le journal televise

Transcription

le journal televise
LE JOURNAL
"
,
TELEVISE
Arnaud Mercier
PRESSES DE SCIENCES PO
LE JOURNAI.
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TELEVISE
LE JOURNAI
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TELEVISE
Politique de l'informotion
et informotion politique
Arnoud Mercier
PRESSES DE LA FONDATION NATIONALE
DES SCIENCES POLITIQUES
Catalogrge Électre-Bibliographie (avæ le concours des services de documentation de la
FNSP)
Mercier, Amaud
Le joumal télévisé : politique de l'information et information politique.
de Sciences Po,7996
ISBN 2-7246-0709-0
RAMEAU :
-
Patis : Presses
télévision : émissions de nouvelles : France
joumalistes de Élévision: France
DElrEy:
Public
âiîyl'î";if;,',,1]"'Fi;,;J'1î,,,"".
Activités
concerné, ffmff:Hu
Le photocopillage tue le livre
Le logo qui figure sur la couvernrre de ce livre mérite une explication. Son objet est
d'alertet le lecteut sur la menace que représente pour l'avenir de l'éctir, rout particulièrement dars le domaine des sciences hmaines et sociales, le développement massif du
" photocopillage
".
Ia loi de 1957 sur la propriété intellectuelle interdit en effet expressément la photocopie
à usage collectif sans autoristion des ayants droit (seule la photocopie à usage privé du
copiste est autorisée). Or, cette pratique s'est généralisée, pmvoquanr une brutale baisse
des ventes, au poiot que la possibilité même
d'diter
conectemeûr ce type d'ouvrages esr
aujourd'hui menacée,
Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du pr&ent ouvrage esr
interdite sans autodsation de l'éditeur ou du Centre fraoçais d'exploitation du droit de
copie (CFC, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris).
ISBN de la version numérique : 9782724685312
Cotuerture: Emmmuel Le Ngoc
@
T996. PRESSES DE LA
FoNDATIoN NATIONAIE
DES SCIENCES POLITIQUES
Pour Dame Florence
et Maître Jean
TABTE DES MATIÈRES
lntroduction
et remise en cause de l'information télévisée .....
Pour une mise à distance du journal télévisé.
Espace public et catégories de jugement et de mise en
Succès
récit..
11
16
18
Les journalistes de télévision face à de multiples conrra-
dictions
Bref historique du journal
télévisé
20
2I
PREMIÈRE PARTIE
JOURNALISME TÉLÉVISÉ
ET POUVOIR POLITIQUE
Cbapitre
1
LE TR,{UMA ORIGINEL
r949-1958 un contrôle politique déjà fort.
la mainmise politique
la libéralisation limitée
r972-1975 la reprise en main.
r97r-r988 permanence du contrôle et autonomie pro1.958-r969
1969-1972
gressive
36
37
40
42
48
-6Cbapine 2
LEs JoURNALISTES EN QUÊTE
D'AUTONOMIE POLITIQUE
Imposer les logiques télévisuelles
Professionnaliser le journalisme télévisuel.
Promouvoir un modèle de .. neutralité " journalistique.
Se réapproprier la mission de service public
56
60
69
70
Cbapitre 3
JOURNÂLISTES ET HOMMES POLTTTQUES
Des relations croisées et
antagonistes....
Des croyances communes
78
: le terrain d'entente, 78 -
Des
Des
: la nécessaire coopération, 81 intérêts divergents : le maintien de rapports de forces, 86
- L'impossibilité d'une analyse univoque, 90.
objectifs dépendants
Des relations
régulées
92
L'existence de règles tacites, 93 - Des règles tacites qui
aboutissent à une culture commune, 98.
Cbapi*e 4
LE JOURNALISME TÉLÉVISÉ
DANS L'ESPACE PUBLIC
public à l'ère de la communication de masse...
L'" effet de croyance ', en la puissance des médias
Les liens étroits entre communication médiatique et
108
111
Les rhétoriques justificatives du journalisme télévisé ....
Obtenir la confiance du public, I2I - Les justiûcations
journalistiques, 124 - I^a rhétorique de la mission civique,
126 - Les rhétoriques conjointes: neutralité et indépen-
I20
L'espace
politique.
àance, I32.
L'espace
public réduit à un
espace comnaunicationnel
.......
IIt
135
SECONDE PARTIE
LE TRAITEMENT DE LA POLITIQUE
AU JOURNAT TÉLÉVISÉ
Cbapitre 5
sE DÉFATRE DE L'EMPRISE
Le sens de
rÉrÉusunur
I'image
L44
une sociologie de I'image, 146
l'image ? 148.
Savoir défaire
-
I44
- Pout
Quel est le pouvoir de
Les obstacles à I'analyse de I'image télévisuelle,
I'image.
150
Décomposition des reportages, 151
des reportages,151.
- Recontextualisation
T-a faible valeur informative de I'image
Les images sans pouvoir, 1!3 - Les images sans valeur, 156.
- La valeur monstrative et non démonstrative des images,
153
r59.
Cbapine 6
LES LOGIQUES DE LA SÉDUCTION
Les logiques de la .. néo-télévision > ...
La relation de proximité,167 - L'. adresse > aux télésPec'
tateurs, 169 - IÊ suspense comme capteur d'attention et la
valorisation de I'acse même de communique4 169.
Séduire les publics : I'adoption de ces logiques au journal
télévisé.
Le recours à I'humour, I73 -L'" adresse " aux téléspectateurs, 175 - Le choix d'une modalité d'exposition narrative,
I79 - Une présentation du journal télévisé à I'apparence
logique, 184 - Une interaction simulée avec le Public, 190.
r67
t7r
Cbapitre 7
LE DISCOURS JUSTIFICATIF DES JOURNALISTBS
Paraître objectif.
L'objectivité dans la mise en scène du journal, 200
r99
-
L'ob-
8
jectivité dans le traitement des faic, 201 - L'objectiviré par
le réalisme de I'image, 203 - Mais I'objectivité impossible,
205.
Gagner en
crédibilitê......
L'effet de têel,2I3 - L'effet d'exhaustivité,2I9
risation par la présence d'intervenants,22I.
212
- Ia valo-
Chapine 8
LES CÀTÉGORIES DE IUGEMENT
Àu JouRN,Ar rtrrtrvrstr
L'usage du sens commun et des techniques narratives. ..
Le sens commun, 227 -Les techniques nanxives,229.
Du narratif dans les choix descriptifs ..
L'usage du direct : la valorisation de l'instant,234 - L'usage
d'un langage simplifié et de clichés, 240 - L'importance
accordée au cadre de I'action,243.
Du narratif dans les facteurs explicatifs.
La méfiance vis-à-vis de l'" intellectualisme >, 245 - Iâ
personnalisarion, 246 - Les explicarions psychologisantes,
- Ia posturJdu dévoilement,
Du narratif dans les registres thématiques
Iæ drame et I'appel aux émotions, 255 - Le conflit bipolaire,26O - Les bons senriments et la bonne volonté.262
- Les sujets facilitant la mise en rêcit, 266.
225
234
24j
248 - La. catégorisation , 250
253.
25:-
Cltapitre 9
LES IMÂGES DE LA POUTIQUE
La mise
en récit
:
les négociations secfètes de Genève
dévoilées
272
Le conflit
man au congrès du PCF.
de la politique: Michèle Barzach en
Ia personnalisation
campagne.
Les jugements de valeur implicites
pacifiste malmenée.
: une manifestarion
La déférence institutionnelle: une conférence de presse
du président de la République
275
280
292
288
9Bilan : la faible valeur informative des images politiques. 293
Conclusion
301
Annexes.
3Il
Bibliographie
331
Index dcs
no/ns...
34I
INTRODUCTION
Si Ie journal télévisé de 20 heures est bien une << granllrr,'il est plus que iamais nécessaire de le désacraliser. Le
travail de sape â dCla.ommencé, du fait des vives critiques qui
se sont abatiues sur les rédactions depuis le milieu des années
quatre-vingt, en France. Pourtant, en dépit de ces critiques,
messe
finformutilon télévisée est désormais notre mode d'information
privilégié. Que signifient ces deux orientations ? Pourquoi
âpp"oitt"nt-èles parallèlement ? Ces questions en appellent
d-'âutres. Trois axes de réflexion guideront par conséquent notre
démarche. Comment expliquer la remise en cause assez virulente qui frappe le journalisme de télévision ? Quel -est le
.orrt.n.r sociopôlitique latent de ce mode d'information devenu
dominant et quelle place le journal télévisé a-t-il dans le fonctionnement démocratique ? Enfin, une prise de distance critique
vis-à-vis de la mise eÀ scène qui nous est donnée de I'information ne devient-elle pas une impérieuse nécessité ?
SUCCÈS ET REMISE EN CÂUSE
DE L'INFORMATION TÉLÉVISÉE
Plusieurs .. affaires ,, ont conduit les téléspectateurs' dans les
années quatre-vingt, à contester la façon d'agir des journalistes
de télévision. Plusieurs griefs sont invoqués contre
euK.
-12De nombreux repoftages onr été dénoncés comme violant la
vie privée des personnes : harcèlemenr des reporters sur des personnes soupçonnées par Ia justice par exemple, ou diffirsion
d'images sans leur accord. De nombreux procès pour atteinte à
la vie privée ou au droit à I'image ont eu lieu depuis I'arrêt
rendu le 7 juin 1984 par le tribunal de Paris condamnant FR _j
à indemniser une personne filmée sans son accord lors de son
affestation par Ia police, la scène ayaft été diffirsée dans un
magazine en août 1983. Le non-respecr de la vie privée, de la
douleur des familles en cru de drame, fut égalemint dénoncé
lors du faux scoop de La Cinq, qui annonça plusieurs jours
durant avoir rerrouvé Ia trace de I'actrice Pauline Lafont. dont
le corps fut découveft peu de temps après,
Suscite également de vives critiques la diffusion d'images
vidéo tournées par des ravisseurs qui exhibent leurs prisonniirs
et les font pader sous la menace. La question s'est posée avec
acuité à partir de l'arrestation en 1983, en Afghanistan, de
Jacques Abouchar, journaliste à Antmne2, victime d'un procès
parodique avec extorsion d'aveux ; elle s'est posée à nouveau
avec les otages français au Liban, dont faisaienr partie, une fois
de plus, quatre journalistes d'Antenne 2. Le choix solidaire des
rédactions fut de ne diftrser que de brefs extraits sans le son,
en conservant I'image pour donner ainsi la preuve que l'otage
était encore en vie. La polémique naquit quand, le 14 novembre
1985, le magazine d'actualité d'Antenne2 ditrusades entretiens
réalisés avec des prisonniers soviétiques aux mains des Afghans.
Cette diffixion semblait indiquer, en efiFet, que la non-diffusion
de- propos de prisonniers ne répondait pas à un principe intan-
gible, mais qu'elle était fonction des circonstances er noramment de I'affinité de ces propos avec les valeurs, les intérêts et
les points de vue occidentaux.
La question fut associée à celle du terrorisme : la diffirsion
de telles images n'encourageait-elle pas les actions violentes ou
terroristes ? C'est noramment la prise d'otages à I'intérieur de
la cour d'assises de Nantes qui suscita doutes et contestations.
Un prévenu, armê d'un revolver et d'une grenade, prit une
trentaine de personnes en otage et têclama la présence de la
télévision pour s'adresser à rous, ce qu'accepra FR 3, diffirsant
en direct la prise d'otages et les propos du forcené. Le traitement de la violence esr un problème majeur pour les journalistes, qui oscillent entre la possibilité de montrer des images
_
13
_
spectaculaires en espérant gagnet des parts d'audience et la cer-
titude qu'ils ont d'ân perdie en choquant une partie du public.
C'est d'ài[eurs poru éviter ces chocs émotionnels face à certaines
scènes que les milituires américains ont soigneusement censuré
les images de morts durant la guerre du Golfe.
Les rédactions de télévision sont aussi régulièrement accusées
de voyeurisme et de complaisance dans la description de scènes
de souffrance. Ia polémique battit son plein à ce sÙet notamment en novembrè 1985: où toutes les chaînes, sauf FR 3, diffi.xèrent les images de la lente mais certaine agonie d'une petite
Colombienne aà f 3 ans, prisonnière de la boue tombée sur son
village et morte d'épuisement après soixante heures de bande
vidéà enregistrées. La critique peut aller encore plus loin,
lorsque les journalistes sont reconnus coupables d'avoir encouragé-des uctions délictueuses ou violentes afin d'avoir des sujets
inédits à filmer. Ce fut le cas avec un reportage tourné par une
équipe de I'a Cinq, sur les violences racistes d'une bande de
skinlre"dt enivrés,-qui valut à son auteur, le journaliste Pascal
Richard, I'inculpation,Ie 29 juin 1990, pour << blessures involontaires, délit de fuite et défaut de maîtrise ',.
Sixième grief retenu contre les rédactions télévisuelles, celui
du " bidoniage ,, des reportages. L'exemple le plus célèbre fut
celui du reportuge proposé par Jean Bertolino, dans le ryagezine
< 52 sur la- UnJ",-oùr-Denis Vincenti fit tourner des figurants
dans une carrière de Meudon, prétendant ainsi présenter les
noctambules qui hantaient les catacombes de Paris. Une vive
s'eÀsuivit dans la presse, puisque Jean Bertolino.et
polémique
^certains-journalistes
connus de la rédaction, tel François -d" Clq,.tr, ,orriit rent le recours à ce procédé. Le même type de polémique survint en janvier 1992, avec le reportage oÈ Régis.Fau.on .t Patrick Poivre d'Arvor faisaient semblant d'interviewer
Fidel Castro, en enregistrant les extraits d'une conférence de
presse où le leader cubain répondait à d'autres questions et à
d'autres confrères.
Enfin, deux événements de politique étrangère ont éveillé
chez les téléspectateurs le sentiment de voir les journalistes
céder au o seniationnalisme > et donc d'être manipulés : la révolution roumaine, en décembre t989, avec le faux charnier de
Timisoara, puis, en janvier 1,991,Ia guerre contre I'Irak et la
façon dont les militaires occidentaux réussirent à la censurer'
Dâns les deux cas, le reproche adressé aux journalistes est de
_14_
trop se précipiter et d'être, du même coup, dupes des manipulations dont ils sont I'objet. À plus fonà raisôn si les journalistes détournent eux aussi le sens de certaines imagés en
présentant des images d'archives comme des images d'actualité,
faute d'avoir pu aller sur le terain. Ces deux affairer, .o--.
celles dt' bidonnage ,' des reportages, touchent la profession
"
au fondement même de ce qui fait sa légitimité à enquêter
comme elle le souhaite, à savoir le dévoilemenr de la vérité. Si
ljs images et les informations diffi:sées sont fausses, l'a priori
favorable dont bénéficiait la télévision (<< une image n. pr,.t p*
mentir >) disparaît. Mettre des freins au pouvoir d'investigation
et d'intervention des journalistes devieÀt plus légitime, puisqu'ils ne sont plus aurant qu'ils le disent au servicà de h vèrité.
En dépit de toutes ces critiques, la consommation télévisuelle
ne cesse globalement de croître. Le poste de télévision est I'objet
de consommation de m,rsse par exèelence. Son taux d'équiiement n'esr pas discriminé par la catégotie socioprofessionnelle,
et il atteint un tel niveau que c'est désormais la non-possession
qui relève d'un compoftement volontaire et marginaf. Son utilisation a pris dans notre vie quotidienne une place considérable, notammenr pour ce qui est de la recherJhe d'informations. Un sondage de 1988 montrait déjà que, pour 69 To des
personnes interrogées, la télévision esr << le moyen le plus utile
pour aider à savoir comment voter 1 ,r. Seuls les cadres et les
professions intellectuelles supérieures conservenr une très légère
préftrence p-our la presse écrite (61 Vo contre 59 % pour ta îaevision). Et face à une nouvelle important., com-è le plan de
réforme de la Sécurité sociale par eiemple, 47 7o des pJrsonnes
interrogées déclarent faire le plus confiance à la télérrision,
contre 28 % à la presse et 19 % à la radio 2.
De fait, le journal télévisé est devenu, dans les démocraties
occidentales, une institution, un rendez-vous quotidien qui
rythme la vie de nombre de citoyens, un moyen à'informatiàn
privilégié pour beauconp. Sur les 70 Vo de foyers qui regardaient la télévision à 20 heures, lors d'un mois oidinaiie coÀme
octobre 1992, 19 Vo rcgardaient le journal télévisé de TF 1 (soit
.
1. Sondage Louis Harris, pour
France Soir
1988.
2.
1"99r.
Sondage SOFRES, pour Télfirama et
W
Magazine, du L0 au 12 mars
La Croix,
dt
26
at 2g décembre
_15_
environ 8,2 millions de personnes), L2 Vo le journal télévisé de
miilions) et 5 Vo le flash de M 6 (soit environ 850 000). Ils étaient, par ailleurs, 13 7o à avoir suivi la
tranche d'information da I9l2O heures slJr France J (environ
5,6 millions). Ainsi, la moitié des foyers qui étaient devant leur
r.
écran en début de soirée ont rcgardé un journal télévisé
En raison de ce succès, il n'est plus possible d'écarter le jour*
nal télévisé des études sociologiques comme ce fut longtemps
le cas à cause du mépris dont a été victime la télévision dans
le monde intellectuel. Comprendre I'outil télévisuel est devenu
une nécessité pour appréhender les représentations qui régissent
la société contemporaine.
Pour ce faire, il faut avoir à I'esprit le cadre génêral de la
production télévisuelle et de son mode de fonctionnement. En
effet, le journal télévisé s'insère dans le même système de
contraintes, il répond aux mêmes logiques concurrentielles que
le reste des programmes de télévision, et parfois plus, puisqu'il
est le produit sur lequel les dirigeants de chaîne comPtent Pour
gagnet la o bataille publicitaire de 20 h 30. It s'est opéré, à
"
ce titre, un changement de priorité. Le créneau que se disputaient les chaînes au début des années quatre-vingt était Ia
tranche horaire de 19 h45, car elle était considérée comme la
.. locomotive
', des programmes. Le journal télévisé était, en
effet, la vitrine de la chaîne et son succès d'écoute était un
objectif en soi. Désormais, le succès du journal télévisé est
d'abord perçu comme un moyen de fidélisation de la clientèle
pour les pfogfammes à venir et notamment pour I'heure et
demie qui suit, le fameux ( prime time ,r, qui correspond au
taux record d'audience et, par là même, de recettes publicitaires.
Les journalistes de télévision ont intégré les contraintes liées à
cet état de fait, ce qui ne manque pas d'influer sur leur façon
de travailler.
France 2 (environ 5,2
1.
Sources : Médiamat-Médiamétrie.
26 octobre 1.992.
PouR UNE MISE À olsraNcr
DU JouRNar rÉrÉvrsÉ
à
Afin de fidéliser leurs publics, les rédactions ont élaboré petit
petit des standards de présentation de I'information télévisée
ei
ayant recours à des conventions de fabrication reposant sur
le vraisemblable, qui ont fini par donner au journal télévisé un
aspect de réalité indépassable. Ainsi, il semble o naturel > qu'un
repoftage soit structuré comme suit : introduction par le présentateur en studio; transition vers un repofter sur place
images vidéo qui établissent la vêracité de la scène ou du lieu
montage sélectionnant ou ôtant certains détails de la scène
commentaire du reporter en voix off ou en plan debout ; images
de conclusion sur la scène concernée ; le reporter termine
debout ; retour vers le studio et son présentateur. Comme I'explique Michael Griffin, c'est cette conformité avec ce que les
téléspectateurs ont pris l'habitude de s'attendre à voir, qui suscite le sentiment que ce qui est présenté est bien un reportage
objectif t. C'est cette sensation de familiarité que nous voulons
précisément remettre en question, en étudiant de plus près les
schémas culturels et les ressofts narratifs qui sont à l'æuvre dans
le traitement apparemment banal de I'actualité. Le ;'ournal télévisé, loin de correspondre à ce produit normalisé dont la répétition quotidienne finit par nous voiler la complexité, doit être
abordé dans sa dimension conflictuelle et problématique.
Mais le journal télévisé ne peut s'expliquer seul par la simple
critique des images produites. Il se comprend dans la mise en
évidence des interactions qui le constituent. De fait, les journalistes de télévision apparaissent comme des intermédiaires
entre les acteurs (politiques, économiques, sociaux ou culturels)
de I'actualité et les logiques télévisuelles dans lesquelles leur
production s'insère, notamment les contraintes économiques et
techniques. Symétriquement, les publics interfèrent avec le produit fini, tant par leurs pratiques constatées de consommation
télévisuelle que par I'image que les journalistes s'en font et
I'omniprésence de leur souci de plaire au public >r. En ce sens,
"
la télévision est bien un média, c'est-à-dire un rapport social
1. Michael Griffin, "Looking atTV News: Strategies for Research',
Communication,
13, 1992, p.
1.33.
_17_
structuré par une technique et par des logiques économiques et
professionnelles.
Une pareille approche nécessite de mobiliser diftrents
niveaux d'analyse. Premier facteur explicatif : les contraintes
matérielles réelles auxquelles les journalistes sont confrontés
chaque jour dans l'élaboration de leur journal ; à quoi s'ajoutent
les fondements axiologiques du journalisme télévisuel et les pré1. Les
occupations d'identité professionnelle qui le traversent
journalistes de télévision sont, en effet, membres d'un groupe
professionnel, mais ils oscillent constamment entre l'insistance
iur les points d'identification communs ou le rappel des différences de statut et de conditions de travail qui feraient d'eux
des journalistes pafticuliers. Il faut donc essayer de saisir la
façon dont les journalistes de télévision conçoivent leur rôle
professionnel par rapport au reste du groupe, La façon dont ils
s'inscrivent ou non dans les logiques collectives, le type de discours justificatifs qu'ils tiennent. Enfin, troisième facteur décisif
dans la compréhension du traitement de l'information politique, I'interaction des journalistes de télévision avec le champ
politique. Le rapport à la politique est décisif, tant à cause
des habitudes que le passé a engendrées qu'à cause du type de
liens particuliers qu'un journaliste noue avec ses sources quand
elles sont politiques, ou de la façon qu'ont les journalistes
de télévision de revendiquer une place à part entière dans
l'espace public, c'est-à-dire dans le fonctionnement démocra-
tioue.
Po..t .o-pt"ndre les iogiques de traitement de I'information
politique au journal télévisé, nous étudierons donc les relations
entre les journalistes et les hommes politiques, d'une part
(qu'ils soient des sources, ou le plus souvent des intervenants)
et, d'autre part, le passage des informations politiques à travers
le prisme des logiques professionnelles et axiologiques de
recherche d'une légitimité collective. Cette position implique
d'inclure également une réflexion sur le lien que les journalistes
tentent d'établir avec leur public, considéré comme citoyen, et
la représentation qu'ils en ont. Une fois ce travail réalisé, il
1. Ces points ont été plus particulièrement développés dans notre thèse
de science-politique: L'infornation politique au iouwal tdléaisê. I*t journalistes
fu téléuision et le traitenænt t,îléuisuel dp tanualitî, sous la direction de Pierre
Favre, Institut d'études politiques de Paris,1994.
Transcodé et acheué d'imprimer
par I'Imprinuie Floch
à Maymne, le 31 octobre 1996,
D6pôt légal : nwanhre 1996.
N un6ro dl imprimeur : 402 5 6.
Intriné
en Franca
e journal televise est devenu, pour beaucoup, Ie moyen
d'information privilegie, sans qu'on ait toujours les outils
pour Ie critiquer. Pourtant, les images televisees nous
donnent souvent nne impression d'insatisfaction, car la
recherche d'audience, la concurrence entre les chaInes ou la
volonte de s'approcher de plus en plus du direct absolu ont produit
de nombreux derapages et atteintes it la deontologie.
L'aureur livre ici des cles d'analyse pour comprendre les raisons
de ces dysfonctionnements et aussi pour echapper it la fascination
de 1'image televisuelle, de cette image defilante qui capte
1'attention. 11 scrute les motivations des journalistes de television
dans 1a fabrication de leur journal, notamment leur volonte de
seduire, observe les relations conflictuelles mais ambigues qu'ils
entretiennent avec Ie pouvoir politique ; enfin, par une etude
attentive des reportages, soigneusement decryptes, il repere la
logique des representations sociales et politiques delivrees.
Le fil conducteur de cette analyse est Ie role de gestionnaires de
1'acces it 1'espace public que les journalistes de television s'autoattribuent. eela les oblige it entrer dans une etroite interaction
avec les elites politiques, tout en veillant it ne pas se. couper de
leurs publics. Pareil grand ecart les conduit it adopter des
denominateurs communs minimaux dans leur presentation des
faits. Ils puisent alors dans les categories de jugement du sens
commun et dans les ressources du genre narratif : valorisation de
1'emotion, mise en recit des reportages, recours it une psychologie
expeditive, traitement de 1'information particulierement
reducteur...
Bien evidemment, 1'image donnee de la politique s'en ressent
lourdement, et les conclusions de cet ouvrage doivent etre prises
en compte dans la fa<;on de concevoir notre democratie, de plus en
plus mediatique.
ARNAUD MERCIER, maitre de conferences en science politique a
/'Universite de Nice OU if enseigne notamment la communication politique.
associe au laboratoire Communication et politique du CNRS, consacre
I'essentiel de ses recherches aune ri!Iexion sur Ie role des medias, notamment
audiovisuels, dans /'espace public. II a pub/ie plusieurs articles sur ces
questions et y a consacri sa these de doctorat, soutenue a I'Institut d'etudes
politiques de Paris en 1994.
Prix de lancement : 168 F (jusqu'au 31 mai 1997)
@
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PItOTO<OPIlJ.\G1
TUEULNRE
novembre 1996
Prix:210F
ISBN: 2-7246-0709-0
£
945630-1