Le texte de l`article (sans les illustrations) - uk-us
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J La ligne Dieppe Newhaven à la Belle époque Lien historique avec l'Angleterre, la ligne maritime Dieppe Newhaven a bien failli disparaître au tournant du XXI e siècle. Les années 1980-1990 avaient été bonnes. On ne voyait plus ces trains entiers de touristes et de scolaires s’engouffrer dans le ferry amarré Quai Henri IV, les automobilistes les avaient remplacés, mais l’activité restait soutenue : en 1993, année record, Dieppe-Newhaven voyait passer près d'1,2 million de voyageurs. Malheureusement, tout cela n’allait pas durer. Le tunnel sous la Manche entrait en service en 1994, et l’arrêt prévu du duty free faisait peser une lourde menace sur la rentabilité des ferries. À la fin de l’année 1998, l’exploitant P&O-Stena Line se désengageait. Ne restait plus alors qu'un service saisonnier, mis en place par la compagnie Hoverspeed avec des ferries rapides qui faisaient la traversée en deux heures mais ne pouvaient embarquer aucun véhicule commercial. Au bout de deux ans d'exploitation, Hoverspeed se retirait à son tour. Comme Dieppe et sa région avaient besoin d'un ferry toute l'année, et d'un ferry conventionnel tous temps capable de transporter des camions aussi bien que des voitures particulières, le Conseil général de Seine maritime prit l'initiative de sauver la liaison en 2001 en constituant un syndicat d'économie mixte. La ligne put repartir avec deux navires, le Sardina Vera loué à Corsica Ferries puis le Dieppe, acheté d'occasion. Ils étaient remplacés en 2006 par deux ferries neufs construits à Vigo, le Côte d'Albâtre et le Seven sisters. L'exploitation a été ensuite confiée à Louis Dreyfus Armateurs (aujourd'hui DFDS) dans le cadre d'une délégation de service public qui a été renouvelée jusqu'en 2015. Si l'équilibre financier est encore loin d'être atteint, la ligne a été maintenue, et connaît une progression lente mais régulière, avec des moyens en adéquation avec les besoins : la flotte a été réduite à une seule unité qui effectue deux rotations par jour. Comme ils sont été construits spécialement pour Dieppe-Newhaven, le Seven sisters et le Côte d’Albâtre (qui peuvent se remplacer en cas de besoin) sont adaptés aux contraintes techniques propres aux ports de Dieppe et de Newhaven. En 2012, la ligne a transporté 265 932 passagers ; en 2013, la progression s'est poursuivie au niveau des touristes avec 276 421 passagers (+ 3.96%) et 84 419 voitures particulières (+ 2.9%) . Le fret (camions) est en légère régression1. Dieppe-Newhaven occupe dans le trafic Transmanche un marché de niche, sans pouvoir prétendre entrer en concurrence avec les autres routes maritimes. Même si la fréquentation tend à baisser, Calais-Douvres domine très largement, avec près de 10 1 Journal de la Marine Marchande, 31 jan 2014, n° 4912, p. 18 millions de passagers par an, tandis qu'en Manche Centrale, Caen se place avec plus de 900 000 passagers, loin devant Dieppe-Newhaven. La voie maritime, prolongement du chemin de fer Il n'en a pas toujours été ainsi, et au début du XX e siècle, Dieppe-Newhaven était l'une des lignes les plus importantes. Le Bulletin de la Chambre de commerce de Paris du 14 mai 1904 cite pour l'année 1903 le chiffre de 201 943 passagers sur Dieppe-Newhaven, pas très loin de Calais-Douvres (292 618 voyageurs), presque à égalité avec Boulogne-Folkestone (209 503 voyageurs), et beaucoup plus que le Havre-Southampton (39 682). On dit que Dieppe-Newhaven est la plus ancienne des liaisons transmanche, et que Guillaume de Normandie serait parti de Dieppe pour son second voyage, en 1067. Quoi qu’il en soit, elle est incontestablement établie depuis très longtemps. Dans les premières années du XIXe siècle, des bateaux de passagers partant de Dieppe allaient mouiller au large de Brighton, si bien qu’il fallait gagner la ville en canots à rames. En 1823, un nouveau débarcadère que l’on appelait la « chain pier » et qui se situait au niveau de la défunte West Pier, à peu près en face de l’hôtel Hilton Metropole, rendit les opérations plus commodes. Quelques années plus tard, on utilisera un vrai port abrité, celui de Newhaven, mais d'importants travaux seront nécessaires pour y accueillir les paquebots. L'une des raisons du succès de la ligne a résidé dans l'arrivée précoce du chemin de fer, tant à Dieppe qu'à Newhaven. En effet, Brighton, station balnéaire à la mode depuis les années 1820, est reliée à Londres par le train dès 1840, et l'embranchement vers Newhaven est mis en service en 1847. De l'autre côté de la Manche, la Compagnie du chemin de fer de Paris à Rouen fait venir le train à Rouen en 1843, et à Dieppe en 1848. Grâce à l’association de la compagnie, devenue Chemins de fer de l’Ouest, avec le London to Brighton and South Coast Railway et un armateur, la General Steam Navigation Company, des navires à passagers vont à partir de 1863, assurer un service régulier avec une correspondance avec le chemin de fer : on les appelle packetboats, ou paquebots, c’est à dire malle-poste. On les nomme aussi vapeurs ou steamers, car ils ont tous adopté la machine à vapeur. Et depuis 1874, la gare maritime de Dieppe permet au train de déposer les voyageurs au pied du bateau, quai Henry IV. Ils bénéficient de la même facilité à Newhaven, puisque le chemin de fer arrive de la même façon pour ainsi dire sur le quai. L’amélioration de la circulation des trains réduit le temps de trajet entre Paris et Dieppe. Une nouvelle ligne est même construite qui part de Pontoise, passe par Gisors, évite Rouen et raccourcit encore le temps du voyage. À l'aube du XXe siècle, grâce à l’amélioration de la circulation des trains et à la rapidité des paquebots, le trajet Paris Londres par Dieppe-Newhaven, est, selon les publicités de l'époque, le plus rapide, le plus économique et le plus pittoresque . Dans son numéro du 5 août 1898, la Science française ne tarit pas d’éloges pour sur la ligne : En attendant le percement du fameux tunnel sous la Manche qui, entre parenthèses, ne paraît pas encore être à la veille de se faire, les voyageurs qui désirent aller de France en Angleterre et vice- versa, ont le choix entre quatre ou cinq routes principales, notamment celles par CalaisDouvres, par Dieppe-Newhaven et par le Havre-Southampton. Toutes ont leur avantage respectif que nous n’avons garde de méconnaître, mais au double point de vue du confort et de l’économie, nous devons avouer que le double service entre Paris et Londres organisé par la Compagnie de l’Ouest et la London Brighton Railway est incontestablement le plus apprécié du public voyageur. Sous le rapport du confortable, en effet, il est difficile de trouver mieux que les magnifiques steamers à double hélice qui font avec aisance et par tous les temps la traversée de Dieppe à Newhaven en trois heures exactement. L’article évoque la rapidité des bateaux, appelés Outre-manche (c’est le journal qui l’affirme) lévriers de mer. Les deux derniers modèles, le Sussex et le Manche, avec leur machine de 5000 cv, sont aménagés de la manière la plus luxueuse. Le journaliste conclut en soulignant le bon marché des prix par Dieppe Newhaven en comparaison des prix par les autres voies2. Avec l’Exposition universelle de Paris, le nombre de voyageurs passe de 176 095 en 1899 à 270 128 en 19003 sur Dieppe-Newhaven. Et l’on constate que les retombées de l’exposition sont beaucoup plus importantes sur Dieppe-Newhaven que sur les autres liaisons. Sur la même période, la progression de Calais-Douvres n’est que de n’est que de 21%. Ces visiteurs vont pouvoir voyager dans d'excellentes conditions sur l'un des dix paquebots qui assurent le service, en particulier s'ils ont la chance d'embarquer sur le tout nouvel Arundel qui se distingue par le luxe de ses aménagements, avec fumoir, salon pour les dames, salle à manger avec meubles en chêne sculpté et tentures de velours…L’Arundel, lancé en 1900 est un exemple typique des nouveaux paquebots qui traversent la Manche. Ce sont tous des navires à hélices, qui remplacent progressivement les steamers à roues à aubes. Ils sont un peu plus gros que leurs prédécesseurs, mais restent de dimensions modestes. L’Arundel fait 84 m de long par 10,40 m de large, et jauge 1063 t brut 4. Son tirant d’eau est faible (moins de 3 mètres), de sorte qu’il accède sans difficultés dans les ports de Dieppe et de Newhaven, d'autant que des travaux récents permettent désormais d'accéder au port quel que soit l'état de la marée. Grâce aux 5000 cv développés par ses machines alternatives, l’Arundel atteint 20-22 nœuds, effectuant souvent la traversée en trois heures, et parfois un peu moins. C'est à la route Dieppe Newhaven que l'on songe lorsque l'on cherche des solutions nouvelles : il est question déjà en 1907 d' un ferro-boat qui permettrait aux voyageurs de joindre Paris Saint-Lazare à Londres Victoria sans quitter leur voiture de chemin de fer (vraisemblablement sur l'horaire de nuit). Une compagnie a été constituée en Angleterre, l’International Railroad Company, en en 1913 si l’on en croit la presse contemporaine, le projet aurait été approuvé par les deux compagnies de chemin de fer 5. Mais il n'y fut jamais 2 3 4 5 La Science française, 1989, 5 août, p. 362-363 le Journal des Transports 14 février 1903, p 79 A titre de comparaison, les « Côte d’Albâtre » et « Seven sisters », qui sont, pour le transmanche, de petits ferries, font 142 m de long par 24 mètres de large, et jaugent en brut 18 500 t, Ouest Eclair, du 12 mai 1913 donné suite et il n’y eut jamais de train ferry à Dieppe, à l'exception de Train Ferry 1 du War Office, qui fera la liaison entre Dieppe et Souhtampton en 1917-1918 afin d'approvisionner le corps expéditionnaire britannique. Les train-ferries existeront bien sur la Manche, mais uniquement sur la liaison Dunkerque-Douvres, à partir de l'automne 1936. L’ère des turbines. Au cours des dernières années du XIXe siècle, Charles Parson en Angleterre puis Auguste Rateau en France, mettent au point des turbines à vapeur qui peuvent sur des navires remplacer les machines à pistons, dites machines alternatives. En 1894, Parson fait sensation avec un bateau expérimental de 30 mètres, le Turbinia. Il atteint grâce à ses 2 turbines la vitesse de 34,5 nœuds. Très rapidement ; la turbine s'impose. Elle offre un meilleur rendement, est plus légère, moins encombrante qu’une machine à pistons, exige moins de personnel, et peut développer de très fortes puissances avec une absence remarquable de vibrations. En quelques années, Parson passe du stade expérimental aux applications commerciales. Ce sont les paquebots transmanche qui adoptent les premiers la turbine, et la ligne Dieppe-Newhaven fait figure de précurseur : s'il est vrai que CalaisDouvres est dotée avec le Queen en 1903 du premier navire à turbines de la Manche 6, le Brighton, mis en service quelques semaines plus tard sur Dieppe-Newhaven est le premier paquebot à turbines navigant sur une distance relativement importante7. Il effectue régulièrement la traversée en 3 heures, alors qu'il en fallait cinq vingt ans plus tôt. Et c'est le Brighton qui sert de banc d'essai à la compagnie Cunard, qui procède à des essais comparatifs avec ses propres navires, tandis que la Compagnie générale transatlantique attend les résultats avant de décider de la propulsion de son nouveau steamer le Provence, en construction à Penhoet8. Les navires à turbines mis en service avant la Première guerre mondiale sont comme leurs prédécesseurs de petits paquebots, qui jaugent en brut aux alentours de 1200 t , mais les turbines à vapeur leur confèrent une rapidité supérieure. Bien mieux, l'absence de vibration de la turbine permet dit-on de ne pas ralentir l'allure par mauvais temps, affirmation qui doit être nuancée, car tout dépend ce que l’on entend par mauvais temps, mais qui est un signe de l'enthousiasme avec lequel ont été accueillies les turbines. Le Rouen, le Brighton9, atteignent 24 nœuds, mais le Newhaven les dépasse. Lors de son voyage inaugural, le 26 mai 1911, il effectue la traversée en 2h 43 mn et 28 s, soit une moyenne de plus de 24 nœuds, donc avec une vitesse de pointe sensiblement supérieure. Car c’est bien la rapidité que recherchent en priorité les compagnies de chemin de fer sur le Transmanche. Si la vitesse entraîne une consommation accrue de combustible, la distance 6 7 8 9 Le TSS Queen, premier navire à turbine de la Manche, effectue son voyage inaugural le 27 juin 1903, le Brighton est mis en service en septembre Magasin pittoresque, 1903, 3e série, tome 4, p. 474-476. Le Figaro, 1904, 8 décembre, p. 4. Plusieurs navires de la ligne se sont appelés Brighton. Celui dont nous parlons sera dénommé a posteriori Brighton IV. (65 milles nautiques) est trop courte pour que la provision de charbon nécessaire puisse constituer un problème. Des aménagements luxueux L'aménagement des nouveaux paquebots à turbines est encore plus soigné : le Newhaven offre en première classe un petit salon pour les dames, vert clair, rehaussé de motifs sculptés et dorés du meilleur style Louis XV… La salle à manger peut recevoir 64 personnes : elle est habillée de panneaux de chêne clair. Deux cabines de luxe ont été exécutées en boiseries de chêne clair « verni au tampon » Velours bouclé bleu clair pour recouvrir les couchettes. Les messieurs ont droit à un fumoir, un bar. Pour la traversée de nuit, le Newhaven propose un dortoir Louis XVI pour les dames, un dortoir pour les hommes, deux grandes salles de toilettes10. La deuxième classe n’offre pas le même luxe, mais un confort très satisfaisant, avec une salle à manger de trente places, et vingt huit places de canapés tout autour de la pièce. On pourra noter qu’à la veille de la Première guerre mondiale, seules les salles à manger sont communes aux deux sexes. Les hommes ont leur fumoir, les femmes leur boudoir, et chacun bénéficie de dortoirs séparés, que l’on pourrait qualifier de salles de repos, car la traversée est courte. Pour ceux qui veulent voyager avec leur véhicule, le Newhaven peut accueillir 4 automobiles du plus grand modèle , une capacité vraisemblablement suffisante à l'époque. Ces automobiles doivent bien entendu être chargées à la grue, le premier car-ferry n'apparaissant sur Dieppe-Newhaven, qu'en 196411. Des tarifs avantageux Les Chemins de fer de l'Ouest affirment que le trajet de Paris à Londres via Dieppe Newhaven est le plus rapide, il ne semble pas que ce soit tout à fait exact. La liaison proposée par la Compagnie des chemins de fer du Nord, par Calais-Douvres prend exactement 8 heures pour le départ de la journée, dont une heure de traversée. ParisLondres par Dieppe, au départ de Paris Saint Lazare, dure exactement 8h 40. Mais la différence est véritablement très mince. Dans les premières années du siècle, il existe deux départs, de Paris Saint Lazare : un le matin à 10h20, qui arrive à Londres Victoria à 7 heures le soir. Le train de nuit part à 9h20 arrivant à Londres Victoria à 7h30 le matin. Seul le train de nuit accepte les voyageurs de 3 e classe, mais les compartiments à couchettes sont réservés aux voyageurs de première classe. Le train met 1h40 pour aller de Paris à Rouen, et 3h 04 pour aller de Paris à Dieppe. Le trajet Newhaven-Londres Victoria dure 1h 25 mn. Les prix sont avantageux : le trajet simple Paris-Londres, aller-retour, valable 7 jours, coûte selon la classe, 48,25 F, 35 F et 23,50 F. L'aller-retour valable un mois coûte 82,75 F, 58,71F et 41,50 F 12. La Compagnie 10 Description d'Edouard Bonaffé dans le Magasin Pittoresque,1911, p 199. 11 Alors que les car-ferries sont mis en service sur Calais en 1953, Dieppe-Newhaven doit attendre 1964 pour voir son premier car-ferry. C'est le Falaise, un paquebot de Saint-Malo converti. 12 Voyages à prix réduits…/ Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, Imprimerie Chaix, 1906. propose aussi des formules d'excursions, encore plus économiques. Il est difficile d'établir une équivalence avec les prix d'aujourd'hui, et même d'établir une comparaison avec les salaires, dans la mesure où l'échelle des salaires était beaucoup plus importante au début du XXe siècle. Mais en l'absence de congés annuels, avec une semaine de travail de 6 jours, voire 6 jours et demi dans certaines professions, le tourisme ne concernait pas la population ouvrière. La clientèle, hors les voyageurs pour affaires, n’appartenait qu’aux classes sociales aisées : bourgeoisie, professions libérales, gros commerçants, employés supérieurs. Chez les fonctionnaires, les écarts de salaires étaient très importants, et pouvaient varier considérablement d'une administration à l'autre, mais pour donner un ordre de grandeur, nous pouvons indiquer qu'un professeur de lycée (dont le statut social était bien plus élevé qu'aujourd'hui) gagnait à Paris entre 3000 et 7500 F par an. Il semble donc que le voyage en Angleterre, tout particulièrement via Dieppe-Newhaven, ait été à la portée non seulement des gens fortunés, mais de la petite et moyenne bourgeoisie. La sécurité Les paquebots du début du siècle sont rapides, bien aménagés, conçus pour faire face au mauvais temps, car la Manche peut être parfois très agitée entre Dieppe et Newhaven. Mais la navigation n'est pas exempte de dangers. Actuellement, la densité du trafic en Manche est telle que la circulation est organisée en fonction du sens de navigation des navires, avec quatre systèmes de balisage appelés DST (dispositif de séparation du trafic). On compte de 40 à 45 000 navires dans chaque sens avec 40 000 traversées de ferries par an. Rien de tel dans les années 1900, mais si la construction navale était déjà techniquement avancée, les aides à la navigation n'existaient pas. Il n'y avait ni radar de navigation ni GPS, ni radar anti-collision, de sorte que les accidents, par faible visibilité, n'étaient pas rares, avec parfois des conséquences tragiques : le 20 août 1895, deux navires de la ligne, le Seaford et le Lyon, entrent en collision dans la brume. Le Seaford sombre 40 minutes après l'accident. Grâce à la diligence du commandant du Seaford et de son équipage, les 255 passagers et les 42 marins sont sauvés et recueillis par le Lyon. En 1910, le Brighton, filant à toute vapeur dans la brume, par une nuit sans lune, éperonne le Preussen, au large de Newhaven : Une catastrophe maritime a failli se produire ce matin vers minuit un quart au large de Newhaven. Le paquebot anglais Brighton, faisant le service des voyageurs entre Dieppe et Newhaven et ayant à son bord 80 passagers venait de quitter, une demi-heure avant, ce dernier port pour gagner Dieppe, lorsque par suite de la brume intense qui régnait, il n'aperçut pas un voilier allant vers l'ouest. Ce dernier, pour la même cause ne vit pas le Brighton et l'aborda par bâbord, lui faisant de très importantes avaries. Ne pouvant continuer sa route, le Brighton regagna Newhaven, tandis que le voilier abordeur, qui n'est autre que le Preussen, cinq-mâts allemand, faisait également demi-tour pour relâcher à Douvres, ayant de son côté de sérieuses avaries. Les dégâts sont énormes à bord du Brighton, ses passagers, aussitôt débarqués, ont pris place sur le steamer France, venant d'arriver de Dieppe, lequel a repris immédiatement la mer pour notre port où il est arrivé à midi. C'est un hasard qu'aucun accident de personne ne se soit produit sur le Brighton13. Le 5 août 1924, le Newhaven pris dans le brouillard s'échoue contre la falaise de Berneval. Aucune victime ne fut à déplorer, mais le renflouement fut spectaculaire puisqu'il fallut creuser dans la falaise pour dégager le bateau. Quant aux tempêtes, elles ne pouvaient pas toujours être évitées, et le danger n'était pas toujours en pleine mer, mais à l'entrée du port. C'est ainsi que le cargo Angers, également des Chemins de fer de l'Ouest et de la London Brighton and South Coast Railway se fracasse contre la jetée ouest de Dieppe le 2 janvier 1899, entraînant la mort de 5 membres d'équipage. Ceci étant, le progrès technique n'a pas supprimé les risques, et on se souvient que le 25 janvier 1990, le car ferry Chartres à l'issue d'une traversée homérique dans un véritable ouragan – le mot n'est pas trop fort, car le commandant avait dû lancer un appel de détresse – avait été précipité contre la jetée à Dieppe et s’était trouvé à deux doigts de couler dans le port. Il devait, après d'importantes réparations, être affecté à Calais, puis reprendre du service lors de la guerre du Golfe, avant de naviguer dans les Iles grecques sous le nom d'Express Santorini. Les passagers piétons ont pratiquement disparu, la concurrence du tunnel, des autres voies maritimes, de l'avion, l'arrêt du duty free, ont sévèrement affecté la ligne DieppeNewhaven, qui a perdu depuis longtemps la place qu'elle occupait au début du XX e siècle. Elle n'est plus, il s'en faut de beaucoup, une source de bénéfices sans cesse croissants pour le réseau de l'Ouest14 .La route maritime historique reliant la France à l’Angleterre est devenue une ligne à caractère régional, dont on peut dire qu’elle relie la Normandie et le Sussex avec des avantages qui lui sont propres tant pour les touristes que pour les transporteurs et qui semblent à nouveau être appréciés. La sécurité est plus grande qu'elle ne l'a jamais été, et le confort est objectivement très supérieur à celui des petits vapeurs d’autrefois, connus pour leur roulis dès que la mer devenait formée. Il faut cependant reconnaître que les aménagements fonctionnels et le self-service du ferry contemporain ne peuvent rivaliser avec les boiseries vernies au tampon et la table d'hôte des paquebots de la Belle-époque. Philippe Rouyer 13 Le Figaro, 7 novembre 1910, n° 311, p.4. 14 Journal des transports, 17 février 1900, p. 87.