Maquillage et coiffure : de la poudre aux yeux - E

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Maquillage et coiffure : de la poudre aux yeux - E
Maquillage et coiffure : de la poudre aux yeux
Coiffeurs et maquilleurs métamorphosent l’acteur pour littéralement le faire entrer
dans la peau du personnage, changement qui doit paradoxalement se rendre
invisible. Leur rôle est fondamental pour la photogénie, à laquelle les comédiens
tiennent tant, et pour la crédibilité de l’histoire : le visage est avant tout un passeur
d’émotions.
Si une part de leur travail est de créer des visages signifiants, dont ils assurent la
continuité physique pendant le tournage, ils ont aussi un rôle plus discret : être ceux,
psychologues, qui mettent l’acteur en confiance.
Accès aux sous-titres :
En préparation : mettre un visage sur un nom
Sur le plateau : du baume au cœur
Au quotidien : la tête sur les épaules
Portrait
En préparation : mettre un visage sur un nom
Un mois environ avant le début du tournage,
maquilleurs et coiffeurs commencent leur préparation.
Après la lecture du scénario, première approche des
personnages qu’ils vont devoir façonner, ils passent
le plus de temps possible à échanger avec le
réalisateur : comment voit-il le personnage ? Quel est
son caractère ? Son apparence doit-elle évoquer la
simplicité, la sophistication, la caricature même ? "J’ai
pris l’habitude, précise Séverine Martin, coiffeuse et
maquilleuse, de demander au réalisateur un petit
texte résumant la personnalité de chaque
personnage, la façon dont il se l’imagine, pour savoir
jusqu’où je peux aller. S’il s’agit d’un film d’époque,
les directions de travail sont déjà déterminées et
demandent surtout à se documenter. Mais pour un
film contemporain, la vision du personnage est bien
plus subtile".
Les grandes lignes établies, il est temps, pour tous
les chefs de poste travaillant l’image des
protagonistes, de faire converger en un même sens
leurs idées : chef coiffeur, chef maquilleur et chef costumier se réunissent autour du
réalisateur et des comédiens. Pour le chef coiffeur, c’est l’occasion d’une prise de
contact capillaire. Il se rend compte de la qualité des cheveux des comédiens,
apprend si d’éventuels changements, comme une coloration, devront être effectués
avant le tournage et établit le niveau de sophistication des coupes à réaliser.
Le chef maquilleur fait quant à lui la connaissance épidermique des comédiens:
"c’est important de prendre un premier contact avec leur peau, pointe la
maquilleuse, car selon leur nature, sèche, grasse, ridée ou élastique, nous devons
adapter nos produits". La réunion HMC est surtout le moment décisif des
propositions et des essais. "Les mots ne suffisent pas, poursuit-elle. La notion de
maquillage forcé, par exemple, évoquera à chacun une composition différente. Il faut
donc montrer au réalisateur des photographies de différents styles de maquillage,
pour être sûr de ce qu’il aime et n’aime pas".
Contrairement aux autres techniciens, le maquilleur ne peut se contenter de
concrétiser les souhaits du réalisateur. Son défi est de taille : concevoir l’image du
comédien à l’écran. "Le comédien a sa propre vision de lui, le maquilleur en possède
une autre. Il faut donc avoir la capacité d’harmoniser ce que l’acteur voit, ce que le
réalisateur veut et ce que l’on a envie de créer", souligne notre maquilleuse.
Pour matérialiser au maximum son travail préparatoire, le chef maquilleur procède à
des essais de maquillage filmés. Ces derniers lui servent principalement à trouver le
fond de teint idéal, qui doit être déterminé selon la peau du comédien et le support
d’images utilisé. La HD et sa pixellisation très fine, par exemple, exige des
techniques toujours plus innovantes. Le pinceau et l’éponge laissent aujourd’hui
place à l’air-brush, sorte de vaporisateur qui projette un voile imperceptible de fond
de teint, évitant les traces des poils du pinceau ou l’aspect poreux de l’éponge. Mais
l’ustensile, encore mal connu, "doit être amené en douceur. Il est vrai que son air de
pistolet à peinture peut vite évoquer un ravalement de façade et laisse les
comédiens perplexes…", sourit Séverine Martin.
Le chef maquilleur ne s’arrête pas à la surface sensible du visage. Celle de la
pellicule l’intéresse aussi. Et la lumière encore plus. Il se renseigne donc auprès du
chef opérateur, afin de savoir s’il doit accorder son maquillage à une lumière
chaude, froide ou la lumière du jour. Car selon les teintes lumineuses, un maquillage
désaccordé pourra changer de couleurs, voire complètement disparaître !
La préparation du chef
maquilleur s’alourdit encore si
le scénario prévoit des "effets
spéciaux". En maquillage,
correspondent aux effets
spéciaux tous les éléments
de transformation. Ils
nécessitent souvent de
petites prothèses, en gélatine
ou silicone, simulant des
cicatrices ou des plaies
légères. Et c’est dans sa
cuisine, où il trouve des
ingrédients inattendus, que le
maquilleur prépare ces balafres ensanglantées. Mais attention, transformation n’est
pas forcément synonyme de prothèses. Maquillage et produits spécifiques suffisent
souvent à créer l’illusion : sous des doigts habiles, plasto, tuplast, glatzan et poudres
provoquent des crises d’acné, de vilaines plaies et des vieillissements carabinés.
Enfin, chef coiffeur et chef maquilleur terminent leur préparation par un découpage
spécifique à leur domaine. Il est indispensable, car d’une séquence à l’autre, un
personnage peut vieillir, rajeunir, tomber malade… autant de changements
d’apparence qui doivent respecter la continuité. Dans ce planning détaillé des
séquences, l’apparence de chaque personnage est donc consignée grâce à des
notes et des photos prises lors des essais. Impossible en effet pour eux, pour le chef
maquilleur surtout, de prendre appui sur la base neutre du visage, car personne n’a
le même teint tous les jours.
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Sur le plateau : du baume au cœur
La taille des équipes coiffure et maquillage, comme celle des autres, s’adapte au
budget du film. D’une seule personne gérant les deux domaines pour les plus petites
productions, elle peut compter une dizaine de personnes lorsque le budget est
conséquent ou qu’il y a de la figuration. Chacun suivra alors les mêmes acteurs
durant tout le tournage.
Arrivés très tôt, les coiffeurs et maquilleurs s’installent. La régie les aide, car ils
emportent avec eux d’énormes malles pleines de minuscules flacons, poudres,
laques, pinces, pinceaux et autres outils cosmétiques en triple exemplaire.
Tout - table, lumières et glaces maquillage- doit être prêt à l’heure de convocation
des comédiens. La préparation de ces derniers varie et peut durer d’une à quatre ou
cinq heures pour les maquillages et coiffures les plus complexes.
Si, par le passé, la fonction cosmétique était prédominante, c’est aujourd’hui la
fonction dramatique qui compte. Le travail des maquilleuses et coiffeuses ne saurait
donc se restreindre à une mise en beauté. Au contraire : un film fantastique exigera
une apparence surréaliste, quand un projet naturaliste demandera la vérité d’une
peau rougie et de cheveux collés par la sueur.
Le maquillage, plus que la coiffure, est un art long et délicat, où une succession de
petites touches doit recréer la peau et ses mille nuances. "Avant d’arriver au style
du personnage, nous rétablissons l’équilibre du visage par des jeux d’ombres, qui
creusent, et de lumière, qui donnent du relief. Ce qui est loin d’être évident, puisque
d’un jour à l’autre, le comédien peut avoir le teint plus pâle, les traits tirés, des
cernes… Il faut pouvoir rendre au personnage le visage qu’il avait la veille ou trois
semaines avant, pour respecter la continuité", explique notre maquilleuse.
Pendant ces heures où les acteurs s’abandonnent entre leurs mains, les coiffeuses
et maquilleuses enfilent leur deuxième casquette : psychologue. Elles se doivent
d’écouter les comédiens, leurs confidences, leurs insatisfactions, voire leurs
attaques dans les pires cas. Et surtout leur parler, les mettre en confiance et en
condition : « nous sommes le tampon entre vie privée et plateau, précise Séverine.
C’est le seul moment de la journée où l’acteur est seul avec quelqu’un. C’est surtout
le moment étrange de la métamorphose : lorsqu’il arrive, il est un individu ; lorsqu’il
repart, il est l’Acteur. Nous avons ainsi un rapport très particulier avec eux, intime, au
plus près de ce qu’ils sont. Un rôle qu’on pourrait presque dire maternel, on s’occupe
d’eux... Les crèmes ne suffisent pas pour qu’ils se sentent bien. »
Voilà enfin le moment où
émerge le personnage : coiffé
et maquillé, l’acteur est dans
la peau de l’autre, prêt à jouer
son rôle. Pour les coiffeurs et
maquilleurs, le plus gros est
fait. Leur incombe maintenant
un travail d’endurance :
surveiller et éviter les faux
raccords. Une coiffeuse et
une maquilleuse suivent ainsi
toute la journée les acteurs "à
la face", jouant des coudes
entre chaque prise pour
entretenir leur apparence. "On est alors ce que j’appelle des Madame Houpette,
s’amuse la maquilleuse. Pendant des heures, on traque la mèche folle ou le nez qui
brille. C’est surtout important en coiffure, car on se passe tous la main dans les
cheveux. Des détails qui nous valent souvent des reproches de futilité". C’est oublier
que le regard du grand public sera attiré, avant tout le reste, par le visage des
comédiens.
A la fin de la journée, les loges maquillage redeviennent un sas de décompression.
Après le démaquillage et le décoiffage, les acteurs ont droit à un petit masque
relaxant. A moins que l’installation du HMC soit trop sommaire, sans accès à l’eau
chaude. Enfin, chacun doit nettoyer et ranger tous ses produits.
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Au quotidien : la tête sur les épaules
On l’aura compris, être maquilleur ou coiffeur de cinéma ne demande pas seulement
une maîtrise esthétique. Le relationnel demeure le fondement de ces postes où
flexibilité et écoute sont nécessaires. Mais "si l’intimité aux comédiens est parfois
difficile à gérer et demande une certaine maturité, nuance notre maquilleuse, le
plaisir de la métamorphose est le plus fort. Comme des peintres, mais sur des toiles
vivantes, nous façonnons avec les ombres, les lumières et les couleurs." Seule
ombre, au tableau cette fois : le manque de fournisseurs spécialisés et de formations
reconnues en France.
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Portrait
Séverine Martin a débuté sa
carrière comme coiffeuse dans le
circuit traditionnel avant de suivre
une formation spécialisée en
maquillage et coiffure de
spectacle. Elle travaille quelques
années à l’opéra et au théâtre
avant d’entrer dans le cinéma, où
elle commence comme renforts
sur un film d’époque, La
Resistance. Elle enchaîne depuis
les longs-métrages et séries (La
saison des orphelins en 2007,
Dans ton sommeil en 2008, Xanadu en 2010) tout en continuant d’exercer ses
talents pour le spectacle vivant, la mode et la télévision.