Un cas de syndrome hyperéosinophilique
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Un cas de syndrome hyperéosinophilique
pratiquer / CAS CLINIQUE / GASTRO-ENTÉRITE CHEZ UN CHIEN Un cas de syndrome hyperéosinophilique Cet article décrit le cas d’un chien présentant une éosinophilie et une infiltration éosinophilique essentiellement digestive qui ont évolué favorablement après un traitement à base de corticoïdes. Résumé u Un cas de syndrome hyperéosinophilique à localisation essentiellement digestive (foie et intestin) et splénique, associé à une gammapathie monoclonale non néoplasique, est diagnostiqué chez un chien. Cette affection rare se traduit par une éosinophilie persistante et marquée, une infiltration éosinophilique de plusieurs organes et une infiltration de la moelle osseuse par les cellules souches des éosinophiles. Elle est plus souvent observée chez le chat, pour lequel la forme la mieux décrite est le complexe granulome éosinophilique. La cause reste souvent indéterminée et le diagnostic est compliqué par le manque de spécificité des symptômes. En outre, le diagnostic différentiel doit être établi entre ce syndrome et la leucémie éosinophilique. Le traitement fait appel aux corticoïdes à dose immunosuppressive. Le pronostic est généralement sombre. par Fabrice Hébert Article reçu en juin 2000 U n chien de race rottweiler mâle âgé de 21 mois est référé en consultation pour des épisodes récidivants de diarrhées, de vomissements et d’hyperthermie, qui se manifestent depuis neuf mois et rétrocèdent avec des traitements symptomatiques. Cas clinique 1. Anamnèse Le chien est correctement vacciné et vermifugé, il n’a jamais quitté la France. Une neutrophilie (28 000/mm3) et une éosinophilie (3 600/mm3) sanguines ont été notées huit mois auparavant. Depuis une semaine, un nouvel épisode fébrile est apparu, associé à des diarrhées et à des vomissements. Le chien a perdu 7 kg pendant les quatre dernières semaines. 2. Examen clinique L’examen clinique révèle une hyperthermie (39,3 °C). A la palpation, une masse abdominale non douloureuse, ferme, de forme allongée et longue d’environ 30 à 40 centimètres est décelée. La masse abdominale palpée, est compatible avec une rate de taille augmentée. 3. Hypothèses diagnostiques Les différentes hypothèses diagnostiques qui peuvent expliquer une splénomégalie associée à une hyperthermie sont : - une affection parasitaire (piroplasmose, ehrlichiose, leishmaniose, toxoplasmose) ; - une anémie hémolytique ou une thrombopénie à médiation immunitaire ; - une tumeur splénique (lymphome, mastocytome, histiocytose, myélome). α2 β γ Figure 1. Tracé électrophorétique des protéines sanguines. L’électrophorèse des protéines plasmatiques montre un pic ß3-gamma et une hypoalbuminémie (figure 1). L’immunoélectrophorèse met en évidence principalement l’augmentation des IgG (tableau 1). Les résultats de recherche de parasites sont négatifs (sérologies leishmanienne et ehrlichiose, coprologie). ! Examens sanguins Un frottis sanguin est réalisé afin de rechercher une piroplasmose : les éosinophiles et les neutrophiles sont abondants, mais aucun parasite n’est observé. ! Echographie abdominale L’échographie abdominale met en évidence une splénomégalie : le pôle caudal de la rate est en contact avec la paroi craniale de la vessie. Aucune modification du parenchyme splénique n’est constatée (photo 1). La taille des lobes hépatiques semble augmentée. Le parenchyme hépatique, hétérogène, est caractérisé par la présence de lobes d’hyperéchogénicité diffuse, qui contrastent avec l’aspect des lobes voisins (photo 2). Une adénomégalie rétrohépatique est également observée. Un épanchement abdominal discret est visible, uniquement entre les lobes hépatiques. Le bilan sanguin hématologique confirme l’éosinophilie, la lymphocytose et la neutrophilie. L’analyse biochimique révèle une augmentation très modérée des transaminases (SGPT), une hyperprotidémie, une hyperglobulinémie et une hypoalbuminémie (tableau 1). ! Radiographie thoracique Le cliché radiographique thoracique ne révèle ni image pulmonaire compatible avec des métastases, ni lésion ostéolytique évocatrice de la présence d’un myélome multiple qui aurait pu expliquer l’hyperprotidémie. 4. Examens complémentaires 58 Alb. Le Point Vétérinaire / N°213 / Mars 2001 / Cliché F. Hébert Cliché F. Hébert Photo 1. Image échographique de la rate (hile splénique). Photo 2. Image échographique du foie. Noter l’aspect hyperéchogène du lobe situé dans la partie supérieure de la photo par rapport au lobe situé en partie inférieure (flèche). ! Laparotomie exploratrice et biopsies Une laparotomie exploratrice est effectuée pour évaluer l’étendue des lésions et réaliser des biopsies. Sur l’ensemble de la surface des lobes hépatiques, de multiples nodules de couleur blanche, dont la taille varie de deux à dix centimètres, sont observés. En outre, des foyers de régénération sur les bords des lobes hépatiques, une hypertrophie des nœuds lymphatiques rétrohépatiques, une splénomégalie et quelques nodules spléniques de taille inférieure à un centimètre de diamètre, sont notés. Des biopsies sont effectuées au niveau des nodules hépatiques, spléniques et jéjunales pour analyse histopathologique. ! Histopathologie L’analyse histopathologique hépatique et splénique montre la présence de multiples granulomes éosinophiliques (photo 3) associés, surtout au niveau du parenchyme splénique, à une plasmocytose réactionnelle intense (photo 4), sans atypie cytonucléaire nette. Le jéjunum est le siège d’une infiltration éosinophilique et plasmocytaire (photo 5). Un syndrome hyperéosinophilique est diagnostiqué. Il se manifeste, sur le plan lésionnel, par une infiltration éosinophilique du foie, de la rate et de l’intestin et par une éosinophilie sanguine circulante. 4. Traitement L’administration de prednisolone par voie orale est prescrite à la dose dégressive de 1 mg/kg deux fois par jour pendant trois semaines, puis de 0,5 mg/kg/j pendant quinze jours, puis de 0,5 mg/kg un jour sur deux pendant deux semaines, et de 0,25 mg/kg un jour sur deux pendant quinze jours. Animal Normes Biochimie sanguine Urée Créatinine SGPT PAL Glycémie Protéines Albumine Cholestérol Calcium 16,42 mmol/L 110 mmol/L 84 UI/L 155 UI/L 5,38 mmol/L 92 g/L 18 g/L 2,5 mmol/L 2,79 mmol/L 3,93-17,14 mmol/L 35,36-132,6 mmol/L 0-77 UI/L 0-300 UI/L 4,44-6,72 mmol/L 50-62 g/L 27-38 g/L 3,48-7,24 mmol/L 2,12-2,99 mmol/L Hématologie Leucocytes Neutrophiles Eosinophiles Lymphocytes Monocytes Hématies Hémoglobine Hématocrite Plaquettes 30,2.109/L 20,1.109/L 5.109/L 4,6.109/L 0,5.109/L 6,2.1012/L 133 g/L 38,9 L/L 355.109/L 6,1-17,4.109/L 3,9-12.109/L 0-1,9.109/L 0,8-3,6.109/L 0,1-1,8.109/L 5,6-8,5.1012/L 132-192 g/L 38-57 L/L 145-440.109/L Electrophorèse des protéines plasmatiques Albumine α1 globulines α2 globulines β1-2-3 γ globulines 18 g/L 1 g/L 7 g/L 65 g/L 27-38 g/L 5-8 g/L 5-8 g/L 13-36 g/L Immunoélectrophorèse IgA IgG IgM IgE 0,26 g/L > 26 g/L 0,6 g/L < 2 kU/L 0,4-1,6 g/L 10-20 g/L 1-2 g/L IgE témoin <2 kU/L Sérologies Leishmanienne Ehrlichiose Négative Négative Coprologie Négative Tableau 1. Résultats des examens sanguins et coprologiques. 4. Evolution L’état général du chien s’améliore rapidement. La température est normale après deux jours de traitement et les troubles digestifs ont totalement disparu. Une échographie abdominale pratiquée un mois après le début du traitement montre un parenchyme hépatique subnormal, où seules quelques zones hyperéchogènes subsistent. La taille et l’échogénicité de la rate sont normales. La protéinémie est de 62 g/L avec un taux de globuline de 33 g/L. L’animal est suivi pendant six mois, sans qu’aucune récidive ne se manifeste. Discussion 1. Etiopathogénie Les éosinophiles ont pour rôle de défendre l’organisme lors d’infestation parasitaire et de participer aux réactions allergiques. De nombreuses affections peuvent avoir pour conséquence une éosinophilie circulante ainsi qu’une infiltration tissulaire par des éosinophiles. Elles sont d’origine parasitaire ou allergique et n’affectent qu’un type de tissu ou un seul organe. En revanche, il existe un syndrome hyperéosinophilique caractérisé par une hyperéosinophilie circulante (supérieure à 1,9 109/L chez le chien et 0,75 109/L chez le chat) et par une infiltration éosinophilique de plusieurs / N°213 / Mars 2001 / Le Point Vétérinaire !! 59 Photo 3. Coupe histopathologique du foie (grossissement X400). Noter la présence de foyers d’éosinophiles (flèche). Points forts ➨ Un syndrome hyperéosinophilique est diagnostiqué chez un chien présentant des troubles digestifs récidiants. ➨ Les signes cliniques, frustes (hyperthermie, anorexie, perte de poids) sont associés à des symptômes qui dépendent des organes infiltrés (diarrhées et vomissements lors d’atteinte du tube digestif). ➨ Le diagnostic est assuré par des examens complémentaires sélectifs : hématologie, analyses histopathologiques et myélogramme. ➨ L’échographie ne permet, dans ce cas, ni de poser un diagnostic, ni d’établir un pronostic. ➨ Malgré le pronostic généralement sombre, l’affection a rétrocédé grâce à une corticothérapie immunosuppressive. Remerciements L’auteur remercie le laboratoire CERI, notamment Pascal Prélaud, ainsi que le Laboratoire d'AnatomoPathologie Vétérinaire du Sud-Ouest (LAPVSO) pour leur généreuse collaboration. En savoir plus Photo 4. Coupe histopathologique de la rate (grossissement X1000). Noter la plasmocytose. organes, dont la moëlle osseuse [3]. En outre, son origine n’est ni parasitaire, ni allergique, ni secondaire à d’autres affections potentiellement responsables d’éosinophilie. Ce syndrome a surtout été décrit chez le chat et rarement chez le chien. 2. Symptômes Les troubles observés sont variés et dépendent essentiellement des organes infiltrés. Les symptômes les plus couramment observés sont : la fièvre, l’anorexie et une perte de poids, constatés chez le cas décrit plus haut. Des troubles digestifs (diarrhées, vomissements) sont également rapportés. L’examen clinique met souvent en évidence une augmentatoin de la taille des organes abdominaux (foie, rate, nœuds lymphatiques mésentériques, intestins). D’autres organes sont susceptibles d’être infiltrés, mais leur incidence clinique est faible [3, 5, 7, 8]. 3. Diagnostic Le diagnostic est fondé sur : le recueil des commémoratifs, l’examen clinique, les analyses sanguines, qui révèlent l’éosinophilie, les analyses histopathologiques des organes qui montrent l’infiltration éosinophilique, et éventuellement, un myélogramme. Ce diagnostic est également effectué par élimination, en écartant une origine parasitaire (sérologies et coprologies négatives) ou allergique. Le diagnostic différentiel est cependant complexe. La frontière entre ce syndrome et la leucémie éosinophilique est étroite. En médecine humaine, la leucémie éosinophilique se caractérise par les Références 1- Couto CG. Part 12 : Leukopenia and leucocytosis. In: Small animal internal medicine. St Louis, Mosby. 1998:1178-1186. 2- Hohenhaus AE. Syndromes of hyperglobulinemia : diagnosis and therapy. In: Kirk’s Current Veterinary therapy small animal practice. Philadelphia, WB Saunders company.1995:523-530. 3- Huibregtse BA, Turner JL. Hypereosinophilic syndrome and eosinophilic leukemia : a comparison of 22 hypereosinophilic cats. J Amer. Anim. Hosp. Assn. 1994;30:591-599. 4- Latimer KS. Leukocytes in health and disease. In:Textbook of veterinary internal medicine, vol 2. Philadelphia, WB Saunders, 1995;1892-1929. 5- Mac Ewen SA, Valli VE, Hulland TJ. Hypereosinophilic syndrome in cats: a report of 60 Le Point Vétérinaire / N°213 / Mars 2001 / Cliché F. Hébert Cliché F. Hébert Cliché F. Hébert pratiquer / CAS CLINIQUE / Photo 5 : Coupe histopathologique du jéjunum (grossissement X400). Noter l’infiltration éosinophilique et plasmocytaire (flèche). mêmes critères que ceux du syndrome hyperéosinophilique, auxquels s’ajoutent une immaturité cellulaire des éosinophiles retrouvés dans la moelle osseuse et un taux d’immunoglobuline E (IgE) élevé [3]. Dans notre cas, le taux d’IgE était normal. Toutefois, des études expérimentales en parasitologie montrent que le syndrome hyperéosinophilique a été induit expérimentalement chez plusieurs espèces, dont le chat, par l’administration de Toxocara canis [6]. La gammapathie semble être secondaire à une augmentation des IgG. Seule la plasmocytose splénique pourrait éventuellement être à l’origine de cette hyperglobulinémie, qui a rétrocédé après corticothérapie. Un cas d’entérocolite plasmocytaire a ainsi été décrit chez un chien, à l’origine d’une gammapathie monoclonale à IgG, qui a rétrocédé après traitement médical de l’entérite, comme dans le cas décrit plus haut [2]. 4. Traitement Le traitement consiste en une corticothérapie immunosuppressive (prednisolone) par voie orale à dose régressive. Elle débute chez le chat à la dose de 2 à 4 mg/kg/j pendant au moins quatre à six semaines, puis elle est diminuée progressivement sur quatre à huit semaines. Chez le chien, la dose initiale, administrée par voie orale sur la même durée, est de 1 à 2 mg/kg/j. 5. Pronostic Le pronostic est plutôt sombre selon le peu de cas décrits : les animaux meurent ou sont euthanasiés dans les semaines qui suivent le diagnostic. Conclusion tree cases. Can. J. Comp. Med. 1985;49(3):248-253. 6- Parsons JC, Bowman DD, Grieve RB. Pathological and haematological responses of cats experimentally infected with Toxocara canis larvae. Int. J. Parasitol. 1989;19(5):479-488. 7- Strombeck DR, Guilford WG. Idiopathic inflammatory bowel diseases. In : small animal gastroenterology. 2 ed. London, Wolfe. 1991:357-390. 8- Wilson SC, Thomson-Kerr K, Houston DM. Hypereosinophilic syndrome in a cat. Can. Vet. J. 1996;37(11):679-680. Contact ! Fabrice Hébert Clinique Vétérinaire Vanteaux 69 rue Victorien Sardou 87 000 Limoges Ce cas constitue un exemple de syndrome hyperéosinophilique rarement décrit chez le chien. Les organes les plus souvent atteints sont l’estomac, les intestins et les nœuds lymphatiques ; l’infiltration hépatique découverte est exceptionnelle. Il convient, en outre, de retenir de ce cas qu’une image échographique ne permet pas de poser un diagnostic histologique et encore moins d’établir un pronostic. L’aspect échographique du foie évoquait en priorité l’existence d’un processus néoplasique, tant l’échostructure hépatique était hétérogène. De même, la présence des lésions macroscopiques visibles à la surface du foie lors de la laparotomie renforçait cette hypothèse. ■