A quoi tient la force des religions ? Corrigé
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A quoi tient la force des religions ? Corrigé
A quoi tient la force des religions ? Corrigé Introduction L’omniprésence du religieux dans toutes les cultures humaines, la pérennité des grandes religions au cours du temps, la capacité de la croyance religieuse à orienter le cours de la vie de certains individus…, autant de témoignages de la force du religieux dans l’esprit des hommes d’hier et d’aujourd’hui. Avant de répondre à la question de savoir à quoi tient cette force, il convient de l’analyser pour établir en quoi elle consiste. 1. La force politique des religions A. Le pouvoir est religieux par nature Si l’on admet que le religieux consiste toujours en une relation de l’homme à la sphère sacrée du divin, on peut en déduire que par nature l’expérience religieuse est celle d’une soumission à une autorité supérieure. La croyance religieuse institue la divinité en position hiérarchique de souverain. Il faut obéir aux injonctions divines. Inversement, tout pouvoir politique cherchant à obtenir l’obéissance de ses sujets tend à instaurer avec eux une relation de soumission de type religieux : l’État, le Prince ont quelque chose de divin ; leurs lois sont sacrées. Pas de chef sans culte ; pas de culte sans chef. On pourrait penser que, dans des sociétés politiques laïques, on ne retrouve pas cette structure religieuse du pouvoir. La raison des citoyens suffirait à obtenir d’eux l’obéissance à des lois raisonnables. Pourtant, si les citoyens ne suivaient que les conseils de leur raison, ils seraient conduits à transgresser certaines lois dès que l’impunité leur paraîtrait probable. Sans l’intimidation du pouvoir, sans la crainte quasi religieuse du châtiment, l’obéissance rationnelle ne suffirait pas à garantir l’autorité des lois de l’État, fût-il laïque. Est-ce un hasard si les révolutionnaires de 1789, soucieux d’émanciper la société française des préjugés religieux, durent rapidement inventer le culte de l’Être suprême pour consolider le pouvoir de la République ? B. L’exemple des religions antiques Dans l’Antiquité, chaque peuple, chaque Cité avait ses dieux et en particulier sa divinité tutélaire. La croyance religieuse et la vertu civique ne faisaient qu’un. Quand Socrate fut accusé de ne pas honorer les dieux d’Athènes, l’attaque portée contre lui était de nature politique : il représentait, lui et sa pratique philosophique, un danger pour l’État, pour la cohésion d’une société foncièrement traditionnelle. La représentation du divin était donc originellement étroitement liée à la définition de l’identité collective du groupe. La force de la religion était donc bien, dans son principe, une force politique. 2. La faiblesse des religions universalistes A. L’innovation chrétienne © Hatier 2002-2003 Le propre du message christique est de s’adresser à l’humanité tout entière. Alors que le dieu des juifs s’adressait encore à un peuple particulier, le Dieu chrétien se veut celui de tous les hommes. La « bonne nouvelle » chrétienne revient donc à contester la réalité du dieu des autres religions. À la sagesse polythéiste qui admet que chaque peuple ait ses divinités l’hégémonie chrétienne oppose un Dieu universel. C’est par légitime défense que les Romains, très tolérants avec les cultes des peuples qu’ils envahissaient, s’en sont pris farouchement aux chrétiens qui refusaient d’abjurer leur foi. La source de l’intolérance est bien dans l’idée que tous les hommes doivent avoir le même dieu. Les cirques et les martyrs sont une réaction au prosélytisme (attitude cherchant à convertir) et à l’esprit de conquête chrétien. Les peuples polythéistes se rangeaient derrière leurs dieux pour se faire la guerre. Il reviendra au christianisme d’inventer les guerres de Religion. B. L’affaiblissement sectaire La force du religieux cesse d’être une force politique et commence même à devenir un danger pour l’État quand elle est amenée à entrer en contradiction avec elle-même, autrement dit quand les religions en viennent à s’opposer entre elles à l’intérieur d’un même peuple. C’est ce qui arrive régulièrement au sein des trois grandes religions monothéistes : les désaccords dogmatiques conduisent à l’hérésie, puis au schisme, à la fondation de nouvelles traditions (songeons par exemple au grand schisme d’Occident au début du xve siècle, à la Réforme luthérienne au début du siècle suivant). La faiblesse d’une communauté religieuse intérieurement soudée autour d’un dieu considéré comme la seule et unique véritable divinité est de ne pas pouvoir donner naissance à la moindre innovation théologique sans provoquer une dissension intérieure et, à terme, une scission. L’avenir du religieux monothéiste est de se multiplier en se désagrégeant, en s’affaiblissant donc. 3. La religion, victime d’elle-même A. Le génie moral du christianisme Mais le véritable affaiblissement du religieux demeure évidemment le phénomène très récent, qui ne remonte guère plus loin qu’au XVIIIe siècle, de l’athéisme philosophique et de la laïcisation du politique. Comment expliquer cet effondrement de l’autorité divine ? Il n’est pas impossible d’y voir la rançon de l’avènement du christianisme. En effet, en désolidarisant la croyance religieuse de tout attachement à un État particulier, à ses lois et aux moeurs de son peuple, l’universalisme chrétien eut pour effet de réduire la conscience religieuse à un culte très intérieur, presque à une simple morale. La grandeur du christianisme, sa manière de pousser très loin l’altruisme et l’oubli de soi, a conduit à une forme de désintéressement encore plus sublime qui ne se soucie plus d’une quelconque récompense divine. L’autonomie morale et l’idée que l’homme doit agir par devoir, sans calcul, sans espoir de récompense, ne pouvaient être conçues et assumées que dans le contexte d’une culture chrétienne. La force du christianisme était condamnée à être dépassée par la force de la morale. La victoire du christianisme a donc correspondu au commencement de son déclin. B. La mort de Dieu Mais y a-t-il vraiment une force de la morale ? Existe-t-il vraiment une autre force, psychique et politique, capable de se substituer à la religion ? Si la morale moderne est née de la mise à mort du Dieu universel chrétien, n’est-ce pas que le ressort profond, l’aspiration secrète de cette moralité est de renverser les valeurs existantes, de s’attaquer aux croyances en général ? De sorte que l’accomplissement de cette tendance moralisatrice de la civilisation chrétienne © Hatier 2002-2003 serait l’effondrement de toutes les idoles, de tous les idéaux, des moindres croyances ; autrement dit, le nihilisme. Dans ces conditions, l’affaiblissement du religieux, sous sa forme chrétienne, correspondrait également à un affaissement de la cohésion sociale, à une individualisation du tissu social, à une extinction du politique. Quelle alternative à la force du religieux ? Sans doute apprendre, pour les sociétés laïcisées, à se passer de cette force sans que cela se traduise par une faiblesse. Inventer un équilibre social sans dieux, équilibre sans doute fragile, précaire mais assurément indispensable à la liberté de chacun. Conclusion À quoi tient la force des religions ? La force des religions, disposition intérieure, se manifeste surtout par les effets extérieurs de cohésion sociale. Le religieux est par essence politique. À côté du réveil religieux que suscite parfois l’affaiblissement politique des démocraties libérales, ces sociétés sauront-elles préserver l’équilibre d’un ordre social laïque ? Ou bien la cohésion du politique devra-t-elle toujours, tôt ou tard, se souvenir d’une force religieuse ? Orientations bibliographiques Pour approfondir la lecture du corrigé – Freud, « Psychologie des foules et analyse du moi », dans Essais de psychanalyse, Payot (1A*). – Platon, Apologie de Socrate, Flammarion, coll. « GF » (1-B*). – Voltaire, Dictionnaire philosophique (articles « Fanatisme », « Christianisme ») (2-A*). – Spinoza, Traité théologico-politique, Flammarion, coll. « GF » (2-B*). – Kant, La religion dans les limites de la simple raison, Gallimard (3-A*). – Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, Gallimard, coll. « Idées » (3-B*). * Ces indications renvoient aux différentes parties. © Hatier 2002-2003