.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
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LES FORÊTS TROPICALES HUMIDES DE MONTAGNE
À partir de 800-900 m sur le versant au vent, de 1000-1100 m sur le versant sous le
vent, commence la ceinture presque continue de forêts tropicales humides de montagne qui
marque l'étage mésotherme de la Réunion. C'est la zone fraîche et pluvieuse des brouillards
et des nuages qui s'accrochent au relief, un monde où règne une humidité constante propice
à l'exubérance des mousses, des fougères et des épiphytes. C'est le domaine de la forêt de
nuages ou "forêt néphéléphile" (du grec néphélê : le nuage), encore appelée "forêt de
brouillards" ; à la Réunion, on lui donne le nom de "forêt de bois de couleurs des Hauts",
parfois de "forêt à Sterculiacées" ou de "forêt à mahots", en raison de la présence de
nombreuses espèces de Mahots [Dombeya pl. sp., Malvaceae – N.B. - Le genre Dombeya
appartenait auparavant à la famille des Sterculiacées]. Comme si aucun de ces noms ne
pouvait à lui seul représenter l'importance, l'originalité et la diversité écologiques et
biologiques de ces forêts. Quoi qu'il en soit, la terminologie scientifique leur préfère
aujourd'hui l'appellation internationale de "forêt tropicale humide (ou hygrophile) de
montagne".
Au-delà de 1600-1900 m (parfois 2000 m), selon les secteurs de l'île, la forêt de
nuages cède la place aux formations altimontaines de fourrés, éricoïdes et landes qui
caractérisent les hautes altitudes de la Réunion. Le passage est généralement progressif et
se fait souvent par l'intermédiaire de forêts de transition à Tamarin des Hauts [Acacia
heterophylla, Fabaceae], la limite altitudinale supérieure de la forêt de nuages devenant
alors difficile à établir précisément.
Dans la forêt de nuages, la diversité des essences ligneuses, bien que moins
importante que celle des forêts humides de basse altitude, reste élevée : une trentaine
d'espèces se partagent couramment les strates arborées et arbustives. Les plus
représentatives de l'étage mésotherme et des forêts de nuages sont d'abord les Fanjans
[fougères arborescentes du genre Cyathea, Cyatheaceae, avec trois espèces dont une
Cyathea glauca, particulière aux forêts de nuages] et les Mahots, avec huit espèces dont six
caractéristiques de ces forêts : Dombeya reclinata, le plus facile à reconnaître avec la
pubescence roussâtre dense de son feuillage, D. punctata, D. pilosa, D. ferruginea subsp.
borbonica, D. ficulnea, D. blattiolens. Viennent ensuite les Mapous [Monimia rotundifolia, M.
amplexicaulis, Monimiaceae], les Bois de tambour [Tambourissa crassa, T. elliptica subsp.
elliptica, Monimiaceae], le Bois de lousteau [Chassalia gaertneroides], divers Bois de
catafaille [genre Melicope, Rutaceae (les espèces étaient auparavant placées dans le genre
Euodia)] telles que Melicope coodeana, M. irifica, M. obscura, M. obtusifolia, M. simplex, le
Gros patte poule [Melicope obtusifolia, Rutaceae], etc.
D'autres essences ligneuses fréquentes dans ces forêts ont une plage altitudinale
beaucoup plus large et se retrouve à plus basse altitude dans la forêt de bois de couleurs
des bas, comme, par exemple, le Losto café [Gaernera vaginata, Rubiaceae], le Bois d'osto
[Antirhea borbonica], le Bois de corail [Chassalia corallioides]…
Relief élevé et tourmenté, conditions climatiques assez sévères (pluies, brouillards,
forte nébulosité, températures assez basses) ont certainement contribué à la préservation de
ces forêts d'altitude qui forment encore aujourd'hui un vaste ensemble de plus de 30 000 ha,
soit près de la moitié de l'étage mésotherme. Des défrichements importants ont certes été
réalisés, dans les Hauts de l'Ouest au début du 20ème siècle pour la culture du géranium, plus
récemment dans les plaines (Plaine des Cafres, Plaine des Palmistes) pour l'établissement
de pâturages, ou encore, plus ponctuellement, pour établir une sylviculture de production
(plantations monospécifiques de Cryptoméria). Par ailleurs, l'ensemble des perturbations
humaines qui au cours de ces trois derniers siècles ont affecté les forêts de nuages, y a
largement favorisé l'extension de plantes envahissantes telles que le Longose de Gaertner
[Hedychium gardnerianum, Zingiberaceae], le Raisin marron [Rubus alceifolius, Rosaceae],
le Fuchsia de Bolivie [Fuchsia boliviana, Onagraceae], etc.
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Malgré tout, la forêt tropicale humide de montagne de la Réunion constitue par sa
superficie, sa continuité, son état global de conservation, un ensemble exceptionnel et
unique dans le monde des îles océaniques.
Traits structuraux
La canopée de la forêt humide de montagne est haute de 5-10 m, parfois plus dans des conditions
abritées (vallonnements, petites ravines). Son caractère sempervirent et globalement luisant varie peu au cours
de l'année. Les floraisons sont plutôt ternes ou peu visibles, à l'exception de celles des mahots qui, par
l'abondance de leurs inflorescences, avivent de blanc, de rose et de rouge la nappe verte et luisante du feuillage
de la forêt. Les fanjans émergent ici et là de la canopée profitant de l'humidité permanente de l'air.
À l'intérieur de la forêt, règne une exubérance et un fouillis végétal sans ordre apparent. Dans une
atmosphère constamment saturée d'humidité, mousses, lichens, plantes épiphytes ont envahi tous les supports
disponibles : troncs, branches, souches, chablis. Les arbres ramifiés dès leur base, les arbustes aux branches
sinueuses contribuent également au foisonnement de ces supports. Dans cet univers enchevêtré, la stratification
de la forêt est souvent peu lisible. Les lianes, par contre, sont peu nombreuses et peu présentes ; elles ne jouent
d'ailleurs qu'un rôle mineur dans la structure et la composition floristique des forêts de nuages de la Réunion.
Le sol est encombré de troncs couchés, de bois pourrissants. La végétation qui s'y développe, quand
elle n'est pas envahie par le Longose de Gardner, est essentiellement composée de fougères. Dans certains
secteurs (comme les Hauts du Tévelave, les Makes), cette zingibéracée tapisse totalement le sol de la forêt, sans
pour cela, empêcher totalement la régénération et le fonctionnement dynamique de la forêt. Quand le Longose
manque ou reste peu recouvrant, la diversité de la strate herbacée s'exprime plus librement. Les fougères
omniprésentes côtoient alors des orchidées humicoles, à grandes feuilles, tiges allongées et inflorescences
colorées comme la Calanthe des bois [Calanthe sylvatica, Orchidaceae], et plus rarement Phaius pulchellus, ou,
au contraire, discrètes et peu visibles comme divers Liparis. Quelques autres familles sont également
représentées, surtout les Urticacées (Pilea pl. sp., Elatostema fagifolium) et les Cypéracées (divers Carex,
notamment Carex boryana, C. gr. wahlenbergiana).
Épiphytisme
L'épiphytisme atteint dans la forêt tropicale humide de montagne un développement optimal : il s'agit là
certainement de son trait écologique et biologique le plus saillant.
En fait, le terme d'épiphytes rassemble des situations bien différentes au plan écologique :
épiphylles, lorsque les végétaux (généralement des hépatiques et des lichens) colonisent des feuilles
(épiphytisme foliaire),
corticoles, lorsque les végétaux s'installent directement sur les écorces des troncs et des branches,
humo-corticoles, quand ils profitent à la fois d'une faible accumulation d'humus et de la présence
directe du substrat végétal,
humicoles, lorsque l'épaisseur d'humus est suffisante pour devenir le substrat lui-même, exploité par
les racines des végétaux épiphytes. Dans ce dernier cas, la plante support porte plus le milieu que les
végétaux épiphytes eux-mêmes.
Dans cet univers complexe de l'épiphytisme, les bryophytes (mousses et hépatiques) sont omniprésents,
occupant toutes les niches disponibles. Les espèces et les communautés végétales qu'ils composent réagissent
finement aux caractéristiques écologiques du support (type, texture et pH, position verticale, éclairement,
accumulation ± importante de matière humique, hygrométrie, suintements d'eau…). Les bryophytes sont d'ailleurs
fortement impliqués dans l'évolution des conditions écologiques du support, participant activement à la production
et l'accumulation d'humus.
Les différentes plantes vasculaires épiphytes que l'on rencontre dans les forêts de nuages ont
généralement, selon les conditions évoquées précédemment, un comportement écologique préférentiel, parfois
strict, parfois plus large.
Les manchons de mousses et d'humus qui se développent autour des troncs verticaux ou horizontaux
constituent, par exemple, un substrat particulièrement favorable à de nombreuses espèces qui trouvent dans ces
situations humo-corticoles, des conditions idéales d'implantation et de développement. Les orchidées sont ici
nombreuses : divers Cynorkis, Angraecum, Jumellea, Liparis, Polystachya, de nombreux Bulbophyllum,
Benthamia nigrescens, Arnottia mauritiana, etc. ; les fougères sont également bien représentées : diverses
Hymenophyllacées (genres Hymenophyllum et Trichomanes), nombreux Elaphoglossum [Lomariopsidaceae],
Fougère pieuvre [Lepisorus excavatus, Polypodiaceae], etc.
Les placages épais d'humus qui s'accumulent dans les creux des ramifications, sur les troncs et grosses
branches horizontales sont favorables à des végétaux de biomasse souvent importante qui se retrouvent aussi en
position terrestre. Les plus spectaculaires sont sans aucun doute l'Ananas marron [Astelia hemichrysa,
Asteliaceae] au nom commun évocateur et la Canne marron [Cordyline mauritiana, Asparagaceae] au feuillage
en éventail, un peu à la manière de l'Arbre du voyageur [Ravenala madagascariensis, Strelitziaceae]. Par leur
taille et leur silhouette familière, ces deux épiphytes marquent fortement l'ambiance des sous-bois des forêts de
nuages de la Réunion.
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Fougères arborescentes
Lorsqu'ils émergent de la canopée comme autant de petits parasols perchés au-dessus de la forêt
hygrophile de montagne, les fanjans traduisent la fréquence des brouillards et les fortes condensations matinales.
Symbole majestueux des forêts tropicales humides, clin d'œil à l'exubérance des formes aériennes qu'autorise
l'humidité constante de l'atmosphère, les fanjans sont des fougères arborescentes atteignant, lorsque les
conditions sont favorables, 10 à 15 mètres de haut. Les stipes (ou "troncs", mais le terme n'est pas approprié
pour des fougères), parfois ramifiés, portent au sommet une couronne de grandes frondes (l'équivalent des
feuilles pour les fougères), plus ou moins découpées.
Trois espèces indigènes de fanjans existent à la Réunion. Parmi elles, le Fanjan roux [Cyathea glauca,
Cyatheaceae], endémique de la Réunion, est inféodé aux forêts de nuage. On le reconnaîtra à ses frondes
divisées trois fois et à la pubescence rousse des axes des frondes, ce dernier caractère bien visible sur les
jeunes frondes, notamment lorsqu'elles sont encore enroulées en crosse au-dessus de la couronne de frondes
déployées.
Malheureusement, comme chez le Fanjan femelle [Cyathea excelsa, Cyatheaceae], le stipe du Fanjan
roux est garni dans sa partie inférieure d'un manchon de racines adventives, utilisé pour confectionner des pots et
des supports horticoles pour la culture des épiphytes ; il reste pour cette raison une cible recherchée des
braconnniers et fait l'objet d'un commerce parallèle encore répandu.
LES FOURRÉS SUR AVOUNE
Sur les crêtes du relief, dans certains secteurs fortement arrosés et soumis à un
lessivage important des sols, les potentialités forestières de l'étage mésotherme semblent
bloquées à un stade arbustif riche en Branle vert [Erica reunionensis, Ericaceae]. Cette
formation d'éricacées constitue habituellement une étape dynamique préparatoire de la forêt
tropicale humide de montagne. Le sol, constamment engorgé, s'acidifie fortement (ph moyen
de 4,5 à 5), s'appauvrit en éléments nutritifs assimilables, tandis que l'humus brut provenant
des feuilles d'Éricacées, des frondes de fougères, des Sphaignes et des mousses entrave
probablement l'activité biologique de décomposition des micro-organismes. Dans ces
conditions, des débris végétaux s'accumulent lentement et finissent par former une couche
de matériaux végétaux peu décomposés, épaisse d'un à deux mètres, appelée "avoune" (il
faudrait entre 5 000 et 15 000 ans pour obtenir 1 m d'avoune). Par extension, et de manière
impropre, on a aussi donné le nom d'avoune aux fourrés portés par de tels sols.
Le Branle vert, dans ces biotopes très particuliers, possède une croissance
extrêmement lente. Avec le temps, il finit néanmoins par constituer des massifs arbustifs
hauts de quelques mètres (généralement 4-5 m) aux troncs énormes (jusqu'à 1 m de
diamètre !). Ces formations sont apparemment très stables et leur physionomie est
totalement dépendante du Branle vert, les autres essences ligneuses rencontrées étant
discrètes et souvent chétives. Bien qu'elles aient généralement un comportement d'essences
pionnières, elles ne paraissent jouer qu'un rôle mineur dans l'organisation et la diversité des
fourrés sur avoune.
Le sol des fourrés sur avoune est un entrelacs de troncs et de branches dont les
interstices sont comblés par l'avoune, un sol qui peut d'ailleurs devenir dangereux lorsque
l'avoune s'épaissit. Dans ces conditions, il n'existe pas au sol de véritable strate herbacée,
mais plutôt un ensemble de plantes épiphytes au comportement humo-corticole qui profite
de l'omniprésence des manchons de mousses sur les troncs et les branches surmontant
l'avoune. On y voit surtout de petites orchidées du genre Cynorkis, notamment Cynorkis
coccinelloides, ou encore Arnottia mauritiana… La véritable strate épiphytique est par contre
peu présente, l'ambiance relativement lumineuse et l'écorce du Branle vert se desquamant
régulièrement étant des facteurs peu favorables à son développement.
LES TAMARINAIES
Les forêts de Tamarin des hauts [Acacia heterophylla, Fabaceae], ou tamarinaies,
sont présentes dans la partie supérieure de l'étage mésotherme entre 1300 et 1800 m sur la
côte au vent, 1500 et 1900 m sur la côte sous le vent. Les tamarinaies ont en commun la
dominance d'une même essence, le Tamarin des hauts qui, par son port incliné et tortueux,
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par son feuillage clair, imprime au sous-bois un aspect et une ambiance lumineuse
caractéristiques.
Bien qu'elles s'inscrivent zonalement dans les potentialités de la forêt tropicale
humide de montagne, les tamarinaies ont suivi un trait évolutif différent, mis en place après
incendie. Espèce pionnière héliophile, le Tamarin des hauts à besoin d'une pleine lumière
pour germer, ce qui explique qu'on ne trouve aucune régénération du Tamarin des hauts
dans la tamarinaie lorsqu'il existe un sous-étage développé. Incapable de germer en sousbois, le Tamarin des hauts ne régénère sur place qu'après incendie ou dégagement du sousbois ou après coupe à blanc.
La mise en place d'une forêt entièrement dominée par le Tamarin des hauts n'a donc
pu se réaliser qu'à l'occasion d'une ouverture brutale et vaste du tapis végétal, telle qu'un
incendie ou un cyclone peut le faire. Si l'on tient compte que les tamarinaies les plus pures
se situent dans les secteurs nord et ouest de l'île où la fréquence et le caractère dévastateur
des incendies sont les plus élevés, il est probable que les incendies aient été le moyen le
plus efficace pour installer et maintenir ces tamarinaies. En l'absence de nouvelles
perturbations, les tamarinaies s'enrichissent progressivement en espèces ligneuses
caractéristiques des forêts de l'étage mésotherme, laissant penser que le terme évolutif final
est bien la forêt tropicale humide de montagne.
La génèse de la tamarinaie et les processus dynamiques de reconstitution de la forêt
de nuages potentielle peuvent expliquer l'hétérogénéité structurale et floristique des
tamarinaies et les principales variantes rencontrées :
- tamarinaie monodominante à Fougère bleue [Histiopteris incisa, Hypolepidaceae],
généralement sur des sols présentant un horizon superficiel à mascareignites [cet
horizon est constitué de 80 % de silice (d'origine végétale) et n'est pas issu d'un
processus pédogénétique ; il pourrait avoir pour origine l'incendie d'un fourré à
éricacées sur avoune épaisse] ;
- tamarinaie à Calumet [Nastus borbonicus, Poaceae], répandue sur la Planèze des
Bénares. Le Calumet est le seul bambou indigène de la Réunion ; il a pour
particularité de résister aux feux et d'être favorisé par les incendies. La tamarinaie à
Calumet est d'ailleurs bien représentée dans les Hauts de l'Ouest et sur la Roche
Écrite, justement les secteurs les plus fréquemment incendiés.
- tamarinaie à bois de couleurs des hauts, représentant une forme d'évolution vers la
forêt tropicale humide de montagne.
Traits structuraux
La canopée des tamarinaies est composée quasi exclusivement du Tamarin des hauts [Acacia
heterophylla, Fabaceae], sauf dans la variante de transition vers la forêt de bois de couleurs des hauts dont elle
emprunte les essences pionnières. Cette strate arborée est clairsemée, peu recouvrante et entretient en sousbois un climat relativement lumineux. Sa hauteur varie de 7 à 20 m, rarement plus, en fonction des stades de
maturité de la forêt.
L'enracinement superficiel du Tamarin des hauts rend la tamarinaie particulièrement vulnérable aux
cyclones qui la déracinement aisément.
La strate arbustive est généralement peu diversifiée et peu recouvrante, sauf dans la variante à Calumet
[Nastus borbonicus, Poaceae] où ce bambou endémique forme des taches denses pouvant dépasser les 75 % de
recouvrement.
Au sol, le développement d'une strate herbacée est fréquemment limité par les conditions édaphiques
contraignantes des sols de la tamarinaie, notamment en présence d'un horizon superficiel de mascareignite ou de
litière de Calumet. La Fougère bleue [Histiopteris incisa, Hypolepidaceae] est la seule plante herbacée capable
de prospérer dans ces conditions.
Le Tamarin des hauts
Le Tamarin des hauts [Acacia heterophylla, Fabaceae] est une légumineuse endémique de la Réunion
du genre Acacia, vaste groupe de 1200 espèces répandu dans la plupart des régions tropicales et subtropicales
du globe. Il est très proche d'un acacia d'Hawaï, Acacia koa, qui en diffère principalement par son caractère
drageonnant. Une telle disjonction d'aire entre ces deux espèces affines reste difficile à expliquer et soulève un
problème intéressant de biogéographie.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
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Autre sujet de curiosité, l'hétérophyllie du Tamarin des hauts, inhabituel à haute altitude. Les feuilles des
plantules et des rejets sont bipennées (divisées deux fois) tandis que les feuilles adultes sont réduites au pétiole
élargi (phyllodes), toutes les transitions tant possibles entre ces deux formes.
Le Tamarin des hauts fournit un bois d'œuvre jaune clair à brun rouge, très apprécié en ébénisterie. Il
fait l'objet d'une commercialisation réglementée et d'une sylviculture de production concentrée dans les Hauts de
l'Ouest et en forêt de Bébour.
LA VÉGÉTATION ALTIMONTAINE
Émergeant de la "mer de nuages" qui ceinture l'île au-dessus de 2000 m, la
végétation des sommets de la Réunion est le domaine des formations éricoïdes [éricoïde :
qui ressemble aux bruyères] d'altitude, marqué par l'absence d'arbres et le développement
d'arbrisseaux à petites feuilles. Cette végétation caractérise à partir de 1800-1900 m, l'étage
oligotherme (ou microtherme) aux conditions climatiques sévères et froides : température
moyenne annuelle inférieure à 12°C, gel hivernal fr équent avec des minima atteignant –5°C
sous abri, ensoleillement important (> 2000 h annuellement), écart journalier de
températures très important.
De nombreux traits communs climatiques et végétaux existent entre cet étage
oligotherme de la Réunion et les hautes montagnes de l'Est de l'Afrique (étage éricoïde des
Monts Kenya, Ruwenzori, Kilimanjaro, Elgon...) et de Madagascar (étage altimontain
malgache). Des affinités existent aussi avec les îles de la Macaronésie (étages orocanarien
et supracanarien des Canaries, sommets de Madère, étage éricoïde des Açores...).
En ce qui concerne la flore, les traits floristiques communs de la zone
afrosubalpine (Africe de l'est, Madagascar, Réunion) sont une faible diversité mais une très
grande originalité, avec un taux élevé d'endémisme, des familles dominantes communes
(Ericaceae, Asteraceae, Poaceae, Cyperaceae), de nombreux genres communs (Erica,
Helichrysum, Stoebe, Carpha, Festuca, Poa, Panicum, Helictotrichon)... À la Réunion, la
flore des hautes montagnes comprend environ 60 espèces avec un taux d'endémicité
dépassant les 90 %. Trois genres sont endémiques : Eriotrix [Asteraceae], Faujasia
[Asteraceae], Heterochaenia [Campanulaceae].
D'aspect assez homogène au premier abord, les végétations altimontaines
présentent pourtant une organisation altitudinale, dynamique et géomorphologique bien
tranchée. Ainsi, depuis les sommets de l'île (Piton des Neiges 3069 m, Grand Bénare 2890
m, Piton de la Fournaise 2631 m), il est possible de suivre le passage progressif des
végétations éricoïdes prostrées à Branle blanc [Stoebe passerinoides, Asteraceae,
endémique Réunion] aux forêts mésothermes à Tamarin des hauts [Acacia heterophylla,
Fabaceae, endémique Réunion]. Cette séquence altitudinale est particulièrement bien visible
sur la planèze des Bénares (Massif du Piton des Neiges) en raison de son inclinaison
régulière. Dans le Massif de la Fournaise, la zonation altitudinale est plus délicate à
visualiser, mais la succession théorique de la végétation éricoïde depuis les sommets de
l'île est la même :
- landes prostrées à Branle blanc, Hubertia tomentosa var. conyzoides [Asteraceae,
endémique Réunion], Psiadia argentea [Asteraceae, endémique Réunion], Psiadia sericea
[Asteraceae, endémique Réunion], Faujasia pinifolia [Asteraceae, endémique Réunion], Disa
borbonica [Orchidaceae, endémique Réunion] ;
- mattorals bas à Phylica nitida [Rhamnaceae, endémique Réunion], Branle blanc,
Branle vert [Erica reunionensis, Ericaceae, endémique Réunion] ;
- mattorals hauts (brousse éricoïde) à Branle vert, Fleur jaune des hauts [Hypericum
lanceolatum subsp. angustifolium, Hypericaceae, endémique Réunion], Ambaville blanche
[Hubertia tomentosa var. tomentosa, Asteraceae, endémique Réunion], Tamarin des hauts...
;
- taillis altimontains à Petit tamarin des hauts [Sophora denudata, Fabaceae,
endémique Réunion] et Tamarin des hauts.
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Les pelouses altimontaines
La séquence de végétation éricoïde, typique des affleurements rocheux des planèzes altimontaines, est
fréquemment associée dans les dépressions et couloirs d'érosion à des pelouses et tomillars (ou garrigues)
altimontains. Selon la granulométrie de ces accumulations sédimentaires, deux types de végétation peuvent être
distingués :
tomillars altimontains à Thym marron [Erica galioides, Ericaceae, endémique Réunion], Satyrium
amoemum [Orchidaceae, Ouest océan Indien] sur graviers et cailloux, généralement au niveau de
terrasses latérales dans les couloirs d'érosion ;
pelouses altimontaines à Poaceae et Cyperaceae endémiques (Festuca borbonica, Panicum
lycopodioides, Pennisetum caffrum, Agrostis salaziensis, Ischaemum koleostachys, Costularia sp.,
Carex borbonica...) sur sédiments plus fins, souvent en position centrale du couloir.
Avec ses fleurs à deux éperons faisant penser à la dentition d'un vampire ou d'un satyre, le genre Satyrium
est facile à identifier. Le botaniste Olof Swartz ne pouvait faire plus évocateur en nommant ainsi ce genre.
Pourtant ces orchidées aux jolies fleurs roses égayant à la saison des pluies le tapis terne des pelouses
d'altitude, ne sont-elles pas charmantes ? C'est probablement ce que pensait Louis Marie Aubert du Petit
Thouars en lui attribuant l'épithète d'amoenum, qui signifie "charmant" en latin. Ainsi quand vous vous
promènerez à la fin de l'été austral dans les hauteurs de l'île, ne vous étonnez plus d'y rencontrer de charmants
satyres…
Localement, les parties planes où s’accumulent les matières humiques, les cuvettes où l’eau peut stagner
quelques temps, entretiennent une hydromorphie temporaire favorable à l’installation d’espèces des milieux frais
à humides. Dans de bonnes conditions de drainage, l'hydromorphie des sols est à peine marquée par la
végétation. Isolepis fluitans [Cyperaceae], Pseudognaphalium luteoalbum [Asteraceae] peuvent signaler ces très
faibles conditions d’humidité édaphique et participent à des variantes subhumides des pelouses altimontaines.
Dans les cas où l'hydromorphie persiste plus longuement, la composition floristique des pelouses est
modifiée. Helichrysum arnicoides, Centella asiatica apparaissent d'abord et différencient des pelouses fraîches.
Avec une plus forte hydromorphie, une pelouse humide à Ericaulon striatum [Eriocaulaceae, probablement
endémique Réunion], Laurembergia veronicifolia [Haloragaceae, probablement endémique Réunion],
Helichrysum arnicoides, Isolepis fluitans... remplace la pelouse fraîche précédente.
Sur les lappilis mobiles (ce substrat est bien développé dans la Plaine des Sables), existe un type
particulier et original de pelouse pionnière, très ouverte et avec une très faible diversité. Cynoglossum
borbonicum [Borraginaceae, endémique Réunion] en est l'espèce caractéristique et souvent unique. Dans les
stades de fixation de ces lappilis, on peut observer une autre pelouse associée à des conditions de stabilisation
des lapillis à Poa borbonica [Poaceae, endémique Réunion, du groupe de Poa pratensis].
Les remparts d'altitude
Au niveau des falaises des caldeiras et des ravines qui dissèquent les planèzes de l'étage altimontain,
existent des landes, mattorals et fourrés d'aspect similaire aux végétations éricoïdes des planèzes. Ils sont
typiquement établis sur les corniches, les vires et les pieds de ces falaises. De plus, il existe sur ces falaises des
habitats rocheux portant des végétations rupicoles ("vivant sur les parois") installées dans des conditions
écologiques variées (ensoleillées, ombragées, sèches ou fraîches).
Une flore endémique de la Réunion très particulière et très rare est associée à ces falaises : Eriotrix
commersonii [Asteraceae], E. lycopodioides [Asteraceae], Faujasia cadetiana [Asteraceae], Heterochaenia rivalsii
[Campanulaceae], Elaphoglossum stipitatum [Elaphoglossaceae], Psiadia salaziana [Asteraceae], Senecio
ptarmicifolius [Asteraceae], espèce longtemps considérée comme éteinte et qui vient récemment d'être retrouvée.
Des fougères et des lycopodes altimontains remarquables sont également présents : Lellingeria myosuroides,
Elaphoglossum rufidulum, E. hybridum var. vulcani, Asplenium kassneri, Polystichum wilsonii, Huperzia
saururus...
Longtemps préservés, les systèmes de végétation altimontaine des planèzes et des falaises sont
maintenant fortement perturbés directement ou indirectement par l'homme. Trois groupes de perturbations
majeures et plus ou moins liées sont impliqués ici : feu, plantes invasives et pastoralisme.
Les incendies naturels étaient probablement rares par le passé et peut-être associés à des périodes
d'activité volcanique. Aujourd'hui les feux répétés affectent la totalité de l'étage éricoïde. Ces feux sont volontaires
ou involontaires, mais fréquemment associés à des activités de pâturage. Leur impact est désormais très fort et
transforme peu à peu les systèmes primaires et naturels de végétation altimontaine en systèmes pyrophytiques
et appauvris. Les principales modifications sont les suivantes : réduction de la diversité spécifique, sélection d'un
petit nombre d'espèces indigènes au comportement pyrophytique (banque de semences du sol importante et
germination favorisée par le feu), expansion d'espèces invasives tempérées au comportement pyrophytique
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
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identique (Anthoxanthum odoratum, Holcus lanatus, Prunella vulgaris), accélération des processus dynamiques
avec une représentation excessive et incomplète des stades pionniers.
Le pastoralisme se manifeste le plus visiblement par l'implantation de pâtures. Les activités théoriquement
contrôlées ont surtout affectées les limites inférieures de l'étage altimontain, mais la divagation incontrôlée des
troupeaux est ici beaucoup plus problématique. Elle participe fortement à la diffusion de plantes pastorales
exotiques et envahissantes (Anthoxanthum odoratum, Holcus lanatus, Prunella vulgaris, Taraxacum sect.
Ruderalia...) et à la dégradation (eutrophisation, piétinement, broutage) de la végétation altimontaine primaire.
Protégées du feu et du pâturage, les falaises et remparts d'altitude apparaissent désormais comme
l'ultime refuge et le réservoir de toute la flore altimontaine. Ils doivent à ce titre être préservés de tout
aménagement et perturbations anthropiques.
LES ZONES HUMIDES
Les zones humides de la Réunion comprennent :
le réseau hydrographique avec près de 800 ravines dont 155 principales
représentant un linéaire d'environ 1500 km. L'ensemble du réseau est
caractérisé par un régime discontinu et torrentiel. Seul une douzaine de
cours d'eau ont un caractère véritablement permanent.
les étangs et petites collections d'eau, aux eaux calmes à faiblement
courantes. Ils sont peu nombreux et offrent des caractéristiques différentes
en fonction de l'altitude.
les prairies humides, les marais et les forêts marécageuses, associés à des
sols hydromorphes, gorgés d'eau, au moins pendant une bonne partie de
l'année.
La nature et le régime des cours d'eau sont étroitement dépendants des conditions
pluviométriques des bassins versants, mais aussi de la nature géologique du sous-sol qui
diffère dans chacun des deux massifs volcaniques de l'île. Trois régions hydrologiques
principales peuvent être distinguées en tenant compte de ces différences :
dans le massif de la Fournaise, régulièrement et fortement arrosé, les
substrats relativement récents favorisent l'infiltration plutôt que les
écoulements de surface. Le réseau hydrographique est peu dense et
possède un caractère temporaire prédominant. Les cours d'eau permanents
se limitent pour l'essentiel aux entailles profondes de la Rivière de l'Est, de
la Rivière des Remparts et de la Rivière Langevin.
le massif du Piton des Neiges consiste, quant à lui, en matériaux peu
perméables à l'origine d'un réseau hydrographique très dense et fractionné
en une multitude de petits bassins versants. Le versant au vent,
copieusement arrosé, présente de nombreux cours d'eau permanents.
inversement, les ravines du versant sous le vent du Piton des Neiges, abrité
des pluies, ne possèdent qu'un caractère toujours temporaire. Ces ravines
de l'Ouest ne sont fonctionnelles qu'à l'occasion d'épisodes pluvieux
importants. Les trois rivières qui traversent les régions de l'ouest (Rivière
des Galets, Bras de Cilaos, Bras de la Plaine) sont en fait des cas
particuliers d'exutoires de bassins versants situés en partie dans les régions
pluvieuses du centre de l'île.
Les collections d'eau (étangs, mares et vasques) sont assez peu nombreuses à la
Réunion. En fonction de leurs caractéristiques morphologiques, physico-chimiques,
climatiques et de leur origine, trois catégories peuvent être distinguées.
Les étangs de haute altitude sont de petites pièces d'eau formées naturellement dans
les cuvettes et dépressions des ravines et des plaines de haute altitude. Souvent, il ne s'agit
que de petites mares, à caractère plus ou moins temporaire, s'asséchant facilement pendant
l'hiver austral. Certaines de ces mares paraissent avoir été creusées ou recreusées pour
abreuver les troupeaux (mares du Plateau de Thym, de la Savane Cimetière…). Les eaux
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recueillies par un impluvium de haute altitude aux sols maigres et squelettiques sont de
nature oligotrophe et généralement acides. Elles sont alors fréquemment baignées de
sphaignes.
Plus bas, à l'étage mésotherme, les étangs sont très rares, le seul vraiment
conséquent étant le Grand Étang. Dans un écrin de forêts humides de montagne bien
pourvues en matières humiques, les eaux de cet étage sont mésotrophes et plus
productives. À Grand Étang, elles présentent sur leurs bordures une superbe succession de
ceintures végétales amphibies.
Dans les régions chaudes des basses terres de l'île, les étangs sont surtout situés à
proximité du littoral. Ils se sont formés en arrière de cordons dunaires qui, en empêchant
l'écoulement naturel des eaux de ruissellement, ont permis la création de grandes pièces
d'eau. Les étangs actuels de Saint-Paul et du Gol en sont deux bons exemples. D'autres
étangs arrière-littoraux ont disparu : Étang Salé, qui a donné son nom à la commune, Étang
Saint-Leu, Lagune de L'Hermitage.
L'étang de Saint-Paul
L'étang de Saint-Paul est la zone humide la plus vaste de l'île. Son nom d'étang évoque surtout un
temps révolu lorsque les eaux libres occupaient encore de vastes superficies. Depuis, les processus de
sédimentation et d'envasement, accélérés par l'érosion des terres déboisées, ont conduit aux paysages de vastes
roselières à Papyrus qui dominent aujourd'hui.
Comme les deux autres grands étangs proches du littoral (Gol, Bois Rouge), l'étang de Saint-Paul est
apparu dans l'angle mort d'un cône de déjection (ici la Rivière des Galets, exutoire du cirque de Mafate), à la
suite de la formation d'un cordon de galets et de sables dans la baie de Saint-Paul. Les déboisements, l'extension
des cultures dans le bassin versant de l'étang ont accrû les effets de l'érosion. L'étang piège les sédiments et ce
décanteur naturel s'envase peu à peu permettant l'extension des roselières au détriment des eaux libres. Au
cours de ce processus d'envasement, les roselières contribuent elles-mêmes à la sédimentation qui s'accélère
donc de manière concomitante au développement de la végétation.
Les eaux de l'étang de Saint-Paul, riches en bases (alcalines avec un pH entre 7 et 8) sont toujours sous
influence de la nappe salée marine. Elles sont donc bien pourvues en chlorures (± 400-500 mg/l), avec un
caractère saumâtre qui devient sensible pour la végétation vers l'exutoire de l'étang. L'effet de marée s'y fait,
chaque jour, légèrement sentir, mais ce marnage maritime n'est rien aux côtés des variations importantes et
brutales du niveau des eaux, rythmées par le fonctionnement de l'exutoire à la mer où alternent des phases
d'ouverture et de fermeture. Cette alternance de remplissage et de vidage de l'étang fait suite au colmatage de
l'exutoire par un cordon de galets, installé par la houle et les courants marins, puis à la rupture brusque de ce
cordon.
L'étang de Saint-Paul devait présenter jadis une succession régulière de ceintures de végétations depuis
les eaux libres jusqu'aux rives probablement boisées. La réduction des espaces aquatiques et l'atterrissement
général de l'étang ne facilitent guère aujourd'hui l'observation de cette organisation de la végétation. On peut
cependant, en quelques points, reconnaître le long d'un gradient d'envasement, la succession suivante :
un complexe de végétations aquatiques plus ou moins intriquées, associant un herbier aquatique
enraciné et immergé à Hydrille verticillée [Hydrilla verticillata, Hydrocharitaceae], un herbier aquatique
enraciné à feuilles flottantes, à base de nénuphars [Nymphaea sp., Nymphaeaceae] ou, plus
rarement, de Potamot de Thunberg [Potamogeton thunbergii, Potamogetonaceae], un voile flottant et
mobile de pleustophytes ;
des parvo-roselières subaquatiques à Renouée du Sénégal [Polygonum senegalense, Polygonaceae]
et Songe [Colocasia esculenta, Araceae], installées sur vases molles et frangeant la bordure des eaux
libres et précédant souvent les véritables roselières ;
moins aquatiques que les précédentes et préférant les vases plus consolidées, des roselières
diverses, notamment à Papyrus [Cyperus papyrus, Cyperaceae].
La végétation aquatique
La rareté des collections d'eau à la Réunion ne permet qu'un développement limité des végétations
aquatiques. Malgré tout, on retrouve dans l'île les trois grands types fondamentaux de végétations aquatiques :
végétations flottantes libres et mobiles, herbiers aquatiques enracinés à feuillage flottant, herbiers aquatiques
enracinés et immergés.
La végétation aquatique mobile est de loin la plus répandue et la plus voyante. Elle constitue, par
opposition au plancton, le "pleuston" et rassemble des végétaux macroscopiques libres et mobiles, appelés
"pleustophytes". De taille variée, la plupart de ces pleustophytes flottent à la surface des eaux calmes et dérivent
au gré des courants et des vents. Ce pleuston s'échoue souvent dans le feuillage flottant ou entre les tiges des
végétaux enracinés. Il peut aussi s'ancrer provisoirement dans la vase lors des périodes d'exondation. Les
pleustophytes possèdent tous de grandes facultés de multiplication végétative et forment des voiles flottants plus
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ou moins denses à la surface des eaux. Ils peuvent connaître des phases d'extension rapide lorsque des
conditions favorables de développement sont réunies (abondance de nutriments, température élevée). La plus
petite espèce du pleuston réunionnais est la Lentille d'eau tropicale [Lemna aequinoctialis, Araceae], compagne
fidèle de toutes les eaux tropicales, la seule qui soit indigène à la Réunion. Les autres espèces du pleuston
réunionnais ont été introduites : Laitue d'eau [Pistia stratiotes, Araceae], à large répartition pantropicale, Salvinie
[Salvinia molesta, Salviniaceae], fougère aquatique stérile aux feuilles insubmersibles originaire d'Amérique du
sud, Jacinthe d'eau [Eichhornia crassipes, Pontederiaceae]. Ces trois dernières espèces peuvent devenir
envahissantes dans des conditions d'eutrophisation importante des eaux douces, au point de modifier fortement
les conditions de lumière et d'oxygénation et de gêner la vie aquatique, voire parfois la pêche et la navigation.
Sur les vases atterries des étangs, se développent des roselières aux aspects variants avec le type de
roseau dominant. Toutes ces végétations ont en commun un substrat gorgé d'eau et baigné par une lame d'eau
d'épaisseur variable et fluctuant selon les saisons. Elles sont constituées de grandes plantes aux bourgeons
enfouies dans la vase (hélophytes) et aux allures générales de roseau, d'où le nom de roselières données à ces
formations. La multiplication végétative est souvent le principal mode de constitution de ces roselières. La
roselière à Papyrus [Cyperus papyrus, Cyperaceae] qui couvre aujourd'hui l'étang de Saint-Paul, est l'exemple
même de la roselière clonale formée par l'extension de rhizomes traçants. Leur mode d'accroissement centrifuge
construit souvent en surface des figures circulaires presque parfaites, tandis que dans la vase, un lacis
inextricable ne laisse guère de place aux autres plantes.
Un autre roseau, le Jonc ou Voune [Typha domingensis, Typhaceae] aux longues feuilles rubanées et
aux inflorescences en "quenouille brune et compacte", abonde dans les roselières aux vases plus minérales ou à
caractère faiblement saumâtre. Cette grande hélophyte, semblable aux massettes des régions tempérées, est
répandue dans tous les tropiques, notamment dans les régions maritimes.
Le Via (ou Typhonodore) [Typhonodorum lindleyanum, Typhaceae], endémique de la région malgache,
possède toutes les caractéristiques écologiques d'un roseau, mais cette gigantesque aracée amphibie, avec ses
grandes feuilles de songe, est loin d'en posséder l'allure. Dans les marécages de la région malgache, le Via
préfère des conditions aquatiques à fort marnage et écoulement plus marqué des eaux où il constitue
d'impressionnantes roselières pouvant atteindre 3 mètres de haut. À la Réunion, le Via est plus discret et son
statut d'indigénat reste douteux.
Les bosquets marécageux
Au débouché de l'étang de Saint-Paul, des végétations arbustives à arborées se sont installées en
conditions légèrement saumâtres sur les rives de l'étang. Ces ripisylves maritimes sont caractérisées par trois
essences littorales répandues dans l'océan Indien : le Porcher à feuilles cuivrées [Thespesia populneoides,
Malvaceae], l'Héritière littorale [Heritiera littoralis, Malvaceae] (voir ci-après) et le Mova [Hibiscus tiliaceus,
Malvaceae].
Cette végétation arborée peut être assimilée aux forêts d'arrière-mangroves répandues sur le littoral de
l'océan Indien. Même s'il ne s'agit là que d'un infime lambeau comparé aux forêts littorales marécageuses encore
présentes à Madagascar, aux Comores et, à un degré moindre, aux Seychelles et à Maurice, la valeur
patrimoniale des bosquets marécageux de Saint-Paul est hautement symbolique. Et ce, d'autant qu'ils dévoilent
une potentialité des plus originales pour la Réunion, dont la morphologie générale du littoral est totalement
défavorable à l'installation de mangroves.
Le Porcher à feuilles cuivrées, longtemps confondu à la Réunion avec le véritable Porcher [Thespesia
populnea], est une essence typique de ces forêts d'arrière-mangrove. On le distinguera à son feuillage cuivré à
l'état jeune, aux fruits pendants sur de longs pédoncules et qui finissent par s'entrouvrir à maturité.
Les prairies humides
Bien qu'elles n'occupent que des superficies réduites, les prairies humides de la Réunion présentent une
grande diversité d'habitats, en fonction de l'altitude, de l'hydromorphie des sols, des caractères physicochimiques des milieux, des pressions anthropiques diverses (fauche, pâturage, piétinement…). Elles sont
malheureusement encore très mal connues.
À basse altitude, les prairies humides sont installées sur des sols riches, bien pourvus en nutriments et
produisant une biomasse fourragère appréciable. De beaux exemples sont visibles en périphérie de l'étang de
Saint-Paul dans le secteur de Savannah. Les prairies humides des basses terres furent largement exploitées par
le passé à des fins agricoles, et une organisation classique de prairies sillonnées de drains d'irrigation aux
végétations restées plus aquatiques est encore perceptible dans les paysages. À Saint-Paul, on y cultivait même
le riz au début du XVIIIème siècle.
Comme dans toutes les régions tropicales et subtropicales, les cypéracées et les graminées tissent la
trame végétale de ces prairies humides. Quelques plantes à fleurs les accompagnent, généralement
discrètement, comme la Nésée à trois fleurs [Nesaea triflora, Lythraceae]. Il est difficile dans ces milieux plus ou
moins entretenus par l'homme, de séparer la part des plantes indigènes de celle des exotiques. Les prairies
humides sont fréquentées par de nombreux oiseaux (échassiers, limicoles, hérons…) qui disséminent facilement,
d'une île à l'autre, les semences des plantes des lieux humides (par exemple en se collant aux pattes avec de la
boue).
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Plus haut, à l'étage mésotherme, les prairies humides sont moins fréquentes. Au sein du complexe de
pandanaies de la Plaine des Palmistes, il subsiste quelques taches de marais mouilleux mésotrophes à petites
cypéracées (Rhynchospora rugosa, Eleocharis caduca), avec parfois de petits tapis de sphaignes ou, encore plus
rarement, quelques rosettes d'une petite orchidée terrestre, Cynorkis rosellata [Orchidaceae]. Ces prairies
marécageuses évoluent rapidement si l'hydromorphie diminue en mégaphorbiaies à Osmonde royale [Osmunda
regalis, Osmondaceae] et Cyclosurus interruptus [Thelypteridaceae], deux fougères typiques des zones humides
africaines et malgaches. Dans les marais piétinés, sur les sentiers suintants, on observe également de petites
prairies mouilleuses à Cypéracées, égayée à la saison des pluies de la floraison violacée de la Lindernie à
feuilles rondes [Lindernia rotundifolia, Scrophulariaceae].
Aux hautes altitudes, les prairies humides sont marquées par le caractère oligotrophe des sols et une
nette tendance à l'acidification des horizons supérieurs. Un bel exemple de ces conditions édaphiques d'altitude
est la "prairie" tourbeuse à Sphaignes [Sphagnum pl. sp.] et Rhynchospore [Rhynchospora pl. sp.] qui s'installe
dans les cuvettes et les replats mal drainés. Les sols asphyxiques présentent alors un caractère tourbeux marqué
(accumulation de matière organique peu dégradée, teinte noirâtre). Dans les phases pionnières d'installation de
ces gazons tourbeux, le substrat exondé est souvent colonisé par la Lycopodielle de Caroline [Lycopodiella
caroliniana, Lycopodiaceae], une lycopodiacée terrestre aux tiges prostrées sur le sol et de large répartition
tropicale.
Rivières et ravines humides
Les ravines humides sillonnent l'ensemble des régions hygrophiles de l'île, au vent et sous-le-vent. Dans
cette dernière partie de l'île, elles prolongent en altitude les ravines sèches des zones basses, cahudes et sèches
de l'île. Tout comme pour les ravines sèches, les écoulement des ravines humides sont intermittents et associés
aux épisodes pluvieux intenses. Malgré tout, la fréquence des brouillards à l'étage mésotherme, la pluviosité
élevée et régulière de la côte au vent entretiennent une forte humidité atmosphérique qu'accentuent encore
l'ombrage, la profondeur et l'étroitesse des ravines. Les nombreuses flaques qui subsistent entre les pluies, les
suintements fréquents, les cascadelles contribuent à déterminer une ambiance générale d'humidité des airs et
des sols que ne démentent pas les rochers souvent glissants de ces ravines qui les rendent difficilement
accessibles.
Les ravines humides sont le royaume des fougères hygrophiles épilithes (qui croissent sur les roches) et
humo-épilithiques (qui croissent sur les rochers couverts d'humus). Ces fougères occupent une gamme variée
d'habitats : épilithes sur parois demi-ombragées, épilithes ombragées des grottes et anfractuosités comme
Ctenitis borbonica, divers Trichomanes, parois suintantes avec divers Amauropelta et parfois la rare Osmonde
royale (Osmunda regalis, Osmundaceae), cailloutis et graviers du lit mineur à Amauropelta heteroptera, etc.
Quelques plantes à fleurs sont également inféodées à ces milieux comme Hydrocotyme mannii
(récemment découvert à la Réunion), Hydrocotyle grossularioides (sur les parois aspergées d'embruns à
proximité de cascades), Cynorchis purpurascens (sur parois suintantes)...
Les fourrés humides à Pandanus
Sur les sols gorgés d'eau de l'étage mésotherme, la forêt tropicale humide de montagne laisse la place à
des fourrés marécageux d'allure étrange… Ces formations arbustives, appelées pandanaies du nom latin
"Pandanus" des vacoas (on écrit aussi vacoi, vacois ou vaquois), sont étroitement associées au Pimpin, encore
appelé Vacoa des hauts [Pandanus montanus, Pandanaceae]. Le Pimpin développe une canopée basse aux
reflets bleutés, haute de 3-5 m, formée par l'enchevêtrement de ses branches tortueuses. Ici et là émergent
quelques fougères arborescentes [surtout le Fanjan roux, Cyathea glauca, Cyatheaceae] et, plus rarement,
lorsque le sabre lui a laissé la vie sauve, le Palmiste des hauts [Acanthophoenix rubra, Arecaceae]. Autrefois, ce
palmier abondait dans ces pandanaies, au point de constituer une strate arborée suffisamment voyante pour
laisser son nom à la Plaine des Palmistes.
Les fourrés à Pimpin sont encore bien représentés dans les secteurs très arrosés de l'île, comme les
pentes orientales du massif de la Fournaise. Les vastes pandanaies qui occupaient jadis la Plaine des Palmistes
ont été presque entièrement défrichées. Mais les sols gorgés d'eau se sont souvent révélés impropres à
l'agriculture et une partie de ces espaces défrichés, après abandon, se sont transformés en vastes marécages
piquetés de Pimpin et de fragments de pandanaies. Dans ces conditions particulières de lumière et d'humidité,
les Pimpins portent une flore épiphyte exceptionnellement riche et diversifiée d'orchidées et de fougères, alors
que dans les formations denses à Pimpin, la strate épiphyte est habituellement peu développée.
La silhouette du Pimpin est la signature même du genre Pandanus : présence de racines aériennes
adventives se développant surtout à la base des troncs et faisant office de racines échasses, ramifications
tortueuses portant aux extrémités des feuilles groupées en bouquet. Les feuilles sont insérées en hélice sur trois
rangs, leur limbe est linéaire avec des marges et une carène dorsale épineuses. Les racines échasses
permettent un ancrage solide de l'arbuste et lui confèrent résistance au vent et aux inondations. Il faut cependant
noter que chez le Pimpin, ces racines échasses sont peu nombreuses et restent grêles.
Près de 700 espèces de Pandanus existent dans les régions tropicales et subtropicales du Vieux Monde
; 23 sont particulières aux Mascareignes, dont trois endémiques de la Réunion. L'une des plus connues, le Vacoi
[Pandanus utilis], largement cultivé dans les régions tropicales pour ses fruits comestibles et ses feuille juvéniles
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
utilisées en vannerie, est en fait originaire des Mascareignes et, selon toute vraisemblance, des forêts adlittorales
du sud de la Réunion.
VULNÉRABILITÉ ET CONSERVATION DES HABITATS
L'altération et la destruction des habitats ont été les processus les plus destructeurs
de la biodiversité de l'île. Leurs effets ont heureusement été modulés par le relief, le climat
et, plus récemment, les politiques publiques de maîtrise foncière et de gestion des espaces
naturels. Les zones basses où se sont concentrées l'urbanisation et les activités agricoles
n'ont conservé qu'environ 1 % de leur couverture forestière initiale, tandis que les forêts
humides d'altitude et les végétations altimontaines ont été relativement épargnées. Même si
le processus s'est considérablement ralenti sous l'action conjuguée d'une politique
volontariste de préservation des habitats indigènes et de gestion conservatoire de la
biodiversité indigène, la végétation indigène constitue toujours une peau de chagrin qui
continue ici et là à se rétrécir.
On estime généralement à 30 %, la part de végétations indigènes subsistantes, mais
ce chiffre ne tient cependant pas compte de l'état de perturbation et de dégradation d'un
grand nombre de ces milieux.
Le maintien et l'extension de pratiques telles que le feu, le pâturage sauvage et
l'ensemencement fourrager dans les espaces altimontains, la multiplication des perturbations
anthropiques diverses (plantations en sous-bois, campements sauvages, ouverture de
sentiers, surfréquentation…) sont les principaux facteurs qui aujourd'hui encore amenuisent
l'état de conservation des végétations indigènes subsistantes. Citons deux exemples
illustrant l'impact actuel de ce type de pratiques :
les incendies ont transformé les espaces altimontains en un véritable
écosystème du feu caractérisé par l'appauvrissement de la flore, la sélection
d'espèces pyrophiles (Erica reunionensis, Stoebe passerinoides, Hubertia
tomentosa…), l'invasion de pyrophytes exotiques (Ulex europaeus
notamment) ; seuls les grands remparts et les grandes ravines qui ont plus
ou moins échappés au passage du feu ont conservé une flore altimontaine
diversifiée.
le pâturage sauvage des bovins, fréquemment accompagné par un
ensemencement des pelouses naturelles altimontaines, est en train de
compromettre la pérennité de ces pelouses endémiques en raison d'un
envahissement compétitif d'espèces prairiales introduites comme
Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante), Holcus lanatus (Houlque
laineuse), Prunella vulgaris (Brunelle vulgaire), Taraxacum sect. Ruderalia
(Pissenlit), Hypochaeris radicata (Porcelle radicante)… Tous ces noyaux de
pelouses envahies servent de foyers d'invasion diffusant des diaspores dans
les milieux voisins encore intacts. L'invasion actuelle des pelouses
pionnières à Cynoglossum borbonicum sur lapillis mobiles, milieu d'une très
grande originalité et endémique de la Plaine des Sables, par Anthoxanthum
odoratum, Prunella vulgaris, Taraxacum sect. Ruderalia, Carex ovalis,
Hypochaeris radicata… est devenue particulièrement préoccupante.
Les deux exemples précédents mettent en exergue la problématique des invasions
biologiques par des espèces introduites qui sont considérées au niveau mondial par l'UICN,
comme le troisième facteur de perte de biodiversité après la destruction des habitats et la
surexploitation des espèces. Les systèmes insulaires tropicaux apparaissent
particulièrement vulnérables aux invasions biologiques comme l'ont montré de très
nombreux travaux dans les îles tropicales. L'impact des processus invasifs sur les milieux et
la flore indigène ne se limite pas aux faits végétaux, mais concernent les espèces animales
introduites. Les rats, largement répandus dans toute l'île jusqu'au sommet du Piton des
Neiges, consomment une quantité importante de fruits et de semences qui peuvent limiter de
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
manière significative la régénération de plantes aux populations réduites. Il est en de même
avec les Achatines, mollusques ravageurs de plantules et de jeunes pousses.
La flore exotique introduite constitue le réservoir potentiel des phénomènes
d'invasions végétales. Ces problématiques sont connues de longue date ; Eugène Jacob de
CORDEMOY, auteur de la Flore de la Réunion, publiée en 1895, écrit à propos du Raisin
marron (Rubus alceifolius) : "Espèce originaire de l'Asie méridionale, importée il y a environ
un demi-siècle. Aujourd'hui elle envahit presque toute l'île, étouffe la végétation indigène,
détruit les forêts et devient un véritable fléau". Durant de longues décennies, l'ampleur des
impacts des invasions biologiques sur les milieux naturels ne suscitera que peu de réactions,
ce n'est depuis une dizaine d'années que les invasions biologiques vont devenir une
véritable problématique régionale de conservation de la biodiversité et susciter différentes
initiatives de lutte et de prévention dont la coordination et la stratégie globale n'ont
malheureusement pas encore trouvé de cadre à l'échelle de l'île.
Les principaux végétaux dont le comportement invasif interfère avec le
fonctionnement des végétations indigènes pouvant aller jusqu'à une secondarisation
complète des habitats, sont bien connus. Il s'agit surtout de plantes anciennement introduites
dans l'île comme Psidium cattleyanum (Goyavier), Rubus alceifolius (Raisin marron),
Hedychium gardnerianum (Longose de Gardner), Hiptage benghalensis (Liane papillon),
Lantana camara (Galabert), Boehmeria penduliflora (Bois chapelet), Anthoxanthum
odoratum (Flouve odorante)… Mais il existe aussi des invasions rapides d'espèces
introduites plus récemment comme Ligustrum robustum subsp. walkeri, Clidemia hirta.
Ainsi, l'installation durable de l'homme à partir du milieu du XVIIe a considérablement
modifié le tapis végétal et les habitats originellement présents. Les activités humaines
prendront une part de plus en plus importante avec le développement de la société
réunionnaise. La large palette des usages (agricoles, forestiers, économiques, médicinaux,
ornementaux…), l'accroissement des échanges de biens et de personnes ont provoqué la
destruction, la dégradation de nombreux milieux et permis l'introduction volontaire ou
involontaire de plusieurs milliers d'espèces originaires des régions tropicales à tempérées du
monde entier, dont certaines devenues des pestes végétales ont envahi les milieux naturels
de l'île. Le climat très varié de la Réunion a d'ailleurs facilité l'acclimatation et la
naturalisation d'un grand nombre de ces plantes introduites.
Par ses activités, l'homme a ainsi façonné de nouveaux paysages agricoles,
forestiers et urbains qui se sont substitués progressivement aux végétations primaires et
naturelles de l'île. Si quelques d'entre eux ont conservé un certain degré de parenté avec la
végétation originelle des lieux (comme les savanes semi-sèches de l'ouest, certaines forêts
artificielles de cryptomérias) et présentent des traits écologiques et végétaux que l'on peut
globalement qualifier de semi-naturels, d'autres en sont désormais fortement éloignés
(cultures de canne à sucre, vergers…).
PLACE ET ORIGINALITÉ DES HABITATS DE LA RÉUNION
D'une manière générale, la grande originalité de la Réunion en matière d'habitats est
la corollaire de son patron d'habitats, c'est-à-dire l'existence d'une grande diversité d'habitats
(et de grands types d'habitats) concentré sur une petite surface (2512 km²). Avec un tel
"concentré de diversité", on peut à la Réunion, en peu de temps et de déplacement, passer
de l'univers exubérant de la forêt tropicale humide de montagne au décor minéral des
pelouses et landes des sommets de l'île, ou encore aux trottoirs littoraux balayés par les
embruns marins. La Réunion est une ballade structurale, typologique, floristique et
biologique permettant d'aborder la plupart des grands types de végétation tropicales (à
l'exception des zones les plus sèches).
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Deux axes, un pour chaque massif, permettent encore une observation quasi
continue du gradient altitudinal d'habitats naturels : La Chaloupe-Roche Écrite et Mare
Longue-Piton de la Fournaise.
Il n'existe pas de grands types structuraux de végétation, propres à la Réunion,
même si certaines adaptations de la végétation à caractères insulaires et cycloniques
traduisent une certaine originalité. Un bon exemple est celui des forêts tropicales humides de
montagne, à la canopée basse et enchevêtrée, bien adaptée aux conditions cycloniques de
l'île.
Sur le plan typologique, les habitats naturels et la végétation qu'ils portent
apparaissent généralement comme des types endémiques, vicariants d'habitats ou de
végétations équivalentes dans les archipels voisins, à Madagascar ou encore dans certaines
régions tropicales continentales. D'autres habitats et végétations, bien que ne présentant pas
d'originalité marquée et possédant une aire de répartition plus vaste (région malgache,
océan Indien, Afrique tropicale…), participent également à la diversité générale: cas des
habitats littoraux de plages (sables et galets), des zones humides…
En définitive et au-delà de la spécificité insulaire et endémique, la plus grande
originalité de la Réunion réside en la concentration d'une grande diversité sur un tout petit
territoire.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
ÉLÉMENTS POUR LE DOSSIER RÉUNION // UNESCO : HABITATS,
VÉGÉTATION ET FLORE VASCULAIRES
___________________________
II. ARGUMENTAIRE COMPLÉMENTAIRE
Vincent BOULLET (CBN Mascarin)
De l'originalité à l'unicité
L'originalité majeure de la flore, de la végétation et des habitats de l'île de la
Réunion réside dans son patron écologique altitudinal qui structure six étages principaux de
végétation (sept si l'on individualise les végétations submontagnardes de moyenne altitude) : littoral,
adlittoral, tropical inférieur, montagnard, subalpin, alpin. La forte dissymétrie climatique de
l'île, conséquence de son relief élevé (3 069 m au Piton des Neiges), permet d'observer deux
séquences différentes de l'étagement de végétation selon l'exposition au vent ou sous le
vent et ajoute à la complexité du patron d'habitats. Gradients d'altitude et de pluviosité
sont ainsi les deux moteurs de la diversité d'habitats et de végétation zonales de la
Réunion.
On pourrait encore y ajouter divers habitats azonaux associés aux zones humides et réseaux
hydrographiques, dont le rôle apparaît plutôt secondaire et complémentaire à l'échelle des surfaces en jeu et des
problématiques évoquées.
Le moteur altitudinal associé au contexte insulaire tropical est, à lui seul, suffisant
pour affirmer l'originalité de l'île de la Réunion, par la seule présence de végétations et
d'habitats tropicaux altimontains (étage subalpin complet et base de l'étage alpin). Ce seul
thème permet d'abord d'isoler la Réunion au sein des îles de l'océan Indien, Madagascar,
"île-continent", ne pouvant entrer dans cette catégorie.
Aucune autre île tropicale de l'océan Indien ne propose en effet un tel étagement.
La plus proche de ce point de vue est la Grande Comore (2 355 m au sommet du Karthala), mais l'étage
subalpin y est réduit, peu diversifié en terme d'habitats et n'atteignant pas l'étage alpin.
Hors de l'océan Indien, le nombre d'îles intertropicales offrant un gradient altitudinal
semblable est réduit et se limite à deux îles de l'archipel d'Hawaï (Hawai'i et Maui), trois îles
des Grandes Antilles (Hispaniola, Jamaïque et, à un moindre degré, Cuba) et les grandes
îles de la Sonde (Borneo, Java, Sulawesi, Sumatra, Nouvelle Guinée).
L'empilement successif d'autre paramètres écologiques tels que océanité et
volcanisme (éliminant les îles d'origine continentale des Grandes Antilles et de la Sonde),
contexte biogéographique (afrotropical) et géographique (océan Indien), isolant les îles
d'Hawaï, renforcent l'originalité de l'île et précise son unicité insulaire. Cette unicité de la
Réunion en terme de végétation et d'habitats naturels peut ainsi être traduite par la formule :
île tropicale océanique altimontaine afro-indienne
(ou encore île océanique altimontaine afrotropicale).
Aucun autre territoire au monde ne correspond pleinement à cette définition, si ce n'est
partiellement la Grande Comore, en raison du faible développement de son étage altimontain.
Avec l'argument "afro-indien" en moins, seules trois îles répondent pleinement à la
définition d'île tropicale océanique altimontaine : Réunion, Hawai'i et Maui, ces deux
dernières îles appartenant à l'archipel d'Hawaï.
Un troisième volet d'arguments portant sur l'état de conservation du patron
d'habitats vient renforcer l'importance de l'île de la Réunion. Toutes les îles non coralliennes
de l'océan Indien sont habitées (ou l'ont été) et une grande partie des milieux naturels ont
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
été détruits ou fortement anthropisés. Comparé aux autres îles de l'océan Indien, le profil de
conservation spatiale du gradient altitudinal à la Réunion est de loin le mieux préservé,
malgré les sévères réductions et destructions dans les zones basses de l'île des étages
adlittoral à submontagnard (STRASBERG et al. 2005).
PROFIL ALTITUDINAL COMPARÉ DE VÉGÉTATIONS DES ÎLES DE L'OUEST DE L'OCÉAN INDIEN
Superficie (km²)
Altitude (m)
Type insulaire
RÉUNION
MAURICE
RODRIGUES
SEYCHELLES
GRAN.
SEYCHELLES
CORAL. (gr.
ALDABRA)
MAYOTTE
ANJOUAN
MOHÉLI
GRANDE
COMORE
2512
1865
109
230
116
377
424
211
1024
3069
826
395
905
30
660
1561
790
2361
Volcanique
Volcanique
Volcanique
Précambrien
Corallien
Volcanique
Volcanique
Volcanique
Volcanique
alpin
subalpin
montagnard
submontagnard
subhumide
adlittoral
littoral
Chaque étage (sauf littoral) est subdivisé, de bas en haut, en trois parties : inférieure, moyenne et supérieure.
Pour chaque étage, la longueur de la bande de couleur est proportionnelle aux classes de maintien actuel des habitats naturels : 0-5 %, 5-25 %, 25-50
%, 50-100 %. [V. Boullet, inédit]
Les attributs et particularismes biologiques insulaires, tels que spéciation,
endémisme, radiation évolutive y sont remarquablement développés pour la flore vasculaire.
L'héritage floristique majeur des sources continentales afro-malgaches s'est
progressivement adapté et son évolution, après seulement 2 MA, apporte une forte
originalité à la flore de la Réunion : 22 genres endémiques9, dont 8 strictement endémiques
de la Réunion, 390 espèces endémiques dont 235 endémiques strictes, représentant
respectivement des taux d'endémisme de 46,7 et 28,1 %10. Sur le seul plan des
Spermatophytes (Plantes à fleurs), l'endémicité atteint des niveaux très élevés, 58,5 au total
et 36,6 % pour l'endémicité stricte.
Si l'on ajoute, la composante d'endémisme macro-régional malgache [endémiques communs à la
11
Réunion et d'autres îles de la région malgache (hors Mascareignes)], l'endémisme dépasserait les 60 % pour
l'ensemble des Trachéophytes et 70 % pour les Spermatophytes.
Plusieurs exemples de radiation explosive sont connus dans l'île, pour les genres :
Cynorkis (Orchidaceae), Dombeya (Malvaceae), Psiadia (Asteraceae).
Sur le plan biologique, la Réunion mérite autant que d'autres îles célébrées pour cela
(comme les Galapagos), le titre de laboratoire insulaire de l'évolution. L'importante
conservation de ses espaces naturels, le maintien des processus volcaniques actifs de
construction et de destruction de diversité, en font certainement un modèle dynamique
exemplaire.
La Réunion apparaît ainsi, encore aujourd'hui, comme un condensé et un résumé
des patrons d'habitats tropicaux des zones montagneuses de l'Afrique tropicale et de
Madagascar, développés dans un contexte insulaire océanique récent. Un tel patron
écologique explique à lui seul la grande diversité d'habitats présents dans l'île et la
concentration de cette diversité sur une petite surface.
9
Il faut cependant relativiser ce type de bilan au niveau générique, car plusieurs genres endémiques paraissent faiblement
étayés sur le plan taxonomique.
Les taux d'endémicité sont calculés pour la flore indigène sensu stricto (cryptogènes exclus).
11
Données incomplètes et valeurs probablement sous-estimées.
10
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Unicité, solidarité, exemplarité, démonstration et avenir
Sur la base de la simple évocation du patron altitudinal d'habitats, ce qui en renforce
son évidence, cinq cercles de considérations permettent d'affirmer, les caractères
unique, solidaire, exemplaire, démonstratif et durable de l'île de la Réunion.
1.) L'unicité "brute" tient au gradient élevé d'altitude dans un contexte insulaire
océanique afrotropical.
2.) La solidarité tient au couple Réunion / Hawaï, ensemble unique et complémentaire
d'îles tropicales océaniques à gradient altitudinal développé, qui somment les mondes
océaniques afro-indiens et pacifiques.
3.) L'exemplarité est d'abord écosystémique et a trait au maintien d'importantes surfaces
de végétations naturelles, non à faiblement perturbées (activités anthropiques et
conséquences directes ou indirectes), représentant au total environ 30 % de l'île, chiffre
exceptionnel dans une île aussi peuplée.
L'exemplarité est également végétale, par la grande diversité de végétation et d'habitats, par
la richesse floristique indigène de la flore12.
L'exemplarité est aussi biologique, par le niveau d'endémisme de la flore, par l'illustration
variée des phénomènes d'immigration, de spéciation et, plus globalement, des modèles
insulaires d'évolution.
4.) La démonstration tient, dans un contexte de forte population, à proposer un étagement
condensé et complet d'habitats et de végétation du supralittoral à la base de l'alpin,
s'établissant sur un rayon très court, d'une vingtaine de kilomètres. À titre de comparaison,
un tel étagement s'étale, en situations continentales, sur environ 200 km à Madagascar,
plusieurs centaines de km en Afrique de l'est.
La densité de population et ses perspectives d'évolution future font aussi de la Réunion un
territoire de forts enjeux de développement durable et d'aménagement du territoire et
d'évaluation des politiques de conservation des habitats.
5.) La permanence est plurielle : catastrophique, lorsqu'elle liée au volcanisme actif du
massif de la Fournaise et aux processus érosifs du massif du Piton des Neiges, climacique
sur les pentes stables du Piton des Neiges et de la Fournaise et soumise sur de longs pas
de temps aux évolutions bioclimatiques.
Elle mêle des dynamiques linéaires et cycliques de végétation et d'habitats. Les
épanchements de laves et les éboulements des Cirques sont des évènements édificateurs et
destructeurs de biodiversité, générant de nouveaux substrats et départs de nouvelles séries
primaires de végétation. Sur les pentes anciennes et stables, les végétations arbustives et
arborées s'inscrivent dans des processus climaciques oscillant avec des cycles de
sylvogénèse, souvent perturbés par des catastrophes naturelles (cyclones) ou anthropiques
(feu, invasions végétales).
Pour compléter et illustrer les caractères "unique, solidaire et exemplaire" des
habitats et de la végétation de la Réunion, deux développements comparatifs sont proposés
à la suite pour le domaine d'habitats altimontains et pour la flore insulaire de l'océan Indien.
12
Voir le chapitre "Comparatif flore ouest océan Indien".
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
COMPARATIF VÉGÉTATION ET HABITATS ALTIMONTAINS
Rappel
Au-dessus des forêts tropicales humides de montagne, le domaine des hautes montagnes de
la Réunion voit l'effacement progressif du couvert végétal pour faire place à un environnement de plus
en plus minéral vers les sommets de l'île.
Ce domaine est caractérisé par un complexe altimontain de fourrés, matorrals et landes
riches en éricacées ; ce complexe ("végétation éricoïde d'altitude", RIVALS 1952 ; "végétation
microtherme des hautes altitudes", "série oligotherme" ou "série à Festuca borbonica et Senecio
hubertia", CADET 1977) est associé, au-dessus de 1900 m, au secteur froid et humide des hautes
altitudes de la Réunion (caractérisant un "étage oligotherme" ou encore une zone "subalpine",
STRASBERG & al. 2005).
Dans ce secteur aux forts contrastes climatiques (variations thermiques journalières et
saisonnières importantes, périodes hivernales froides, fort ensoleillement), existe en fait une
succession fine de climax étroitement liée au gradient altitudinal, et marquée par un abaissement
progressif et conjoint de la végétation et des températures depuis les fourrés altimontains hauts de
quelques mètres aux landes basses et prostrées des sommet de l'île.
La variation de ce complexe altimontain qui dépasse les 3000 m au Piton des Neiges le long
d'un gradient altitudinal a amené CARIÉ (1927), puis RIVALS (1952) et CADET (1974) à distinguer :
- une zone inférieure, depuis la limite supérieure des forêts (1600 à 1900 m selon les
orientations des versants) jusqu'aux environs de 2500 m, associée aux peuplements
éricoïdes denses d'Erica reunionensis ;
- une zone supérieure (au-dessus de 2500 m) où prédomine les touffes basses de Stoebe
passerinoides.
N.-B. Cette distinction n'a cependant pas été reprise par CADET (1977) qui considére les végétations
éricoïdes basses à Stoebe passerinoides comme insuffisamment distinctes sur le plan floristique pour
constituer une unité à part.
Des investigations phytosociologiques récentes dans la partie altimontaine de la Réunion
(BOULLET, inédit) associées à une prise en compte structurale (structure verticale, types
architecturaux et formes biologiques) plus forte de la végétation, permettent d'établir une zonation
altitudinale affinée de la végétation, bien que considérablement perturbée par les incendies et le
pastoralisme non contrôlé. La répétition des feux impose des conditions fortes de pyrophytisme
végétal marquées par un appauvrissement de la flore et des cycles dynamiques raccourcis. La
divagation des troupeaux est un facteur avéré d'invasions biologiques qui menace singulièrement les
pelouses naturelles de haute altitude. Les exotiques envahissantes sont en majorité des prairiales
tempérées (Anthoxanthum odoratum, Holcus lanatus, Prunella vulgaris, Rumex acetosella,
Taraxacum sect. Ruderalia, etc.) qui trouvent à ces hautes altitudes un climat favorable.
Malgré tout, il est possible de distinguer 4 secteurs, depuis la base de l'altimontain :
-
-
-
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secteur 1, à tonalité arbustive (microphanérophytique) et potentialité de fourrés hauts
("taillis") à Sophora denudata (sophoraies), étudiés récemment par PAUSÉ (2006) ; il
occupe la base de la zone altimontaine, et marque la transition avec la partie supérieure
de l'étage montagnard ("mésotherme") et les végétations forestières néphéléphiles.
secteur 2, à tonalité sous-arbustive et potentialité de mattorals hauts ("fruticées" ou
"fourrés éricoïdes") à Erica reunionensis, ± riches en nanophanérophytes altimontains ;
une possible subdivision altitudinale basée sur la distinction de "mattorals hauts" et de
"matorrals bas" reste encore une hypothèse de travail.
secteur 3, à tonalité chaméphytique haute à nanophanérophytique, et potentialité de
mattorals bas à Phylica nitida et Stoebe passerinoides.
secteur 4, à tonalité chaméphytique basse et hémicryptophytique, marquée par des
landes prostrées à Stoebe passerinoides et Hubertia tomentosa var. conyzoides et des
pelouses en "tussocks" à Festuca abyssinica, ces dernières apparemment limitées au
sommet du Piton des Neiges (au-delà de 2800 m).
42
Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Les tonalités structurales dominantes évoquées pour chacun des secteurs précédents sont
émaillées de nombreux habitats occupant des niches linéaires (dépôts alluvionnaires, nappes de
lapilli, de scories, parois, vires, corniches et anfractuosités des remparts, etc.). Bien qu'occupant des
surfaces restreintes, ces habitats participent très largement à la diversité de la flore et fournissent le
contingent le plus important de plantes endémiques rares.
Des comparaisons floristiques, structurales et écologiques de la végétation altimontaine de la
Réunion avec l'étagement de la végétation des hautes montagnes d'Afrique orientale, particulièrement
bien documenté (HAUMANN 1933, HEDBERG 1951, 1956, 1964, LEBRUN 1960, KNAPP 1973,
TROCHAIN 1980, etc.) laissent à penser que le secteur 4 serait équivalent à (ou approcherait) la base
de l'étage afro-alpin des hautes montagnes d'Afrique orientale (Virunga, Ruwenzori, Mt. Elgon, Mt
Meru, Kilimandjaro, Aberdare et Mt. Kenya). Un trait commun, parmi les plus significatifs, au secteur 4
de la Réunion et à l'étage afro-alpin d'Afrique de l'est est la présence de pelouses en tussocks à
Festuca abyssinica, qui marquent notamment la base de l'étage afro-alpin des volcans Virunga et du
Kilimandjaro.
Sur le plan altitudinal, cette comparaison n'a rien d'étonnant si l'on tient compte de
l'abaissement classique des étages en contexte insulaire, tandis que les limites inférieures de
l'afroalpin continental sont à 3600 m dans l'Est africain, 4000 m en Éthiopie, mais seulement 3100 m
dans le massif isolé de l'Imatong dans le sud du Soudan (KNAPP 1973).
Les trois autres secteurs (1, 2 et 3) représentent sans ambiguïté un étage de végétation
"subalpine", que l'on peut qualifier plus précisément dans un contexte macrorégional d'étage
"afroalpin" (selon LEBRUN 1960), ou plus globalement d'étage tropicosubaltimontain (TROCHAIN
1980). Le secteurs 1 et 2, au moins, montrent également des variations au vent et sous le vent qui
contribuent à augmenter la diversité globale d'habitats et de végétations altimontaine.
En ce qui concerne la flore, les traits floristiques communs de la zone afrosubalpine
(Africe de l'est, Madagascar, Réunion) sont une diversité réduite mais une très grande originalité, avec
un taux élevé d'endémisme, des familles dominantes communes (Ericaceae, Asteraceae, Poaceae,
Cyperaceae), de nombreux genres communs (Erica, Helichrysum, Stoebe, Carpha, Festuca, Poa,
Panicum, Helictotrichon)... À la Réunion, la flore des hautes montagnes comprend environ 60 espèces
avec un taux d'endémicité dépassant les 90 %. Trois genres sont endémiques : Eriotrix [Asteraceae],
Faujasia [Asteraceae], Heterochaenia [Campanulaceae].
Comparatif macro-régional (océan Indien, Afrique tropicale de l'est)
Insulaire
Dans les îles de l'océan Indien, l'absence (îles coralliennes) ou la faiblesse du relief
ne permet pas la présence d'habitats et de végétation altimontaines. Les étages altimontains
manquent ainsi à Maurice, Rodrigues, aux Seychelles granitiques, à Anjouan, Mohéli,
Mayotte, aux Andaman.
Seule la Grande Comore (Ngazidja) qui atteint 2361 m au sommet du Kartala
présente un étage de végétation altimontain, développé comme à la Réunion sur des
substrats volcaniques. Cet étage, limité au massif du Kartala, apparaît, de manière similaire
à la Réunion, entre 1700 et 1900 m. Ses habitats et sa végétation, décrites jusqu'alors très
sommairement (LEGRIS 1969, BATTISTINI & VÉRIN 1984), n'ont malheureusement jamais
été étudiées. L'étage altimontain est bien en place au-dessus de 1900 m avec le
développement de "fourrés éricoïdes" denses à Erica comorensis qui recouvrent toutes les
crêtes et dont la hauteur s'abaisse avec l'altitude de 6-8 à 3-4 m (LEGRIS 1969). Ce fourré,
probablement complexe, paraît correspondre aux secteurs 1 et 2 de l'altimontain de la
Réunion et, au moins partiellement, vicariant du mattoral haut à Erica reunionensis.
Les cendres du cratère, au sommet du Kartala, sont colonisées par une végétation
graminéenne, petite et fine, broutée par les cervidés sauvages (LEGRIS 1969).
L'absence d'informations précises sur la végétation et la flore altimontaine de la
Grande Comore ne permet pas de déterminer leur réel niveau d'endémisme et d'originalité.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Continental et subcontinental
La végétation altimontaine de Madagascar est bien représentée sur les hauts
sommets de l'île, à partir de 1850-2300 m, selon les massifs (Tsaratanana, Ankaratra,
Andringitra, Marojejy), mais elle reste peu documentée dans le détail. À partir des travaux de
PERRIER DE LA BATHIE (1921), HUMBERT (1928, 1965), KNAPP (1973), KOECHLIN et
al. (1974, 1997), on peut y reconnaître, de façon synthétique, les principaux habitats suivants
:
- fourrés (brousses) éricoïdes à Éricacées (Erica , Vaccinium) et Composées
(Psiadia, Helichrysum, Stoebe) ;
- bas-marais tropico-altimontain à Restiaceae, Xyridaceae et Eriocaulaceae ;
- pelouse altimontaine à Pentaschistis perrieri, Agrostis elliottii, Andropogon
trichozygus, Anthoxanthum madagascariense…
- marais tourbeux acidiphile à Drosera pl. sp., Eriocaulon pl. sp., Restio
madagascariensis, Swertia luhbaniana, Sphagnum pl. sp., etc.
L'endémicité y est extrêmement élevée, un des plus forts de Madagascar, selon
HUMBERT (1928). KOECHLIN et al. (1997) cite, d'après les listes de PERRIER DE LA
BÂTHIE (1921), des chiffres approximatifs (probablement sous-estimés mais qui donnent
une idée des enjeux de biodiversité), de 130 espèces endémiques pour le Tsaratanana, 150
pour l'Andringitra, 38 pour l'Ankaratra. La forte parenté avec la flore orophile d'Afrique de l'est
et australe est également soulignée.
Plusieurs comparaisons entre les végétations de montagne de Madagascar et
d'Afrique intertropicale ont été proposées (HUMBERT 1928, BLASCO 1971, GUILLAUMET
& KOECHLIN 1971, KOECHLIN 1972, KOECHLIN et al. 1974 et 1997), relativement
concordantes si l'on excepte les problèmes de terminologie et de concepts. Elle permettent
d'établir de multiples analogies (floristiques, structurales, écologiques) entre le domaine des
hautes montagnes de Madagascar et l'étage subalpin d'Afrique tropicale et australe. La
réalisation d'un véritable étage alpin sur les sommets de Madagascar reste hypothétique et
paraît plus liée à des conditions stationnelles rocheuses, sauf peut-être sur le sommet de
l'Andringintra qui présente une flore orophile originale (KOECHLIN et al. 1997).
Les hautes montagnes africaines ont attiré l'attention des botanistes et des
écologistes, en raison de l'originalité et de la richesse de leur flore et de leur végétation
(HEDBERG 1964, HEDBERG & HEDBERG 1968). Elles ont servi de support à de
nombreuses réflexions concernant l'étagement de la végétation en Afrique et, plus
largement, dans les régions intertropicales. Plusieurs synthèses sur la végétation et les
habitats des hautes montagnes africaines ont été publiées (HEDBERG 1964, KNAPP 1973,
SCHNELL 1977, TROCHAIN 1980, WHITE 1986).
La végétation altimontaine d'Afrique est essentiellement présente :
- en Afrique tropicale occidentale : massif du Mont Cameroun, 4 070 m, sommets
de Fernando Póo et de Sao Tomé ;
- en Afrique tropicale orientale : massifs volcaniques des Virunga (Karisimbi, 4 507
m ; Mikeno, 4 437 m ; Muhavura, 4 127 m, Nyiragongo, 3 470 m), Ruwenzori (5
119 m), Mont Elgon (4 315 m), Mont Kenya (5 195 m), Kilimandjaro (6 010 m), les
Aberdare, Mont Meru (4 566 m), Éthiopie, Mont Imatong (Soudan).
- en Afrique australe (Drakensberg, région du Cap, Manica).
Avec l'étage montagnard, la végétation altimontaine représente, selon WHITE (1986),
un centre d'endémisme particulier ("centre régional d'endémisme morcelé afromontagnard et
région morcelée afroalpine à appauvrissement floristique extrême") avec plus de 4000
espèces, dont environ 3000 endémiques.
L'étage subalpin des montagnes orientales, centrales et australes (de la région du
Cap à l'Ethiopie au nord et au Cameroun à l'ouest) présente de fortes similarités
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
physionomiques, structurales et floristiques avec l'étage subalpin de la Réunion. Ceci est
avant tout dû à la dominance de formations frutescentes éricoïdes [très justement appelées
"Heide-Gebüsche" par les auteurs germanophones, terme que l'on peut traduire par "fourrés-landes" et que nous
préférons remplacer par le terme d'origine espagnole de "matorral", par exclusion des termes "fourrés", "landes"
et "éricoïdes" qui, soit structuralement, soit morphologiquement ne sont pas appropriés] à base de bruyères
sous-arbustives à arbustives du genre Erica (inclus Philippia13).
Citons par exemple : les matorrals altimontains centre-est-africains (Virunga,
Ruwenzori, Elgon, Meru, Kilimandjaro, Kenya) à Erica arborea, E. excelsa, E. trimera s.l., E.
johnstonii, Stoebe kilimandscharica, Hypericum pl. sp., Senecio pl. sp., etc., du sud-Soudan
à Erica arborea, du sud-ouest de la Tanzanie (Monts Rungwe et Kinga) à Erica kingaensis,
E. uhehensis, Phylica tropica, Senecio pl. sp., Helichrysum pl. sp., du Cameroun et régions
voisines à Erica mannii, E. thomensis, Hypericum gr. lanceolatum, etc., d'Éthiopie à Erica
arborea, Hypericum gr. lanceolatum,Senecio confertus, etc., du sud de l'Afrique centrale
(montagnes de Manica) à E. benguellensis, E. johnstonii, E. cylesii (etc.), Phylica ericoides,
Stoebe vulgaris, etc.
Dans la flore caractéristique de ces matorrals subalpins africains, on remarque
l'omniprésence (et souvent la dominance physionomique) du genre Erica, ainsi que la
présence des genres Phylica, Stoebe, trois genres qui constituent la trame basale de l'étage
altimontain de la Réunion. Les autres composants des matorrrals réunionnais, Hypericum,
Helichrysum, Hubertia (genre endémique des Mascareignes, mais très proche du genre
Senecio) sont aussi largement représentés ou au moins apparentés dans les éricoïdes
africains. Outre une plus grande diversité d'espèces pour les genres communs, les matorrals
africains recèlent divers autres genres d'Ericaceae (Blaeria, Vaccinium), d'Asteraceae
(Nidorella), de Thymeleaceae (Gnidia, Passerina), de Polygalaceae (Muraltia), de Rosaceae
(Cliffortia), de Fabaceae (Adenocarpus), etc.
Le même type de comparaisons structurales, floristiques et écologiques pourrait être
développé à propos des pelouses altimontaines sèches à fraîches, des bas-marais
altimontains qui possèdent, entre Réunion et Afrique, de nombreux genres en commun.
Comparatif intertropical
L'absence généralisée de hauts reliefs dans les îles du Pacifique, limite la
comparaison avec d'autres situations insulaires du Pacifique au seul cas de l'archipel
d'Hawaï, avec les deux plus hautes îles de cet archipel : Hawai'i (4 205 m) et Maui (3 055 m).
Les formations végétales de ces hautes montagnes sont assez bien connues (FOSBERG
1972, KNAPP 1973, MUELLER-DOMBOIS & FOSBERG 1998), mais la description et la
typologie détaillée des communautés végétales paraissent manquer.
Entre 1600 et 2500 m, les hautes montagnes d'Hawai'i et Maui sont couvertes de
végétations arbustives à sous-arbustives à caractère sclérophylle et microphylle, non sans
analogie structurale avec celles des régions tropicales africaines et malgaches. Elles
représentent un étage subalpin, au-dessus de la limite des forêts. La partie inférieure de cet
étage est occupée par un fourré arbustif préforestier à Sophora chrysophylla et Myoporum
sandwicensis, parsemé d'îlots d'Acacia koa ("Sophora-Myoporum Parkland"), fortement
analogue aux fourrés arbustifs altimontains à Sophora denudata de la Réunion, ± pénêtré
d'Acacia heterophylla, endémique réunionnaise proche d'A. koa d'Hawaï.
Les nombreuses perturbations anthropiques (pâturage, feu) ont conduit à des
paysages mosaïqués de fourrés et de stades régressifs offrant des paysages variés de
fourrés ouverts, de savanes arbustives interrompus par place par des pelouses
altimontaines, de matorrals ("Heath Scrub") à Styphelia tameiameiae [Epacridaceae],
13
Le genre Philippia est encore utilisé dans quelques travaux récents, bien que sans réelle valeur taxonomique (OLIVER 1987,
1988, 1989, 1993).
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
paysages également identiques aux espaces altimontains inférieurs de la Réunion,
largement soumis aux feux et au pastoralisme.
Les matorrals à Styphelia tameiameiae, mêlés aux paysages de pré-bois altimontain
("mountain parkland") précédents, deviennent à des altitudes plus élevées (jusqu'à 2 500-3
000 m, selon les versants et les îles) la formation dominante, accompagnée de divers
nanophanérophytes : Rubiaceae (Coprosma montana, C. ernodeoides), Ericaceae
(Vaccinium reticulatum), Asteraceae (Dubautia pl. sp.), Sapindaceae (Dodonaea viscosa),
Myrtaceae (Metrosideros polymorpha), Thymeleaceae (Wikstroemia sandwicensis),
Lamiaceae (Lepechina hastata), etc.
Plus haut, on retrouve le même gradient structural et architectural de végétation qu'à
la Réunion, avec le passage des matorrals à des landes basses éparses à Styphelia
tameiameiae et Vaccinium reticulatum, associées à des pelouses graminéennes en tussocks
("tussock grassland) à Agrostis sandwicensis, Trisetum glomeratum, Poa sandwicensis,
Deschampsia nubigena… Ce complexe landes/pelouses marque, comme à la Réunion, les
limites des étages subalpin et alpin.
Les affinités de la flore altimontaine d'Hawaï sont essentiellement australiennes et
sud-pacifiques
(Coprosma,
Styphelia,
Metrosideros,
Dodonaea,
Wikstroemia,
Tetramolopium, Myoporum). Il existe également un lot important de genres tempérés (Poa,
Trisetum, Deschampsia, Agrostis, Vaccinium) bien représentés dans toutes les hautes
montagnes tropicales. Les genres Dubautia et Argyroxiphium sont endémiques d'Hawaï.
Dans les Caraïbes, trois des Grandes Antilles possèdent un relief suffisamment élevé
pour une développer un domaine altimontain : Hispaniola (3 175 m), Jamaïque (2 256 m) et
Cuba (1 974 m). La végétation de ce domaine est, grâce aux travaux phytosociologiques de
BORHIDI (1996), fort bien documentée à Cuba, malheureusement la plus basse des trois
îles. L'étage subalpin y est représenté par une végétation arbustive sempervirente,
microphylle riches en Ericaceae (Lyonia et Vaccinium), Baccharis, Ilex, Myrica et Lobelia.
Les types chorologiques à vaste distribution (subcosmopolite, holarctique, pantropicale)
prédominent (Ilex, Myrica, Vaccinium, Vernonia, Viburnum), les affinités néotropicales étant
plus discrètes (Baccharis,Lobelia) ou endémiques (Peratanthe, Torralbasia). Les liens
floristiques avec l'étage subalpin de la Réunion sont nuls.
On retrouve sur les hautes montagnes insulaires de la Sonde et continentales
intertropicales d'Amérique centrale (notamment du Costa-Rica), d'Amérique du sud,
d'Indonésie, des végétations subalpines et alpines présentant divers caractères écologiques,
structuraux et architecturaux communs à l'ensemble du domaine altimontain intertropical.
Les liens floristiques avec la Réunion sont cependant beaucoup trop faibles et
éloignés pour en faire une présentation ici, même si on peut souligner, une nouvelle fois, le
rôle majeur des Ericacées (Arctostaphylos, Cavendishia, Gaultheria, Rhododendron,
Vaccinium) dans les formations subalpines, la présence de quelques genres communs aux
régions tempérées et aux montagnes tropicales (y compris Réunion) comme Hypericum,
Carex ou encore à large distribution tropicale (Eriocaulon).
Conclusion
La Réunion est, avec la Grande Comore (secteur du Karthala), l'une des deux îles de
l'océan Indien à présenter un domaine altimontain. Au Karthala, ce domaine est cependant
réduit en surface et ne représente que la partie inférieure de l'étage subalpin ; il paraît
également peu diversifié en terme d'habitats. À la Réunion, les habitats altimontains
représentent plus de 16 000 ha (STRASBERG et al. 2005) et offrent un développement
complet de l'étage subalpin jusqu'à la limite de l'étage alpin.
Dans le monde insulaire tropical, on ne trouve guère d'équivalent altimontain que sur
les deux plus hautes îles d'Hawaï (Hawai'i et Maui); les plus hautes îles des Caraïbes (Cuba,
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
Jamaïque, Hispaniola) et les grandes îles de la Sonde. La végétation altimontaine est
absente des autres îles du Pacifique et de l'Atlantique.
L'étagement, les caractères structuraux et écologiques de la végétation altimontaine
d'Hawaï, des Grandes Antilles et des îles de la Sonde présentent des analogies avec la
Réunion, analogies communes d'ailleurs à l'ensemble du domaine altimontain intertropical.
Néanmoins l'origine australienne et sud-pacifique de la flore hawaienne, l'origine américaine
de la flore antillaise, l'origine himalayenne et sud-asiatique de la flore de la Sonde limitent
fortement sur le plan de la flore leur rapprochement de la végétation altimontaine de la
Réunion. C'est plus en terme de complémentarités qu'il convient d'établir un parallèle entre
les trois domaines altimontains tropicaux insulaires. Il y a là quatre exemples uniques au
monde et fondamentalement complémentaires les uns des autres : un premier (Hawaï)
associé aux régions pacifiques, un second (Hispaniola) aux régions américaines, un
troisième (Sonde) aux régions himalayennes et sud-asiatiques, un dernier (Réunion) aux
régions paléotropicales africaines et malgaches, avec cependant pour celui-ci un faible
héritage pacifique.
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Habitats, flore et végétation : diversité et originalité
CBNM – V. Boullet
COMPARATIF FLORE OUEST OCÉAN INDIEN
Limites d'exercice
La comparaison qualitative et quantitative de flores de territoires différents pose le
problème de la nature, de la qualité, de la rigueur et de l'information des données
disponibles, d'autant plus que ces données sont souvent de sources et d'âges différents. Les
conceptions taxonomiques à la fois variables selon les référentiels retenus et évolutives dans
le temps, l'inégalité des niveaux d'investigation et de connaissance floristique des territoires
comparés entraînent nécessairement des approximations, voire des incohérences dans
l'établissement de comparatifs de flore.
Pour illustrer ces difficultés, on peut citer le cas des plantes vasculaires de la Réunion. BLANCHARD
(2000) indique environ 850 "taxons indigènes" (mais parle "d'espèces" dans le texte), dont 250 Ptéridophytes et
environ 550 Plantes à fleurs (Spermatophytes). Il indique un taux d'endémicité stricte (Réunion) de 32 % (176
taxons) pour les Plantes à fleurs et 20 % (50 taxons) pour les Ptéridophytes, ainsi qu'un taux d'endémicité
régionale (Mascareignes) de 53 % pour les Plantes à fleurs et 9 % pour les Ptéridophytes. On peut constater déjà
une incohérence dans les chiffres d'endémisme régional, puisque dans le cas des Plantes à fleurs ce taux
correspond manifestement à la somme des endémiques strictes et des autres endémiques régionales, tandis que
pour les Ptéridophytes, il s'agit apparemment des seules endémiques régionales (endémiques strictes exclues).
GARGOMINY (2003) mentionne 750 espèces de plantes vasculaires (soit 100 de moins que BLANCHARD) et
188 endémiques (soit 25 %, sans précision sur le niveau d'endémicité pris en compte) contre 226 endémiques
strictes et 324 endémiques régionales pour BLANCHARD.
Dans sa dernière version 2007.1, l'Index de la flore vasculaire de la Réunion (CBNM-V. Boullet, coord.) donne
835 espèces indigènes s.l. (cryptogènes incluses au nombre de 81) dont 593 plantes à fleurs et 242
ptéridophytes, dont 234 endémiques strictes, 155 endémiques régionales, soit 389 endémiques au total.
L'exemple précédent montre que c'est plus en terme de tendances et d'échelles de
valeur que l'on est amené, dans l'état actuel des connaissances, à commenter les résultats
de comparaisons interflores. Car l'absence de bases de données opérationnelles et
homogènes sur l'ensemble des territoires étudiés, et souvent même l'absence de telles
bases de données pour chaque territoire comparé, la nécessité de recourir à des
informations synthétiques disponibles variées, sans information sur les données sources,
voire même sur leur constitution, obligent à un regard critique sur de telles comparaisons.
Compte tenu des difficultés à établir de telles comparaisons de flore déjà entre les
différentes îles de l'océan Indien, il n'est pas apparu raisonnable, ni même crédible d'étendre
de telles comparaisons à des territoires plus éloignés. Dans un certain nombre de cas, des
régions mieux documentées pourront éventuellement servir de repères.
Les territoires pris en compte dans cette comparaison des flores insulaires de l'océan
Indien sont les Mascareignes (Réunion, Maurice, Rodrigues), les Seychelles granitiques, les
Seychelles coralliennes du groupe d'Aldabra, les Comores (Mayotte, Anjouan, Mohéli,
Grande Comore).
Source des données
Réunion – Index de la flore vasculaire de la Réunion. Version 2007.1 (CBNM-V. Boullet, coord.).
Maurice – BLANCHARD (2000), CADET (1980).
Rodrigues - BLANCHARD (2000), CADET (1980).
Seychelles granitiques – FRIEDMANN (1994).
Seychelles coralliennes – FOSBERG & RENVOIZE (1980).
Mayotte – BARTHELAT & BOULLET in ROLAND & BOULLET (2005).
Anjouan – KEITH et al. (2006).
Mohéli - KEITH et al. (2006).
Grande Comore - KEITH et al. (2006).
Remarques- Pour Anjouan, Mohéli et Grande Comore, il s'agit de données provisoires ne concernant que le
nombre total d'espèces connues et considérées comme très en deçà de la réalité. Des extrapolations ont
d'ailleurs été proposées par les auteurs (KEITH et al. 2006). Pour les Seychelles granitiques, il s'agit
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d'approximations. Pour Maurice et Rodrigues, il s'agit de données approximatives et non actualisées. Les
données concernant l'endémicité des genres ont cependant pu être révisées en cohérence avec l'Index de la flore
vasculaire de la Réunion.
Seules les données de la Réunion et de Mayotte sont en cohérence taxonomique. Pour les autres territoires, les
données brutes n'ont pu être vérifiées (sauf les genres endémiques des Mascareignes) ou ne sont pas
accessibles.
Diversité globale de la flore vasculaire
La diversité de la flore d'une île dépend de son âge, de son étendue, de sa diversité
d'habitats (notamment associée au gradient altitudinal et la pluviosité), de sa distance par
rapport aux sources d'approvisionnement en diaspores (BALGOOY 1969, CADET 1980).
La diversité spécifique de la Réunion (835 espèces pour 2512 km², soit une densité
spécifique de 0,33 espèce au km²) apparaît relativement faible par rapport à celle d'une île
continent comme Madagascar (± 10 000 espèces pour 594 000 km², soit 0,02 espèce au
km²). Mais, il est vrai que rapportée à sa surface (densité spécifique), la flore vasculaire de la
Réunion offre un remarquable condensé de biodiversité.
Sur ces aspects, Réunion et Maurice apparaissent assez proches. Maurice, plus
petite que la Réunion, est aussi un peu plus riche (884 espèces pour 1865 km², soit 0,47
espèces au km²), ce qui est somme toute logique au vu de son ancienneté (7,8 MA).
Plusieurs mécanismes moteurs de la diversité floristique d'une île, entrent ici en ligne de
compte pour expliquer le faible écart entre les deux îles soeurs. La jeunesse de la Réunion
(± 2 MA) paraît ainsi nettement compensée, d'une part, par son offre plus élevée d'habitats
lié au développement important du gradient altitudinal (étage montagnard complet, à peine
esquissé à Maurice, étage altimontain absent à Maurice) et par sa plus grande proximité des
sources afro-malgaches d'approvisionnement des diaspores. Le nombre comparé de
Ptéridophytes (242 espèces à la Réunion, 199 à Maurice) et d'Orchidées (± 145 à la
Réunion, ± 70 à Maurice), plantes typiquement anémochores et présentant à la Réunion une
importante diversité à l'étage montagnard et altimontain, fournit une bonne démonstration de
ces deux processus.
Rodrigues, île basse (393 m d'altitude), petite (151 km², soit 16 fois moins grande
que la Réunion), jeune (1,8 MA) et très isolée compte néanmoins 151 espèces de plantes
vasculaires (soit 1,39 espèce au km²), ce qui est tout à fait remarquable en raison de la faible
diversité d'habitats de l'île.
Ces chiffres ne tiennent cependant pas compte de la disparition des espèces, ni de
l'extrême appauvrissement et fragmentation des populations de nombreuses espèces
indigènes à Maurice et Rodrigues, compte tenu des faibles surfaces de milieux naturels
subsistants. L'absence de données actualisées et comparables à l'échelle des Mascareignes
ne permet donc pas d'actualiser les statistiques théoriques de diversité présentées
précédemment.
Seule la Réunion possède un bilan actualisé permanent de sa flore indigène. La version 2007.1 de
l'Index de la flore vasculaire de la Réunion recense 32 espèces indigènes ou cryptogènes présumées disparues :
15 Ptéridophytes, 17 Spermatophytes dont 3 endémiques de la Réunion et 5 endémiques des Mascareignes.
Dans le reste de l'océan Indien occidental, les Seychelles granitiques avec 280
espèces pour 230 km² (soit 1,22 espèce au km²), les Seychelles coralliennes (187 espèces
pour 116 km², soit 1,61 espèce au km²) présentent une faible diversité mais une forte densité
spécifique, compte tenu de la taille de leurs territoires.
Sans oublier les limites de pertinence précédemment évoquées des données
disponibles pour les îles de l'archipel des Comores, la Réunion se situe approximativement
au même niveau qu'Anjouan (fourchette 608-930 espèces), cinq fois plus petite et paraît
moins diversifiée que la Grande Comore (fourchette 805-1231 espèces), deux fois et demi
plus petite. Les fortes diversités de Mayotte (616 espèces pour 377 km², soit 1,63 espèce au
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km²) et de Mohéli (318-487 espèces pour 211 km², soit au moins 1,51 espèce au km²) pour
de petits territoires, tout comme celles d'Anjouan et de la Grande Comore, soulignent la
proximité de Madagascar et les fortes affinités des flores malgache et comorienne.
Pour conclure, la diversité de la flore indigène réunionnaise (835 espèces),
compte tenu de l'éloignement des continents sources et de la jeunesse de l'île, peut être
considérée comme élevée pour une île océanique volcanique, notamment si on la compare
à d'autres territoires océaniques intertropicaux isolés comme la Polynésie française qui, avec
près de 120 îles, compte 893 espèces vasculaires pour 3521 km² (soit 0,25 espèce au km²).
En valeur absolue et sans Madagascar, cette diversité floristique fait partie des plus élevées
de l'océan Indien, au même titre que Maurice et la Grande Comore.
Endémicité
La Réunion ne possède pas de famille endémique de plantes vasculaires. Seuls dans
l'océan Indien, Madagascar (6 familles) et les Seychelles (1 famille, les Medusagynaceae
avec une unique espèce aux affinités peu claires) en possèdent.
Au niveau générique, les Mascareignes comptent 32 genres endémiques
(uniquement de plantes à fleurs), 4 communs aux 3 îles, 10 communs à Maurice et la
Réunion, 3 uniques à Rodrigues, 7 à Maurice, 8 à la Réunion. Au total 22 genres
endémiques sont présents à la Réunion, soit 5,6 % du nombre total de genres.
Il faut cependant relativiser ce type de bilan au niveau générique, comme a pu le faire
CADET (1980), car plusieurs genres endémiques paraissent faiblement étayés sur le plan
taxonomique, notamment les genres Bonniera, Ruizia, Astyria, Trochetia, Parafaujasia,
Eriotrix. Une récente mise au point phylogénique et taxonomique de la tribu des Ixoreae (A.
MOULIS, à paraître) inclut d'ores et déjà Myonima dans Ixora.
Dans les autres îles de l'océan Indien, les Seychelles comptent 12 genres
endémiques, dont 6 de palmiers (Arecaceae). Les Seychelles coralliennes ne possèdent
aucun genre endémique. Les flores de Mayotte, Mohéli, Anjouan et la Grande Comore ne
paraissent également pas avoir de genres endémiques stricts ou régionaux (Comores), mais
elles disposent d'un nombre assez élevé de genres endémiques macro-régionaux
(Madagascar et Comores). À Madagascar, le nombre de genres endémiques dépasserait les
250 pour l'ensemble des plantes vasculaires (soit environ 20 % du total des genres).
Au niveau spécifique, la flore vasculaire indigène de la Réunion comprend 235
endémiques strictes (28,1 %), 155 endémiques régionales (18,6 %), soit au total 390
espèces endémiques (46,7 %).
L'endémisme peut également être détaillé par groupes systématiques. Les "Spermatophytes"
indigènes possèdent 217 endémiques strictes (36,6 %), 130 endémiques régionales (21,9 %), soit au
total 347 espèces endémiques (58,5 %). Les "Ptéridophytes" indigènes possèdent 18 endémiques
strictes (7,4 %), 25 endémiques régionales (10,3 %), soit au total 43 espèces endémiques (17,8 %).
La comparaison avec Maurice et Rodrigues est rendue délicate en raison du manque
de fiabilité et de cohérence des chiffres disponibles. CADET (1980) positionnait l'endémisme
strict de chacune des trois îles à environ 30 % de la flore indigène, et l'endémisme total à 6065 % pour la Réunion et pour Maurice, à 55 % pour Rodrigues. Il est probable que le taux
d'endémisme de Maurice et Rodrigues, sur la base des connaissances actuelles, ait peu
changé et soit, au moins, de même ordre que celui de la Réunion. Les trois îles des
Mascareignes ne présentent guère de différence nette d'endémisme, et ce malgré les
différences d'âge, de superficie et de diversité bioclimatique.
Le taux d'endémisme est un peu plus faible aux Seychelles granitiques (29,3 %) et
coralliennes (22,5 %), beaucoup plus à Mayotte (14,8) et probablement dans le reste de
l'archipel des Comores.
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L'endémisme de la flore vasculaire réunionnaise, au niveau des espèces, avoisine
globalement les 50 % (46,7 %) et les 60 % (58,5 %) pour les Spermatophytes. C'est, sans
atteindre les valeurs records des flores vasculaires de Madagascar (± 80 %) ou de la
Nouvelle-Calédonie (74,3 %), un niveau d'endémisme élevé.
DIVERSITÉ ET ENDÉMICITÉ DES FLORES VASCULAIRES DES ÎLES DE L'OUEST DE L'OCÉAN INDIEN
RÉUNION
MAURICE
RODRIGUES
SEYCHELLES
GRAN.
SEYCHELLES
CORAL. (gr.
ALDABRA)
MAYOTTE
ANJOUAN
MOHÉLI
GRANDE
COMORE
835
884
151
280
187
616
? 608-930
? 318-487
? 805-1231
Espèces
235 28,1
82
42
34
Endémicité stricte
29,3
22,5
5,5
390 46,7
91
Endémicité totale
14,8
593
685
125
200
185
542
Spermatophytes
217 36,6
70
42
34
Endémicité stricte
22
38
35
22,7
6,3
347 58,5
88
Endémicité totale
50
16,2
242
199
26
80
2
74
Ptéridophytes
18
12
0
0
Endémicité stricte
7,4
19
11
15
0
0
43
3
Endémicité totale
17,8
24
22
4
390
± 170
Genres
22
12
0
0
21
7
Genres endémiques
5,6
7,1
0
0
8
7
3
Endémicité stricte
2,1
14
14
4
12
Endémicité régionale
3,6
7,1
Pour chaque île, nombre d'espèces dans la colonne de gauche, taux d'endémisme dans la colonne de droite. Sources et commentaires : voir texte.
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